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Full text of "Travaux & mémoires"

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BÏÎÏBING 


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http://www.archive.org/details/travauxmmoires08lill 


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TRAVAUX  &  MÉMOIRES 


DE 


LINIVEUSITE  DE  LILLE 


TOME    VIII.    —    :\lK.MoiiiE    N"    24. 
Henri  CHAMARD.  —  Joachim   du   Bellay 


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LILLE 

AU    SIÈGE    DE    L'UNIVERSITÉ,    RUE    JEAN-BART 


1900 


Le.    Conseil    de    l'Université    de    Lille    a    ordonné  l'impression  de  ce  mémoire 
le  ly  janvier  iQoo. 

L'impression  a   été  achevée,  chez  Le  Bigot   Frères,  le  20  mars  igoo . 


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JOACIIIM  DU  BI^LLAY 


i522-i56o 


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HENRI   ClIAMAUD 


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TRAVAUX   ET   MÉMOIRES   DE   L'UNIVERSITÉ   DE   LILM'; 
Tome  VIII.    —   Mémoire   N«  24. 


LILLE 

AU    SIÈGE    DE    L'UNIVEllSITÉ,    RUE    JEAN  HAUT 

1900 


^ 


JOACHIM   DU    BELLAY 

1522  -  1560 


AVANT-PROPOS 


Cette  étude  est  le  fruit  de  huit  ans  de  travail.  Depuis  le 
i^i"  décembre  1891,  il  ne  s'est  passé  presque  point  de  jours 
sans  que  je  m'en  occupe  :  je  lui  ai  consacré  le  meilleui'  de 
mon   temps. 

J'ai  prétendu  faire  avant  tout  une  étude  littéraire,  et,  dans 
ce  dessein,  pour  bien  mettre  en  lumière  les  divers  aspects 
du  talent  poétique,  si  souple  et  si  varié,  de  mon  auteur,  je 
n'ai  pas  craint  de  prodiguer  les  citations.  Mais,  convaincu 
que  les  œuvres  littéraires  perdent  toujours  à  n'être  pas  exac- 
tement replacées  dans  leur  milieu,  j'ai  fait  à  l'histoire  une 
part  très  large.  Je  n'ai  négligé  aucune  occasion  d'éclairer 
l'œuvre  de  du  Bellay  par  l'histoire  littéraire  de  son  époque. 
Semblablement,  je  n'ai  pas  cru  qu'on  pût  comprendre  à  fond 
les  poèmes  qu'il  fit  à  Rome,  si  l'on  ne  connaissait  l'état 
politique   et  moral    de    la    cité    des    papes   entre   i55o   et   i50o. 

Univ.  de  Lille.  Tome  VIII.  A.  i. 


Il  JOACHIM    DL    BELLAY 

Enfin,  j'ai  lâché  d'apporter  le  plus  de  précision  possible  aux 
questions  de  chronologie,  toujours  si  délicates  et  d'une  si 
grande   importance. 

Malgré  son  étendue,  cette  étude  reste  encore  incomplète. 
Je  nai  parlé  ni  de  la  langue  ni  de  la  rythmique  de  du 
Bellay.  Il  m'a  paru  tout  à  lait  inutile  de  revenir  sur  le 
premier  sujet,  après  les  deux  volumes  de  M.  Mai-ty-Laveaux 
sur  la  Langue  de  la  Pléiade.  Quant  au  second,  j'avais  songé 
d'abord  à  lui  réserver  un  chapitre.  Mais  pour  étudier  avec 
intérêt  du  Bellay  versificateur,  il  fallait  multiplier  les  rappro- 
chements avec  ses  devanciers  et  ses  contemporains  :  cela 
m'eût  entraîné  bien  loin.  J'ai  donc  mieux  aimé  n'en  rien  dire 
que  de  n  en  dire  pas  assez,  et  laisser  le  sujet  entier  pour 
le  reprendre  tout  au  long  dans  un  ouvrage  que  je  projette 
sur  la  Rythmique  de    la  Pléiade. 

Au  terme  de  ce  long  travail,  c'est  un  devoir  très  doux 
pour  moi  de  remercier  tous  ceux  qui  m'ont  aidé  à  le  rendre 
moins  défectueux.  Je  souhaite  qu'on  retrouve  ici  la  trace  des 
savantes  et  lumineuses  leçons  de  mon  ancien  maître  à  l'Ecole 
Normale,  M.  Brunetière.  Je  dois  beaucoup  à  M.  Petit  de 
Julie  ville,  qui  m'encouragea  le  premier  à  entreprendre  cette 
étude,  et  dont  les  bons  conseils  m'ont  guidé  mainte  fois  au 
cours  de  mes  recherches.  J'adi^esse  un  hommage  très  recon- 
naissant à  la  mémoire  de  M.  Marty-Laveaux,  le  consciencieux 
éditeur  de  la  Pléiade  Françoise,  et  j'ai  grand  regret  qu'il 
n'ait  pu  voir  achevée  une  œuvre  à  laquelle  il  s'intéressait, 
et  que  la  sienne  seule  avait  rendue  possible.  D'autres  savants 
encore,  dont  quelques-uns  sont  mes  amis,  ont,  sur  des  points 
divers,  facilité  ma  tâche  par  d'utiles  indications  :  M.  Camille 
Ballu,  le  dernier  biographe  de  Joachim  ;  M.  Pierre  de  Nolhac, 


AVANT-PUOIMJS  III 

dont  on  sail  la  rei'veur  pour  les  poètes  de  la  IMéiade  ; 
M.  Desdevises  du  De/erl,  professeur  à  rUniversilé  de  Cler- 
mont-Ferrand  ;  M.  Edouard  Droz,  professeur  à  i'Uiuversité 
de  Besançon  ;  M.  Eruesl  Langlois,  professeur  à  T  Université 
de  Lille  ;  M.  Gustave  Fougères,  maître  de  conférences  en 
Sorbonne  ;  M.  Victor  Giraud,  professeur  à  rUniversité  de 
Fribourg.  Que  tous  reçoivent  ici  l'expression  de  ma  sincère 
gratitude.  Me  permettra- t-on  de  nommer  aussi  celle  dont  la 
collaboration  me  fut  toujours  si  précieuse,  la  compagne  intel- 
ligente  et  dévouée  à   qui  sont   dédiées  ces  pages  ? 

Lille,   17  novembre  1899. 


4 


BIBLIOGRAPHIE 


AcKERMANN  (Paul).  —  La  Deffence  et  illustration  de  la  langue  fran- 
coj'se,  par  Joachim  du  Bellay  ;  précédée  d'un  discours  sur  le  bon 
usage  de  la  langue  française.  Paris,  Grozet,  iSSq.  in-S". 

Albert  (Paul).  —  La  littérature  française  des  origines  au  xvii'  siècle ^ 
i2«  leçon.  Paris,  Hachette,  1872,  in-8'. 

Ampère  (J.-J.).  —  Portraits  de  Rome  à  différents  âges,  publ.  dans 
la  Revue  des  Deux- Mondes,  juin  i835  ;  réimpr.  dans  La  Grèce, 
Rome  et  Dante.  Paris,  Didier,  1869,  in-8». 

Baillet.  —  Jugemens  des  savans  sur  les  principaux  ouvrages  des 
auteurs  (i685).   Edit.  de   La  Monnoye,  Paris,    1722,  7   vol.   in-4'. 

—  IV,  412-414. 

Ballu  (Camille).  —  Notice  sur  Joachim  du  Bellay,  dans  l'édit.  des 
Œuvres  choisies  de  Joachim  du  Bellay,  par  L.  Séché.  Paris,  1894, 
in-4''.  —  Biographie,  p.  xli-cxi;  Bibliographie,  p.  251-268. 

Begker  (Henri).  —  Un  humaniste  au  xvi«  siècle.  Loys  Le  Roy  (Ludo- 
vicus  Regius)  de  Coutances.  Thèse.  Paris,  Lecène  et  Oudin,  1896, 


1  Dans  cette  liste  ne  figurent  que  les  ouvrages  —  éditions  et  travaux  — 
qui,  de  près  ou  de  loin,  intéressent  Joachim  du  Bellay.  Quant  aux  autres, 
ils  seront  mentionnés  en  note  dans  le  cours  même  de  cette|étude. 


VI  JOACHIM   DU   BELLAY 

Becq  dk  Fouquifres.  —  Œuvres  choifties:  de  .Toachim  du  Bellay.  Paris, 
Charpentier,  i8;6,  in-12. 

BiNET  (Claude).  —  Discours  de  la  vie  de  Pierre  de  Ronsard. 

Il  en  existe  trois  rédactions,  qui  présentent  entre  elles  de 
notables  divergences  :  1°  celle  de  i586,  publ.  à  part,  Paris, 
G.  Buon,  in-4'  de  128  p.  ;  —  2°  celle  de  i58;,  dans  la  i"^^  édit. 
poslh.  des  œuvres  de  Ronsard,  Paris,  G.  Buon,  in-12,  t.  IX,  p.  107. 
(Bibl.  Nat.  —  Rés.  pY^.  i'2);  —  3°  celle  de  1597,  dans  l'édit.  de 
Ronsard  ptibl.  par  la  V^*"  de  G.  Buon.  t.  IX,  p.  109.  (Bibl.  Nat.  — 
Rés.  Y=.  1893-1895).  Ce  dernier  texte,  qui  constitue  le  texte  clas- 
sique de  Binet,  se  retrouve  dans  l'édit.  de  Ronsard  de  1623,  in-P*, 
p.  1637.  (Bibl.  Nat.  —  Y*.  17).  Il  est  reproduit,  à  l'orthographe 
près,  dans  les  Archives  curieuses  de  Vhistnire  de  France,  de 
Ciraber  et  Danjou,  i"  série,  t.  X  (i836),  p.  359-4^5,  et,  partielle- 
ment, dans  l'édit.  des  Poésies  choisies  de  P.  de  Ronsard,  par 
Becq  de  Fouquières,  Paris,  Charpentier,  1873  et  1880,  in-12  — 
Je  cite  Binet,  suivant  les  cas,  d'après  les  édit.  de  i58fi,  1087  et 
1097.  Cf.  Rev.  d'hist.  litt.  de  la  France,  1899,  p.  44- 

Blanchemaln    (Prosper).  —   i"  Edition  des  Œuvres  de  Ronsard.  Bibl. 
elzév  ,  8  vol.  in-i6,  1857-1^67. 

Quand  je  ne  cite  pas  Ronsard  d'après  les  originaux,  je  renvoie 
à  cette  édition  de  préférence  à  celle  de  Marty-Laveaux,  parce 
que.  reproduisant  l'édit.  collective  de  1060,  elle  donne,  sinon  le 
texte  primitif  de  Ronsard,  du  moins  un  texte  contemporain  de 
J.  du  Bellay. 

—  2"  Poètes  et  Amoureuses.  Portraits  littéraires  du  xvr  siècle.  Paris, 

Willem,  1877,  2  vol.  formant  pagination  continue. 

BoNNEFOx  (Paul).  —  Pierre  de  Paschal,  historiographe  du  roi  (i522- 
1565).  Paris,  Techener,  t883.  in-4''. 

BouRciEZ    (Edouard).    —   Les  mœurs  polies  et  la  littérature  de  cour 
sous  Henri   II.    Thèse.  Paris,  Hachette,   1886,   in-8°. 

Brunet.    —    I     Manuel   du   Libraire,   a*"    édit.,   6    vol.,  1860-1860.  — 
Art.  Rellaj-    (Joachim  du),    t.  I,   col.    749-701. 

—  2°    Supplément,  2  vol.,    1878-1880.   —   Art.    Rellaj-    {Joachim  du), 

I.  I,    col.   100-102. 


BII$l,10r.HAI'HIl>:  VII 

Brunetière.  —  i"  Cours  inédit  sur  le  xvi"  siècle ,  professé  à 
l'École  Normale   Supérieure,  188G-1887. 

—  2°   L'évolution    des  genres  dans    l'histoire    de   la  littcnitiire,    l.   1, 

I"    leçon.   Paris,    Hachette,    1890. 

—  3*    Discours   prononcé    à     l'inauguration    de    la   statue   de   ,/.    du 

Bellay    à    Ancenis,   le    2   septembre  iSg4  >  reproduit    dans    les 
Débats   roses    du   3  septembre. 

—  4*   Manuel   de   l'histoire   de   la  littérature    française.    Paris,   Delà- 

grave,    1898. 

Brunot  (Ferdinand).  —  i"  La  doctrine  de  Malherbe  d'après  son  com- 
mentaire  sur   Desportes.   Thèse.  Paris,   Masson,   1891,   in- 8*. 

—  2"  La   première  édition   lyonnaise   du   Discours  de  du  Bellay  sur 

le  fait  des  quatre  États  du  royaume  (i56y),   article  publ.   dans 
la  Reç.   de  philol.  franc,  et  prov.,  l.  VIII,  1894,  p.   89. 

—  3»  La  langue  au  xvi"  siècle,  chap.  xii  du  "  Seizième  Siècle  »  ,  dans 

la  grande  Histoire  de    la  littérature  française.   Paris,  A.   Colin, 

1897. 

Chasles  (Philarète).  —  Etudes  sur  le  \vi^  siècle  en  France.  Edit. 
de    1876.    Paris,   Charpentier,   in-12. 

Clément  (David).  —  Bibliothèque  curieuse  historique  et  critique. 
Gœttingen,  1750-1753,   4    vol.  —  III,  63. 

Clément  (Louis).  —  1°  De  Adriani  Turnebi  regii  professoris  prae- 
fationibus   et  poematis.    Thèse.    Paris,    Picard,   1899,   in-8'*. 

—  2"     Henri     Estienne    et    son     œuvre    française    (étude    d'histoire 

littéraire  et   de   philologie).    Thèse.    Paris,  Picard,   1898,   in- 8". 

Je  n'ai  connu  ces  deux  ouvrages  qu'après  l'entier  achèvement 
de  mon  travail. 

CoLLETET  (Guillaume).  —  i"  Éloges  des  hommes  illustres...  composez 
en  latin  par  Scevole  de  Sainte-Marthe  et  mis  en  français  par 
G.   Colletet.  Paris,   1644.    —  P.  i36-i39. 

—  2°   L'Art    Poétique.  Paris,    i658. 


VllI  JOACHIM    DU    BELLAY 

CoLLETET  (Guillaume).  —  3»    Vie   de  Joachim  du   Bellay. 

Les  Vies  des  poètes  français,  autographe  et  copie,  ont  été 
brûlées  en  187 1,  dans  l'incendie  de  la  Bibl.  du  Louvre.  Mais  le 
ms.  Durand  de  Lançon,  à  la  Bibl.  Nat.  (Nouv.  acq.  fr.  So^S). 
contient  une  copie  anonyme  de  1^7  de  ces  vies.  La  notice  sur 
J.  du  Bellay  se  trouve  aux  f*'  46  r»  -  67  v°.  J'ai  fait  moi-même  une 
transcription  intégrale  de  cette  copie  souvent  fautive,  surtout 
dans  les  citations  latines. 

Grépet  (Eugène).  —  Les  Poètes  Français.  Paris,  Gide,  1861,  t.  Il  : 
De  Ronsard  à  Boileau.  —  P.  55,  notice  sur  J.  du  Bellay, 
signée   G.-L. 

Crosnier  (Alexis).  —  Les  «  Regrets  »  de  Joachim  du  Bellay. 
Conférence  faite  à  l'Université  catholique  d'Angers,  le  aS  février 
1894,  et  publ.   dans  la  Rev.  des  Fac.   cath.  de  l'Ouest,  juin  1894. 

Darmesteter  et  Hatzfeld.  —  Le  seizième  siècle  en  France.  Edit. 
de   1887.   Paris,  Delagrave,  in-12. 

Dejob    (Charles).    —    Marc-Antoine    Muret.    Thèse.    Paris,   Thorin, 

1881,    in-8°. 

Dupré-Lasale  (Emile).  —  Michel  de  LHospital  avant  son  élévation 
au  poste  de  chancelier  de  France.  —  V"^  partie  (i5o5-i558).  Paris, 
Thorin,  1875,  in-80  ;  ^^  partie  (i555-i56o).  Paris,  Fontemoing, 
1899,  in-8  . 

J'ai  connu  trop  tard  pour  en  profiter  la  deuxième  partie  de  cet 
ouvrage,  beaucoup  plus  importante  que  la  première  en  ce  qui 
louche  du  Bellay. 

Du  Verdier.  —  Bibliothèque  française  (i584).  Edit.  Rigoley  de 
Juvigny,  Paris,    1772-1773,  4  vol.  in-4°-  —  IL  534-543. 

Egger.  —  L'Hellénisme  en  France.  Paris,  Didier,  1869,  2  vol.  in-8%  t.  I, 
notamment  8'  leçon. 

Faguet.  —  i'  L'humanisme  français  au  xvi*  siècle,  leçon  d'ouverture 

publ.  dans  la  Revue  Bleue,  17  janvier  1891. 
—  2°  Seizième  siècle.  Études  littéraires.  Paris,  Lecène  et  Oudin,  1894, 

in-12. 


BIBLIOGRAPHIE  IX 

Favrk  (Jules).  —  Olivier  de  Mag-/tj-  (i52Q  ?-iô6 1).  h'tade  biof;rn- 
phiqiie  et  littéraire.  Thèse.  Paris,  Garnier,  i885,  in-S".  —  i"  parlie, 
chap.  III. 

FouRNiER  (Edouard).  —  Variétés  historiques  et  littéraires.  Hibl.  clzév. 
T.  X,  p.  i3i-i5o  :  réinipr.  de  l'édil.  orig.  du  Poète  dourlisnti 
(Poitiers,  iSôg). 

Fremy  (Edouard).  —  U Académie  des  derniers  Valois  (i5yo-i585), 
d'après  des  documents  nouveaux  et  inédits.  Paris,  Leroux,  1887, 
gr.  in-8'.  —  Chap.  i  :  Les  origines  de  l'esprit  académique. 

Froger  (abbé  L.).  —   1°  Ronsard  ecclésiastique.  Mamers,   Fleury  et 

Dangin,  1882,  brochure. 
—  2*  Les  premières  poésies   de  Ronsard  {Odes  et  Sonnets).  Mamers, 

Fleury  et  Dangin,  1892,  brochure. 

Gandar.  —  Ronsard  considéré  comme  imitateur  d'Homère  et  de 
Pindare.  Thèse.  Metz,  Blanc,  i854,  in-8». 

GoDEFROY  (Frédéric).  —  Histoire  de  la  littérature  française  :  xvi*  siècle. 
2°  édit.,  Paris,  Gaunie,  i8;8,  in-80  (la  i"  édit.  est  de  iHôç)).  — 
P.  529-543. 

GouJET  (abbé).  —  Ribliothèque  françoise.  Paris.  17/4I-1756,  18  vol. 
in-i2.  —  XII,  117-138. 

Heulhard  (Arthur).  —  Rabelais.  Ses  voyages  en  Italie.  Son  exil  à 
Metz-.  Paris,  libr.  de  l'Art,  1891,  gr.  in-8^ 

La  Croix  du  Maine.  —  Ribliothèque  françoise  (i584).  Édit,  Rigoley  de 

Juvigny,  Paris,  1772,  2  vol.  in-4°.  —  H,  1-2. 
Lafargue.    —    Joachim    du    Rellay,    poète  angevin    du    xvi''    siècle. 

Angers,  Cosnier  et  Lachèse,  1864,  in-80  de  id  p. 

Lanson.  —  Histoire  de  la  littérature  française.  Paris,  Hachette,  1895, 
in-i2.  —  3'  partie,  liv.  III,  chap.  i  et  11. 

Lenient.  —  I'  La  satire  en  France  ou  la  littérature  militante  au 
xvp  siècle.  Édit.  de  187;.  Paris,  Hachette,  2  vol.  in-12.  —  I,  120  et 
U,  2i5. 


X  JOACHIM    DU    BELLAY 

Lexient.  —  2°  La  poésie  patriotique  en  France  dans  les  temps  modernes. 
Édit.  de  1894.   Paris,   Hachette,  2  vol.  in-12.  —   I,  chap.  v. 

LiDFORSs  (W.  Edouard).  —  Observations  sur  l'usage  syntaxique  de 
Ronsard  et  de  ses  contemporains.  Avec  une  (sic)  appendice  conte- 
nant la  Défense  et  illustration  de  la  langue  françoise,  de  loachim 
du  Bellay.  Lund,  i865,  in -8". 

LioTARD.  —  Etude  sur  Joachimdu  Bellay.  Nîmes,  Clavel-Ballivet,  i863, 
in-8''  de  24  p. 

LisEux  (Isidore).  —  Édit.  des  Jeux  Rustiques  et  des  Regrets,  reprod. 
de  l'édit.  orig:.  (i558),  Paris,  i8-5  et  1876,  in-32. 

Marchand  (abbé  Gh.).  —  De  Graecarum  litterarum  studio  apud  Ande- 
gavos  in  xvi"  seculo.  Thèse.  Angers  et  Paris,  1889,  in-8°. 

Marty-Laveaux  (Charles).  —  La  Pléiade  Françoise,  20  vol.  in-8''. 
Paris,  Lemerre,  1866-1898. 

Les  œuvres  de  J.  du  Bellay  ont  paru  les  premières  de  toutes, 
2  vol.  avec  notice  biographique,  1866-1867.  Il  faut  y  joindre  un 
supplément  assez  considérable,  au  t.  II  de  V Appendice  (1898), 
p.  384-4o"3.  Cette  édition  ne  contient  que  les  œxxvvc^  françaises 
du  poète  :  les  œuvres  latines  n'ont  pas  été  réimprimées. 

Masson  (Papire).  —  Elogia.  Édit.  Balesdens,  Paris,  i638,  2  vol.  (Bibl, 
Nat.  —  Rés.  G.  2612) . 

L'éloge  de  J.  Dorât  est  de  i588. 

Ménage  —  i"  Anti-Baillet  (1688).  Édit.  de  La  Monnoye,  Paris,  i^So, 
in-4°.  —  Chap.  xxxv,  xlv,  lxxi,  cix  et  cxlv,  p.  65,  93,  146, 
229  et  439- 

—  2°  Menagiana.  3'^  édit..  donnée  par  La  Monnoye,  Paris,  i'i5, 
4  vol.  in-12.  -  III,  268  et  38i  ;  IV,  4. 

L'édit.  orig.   (Paris,    i6()3,  i  vol.  in-12)  ne  contient    rien   sur 
J.  du  Bellay,  non  plus  que  la  2^  édit.  (1694). 

M0NNIER  (Eugène).  —  La  fontaine  comme morative  de  Joachim,  du 
Bellay  à  ériger  à  Ancenis  (Loire-Inférieure).  Paris,  Lemerre,  1888. 


Hiru.rOGHAF'HIE  XI 

MoNïAiGLON  (Anatole  de).  —  Huit  sonnets  de  loachim  du  liellqy, 
gentilhomme  angevin,  publ.  pour  la  première  l'ois  d'après  un 
manuscrit  de  la  Bibl.  Nat.  Paris,  Guiraudel  cl  Jouausl,  mars  iS/Jcj. 
Extrait    du  journal    V Amateur   de  Livres. 

Mouel-Fatio.  —  Histoire  d'un  sonnet,  article  publ.  dans  la  liev. 
d'hist.   litt.   de  la  France,    i5  avril   1894,    p.   97. 

MoRÉRi.    —  Dictionnaire.  20^   édit.,    Paris,   Drouet,   1759. 

MoRF  (Heinrich).  —  Geschichte  der  neuern  franz'ôsischen  Literalur  : 
I.    Das  Zeitalter   der  Renaissance.   Strasbourg,    1898,  in-8°. 

NiCERON.  —  Mémoires  pour  servir  à  Vhisioire  des  hommes  illustres 
dans  la  république  des  lettres.  Paris,  1727-174;'),  4^  vol.  in-12. 
—  XVI,   390-401,  et  XX,   ioi-io3. 

NiSARD.  —  Histoire  de  la  littérature  française.  i3«  édit.,  Paris, 
Firmin-Didot,  1886,  4  vol.   in-12.  —  Liv.  II,  chap.  iv  ;  t.  I,  p.  342. 

NoLHAc  (Pierre  de).  —  i"  Lettres  de  Joachim  du  Bellay,  publ. 
pour  la  première  fois  d'après  les  originaux.  Paris,  Charavay,  i883. 

M.  de  Nolhac  a  retrouvé  depuis  deux  lettres  inédites  de  J.  du 
Bellay,  qu'il  a  publiées  dans  la  Itev.  dldst.  litt.  de  la  France, 
1894,  p.  49?  et  1899,  p.  36o. 

—  2°  La  bibliothèque  de   Fulvio   Orsini.   (Bibl.  de  l'Éc.   des  H'°^   Et., 

74*    fasc).  Paris,    Vieweg.    1887,  in-8'. 

—  3°   Documents  nouveau.x  sur  la  Pléiade  :   Ronsard,  du  Bellaj-,   ar- 

ticle publ.  dans  la  Rev.  d'hist.  litt.  de  la  France,  i5  juilfel   1899, 
p.  35i. 

Pasquier  (Etienne).  —  i«  Les  Recherches  de  la  France.  Edit.  Laurent 
Sonnius,  Paris,  1611,  in-4°  (la  dern.  édit.  publ.  du  vivant  de 
l'auteur),  liv.  VI,  chap.  vu  :  De  la  grande  flotte  de  poètes 
que  produisit  le  règne  du  roy  Henry  deuxiesme,  et  de  la  nouvelle 
forme  de   poésie  par  eu.x  introduite. 

Dans  l'édit.  de  1723,  le  liv.  VI  devient  le  liv.  VII. 

—  2"  Lettres,  dans  l'édit.  des  Œuvres  comp/éies^  Amsterdam  (Trévoux), 

1723,  2  vol.   in-f". 


XII  JOACHIM   DU    BELLAY 

Pater  (Walter).  —  The  Renaissance.  Stiidies  in  art  and  poetry. 
Londres,  Macmillan,  1S89,  in-8*.  —  P.  162-185  :  Joachim  du  Bellay 
(article  de  1872). 

Pavie  (Mctor).  —  Œuvres  choisies  de  Joachim  du  Bellay,  avec 
portrait  de  David  d'Angers  et  notice  de  Sainte-Beuve.  Angers, 
184 1,    in-8". 

Pellissier.  —  1°  De  sexti  decimi  saeculi  in  Francia  artibus  poeticis. 
Thèse.    Paris,  Vieweg,  1882,  in-8», 

—  2°  Ronsard  et  la  Pléiade,  chap.  iv  du  «'  Seizième  Siècle  »,  dans 
la  grande  Histoire  de  la  littérature  française.  Paris,  A.  Colin, 
1897. 

Peiîsox  (Emile).  —  La  Deffence  et  illustration  de  la  langue  fran- 
coyse,  reproduite  conformément  au  texte  de  l'édition  originale 
et  suivie  du  Quinlil  Horatian.  Paris,  L.  Cerf,  1878  et  1892,  in-8°. 

Pflànzel.  —  Ueber  die  Sonette  des  Joachim  du  Bellay  nebst 
einer  Einleitung  :  die  Einfiihrung  des  Sonetts  in  Frankreich. 
Leipzig,   1898,   in-8". 

PiÉRi.  —  Pétrarque  et  Ronsard,  ou  de  l'influence  de  Pétrarque  sur 
la    Pléiade  française.  Thèse.    Marseille,  LafQtte,    1895,  in-8''. 

Pi.wERT.  —  Jacques  Grévin  (i 538-i5~o).  Sa  vie,  ses  écrits,  ses 
amis.  Ktude  biographique  et  littéraire.  Thèse.  Paris.  Fontemoing, 
1898,  in-8». 

Plotz  (Gustave).  —  Étude  sur  .Joachim  du  Bellay  et  son  rôle  dans 
la  réforme  de  Ronsard.  Berlin,  F. -A.   Herbig,  i8;4,  in-8''  de  68  p. 

Port  (Célestin).  —  Dictionnaire  historique,  géographique  et  biogra- 
phique de  Maine-et-Loire.  Paris   et   Angers,    1878,  3  vol.   in-8". 

Ranutius  Gherus  (J.  Gruter).  —  Deliciae  Poetarum  Gallorum. 
Francfort,  1609,  3  vol.    in-i6. 

Les  poésies  latines  de  J.  du  Bellay  s'y  trouvent  en  partie,  l, 
390-487. 


BIBLIOGHAPHIE  XIII 

Rathery  (E.-J.-B.)  ~  Influence  de  l'Ilalie  sur  les  lettres  françaises 
depuis  le  xiii*  siècle  jusqu'au  règne  de  Louis  XIV.  Méiuoirc 
couronné  par  l'Académie  Française  le  ly  août  1802.  Paris, 
Firmin-Didot,   i853,  in-S». 

Rémusat  (Charles  de).  —  Critiques  et  Études  littéraires  ou  Passé 
et  Présent.  Paris,  Didier,  i85t),  2  vol.  in-8».  —  ï.  1,  p.  281  : 
De  l'histoire  de  la  poésie  française,  reproduction  de  trois  articles 
parus  dans  le  Globe  (1828),  ù  propos  du  Tableau  de  Sainte- 
Beuve. 

Revillout  (Charles).  —  Les  derniers  mois  du  poëte  Joachim  du 
Bellay.  Mémoire  lu  par  l'auteur  à  la  réunion  des  Sociétés 
savantes  en  Sorbonne,   en   avril    186;;.   Paris,    Imp.  Inipér.,   1868. 

Cette  étude  est  suivie  des  lettres  de  J.  du  Bellay,  publ.  d'après 
le  manuscrit  de  Montpellier  (Bibl.  de  l'Éc.  de  Méd.,  H.  24). 

RiAS  (abbé).  —  A  la  gloire  de  Joachim  du  Bellay.  Sa  vie  et  ses 
œuvres.   Ancenis,  D.   Loncin,  1894.  Brochure  de   02   p. 

RoBiQUET.  —  De  loannls  Anrati  poetae  regii  vita  et  latine  scriptis 
poematibus.   Thèse.  Paris,  Hachette,  1887,  in-8°. 

RocHAMBEAU  (Achille  de).  —  La  famille  de  Ronsart.  Bibl.  elzév., 
1868,  in-16.  —  P.  210-216,  fragments  de  la  Vie  de  J.  du  Bellay, 
par  CoUetet. 

RosEXBAUER.  —  Die  poàtischen  Theorien  der  Plejade  nach  Ronsard 
und  du  Bellay.   Leipzig,   1896,  in-8°. 

Roy   (Emile).  —   1°   Lettre  d'un    Bourguignon  contemporaine   de   la 

«  Deffence  et  illustration  de  la  langue  françoyse  »  ,  article  publ. 

dans   la   Rev.    d'hist.   litt.   de   la    France,    10   avril    1895,  p.  233. 

—  2"    Charles  Fontaine   et   ses  amis.    Sur    une  page  obscure   de   la 

«   Deffence  »,    article    publ.     dans  la    Rev.    d'hist.    litt.    de   la 

France,    i5  juillet  1897,  p.    412. 

Saint-Marc  Girardin.  —  Tableau  de  la  littérature  française  au 
xvie  siècle.   Édit.   de   1862.   Paris,    Didier,  in-12. 


XIV  JOACHIM    DU    BELLAY 

Sainte-Beuve.  —    i'    Tableau  de   la    poésie  française  au   xvi^  siècle 
(1828).   Édit.  de    1893.  Paris,   Charpentier,  in-12. 

—  2"  Notice  sur  Joachlm  du  Bellay,  publ.  dans    la  Revue  des   Deux- 

Mondes,  i5  octobre  1840  ;  reprod.  en  tète  de  Tédit.  des  Œuvres 
choisies  de  J.  du  Bellay,  par  V.  Pavie,  Angers,  1841,  in-S"  ;  réiinpr. 
à  la  suite  du  Tableau,  p.  327,  édit.  de  1893. 

—  3*   Joachlm  du   Bellay,  trois  articles    publ.    dans  le  Journal    des 

Savants,  avril,  juin,  août  1867,  à  propos  de  l'édit.  Marty - 
Laveaux  ;  réimpr.  dans  les  Nouveaux  Lundis,  t.  XIII,  Paris, 
G.  Lévy,   1870,  in-T2. 

Sainte -Marthe    (  Scévole   de).     —     Galloruni     doctrlna     lllustrium 

Elogla. 

11  en  existe  trois  édit.  publ.  par  Sainte-Marthe  lui-même 
à  Poitiers,  1098  (in-S%  i  liv.),  1602  (in-4'',  2  liv.),  1606  (in-12, 
4  liv.).  La  3^  édit.  présente  des  variantes  par  rapport  aux  deux 
autres.  —  Pour  J.  du  Bellay,  cf.  1Ô98,  p.  39-41,  et  1606,  p.  60-61. 
—  Les  Éloges  de  Sainte-Marthe  ont  été  traduits  en  français  par 
CoUetet  (i644). 

Sautreau  de  Marsy  et  Imbert.  —  Annales  Poétiques  ou  Almanach 
des  Muses.  Paris,  Delalain,  1758.  —  IV,  4i-2o5. 

SÉCHÉ  (Léon).  —  i'^  Joachlm  du  Bellay.  Documents  nouveaux  et  inédits. 
Eaux-fortes  par  Pierre  Vidal.  Paris,    Didier,  1880,  in-80. 

—  2°  La    poésie    bretonne-angevine,    introduction    à    son    édition   des 

Œuvres  choisies   de  Joachlm  du  Bellay.  Paris,  1894,  in-40  (édit.  du 
Monument). 

—  3"    Revue  des  Provinces  de  V Ouest,  ann.  1894  et    1895,  principale- 

ment n"  de  septembre  1894,  1-   XIV. 

—  4"  Les   de  Bàif  et  la  Cour-des-Pins.  Notes  sur  la  Pléiade,  article 

publ.  dans  la  Revue  Bleue,  29  juillet  1899. 

Teissier  (Antoine).  —  Les  éloges  des  hommes  savans,  tirez-  de  l'Histoire 
de  M.  de  Thou,  avec  des  additions...  4'^  édit.,  Leyde,  1710,  4  vol. 
in-12,  —  II,  io-i3. 


BlllLlOGUAlMllE  XV 

Tell  (J.).  —  La  Défense  et  illustration  de  la  lani^mc  française,  irimpr. 
d'après  l'édit.  <ie  l^yon  (Aiil.  de  llarsy,  liïyo).  liilroduclion  cl  com- 
mentaire. Bruxelles,  F.  Callewaerl  père,  18^5,  in-iG. 

Thou  (J.  a.  de).  —  Historiae  sui  temporis,  lib.  XXVI,  aiin.  i56o.  Édil. 
de  Londres,  Samuel  Buckley,  1^33,  7  vol.  in-l".  —  II,  72. 

TiTON  DU  TiLLET.  —  Le  Par/tusse  François,  tldil.  de  17312.  l'aris. 
Geignard,  in-i".  —  P.  126-128. 

TuRQUETY.  —  Etude  sur  Joachim  du  Bellaj',  pul>l.  dans  le  Bulletin  du 
Bibliophile,  novembre  1864,  p.  112.5. 

Vauquelin  de  laFuesnaye. —  UArl  l'oëtique  (iGoo).  Edil.  G.  l'ellissier, 
Paris,  Garnier,  1880,  in-12. 

ViANEY.  —  Mathurin  Be^-nier.  Thèse.  Paris,  Ilaelietle,  189G,  iu-8". 

Waddington.  —  Rumus  {Pierre  de  la  Ramée).  Sa  vie,  ses  écrits  et  ses 
opinions.  Paris,  Meyrueis,  i855,  in-8'\ 

Wey  (Francis).  —  Histoire  des  révolutions  du  langage  en  France.  Paris, 
Firmin-Didot,  184S,  in-8". 

Magasin  pittoresque,  13'  année,  septembre  1840,  p.  290. 

Mélanges  tirés  d'une  grande   bibliothèque.    Paris,   Moulard,   1780.    — 

VII,  103-174. 


N.-B.  —  Je  cite  J.  du  Bellay  :  pour  la  Deffence,  d'après  l'édit.  Person  : 
pour  les  Regrets  et  les  Jeux  Rustiques,  d'après  l'édit.  Liseux  ;  pour  les 
Lettres,  d'après  l'édit.  P.  de  Noihac  ;  et  pour  les  autres  œuvres,  d'après 
l'édit.  Marty-Laveaux.  Dans  les  références,  les  chiffres  romains  indiquent 
le  tome,  les  chiffres  arabes  la  page  :  toutefois,  dans  les  chap.  m  et  iv  de 
la  1"  partie  (analyse  de  la  Deffence),  le  chiffre  romain  indique  le  livre, 
le  chiffre  arabe  le  cliapitre.  J'ai  respecté  partout  dans  les  citations 
l'orthographe  des  auteurs,  me  bornant  seulement  à  distinguer  le  j  de  ïi 
et  le    V   de    Vu. 


INTRODUCTION 


Le  2  septembre  1894,  la  petite  ville  cVAncenis  érigea  solen- 
nellement une  statue  au  poète  Joachim  du  Bellay.  Ce  fut  une 
fête  des  plus  brillantes,  discrète  pourtant  et  point  tapageuse, 
comme  il  convenait  à  ce  doux  chanteur,  une  fête  qui  sut 
garder,  dans  son  caractère  officiel,  quelque  chose  d'intime  et 
de  bien  local.  Un  inspecteur  des  Beaux-Arts,  conteur  joyeux 
et  délicat  poète,  parlait  au  nom  du  Gouvernement  '.  L'Aca- 
démie Française  s'était  fait  représenter  par  le  plus  achevé  de 
nos  sonnettistes  "  et  par  le  plus  éminent  de  nos  critiques  '. 
Nombre  de  lettrés  étaient  venus  d'un  peu  partout  dans  ce 
coin  de  province  saluer  Tauteur  de  la  Deffence  et  des  Regrets. 

Depuis  cinq  ans,  au  bord  de  la  Loire,  fièrement  campé 
sur  son  piédestal  de  granit  blanc,  du  Bellay,  dans  l'attitude 
un  peu  sévère  dune  rêverie  douloureuse,  contemple  les  eaux 
de  "son  fleuve  gaulois,  qui  coulent  mélancoliques  à  ses  pieds, 
et  là-bas,  tout  en  face,  sur  l'autre  rive,  les  coteaux  de  Lire, 
son  bourg  natal,  où  jadis  se  dressa  le  manoir  paternel.  Grâce 
à  l'énergie  d'un  Breton,  homme  de  lettres  distingué,  qui  s'est 
fait   l'apôtre  de   son   culte  *,  du  Bellay  l'Angevin,   le  poète  aux 

'  M    Armand  Silvestre. 

-  M.  José-Maria  de  Heredia. 

'  M.  Ferdinand  Brunelière. 

*  M  Léon  Séché  d'Ancenis,  historien  et  poète,  directeur  de  la  Revue  des 
Provinces  de  L'Ouest,  président  de  l'Association  Bretonne-Angevine,  qu'il  a 
fondée  sous  le  patronage  de  Joachim  du  Bellay. 

Univ.  de  Lille.  Tomk  VlU    A.   I. 


2  JOACHIM   DU   BELLAY 

ardeurs  généreuses,  aux  nobles  ambitions,  épris  ditiéal , 
amoureux  de  renommée,  a  fini  par  obtenir  de  ses  compa- 
triotes, après  trois  siècles  d'attente,  le  témoignage  dadmiration 
que  rêvent  tous  les  jaloux  de  gloire  :  un  sculpteur  de  talent, 
ravi  trop  tôt  à  l'Art  par  une  mort  tragique',  a  lixé  ses  traits 
dans  le  bronze.  Trouvera-l  on  qu'il  soit  téméraire  de  lui 
rendre  maintenant  une  autre  espèce  d'hommage  ?  Je  voudrais, 
dans  une  étude  d'ensemble  aussi  véridique  que  possible , 
retracer  l'histoire  de  sa  vie  et  de  ses  œuvres.  Ce  fervent  des 
Muses  a  droit   aux   honneurs    d'une  monographie. 


Un  intérêt  particulier  s'attache  à  sa  personne.  C'est  une 
des  ligures  les  ])lus  originales  en  même  temps  qu'un  des 
poètes  les  plus  personnels  du  xvi*^  siècle.  Nature  sensible, 
d'une  sensibilité  très  délicate  et  presque  maladive,  il  avait  un 
gi'and  fonds  de  tendresse  :  c'était  une  âme  aimante,  câline, 
portée  d'elle-même  à  s'épancher,  d'un  commei'ce  agréable  et 
facile,  très  ouverte,  très  sincère,  très  constante  en  amitié. 
Mais,  d'une  grande  mobilité  d'humeur,  comme  tous  les  gens 
très  sensibles,  il  subissait  les  impressions  les  plus  diverses, 
allait  vite  d'un  extrême  à  l'autre,  passait  en  peu  de  temps 
de  l'enthousiasme  au  découragement.  Il  était  susceptible, 
impatient,  irritable,  pronq)t  à  s'aigrir.  Et  dès  lors,  il  devenait 
incisif  et  moi'dant  :  car  il  uv;iit  beaucoup  d'esprit,  et  ilu 
meilleur.  Avec  cela,  de  la  lierté,  de  l'assurance,  j-e  n'oserais 
dire  de  la  morgue,  mais  un  certain  contentement  de  soi-même 
qui  sentait  son  gentilhomme,  un  air  de  grand  seigneur  très 
conscient    de    ce    qu'il    vaut.    —  De   toutes    ces    (pialités   et  de 

'   .Vdolplu'  Lcol'anli. 


INTRODUCTION  3 

tous  ces  défauts  s'est  formé  un  poète  singulier,  inégal  sans 
doute,  mais  bien  personnel.  Il  s'est  fait  de  son  art  une  haute 
conception.  Il  n'a  pas  cru  la  poésie  inférieure  aux  vanités 
mensongères  qui  séduisent  le  commun  des  hommes  :  il  l'a 
proclamée  divine.  11  a  pensé  qu'elle  était  autre  chose  (ju'un 
futile  passe-temps.  Il  a  voulu  l'élever  au-dessus  de  l'éphémère 
et  du  frivole  :  il  a  voulu  qu'elle  traduisît  son  rêve  de  beauté. 
Tour  à  tour  il  a  redit  dans  ses  vers  les  pures  jouissances 
d'un  amour  idéal,  son  désir  passionné  de  gloire,  les  ruines 
imposantes  d'un  passé  qui  fut  grand,  les  voix  rustiques  de 
la  nature.  Aux  heures  où  son  esprit  était  en  verve,  il  a 
tracé,  des  spectacles  qu'il  avait  sous  les  yeux,  des  peintures 
humoristiques,  d'une  vérité  presque  brutale,  d'une  satire  aiguë 
et  pénétrante,  d'une  ironie  parfois  bien  amère.  Aux  heures 
plus  fréquentes  des  tristesses,  il  a  pleuré  les  longues  mélan- 
colies de  son  àme,  ses  rêves  déçus,  ses  espoirs  trompés,  les 
dures  souffrances  de  l'exil  sur  une  terre  étrangère,  ses  regrets 
de  la  patrie  absente,  des  amis  lointains,  du  foyer  délaissé, 
là-bas,  au  doux  pays  natal'.  Il  a  fait  de  ses  chants  un  écho 
de  son  cœur  ;  il  a  laissé  jaillir  du  fond  de  lui-même  une 
source    de  poésie   réelle,   intime,   vraiment   vécue. 

L'intérêt  qui  s'attache  à  du  Bellay  comme  homme  et  comme 
poète  se  double  de  ce  qu'il  s'est  trouvé  mêlé  à  l'une  des 
questions  les  plus  importantes,  à  la  plus  importante  peut-être, 
de  notre  histoire  littéraire  :  l'introduction  des  modèles  antiques 
dans  notre  poésie  et  la  fondation  du  classicisme.  Il  appar- 
tenait à  cette  noble  phalange  d'écrivains  qui  voulurent  pour 
la  France  une  gloire  littéraire  égale  à  celle  de  l'Italie,  qui 
se  donnèrent  la  mission  de  défendre  la  langue  maternelle 
contre  les  attaques  de  ses  détracteurs,  d'illustrer  la  poésie 
nationale,  si  pauvre  encore,  en  la  mettant  à  l'école  de  l'Anti- 
quité. Il  fit  partie  de  cette  Pléiade  qui  conçut  et  créa  chez 
nous    la     grande    poésie.     Dans    ce    groupe    fameux,   il    tint    le 


4  JOACHIM    DU    BELLAY 

second  rang,  mais  à  peu  de  distance  du  premier,  A  Tlieure 
de  la  bataille,  ce  lut  lui  qui  donna  le  signal  et  qui  frappa 
les  premiers  coups.  Il  lança  le  manifeste  qui  formulait  pour 
le  public  les  fières  prétentions  de  la  jeune  Brigade,  ses  visées 
esthétiques,  tout  son  credo  littéraire.  Lorsque  les  rimeurs 
de  la  vieille  école ,  surpris  dans  leur  quiétude  ,  atteints 
dans  leur  prestige,  essayèrent  de  riposter,  —  tandis  que 
Ronsard  observait  un  silence  dédaigneux,  c'est  encore  lui  qui 
prit  la  plume  pour  glorifier  l'œuvre  commencée  et  la  défendre 
contre  l'attaque  des  adversaires  '.  Des  premiers,  il  voulut 
mettre  en  pratique  les  théories,  joindre  l'exemple  aux  préceptes  : 
il  contribua  pour  sa  part,  et  largement,  à  naturaliser  les 
genres  nouveaux  :  il  composa  des  sonnets  avec  Pontus 
de  Tyard,  des  odes  avec  Ronsard.  Enfin,  aloi-s  qu'il  n'était  plus 
tout  à  fait  en  comnmnion  d'idées  avec  ses  amis,  alors  qu'il  avait 
renoncé  pour  son  compte  aux  belles  ambitions  du  début,  il  ne 
cessa  pas  de  s'intéresser  à  leurs  tentatives  ;  il  suivit  d'un  œil  com- 
plaisant leurs  efforts  et  leurs  progrès  ;  il  les  regarda  volontiers 
marcher  dans  la  voie  qu'il  avait  ouverte  et  que,  par  impuissance 
ou  lassitude,  lui-même  avait  abandonnée.  Ainsi,  l'histoire  de 
du  Bellay  tient  à  Thistoire  de  la  Pléiade,  au  point  d'eu  être 
plus   d'une   fois    inséparable. 


Mais  ce  qui  fait  l'intérêt  de  cette  étude  en  fait  aussi  la  dilliculté. 
C'est  une  tâche  délicate  et  peut-être  impossible  de  vouloir  exacte- 
ment démêler  ce  qui,  dans  cette  commune  entreprise,  revient  en 
propre  à  du  Bellay.  Tous  ont  contribué  plus  ou  moins,  par  un 
échange  de  vues,  à  former  la  somme  des  idées  qui  constitue  leur 

'  La  seconde  préface  de  VOlive 


INTRODUCTION  5 

doctrine  en  matière  de  poésie,  et  la  Doffence,  pour  être  signée 
de  son  nom,  n'est  pas  son  œuvre  à  lui  tout  seul  :  c'est  l'ellort 
collectif  des  élèves  de  Dorât  au  (Collège  de  Goqueret.  Dès 
lors,  on  voit  l'écueil  :  si  Ton  ne  peut  comprendre  du  Bellay 
sans  la  Pléiade,  s'il  faut  à  chaque  instant  éclairer  son  œuvre 
par  celle  de  ses  amis,  n'est-il  pas  à  craindre  que  le  cadre 
n'empiète  sur  la  peinture  ?  Il  ne  faut  pourtant  pas  qu'une 
monog-raphie  sur  Joachim  du  Bellay  dégénère  en  une  étude 
générale   de   la   Pléiade. 

D'autre  part,  si  le  premier  mérite  de  notre  personnage,  si 
son  plus  beau  titre  de  gloire  est  d'avoir  été,  dans  la  meilleure 
partie  de  son  œuvre,  un  poète  personnel,  qui  s'est  mis  tout 
entier  dans  ses  vers,  qui  leur  a  confié  les  mille  sentiments  de 
son  àme  mobile,  quel  intérêt  n'aurions-nous  pas,  pour  le  bien 
saisir,  à  connaître  avec  précision  les  détails  de  son  existence  ! 
Combien  il  serait  précieux  pour  nous  de  pénétrer  sa  vie  intime, 
d'évoquer  la  vision  lumineuse  de  ces  années  d'enfance  et  de 
jeunesse,  si  capitales  pour  la  formation  du  caractère,  de  res- 
susciter, pour  ainsi  dire,  dans  leur  aspect  multiple,  les  journées 
de  son  âge  inùr,  occupées  aux  études,  aux  plaisirs,  aux 
affaires  I  Malheureusement  bien  des  points  restent  obscurs 
dans  cette  vie  si  tourmentée.  J'ai  tâché  de  percer  le  nuage 
qui  recouvre  son  jeune  âge  :  mes  recherches  mont  appris  peu 
de  chose.  Sur  son  séjour  à  Rome,  il  plane  encore,  j'en  ai 
peur,  plus  d'un  mystère  ;  et  si  quelques  lettres  de  lui  nous 
laissent  entrevoir  les  causes  de  sa  disgrâce  et  les  ennuis  de  ses 
derniers  jours,  on  voudrait  cependant  sur  ces  questions  une 
lumière  plus  complète.  Ainsi,  quoi  que  j'aie  pu  faire,  cette 
biographie  présentera  bien  des  lacunes.  Elles  sont  d'autant 
plus  regrettables  que,  chez  du  Bellay,  l'œuvre  tient  à  la  vie 
par  des  liens  étroits,  et  que  la  connaissance  de  l'une  est 
nécessaire  à  la  compréhension  de  l'autre  :  ici,  le  poète  et 
l'homme  ne  font  qu'un. 


JOACHIM    DU    BELLAY 


Cette  considération  nous  impose  une  autre  méthode  que 
celle  qui  préside  en  général  aux  monographies  littéraires.  La 
division  traditionnelle,  qui  consiste  à  passer  successivement  en 
revue  la  vie  et  Tceuvre  d'un  écrivain,  ne  peut  être  de  mise 
dans  la  présente  étude  :  elle  aurait  le  tort  grave  de  séparer 
ce   qui   doit  marcher   de  pair. 

Le  voyage  que  du  Bellay  fît  à  Rome  en  i553  partage  en 
deux   son   existence,   et  de  même  sa    carrière   poétique. 

Au  début,  du  Bellay,  tout  entier  sous  l'inQuence  des  leçons 
de  Dorât  et  des  idées  échangées  avec  ses  amis  de  collège,  fait 
les  plus  beaux  projets  pour  la  réforme  de  la  poésie.  Il  a 
Tambition  d'être  un  novateur.  11  donne  aux  théories  une  grande 
im})ortance.  Mais,  comme  il  sait  peu  de  chose  de  la  vie  et 
qu'il  n'a  prescjue  rien  à  dire  par  lui-même,  il  est  réduit  le 
plus  souvent  à  s'inspirer  des  autres  :  il  emprunte,  il  imite,  il 
traduit.    C'est  avant  tout   un  poète    livresque. 

Mais  son  parent  le  cardinal  du  Bellay  l'emmène  à  Rome. 
Ce  poète  livresque  échappe  aux  doctrines  d'école,  à  l'action 
de  ses  amis.  Le  voilà  tout  d'un  coup  en  contact  avec  la  vie, 
et  ce  contact  est  douloureux.  Il  souffre,  il  s'abîme  en  lui-même, 
il  pleure  au  fond  de  Tàme.  Adieu  les  théories  et  les  projets 
d'antan  !  Les  amertumes  de  la  réalité  lui  font  oublier  les  rêves 
caressés  naguère.  Il  écrit  pour  lui  seul  et  pour  quelques 
intimes  :  il  retrace  simplement  ses  souffi-ances  et,  lorsqu'il  se 
croit  le  moins  novateur,  devient  le  plus  original.  C'est  vraiment 
alors  un  poète  personnel. 

Poète  livresque  et  poète  personnel,  —  telles  sont  les  deux 
phases   du  talent   de   Joachim    du    Bellay.    Le  voyage    de  Rome 


INTRODUCTION  7 

marque  la  séparalion.  Dès  lors,  ce  travail  coinpi-cuclra  deux 
parties    : 

i"  de  la  naissance  au   voyage   de   Komc  ; 

2"   du   voyage  de    Rome  à   la   mort. 

Dans  chacune  de  ces  parties,  je  ferai  concorder  autant  que 
possible,  et  dans  la  mesure  où  la  clarté  n'en  souflrira  pas, 
l'histoire  de  la  vie  et  l'étude  des  œuvres.  Jaurais  pleinement 
réussi  dans  ma  tâche  d'historien,  si,  parvenu  au  terme  de  ce 
livre,  le  lecteur  emportait  de  mon  poète  une  image  vivante 
et   conforme  à   la  vérité. 


Iv, 


\ 


PREMIÈRE    PARTIE 


DE  LA  NAISSANCE  AU  VOYAGE  DE  ROME 

1S22  -  1553 


CHAPITRE 


ENFANCE  ET   JEUNESSE 

PREMIÈRES    SOUFFRANCES  —  PREMIÈRES    ÉTUDES' 

1522-  1547 


I.  —  L'Anjou  et  la  Loire. 

II.  —  La  famille  du  Bellay.  —  La  branche  cadette  :  les  quatre 
frères  du  Bellay.  —  La  branche  aînée  :  les  ascendants  du 
poète. 

III.  —  Naissance  de  Joachim.  —  Premières  années  :  commerce  avec 

la  nature    —  Premières  souffrances  :  malheurs   domesti- 
ques. —   Désœuvrement  intellectuel.  Rêves   de  gloire. 

IV.  —  Séjour   à  Poitiers.    —    Poitiers   au  XVI*"    siècle     —    Études 

juridiques  et  littéraires.  —  Premiers  essais  poétiques.  — 
Influence   de   Muret.   —  Influence   de    Salmon  Macrin.    — 
Influence  de  Peletier. 
V.  —  Rencontre  de  Ronsard.  —  Départ  pour  Paris. 


Un  chroniqueur   angevin   du   xvi"  siècle.    Paschal    Robin   du 
Fauz,  célébrant  V excellence  et  Vantiquité  de  son  pays  natal,  dit 


'  Indications  Bibliographiques. 

Pour  la  vie  de  Joachim  du  Bellay,  les  principales  sources  à  consulter 
sont  les  suivantes: 

—  D'une  façon  générale,  les  Œuvres  françaises  et  latines  du  poète,  et 
plus  particulièrement  :  la  Complainte  du  Désespéré,  1;»2  (édit.  Marty- 
Laveaux,  II,  1)  :  —  les  Poemata.  irwS  (Paris,  F.  Morel,  in-4)    —  les  Regrets 


12  .lOACHIM    DU   BELLAY 

qu'au  premier  abord  l'histoire  de  l'Anjou,  cette  petite  province 
qu" enserrent  de  tous  côtés  Bretons,  Manceaux,  Ghartrains,  Ven- 
domois,  Tourangeaux  et  Poitevins,  pourrait  sembler  à  la  plupart 
des  lecteurs  sans  grand  intérêt;  puis  il  ajoute,  dans  son  lan- 
gage naïf  et  pittoresque  :  ((  Toutesfois  quand  ils  voudroient 
s'arrester  à  revoir  les  bonnes  et  riches  villes,  le  grand  nombre 
des  grandes  rivières,  les  anciennes  et  sacrées  églises,  les  opu- 
lentes abbayes,  les  doctes  ordres  des  convents,  les  antiques 
baronnies,  chastellenies,  et  presque  innumerables  seigneuries  de 
noblesse,  en  partie  érigées  en  comtez,  marquisats,  principautez, 
et  autres  grades  signalez  :  avec  les  officiers  royaux  anciens  et 
modernes  de  l'une  et  l'autre  robbe,  les  ports,  passages,  ponts, 
arches,  tours,  forteresses,  chasteaux,  maisons  illustres  et  nobles 
séjours  des  gentils -hommes  et  seigneurs  reluisans  en  vertus 
par  ce  beau  pays,  comme  luisantes  estoilles  par  l'estendue  du 
ciel  :  ensemble  le  traficq'  avec  l'estranger,  la  commodité  des 
voictures,  l'excellence  des  bons  vins  blancs  et  clairets,  les  pes- 
ions (édit.  I.  Liseux,  1876);  —  les  Lettres,  l^m  (étlit.  P.  de  Nolhac,  1883);  — 
enfin  et  surtout,  YElégie  latine  à  Jean  de  Morel,  publiée  seulement  en  lo69, 
à  la  suite  des  Xenia, maifi  qui  date  de  la  lin  de  1539.  Cette  élégie,  dit  Sainte- 
Beuve,  est  son  «  testament  ».  Marty-Laveaux  en  a  reproduit  les  passages 
essentiels  dans  l'Appendice  de  son  Du  Bellay,  p.  xxxui. 

—  Les  pièces  latines  et  françaises  que  les  amis  du  poète  ont  consacrées  à 
sa  gloire  et  qui  forment  son  Tombeau,  lofiO.  (V.  les  édit.  originales). 

—  La  Vie  de  Ronsard,  par  Binet. 

—  Les  Eloges  de  Sainte -Marthe. 

—  Les  ouvrages  de  Golletet,  Baillet,  Ménage,  Niceron  et  Goujeï, 
mentionnés  à  la  Bibliographie. 

—  Le  Dictionnaire  de  Morkri  (20' édit.,  1759),  art.  Bellay  et  Chabot. 

—  La  Notice  de  Sainte-Beuve,  écrite  en  1840  pour  l'édit.  V.  Pavie  et 
réimprimée  à  la  suife  du  Tableau  de  la  poésie  française  au  xvi"  siècle. 

—  Le  Mémoire  de  Revillout,  18(17. 

—  La  Notice  de  1\L\rty-La veaux,  en  tète  de  son  édition. 

—  Le  Dictionnaire  de  Maine-et-Loire  de  C.  Port,  1878,  art.  Duhellay, 
Lire,  Turmelière. 

—  La  plaquette  de  L.  Séché  sur  Joachim  du  Bellay,  1880. 

—  La  Notice  de  C.  Ballu,  qui  précède  l'Édition  du  Monument,  1894.  C'est 
le  dernier  travail  publié  sur  la  vie  du  poète,  le  moins  incomplet  et  le  mieux 
informé. 


ENFANCK   ET   JEUNESSE  13 

chéries,  les  forests,  les  chasses  à  toutes  bestes  et  oyseaux,  la 
l'oisou  de  toutes  sortes  de  grains,  les  perrieres  de  tulleaux, 
ardoises,  marbres,  et  autres  pierres  blanches,  grises,  noires,  et 
d'autres  couleurs  :  les  couslaux  et  vallées,  les  plaines,  bourgades, 
villages  et  paroisses,  les  bénéfices  et .  domaines  ecclésiastiques, 
royaux ,  nobles ,  roturiers  et  populaires  :  et  finalement  un 
incroyable  nombre  d'habitans  de  tous  estats,  et  un  million 
d'autres  singulières  particularitez  d'Anjou  :  je  ne  doute  point 
qu'ils  n'admirassent  la  grandeur  et  excellence  de  ceste  belle 
patrie  '.  » 

Cette  belle  patrie  est  en  elïct  une  des  plus  douces  contrées 
de  France.  L'air  y  est  pur,  le  climat  tempéré  :  point  de  froids 
rigoureux,  point  de  chaleurs  extrêmes.  Le  sol  y  produit  toute 
sorte  de  biens.  C'est  un  épanouissement  de  vie  large  et  gaie, 
de  richesse  plantureuse.  L'abondance  de  toutes  choses  «  dans 
la  suavité  de  lair  et  du  sol  "  »  a  t'ait  à  cet  heureux  pays 
une  antique   réputation   de   mollesse  et   de   facilité  '. 

Le  grand  charme  de  l'Anjou,  comme  aussi  de  la  ïouraine. 
c'est  son  fleuve,  cette  Loire  aux  eaux  claires  qui  le  traverse 
de  part  en  part.  Elle  coule  sur  son  lit  de  sables,  d'un  cours 
nonchalant,  semée  d'iles  verdoyantes,  entre  deux  rives  her- 
beuses qui  s'allongent  en  courbes  flexibles ,  indéfiniment. 
D'Angers    à    rSantes,   à    perte   de    vue,    s'étend    une  vaste   suc- 


'  Brief  discours  ffentil  et  proufitable  sur  l'excellence  et  antiquité  du  pays 
d'Anjou...  par  le  sieur  Du/au- Robin,  Gentil-homme  Angevin,  p.  4.  Paris,  1l)82. 
(Bibl.  Nat.  —  Lki.  116).  —  Rapprocher  un  curieux  chapitre  d'un  autre  chro- 
niqueur angevin,  Jehan  de  Bourdigné,  Clironiques  d'Anjou  et  du  Maine 
(Angers,  1529),  V"  part.,  chap.  iv  :  «  En  quelle  contrée  de  Gaulle  est  le  pays 
d'Anjou  situé.  Et  de  la  fertilité  d'icellur,  et  quelles  fore stz  et  fleuves  plus 
renommés  y  sont  ».  Réimpression  du  G"  de  Quatrebarbes,  Angers,  Cosnier 
et  Lachèse,  1842,  2  tom.  en  1  vol.  in-8',  p.  20.  (Bibl.  Nat.  —  Lk:i.  114). 

-   Sainte-Beuve,  Notice  sur  J.  du  Bellay,  p.  353,  n.  1. 

^  Andegavi  molles,  dit  une  expression  devenue  proverbiale  qu'on  vou- 
drait faire  remonter  jusqu'à  César.  Faciles  Andegavi,  dit  une  autre  locution 
que  rappelle  fièrement  J.  de  Bourdigné,  l'attribuant  à  Philippe  de  Longoil, 
«  orateur  françoys,  homme   de  grant  littérature  »  (l"'  part.,  chap.  v,  p.  25). 


14  JOACHIM    DL    BELLAY 

cession  de  champs,  de  prés,  de  bois,  de  jardins  et  de  vigno- 
bles. Au  bord  du  fleuve,  poussent  des  saules,  des  trembles,  des 
peupliers.  De  vertes  collines,  de  distance  en  distance,  servent 
de  cadre  à  cette  jolie  vallée,  et,  vivant  témoignage  que  l'homme 
se  complaît  au  sein  de  cette  riante  nature,  les  villes  et  les 
bourgs  s'élèvent  dans  toutes  les  directions,  avec  un  air  d'ai- 
sance et  de  gaieté  :  lorsqu'on  descend  la  Loire,  partout,  sur 
les  deux  rives,  on  ne  voit  que  moulins  à  vent,  tourelles  de 
châteaux  et  flèches  d'églises.  Ce  n'est  pas  que  ces  paysages 
ollrent  une  très  grande  variété.  Sous  la  douce  lumière  d'un 
ciel  bleuté  que  sillonnent  de  légei's  nuages,  ils  se  déroulent, 
tranquilles  et  sereins,  dans  leur  grâce  un  peu  monotone.  Il 
s'en  exhale  pourtant  une  poésie  délicieuse  :  cette  quiétude 
parle  au   cœur   et   le   séduit  '. 

A'oilà  le  pays  qui  donna  naissance  à  Joachim  du  Bellay, 
les  horizons  paisibles  et  lumineux  qu'il  contempla  dès  ses 
tendres   années. 


II 


Il  était  issu  d'une  antique  famille  de  l'Anjou  -,  qui  pré- 
tendait remonter  au  temps  d'Hugues  Capet  '\  Les  du  Bellay 
tiraient  leur  origine  et  leur  nom  d'un  petit  fief  situé  près 
d'Allonnes-sous-Montsoreau  *.  Longtemps  obscure,  cette  famille 
n'avait   commencé    de   se    faire    un    peu    connaître    que  vers   le 

'  Cf.  laltrayanle  description  que  iail  du  paj s  d'Anjou  —  qu'il  connaît  si 
bien  et  chérit  si  fort  —  M.  Léon  Séché,  dans  son  Introduction  aux  Œuvres 
choisies  de  Joachim  du  Uellay,  p.  xvii  sqq. 

-  Sur  loriginc  de  cette  famille  qu'on  a  souvent  confondue^  bien  à  tort, 
avec  une  autre  famille  également  angevine,  les  Bellay  de  Montreuil,  v.  Cél. 
Port,  DicUonn.  de  i\Iaine-et-Loirp,  art.  bubellay,  t.  II,  p.  00,  et  Ballu,  Notice 
surJ.  du  Bellay,  p.  xli  sqq. 

■  «  .Jam  intle  a  (Lapeti  Régis  tenq)()ribus,  qui  aute  sexcentos  aiinos  reruni 
iii  Gallia  potitus  est,  BcUaiorum  gens  et  genei'e  illuslris  et  reruni  gestarum 
magnitudine  uobilis  eniluit  ».  Saiule-Marlhe,  ELogia  (l.j"J8),  p.  12. 

'  Commune  du  canton  de  Saumur  (Maine-et-Loire). 


ENFANCE    Eï   JEUNESSE  15 

xiuo  siècle  avec  Hugues  111  du  Bellay ,  chcvalici' ,  seij^neur 
des  Brosses  d'AUonncs.  Elle  s'était  signalée  au  xv^  siècle 
dans  les  guerres  contre  les  Anglais.  Ses  armes  étaient  d'argent 
à  la  bande  J'a.setêe  de  gueules,  accDiupagiiée  de  six  fleurs  de 
Ij'S    d'azur  mises    en  orle,    Irais  en  ehef  et   trois  en  jiointe. 

Au  milieu  du  xvi®  siècle,  elle  était  à  coup  sûr  une  des 
plus  illustres  parmi  la  noblesse  de  France.  Cette  illustration, 
elle  la  devait  à  quatre  frères  de  la  branche  de  Langey  ',  qui 
s'étaient  fait  un  nom  glorieux  dans  la  politique  et  dans  l'Eglise, 
dans   les   armes   et  dans    les  lettres. 

L'aîné,  Guillaume,  grand  capitaine  et  fin  diplomate,  avait 
joué  sous  François  F^  un  rôle  des  plus  brillants.  Je  n'ai  pas 
à  rappeler  les  services  qu'il  rendit  au  souverain,  ses  missions 
en  Espagne,  en  Italie,  en  Angleterre,  en  Allemagne,  ses 
exploits  militaires,  surtout  sa  défense  du  Piémont,  dont  il 
était  gouverneur,  contre  les  Impériaux.  <(  Cet  honnne-là  ma 
fait  plus  de  mal  que  tous  les  Français  »,  disait  de  lui 
Charles-Quint. 

Le  second,  Jean,  évêque  et  cardinal,  avait  '  constamment 
secondé  les  efforts  de  son  frère.  La  situation  éminente  qu'il 
occupait  dans  l'Eglise,  en  lui  permettant  d'entamer  et  de 
poursuivre,  sous  des  dehors  religieux,  des  négociations  subtiles 
et  délicates,  lui  donnait  sur  la  marche  des  affaires  une  iniluence 
considérable.  11  tient  d'ailleurs  dans  la  vie  de  Joachim  une 
place  trop  importante  pour  qu'il  n'y  ait  pas  lieu,  quand 
l'heure   en    sera   venue,   de   s'étendre   sur   son   compte. 

Martin,  le  troisième,  avait  suivi  Guillaume  dans  la  carrière 
des   armes.    Il   avait    pris  une  part  active  à   toutes    les    guerres 


'  C'est  une  branche  cadette  :  ces  quatre  IVères  —  Guillaume,  Jean,  Martin 
et  René  —  étaient  les  enfants  de  Louis  du  Bellay,  seigneur  de  Langey,  troi- 
sième lils  de  Jean  IV  du  Bellay.  —  Le  poète  au  contraire  appartenait  à  la 
branche  aînée,  descendant  d'Eustache  du  Bellay,  seigneur  de  Gizeux,  lils 
aine  de  Jean  IV.  —  V.  le  tableau  généalogique  de  la  famille  du  Bellay,  dans 
ledit.  Séché. 


16  JOACHJ.M    DU    BELLAY 

de  l'époque  et  s'était  vaillamment  comporté  sur  les  champs  de 
bataille  de  Flandre   et   d  Italie. 

Le  dernier,  René,  moins  en  vue  peut-être,  avait  montré, 
comme  administrateur  du  diocèse  du  Mans,  de  l'ares  qualités 
morales,  un  grand  zèle  pour  le  ])ien  des  pauvres.  Esprit 
ouvert,  il  avait  le  goût  des  sciences  physiques,  s'occupait 
d'agriculture  et  d'horticulture,  faisait  dans  son  domaine  de 
Touvoye  du  jardinage  et  de  l'élevage  :  ce  qui  ne  l'empêchait 
pas  de  porter  aux  lettres  un  égal  intérêt  et  d'avoir  pour  se- 
crétaire un    poète   de   son  diocèse,    Jacques   Peletier    du   Mans. 

C'est  dailleurs  un  trait  commun  à  tous  ces  du  Bellay 
d'avoir  eu  le  respect  et  l'amour  des  choses  de  l'esprit.  Ces 
hommes  d'action  étaient,  à  leur  manière,  des  intellectuels  ' . 
Très  pénétrés  du  mouvement  de  la  Renaissance,  ils  avaient  le 
culte  des  lettres,  se  faisaient  les  protecteurs  des  artistes  et 
des  savants,  et  même  se  mêlaient  d'écrire  :  le  cardinal  a 
composé  des  poésies  latines,  Guillaume  et  Martin  ont  laissé 
des   mémoires. 

Ce  n'est  pas  à  la  branche  de  Langey  que  Joachim  appar- 
tenait, mais  à  la  branche  aînée,  dont  l'histoire  est  moins 
connue  '.  11  avait  pour  aïeul  Eustache  du  Bellay,  seigneur  de 
Gizeux  en  Touraine,  premier  écuyer  tranchant  et  conseiller  du 
roi  Charles  YIII,  lequel  Eustache  épousa  Catherine  de  Beau- 
mont  '.  Son  père,  Jean  du  Bellay,  seigneur  de  Gonnord  *,  a 
laissé   quelques   traces.    En  1489,  il   faisait  la  guerre    en   Breta- 

'  «  Pari  aniiuoiiiiii  coiilcntione  rem  luaxiiue  omnium  laudabilcm  perfe- 
cerunt,  quam  ne  velle  quidem  ulli  Gallorum  anlea  in  menlem  venerat,  ut 
armorum  gloriani  cum  litcrarum  dignitate  copularent  ».  Sainte-Marthe,  ^oc. 
cit.  —  Sur  ce  point,  v.  Ilauréau,  Hist.  litt.  du  Maine,  111,  73-161. 

-  La  généalogie  de  la  famille  du  Bellay  se  trouve  contenue  dans  sept 
manuscrits  de  la  Bibl.  Nat.  (fr.  20.2^2,  20.229,  20.2.34.  20.241,  20.252,  20.263, 
20.292).  Je  les  ai  consultés.  Les  renstigncmcnts  qu'ils  fournissent  sur  la 
famille  immédiate  de  notre  poète  sont  malheureusement  incomplets,  ob- 
scurs, et  souvent  contradictoires. 

^  Ballu,  p.  xLui. 

^  Commune  du  canton  de  Thouaicé  iMainc-el  Loire). 


ENFANCK   Eï   JEUNESSE  17 

gne  contre  les  Anglais,  à  la  liHc  (runc  coin|(agiii('  de  ([tiaianl(! 
lances,  lorsque  le  roi  le  lionima  gouverneur  de  Hresl  '.  Le 
12  octobre  i5o4,  d'après  Moréi-i  -,  il  épousa  llenée  Cliahol, 
qui  descendait  d'une  ancienne  maison  de  Poitou,  et  f[ui  piîut- 
être  était  sa  cousine  '.  Renée  était  la  seule  llUe  et  l'unique 
héi'itière  de  messire  Christophe  Chabot,  seigneur  de  la  Tur- 
melière  et  de  Lire  :  c'est  ainsi  qu'eu  i5ui  '  ces  deux  fiels 
passèrent  dans  la  maison  du  Bellay  '.  Du  mariage  de  Jean 
du  Bellay  et  de  Renée  Chabot,  naquirent  trois  enfants  :  une 
fille  et  deux  fils  ''.  La  fille,  Catherine,  dont  j'ignore  la  date 
de  naissance,  épousa  Christophe  du  Breil,  seigneur  de  la  Mau- 
voysinière  '.  Le  fils  aine  fut  René  du  Bellay,  le  cadet  fut 
notre   poète  ". 


'  D.  Lobineau,  Histoire  de  Bretagne,  Paris,  1707,  liv.  XXI,  ann.  1489  (l.  I, 
p.  799)  :  «  Quoiqu'il  y  eust  uncommandaul  à  Brest,  appelle  Henri  de  Moues- 
lai,  le  Roi  ne  laissa  pas  d'y  en  envoler  un  second,  qui  l'ut  Messire  Jean  du 
Bellai,  avec  sa  Compagnie  de  ([uarante  Lances  ».  Cf.  Ms.  Ir.   20.265,  1"  40  r'. 

—  Aux  preuves  de  l'anu.  1468  (t.  Il,  p.  1303),  je  trouve  mentionné,  parmi  les 
gens  à  cheval  de  l'arrière-ban  composant  l'armée  d'Ancenis,  sous  les  ordres 
du  marquis  de  Pont-à-Moussou,  un  u  M"^  du  Bellay  »  qui  commande  à  «  vi 
hommes  d'armes  et  xxu  archers  ». 

-  Dictionnaire,  III,  424,  art.  Chabot. 

3  Ms.  fr.  20.263,  1"  40  r«. 

'  L.  Séché,  Joachirn  du  Bellay,  p.  12.  —  Cette  date  de  1321  est  celle  de  la 
transmission  des  liefs  (vraisemblablement  à  la  luort  de  Christophe  Chabot), 
et  non  pas,  comme  le  croit  M.  Séché  îp.  20),  la  date  du  mariage  de  Jean  du 
Bellay  et  de  llenée  Chabot  Autrement  on  ne  s'expliquerait  pas  la  tutelle  de 
Joaciiim  par  son  IVère  aine. 

^  Sur  ces  deux  hefs,  v.  Gél.  Port,  art.  Lire  (11,523)  et  Turnielière  (111,041). 

—  Ces  deux  liefs  avaient  été  réunis  l'un  à  l'autre  :  la  Turmelière  était  deve- 
nue le  château  seigneurial  de  la  paroisse  de  Lire. 

^  Dans  l'épitre  dédicatoire  au  Roy  (Charles  IX)  qui  précède  son  édition 
des  œuvres  complètes  du  poète  (20  nov.  1308),  Aubert  donne  à  Joachim  deux 
frères  qui  dans  leur  jeunesse  auraient  été  capitaines  de  chevau-légers 
(Marty-Laveaux,  Appendice  de  la  Notice,  p.  xxxix).  Je  n'ai  trouvé  trace 
nulle  part  de  ces  deux  frères. 

'  On  trouve  dans  les  Vers  Lyriques  de  du  Bellay  (1349)  une  ode  au  sei- 
gneur Christo/le  du  Breil  :  de  porter  tes  misères  et  la  calumnie  (Marly- 
Lavcaux,  I,  202).  Nul  épanchement  dans  cette  ode  morale,  rien  qui  dénote 
l'intimité  Joachim  n'a  jamais  parlé  de  sa  sœur.  —  C'est  elle,  à  la  mort  du 
poète,  qui  devait  héi-itcr  de  tous  les  biens  de  la  branche. 

**  Besly,  dans  son  Histoire  des  comtes  de  Poictou  et  ducs  de  Guyenne, 
Paris,  1047,  in-f",  p.  82,  veut  qu'il  ait  été  bâtard.  Ménage  a  réfuté  cet  étrange 
assertion  {Anti-Baitlet,  édit.  de  1730,  chaj).  xxxv  et  xlv,  p.  05  et  93. —  Menu- 
giana,  édit.  de  1715,  t.  III,  p.  381). 

Univ.  de  Lille.  Tome  VIU.  A.  2. 


18  JOACHI.M    DU    BELLAY 


III 


C'est  au  château  de  la  Turmelière,  non  loin  de  Lire  ', 
(|ue  Joachini  vit  le  jour.  Cette  humble  bouryade,  qu'un  sonnet 
des  Regrets  a  rendue  immortelle,  est  située  aux  confins  de 
l'Anjou.  Le  petit  village,  si  cher  à  son  cœur,  s'élève  sur 
un  coteau  qui  domine  la  Loire,  et  du  manoir  ((  basty  par 
ses  aveux  »  le  poète  put  souvent  contempler  la  belle  vallée 
oii  coule  le  fleuve,  ces  eaux  si  calmes,  limite  naturelle  de  sa 
terre  auiçevine,  et  par  delà,  sur  l'autre  bord,  la  terre  vassale 
des   barons   dAncenis,    c[ui   relevait  de   la  Bretagne  ^ 

L'année  de  sa  naissance  est  restée  indécise.  Tous  ses  bio- 
graphes se  partagent  entre  1624  6t  iSaô.  Sur  le  socle  de  la 
statue  d'Ancenis  on  a  gravé  i5u4.  M.  Gélestin  Port  est  le 
seul  qui  propose  i523.  Pour  ma  })art,  je  n'hésite  pas  à  pen- 
ser que  la  vraie  date  est  i52'2.  Un  aveu  formel  du  poète, 
(juc    confirment    et    son    épitaphe,    faite    en    i5Go    par    son  ami 

'   Commune  du  oanlon  de  Cliainploccaux  (Maine-et-Loire). 

-  Dans  ee.s  derniers  temps,  on  a  voulu  l'aire  du  poète  angevin  un  demi 
Breton.  On  allèj^iie  qu  il  avait  du  sang  breton  dans  les  veines,  puisque  sa 
qiiadrisaïeule,  Jeanne  Sauvain,  était  lille  de  Pierre  d'Aneenis  ;  que  les  sei- 
gneurs de  Lire  partageaient  avec  les  barons  d'Ancenis  le  droit  de  péage  et 
de  pontouage  sur  la  Loire  ;  que  Lire,  qui  était  de  l'Anjou  pour  le  temjjorel. 
était  de  la  Bretagne  pour  le  sjjirituel.  et  que  J.  du  Bellay,  sur  les  registres 
de  l'Kglise  de  Paris,  est  porté  comme  clerc  du  diocèse  de  Nantes,  clcriciis 
j\'anneteasis  Dioecesis.  Une  chose  est  certaine,  c'est  que  du  Bellay  dans  ses 
vers  a  souvent  parlé  d'Angers  et  de  PAnjou,  jamais  il  n'a  rien  dit  d'Aneenis 
et  de  la  Bretagne.  M.  Séché,  dans  sa  plaquette  (p.  o  sqq.),  nous  en  donne  la 
raisoji  :  entre  l'Anjou  et  la  Bretagne,  il  y  a  toujours  eu  rivalité,  pour  ne  pas 
liire  hostilité.  Mais  M.  Séché  ne  me  semble  pas  très  conséquent  avec  lui- 
nu"me,  lorsqu'il  parle,  dans  son  Introduction  sur  la  poésie  bretonne-angevine 
(p.  xxv),  des  «  relations  fréquentes  et  de  bon  voisinage  qui  s'établirent  île 
bonne  heure  entre  les  deux  rives  ».  La  vérité,  c'est  que  l("s  deux  provinces 
étaient  séparées  par  aUO  mètres  de  Loire,  que  1  absence  de  pont  rendait  les 
communications  assez  dilliciles,  et  que  les  haines  féodales  ne  contribuaient 
pas  à  les  rapprocher.  Au  surplus,  il  n'y  aurait  pas  lieu  d  insister  sur  une  si 
mince  (juestion,  si  ces  jalousies  de  clocher  ne  s'étaient  réveillées  naguère 
entre  Angevins  et  Bretons,  lors  de  l'érection  de  la  statue  d'Ancenis,  et 
n'avaient  failli  compromettre  un  moment  le  succès  de  l'entreprise. 


ENFANCE    ET   JEUNESSE  10 

Pierre  de  l'aselial,  et  le  témoignage  toujours  considéi-al)!!-  de 
rhistorien  de  Tiiou,  me  [)ai'iut  autrement  décisil'  sur  ee  point 
que  l'assertion  de  Sainte-Marthe,  répétée  depuis  Collet(ïl  |)ai- 
tous  les  biographes   et  par   tous    les   critiques  '. 

Sans   insister   outre   mesure,    il    est    cependant   [)ermis,   avec 
M.    Ballu,   de  signaler  au   passage   la    tardive    naissance   d(î   du 


'  Quelques  explications  sont  ici  nécessaires.  En  réalité,  l'opinion  tradi- 
tionnelle sur  la  naissance  de  du  Bellay  peut  invoquer  deux  arguments  : 
1»  ce  passage  des  Regrets  (s.  26)  : 

Tu  me  croiras  (Ronsard)  bien  que  tu  sois  plus  sage, 
Et  quelque  peu  encor  (ce  croy-je)  plus  aagé. 

Ronsard  étant  né  le  H  sept.  Iij24,  on  en  conclut  que  du  Bcllaj-  naquit  à 
la  fin  de  152i  ou  dans  le  couranL  de  1523  ;  —  2°  le  témoignage  de  Sainte- 
Marthe  :  «  Sut  anniim  aetatis  quintum  et  tricesimum  dleni  claiisit)>.  {Elogia, 
l.o9S,  p.  40).  Les  vers  des  Regrets  ne  me  semblent  prouver  qu'une  chose, 
l'incertitude  de  du  Bellay  concernant  la  naissance  de  son  ami  :  il  le  croit 
plus  âgé  que  lui,  mais  il  n'en  est  pas  sur.  Quant  à  Sainte-Marthe,  il  écrit 
',M  ou  38  ans  après  la  mort  du  poète,  ses  souvenirs  peuvent  manquer  de 
précision  ;  et  d'ailleurs,  on  relève  dans  ses  Eloges  plus  d'une  erreur  :  c'est  à 
lui  par  exemple  que  l'on  doit  cette  légende  invraisemblable  qui  nous  montre 
du  liellay  en  passe  de  devenir  archevêque  de  Bordeaux  —  Il  est  aisé  d'éta- 
l)lir  que  Joachim  a  dû  naître  eu  l.)22.  Dans  une  épigramme  à  son  ami  Gordes 
iPoemata,  f"  l't  r"),  qui  date  au  plus  tard  de  l'JoT,  il  déplore  en  ces  termes 
sa  précoce  vieillesse  : 

Jam  mea  Cygnaeis  sparguntur  tempora  plumis, 

Inticit  et  flavas  cana  senecta  comas. 
Sic  nobis  périt  ante  diem  decus  oiune  juventae. 

Et  Jaciunt  septem  lustra  peracta  senein. 

Ainsi  donc  en  15.37  il  avait  trente-cinq  ans  accomplis,  ce  qui  reporte  sa 
naissance  à  l'année  1322.  «  La  nécessité  du  vers  l'enqjorte  ici  sur  l'exacte 
chronologie  »,  s'écrie  Sainte-Beuve,  et  M.  Ballu  :  «  C'est  pure  licence  poéti- 
tique  n.  Mais  i^ourquoi  donc?  Ce  sont  là  gratuites  allirmations.  Quelle  rai- 
son empêche  de  prendre  à  la  lettre  les  paroles  du  poète?  Je  les  crois  i>our 
ma  part  d'autant  plus  véridiques  qu'elles  sont  pleinement  conlirmées  : 
1»  par  l'épitaphe  que  lui  lit,  quelques  jours  après  sa  mort,  son  grand  ami 
Pierre  de  Paschal  :  vixit  annos  x.kxvh,  lit-on  à  la  lin  de  cette  épitaphe 
(Marty  Laveaux,  Appendice  de  la  Pléiade,  11,  383)  :  du  Bellay  étant  mort  le 
!«■■  janvier  1.3G0,  que  l'on  comptait  alors  1339,  c'est  dire  qu'il  est  né  l'an  1322  ; 
—  2'  par  ce  qu'écrit  de  Tliou  dans  son  Histoire  (lib.  XXVI,  ann.  1360)  : 
((  Annum  agens  xxxvii  decessit  »  —  J'ajoute  que  dans  son  Oraison  l'unè- 
i)re  de  R.onsard  (1386),  Jacques  Yeillard  de  Chartres  nous  dit  encore  :  «  Com- 
militones  habuitloach.  Bellaiuni,  Pont.  Thyarrhacum  aelale  quidein  provec- 
liores  »  (f"  13  V).  Voilà  donc  quatre  témoignages  antérieurs  à  celui  de 
Sainte-Marthe  et  dont  l'importance  n'est  pas  contestable. 


20  JOACaiM    DU   BELLAY 

Bellay.    Son  père  et   sa   mère   avaient   dix-huit   ans   de    ménage 
lorsqu'il    vint    au    monde  :    ils    n'étaient    plus    tout    jeunes,    et 
reniant,    semble-t-il,  sen   ressentit.  II  naquit  soulïreteux.  «  Jay 
le   corps   maladif  >),    a-t-il  dit   de  lui-même    '.    Le  fait  est  qu'il 
avait    une    santé    déplorable    :    presque    toute    sa    vie,    nous    le 
verrons  malade.   De  là  chez  lui,   dès   Torigine.   un  grand   fonds 
de    mélancolie,   qu'accrut  encore,   au   cours    de    sa    rêveuse   en- 
fance   dans    le    vieux    manoir    de    ses    pères  ■,     un    commerce 
journalier  avec   la  nature.    L'antique   château   féodal,    aux    airs 
sombres   de  forteresse,    se  dressait   au   milieu   de   la   campagne. 
C'est  là  qu'il   grandit.  J'imagine  que  sa  jeune  àme,  délicate  et 
sensible,    dut   subir  fortement   le   charme   de  cette   vivante  soli- 
tude.  Plus    d'une  fois   sans    doute,    de    ses    fenêtres    et    de    ses 
tours,   il  regarda  ce   vaste    et    lointain    horizon    qui    décrit    un 
arc  de   cercle  de  trente  lieues  d'étendue  ;  ses   yeux   se   posèrent 
sur   le  riant  paysage  qui  déroulait   ses   beautés   enchanteresses. 
Plus     d'une     fois,     il     écouta    le     chant     des     oiseaux    dans    les 
arbres,   le   bruit  plaintif  du   vent   à  travers  les   peupliers   de   la 
Loire,    le    murmure    argentin   de    la  fontaine   qui  coule  encore 
au    bas    de   la    colline.    Sensations   délicieuses,   qui  pénétrèrent 
profondément    son     cœur    d'enfant  !    Plusieurs    de     nos    vieux 
poètes,   on  en   a  fait  la  remarque,   ont  eu   très  vif  le  sentiment 
de   la  nature  :  c'est   qu'ils  ont  grandi  tout  près  d'elle.   Ronsard, 
qui  l'a  si  bien   chantée,  a  vécu    son  jeune   âge   en  pleine   cam- 
pagne,   au    château    de    la    Poissonnière.    Il  demeure   toujours 
quelque    chose    des    impressions    reçues    au    matin    de   la    vie. 
Partout  du  Bellay  gardera   devant  ses  yeux   les  fraîches  visions 

'  Regrets,  s.  :i'J. 

-  Du  vieux  château  de  la  Turmelièrc,  incendié  pendant  les  guerres  de 
Yendée  en  1703,  il  reste  encore  aujourd'hui  des  ruines  imposantes  :  trois 
tours  ébréchées  que  relie  entre  elles  une  courtine  aux  mâchicoulis  recou- 
verts de  lierre.  Le  lecteur  jiourra  se  reporter  aux  descriptions  qu'en  ont 
données  M.Léon  Séché  {La  poésie  bretonne-angevine,  p.  ^x-xxi)  et  M.  Armand 
Silveslrc  (Revue  des  Provinces  de  l'Ouest,  sept.  1804,  p.  114  et  118).  V.  aussi 
l'eau- forte  de  Pierre  Vidal,  eu  tète  de  la  platiuette  de  L.  Séché. 


ENFANCE   ET   JEUNESSE  21 

de  sa  jeunesse  ;  elles  le  suivront  jusque  sur  les  bonis  du 
Tibre  et  feront  de  lui,  lors([uil  les  traduira  dans  la  langue 
des   vers,   le  plus   mélancolique  des  poètes    de  terroir. 

Dès  ses  premières  années,  il  connut  la  soudrance.  Sur  ce 
point  nous  avons  ses  aveux.  Dans  une  touchante  Elégie  qu'il 
adressait,  quelques  semaines  avant  sa  mort,  à  celui  qu'il 
nommait  «  son  Pylade  »,  Jean  de  Morel  *,  il  nous  a  lui- 
même  ouvert  son  cœur  et,  faisant  un  amer  retour  sur  le 
passé,  nous  a  redit  les  sombres  tristesses  de  son  enfance.  Il 
est  seulement  fâcheux  qu'il  ait  été  trop  discret.  Le  peu  qu'il 
nous  découvre  excite  plutôt  qu'il  ne  satisfait  notre  curiosité. 
Ses  confidences  sont  trop  brèves  pour  nous  permettre  de 
reconstituer  comme  nous  voudrions  cette  enfance  abandonnée 
et  solitaire. 

De  très  bonne  heure  il  perdit  ses  parents.  Sans  doute  il 
était  trop  jeune  pour  en  avoir  gardé  quelque  souvenir:  toujours 
est-il  que  dans  ses  poésies  françaises  il  n'en  parla  jamais. 
Resté  orphelin  à  l'âge  où  l'on  a  tant  besoin  des  caresses  d'un 
père,  des  baisers  dune  mère,  qu'allait-il  devenir  ?  11  reçut 
les  soins  de  son   frère  aîné  ". 

René  du  Rellay.  seigneur  de  Gonnord,  était  certainement 
plus  vieux  que  .loachim  d'un  assez  grand  nombre  d'années, 
puisqu'il  lui  servit  de  tuteur.  La  seule  chose  qu'on  sache  de 
lui,  c'est  qu'il  fut  en  i55i  gouverneur  de  Metz  '.  Il  avait 
épousé  Magdeleine  de  Malestroit,  seconde  fdle  de  Guillaume 
de  Malestroit,  seigneur  de  Houdon  '\  De  cette  union  naquit 
un  fils,  Claude  du  Bellay,  dont  Joachim,  à  la  mort  de  son 
frère  en    i552.    devait  être   à   son   tour  le   tuteur. 

'  ELegia  ad  lanum  Morelliirn  Ebrediin.   Pyladem  siiiim,   à  la  suite   des 
Xenia  (Paris,  F.  Morel,  lo69,  in-i"). 
-  Élégie  à  Morel  : 

Vix  puero    mihi    namque   parens   ereptus    uterque 
Fraterno  miseruni  deserit  arbitrio. 
•'  Ms.   fr.  20.265,  f°  44  v». 
*  Ms.   fr.   20.222,  f"  76  r",  et  20,265,  f"  74  v». 


22  JOACHIM    DU    BELLAY 

Que  f\it  la  vie  de  l'orphelin  sons  la  direction  de  ce  frère 
aîné  ?  Je  ne  sais  trop,  mais  il  n'apparaît  pas  que  le  pauvre 
enfant  ait  eu  beaucoup  à  se  louer  de  sa  sollicitude,  lîené  du 
Bellay  semble  s'être  acquitté  l)ien  légèrement  de  ses  devoirs 
de  frère  et  de  tuteur.  Telle  était  la  fatalité  qui  sacharnait  sur 
Joachim  qu'après  avoir  perdu  tout  jeune  son  père  et  sa  mère, 
il  lui  fallait  encore  trouver  l'indifï'érence  chez  celui-là  même 
dont  la  chaude  tendresse  aurait  pu  seule  adoucir  ses  chagrins, 
en  compensant  les  affections  qui  lui  manquaient.  Navrante 
destinée  !  M.  Faguet  a  noté  justement  que  du  Bellay  n'eut 
pas .  comme  Ronsard  avant  ses  malheurs .  ((  toute  une 
période  d'enfance  heureuse,  d'adolescence  enivrée  et  de  l)ril- 
lante  jeunesse  ^  ».  Il  a  souffert  pendant  tout  son  jeune  âge. 
Comment  ces  souffrances  n'auraient-elles  pas  augmenté  sa  mé- 
lancolie   naturelle  ? 

Le  grand  repi'oche  que  Joachim  a  fait  à  son  frère,  c'est 
d'avoir  négligé  son  instruction.  ((  J'ay  passé  l'aage  de  mon 
enfance  et  la  meilleure  part  de  mon  adolescence  assez  inutile- 
ment »,  disait-il  en  i55o  dans  la  seconde  préface  de  V Olive 
(1,  71),  et,  précisant  davantage  sa  pensée  dans  la  Complainte 
du   Désespéré  (i552),  il   s'écriait    : 

Qu'ay-je  depuis  mon   enfance 

Sinon   toute   injuste   offence 

Senty  de  mes  plus  prochains  ? 

Qui   ma  jeunesse  passée 

Aux  ténèbres  ont  laissée 

Dont    ores    mes    yeux    sont  plains.       (II,  4). 

Cette  coupable  négligence  lui  tenait  au  cœur.  Il  y  revient 
encore,  non  sans  amertume,  dans  son  Elégie  à  Morel  :  a  Sous 
la  tutelle  de  mon  frère,  ma  première  jeunesse  fut  perdue, 
(ju'il    convenait    nourrir    de    la    culture    des    lettres.     Elle    fut 

'  Seizième  siècle,  p.  '2d0. 


KNFANCIi    t:r   JIÎUNESSIC  J^.'î 

pei'due,  coiiimo  eti  un  vorl  jardin  une  tendi-c  llcui-  que  nulle 
onde  n'arrose,    (ju»'    nulle    main   ne  cultive  '    ». 

Sun  tuteur  avn-ail  j)u  l'envoyer  faiiuî  ses  éludes  à  ITui- 
versité  il' Angers.  Elle  était  alors  luu^  des  preniièi-e.s  du 
royaume,  si  l'on  s'en  rapporte  à  J.  de  Bourdigné  (i~y2i))  :  a  Klle 
obtient  bruit  de  estre  l'une  des  universités  de  France  la 
mieulx  privilégiée,  et  non  sans  cause,  veu  le  merveilleux  (>t 
louable  laict  d'estude  que  l'on  y  exerce.  (]ar  en  oultre  les 
collèges  et  escolles  de  grannnayre,  i)oéterie  et  orateurerie 
qui  tant  en  langue  grecque  que  latine  ordinairement  y  lleu- 
rissent,  y  a  ou  corps  de  l'université  cinq  faeultez,  dont  la 
première  est  théologie,  la  deuxiesme  médecine,  la  tiei'ce  et  la 
quarte  sont  les  faeultez  des  droictz  canon  et  civil,  et  la  cin- 
quiesme  est  celle  des  ars.  Kt  pour  régenter  en  toutes  lesdictes 
faeultez  en  chacune  d'icelles  sont  notables  et  scientifiques 
docteui's  régens  ■  ».  Soit  au  Collège  d'Anjou,  soit  à  la  Faculté 
des  Arts,  Joachim  eût  appris  les  lettres  latines  et  sans  doute 
aussi  les  éléments  de  la  langue  grecque  ',  comme  devait  le 
faire  quelques  années  plus  tard  son  compatriote  Jean  Bodin 
d'Angers.  Je  ne  vois  pas  que  René  du  Bellay  ait  pris  soin  de 
donner  à   son   pupille    cette    culture   littéraire  ". 

Ainsi  l'enfant  grandit,  au  château  de  la  Turmelière,  dans 
un  complet  désceuvrement  intellectuel.  Et  pourtant  il  sentait 
le  besoin  de  s'instruire.  Il  avait  l'esprit  vif,  éveillé.  Son 
commerce   intime    avec    la   nature   l'avait   prédisposé    dès   long- 

'  Elégie  à  Morel  : 

Sub  quo  prima  périt  nobis  inculta  juventa, 

Quaiii  dcciiit  studiis  excoluisse  bonis. 
Ilta  niilii  periit  viridi  ceu  ilosculus  liorto, 

Quem  nulla  unda  rigat,  nec  manus  ulla  colil. 
-  Chroniques  d'Anjou,  1"  i)art.,  cliap.  iv,  p.  22. 

'  Sur  ce  point,  v.  la  ttièse  de  M.  l'abbé  Gh.  Marctiand,  De  Graecanim 
litterarum  studio  apud  Andegavos  in  xvi»  seculo,  1889. 

*  En  tout  cas,  it  n'existe  aucune  trace  du  passage  de  J.  du  Beltay  à  l'Uni- 
versité d'Angers.  Je  dois  ce  renseignement  à  M.  l'abbé  Gh.  Urseau.  chanoine 
honoraire  d'Angers,  correspondant  du  Ministère  de  l'instruction  l*ubli(|uc, 
que  je  suis  heureux  de  remercier  de  son  obligeance. 


24  JOACHIM    DU    BELLAY 

temps  aux  émotions  poétiques.  Une  inclination  presque  irré- 
sistible  l'entraînait  vers   la  Muse  : 

Elle  a,    dès   mon  enfance, 

Tousjours    g-uidé   le   cours   de    mon    plaisir, 

disait-il  plus  tard  dans  la  dédicace  des  Regrets  ' .  C'est  alors 
sans  doute  qu'il  lut  pour  la  première  fois  les  poètes  français, 
en  attendant  qu'une  éducation  plus  approfondie  et  plus  métho- 
dique rinitiât  aux  chefs-d'œuvre  de  l'antiquité  grecque  et 
latine  -. 

Mais  en  l'absence  d'études  sérieuses,  des  rêves  hantaient 
l'imagination  de  cet  adolescent  songeur  et  désœuvré.  Dans  la 
retraite  de  son  manoir,  les  bruits  du  dehors  Aenaient  troubler 
ses  pensers  solitaires.  Il  entendait  parler  du  vaillant  capitaine 
qui  là-bas,  en  Italie,  après  tant  de  missions  si  fameuses,  cou- 
ronnait sa  carrière  de  héros  en  organisant  avec  une  science 
consommée  la  défense  du  Piémont.  Il  entendait  parler  de 
l'habile  cardinal  qui  soutenait  à  Rome,  avec  une  si  féconde 
diplomatie,  les  intérêts  politiques  et  religieux  du  roi  de  France. 
Une   fierté  le    prenait    à   se  dire    qu'il   était  de  leur  race,    ([u'il 

'  Cf.  ce  qu'il  disait  en  l.iiJO  dans  la  seconde  prélace  de  l'Olive  :  «  Par  je  ne 
sçay  quelle  naturelle  inclination,  j'ay  tousjours  aimé  les  bonnes  lettres  : 
singulièrement  nostre  poésie  francoise,  pour  m"estre  plus  familière,  qui 
vivoy'  entre  ignorans  des  langues  estrangeres  »  (I,  71) 

-  Tous  les  biographes  de  du  Bellay  sans  exception,  s'appuyanl  sur  VEléffie 
à  Morel,  rapportent  à  son  adolescence  une  maladie  des  plus  graves,  qui 
l'aurait  cloué  deux  ans  sur  un  lit  de  douleur,  et  pendant  laquelle  il  n'aurait 
eu  d'autre  consolation  que  de  lire  les  poètes  grecs  et  latins.  C'est  là,  je  crois, 
une  erreur  de  date.  ICn  effet  :  — 1°  En  lijiJO,  Ronsard,  dans  une  ode  (Hlanche- 
niain,  II,  210).  a  célébré  la  convalescence  de  du  lîellay.  qui  relevait  dune 
maladie  dont  il  avait  failli  mourir  ;  du  Bellay  lui-même  a  parlé  de  cette 
maladie  vers  la  même  époque  :  ce  qui  rend  la  première  très  douteuse.  — 
2'  Cette  lecture  des  poètes  grecs  et  latins  contredirait  tout  ce  que  du  Bellay 
nous  a  conté  de  son  adolescence  inculte  et  négligée.  —  3"  On  ne  compren- 
drait pas  ce  vers  :  Tiun  cocpi  Aonio  cognitus  esse  choro  (c'est  alors  que  je 
me  fis  connaître  dans  le  chœur  des  poètesj,  puisqu'il  ne  se  révéla  poète  qu'en 
i;)49.  Cette  phrase  ne  peut  s'entendre  évidemment  que  des  recueils  publiés 
alors  par  du  Bellay.  Bour  toutes  ces  raisons,  je  pense  qu'il  faut  reporter  à 
cette  date  la  maladie  dont  il  s'agit. 


ENFANCE   ET   JEUNESSE  25 

portait  le  même  nom.  Mais  il  sonlail  aussi  tonte  la  distance 
de  leur  î^randeur  à  sa  petitesse.  Cinubien  sa  l)ranche  était 
obscure!  II  n'était,  lui.  (piun  simple  j^enlilliomme  eampaiçnard '. 
Plein  dun  respect  ému  pour  ces  parents  illustres,  il  les  con- 
templait dans  Téclat  de  leur  gloire,  les  vénérait  couinie  on 
vénère   des   Dieux  : 

Hos  ego  praecipue,  geulis  duo  luuiina  nostrae, 
Suspexi  fratres,  utque  Deos  colui. 

Quoi  d'étonnant  dès  lors  qu'il  ait  formé  le  vo'u  de  marcher 
sur  leurs  traces,  de  suivre  pieusement  ces  grands  exemples 
domestiques!  Tout  dabord,  il  rêva,  sous  l'égide  de  Langey, 
de  se  pousser  à  la  Cour  et  de  faire  son  chemin  dans  les 
armes.  Les  trophées  de  Miltiade  l'empêchaient  de  dormir-. 
La  mort  de  Langey,  survenue  le  <>  janvier  i543,  ruina  ces 
beaux  projets.  Mais  le  cardinal  restait,  environné  de  son 
double  lustre  poétic|ue  et  religieux  '.  A  défaut  d'épée,  on  pou- 
vait être  d'Eglise,  et  la  faveur  de  ce  puissant  prélat  était  de 
nature  à  mener  loin  ses  protégés.  Du  Bellay  le  comprit.  Il 
savait  que  l'étude  du  droit  pouvait  le  conduire  à  l'état  ecclé- 
sia.stique.    Soit    qu'il    déférât     aux     conseils    du    cardinal    '    (jui 

'  Si  ne  suis-je  Seigneur,  Prince,  Marquis,  ou  Conlc.  (Regrets,  s.  li) 
-  Elégie  à  Morel  : 

JNon  animus  deerat  studiis  gravioribus  aplus, 

Quique  aulam  posset  militianique  sequi. 
Et  niihi  robur  erat,  nec  prorsus  inutilis  arniis 

Dcxlera,  dum  viridis  noslra  juventa  fuit. 
Nam  quae  aniraos  facerent,  exempla  domeslica  nohis 

(Ut  reliquos  taceam)  Langius  ipse  dabat. . . 
Haec  niihi  Milliadis  poterant  velut  esse  trophaea, 
Hi  slimuli,  liaec  aninio  niaxiaia  cura  nieo. 
■'  Elégie  à  Morel  : 

Ille  etiam  menteni  stimulis  urgebat  honestis 

Pierii  Janus  gloria  prima  cliori  : 
Purpurei  Janus  princepsque  decusque  Senatus, 

Quem  .lanum  ut  geminum  inaxiiiia  Roma  colit. 
'  Il   importe  de    marquer  exactement   sa  parenté   avec  le  cardinal.   Les 
quatre  frères  du  Bellay  étaient  les  cousins  germains   de   son   père.  Joachim 


26  JOACHIM    DU    BELLAY 

désirait  se  l'attachei"  —  comme  la  sii[)posé  Sainte-Beuve  — 
soit  qu'il  agît  de  sa  propre  initiative.  Joachim,  ayant  dépassé 
la  vingtaine,  se  résolut  à  prendre  la  route  de  la  Faculté  :  il 
obtint  de   son  frère   de   partir   pour  Poitiers. 


IV 


Poitiers  n'était  pas  alors  la  ville  morte  qu'elle  est  aujour- 
dliui.  C'était  «  un  centre  littéraire  très  important,  comme  il 
n'y  en  avait  que  ti'ois  ou  quatre  en  province  '  »,  et  qui  jouait 
dans  l'ouest  de  la  France  à  peu  près  le  même  rôle  que  Lyon 
au  sud-est.  Toulouse  au  midi.  Son  Université,  fondée  en  i43i, 
attirait  de  très  loin  un  concours  énorme  d'écoliers.  Là  se 
pressaient  des  jeunes  gens  désireux  d'allier  à  la  science  du 
droit  le  culte  des  lettres.  C'est  ainsi  qu'aux  environs  de  i555, 
nous  trouvons  à  Poitiers  une  vraie  colonie  de  poètes  :  Antoine 
de  Baif,  Jacques  Taliureau,  Jean  de  la  Péruse,  Charles  Tou- 
tain,  Scévole  de  Sainte-Marthe,  Yauquelin  de  la  Fresnaye. 
Ces  gentils  esprits,  plus  passionnés  pour  les  Muses  que  pour 
la  chicane,  coulaient  ((  une  douce  existence  de  rimeurs  non- 
chalants, le  long  des  rives  du  Clain  et  sur  le  mont  Joubert  ^  », 
et  l'un  deux  plus  tard,  évoquant  ces  souvenirs  de  jeunesse, 
s'écriait  : 

n'était  donc  pas,  comme  on  le  répète  à  peu  près  partout,  le   neveu   du  cardi- 
nal  au  sens  oit  nous  prenons  ce   mot  :  il  était  simplement   son  neveu  à  la 
mode  de  Bretagne.  Mais  l'erreur,  si  c'en  est  une,  vient  de  loin  :  elle  est  déjà 
commise  en  1530  par  Ronsard,  qui.  dans  une  ode  à  Joachim  du   Bellay,  par- 
lant des  éloges  donnés  par  Salnion  Âlacrin  au  cardinal,  écrit  : 
Macrin  a  sacré  la  mémoire 
De  Voncle,  et  j'honnore  la  gloire 
Du  neveu,  qui  s'iionnore  mieus. 

(Blanchemain,  II,  2\'6). 
*  Faguet,  Seizième  siècle,  p.  i'.K). 

-  A. -P.  Leniercier,  Etude  littéraire  et  morale  sur  les  poésies  de  Jean 
Vauquelin  de  ta  Fresnaye,  thèse,  Nancy,  Sordoillet,  1887,  in-8",  p.  19.  — 
Cf.  Pr.  Blanchemain.  Poètes  et  Amoureuses .  Portraits  littérfiires  du  xvi" 
siècle.   Paris,  Willem,  1877,  t.  II,  p.  279. 


ENKANCE    ET    JEUNESSE  2,1 

En    ce   temps,   o    quel    Iumii-  !   sans   Iiaiiic    et   s:iiis   oiivic 
Nous  passions  dans  Poitiers   l'avril    de    noslrc    \  ic  : 
Au    lieu  de    denieslei*   de    nos    droits    les    dehals. 
Muses,   pipez  de    vous,  nous  suivions    vos   ehals  '. 

La  vie  qu'on  menait  à  Poitiers  ne  devait  pas  èti-c  sensible- 
ment dillerente  quelque  dix  ans  plus  tôt,  loi's<iu'y  dél)ar(pia 
du   Bellay. 

Selon  toute  vraisemi3lanee,  c'est  vers  i545  qu'il  faut  placer 
son  arrivée  '.  En  venant  à  Poitiers,  Joacliim  ne  tombait  pas 
tout  à  fait  en  pays  inconnu  :  il  retrouvait  là  des  souvenirs 
de  famille.  Sa  mère,  Renée  Chabot,  était,  nous  le  savons, 
d'origine  poitevine.  Deux  mend)res  de  la  nuiison  du  Bellay, 
jadis,  avaient  été,  l'un  abbé,  l'autre  diacre  de  N.-l).  de 
Poitiers  '. 

D'autant  plus  zélé  pour  l'étude  que  son  instruction  avait 
été  plus  négligée,  le  jeune  Angevin  suivit  avec  ardeur  les 
cours  de  l'Université.  Qui  voudra  savoir  ce  qu'étaient  ces 
cours  lira  dans  les  Epistres  morales  et  faniiUèi-es  de  Jean 
Bouchet  (i545)  sa  naïve  et  curieuse  Epistre  à  Messieurs  les 
Escoliers  de  V  Université  de  Poictiers,  eontenant  louange  des 
sciences  et  restât  de  scolaidié  \  Sans  nul  doute,  il  eut  tout 
d'abord  à  suppléer  aux  lacunes  de  son  instruction  première. 
S'il  n'avait  déjà  (iueU[ue  teinture  du  latin,  c'est  à  Poitiers 
qu'il  l'apprit  :  sans  cela  connnent  eût-il  fait  son  droit?  Mais 
il  était  jeune,  enthousiaste,  actif  au  travail,  très  désireux  de 
l'éparer  le  temps  perdu,  d'intelligence  souple  et  prompte.  Il 
vivait    dans   un   milieu    littéraire.    C'était    assez    pour    acquérir 

'  Vauquelinde  la  Fresnayc,  Art  Poétique,  liv  II,  v.  10G7  sqq.  —  EcHt. 
G.  Pellissier,  p.  122. 

■'  C'est  la  date  que  donnent  M.  Fapuet  et  M.   Pellissier. 

^  L'abbé  s'appelait  René,  le  diacre  Martin.  C'était  deux  frères  de  son 
gi'and'père  Eustache  du  Bellay. 

*  C'est  la  13"  des  Epistres  momies,  f"  31.  (Bibl.  Nat.  —  Rés.  Y«.  j")  )• 


28  JOACHIM    DU    BELLAY 

vite  une  culture  très  passable.  D'ailleurs,  en  i546,  il  lit  la 
rencontre  de  Muret,  latiniste  de  vingt  ans,  qui,  venu  à  Poi- 
tiers afin  de  poursuivre  ses  études  de  droit,  enseignait  les 
lettres  au  Collège  Sainte-Marthe,  expliquant  à  ses  élèves 
YAmphitrj'on  de  Plaute  '.  11  se  lia  certainement  avec  lui. 
Peut-être  n'est-il  pas  téméraire  de  supposer  que  c'est  à  son 
contact  qu'il  se  perfectionna  dans  la  connaissance  de  la  langue 
latine.  D'autres  amis  encore  contribuèrent  à  lui  l'cndre  le 
séjour  de  Poitiers  profitable,  sans  parler  de  ses  maîtres  et  des 
relations  qu'il  put  se  créer  dans  la  société  mondaine. 
((  Là,  dit  M.  Faguet  %  il  connut  Aubert,  qui  fut  l'éditeur 
de  ses  œuvres,  les  Sainte  -  Marthe ,  Jean  de  la  Péruse, 
Bergier  de  Montembeuf,  Tiraqueau  le  jurisconsulte  \  très 
probablement  les  Dames  des  Roches  '  ».  Il  se  peut  qu'il  ait 
entrevu  le  procureur  Jean  Bouchet,  «  traverseur  des  vqyes 
périlleuses  )),  rhétoriqueur  infatigable  qui  trouva  moyen,  en 
consacrant  une  heure  par  jour  à  la  poésie,  d'aligner  jusqu'à 
cent  mille  vers.  En  tout  cas,  il  conserva  du  vieux  rimeur 
un  assez  mauvais  souvenir  pour  le  railler  plus  tard  amèrement 
dans   une  phrase   de   la   Deffence  '. 

Quel  fruit  du  Bellay  retira-t-il  de  ses  études  de  droit  ? 
Allait-il  devenir,  comme  le  prétend  Colletet,  (f  un  grand  juris- 
consulte '■   »  ?  On   })eut    en  douter.   Mais  une  chose  est  certaine. 


^  Dcjob,  Marc-Antoine  Muret,  p.  9.  —  Muret  (1326-li)S.")).  plus  jeune  que 
du  Bellay  de  (pialre  ans,  mais  beaucoup  plus  avancé  <jue  lui  dans  ses  études, 
avait  déjà  donné  sa  tragédie  latine  de  Jules  César.  Ce  précoce  humaniste 
était  dès  i'.'M)  un  docte  professeur. 

-  Seizième  siècle,  p.  2.90. 

•'  Les  œuvres  de  J.  du  Bellay  contiennent  un  sonnet  »  à  Monsieur  Tyra- 
(jueau,  conseiller  en  Parlement  »  (II,  136). 

'  Je  respecte  le  texte  de  M.  Faguet.  Mais  les  dames  des  Roches  étant 
mortes  de  la  peste  en  1;)87,  la  mère  âgée  de  57  ans,  il  est  plus  que  probable 
qu'en  1345  la  lille  n'était  pas  née. 

'  Liv.   Il,  chap.   11.  —  Edil.  Person,  p.  150. 

*"  «  Par  la  force  de  son  esprit  et  par  ses  veilles  assidues,  dit  Colletet,  il 
devint  un  grand  jurisconsulte,  et  tel  que,  s'il  eût  suivi  celte  noble  profes- 
sion, je  ne  fais  point  de  doute  qu'il  n'eût  tenu  un  rang  fort  honorable  parmi 


ENFANCK   ET   JEUNESSE  29 

c'est  (luil  soccupa  de  lettres  pour  le  moins  autant  que  de 
droit.  ((  A  Poitiers,  où  mes  parents  m'avaient  envoyé  pour 
cultiver  mon  esprit,  jallais  {jarlois  écouter  les  cours  de  droit 
civil,  mais  bien  rarement,  et  moins  pour  y  api)rendre  quehiuc 
chose  que  pour  contenter  mes  parents  qui  m'avaient  voué  à 
cette  étude  ».  Qui  parle  ainsi?  Muret'.  Mais  cet  aveu,  du 
Bellay  u'eùt-il  pu  le  faire  ?  A  mesure  que  son  esprit  se  cul- 
tivait, son  goût  pour  la  poésie  s'était  développé.  Non  content 
de  lire  les  poètes,  il  songeait  à  les  imiter,  à  se  faire  poète 
lui  aussi.  C'est  à  cette  époque  qu'on  doit  rapporter  ses 
premiers  essais.  Trop  timide  encore  pour  rien  innover,  il  se 
bornait  à  suivre  la  route  commune,  emboîtant  le  pas  derrière 
Marot  comme  tous  les  autres  -.  J'incline  fortement  à  croire 
que  c'est  vers  ce  temps-là  qu'il  composa  cette  Epitaphe  de 
Clément  Marot  dont  la  forme  et  le  tour  rappellent  tout  à 
fait    les   épigrammes  de   la   vieille   école    : 

Si   de   celuy   le  tumbeau  veux    scavoir. 
Qui   de  Maro  avoit  plus   que  le  nom, 
Il   te   convient   tous  les   lieux   aller   voir 
Ou   France  a   mis  le    but  de   son    renom. 
Qu'en  terre    soit,   je   te  respons   que   non, 
A.U   moins  de  luy    c'est  la   moindre  partie. 


les  plus  grands  jurisconsultes  de  son  siècle  ;  mais  le  ciel,  qui  le  réservoit 
à  une  étude  plus  agréable  et  moins  épineuse,  puisqu'il  le  destinoit  à 
l'étude  des  belles-lettres  et  au  doux  exercice  des  Muses,  lui  donna  de  l'aver- 
sion pour  ce  qu'il  savoit  et  de  l'amour  pour  ce  qu'il  ne  savoit  pas  encore  si 
parfaitement  ».  Copie  mscr.,  î'>48v''. 

*  Préface  des  Sentences  grecques.  —  Cité  par  Dejob,  p.  3. 

-  Sur  ce  point,  nous  avons  le  témoignage  foimel  de  Claude  Binet,  dans 
son  Discours  sur  la  vie  de  Ronsard  :  «  Environ  1  an  Ib49,  Joachim  du  Bellay, 
esprit  noble  et  bien  naj-,  et  qui  avoit  quelques  bons  commencemens  en  la 
Poésie  Françoise,  estant  retourné  de  Poictiers.  de  l'estude  des  loix.  auquel 
il  avoit  esté  dédié,  changea  beaucoup  son  stil,  qui  sentait  encor  Je  ne  sçaj- 
quoy  de  rance,  et  du  vieux  temps,  par  la  hantise  de  Ronsard  et  de  Baïf.  « 
(Texte  de  lo86,  p.  12j. 


30  JOACHl.M    DU    BELLAY 

L'ame   est   au  lieu  dou  elle    etoit  sortie, 

Et  de  ses   vers,   qui  ont   domté  la   mort, 

Les   Seurs  luy   ont    sépulture   bâtie 

Jusques   au   ciel.   Ainsi,    la  mort  x"v   mord  '.  (I,  207). 

En  même  temps,  il  se  plaisait  à  faire  assaut  de  poésie 
avec  ses  amis.  Sainte-Marthe  raconte  à  ce  propos  un  petit 
incident  qui  n'est  pas  sans  intérêt.  Il  y  avait  alors  à  Poitiers 
un  jeune  étudiant  métromane,  nommé  Pierre  Fauveau,  dont 
Sainte-Marthe  nous  dit  quil  imitait  avec  beaucoup  d'adresse, 
prudentissime,  les  tragédies  de  Sénèque.  Un  jour,  un  concours 
s'établit  entre  du  Bellay,  Muret  et  Fauveau  :  tous  trois  de- 
vaient composer  sur  le  même  sujet  une  épigramme  amoureuse. 
On  prit  pour  juge  un  poète  de  Loudun,  alors  en  grand 
renom  :    Salmon   Macrin   attribua   la   palme    à    Fauveau  '. 

C'est  la  première  fois  que  nous  rencontrons  ce  poète  qui 
devait  compter  parmi  les  meilleurs  amis  de  Joachim  du  Bellay. 
Jean  Salmon,  dit  Macrin  (i49o-i55-)  ',  natif  de  Loudun,  sur 
les  confins  de  l'Anjou,  de  la  Touraine  et  du  Poitou,  disciple 
de  Jacques  Lefèvre  d'Etaples,  en  relations  avec  tous  les  huma- 
nistes de  l'époque  *,  était  en  i546,  dans  le  monde  des  lettres, 
un  personnage  considérable.  Il  avait  débuté  dès  i5i5  dans  la 
poésie  latine  %  et  tel  était  l'éclat  de  son  talent  que  le  roi 
François  I*^'  l'avait  nommé  son  valet  de  chambre  au  même 
titre  que   Marot.   En  iô'2S,   il  avait  épousé    Guillonne  Boursault, 

'  Devise  de  Marot . 

-  Sainte-Martlif,  Elogia  (liiilS).  art.  Petius  Fuh'iiis,  p.  42-43.  —  Cf.  Dreux 
du  Radier,  Bibi.  Iiist.  et  crit.  du  Poitou.  Paris,  17j4,  o  vol.,  t.  II,  p.228sqq. 

^  Sur  ce  poète  aujourd'hui  peu  connu,  le  lecteur  pourra  consulter  un 
assez  bon  article  de  J.  Boulmier  :  «  Salmon  Macrin,  l'Horace  français  ». 
{Bulletin  du  Bibliophile,  nov.-déc.   1871 /. 

'•  Guillaume  Budé  dans  une  lettre  à  Jean  Lascaris,  du  11  mai  i;j:il,  disait 
de  lui  :  i2aAjj.wvto;.   àvr,û  •JTrspàvaÔo;  /.al  7rocr,Tr,;  k'vSoïoç. 

'  Voir  la  liste  de  ses  ouvrages  dans  Brunet,  t.  III,  col.  1284-l:i8;j.  —  On 
trouvera  des  extraits  de  ses  poésies  dans  les  Deliciae  Poetarum  Gallorum, 
t.  H.  p.  403-073. 


ENFANCE    ET   JEUNESSE  31 

une  jeune  lille  «le  son  pays,  qu'il  ainiuil  teudi-einent,  cl  (luil 
ehantail  en  doux  vers  iuiités  de  Catulle  et  d'IIoraee.  sous  le 
nom  de  Gélonis,  la  Soui-iaute  (yiXo).:).  Mais  ce  ([ui  rapprocha 
surtout  de  lui  .loachiui.  c'est  (pi'il  ctail  depuis  longtemps  le 
protégé  des  lï-ères  du  licllay.  dont  il  redisait  la  gloire,  et 
qui,  poètes  eux-mêmes,  traitaieut  ce  poète,  leur  panégyriste, 
sur  le  pied  d'une  certaine  intimité.  Justement,  Salmon  Maerin 
venait  de  présenter  au  public,  à  la  suite  d'un  recueil  de  ses 
Odes,  les  poésies  latines  du  cardinal  '.  Jl  le  faisait,  disait- 
il,  à  son  insu.  Qu'il  agît  en  efï'et  de  lui-même  ou  qu'il  eût 
l'aveu  secret  du  cardinal,  une  telle  publication  prouvait  assez 
l'excellence  de  leurs  rapports.  On  comprend  que  du  Bellay, 
très  prévenu  pour  cet  ami  de  sa  famille,  soit  allé  vers  lui 
volontiers,  et  que  de  là  soient  nées  de  sincères  et  cordiales 
relations.  Maerin  encouragea  les  débuts  du  jeune  honnne.  La 
Musagnœomachie  (i55o)  ne    laisse   aucun    doute   sur   ce    poiut  : 

Le   docte   lue   tant    vanté. 
Qui    la     mort    de     l'Ignorance 
Parmi    Loudun   a    chanté, 


'  Salmonii  Macrini  liiliodunensis  Odarum  UbrL  III  ad  Feliiirn  Castella- 
num  ;  lo.  Bellaii  cardLnaUs  anipUssinii  poemata  aliquot  elegantissiina. 
Paris,  Robert  Eslienne,  lo46.  in-8".  Maerin  disait  dans  son  épitre  liminaire  : 
(I  Literatoruni  honiinuin  nalioni  gratum  nie  facturuni  putavi,  si  lo.  Bellaii 
(Jartlinalis  aniplissinii  poemata,  hoc  est  Elegeias  aliquot,  E[)igramniata  et 
Odas  nugis  nieis  subjungerein. . ..  Nam  cum  ea  ad  amicos  variis  leniporijjus 
missa  sludiose  accuratcque  colleoissem,  et  claris  viris  iisdenique  doclissi- 
mis  Icoenda  intérim  dedissem,  pcrmulti  ex  liis  eleganliam,  sublimitatem, 
gravitatem  poematum  demirati,  saepe  inecuiu  conquesti  sunt  indignissi- 
mum  esse,  nec  omnino  ferendum,  si  forte  in  tenebris  ea  perpetuo  jacerenl, 
HCC  unquani  in  hominum  nianus  venirent.  n  Rappelant  ensuite  que  les  car- 
dinaux Rcmbo  et  Sadolet  n'avaient  pas  cru  déroger  en  publiant  leurs 
poésies,  il  espérait  que  le  cardinal  du  Bellay  ne  se  fâcherait  pas  de  cette 
publication  subreptice,  et  comptait  pour  le  iléfendre  sur  Pierre  du  Chastel, 
évèque  de  Màcon,  auquel  il  la  dédiait  :  «  Sperabam  inde  futurum  ut,  si 
Gardinalis  Bellaius  audacia  mea  forsan  otlendcretur,  quod  se  insciente 
alque  inconsulto  haec  opuscula  cilidissem,  unus.  mihi  praesto  esse  posses, 
cujus  authoritate  ac  palrocinio  me  ipse  defenderem.  n  (1^1)1  Nat.  —  Rés. 
pY^.   1071). 


32  JOAGHIM    DU    BELLAY 

Voire   par  toute   la   France, 

Me  veut   donner  asseurance 

De   lâcher   par   l'univers 

Les  traiz   de  mes   petis  vers.  (I,   147). 

L'exhorta-t-il,  comme  on  l'a  prétendu  ',  à  nécrire  quen 
sa  langue  maternelle  ?  C'est  possible.  Ce  poète  latiniste,  —  par 
regret  peut-être  d'avoir  tant  sacrifié  aux  Muses  de  Rome,  — 
n'avait-il  pas,  s'il  en  faut  croire  du  Verdier  %  composé  des 
épigrammes  françaises  qu'un  libraire  de  Poitiers,  vers  i58o, 
gardait  encore  en  manuscrit  ?  Mais  si  du  Bellay  ne  reçut 
pas  de  Macrin  ce  patriotique  conseil,  il  le  reçut  à  coup  sur  de 
Jacques   Peletier  du    Mans. 

Est-ce  à  Poitiers  que  la  rencontre  eut  lieu  ?  Sans  pouvoir 
rien  certifier,  je  crois  pourtant  la  chose  infiniment  probable. 
La  date,  en  effet,  d'une  précision  rigoureuse,  permet  dilïici- 
lement  une  autre  hypothèse.  Dans  la  seconde  préface  de  VOlive, 
du  Bellay  nous  dit  en  termes  très  nets  :  ((  A  la  persuasion 
de  Jaques  Peletier,  je  choisi  le  Sonnet  et  lOde,  deux  poëmes 
de  ce  temps  là  {c'est  depuis  quatre  ans)  encore  peu  usitez 
entre  les  nostres  »  (I,  7a).  Cette  préface  étant  de  io5o,  c'est 
donc  exactement  en  1046  qu'il  faut  placer  le  fait  dont  il  s'agit. 
Or,  cette  année-là,  nous  venons  de  le  voir,  du  Bellay  pour- 
suivait ses  études  à  Poitiers.  Quoi  qu'il  en  soit,  ils  se  lièrent 
d'autant  plus  vite  que  Peletier  venait  d'être,  pendant  cinq  ans 
(i54o-i545),  secrétaire  de  l'évèque  du  Mans,  René  du  Bellay. 
Le  rapport  des  âges  (Peletier  avait  vingt-neuf  ans,  du  Bellay 
vingt-quatre)  et  leur  goût  commun  pour  la  poésie  achevèrent 
de  fonder  leur  amitié.  L'influence  exercée  par  le  poète  man- 
ceau  sur    l'étudiant    angevin    fut    décisive   au   i)oint  de   vue  de 

'   lîallu,  p.  L. 

-  Du  Verdier,  BLbl.  franc.,  art.  Jean  Salmon  :  «  Et  si  a  fait  des  Épi- 
grammes  François,  bien  troussés  à  l'imitation  des  Grecs,  que  j'ai  a'u  écrits 
à  la  main  au  pouvoir  d'un  libraire  de  Poitiers  »  (II,  314J. 


ENFANCE   ET   JEUNESSE  33 

sa  carrière.  Aussi  rue  permcttra-t-ou  d'eutrei*  ici  dans  quelques 
développements.  11  importe  d'autant  plus  d'insister  que  Peletier, 
obscur  aujourd'hui,  pour  ne  pas  dire  tout  à  fait  oublié,  n'a 
pas  dans  nos  histoires  littéi'aires  la  place  à  la([uell(;  il  a 
droit  ' . 

Cet  esprit  aventureux  et  hardi,  qu'Etienne  Pasquier  saluait 
avec  raison  comme  un  précurseur  de  la  jeune  école  ',  est  le 
véritable  initiateur  de  Joachini  du  Bellay  aux  idées  de  réforme 
poétique.  Il  venait  de  publier  une  traduction  de  l'Art  Poétique 
d'Horace  ',  et  la  dédicace  qu'il  en  faisait  «  à  tresvertueux  et 
noble  homme  Cretode  Pcrol,  Ecuier,  Seneschal  du  Maine  », 
n'était  pas  autre  chose  qu'une  vibrante  apologie  de  la  langue 
nationale.  Cherchant  pourquoi  les  écrivains  de  son  époque 
n'approchaient  pas  dans  leur  style  de  la  ((  copieuse  véhémence 
et  gracieuse  propriété  qu'on  voit  luire  es  auteurs  anciens  », 
Peletier  en  trouvait  surtout  l'explication  dans  le  mépris  où 
l'on  tenait  la  langue  maternelle  *.  Il  déplorait  une  si  coupable 
erreur.  Sans  doute,  disait-il,  on  ne  saurait  rendre  trop  d'hom- 
mage à  ((  ces  deux  tant  célèbres  et  honnorables   langues  Latine 

'  Sur  Jacq.  Peletier  du  Mans,  consulter  —  outre  Niceron  (t.  XXI)  et 
Goujet  (t.  XII)  —  les  notices  de  Glinchaïup  (bullelin  du  Bibliophile,  juill. 
et  oct.  1847),  d'Hauréau  (Hist.  lltt.  du  Maine,  IV,  168),  d'Héricaull  {Poètes 
français  de  Crépet,  1,  6!2),  de  Dessaix  (réimpr.  de  la  Savoie,  Chambéry, 
18ij6),  de  Pages  (réiinpr.  de  la  Savoie,  Moutiers,  1897). 

-  Il  Jacques  Pelletier,  qui  conuuença  d'habiller  nostre  Poésie  à  la  nou- 
velle guise  avecq'un  très  heureux  succès  »  (Rech.  de  la  France,  VI,  7).  — 
«  Jacques  Pelletier,  grand  Poète,  Arithméticien,  et  bon  Médecin,  que  je  puis 
presque  il  ire  avoir  esté  le  premier  qui  mit  nos  Poètes  François  hors  de 
page  »  {Lettre  à  Ranius,  III,  4). 

'  L'Art  Poétique  d'Horace,  traduit  en  vers  François  par  Jacques  Peletier 
du  Mans,  recongnu  par  l'auteur  depuis  la  première  impression.  Moins  et 
meilleur.  Paris,  Michel  de  Vascosau,  1IJ45.  (Bibl.  Nat.  —  Rcs.  pY^^.  612).  — 
Celte  édition  en  suppose  une  première,  que  La  Croix  du  Maine  (I,  4:J6) 
place  en  lj44.  Je  n'ai  pu  trouver  nulle  part  l'édition  originale. 

'  «  La  principalle  raison  et  plus  apparente,  a  mon  jugement,  qui  nous 
ote  le  mérite  de  vrai  honneur,  est  le  mépris  et  contennement  de  notre  lan- 
gue native,  laquelle  nous  laissons  arrière  pour  entretenir  la  langue  Greque 
et  la  langue  Latine,  consumans  tout  noire  temps   en  Pexercice  d'icelles  ». 

Univ.  de  Lille.  To.mk  A' 111    A.  ',i. 


34  JOACHIM    DU    BELLAY 

et  Greque,  ausquellcs  sans  controverse,  et  sing'ulierement  a  la 
Greque,  nous  devons  toute  la  congnoissance  des  disciplines, 
et  la  meilleure  part  des  choses  mémorables  du  temps  passé.  )) 
Même  on  i)ouvait  soutenir  qu'il  était  impossible  de  «  propre- 
ment i)ai-ler,  ni  correctement  écrire  notre  langue  sans  aquisition 
de  toutes  deux  »,  ou  pour  le  moins  de  la  latine  '.  Mais  lliom- 
mage  devait-il  aller  jusqu'à  loubli  complet  de  l'idiome  ((  domes- 
tique »  ?  Les  Romains  n'avaient  pas  sacrifié  le  latin  au  grec  : 
Cicéron  se  faisait  une  gloire  d'exposer  dans  sa  langue  la  phi- 
losophie grecque,  et  Jules  César  rêvait  d'étendre  la  langue 
romaine  jusqu'aux  frontières  de  l'empire  romain.  Et  les  Ita- 
liens? avaient-ils  au  latin  sacrifié  le  toscan?  Pas  davantage. 
«  J'ai  mesmement  pour  mes  auteurs,  disait  Peletier,  Pétrarque 
et  Bocace,  deux  hommes  jadis  de  grande  érudition  et  savoir, 
lesquelz  ont  voulu  faire  témoignage  de  leur  doctrine  en  écri- 
vant en  leur  Touscan.  Autant  en  est  des  souverains  poètes 
Dante,  Sannazar,  aussi  Italiens.  »  C'était  la  marque  dune 
grande  supériorité  d'esprit  de  s'appliquer,  comme  ils  avaient  fait, 
aux  langues  étrangères  en  même  temps  qu'à  la  langue  natio- 
nale. Mais  se  consacrer  exclusivement  aux  langues  étrangères, 
n'était-ce  pas  une  folie,  puisqu'on  était  condamné  d'avance  à 
rester  au-dessous  des  modèles  ^  ?  Peletier  rendait  justice  à 
ceux  qui  s'efforçaient,  comme  naguère  Jean  Lemaire  de  Belges, 
de  travailler  aux  progrès  de  notre  langue.  Grâce  à  l'intelligente 
et  libérale  protection  du  roi  François  h",  elle  couimençait, 
disait-il,  à  se  développer  ;  un  avenir  brillant  s'ouvrait  devant 
elle.    Et    Peletier    terminait     par     cette    consolante    prédiction  : 

'  «  C'est  cliosc  toute  receue  et  certaine,  qu'lioraiiie  ne  sauroit  rien  écrire 
qui  lui  peut  demeurer  a  lionneur,  et  venir  en  comniendation  vers  la  posté- 
rité sans  l'aide  et  appui  des  livres  Grecz  et  Latins.  » 

-  «  Quant  a  ceux  qui  totalement  se  vouent  et  adonnent  a  une  langue 
j)eregrine  (j'enlens  peregrine  pour  le  resj)ect  de  la  domestique)  il  me  semble 
qu'il  ne  leur  est  possible  d'atteindre  a  celle  naïve  perfection  des  anciens 
non  plus  qu'a  l'art  d'exprimer  Nature,  (luelque  ressemblance  qu'il  i  pré- 
tende. » 


ENFANCE   ET   JEUNESSE  35 

((  A  voir  lu  Heur  ou  ell"  est  Je  présent,  il  faut  ci-oire  [tour 
tout  seur  que  si  ou  procède  tousjours  si  bien,  nous  la  voir- 
rons  de  bi'iei'  en  bonue  maturité,  de  sorte  quelle  suppeditera 
la  langue  Italienne  et  Es[)agnole,  d'autant  que  les  François  en 
religion   et  bonnes    meurs   surpassent  les    autres    nations.   » 

J'ai  cru  devoir  analyser  assez  longuement  cette  curieuse 
préface.  Qu'on  pèse  les  idées  et  les  expressions  :  la  Deffence 
est  déjà  là  tout  entière,  ou  peu  s'en  faut.  Il  n'est  donc  pas 
douteux  que  Joachim  ait  puisé  dans  le  commerce  de  Peletier 
la  plupart  des  opinions  (^u'il  allait  trois  ans  plus  tard  for- 
muler si  fièrement  dans  son  manifeste.  Du  Bellay  dut  se 
rendre  d'autant  plus  volontiers  aux  raisons  de  son  ami  (|uc 
ses  études  avaient  été  plus  incomplètes,  et  qu'il  sentait  par 
expérience  combien,  avec  une  instruction  si  tardive,  l'usage 
de  sa  langue  vulgaire  était  chose  plus  aisée  que  la  pratique 
des   langues   anciennes. 

Mais  il  y  a  plus.  Peletier  était  à  la  veille  de  publier  ses 
Œuvres  Poétiques  ',  et  ce  recueil  allait  révéler  chez  son  auteur 
de  curieuses  aspirations.  11  suffit  d"y  jeter  un  coup  d'œil  pour 
voir  à  quel  point,  en  i547,  Peletier  était  déjà  loin  de  l'école 
marotique  et  tendait  vers  une  poésie  nouvelle.  Si  le  Blason 
du  Cuew\  si  les  Epigramnies  et  VEpitre  à  Mellin  de  Saint- 
Gelays  dénotaient  encore  un  disciple  de  Marot,  le  reste  était 
d'un  éclaireur  de  la  Pléiade  :  des  traductions  de  l'antique  et 
de  l'italien,  douze  sonnets  empruntés  à  Pétrarque,  et  précédés 
eux-mêmes  d'un  sonnet  où  l'autem*  poussait  à  limitation  du 
chantre  de  Laure  (f"  55  r"),  une  ode  «  à  un  poète  qui  n'escri- 
voit  qu'en  latin    »    (f°  82   v^),  un  certain  nombre  de  vers    lyri- 


'  Elles  parurent  l'année  suivante  sous  ce  titre  :  Les  Œuvres  Fiëtigues 
de  Lacques  Peletier  du  Mans.  Moins  et  meilleur.  Paris,  Michel  de  Vasco- 
san  et  Gilles  Corrozet,  lo47.  (Bibl.  Nat.  —  liés.  Y=.  18o3).  Privilège  daté  de 
Paris,  1"  sept.  1547.  —  On  y  trouve  une  Épitaphe  de  Gaillanme  de  Lan^ey 
(ï"  90  vj  ;  la  traduction  du  I"  liv.  des  Géorgiqaes  est  dédiée  au  cardinal 
du  Bellay  (f-  36  v"). 


3G  JOACHIM   DU   BELLAY 

qiies,  où  déjà  s'annonçaient  quelques-uns  des  thèmes  que 
devait  traiter  la  Pléiade  \  attestaient  les  instincts  novateurs 
de  Peletier.  On  s'explique  donc  qu'il  ait  pu.  Tannée  précédente, 
conseiller  à  du  Bellay  le  culte  du  sonnet  et  de  l'ode,  et  l'on  ne 
s'étonnera  pas  de  trouver  à  la  fin  des  Œuvres  Poétiques  de 
lôfyj  (fo  io3  vo)  un  élogieux  dizain  de  /.  Dubello)'  à  la  ville 
du  Mans  ^  Joacliim  payait  ainsi  sa  dette  de  reconnaissance. 
Mais  en  découvrant  à  l'étudiant  de  Poitiers  ces  nouveaux 
horizons  poétiques,  Peletier  dut  lui  dire  aussi  qu'étant  secré- 
taire de  René  du  Bellay,  il  avait,  en  i54'3,  dans  la  ville  du 
Mans,  fait  la  connaissance  dun  jeune  gentilhomme  venu  poui' 
recevoir  la  tonsure  des  mains  de  l'évèque  '  :  que  ce  gentil- 
homme, qui  rêvait  de  poésie  et  de  gloire,  lui  avait  montré 
plusieurs  odes  de  sa  façon,  taillées  sur  le  patron  d'Horace,  et 
l'avait  mis  au  courant  des  vastes  projets  d'avenir  qu'il  formait 
tout  au  fond  de  son  âme  ;  enfin,  qu'il  était  resté  son  ami 
depuis  lors  et  qu'il  échangeait  des  odes  avec  lui  \  Ce  gentil- 
homme, c'était  Ronsard.  Ainsi  Peletier  préparait  de  loin  le 
futur  cénacle.  Par  le  plus  singulier  des  hasards,  c'était  lui 
qui    rapprochait    peu    à   peu    les   deux    chefs    de    la    prochaine 

'  La  Description  des  quatre  saisons  de  l'année  (f"  lii  r°)  annonce  de  loin 
V Hymne  des  quatre  saisons  de  Ronsard.  Le  Chant  du  Désespéré  (f'  74  r") 
sera  repris  deux  fois  par  du  Bellay  {Chant  du  Désespéré,  1,  196.  —  Com- 
plainte du  Désespéré,  II,  1).  A  noter  surtout  (f"  7:2  r")  un  sentiment  de  la 
nature  qu'on  ne  rencontre  guère  dans  Marot  et  les  Marotiques.  —  Bonav. 
des  Périers  excepté,  —  mais  qui  n'est  pas  rare  dans  la  nouvelle  école. 

-  Marly-Lavcaux,  Appendice  de  la  Pléiade,  II,  392.  —  Cf.  Mnsagnœoma- 
chie  (I,  143)  : 

Peletier  laborieux 

En  tes  poétiques  œuvres. 

'  Pour  cette  question,  le  lecteur  voudra  bien  se  reporter  à  l'article  que 
j'ai  j)ublié  sur  «  l'invention  de  l'Ode  »  dans  la  /iep.  d'hist.  lilt.  de  la 
France,  V6  janv.  1899,  p.  :il. 

'  Les  Œuvres  Foctiques  de  loi7  contiennent  une  ode  «  au  seigneur  P. 
de  Ronsart,  Vinvitant  aux  champs  »  (f»  72  r'),  et  plus  loin,  une  «  Ode  de 
Pierre  de  Ronsart  à  Lacques  Peletier,  Des  beautez  qu'il  voudrait  en  s'Amie  » 
(f'  79  v°),  suiA'ie  d'une  c<  Response  par  Peletier,  Des  beautez  et  accomplisse- 
mens  d'un  Amant  »  (f"  81  r  ). 


ENFANCE   ET   JKUNESSE  37 

Pléiade,  encore  ignorants  l'un  de  l'autie.  C'est  assez  poui-  sa 
gloire  qu'il  ait  ouvert  aux  idées  nouvelles  l'esprit  curieux  de 
Joacliini.  En  l'initiant  à  ces  idées  par  ses  causeries,  par  ses 
conseils,  il  avait  fait  œuvre  féconde.  Désormais,  du  Bellay 
pouvait  rencontrer  Ronsard  :   il  était   apte   à  le  comprendre. 


On  connaît  Ihistoire  de  cette  mémorable  rencontre.  Ron- 
sard regagnait  Paris,  revenant  sans  doute  d'un  voyage  en 
Gascogne  ',  lorsque,  dans  une  hôtellerie,  sin*  la  route  de 
Poitiers,  il  se  trouva  tout  à  coup  face  à  face  avec  du  Bellay  \ 
Binet,  à  qui  Ton  doit  le  récit  de  cette  rencontre  ',  la  place 
en  1549.  La  date  qu'il  donne  est  inadmissible  *,  puisque  la 
Deffence  fut  composée,  comme  nous  le  verrons,  tout  au  début 
de  IÔ49-  ^^  ^^"*  Ifiisser  à  du  Bellay  le  temps  raisonnable 
d'avoir  un  peu  complété  ses  études  auparavant.  Il  faut  lui 
permettre  aussi  d'avoir  écrit  ï Olive,  qui  vit  le  jour  en 
même  temps  que  la  Deffence.  Il  est  donc  nécessaire  d'avancer 
la  rencontre  de  l'hôtellerie  au  moins  d'une  année.  Pour  ma 
part,  j'adopterais   volontiers   comme  date   la  fin  de  i547    '. 


'  Le  Bocage  de  Ronsard  lliioU)  contient  une  ode  «  à  son  retour  de  Gas- 
congne,  votant  de  loin  Paris  »  (("  157  V).  —  Blanchemain,  JI,  456. 

-  Cette  scène  de  riiôtellerie  fait  le  sujet  d'un  joli  poème  de  M.  Belles- 
sort,  que  l'Académie  Française  a  couronné  dans  sa  séance  du  il  nov.  189;). 
On  le  trouvera  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes  du  1"  mai  189o. 

^  Ce  récit  ne  ligure  que  dans  la  troisième  rédaction  du  texte  de  Binet 
(1597).  Dans  les  deux  premières,  on  a  simplement  les  quelques  lignes  que 
j'ai  citées  ci-dessus  dans  une  note,  p.  29. 

'  Je  dois  trop  à  Binet  pour  me  montrer  ingrat.  Laissons  parler  Sainte- 
Beuve  :  «  Cl.  Binet,  quoique  ami  et  disciple  de  Ronsard,  paraît  assez 
inexactement  informé  des  premières  années  de  ce  poète,  et  les  dates  qu'il 
donne  me  semblent  souvent  suspectes.  »  {Vie  de  Ronsard,  à  la  suite  du 
Tableau.  ..,  p.  291,  n.  1). 

'  La  pièce  du  Bocage  ci-dessus  indiquée  —  si,  comme  je  le  crois,  elle  se 
rapporte  au  Aoyage  en  question  —  peut  nous  fournir  un  argument.  Ronsard 
y  salue  Paris  qu'il  habite,  dit-il,  depuis  cinq  ans  : 


38  .TOACHIM    DU   BELLAY 

Les  deux  voyageurs  ne  tardèrent  pas  à  lier  connaissance. 
Bien  des  raisons  les  rapprochaient.  Ils  étaient  un  peu  parents  *. 
Ronsard  devait  beaucoup  aux  du  Bellay:  jadis  (t54i-i542),  il 
avait  suivi  en  Piémont  Guillaume  de  Langey  :  plus  tard  (t543), 
l'évêque  du  Mans  lui  avait  conféré  la  tonsure.  Leur  commune 
amitié  pour  Peletier  et  leur  égale  passion  pour  la  poésie  ^  les 
jetèrent  dans  les  bras  l'un  de  l'autre.  Que  se  passa-t-il  dans 
cette  entrevue  ?  Il  est  facile  de  le  deviner.  Du  Bellay  raconta 
sa  triste  enfance,  son  esprit  laissé  sans  culture,  ses  rêves 
évanouis  de  gloire  militaire,  ses  études  arides  et  desséchantes 
à  l'école  de  droit  de  Poitiers,  ses  premiers  pas  vers  la  Muse, 
cette  rencontre  bénie  de  Peletier.  qui  faisait  luire  à  ses  yeux 
la  pure  et  brillante  image  dune  poésie  ressuscitée.  Ronsard, 
s'épanchant  à  son  tour  en  confidences,  redit  quelle  avait  été  sa 
vie  jusqu'à  ce  jour.  De  noble  famille,  il  pouvait  prétendre  aux 
plus  hautes  destinées.  Son  père  lavait  poussé  de  bonne  heure  à 
la  Cour.  11  avait  connu  toute  une  adolescence  heureuse  et  fêtée, 
cher  aux  dames,  cher  aux  princes.  Il  ambitionnait  la  carrière 
diplomatique,  lorsque  les  premières  atteintes  d'une  surdité  précoce 
l'avaient  contraint,  hélas  !  de  renoncer  aux  espoirs  si  chèrement 
caressés.  D'abord,  il  en  avait  souffert;  mais  bientôt,  il  avait 
trouvé  dans  les  livres  une  consolation  :  il  les  avait  toujours 
aimés.  Son  père  avait  bien  a'ouIu  ([u'il  reprît  ses  études,  faites 
jadis   un   peu    trop   hâtivement.    Un   gentilhomme    de    ses   amis, 

C'est  toy  qui  as  de  science,  a^ec  art, 
Endoctriné  mon  jeune  âge  ignorant. 
Et  qui  chez  toy,  par  cinq  ans  demeurant. 
L'as  allaiclé  du  laict  qui  de  toy  part. 
C'est  en  liîiS  que  Ronsard,  revenu  de   Piémont,  s'étaljlil  à  Paris,  ce  qui 
iixe  son  voyage  à  1!)47. 

'  Sans  doute    par  les   seigneurs  de   Glatigny,  ancienne  famille   du  Bas- 
Vendômois.  (Ballu,  p.  268,  n.  1). 

^  Une  si  belle  science, 

Qui  commença  l'allience 
De  corps  et  d'à  me  entre  nous, 
(lisait  Ronsard    en  laiiO.  dans  une  ode  à  du  Bellav.  —  Blanchcmain,  II,  lit). 


ENFANCE    ET   JEUNESSE  31) 

qui  fréquentait  comme  lui  récurie  du  Roi,  le  s(;ij>neur  Paul, 
l'avait  initié  à  la  poésie  latine,  qu'il  cultivait  lui-même  par 
distraction.  C'est  au  seigneur  Paul  qu'il  devait  d'avoir  goûté 
pour  la  première  l'ois  dans  le  texte  les  chefs-d'œuvre  de  Virgile 
et  d'Horace.  Il  avait  même  essayé  d'imiter  Horace  dans  la 
langue  du  modèle.  Mais  il  s'était  vite  aperçu  qu'il  faisait  fausse 
route,  et  qu'il  valait  mieux  être  le  premier  en  France  que  le 
dernier  à  Rome.  Alors  il  avait  conçu  le  pi'ojet  de  faire  revivre 
Horace  en  français,  et  d'enrichir  la  poésie  nationale  de  l'ode 
qui  lui  manquait.  Mais  il  jugeait  ses  tentatives  trop  imparfaites, 
trop  éloignées  de  la  pure  beauté  de  son  auteur,  pour  mériter 
l'impression.  Il  avait  encore  besoin  de  s'instruire.  Son  père 
était  mort  en  1544-  niais  une  destinée  heureuse  avait  voulu 
qu'il  trouvât  \m  second  père  en  M.  de  Baïf,  dont  il  avait  été 
jadis  le  secrétaire,  lorsqu'il  se  rendait  en  Allemagne  à  la 
diète  de  Spire.  M.  de  Baif  avait  un  fils,  Jean- Antoine,  qu'il 
avait  pris  soin  de  faire  élever  par  les  plus  doctes  précepteurs. 
En  i544i  il  avait  installé  dans  sa  maison  des  Fossés-Saint- 
Victor  un  savant  limousin,  Jean  Dorât,  qui  complétait  l'édu- 
cation du  jeune  Antoine,  et,  comme  il  se  sentait  pour  son 
ancien  secrétaire  une  tendresse  toute  paternelle,  il  l'avait  admis 
à  profiter,  en  même  temps  que  son  fils,  des  leçons  du  savant. 
Ces  leçons  avaient  été  comme  une  révélation.  Quel  homme  rare 
que  ce  Dorât  !  Quelle  connaissance  approfondie  de  l'Antiquité  ! 
Surtout,  quelle  science  du  grec  !  M.  de  Baïf  venait  de  mourir 
(1547)  '  .  Dorât  avait  été  nommé  principal  du  Collège  de 
Goqueret,  et  ses  deux  élèves  l'avaient  suivi  dans  sa  nouvelle 
demeure.  C'est  là  qu'ils  vivaient  dans  la  retraite  et  le  silence, 
d'une   vie    intérieure,    très    active,    très    studieuse,    tout    entière 


*  M.  Pinvert,  dans  sa  thèse  latine,  De  Lazari  Bayfii  vita  ac  latlnls  ope- 
rihiis  et  de  ejus  amicis  (Paris,  Fontemoing,  1898,  in  8'),  P-  3i.  place  cette 
mort  en  1350,  mais  sans  donner,  selon  moi,  de  son  opinion  des  raisons 
vraiment  décisives.  Je  m'en  tiens  donc  à  la  date  traditionnelle. 


40  .TOACHIM    DU    BELLAY 

consacrée  aux  Muses.  Antoine  de  Baïf,  plus  avancé  que  lui 
dans  les  lang-ues  anciennes,  venait  à  son  aide  dans  l'étude  du 
grec;  lui,  par  contre,  enseignait  à  Baïf  les  règles  de  la  poésie 
française.  Et  tous  deux,  sous  l'habile  direction  de  Dorât, 
rivalisaient  d'ardeiu*  et  d'enthousiasme,  employant  tous  leurs 
jours  au  travail,  se  couchant  tard,  se  levant  tôt.  Car  ils 
avaient  conçu  la  noble  ambition  de  réveiller  la  poésie  fran- 
çaise jusque  là  faible  et  languissante,  d'illustrer  leur  mémoire 
par  des  œuvres  maîtresses,  de  laisser  après  eux  un  renom 
immortel  \  Mais  puisque  du  Bellay,  lui  aussi,  soucieux  de 
gloire,  épris  d'idéal,  se  sentait  attiré  vers  la  Muse,  que  ne 
venait-il  partager  leurs  études,  s'associer  à  leurs  travaux,  se 
préparer  comme  eux  aux  luttes  héroïques  d'où  devait  sortir 
le   triomphe  ? 

Proposition  séduisante  !  Du  Bellay,  sans  doute,  lit  un  retour 
rapide  sur  le  passé.  Certes,  il  n'avait  point  perdu  son  temps  à 
Poitiers  ;  il  y  avait  commencé  ses  études  :  il  avait  réparé  bien 
des  lacunes  de  sa  jeunesse  :  il  devait  beaucoup  à  Muret,  à 
Macrin,  à  Peletier.  Que  de  choses  pourtant  lui  restaient  à 
apprendre  !  Les  paroles  de  Ronsard  lui  faisaient  entrevoir  tout 
un  avenir  d'études  sereines,  de  féconds  labeurs,  de  jouissances 
délicieuses,  Rome  à  mieux  saisir,  la  Grèce  à  connaître,  l'Italie 
à  découvrir,  la  Gloire,  enfin,  couronnant  son  front  de  poète... 
La  tentation  était  trop  forte.  Incapable  de  résister,  du  Bellay 
suivit  Ronsard  à  Paris  ",  pour  s'enfermer  au  Collège  de 
Coqueret. 

*  Pour  de  phis  amples  détails,  v.  Binet,  VOraison  Junèbre  de  Ronsard 
par  du  Perron,  les  notices  de  Marty-Lavcaux  sur  Dorât,  Baïf  et  Ronsard,  le 
cliap.  I  de  Freniy  (L'Académie  des  derniers  Valois],  et  mon  article  sur 
«  l'invention  de  l'Ode  »  (liev.  d'hist.  litt.  de  la  France,  15  janv.  1899.  p  21). 

-  Un  mot  très  concis  de  Sainte-Marthe,  dans  son  Éloge  de  P.  Fauveau 
(Joacldino  Bellaio  Farisiis  ad  legiim  siiidia  recens  illuc  profecto,'  laisserait 
supposer  que  du  lifliay  avait  passé  par  Paris  avant  d'aller  à  Poitiers.  Je 
n'ai  rien  trouvé  (|ui  me  jn-nuelte  d'éclainir  la  f|uestion  di'  ce  i)remier  séjour 
à  Paris. 


V 


charthh  fi 


LE   COLLÈGE   DE    COQLEKET 

1547-  1549 


I.  —  Le  Collège  de  Coqueret. 
II    —  Jean  Dorât,  principal  de  Coqueret.   —    Un  collège  au  XVI 
siècle.  —  La  Brigade  et  la  Pléiade. 

III.  —  Éducation  de  la  Pléiade.  —  L'éducation  par  les   livres.  — 

Dorât  professeur.  —  Sa  méthode  :  le  latin  enseigné  par 
le  grec.  —  Sa  valeur  comme  philologue. 

IV.  —  La  culture  grecque.  —  Caractère  surtout  poétique.  —   Les 

classiques  et  les  alexandrins.  —   Défauts   et  mérites   de 

Dorât  helléniste.  —  Du  Bellay,  le  moins  grec  des  poètes 

de  la  Pléiade. 

V.  —  La  culture  latine.  —  Latins   anciens.  —  Latins   modernes. 

VI.  —  La    culture   italienne.    —   Valeur    esthétique    des    œuvres 

italiennes.  —  Vive  impression  produite  sur  la  Pléiade. 
VII.  —  La  culture  française.  —  Rabelais.   —  Romans   français.  — 
Roman  de  la  Rose.   —  Poésie  des  XIV-  et  XV''  siècles.  — 
Rhétoriqueurs.  —  Jean   Lemaire    de  Belges.  —  Clément 
Marot.  —  Les  Marotiques  et  Saint-Gelays.  —  Les  Lyon- 
nais :  Antoine  Héroët  et  Maurice  Scève. 
VIII.  —  L'éducation  par  la  nature.  —  Excursions  dans  la  banlieue 
de  Paris.  —  Le  voyage  d'Arcueil  en  1549.  —   Une  partie 
de  plaisir  chez  Brinon. 
IX.  —  L'éducation  par  les  arts    —  Influence  de  Denisot.  —  Rela- 
tions   avec    les   artistes.    —   Les    arts    plastiques.    —   La 
musique  et  la  poésie. 
X.  —  Publication  de  1'  «  Art  Poétique  »   de   Th.  Sibilet  (1548). 

—  Impression  qu'en  ressentent  les  élèves  de  Dorât.  — 
Origine  de  la  «  DefEence  ».  —  La  collaboration  du  groupe 
au  manifeste.  —  Pourquoi  ce  fut  du  Bellay  qui  le  signa. 

—  Publication  de  la  «  Deffence  et  illustration  de  la  langue 
françoyse  »  (1549). 


42  JOACHIM    DU    BELLAY 


C'était  un  obscur  collège,  le  plus  obscur  peut-être  de  tous 
ceux  c{ui  peuplaient  la  montagne  Sainte-Geneviève,  que  ce 
Collège  de  Coqueret  '.  oii  du  Bellay  venait,  avec  Ronsard  et 
Baïf,  se  mettre  à  l'école  de  Dorât.  Il  avait  été  fondé  vers  le 
milieu  du  xv*  siècle  par  Nicolas  Coquerel  ou  Coqueret, 
bachelier  en  théologie,  prévôt  et  chanoine  de  Notre-Dame 
d'Amiens.  Ce  prêtre,  natif  de  Montreuil-sur-Mer,  avait  loué 
la  basse-cour  de  l'ancien  Hôtel  de  Bourgogne  ^  pour  y  tenir 
de  petites  éeoles  '  et,  ((  par  subtilité  »,  nous  dit  du  Breul,  de 
locataire    s'était  rendu   propriétaire.   Puis   il    avait   revendu   son 

'  Sur  le  CoHèu-o  de  Coqueret,  cf.  du  Breul,  Théâtre  des  Antiqiiitez  de 
Paris  (1612),  liv.  II,  p.  732;  —  Sauvai,  Histoire  et  recherches  des  antiquités 
de  la  i'ille  de  Faris  (1724),  t.  II,  p.  379;  —  Félibion,  Histoire  de  la  ville  de 
Paris  (I12i>),  t.  II,  p.  761  ;  —  I^iganiol  de  la  Force,  Description  de  Paris  (1742), 
t.  V,  p.  213;  —  Crevier,  Histoire  de  VUniversité  de  Paris  (1761),  t  III,  p.  341  ; 
—  Laverdy.  Compte  rendu  aux  Chambres  assemblées,  concernant  la  réunion 
des  Boursiers. . .  le  12  nov.  1763,  p.  NO  ;  —  Jaillot,  Recherches  sur  la  ville  de 
Paris  (1772-17751,  t.  IV,  2'  part.,  p.  3<S.  —  Ces  divers  hisloi-iens  se  répètent 
à  peu  près  dans  les  mêmes  termes,  et  tous  copient  le  P.  du  Breul.  Le  der- 
nier, .laillot,  a  vainement  essayé  de  pousser  plus  loin  son  enquête  :  «  Il  y  a, 
dit  il,  une  si  grande  obscurité  répandue  sur  l'origine  de  ce  prétendu  Col- 
lège, qu'il  ne  m'a  pas  été  possible  de  la  dissiper;  il  s'est  passé  d'ailleurs 
tant  d'années  sans  y  voir  ni  principal  ni  boursiers,  qu'il  n'est  pas  étonnant 
([ue  nos  liistoriens  ou  n'en  aient  pas  parlé  ou  n'en  aient  dit  que  très  peu  de 
chose.  ))  —  Les  papiers  du  Collège  de  Coqueret  ne  sont  point  venus  aux 
Archives,  comme  ceux  de  la  plupart  des  collèges  parisiens.  Les  quelques 
indications  que  donnent  les  Registres  de  l'Université  de  Faris  (Biblioth.  de 
la  Sorbonne)  ont  été  précieusement  utilisées  par  .1.  Quiclierat,  dans  son 
Histoire  de  Sainte-Barbe  (1860),  t.  1.  —  Cf.  encore  Ch.  Jourdain,  Index 
Chronologicus  (1862),  p.  290,  n.  2. 

-  La  basse-cour  de  l'IIôtel  de  Bourgogne  était  bordée  par  la  rue  Char- 
tière,  la  rue  du  Mont  St-Hilairc  et  la  rue  du  Chaudron  (auj.  impasse  Char- 
lière,  rue  de  Lanneau  et  rue  d'Ecosse).  Le  Collège  de  Coqueret  était  sur  la 
paroisse  St-Hilaire.  Dans  le  voisinage  se  trouvaient  les  Collèges  du  Piessis, 
de  Marmoutiers,  de  Reims,  de  Toul,  de  Karembert.  (Cf.  le  plan  dressé  par 
Ad.  Berty,  en  tê'e  du  I"  vol.  de  Quicherat).  Au  xvm'^  siècle,  il  restait  encore 
du  C(jllège  de  Coqueret  un  petit  bâtiment,  dans  la  rue  Chartière.  Il  n'en 
reste  plus  rien  aujourd'hui. 

•'  Entendez  une  sorte  de  pensionnat  dont  les  élèves  suivaient  les  cours 
de  l'Université.  (Quicherat,  op.  cit.,  l.  17). 


LE   COLLÈGK    DK    COQUr.nET  43 

collège  à  maître  Simon  Dnoast,  le(|uel  avait  ou  roinnie  héri- 
tier et  successeur  Robert  Dugast,  son  neveu,  celui-là  niènie 
qui  devait  en  i556  doter  par  un  acte  de  fondation  le  Collège 
Sainte-Barbe.  Ce  dernier,  une  des  figui-es  de  principal  les 
plus  curieuses  de  cette  époque,  avait  signalé  son  administra- 
tion par  un  excès  de  rigueur  qu'inspirait  une  rapacité  sans 
exemple.  L'avarissime  har[)ic  de  Coqueret,  comme  l'appelle  un 
acte  du  temps,  avarissiiua  harpj'ia,  s'était  attiré  la  réputation 
la  plus  détestable.  Sans  cesse  il  avait  maille  à  partir  avec 
ses  l'égents,  qu'il  traitait  de  la  pire  i'açon,  jelant  l'un  en 
prison  pour  lui  avoir  mangé  un  pain  d'un  sou,  exigeant  d'un 
autre  un  pot  de  vin  illicite  et  lui  confisquant  son  mobilier, 
frustrant  un  troisième  de  la  paye  convenue  et  lui  défendant 
même  le  réfectoire  '  !  Les  choses  étaient  allées  si  loin  en  1529 
que  la  Faculté  des  Arts,  à  la  requête  des  régents,  avait 
suspendu  Robert  Dugast  de  ses  fonctions  de  principal,  ne 
lui  laissant  d'autre  titre  que  celui  de  propriétaire  de  son 
collège  ;  elle  l'avait  déclaré  déchu  de  tous  les  privilèges 
académiques,  comme  violateur  des  statuts  de  l'Université,  et, 
le  jugeant  réfractaire,  elle  avait  chargé  les  censeurs  des 
Nations  d'aller  faire  la  visite  de  Coqueret  pour  y  rétablir 
l'ordre. 

Néanmoins,  ce  mauvais  coucheur  n'était  pas,  semble-t-il, 
le  premier  venu.  Curé  de  Saint-Hilaire,  chapelain  du  Ghàtelet, 
chanoine  de  Saint-Marcel,  il  fut  longtemps  doyen  de  la 
Faculté  de  Décret  et  professa  le  droit  ecclésiastique  aux 
écoles  de  la  rue  Jean-de-Beauvais.  Très  dur  aux  régents,  il 
aimait  sincèrement  les  études,  et  l'on  peut  croire  qu'il  eut  à 
cœur  la    prospérité    du   Collège    de    Coqueret   '.     Il     faut    bien 

'  Pour  les  détails,  v.  Quicherat,  op.  cit..  t.  I,  p.  297  sqq. 

-  «  Spectatus  vir  M.  R.  Dugast  divi  Hilarii  Curatusnecnon  vulgatissimae 
Domus  Coqueret  Moderator.  vigilantissimus  Decrelorum  Doctor  ».  lit-on 
dans  une  pièce  de  1524,  que  cite  du  Boulay,  Hist.  Univ.  Paris.,  VI.  160.—  Du 
Boulay  n'a  parlé  nulte  part  spécialement  du  Collège  de  Coqueret. 


44  JOACHIM    DU    BELLAY 

reconnaître  toutefois  que  si  ce  collège  eut  jamais  quelque 
éclat,  il  en  reste  aujourd'hui  peu  dindices.  A  peine  saisit-on. 
dans  les  ténèbres  mystérieuses  de  son  passé,  deux  ou  trois 
faits  précis  qui  permettent  de  supposer  que  réellement  on  y 
travaillait.  Nous  savons  qu'au  début  du  xvr-  siècle,  un 
Espagnol  de  Valence,  Jean  de  Gelaya,  plus  tard  professeur 
à  Sainte-Barbe,  y  enseignait  la  philosophie  '.  Vers  la  même 
époque  (i5o4),  un  certain  Denys  Lefèvre,  régent  de  gram- 
maire, y  expliquait,  paraît-il,  avec  un  tel  succès  les  auteurs 
grecs  et  latins,  que  les  envoyés  vénitiens,  alors  à  Paris,  étant 
venus  l'entendre,  dirent  tout  haut  qu'avec  un  pareil  homme 
la  France  était  à  la  hauteur  de  l'Italie  et  de  la  Grèce  ". 
Denys  Lefèvre  lisait  à  ses  disciples  VInsfifufion  Oratoire  de 
Quintilien,  le  traité  de  Philelphc  sur  l'Education  des  Enfants, 
Lucain,  la  Rhétorique  de  Cicéron.  Il  leur  interprétait  aussi 
la  grammaire  grecque  de  Théodore  Gaza.  C'était  peut-être  la 
première  fois,  suivant  du  Boulay,  qu'on  expliquait  du  grec 
dans  l'Académie  de  Paris  '.  Singulière  destinée  qui  voulait 
que  la  langue  grecque  trouvât  son  premier  asile  dans  ce 
même  collège  où,  près  de  cinquante  ans  plus  tard.  Dorât 
allait  révéler  à  ses  élèves  les  beautés  d'Homère,  de  Pindare 
et  d'Eschvle  ! 


'  Quicherat,  op.  cit.,  I,   li;». 

-  «  Habeat  Roma  suuiii  Ciceronein,  suuni  Livium,  suiim  Virgilium. 
Docta  Graecia  suum  Hoinerum  suuinque  Demosthenem.  Habet  oppido 
Fabrum  suum  Parisiensis  Universitas.  »  Du  Boulay,  VI,  028.  art.  Dionysins 
Faber. 

^  «  Illc,  praeter  publicani  Granimatices  explanationem.  Theodorum 
Gazam  interi)i'ctatus  est  :  quae  prima  lerc  fuit  Atticac  linguae  in  Academiam 
Parisicnscm  introductio.  »  —  Rebitté,  dans  sa  thèse  sur  G.  Budé  (p.  o1-d2), 
confond  à  tort  ce  Denys  Lefèvre  avec  le  célèbre  humaniste  Jacques  Lefèvre 
d'Elaples. 


LE   COLLÈGE    UE    COQUERET  45 


II 


Dans  quelles  eirconstances  rérudit  limousin  dcvinl-il  prin- 
cipal de  Coqueret  ?  C'est  ce  qu'il  esl  dillicile  de  préciser.  Une 
hypothèse  toutefois  est  vraisemblable  :  Dorât,  privé  de  res- 
sources par  la  mort  de  liazare  de  Haif  (1547),  clic/  Icifuel  il 
vivait  comme  précepteur  particulier,  dut  chercher  ;i  tirer  de 
son  savoir  tout  le  parti  possible.  Le  moyen  le  plus  sur  était 
encore  de  professer  publiquement.  On  peut  admettre,  avec 
Quicherat  ',  qu'il  s'entendit  avec  Robert  Dugast,  principal  sus- 
pendu de  Coqueret,  mais  resté  propriétaire  du  collège,  pour 
prendre  la  direction  générale  des  études  :  il  laissait  à  Dugast 
la  besogne  administrative  et  financière  ".  Ainsi  déchargé  de 
la  partie  fastidieuse  de  ses  fonctions,  il  put  s'abandonner  à 
son   rêve    d'humaniste  '. 

Les  collèges  de  cette  époque  ne  ressemblaient  pas  tout  à 
fait  à  ceux  de  nos  jours  '*.  Les  élèves  y  étaient  moins  nom- 
breux, ce  qui  permettait  entre  eux  et  le  maître  des  relations 
plus  cordiales  et  plus  intimes.  Il  serait  téméi'aire  à  coup  sûr 
de  prétendre  reconstituer  exactement  la  vie  que  menaient, 
sous  la  direction  de  leur  principal,  Ronsard,  du  Bellay,  Baïf, 
les  camarades  qui  partageaient  leur  existence.  Il  faudrait  pour 
cela  d'autres  données  que  les  allusions  plus  ou  moins  vagues 
qu'on  relève  de  ci  de  là  dans  leurs  vers  aux  années  labo- 
rieuses de   leur  jeunesse.    On    peut   assurer   toutefois   que   cette 

»  Op.  cit.,  I,  302. 

-  C'est  sans  doute  à  la  faveur  de  cette  convention  que  Dugast,  supplan- 
tant Dorât,  finit  par  redevenir  principal  de  son  collège  :  «  Ann.  1551,  die 
3  octobris,  Robertus  du  Guast,qui  praefuit  postea  collegio  Sanctae  Barbarae, 
primarius  eoUegii  Coquerctici  nuncupatur.  »  (Jourdain,  Index  Chronologi- 
eus,  p.  290,  n.  2).  —  Il  fut  de  nouveau  suspendu  le  12  avril  1352. 

•'  M.  Robiquet,  dans  sa  thèse  latine  sur  Dorât  (p.  8),  fixe  au  mois  de 
décembre  1547  sa  nomination  comme  principal,  mais  sans  indiquer  à  quelle 
source  il  a  puisé  le  renseignement. 

*  Le  lecteur  pourra  lire  dans  Quicherat  (t.  I,  chap.  ix  et  x,  p.  73-92)  le 
tableau  d'un  collège  au  xvi'  siècle. 


46  JOACHIM    DC    BELLAY 

vie  à  Goqueret  avait  quelque  chose  dune  vie  de  fairdlle.  La 
présence  continuelle  d'un  maître  qu'on  vénérait  pour  son 
savoir  et  qu'on  aimait  pour  sa  bonté,  le  commerce  incessant 
qu'on  avait  avec  lui,  l'échange  amical  des  sentiments  et  des 
pensées  facilitaient  la  discipline. 

En  dehors  des  élèves  qui  vivaient  à  demeure  au  collège, 
il  y  avait  ceux  de  l'extérieur  qui  suivaient  les  cours  à  titre 
d'auditeurs  bénévoles.  Car  Dorât,  non  content  d'enseigner  en 
privé,  semble  avoir  pratiqué  dès  ce  temps-là  les  grandes  leçons 
publiques.  C'est  là  sans  doute  ce  qu'il  faut  entendre  par  cette 
académie  que  le  docte  humaniste  avait,  selon  Binet,  établie  au 
Collège  de  Coqueret  '.  A  certaines  heures  il  réunissait  autour 
de  sa  chaire  tous  les  étudiants,  jeunes  ou  vieux,  qu'animait 
la  passion  de  s'instruire.  Ainsi  s  explique  qu'il  ait  compté 
dans  son  auditoire  des  savants  comme  Muret,  des  seigneurs 
comme   Carnavalet,    des  évèques   comme   Lancelot   Caries. 

Que  Dorât  ait  vu  se  presser  à  ses  leçons  une  afïluence 
considérable,  c'est  une  chose  qui  n'est  pas  douteuse.  Dans 
une  ode  qu'il  lui  dédie  en  i55o,  Ronsard  lui  rend  cet 
hommage   : 

Tant  dames  ne  courent   pas 

Apres  Alcée   la  bas, 

Alors   qu'horrible  il   acorde 

Les    guerres   desus   sa   chorde. 

Comme   ta   douce   merveille 

Emmoncelle   par  milliers 

Un  grand  peuple  d'écoliers 

Que  tu  tires  par   l'oreille  '. 

*  «  Ronsard  ayant  sçeu  que  Dorât  alloit  establir  une  académie  au  col- 
lège de  Cocquerel.  duquel  on  luy  avoit  l)aillé  le  gouvernement. . .  .)  C'est  le 
texte  de  151)7  i p.  122).  En  lo8G,  on  lit  simplement  :  «  lionsard  asant  sçeu  que 
Dorât  alloit  demeurer  au  collège  de  Cocqueret,  dont  on  l'avoit  fait  princi- 
pal... »  (p.  10).  De  même  en  lo87. 

2  Je  cite  le  texte  de  l'édit.  orig.  de  1550,  liv.  I,  od.-  Il,  P  23  r".  (Bilil.  Nat. 
—  Rés.   \'.  4700;.  —  Blancht-maiii,  II,  100. 


LE   COLLÈGE    DE   COQUEREP  47 

Mais  ce  qui  nous  intéresse  ici  tout  pai-liculièremenl,  c'est  le 
petit  groupe  d'élèves  qui  vivaient  au  collège  du  matin  au  soir, 
([ui  [)eut-èlie  y  couchaient,  y  prenaient  leurs  repas,  (jui  rece- 
vaient à  toute  lieure  les  léchons  privées  de  Dorât,  ([ui  l'uirut 
les  intimes  des  poètes  de  la  Pléiade,  ([uand  ils  étaient  encore 
à  leurs  débuts.  Leurs  noms,  presque  tous  oubliés  aujourd'hui, 
sont  consignés  dans  une  pièce  de  Ronsard,  ([ui  [)arut  seule- 
ment en  i552,  mais  qui  remonte  à  i54<j,  /es  Bacchanales  '. 
Le  moins  obscur  de  beaucoup  est  Nicolas  Dcnisot,  sur  lequel 
nous  aurons  à  revenir".  Bertrand  Bergier  de  Montembeuf, 
un  Poitevin  que  signalaient  son  esprit  plaisant  et  sa  belle 
humeur,  se  lit  entre  tous  une  originalité  par  les  écarts  d'une 
fantaisie  échevelée.  Après  des  essais  dans  la  pastorale,  c'est 
lui  qui  s'avisa  d'introduire  dans  la  poésie  les  dilhjTainbcs,  les 
vers  bedonniqiies  et  les  /laclii-oiootis,  œuvres  étranges  où  tout 
s'unissait,  semble-t-il,  pour  déconcerter  :  la  bizarrerie  de  l'in- 
spiration,   le    désordre    des  idées,    l'absolue  liberté   du   rythme, 

'  Blancheinain,  VI,  338. 
-  V.  plus  loin,  même  chap.,  §  ix,  p.  80. 

'  Il  est  souvent  question  de  Bertrand  Bergier  chez  les  poètes  de  la 
Pléiade.  Du  Bellay  lui  dédie  :  l»  dans  ses  Vers  Lyriques  de  1349,  l'ode  Ti,  Du 
premier  jour  de  fan  (I,  190)  ;  2"  dans  ses  Poésies  de  133^,  une  Ode  pastorale, 
en  tète  de  laquelle  il  le  qualilie  de  «  poète  bedonniquebouHonnique  »  (11,37): 
3"  en  1338,  une  pièce  des  Jeux  Rustiques  (II,  363)  :  4"  en  lo39.  une  épigramme 
des  Xenia,  Montibos  poeta  dUhjrambicus  (f"  13  r  ").  —  lionsard  lui  consacre 
une  Ode  en  1330,  la  13"  du  livre  I  (f"  27  r").  Il  fait  de  lui  ce  beau  portrait  : 

Plein  de  vertu,  pur  de  tout  vice, 

Non  brûlant  après  l'avarice 

Qui  tout  atirc  dans  son  poin  ; 

Chenu  de  meurs,  jeune  de  force. 

Ami  d'épreuve,  <iui  s'elïoi-ce 

Secourir  les  siens  au  besoin. 

(Blancheniain,  II,  116). 
—  Baïf  lui  adresse  une  ode  au  liv.  III  des  Passetems  (IV,  348).  —  L'ode  de 
Baïf  et  la  3=  pièce  de  du  Bellay  caractérisent  assez  nettement  la  manière  de 
ce  poète,  dont  il  ne  reste  aujourd'hui  qu'un  spécimen,  imprimé  dans  les 
œuvres  de  Bonsard,  les  Dilhjrautbes  recitez  à  la  pompe  de  bouc  de  Jodelle 
(Blanchemain,  VI,  377.  —  Marty  Laveaux,  Appendice  de  la  Pléiade,  I,  48).  - 
Sur  Bertrand  Bergier,  v.  Dreux  du  Badier,  Bibl.  hist.  et  crit.  du  Poitou,  II, 
101.  L'auteur  s'appuie  sur  du  Bellay,  mais  il  se  trompe  en  voyant  dans  ses 
vers  des  intentions  satiriques. 


48  JOAGHIM    DV    BELLAY 

raccumulation  des  néologismes  et  des  mots  composés,  la 
recherche  exagérée  de  Iharmouie  imitative.  Un  troisième, 
Guy  Pacate  '.  qui  se  poussa  dans  les  fonctions  ecclésiastiques 
et  devint  i)rieur  de  Sougé,  se  distinguait  surtout  dans  la 
poésie  latine.  Quant  aux  autres,  Abel  de  la  Hm'teloire  %  René 
d'Urvoy  ',  Claude  de  Lignery  ',  Pierre  des  Mireurs  %  Ange 
Capel  %  et  cet  obscur  Lalan  dont  on  ignore  jusqu'au  prénom, 
qui  s'en  souvient  ?  Voilà  pourtant  les  compagnons  auxquels 
Ronsard  et  du  Bellay  dédièrent  quelques-unes  de  leurs  pre- 
mières odes  :  voilà  ceux  qui  composèrent,  avec  eux  et  Baïf, 
la  Brigade  primitive.  Plus  tard,  lorsque  Ronsard  et  du  Bellay, 
bientôt  suivis  de  Baïf,  eurent  fait  leur  trouée  et  que  le  succès 
couronna  leurs  cllbrts,  on  dédaigna  quelque  peu  ces  camarades 
de  la  première  heure.  De  nouveaux  venus  étaient  entrés  dans 
le  cénacle,  Etienne  Jodelle,  Rémy  Belleau.  d'autres  encore.  Le 
nom  de  Brigade  apparut  Jjien  humble  et  bien  terne.  Ronsard 
chercha   mieux   pour    (|ualilîcr    ceux    qui  s'étaient  tirés    du  pair. 


'  La  Cruix  du  Muiai-  lui  consacre  un  article  (I,  302)  :  «  11  ctoit  si  bien 
versé,  dit- il,  en  plusieurs  arts  et  bonnes  disciplines,  et  surtout  en  la  Poésie 
Latine,  qu'il  a  été  admiré  de  son  temps  pour  ses  doctes  compositions,  et 
(irincipalement  de  Ronsard,  Prince  des  Poètes  François,  son  plus  grand 
ami.  »  En  IodO,  llonsard  lui  dédie  la  7"  ode  du  livre  IV,  f°  117  v \  (Blanche- 
main,  II,  253). 

-  En  looO,  llonsard  lui  dédie  l'oik-  li  du  li^•.  II.  ["  Sj  V.  iBlanuliemain,  II, 
lijOj    Plus  tard,  il  ladresse  à  Dorât. 

'  En  loi9,  du  Bellay  lui  dédie  son  ode  3,  Les  louanges  d'Amour  (1,  180). 
—  En  1550,  Ronsard  lui  dédie  l'ode  17  du  livre  1\ ,  1"  133  v  '.  (Blanchemain,  II, 
433). 

*  En  ['m2,  Ronsard,  publiant  à  la  suite  de  ses  Amours  (Bibl.  d'Orléans, 
D.  1505)  le  V'  livre  de  ses  Odes,  dédie  à  Lignery  la  10'  de  ces  Odes,  p.  203. 
(Blanchemain,  II,  335). 

■''  Pierre  des  Mireurs  (Petrus  Miraiius),  médecin,  a  collaboré  par  des  vers 
latins  au  Tombeau  de  Marguerite  de  Navarre  (1551) .  11  avait  pour  devise  : 
Ignoti  nulla  cupide.  —  V.  sa  lettre  à  Morel,  à  propos  des  Folastries  de 
Ronsard  (1553j,  publ.  par  M.  de  Nolliac,  Ilei>.  d'hist.  litt.  de  la  France,  1899, 
p.  350-300. 

''  Ange  Capel,  sieur  du  Luat,  a  traduit  divers  ouvrages  de  Séuèque  et  de 
Tacite.  Cf.  La  Croix  du  Maine  (1,  23)  et  du  Verdier  (I,  79). 


LE   COLLÈGE    DE    COQL'EKEÏ  49 

Il  évoqua    ses    souvenirs,    se    rappela    tout   à    coup    Alcxandi'ic, 
découvrit   la  Pléiade  \ 


III 


Quelle  éducation  les  poètes  de  la  Pléiade  ont-ils  reçue  au 
Collège  de  Coqueret  ?  Dans  quel  sens  Doiat,  leur  maître, 
a-t-il  dirigé  leur  intelligence  ?  Ces  questions  générales  se 
posent  à  propos  de  du  Bellay  d'une  manière  impcM-icuse.  Ce 
n'est  pas  seulement  parce  que  les  leçons  de  Dorât,  en  for- 
mant son  esprit,  ont  inllué  sur  son  œuvre  de  poète,  mais 
encore  parce  que  Joachini  sest  l'ait  dans  la  Deffencc  le  porte- 
parole  du  groupe  tout  entier,  et  que  les  idées  de  ce  mani- 
feste sont  avant  tout  l'expression  de  la  culture  intellectuelle 
dont  Coqueret  fut  le  théâtre.  Faire  un  tableau  complet, 
exact  de  ces  études  est  une  tâche  des  moins  faciles.  Les 
données  de  Binet  et  des  autres  biographes  de  l'époque  ne  four- 
nissent qu'une  lumière  insuliisante.  Force  est  donc,  pour 
résoudre  le    problème,    d'employer    une   méthode   plus    directe, 

'  Ce  terme  de  Pléiade  est  bien  de  Ronsard  :  «  Il  me  souvient,  écril-il  en 
to64,  d'avoir  autrefois  accomparé  sept  ijoëles  de  mon  temps  à  la  splendeur 
des  sept  estoilles  de  la  Pléiade,  eonime  autrefois  on  a  voit  l'ait  des  sept  excel- 
lens  poètes  Grecs  qui  florissoient  presque  d'un  mesme  temps.  ))(Blanelieniain, 
VII,  147).  Cf.  ce  que  dit  Binet  dans  sa  Vie  de  Ronsard  (texte  de  lo97,  p.  163i. 
—  Peut-on  marquer  à  quelle  é])oque  lionsard  imagina  la  Pléiade  ?  Approxi- 
mativement. Le  terme  de  brigade,  (\\ii  se  lit  deux  fois  dans  les  Bacclianal.es 
de  1349  (VI,  359  et  372),  est  encore  en  usage  en  lo52,  lors  de  la  fête  du  bouc  de 
Jodelle  (cf.  Honsard,  VI,  382  et  VII,  111)  D'autre  part,  en  1336,  dans  VELégie 
à  Chretophle  de  Choiseul,  abbé  de  Mureaiix,  que  Ronsard  mit  en  tète  de 
l'Anacréon  de  R.  Belleau,  voici  comment  il  salue  l'entrée  de  Belleau  dans  le 
groupe  : 

...Belleau.  qui  vins  en  la  briirade 
Des  bons,  pour  accomplir  la  septième  Pléiade. 

(Blanchemain,  VI,  202). 
C'est  donc  entre  1332  et  1336  que  la  Pléiade  s  est  substituée  à  la  Brigade. 
Il  faut  renoncer  à  l'idée  courante  qui  nous  montre  la  Pléiade  constituée  dès 
i;i49.  Le  groupe  primitif  se  compose  uniquement  de  Dorât,  du  Bellay,  Ron- 
sard et  Haïf.  Néanmoins,  dans  l'exposé  qui  va  suivre,  j'emploierai  souvent 
le  mot  de  Pléiade  pour  désigner  d'une  façon  générale  l'école  nouvelle. 

Univ.  de  Liite.  Tome  VIII.  A.  4 


oO  JOACHIM    DU    BELLAV 

mais  aussi  plus  délicate  :  il  faudra  s'adresser  aux  poètes 
eux-mêmes,  chercher  à  travers  leurs  premiers  recueils  la  trace 
immédiate  des   leçons   du  maître. 

Ce  maître,  on  sait  quel  vivant  souvenir,  fait  à  la  fois  de 
reconnaissance  et  d'admiration,  il  a  laissé  dans  Tàme  de  tous 
ceux  (|ui  furent  ses  élèves,  et  le  nombre  en  fut  i^rand  de 
i547  *^  IÔ88  '  !  Binct  voit  en  lui  ((  la  source  qui  a  abbreuvé 
tous  nos  Poètes  des  caués  Pieriennes  '  »,  et  Belleforest  s'écrie 
sur  le  ton  lyrique  :  ((  Entre  tant  d'hommes  excellents  qui 
sont  sortis  de  la  ville  de  Limoj^es,  je  ne  peux  taire  ny 
omettre  cet  Homère  (lauloys  et  Piudare  Grec-Latin.  Jean 
Dorât,  le  plus  rare  et  subtil  esprit  poëtic  de  nostre  siècle — 
pour  ce  qu'il  est  comme  un  fanal  posé  à  la  veûe  de  ceux 
qui  taschent  de  visiter  l'oracle  plus  secret  des  Muses,  et 
(jue  je  ne  sçay  si  nostre  siècle  en  verra  im  send>lable,  puisque 
avant  luy  dès  les  anciens  siècles  on  n'en  sçache  qui 
Payent  devancé  en  stile  ny  érudition  '  ».  Povu'  être  moins 
liai'dis  peut-être  en  métaphores,  les  hommages  que  lui  rend 
la  Pléiade  ne  sont  ni  moins  émus  ni  moins  sincères.  Dès 
i.")5o.  Ronsard,  dans  une  t)de,  lui  renvoie  tout  Phonneur  de 
sa  gloire   naissante  : 

Si  j'ai   tlu    l)ruit,    il    n  est   mien   ; 
Je  le  confesse   estre   tien, 


'  .     Docui  inullos  Gnioce  atque  Latine 

l'raïuica  ri  exlenia  de  rcj^ionc  procul, 
(lil  il  (le  lui  iiième  (Poematia,  IliSli  :  Epigr.  lib.  I,  p    .S). 
-  Texte  de  loi)",  p.  121. 

■'  (Josmograpfne   universelle,    tiJT.o,    t.    I,    eol.-'^l.'î.    —    Citons    encore   ee 
t('inoii;na<!:e  de  (.1.  Gaueliet  : 

.Je  ne  veux  pus.  Daurat,  (tloul  la   jjIuuu'  dorée 

Sera  île  nos  suivants  à  Jamais  honorée). 

Me  mettre  au.x  cliamps  sans  toy  :  toy  qui  de  docte  uuiin 

Latin.  Grec  et  François,  as  trassé  le  chemin 

A  tant  de  bons  esprits,  qui  Conl  voir  par  la  France 

Le  (Viii(  l  (pTils  ont  porté  de  ta  docte  semence. 

Le  plaisir  des  clianips,  Paris,   ['68'.i.  Liv.  1,  i».  (j. 


LE    COLLÈGE    DE   GOQUERET  51 

Dt)ul   la    st'ienco   hautaine 
Tout  altéré    me    Ireuva, 
Et  bien  jennc   m'abreuva 
De   l'une    et  l'autre  Ibntaine  '. 

Ce  même  sentiment  d'afTeetueuse  gratitude,  si  [jrol'ond  iliez 
Ronsard,  on  le  retrouve  ehez  liaïC  et  du  Bellay  ".  Peu  de 
maîtres   eurent   à  ce  point   le  c(eur   de  leurs    élèves. 

Quelle  était,  en  matière  d'enseignement,  la  méthode  de 
Dorât  ?  Une  phrase  de  Binet  nous  l'indique  :  «  Et  n'est  à 
omettre  en  cet  endroit,  écrit-il  à  propos  de  Ronsard,  que  Dorât 
par  un  artifice  nouveau  luy  apprenoit  la  langue  Latine  par  la 
Grecque  '  ».  On  voudrait  des  détails  plus  précis,  mais  Binet 
sur  certains  points  est  d'un  laconisme  désolant.  Que  faut-il 
entendre  par  cet  (t  artifice  nouveau  »  ?  Ceci,  je  crois  :  Dorât, 
faisant  du  grec  le  principe  et  la  base  de  son  enseignement, 
ne  perdait  aucune  occasion  de  faire  avec  le  latin  d'utiles  et 
féconds  rapprochements.  Même  avant  io4",  Ronsard,  du  Bellay, 
Baïf  avaient  du  latin  celte  connaissance  élémentaire  que  pos- 
sédaient alors  tous  les  écoliers  ;  mais  il  leur  manquait  la 
culture  supérieure.  Quant  au  grec,  si  Baïf,  fds  d'un  helléniste, 
élevé  dès  son  jeune  âge  par  des  hellénistes,  Ange  Vergèce  et 
Jacques  Toussaint,  le  savait,  pour  ainsi  dire  de  naissance,  il 
n'en  était  pas  de  même  de  ses  deux  amis  :  Ronsard  lavait 
commencé  seulement  en  i544i  dans  la  maison  des  Fossés-Saint- 
Victor,  lors([u  il  fréquentait  chez  Lazare  de  Baïf.  et  du  Bellay, 
suivant  toute  ap})arence,  n'en  savait  pas  le  pz^emier  mot  lors- 
qu'il  débarqua   de    Poitiers.    C'est  donc,   semble-t-il,   de   ce    côté 

^  Edit.  orig.,  liv.  I,  ode  14,  f"  ii6  r".  (Blancheuiaiu,  II.  4ii))  —  V.  encore 
dans  Ronsard  dautres  hommages  à  Dorât,  I,  V.%:  II,  108;  111,  373:  IV.  32; 
V,  19U  et  213. 

-  Je  ne  puis  songer  à  citer  tous  les  textes,  ^'oici  du  moins  les  références 
essentielles  :  du  Bellay.  Musagn.  (I,  146),  Poemala  (i'  "  10  a  et  31  vj,  Xenia 
(fo  12  r).  _  Bail',  1.  fi  :  11,  KiO;  IV,  418. 

»  Texte  de  IjStl,  p.  10. 


52  JOACHIM    DU    BELLAY 

que  Dorât  dut  surtout  porter  ses  efforts.  Mais  il  trouva  dans 
l'enseignement  de  la  langue  grecque  un  point  d'appui  solide 
pour  asseoir  une  culture  latine  supérieure  et  inculquer  à  ses 
élèves,  d'une  manière  plus  intelligente,  plus  rationnelle,  les 
secrets  de  l'idiome  si  bien  manié  par  Gicéron  et  par  Virgile, 
Que  valait  il  comme  philologue  ?  Si  l'on  en  croit  Scali- 
ger  '.  il  (Hait  avec  Cujas  le  plus  judicieux  critique  da  siècle, 
le  plus  habile  à  corriger  et  rétablir  le  texte  des  auteurs. 
Sainte-Marthe  n'est  pas  moins  élogieux  :  a  Et  summa  erudi- 
tione  et  acerrima  conjectura  praestans  optimi  quoque  critici 
laudem  (juotidie  mereljutur  "  ».  Xous  sommes,  il  est  vrai, 
mal  à  Taise  pour  vérifier  si  ces  éloges  sont  mérités  :  Dorât 
n'a  pas  laissé,  comme  Tnrnèbe,  Lambin  ou  Miu^et,  de  travaux 
critiques,  qui  nous  permettent  d'apprécier  ses  qualités  de  philo- 
logue. Son  humanisme  fut  tout  oral.  Mais  il  n'est  pas  douteux 
qu'ayant  affaire  à  des  novices  —  en  grec,  s'entend  —  il  n'ait 
donné  à  la  partie  grammaticale  une  place  importante.  Je 
verrais  volontiers  les  traces  d'une  leçon  de  Dorât  dans  cette 
page  de  la  Deffence  où  du  Bellay  s  ingénie  à  distinguer  le 
mot  i'jOfxoç  de  ses  synonymes  gi'ecs  '.  Au  surplus,  c'est  moins 
par  sa  science  philologique  que  par  son  goût  littéraire  qu'il 
a  formé  les  poètes  de  la  Pléiade.  A  ce  titre,  il  est  responsable 
du  sens  dans  lequel  il  a  dirigé  leurs  études  et  des  modèles 
qu'il  a  proposés  à  leur  admiration.  Laissons  donc  le  savant 
et  vovons    le   lettré. 


IV 


Quoiqu'il  ait  fait  encore  plus  de  vers  latins  que  de  vers  grecs, 
Dorât    fut    surtout    un    helléniste.    Il   possédait    le  grec  à   fond, 

*  l'rifita  Scalif^erana,  p.  2.0,  édit.  d'Amsterdam,   1740. 
-  ELogia  (lo9Si,  nri.  loannes  Aiirattis,  p.  <S"-88. 
'  Édit.  Porson,  p.  i'M.  , 


LE   COLLÈGK    DE   COQUEHKT  li'.\ 

nous  (lit  un  de  ses  biographes,  l*apii'e  Musson  :  h  Laiideiii 
ipse  sibi  peperit  ex  cogaitione  linj,''uae  gi'aecae,  quain  o/jliine 
novefdt  '  ».  Il  nourrissait  pour  les  génies  de  la  Clrèce  une 
admiration  sans  réserve,  el  nalurellemenl  il  lit  partaofcr  son 
enthousiasme  à   ses  jeunes  disciples. 

Ce  n'est  pas  trop  hasarder,  je  crois,  cpie  de  prétendre 
qu'il  leur  révéla  l'antiquité  grecque  à  peu  près  tout  entière. 
Avec  cette  ferveur  des  humanistes  de  la  Renaissance  qui  ne 
veulent  rien  sacrifier,  il  ne  leur  épargna  même  pas  Tzetzès  '. 
Sa  curiosité,  comme  celle  de  ses  élèves,  était  insatiable  '.  Ce 
n'est  pas  à  dire  pourtant  qu'il  se  soit  arrêté  sur  tout  égale- 
ment. Qu'il  ait  suivi  ses  goûts  personnels  ou  qu'il  ait  deviné 
les  secrètes  préférences  de  ceux  qu'il  enseignait,  il  fit  aux 
poètes  la  part  plus  large  qu'aux  prosateurs.  Parmi  ceux-ci, 
c'est  Platon  de  beaucoup  que  la  Pléiade  connaît  le  mieux,  et 
Platon  n'est-il  pas  un  poète  ?  Elle  a  lu  ces  poèmes  admirables 
qu'on  appelle  le  Phèdre  et  le  Banquet  *  ;  elle  s'est  laissé 
séduire  à   la  théorie  des    Idées  '  :    elle  a  puisé   dans   Y  Ion   cette 

'  Pap.  Masson,  ELogia,  II,  288.  —  Gandar,  dans  sa  thèse  sur  Ronsard, 
apporte  quelques  restrictions  à  l'éloge  :  a  Personne  n'a  plus  fait  que  Daurat 
pour  répandre  la  connaissance  et  le  goût  de  la  poésie  grecque  ;  mais  rien  ne 
prouve  qu'il  eût  autant  de  goùl  que  de  zèle,  ni  cette  connaissance  exacte  de 
la  langue  qui  distingue  Budé  parmi  ses  maîtres  et  Turnèbe  parmi  ses 
rivaux  »  (p.   SI). 

-  Deffence,  p    136. 

3  «  Ronsardus,  doctore  usus  in  Graecis  et  in  Latinis  literis  Aurato,  ex 
aureis  divini  illiiis  hominis  fonlibus  tantiim  hausit  quantum  si  non  ad  satie- 
tatem,  sallern  ad  saturilatem  nitientissirno  cnivis  homini  paierai  satisfacere. 
Nec  enini  in  antiquis  Graecoruni  aut  Latinorum  nionumentis  quid  laiii  abdi- 
tum  et  reconditum  latet,  quod  ille  non  perquisierit,  nullus  solertioris  ali- 
cujus  interpretis  Graeci  locus,  nuUa  i)aulo  venustior  extat  fabella,  (juain  ille 
non  annotarit  et  expresserit.  »  Georg.  Crittonil  Laudatio  funebrin  habila  in 
exsequiis  Pétri  Ronsardl  apud  Hecodianos,  p.  .j.  Paris,  i.'iSlj. 

'  Souvenirs  du  Phèdre  :  du  Bellay,  Olive,  s.  iii  et  113.  —  Souvenirs  du 
fianquel  :  Ronsard,  IV,  320  321  (théorie  d'Aristophane)  et  IV,  373  (théorie  de 
Diotinie).  Cette  dernière  pièce  fait  partie  des  Meslanges  de  i'6'6'6,  f"  8  r». 
(Bibl.  Nat.  —  Rés.  pY'.  123). 

'  Deffence,  p.  93  et  100.  —  La  théorie  de  la  réminiscence  est  résumée  par 
Ronsard  dans  une  ode  à  Denis  Lambin,  édit.  de  IodO,  liv.  111,  ode  7,  f"  81  r». 
(Blanchemain,  II,  208). 


54  JOACHI.M    DU    BELLAY 

conception  si  haute  et  si  belle  que  la  poésie  n'est  pas  un  art 
humain,  mais  un  don  céleste,  une  divine  inspiration  qui,  par 
les  anneaux  d'une  chaîne  mystérieuse,  ravit  les  hommes  à  Dieu  '. 
C'est  au  commerce  de  Platon,  ce  pur  artiste,  qu'elle  doit  en 
partie  la  tendance  esthétique  qui  domine  son  œuvre  tout 
entière.  —  Après  Platon,  c'est  Plutarque  qui  semble  avoir 
été  son  prosateur  de  prédilection.  La  Deffence  contient  mainte 
anecdote  qui  vient  en  droite  ligne  des  Vies  parallèles  ou  des 
Œuvres  morales  ".  —  En  dehors  de  là,  je  relève  bien  dans  la 
Deffence  de  vagues  allusions  aux  harangues  de  Thucydide,  à 
la  Poétique  d'Aristote,  aux  discours  de  Démosthène,  aux 
dialogues  de  Lucien  :  ce  n'est  pas  assez  pour  conclure  que  la 
Pléiade    les   a  beaucoup  pratiqués. 

Quant  aux  poètes,  Dorât  les  a  fait  lire  ou  les  a  lus  lui- 
même  à  ses  élèves  avec  une  passion  manifeste.  Épiques  et 
lyriques,  tragiques  et  comiques,  jusqu'aux  auteurs  d'élégies  et 
d'idylles,  tous,  depuis  Homère  jusqu'à  Tliéocrite,  ont  été  par 
lui  déchiffrés,  expliqués,  commentés.  Il  donnait  sur  le  texte 
tous  les  éclaircissements,  et  ses  élèves  après  lui  s'efforçaient 
à  le  traduire  tantôt  eu  latin,  tantôt  en  français  '\  Ils  se  pré- 
paraient par  ces  exercices  à  limitation  plus  indépendante 
qu'ils   devaient  un  joui'  poser  en  principe. 

Quels  qu'aient  été  ses  mérites  dans  cette  initiation  de  la 
jeune    Pléiade    à    l'antiquité    grecque,    on    peut    faire    à    Dorât 

'  Ronsard,  Ode  à  Michel  de  L'Hospital  (il.  8^-85).  Celle  ode  fui  publiée 
pour  la  première  fois  en  loi')2,  dans  le  V'  livre  des  Odes,  p.  170,  à  la  suilc 
des  Amours  (Bibl.  d'C^rléans,  D.  loO;;).  —  L' Ion  avait  élé  traduil  en  français 
par  Riciiard  Le  Blane  (1;)4())  :  dans  une  curieuse  épitre  liminaire,  le  traduc- 
teur soutient  après  Platon  que  «  poésie  est  un  don  de  Dieu  ;>.  Sur  ce  point, 
V.  A.  Lefranc,  Rev.  d'hist.  lilt.  de  la  France,  1896,  p.  37-39. 

-  Deffence,  p.  33,  70,  77.  80,  104,  123,  l.')3,  1.36. 

'  Lazare  de  Baïf,  dédiant  à  François  I"  sa  traduction  en  vers  français  de 
VHécube  d'Euripide,  lui  raconte  qu'il  eut  l'idée  de  ce  travail  en  voyant  une 
traduction  latine  littérale  que  «  ses  en/ans  »  (Baïf  et  Ronsard)  avaient  faite 
de  celle  tragédie  d'après  les  commentaires  de  leur  précepteur  Dorai. Ce  texte 
curieux  et  peu  connu  est  cité  par  Fremy,  L'Académie  des  derniers  Valois, 
p.  13-16. 


LE    COT.LEGF,    DE   COQUERF.T  lilî 

deux  reproches  assez  graves,  et  cela  sullit  pour  qu'où  ail  le 
droit  de  suspecter  sou  goùl  el  sa  ci'iti([ue.  Il  eut  d'abord  le 
tort  d'attirer  spécialeuieut  ses  élèves  vers  les  parties  les  plus 
ardues  de  la  poésie  greeijue.  (^)ue  leur  lit-il  de  préférence  ? 
C'est  Aristophane  '  ,  c'est  Eschyle  \  c'est  Piiidare.  Ictus 
auteurs  diniciles  à  coup  sur,  et  qu'on  n'entend  point  sans  de 
rudes  ellbrts.  Pindare  surtout,  encore  ignoré,  Piiulare,  dont 
il  n'existait  qu'un  texte  douteux  et  mal  étal)li  ',  voilà  son 
dieu  !  Moins  timoré  (|u'Horace,  il  osa  l'imiter,  façonuaul  en 
latin  des  odes  pindariques  "*  !  (^uoi  d'étonnant  après  cela  que 
son  meilleur  disciple  en  ait  fait  de  françaises  !  Si  la  IMéiade, 
à  force  de  pâlir  sur  des  textes  obscurs,  a  trop  souvent  jugé 
de  la  valeur  des  œuvres  par  la  peine  qu'elle  s'était  donnée 
pour  les  posséder,  c'est  à  Dorât  qu'il  faut  s'en  prendre  '. 
Mais  il  y  a  plus.  Pour  ai'dus  qu'ils  soient.  Aristophane, 
Eschyle  et  Pindare  sont  du  moins  tles  classiques,  et  l'on  ne 
risque  pas  de  puiser  dans  leurs  œuvres  le  mauvais  gont  des 
productions  de  décadence.  Mais  que  faut-il  penser,  lorsqu'on 
voit  Dorât  mettre  au  rang  des  classiques  les  alexandrins  ? 
Passe  encore  pour  Théocrite  :  celui-là  vraiment  était  un 
poète.  Mais  Dorât  ne  sut  pas  se  borner  aux  Idylles.  Dans 
son  culte  aveugle  pour  la  Grèce  entière,  il  découvrit  à  ses 
élèves  ApoUonios  et  Gallimaque,  Aratos  et  Méandre,  et 
jusqu'à   cet    énigmatique    Lycophron,    qu'il    aimait    sans    doute 

'  Un  des  premiers  essais  de  Ronsard  fut  une  traduction  du  Plutiis 
d'Aristophane  qui  fut  jouée  au  théâtre  du  Collège  de  Coqueret.  il  en  reste 
un  fragment,  retrouvé  dans  les  papiers  du  poète  après  sa  mort  (Blanche- 
main,  VII,  281). 

-  On  connaît  l'anecdote  de  Binet  sur  une  lecture  du  Prométhée. 

'  Sur  ce  point,  v.  Gandar.  op.  cit.,  p.  !S0. 

*  Sainte-Marthe,  art.  loanncs  Aiiratus  :  ((Neque  solum  in  lyricis  Horatium 
aemulabatur.  sed  etiam  ad  Pindari  numéros  Latinas  Odas  inusitata  i^cnustate 
effingebat.  n 

•  Faguet,  Seizième  siècle,  p.  207-208. 


36  JOACHIM    DU    BELLAY 

en  raison  même  de  son  obscurité  \  Tous  étaient  Grecs  : 
c'était  assez  pour  mériter  le  même  hommage.  Dans  ces  con- 
ditions, doit-on  trouver  étrange  que  la  Pléiade  n'ait  jamais 
bien    su    distinguer   d'Athènes   Alexandrie  *  ? 

Par  ce  manque  de  critique  dans  le  choix  des  modèles, 
Dorât  a  faussé  le  goût  de  ses  élèves.  Son  influence  explique 
certains  écarts  qui  ne  laissent  pas  au  premier  abord  de  nous 
étonner.  On  n'est  point  peu  surpi'is  par  exemple  de  rencon- 
trer dans  la  Deffence  la  moitié  d'un  chapitre  '  consacrée  à 
célébrer  lantique  noblesse  de  Vanagramme  et  de  V acrostiche. 
Eh  quoi  !  la  jeune  école  traitait  d'  ((  épisseries  »  les  ballades 
et  les  rondeaux,  chers  aux  vieux  rimeurs,  et  c'était  pour 
conseiller  aux  poètes  de  l'avenir  des  tours  de  force  de  cette 
espèce  !  La  belle  idée  !  —  Cette  idée.  Dorât  la  tenait  des 
anciens.  Il  savait  de  Tzetzès  que  Lycophron  s'était  rendu 
moins  célèbre  par  ses  vers  que  par  ses  anagrammes  ;  il  avait 
appris  d'Artémidore  que  les  anagrammes  donnaient  la  clef 
des  songes.  Et  quant  aux  acrostiches,  autre  invention 
grecque,  ils  se  recommandaient  d'Eusèbe  et  de  Saint- Augustin, 
de  Gicéron  et  de  Priscien.  N'était-ce  pas  là  des  titres  de 
noblesse  "  ? 


'  C'est  une  chose  curieuse  d'entendre  un  contemporain  qui  sij^ne  1,  M.  P. 
[Ican  Martin  Parisien?]  dans  sa  Brève  exposition  de  quelques  passages  du 
premier  livre  des  Odes  de  Pierre  de  Ronsard,  1550,  louer  Dorât,  a  homme 
de  sinjjfulier  jugement  et  de  parfaite  érudition  »,  d'avoir  «  démellé  les  plus 
desesi)ercs  passages  de  l'obscur  Lycophron,  que  nul  de  nostre  âge  n'aA'oit 
cncores  osé  dénouer  )).  F"  150  r",  à  la  iin  des  Odes  de  Ronsard. 

-  Voir  un  mémorable  exemple  de  celte  confusion  dans  l'Ode  à  Michel  de 
L'Hospitnl,  loo2.  (Blanchemain,  lî,  89).  Ronsard,  retraçant  l'histoire  de  la 
Poésie,  la  divise  en  trois  âges  :  les  poètes  divins,  les  pcètes  humains,  les 
poètes  romains.  Les  poètes  humains  comprennent,  dans  un  pêle-mêle  bizarre, 
les  grands  classiques  et  les  alexandi-ins. 

'  Liv.  II,  chap.  8,  p.  13(5. 

*  Dorât  s'était  fait  un  vrai  renom  par  ses  anagrammes  (Hobiquet,  op.  cit., 
cap.  IV,  p.  85  :  Aurali  anagrammala) .  Il  n'est  pas  vrai  pourtant  qu'il  les  ait 
inventés.  Comme  le  dit  du  Bellay,  c'était  une  chose  fort  vulgaire  en  notre 
langue.  Mais  il  les  fortifia  de  l'autorité  de  Lj'cophron  et  des  nombreux 
modèles  qu'il  en  donna.   Son   meilleur   est  celui  qu'il    lit   pour  Ronsard,  en 


LE   COLLKOI-:    I)K    COQirKin'.T  "(7 

Ne  soyons  pourtant  pas  ti'oj)  sévères.  Si  ce  IrUvr  iiiaii(|iia 
de  g"OÙt,  il  ne  manqua  pas  d'enthousiasme.  Il  srnlail  vive- 
ment, il  admirait  avec  chaleur  :  jjour  tout  dire,  il  avait  la 
i'oi.  Lorsqu'il  interprétait  ses  Grecs  aimés,  son  visas>e,  d'ordi- 
naire assez  déplaisant  et  quckpie  peu  rustique,  se  ti-ansligu- 
rait  ;  les  paroles  coulaient  de  sa  i)()uclie,  l'aciles  cl  vibrantes  ; 
il  devenait  éloquent  '.  11  taisait  passcsr  dans  l'âme  d(î  ceux 
qui  l'écoutaient  l'ardeur  passionnée  (jui  brûlait  la  sienne  ;  ses 
élèves,  charmés  et  ravis,  demem-aient  suspendus  à  ses 
lèvres  ".  On  conçoit  sans  peine  raclioii  sin^-ulière  qu'il  dut 
exercer  sur  des  jeunes  gens  enthousiastes,  eux  aussi,  très 
curieux  des  belles  clioses.  très  avides  de  s'instruire,  (l'est  une 
vérité    banale     aujourd'hui     (pie     la     Pléiade    —     au     moins     au 


transposant  IlîTpo;  'Po)vr7apoo;  en  —ii>;  6  TsoTravopo;.  Déjà  (Charles  Fonlainc 
avait  tiré  sa  devise  de  son  nom  par  anagramme  (fiante  le  françoU).  De  même 
lelian  Bouctiet  {Ha  bien  touché).  Nicolas  Denisot  se  faisait  appeler  Conte 
d'Atsinois.  Ni  du  Bellay  n  i  llons;M'd  n'ont  beaucoup  versé  dans  ce  travers  : 
c'est  déjà  trop  pourtant  qu'ils  aient  fait  —  et  cela  (circonstance  af><ïravante) 
sur  la  lin  de  leur  vie  —  l'un  l'anaj^ramme  du  président  Minard  (Antoniuf; 
Minarius  =  Natus  rima  Minois),  l'autre  celui  d'Hélène  de  Surgcres,  le  ré  [lilel] 
des  généreux.  Mais  Baif,  plus  alexandrin  (jue  ses  deux  amis,  a  volontiers 
pratiqué  l'anagramme  (I,  314;  IV,  262,  3^." J,  437)  comme  aussi  l'acrosticlie  (I, 
319;  IV,  22S  et  409).  —  Sur  ces  deux  jeux  d'esprit,  v.  les  Bigarrures  de  Tabou- 
rot  des  Accords,  chap.  ix  et  xv  (édit.  de  Rouen,  1640).  Dans  son  Art  Poétique 
(1597),  Pierre  de  Laudun  d  Aigaliers  leur  donne  encore  une  importance 
excessive.  Mais  Vauquelin  de  la  Frcsuaye,  dans  le  sien  (KÎO^J),  les  juge  à 
leur  valeur  : 

Je  ne  veux  toutesfois  qu'un  bon  esprit  se  liclie 
A  faire  un  Anagramme,  à  faire  une  Acrostiche 
D'un  travail  obstiné  :  ce  sont  fruicts  abortifs 
Dont  la  semence  vient  des  jtovres  iippienlifs. 

Liv.  I,  v.  379  sqq. 
'  Pap.  Masson,  II,  288  :  «  Ilomeruni,  Pindarum,  Lycoplironem,  et  caetera 
Graeciac  lumina  interpretabatur,  magna  industria  et  faciLLlale  dicendi,  larnetsi 
vullu  subrustico  et  insuavi  erat  ». 

-'  Jacques  Veillard  de  Chartres  dépeint  ainsi  l'impression  produite  sur 
Ronsard  par  l'éloquence  de  Dorât  :  «  Ut  jani  tum  Graecarum  artium  deside- 
rio  flagrabat  1  Ut  pendebat  ab  ore  doctoris,  cum  hic  Delius  Auratus  Aeschy- 
lum,  Pindarum,  Musacum,  Hesiodum,  hostes  antea  et  barbaro->,  primum 
Galliae  donabat,  quos  ille  tum  sic  avide  arripuit,  quasi  diulnrnam  sitim 
explere  cupiens  !  »  Pétri  Ronsardi  Pottae  Gallici  laudatio Junebris,  f"  14  r^ 
Paris,  l.'iSO,  in-4".  (Bibl.  Nat.  —  Lu-'T,  17.840). 


38  .lOACHIM    DU    BELLAY 

début  —  s'est  sentie  bien  plut(H  attirée  vers  la  Grèce  que 
vers  Kome.  Elle  a  délaissé  pour  un  temps  la  tradition  latine. 
Elle  n'a  pu  résister  à  l'éblouissenient  que  lui  causait  la  sou- 
daine révélation  des  génies  de  l'Hellade.  A  leur  pur  contact, 
elle  a  vu  rayonner  devant  ses  yeux  un  monde  supérieur  de 
poésie  et  de  beauté.  Séduite  et  confiante,  elle  a  rêvé  d'y 
pénétrer,  pour  y  ravir  l'art  idéal  et  le  rapporter  au  reste 
des  hommes.  Mais  ce  rêve,  aussi  grandiose  que  téméraire, 
c'est  l'âme   de   Dorât    (jui    la    rentlu   possible. 

Si  j'ai  tant  insisté  sur  le  caractère  de  cette  culture,  c'est 
pour  marquer  ce  qui  sépare  ici  du  Bellay  de  ses  amis.  Je 
ne  crois  pas  qu'il  l'ait  subie  au  même  degré  que  Baïf  ou 
Ronsard.  Nous  savons  tout  ce  (pii  manquait  à  son  instruc- 
tion première .  A  Poitiers  .  il  n'avait  réparé  ces  lacunes 
(ju'en  ])artie.  Lorsqu'il  vint  s'enfermer  à  Goqueret,  il  y  avait 
trois  ans  déjà  que  Ronsard  et  Baïf  faisaient  du  grec  sous 
la  direction  de  Dorât  :  ils  avaient  donc  une  forte  avance.  Si 
zélé  (pi'on  le  suppose  pour  se  mettre  au  pair,  —  et  malgré 
ce  ([u'on  sait  du  i)rodigieux  surmenage  intellectuel  que  ne 
redoutaienl  pas  les  écoliers  du  xvi^  siècle  *,  —  il  me  semble 
impossible  ([ue  du  Bellay  ait  pu  devenir,  en  si  peu  de  temps, 
un  sérieux  helléniste.  S'il  admira  Pindare,  ce  dut  être  de  con- 
fiance et  sur  le  dire  de  ses  amis.  Par  lui-même,  était  il  de 
taille  à  l'entendre  ?  Il  y  gagna  du  moins  de  s'épargner  cer- 
taines <M'reurs  où  les  autres  tombèrent.  Xon  <pie  je  veuille 
incriminer  les  (Irecs  et  les  rendre  responsables  des  méprises 
(le  Hoiisanl  ou  des  ridicules  de  Ba'if.  Mais  on  ne  peut  nier 
(jue  rinsullisance  de  sa  culture  grecque,  en  le  préservant  de 
l'alexandrinisHU',  n'ait  été  pour  du  Bellay  plutôt  heureuse,  et 
(pi'elle  n'ait  dans  \nie  certaine  mesure  sauvegardé  son  origi- 
nalité.   (]e    poète    naturel   et   facile  eut   l'admiration   des    Grecs 

'  L'éducation  de  Panla<jrutl  n'est  pas  un  pur  roman,  nu'ou  se  rappelle 
les  études  d'Henri  de  Mesmes  à  l'aris,  [)uis  à  Toulouse. 


LE    COLLÈGE    DE    COQUERET  o9 

sans  en  avoir  le  |)réjui^(''.  Son  i-oùt  nCul  pas  à  soud'rii-  d'un 
excès  (riiellénisnu;.  11  l'ut  le  seul  à  disting'nei'  Homère  de 
Lycophron  '.  A  l'école  de  Dorât,  ce  n'est  déjà  pas  un  si  mince 
mérite. 


Y 


En  même  temps  (|u'il  révélait  à  ses  élèves  les  génies  de 
la  Grèce,  Dorât  prit  soin  de  compléter  et  de  parfaire  leur 
connaissance   des  lettres   latines. 

Là  encore  les  poètes  obtinrent  la  préférence,  Horace  sur- 
tout, celui  des  Latins  que  la  Pléiade  a  le  mieux  connu,  le  mieux 
senti,  le  plus  aimé '.  —  Virgile  vient  ensuite,  le  doux  Virgile,  si 
Grec  par  tant  d'endroits,  et  dont  elle  a  goûté  l'iiilinie  perfection. 
Ronsard,  on  le  sait,  l'apprit  entièrement  par  cceur  ■,  et  lorsque 
du  Bellay  se  mêla  de  traduire,  il  alla  droit  à  Y  Enéide  '.  — 
Les  élégiaques,  Catulle,  Properce,  Tibulle,  Ovide,  ont  été 
beaucoup  lus  des  élèves  de  Dorât  '.  moins  imités  toutefois 
qu'on  ne  serait  tenté  de  le  croire  :  évidemment  Pétrarque 
leur  a  fait  tort.  —  La  Pléiade  a  de  même  pratiqué  Lucrèce  ", 
Martial  '   et  Stace  ',  sans  doute  aussi  Lucain  et  Juvénal,  quoique. 


'  Deffence,  p.  94-93. 

-  Les  imitations  d'Horace  ou  les  simples  réminiscences  sont  innombra- 
bles dans  les  premiers  écrits  de  la  Pléiade. 

'  Binet,  texte  de  1397,  p.  1i!l. 

*  Il  semble  que  les  Géorglques  aient  été  notamment  de  la  part  de  la 
Pléiade  à  ses  débuts  l'objet  d'un  culte  fervent.  Voici,  dans  les  premières 
œuvres,  quelques-unes  des  imitations  les  plus  typiques  :  Deffence,  p.  1.33, 
application  à  la  P'rance  du  fameux  éloge  de  l'Italie  (G.  II,  136).  Cf.  une  autre 
imitation  du  même  passage  dans  V Hymne  de  France  (1349)  de  Ronsard 
(V,  283).—  Du  Bellay,  dans  son  Chant  triiunphal  sur  le  voyage  de  Boulongne 
(I,  232-233),  imite  le  début  du  liv.  111  des  Géorgiqiies.  —  On  relève  dans  les 
Odes  de  Ronsard  quelques  souvenirs  du  poème  latin  :  ainsi  11,  119  =  G.  II, 
323.  Plus  tard,  dans  son  Orphée  (III,  423),  il  traduira  toute  une  partie  de 
l'épisode  d'Aristée  (G.  IV,  43o). 

''  Deffence,  p.  114.  — Ronsard,  I,  123. 

"   Deffence,  p.  73  et  93. 

'  Deffence,  p.   113  et  123. 

»  Du  Bellay,  II,  50. 


60  .lOACHIM    l)t'    BELLAY 

dans  ses  premières  œuvres,  je  ne  relève  de  ces  deux  écrivains 
aucun   souvenir  précis  '. 

Mais  Dorât  ne  se  borna  pas  aux  poètes  :  orateurs,  histo- 
riens et  critiques  Toccupèrent  également.  Il  entendait  ne  laisser 
rien  ignorer  à  ses  disciples.  Dans  ses  savantes  leçons,  cela 
va  sans  dire,  il  lit  à  Gicéron  une  place  d'honneur  ".  Mais 
Salluste  et  Tite-Live  ne  semblent  point  en  avoir  souffert  \  Il 
n'est  pas  juscpi'à  Pline  l'Ancien,  ((  personnaige  de  grand' 
renommée  »,  comme  l'appelle  la  Deffence  (p.  49)'  'I^^^  Dorât 
n'ait  l'ait  connaîti-e  à  ses  élèves,  en  raison,  j'imagine,  de  son 
caractère  encyclopédicjue  '' .  Et  je  me  tais  du  biographe  de 
Virgile,   le    grammairien  Claude   Donat  \ 

Surtout,  il  n'eut  garde  d'oublier  les  auteurs  d'ouvrages 
tecliniqnes  où  étaient  enseignées  Jcs  règles  de  l'éloquence  et 
de  la  poésie.  C'était  peu  d'iidinirer  l'art  antique  dans  ses 
])r()dui-li()ns  diverses  :  il  fallait  en  surprendre  les  secrets.  Où 
pouvait-on  les  mieux  saisir  qu'à  travers  ces  ouvrages,  dont 
l'objet  précisément  était  de  les  mettre  en  lumière  par  une 
critique  intelligente  et  judicieuse,  l'analyse  détaillée  des  beautés 
littéraires,  l'exposé  méthodique  des  règles  qui  se  dégageaient 
des    cliel's-d'dMn  re    eux-mêmes  ?    Les    traités    de     rhétorique     de 


'  Toutefois,  ((  celé  Grèce  menleresse  »  (Deffence,  p.  10^)  rappelle  le 
Graecia  inendax  de  Juvénal. 

-  Rien  que  dans  la  Deffence,  on  trouve  des  souvenirs  du  Pro  Miirena 
(p.  Sai,  du  Pro  Archia  (p.  123i,  du  De  Finibus  (p.  80  et  95),  des  Tiisciilunes 
(\>.  123),  ûv^  Académiques  (p.  i:56i,  du  De  Divinutione  (p.  137),  des  Lettres  d 
(Juintus  (p.  110  cl  IVO),  —  sans  parler  des  ouvrages  de  rhéloriquc. 

'  Deffence,  p.  120-121.  .\  noter  des  souvenirs  île  Sallusle,  p.  47,  54,  50.  De 
Tacite,  point  de  trace. 

"  Une  pensée  de  Pline  l'Ancien  semble  avoir  surtout  frappé  du  Bellay  : 
c'est  à  savoir  que  la  Nature  est  pour  l'homme  une  marâtre  plutôt  qu'une 
mère  (llist.  IVat  ,  VIT,  1)  :  on  la  retrouve  jusqu'à  cinq  fois  dans  son  œuvre 
(Deffence,  p.  49;  Otive,  s.  103;  Ode  au  Card.  du  Bellay  (II,  27);  Antiq.  de 
Home,  s.  9;  Hegrels,  s.  45)  Elle  est  encore  dans  Baïf,  Vie  des  C/jams  (11,30). 
Cf.  d'aulres  souvenirs  de  Pline  l'Ancien  dans  Ronsard,  Amours  de  Cas- 
sandre,  s.  138(1,79). 

'"  Deffence,  p.   123  el   li4;  2"  préf.  de  l'Olive  (I,  76). 


LK    COLLÈGE    1>E    COQUERET  (il 

Cicéron,  YArt  Poéliquc  d'IIoraci'.  Vln.s/itution  Oratoire  de 
Quinlilien,  autant  de  sources  où  Ion  pouvait  puiser  la  i)uro 
doctrine  classique.  11  en  découlait  toute  une  théorie  de  l'art 
d'écrire,  ccUc-là  même  qu'avaient  appliquée  les  grands  maîtres 
de  l'Antiquité.  Quoi  d'étonnant  ([ue  Dorai  ait  appelé  l'atten- 
tion de  ses  élèves  sur  des  ouvra<^es  de  celle  importance, 
qu'il  en  ait  fait  avec  eux  une  étude  minutieuse  ?  Il  sullit  de 
lire  la  Deffence  pour  voir  tout  ce  que  la  Pléiade  doit  à 
Cicéron  ' ,  Horace  "  et  Quintilien  '.  Principes  généraux  et 
préceptes  pai'ticuliers,  presque  tout  vient  de  là.  C'est  à  (hiin- 
tilien,  nous  le  verrons  bientôt,  qu'elle  empruntera  toute  la 
partie  fondamentale  de  sa  doctrine,  sa  théorie  de  l'imitation. 
Les  humanistes  italiens  et  français,  dont  la  Pléiade,  ton- 
jours  guidée  par  Dorât,  poursuivit  l'étude,  lui  furent  ici  d'un 
grand  secours.  Depuis  que  Pétrai'que  et  lîoccace  en  avaient 
donné  le  signal,  nombre  d'écrivains  s'étaient  enflammés  d'  ((  un 
amour  rétrospectif  de  l'Antiquité  '*  ».  L'humanisme,  parti 
d'Italie,  avait  peu  à  peu  gagné  le  reste  de  l'Europe.  Tout 
d'abord,  on  n'avait  pas  eu  d'autre  souci  que  de  bien  connaître 
et  de  bien  comprendre  les  œuvres  antiques  dans  leur  fond  et 
dans  leur  forme,  dans  leurs  idées  et  dans  leur  art.  Mais 
bientôt  l'admiration  qu'excitaient  ces  chefs-d'o'uvre  avait  fait 
naître  dans  les  esprits  un  désir  violent  de  les  imiter.  On 
avait  entrepris  de  copier  les  modèles  dans  la  langue  même 
des  modèles.  Les  uns  s'ingéniaient  à  n'user  dans  leur  prose 
que  d'expressions  employées  par  Cicéron  ;  les  autres  bâtissaient 
leurs   poèmes   des   hémistiches   de   Virgile  et   d'Horace,  Et  c'est 

'  Souvenirs  du  Bruius.  p  7.^  et  104;  du  De  Oratore,  p.  lUt).  134,  144;  de 
VOrator,  p.  100,  107,  122,  134,  144. 

-  Souvenirs  de  VArt  Poétique,  p.  66,  74,  lOi,  107,  MO,  112,  113,  114,  126, 
127,  148,  151,  152. 

'  Souvenirs  de  ïlnstiiution  Oratoire,  p.  70,  71,  72,75,  109,  111.  112,  116,  144. 

''  Faguei.  L'humanisme  français  au  xvT  siècle.  {Revue  Bleue,  17  jan- 
vier 1891). 


(i2  JOACHIM    DC   BELLAY 

ainsi  qu'était  éclose,  un  peu  partout  en  Europe,  une  littéra- 
ture néo-latine  qui  |)rétendait  renouer  la  tradition  brisée  par 
les  Barbares  et  faire  revivre  le  pur  idiome  dos  vieux  Romains. 

Cette  moderne  latinité,  la  Pléiade  s'en  nourrit  non  moins 
que  de  l'ancienne.  Non-seulement  elle  étudia  les  humanistes 
italiens  et  français  dont  les  travaux  philologiques  pouvaient 
léelairer  dans  la  connaissance  de  l'Antiquité  ',  mais  encore 
elle  pratiqua  la  plupart  des  écrivains,  prosateurs  ou  poètes, 
(jui  s'élaicnt  donné  pour  idéal  de  ressusciter  lart  antique 
dans  sa  l'orme  jtarfaitc.  KUc  n'ignora  ni  les  Cicéroniens,  comme 
Longueil  ou  Bend)o  -.  ni  ceux  qui,  comme  Erasme,  les  avaient 
condjaHiis  '.  Elle  n'ignora  pas  davantage  les  poètes  d'Italie  \ 
de  Hollande  et  de  France  ',  cpii  dépensaient  tout  leur  talent 
à  contrefaire  la  grâce  d'Horace,  l'enjouement  de  Catulle  ou 
Tesprit    d'Ovide  '. 

Ce  <{u"il  faut  bien  noter,  c'est  que  la  Pléiade  n'a  pas  eu 
moins  d'admiration  pour  ces  néo-latins  (pie  pour  ceux  qu'ils 
n'ont  fait  que  plagier.  Elle  a  mis  tout  le  monde  sur  un  pied 
d'égalité.    Les    préceptes   de    Vida    n'ont   pas    moins   de    valeur, 

'  Il  serait  hasardeux  de  vouloir  être  ici  troj)  précis.  Il  est  clair  pourtant 
qu'elle  en  connut  beaucoup,  à  commencer  par  Guill.  Budé,  le  plus  illustre 
de  tous. 

-  Deffence,  p.   lriS-i;i',t. 

'  Deffence,  p.  91  :  «  Que  pensent  tloncq'  faire  ces  reblanchisseurs  de 
murailles...  songeant  {comme  a  dict  quelqu'un)  des  Pères  conscriptz,  des 
(Consul/,,  des  Tribuns,  des  Comices,  et  toute  l'antique  Rome  »,  etc.  —  Ce 
quelqu'un  est  llrasme.  dans  son  Ciceronianus  (édit.  de  Leyde,  1703,  t.  1,  col. 
1017),  dont  du  Hellay  traduit  ici  tout  un  passage. 

'  l'ontanus,  Manille,  Sannazar,  Vida,  Fracastor,  etc. 

•  Jean  Second. 

'■  Salnion  Vlacrin,  Klienne  Dolel,  Tliéodore  de  Uèze,  etc. 

'  C'est  Ronsard  surtout  qui  pratiqua  les  poêles  latins  modernes,  princi- 
palement MaruUeelJ  Second.  11  imita  le  premier  dans  ses  Amours  (t.  I, 
p.  103,  104,  100,  \li,  17.3.  hSO,  108.  1W9.  iOÙ,  2()i,  i()7.  2\-2}  et  dans  ses  Hymnes 
II.  V,  p.  13,  138,  148,  i35.  ^40;.  V.  aussi  son  E/jUaphe  de  MarnUe  (\II,  ^38). 
Quant  au  voluptueu.x  auteur  des  Baisers,  il  lui  doit  quelques-unes  de  ses 
plus  Jolies  odeleltes  (t.  Il,  p.  141,  I  i.ï,  100,  410).  V.  1  éloge  de  J.  Second  i)ar 
Ronsard  (11,  340  341). 


LK   C.OLLKdK    1»K    COQUERET  (13 

iiux  yeux  de  du  Hcllay.  ([ne  les  conseils  (1(imm(''s  (1;iiis  VEpUrc 
aux  Pisons  '.  S'agit-il  de  lixci-  dcA  niodMcs  au  futur  cliautrc 
d'idylles  ?  Les  égloguos  nuu'ines  de  Sannazar  ligui'ent  à  côté 
des  églogues  rustiques  de  Théocrile  et  de  A'irgile  \  Dans  l'art 
délicat  des  ((  coulans  et  uiignars  heiulécasyllabes  »,  Catulle  a 
pour    rivaux    Poutaii    et    .Ican    Second  '. 

Si  cette  admiration  n"(''tait  guère  judicieuse,  clic  eut  du 
moins  cette  heureuse  conséquence  qu'elle  détourna  les  poètes 
de  la  Pléiade  d'engager  la  lutte  avec  tous  ces  Latins  dans  la 
langue  même  qu'ils  avaient  parlée.  Ils  se  rendirent  compte  qu'ils 
venaient  trop  tard,  ([uc  tout  était  fait  dans  cette  voie,  cpi'à 
moins  de  se  traîner  dans  les  chemins  battus,  il  fallait  tendre 
ailleurs  leurs  eflbrts.  C'était  folie  de  vouloir  siu'passer  des 
gens  qui  maniaient  si  bien  le  latin.  On  ])ouvait  prétendre 
peut-être  à  les  égaler,  mais  à  la  condition  de  tenter  1  aventure 
dans   sa  langue    maternelle. 

Voilà  la  culture  latine  que  la  Pléiade  a  reçue  de  Dorât. 
Elle  n'a  manqué  ni  d'étendue  ni  de  variété.  Joachim  la  subit 
bien  plus  fortement  que  la  grecque.  De  tous  les  disciples  du 
maître,  c'est  lui  qui  en  fut  le  plus  pénétré.  Ronsard  et  Bail" 
étaient  surtout  des  grecs  :  il  fut  latin.  Si  son  oeuvre  aujourd'hui, 
comparée  à  la  leur,  nous  apparaît  moins  étrangère,  moins 
éloignée  en  quelque  sorte  de  la  tradition  nationale,  n'en  aurions- 
nous    pas   dans  ce    t'ait   la  [)riuci{)ale   explication  ? 


VI 


La   Pléiade    a  toujours   regardé  la  littérature  italienne  comme 
une    troisième    littérature    classique.    Il    est    donc    juste,    après 

•  Deffence,  p.  139. 
-  Deffence,  p.  117. 
^  Deffence,  p.    118. 


04  JOACHIM    DU    BELLAY 

avoir  retrace  son  éducation  antique,  d'indiquer  ce  que  fut  sa 
culture  italienne,  ici  Dorât  est  hors  de  cause,  et  ses  élèves 
se  sont  formés  eux-mêmes,  sous  l'action  des  circonstances  et 
du  milieu.  l)e})uis  un  demi-siècle,  ïitaHanisnw  avait  peu  à  peu 
envahi  la  France.  Ce  n'était  pas  encore,  comme  sous  les  derniers 
Valois,  un  (léau  national  :  mais  c'était  déjà  cependant  une 
menace  pour  tout  ce  qui  était  français,  et  cette  mode  tenait 
à  la  C^our  trop  de  place  pour  ne  pas  rayonner  de  là  sur  le 
royaume  '. 

Bail",  (ils  d'une  Vénitienne,  avait  du  sang'  italien  dans  les 
veines,  et  l'on  peut  croire  que  son  père  n'épargna  rien  pour 
l'initier  de  façon  complète  aux  arts  de  l'Italie.  Ronsard  avait 
vécu  toute  une  année  à  la  cour  de  Piémont,  auprès  de  Langey: 
il  avait  respiré  l'air  de  la  péninsule.  Du  Bellay,  moins  heureux, 
semble  n'avoir  rien  su  des  lettres  italiennes  avant  son  entrée 
au  Collège  de  Cocjueret  :  ((  Je  m'adonnay,  lit-on  dans  la  seconde 
préface  de  l'Olive,  à  l'immitation  des  anciens  Latins,  et  des 
poètes  Italiens,  dont  J'c)'  entendu  ce  que  m'en  a  peu  apprendre 
la  communication  familière  de  mes  amis  »  (I,  72).  Plus  tard 
il  se  rattra|)a  :  son  long  séjour  à  Rome  lui  permit  de  pénétrer 
plus  avant  dans  les  secrets  de  la  langue.  Mais,  dès  i549, 
nous  le  verrons,  grâce  aux  leçons  qu'il  avait  reçues  de  ses 
camarades,  il  en  savait  assez  })()ur  comprendre  —  et  traduire 
au  besoin   en   français  —   Pétrarque    et   l'Arioste. 

Pétrarque  et  l'Arioste,  voilà  certes  les  deux  poètes  italiens 
que  la  Pléiade  a  le  ))lus  admirés,  ceux  dont  les  noms  repa- 
raissent fréquemment  dans  ses  écrits,  couverts  de  louanges  à 
l'égal  des  anciens  ■.  Mais  elle  en  a  lu  d'autres,  Boccace, 
Politicn,  Sannazar,  Bembo,  la  plupart  des  poètes  pétrarquistes 
du   XVI®   siècle  ;    elle   est    remontée   jusqu'au    vieux    Dante    Ali- 

'  Sur  ce  point,  v.  Bourcic/.,  Les  rnœurs  polies  et  la  lilléralare  de  cour  sous 
Henri  II,  liv.   III,  chap.   i.  p.  267. 

^  Voyez  iiolaiiiiiiciit  le  piissaji-c  fie  la  Deff'tnce  sur  l'Arioste.  j).  120. 


LK   COLLKGE    l>K    COQUKHKT  65 

ghieri,  «  le  triste  Florentin  "  »  ;  elle  est  descendue  jusqu'aux 
contemporains  tout  à  fait  immédiats,  comme  cet  Alamanni, 
qui  vivait  à  la  cour  du  roi  Très-Ciircticn  ■.  Elle  a  donc 
embrassé  le  chami)  complet  de  la  poésie  italienne.  Mais 
l'important  ici,  c'est  moins  de  savoir  l'étendue  de  ses  lectures 
que   l'impression   quelle   en  a   gardée. 

Ce  fut  celle  de  la  plus  vive  admiration.  Une  chose  la 
frappa,  la  puissante  valeur  esthétique  des  œuvres  italiennes. 
Depuis  deux  cent  cinquante  ans,  s'était  développée  de  l'autre 
côté  des  Alpes  une  littérature  très  remarquable,  où  le  sens  de 
la  beauté  s'exprimait  par  lart  le  plus  pur.  Dante  l'avait 
créée  dans  sa  Divine  Comédie,  faisant  du  toscan  la  vraie 
langue  nationale  ;  il  s'était  mis  tout  entier  dans  son  poème , 
avec  ses  ardeurs  généreuses  et  ses  colères  implacables,  peintre 
énergique  d'une  rude  époque  ;  mais  j^ar  sa  raideur  scolastique, 
par  son  abus  des  allégories  et  des  symboles,  par  ce  qu'il  y 
avait  de  tourmenté  dans  son  inspiration,  il  tenait  encore  trop 
à  l'ancienne  barbarie  pour  avoir  réalisé  pleinement  l'œuvre 
d'art  idéale,  toute  lumineuse  de  beauté  sereine.  Pétrarque  et 
Boccace  étaient  venus  ensuite,  qui  l'avaient  accomplie,  cette 
œuvre  d'art,  en  se  mettant  à  l'école  de  l'Antiquité.  La  finesse 
de  leur  sens  esthétique  leur  avait  révélé  le  charme  éternel 
des  livres  anciens  :  ils  avaient  saisi  le  rapport  logique  et  direct 
qui,  dans  ces  créations  merveilleuses,  unit  indissolublement 
l'idée  vraie  et  la  forme  belle,  et  prenant  les  anciens  pour 
modèles  et  pour  guides ,  ils  avaient  à  leur  tour  laissé  des 
œuvres  où  se  traduisait  d'une  manière  souveraine  toute  la 
puissance  de  leur   personnalité ,  leur  passion  de  la   gloire ,    leur 

'  L'expression  est  de  du  Bellay,  dans  un  sonnet  qui  eontient  un  souvenir 
du  chant  III  de  VEnJer  (II,  :i86).  Dante  est  cité  parmi  les  grands  auteurs 
italiens  dans  VUde  à  Madame  Marguerite,  D'escrire  en  sa  Langue  (1,  241;. 
—  Cf.  les  vers  de  Baïf  placés  en  tète  d'une  édition  du  traité  De  vuLgari 
eloquio  (Paris,  1577;  et  cités  par  Nisard,  t.  I,  p.  149-130. 

-  Deffence,  p.   132. 

Lniv.  de  Lille.  Tome  VIU.  A.  '6. 


()6  JÛACHIM    UU    BliLLAY 

amour  de  la  beauté  sous  toutes  ses  formes,  beauté  de  la  nature, 
beauté  de  lart  et  de  la  poésie,  beauté  de  la  femme,  —  en  un 
mot,  un  esprit  tout  nouveau,  tout  différent  du  Moyen  Age.  Il 
est  vrai  que  cette  renaissance  de  l'Antiquité ,  dont  ils  étaient 
les  promoteurs,  avait  failli  compromettre  un  instant  le  déve- 
loppement naturel  de  la  littérature  italienne.  L'humanisme  du 
xv«  siècle  avait  rêvé  d'asseoir  le  latin  triomphant  sur  les 
ruines  de  la  langue  nationale.  Mais  sa  tentative  avait  avorté: 
la  langue  toscane,  d'abord  vaincue,  avait  fini  par  avoir  gain 
de  cause  dans  ce  duel  dun  siècle  avec  la  langue  latine.  Les 
excès  mêmes  du  cicéronianisme  avaient  rendu  possible  sa  vic- 
toire, et  c'était  le  chef  des  cicéroniens  d'Italie,  13enibo,  qui  avait 
pris  à  cœur  de  faire  revivre  la  langue  de  Pétrarque.  Dès  lors, 
on  avait  cueilli  les  fruits  de  ce  long  connnerce  avec  les  an- 
ciens :  tandis  ([ue  l'idiome  maternel  devenait  l'objet  d'un  culte 
fervent,  toute  une  littérature  d'une  richesse  incroyable  et  d'une 
infinie  variété  s'épanouissait  dans  l'Italie  du  xvi^  siècle  :  le 
lyrisme,  la  satire,  la  pastorale,  le  théâtre,  l'épopée,  sans 
compter  les  formes  diverses  de  la  prose,  tous  ces  genres 
renouvelés  des  anciens  brillaient  d'un  vif  éclat.  C'était  comme 
une  résurrection  splendide  de  l'Antiquité,  mais  d'une  Antiquité 
devenue  nationale.  Le  spectacle  qu'ofirait  l'Italie,  toute  radieuse 
d'une  littérature  qui  réalisait  un  rêve  divin  d'art  et  de  beauté, 
était  bien  fait  pour  ravir  d'admiration  les  jeunes  enthousiastes 
du  Collège  de  Coqueret  et  les  navrer  d'envie ,  surtout  lors- 
qu'ils comparaient  à  tant  de  ti'ésors  l'indigence  littéraire  de 
leur  pays  natal. 


VII 


La  Pléiade,  oi\  le  sait,  a  fait  peu  de  cas  de  ses  devan- 
ciers. Mais,  pour  aificher  un  pareil  dédain,  qu'a-t-elle  connu 
d'eux  ?    En  quoi   consista  sa  culture  française  ? 


LK   GOLLKGK    DE   COgUEHKT  ()/ 

J'insisterai  peu  sur  les  [)rosatoui's.  Lu  Plriadi'  en  a  lu 
sans  doute  plus  qu'elle  n'en  mentionne  '  .  11  en  est  un  du 
moins  auquel  elle  doit  beaucoup  :  c'est  Rabelais.  Je  sais  bien 
que  Ronsard  ne  l'aimait  guère  %  mais  du  Bellay  ne  parlagcail 
pas  sur  ce  point  les  préventions  de  son  ami.  La  Dejfence 
salue  comme  un  précurseur  «  celuy  qui  l'ait  renaître  Aristo- 
phane et  faint  si  bien  le  nez  de  Lucian  '  »  (p.  109),  et  son 
auteur  n'a  jamais  négligé  l'occasion  de  rendre  hommage  à 
celui  qu'il  appelle  ((  l'utiledoux  Rabelais  »  et  ((  le  bon  Rabe- 
lais *  ».  11  se  peut  que  Ronsard,  très  féru  de  Pindare,  ait  goûté 
médiocrement  Gargantua  et  Pantagruel  :  peut-être  aussi, 
comme  on  l'a  prétendu,  son  antipathie  littéraire  venait-elle 
d'une  première  piqûre  d'amour-propre  \  Du  Rellay,  qui  n'avait 
pas  les  mêmes  raisons,  et  qui  d'ailleurs  aimait  à  rire,  savourait 
ce  roman  prodigieux  où  le  sel  attique  se  mêle  sans  cesse  à 
la  gauloiserie  la  plus  épicée.  Mais  Rabelais,  à  ses  yeux,  était 
autre   chose    qu'un    simple   rieur.  N'était-ce   pas  lui    qui    le   pre- 


*  Rabelais  mis  à  part,  je  ne  vois  guère  à  relever  clans  la  Deffence  que 
VOrateiir  /rançoj-n  d'Etienne  Doiet  (p.  96),  le  traité  de  Louis  Meigret  sur 
l'orthographe  (p.  1.33),  et ï Institution  du  Prince  de  Guillaume  Budé  (p.  100). 
Peut-être  faut-il  y  joindre  Commynes  :  voyez  dans  Ronsard  (Vil,  218)  la 
très  curieuse  EpUaphe  de  Coinrnynes,  qui  parut  dans  le  Bocai^e  de  liiyi, 
f"  15  v". 

-  Son  Epitaphe  de  Rabelais  (VII,  2.1',]},  qui  fait  également  partie  du 
Bocage,  {"  lU  v,  est  aussi  fausse  que  grossière.  —  Cf.  les  deux  courtes  épi- 
taphes  de  Baïf  dans  ses  Passetenis  (IV,  280  et  373). 

'  Aole  du  Quintil  :  «  Rabelais,  (jue  tu  ne  daignes  nommer  expressément, 
si  non  par  le  nom  d'Aristophane  ». 

'  V.  les  œuvres  de  du  Bellay,  I,  145  et  II,  .3o,  230,  410.  A  relever  surtout 
ce  passage  : 

Bien  que  ma  muse  petite 

Ce  doulx-ulile  n'immite. 

Qui  si  doctement  escrit. 

Ayant  premier  en  la  France 

Contre  la  sage  ignorance 

Faict  renaistre  Democrit. . .  (Il,  3o). 

'"  Rien  n'est  moins  svir  pourtant.  V.  Marty-Laveaux,  iVo^ice  sur  Ronsard, 

p.     XIX. 


68  JOACHIM    DU    BELLAY 

iiiier  chez  nous  s'était  moqué  de  l'ignorance  ?  Dans  cette 
restauration  des  lettres  antiques  dont  s'honorait  la  France, 
navait-il  pas  été  lun  des  ouvriers  de  la  première  heure?  Est-ce 
que  son  œuvre,  cette  étrange  et  bizarre  création,  n'attestait 
pas  une  connaissance  approfondie  de  l'Antiquité  ?  Chaque  page 
de  son  livre  ne  révélait-elle  pas  un  fervent  de  la  Grèce  et 
de  Rome  ?  Enfin,  n'avait-il  pas  travaillé  de  toutes  ses  forces 
à  l'illustration  de  sa  langue  maternelle  en  l'enrichissant  par 
tous  les  moyens  '  ?  Pour  ces  motifs,  du  Bellay  le  tenait  en 
singulière  vénération,  souscrivant  volontiers  à  l'opinion  des 
honunes  de  son  époque  qui  plaçaient  ce  contem'  au  nombre 
des   poètes  ". 

Poète,  il  l'était  davantage,  à  coup  sûr,  que  tous  les  rimeurs 
qui  pi'étendaient  à  ce  titre  et  qui  le  méritaient  si  peu.  Ce  qu'on 
appelait  la  poésie  française  semblait  à  la  Pléiade  bien  peu  de 
chose  auprès  de  la  poésie  antique  et  de  la  poésie  italienne. 
Ni  Ronsard  ni  du  Bellay  ni  Baïf  ne  se  sentaient  pour  elle 
beaucoup  de  goût.  A  vrai  dire,  ils  ignoraient  la  poésie  du 
Moyen  Age  ;  mais  l'eussent-ils  connue  qu'elle  les  eût  sans  nul 
doute  laissés  froids.  Tout  au  plus  pouvaient-ils,  à  travers  de 
modernes  traductions,  se  faire  une  vague  idée  des  vieux 
ron)ans  français  (Lancelot,  Tristan.  Gaiwain),  et  Ton  sait  de 
quel  ton  l'auteur  de  la  Dejfencc  traite  «  ceulx  qui  ne  s'em- 
ployent  (ju'à  orner  et  amplifier  notz  Romans,  et  en  font  des 
livres  certainement  en  beau  et  Ihiide  langaige,  mais  beaucoup 
plus  propre  à  bien  entretenir  Damoizelles  qu'à  doctement 
écrire  »  (p.  120).  Les  romans  étaient  chose  trop  frivole  pour 
celle    studieuse    jeunesse  '.    Ils    voyaient    pourtant    —    grâce    à 


'  Sur  ce  point,  v.  Marlj'-Laveaux,  Appendice  de  la  Pléiade,  I.  37. 

-  Marol.  Kpître  ol  (édit.  P.  Jannel,  I,  2iO).  —  Pasciuicr,  Recli.  de  la 
France,  \1,  ij. 

'  Rai)|)rochc'r  du  passage  de  la  Deffcnce  un  curieux  sonnet  de  Baïf  à 
Jacq.  Gohorry  (IV,  23t|,  et  la  non  moins  curieuse  préface  de  Jodelle  à 
['IliNtoire  Palladienne  de  Cl.  Colel  {Appendire  de  la  Pléiade,  II,  40G).  —  Du 


LE   COLLÈGE   DE    COQUERET  69 

l'Arioste  —  qu'il  y  avait  là  toute  uue  matière  é[)i([ue  '.  en 
même  temps  qu'ils  y  trouvaient  une  mine  abondante  en  vieux 
mots  expressifs  que,  dans  l'intérêt  de  notre  langue,  il  ne 
fallait   point  laisser   perdre  '. 

La  Pléiade  lait  coninieucer  la  poésie  française  au  Roman 
de  la  Rose  :  c'est  dire  qu'elle  ne  remonte  pas  beaucoup  au- 
delà  du  xiv<=  siècle.  Encore  l'a-t-elle  lu,  selon  toute  apparence, 
dans  le  texte  rajeuni  de  Marot.  On  sait  l'énorme  influence 
qu'exerça,  pendant  deux  siècles  et  demi,  sur  toute  la  littéra- 
ture cette  œuvre  singulière,  où  la  galanterie,  la  science,  la 
morale,  la  satire,  l'allégorie,  se  mêlent  de  façon  si  bizarre. 
Cette  œuvre,  que  la  Deffenee  a  respectée  «  comme  une  pre- 
mière imaige  de  la  Langue  Francoyse,  vénérable  pour  son 
antiquité  »  (p.  102),  l'action  s'en  est  fait  sentir  plus  qu'on  ne 
croit  sur  la  Pléiade.  Est-il  besoin  de  rappeler  le  sonnet  de 
Baïf  à  Charles  IX  '  ?  Ronsard,  aux  années  de  jeunesse,  en 
faisait  couramment  sa  lecture  *  ;  Bel-Accueil  et  Faux-Danger 
dansaient  la  carole,  dans  le  verger  d'amour,  avec  le  poète 
épris    de    Cassandre  '  ;    et   si,   dans    plusieurs    de    ses    œuvres, 


Bellay  ne  montrera  pas  toujours  ce  dédain  des  romans.  En  1552,  dans  une 
ode  à  des  Essars,  il  louera  hautement  Amadis.  V.  plus  loin,  chap.  x,  §  vi. 

'  Deffenee.  p.  120.  —  Ronsard,  III,  23. 

-  Deffenee.  p.  129.  —  Du  Bellay,  I,  337.  —  Ronsard,  III.  36. 

^  Au  livre  II  des  Passetems  (IV,  311).  —  V.  encore  Poënies  (II,  lUl)  : 
Baïf,  célébrant  la  vertu  d'Amour,  donne  au  Roman  de  la  Rose  une  place 
d'honneur  entre  les  élégies  des  Latins  et  les  chants  de  Pétrarque.  —  Ron- 
sard aussi,  dans  son  Ode  à  Peletier  (1347),  met  le  Roman  de  la  Rose  sur  le 
même  rang  que  Pétrarque  (II,  403). 

^  Binet,  texte  de  1397,  p.  121  :  «  Il  ne  laissoit  toutefois  d'avoir  tousjours 
en  main  quelque  Poète  François,  qu'il  lisoit  avec  jugement,  et  principale- 
ment (comme  luy-mesme  m'a  maintefois  raconté),  un  Jean  le  Maire  de 
Belges,  un  Romant  de  la  Rose  et  les  œuvres  de  Clément  Marot  ».  Les 
textes  de  1386  et  1387  ajoutent  Coquillart  («  les  œuvres  de  Coquillart  et  de 
Clément  Marot  »).  —  Cf.  Fa  guet,  Seizième  siècle,  p.  209  :  «  II  ne  faut  pas 
oublier  qu'à  titre  de  poème  érudit  et  qu'à  titre  de  poème  philosophique,  le 
Roman  de  la  Rose  n'a  pas  du  laisser  de  plaire  à  Ronsard,  qui  a  été  toujours 
un  poète  érudit  et  souvent  un  poète  philosophe,  n 

'  Amours  de  1552,  p.  73  (Blanchemain,  I,  93).  —  Cf.  Bourciez.  op.  cit., 
p.  223  sqq. 


70  JOACHIM   DU    BELLAY 

nous  relevons  chez  du  Bellay  certaine  tendance  à  l'allégorie, 
ne  serait-ce  point  qu'il  a  subi  comme  les  autres  le  charme  du 
vieux  roman  *  ? 

Kn  dehors  du  Roman  de  la  Rose,  quel  intérêt  pouvait 
oH'rir  à  la  Pléiade  la  poésie  des  xiv  et  xv«  siècles  ?  Les 
mystères  et  les  farces,  créations  populaires  sans  valeur 
artistique,  n'étaient  pas  faits  pour  la  séduire  ;  et  pouvait-elle 
bien  goûter  —  en  le  supposant  connu  d'elle  —  ce  lyrisme  didac- 
tique et  bourgeois,  qui  mêlait  à  l'expression  des  sentiments 
personnels  des  préoccupations  d'enseignement  et  d'édification  ; 
qui,  lorsqu'il  renonçait  aux  problèmes  de  métaphysique 
amoureuse  et  galante,  ressassait  des  questions  de  politique 
et  d'histoire,  des  lieux  communs  de  religion  et  de  morale  ; 
qui  contraignait  l'inspiration  en  l'emprisonnant  dans  le  moule 
étroit  des  poèmes  fixes,  ballades,  chants  royaux,  rondeaux, 
lais,  virelais  ?  ^'illon  lui-même,  d'une  si  franche  originalité. 
Villon  n'était  pas  son  auteur  :  il  sentait  vivement,  il  peignait 
fortement,  mais  il  était  trop  peuple.  Il  fallait  à  la  Pléiade 
des   poètes    moins  vulgaires. 

Estima-t-elle  davantage  cette  école  d'écrivains  qui,  sous  le 
nom  de  rhétoriqueurs  ^  avaient  illustré  la  seconde  moitié  du 
xve  siècle  et  le  premier  quart  du  xvi^  ?  Eux  du  moins  avaient 
fait  de  la  science  le  principe  de  leur  art  '  :  ils  avaient  eu 
très  vif  le  culte  de  l'antiquité  latine  et  s'étaient  inspirés  des 
fictions  mythologiques  ;  ils  avaient  tâché  d'enrichir  la  langue 
en    ornant    leur    prose    et    leurs     vers    d'une    foule    de  termes 

'  Ct'lte  influence  est  surtout  sensible  dans  ses  œuvres  de  début  ;  mais 
je  la  retrouve  même  plus  tard,  ainsi  dans  la  Métamorphose  dune  Rose 
(II,  398). 

-  Georges  Chastcllain,  Pierre  Micliault.  Olivier  de  la  Marelie,  Jean  Moli- 
nel,  Jean  Meschinol,  Guillaume  Crétin,  André  de  la  Vigne,  Jean  Marot, 
Oclavicn  de  Saint-Gelays,  etc. 

^  Jean  Marot  nous  apprend  qu'aux  yeux  de  la  reine  Anne  de  Bretagne, 
le  poète,  c'est  «  l'homme  savant,  recommandable  seulement  par  la  doctrine 
yssant  de  son  savoir.  »  G.  Plôtz,  Étude  sur  J.  du  Bellay,  p.  11. 


LK    COLLÈGE    DE    COQUERET  71 

nouveaux  iMii[)i'nutés  au  latin  ;  ils  avaient  voulu,  par  d'habiles 
combinaisons  de  rytlnues  et  de  riuies,  l'aire  de  la  poésie  une 
musique  naturelle.  Mais  c'était  une  idée  dangereuse  :  en  ajou- 
tant à  la  versification  déjà  très  compliquée  de  leurs  prédé- 
cesseurs de  nouvelles  entraves  par  la  création  de  formes  à  la 
fois  très  rigides  et  très  radinées,  par  la  l'echerche  des  factures 
savantes,  des  rythmes  laborieux  et  des  rimes  ultra-riches,  ils 
réduisaient  la  poésie  à  n'être  plus  qu'un  jeu  de  patience,  — 
pour  ne  pas  dire  un  tour  de  force,  —  dont  Tunique  mérite 
consistait  dans  la  difficulté  vaincue.  C'était  se  tromper  sur 
l'objet  de  l'art  que  lui  donner  pour  idéal  le  rare  au  lieu  du 
beau.  La  Pléiade  le  sentait,  et  son  ambition  rêvait  autre  chose 
que  des  couronnes  gagnées  dans  les  pii)'s  du  nord  de  la 
France  *. 

Un  de  ces  rhétoriqueurs  pourtant  trouvait  grâce  devant 
elle.  Jean  Lemaire  de  Belges.  Aussi  bien  s'était-il  distingué 
des  autres  par  un  réel  talent  ■.  Il  avait  défendu  sa  langue 
maternelle  contre  les  Italiens  qui  la  jugeaient  «  barbare  », 
et  s'était  efTorcc  d'établir  qu'elle  pouvait  marcher  de  pair  avec 
la  langue  toscane  '.  Cette  langue  maternelle,  il  l'avait  illustrée 
par  des  œuvres  que  ne  recommandait  pas  seulement  l'étendue 
de  l'érudition,  mais  encore  cex'taines  qualités  précises,  supé- 
rieures à  celles  de  ses  maîtres,  les  Molinet  et  les  Crétin,  et 
vraiment  originales  :  un  sens  plus  délicat  des  charmes  de  la 
femme  et  de  l'amour  qu'elle  fait  naître  ',  une  plus  vive 
perception    des    beautés    de    la    nature  ',    une   intelligence  plus 

1  Deffence,  p.   112-113. 

-  V.  les  Œuvres  de  Jean  Lemaire  de  Belges,  publ.  par  .1.  Stechcr,  Lou- 
vain,  18!S2- IS'Jl,  4  vol.  in-8",  et  la  thcso  de  Fr.  Thibaut,  Marguerite  d'Autri- 
che et  Jehan  Lemaire  de  Belges,  Paris,  Leroux,  1888,  in-8". 

^  Illustrations  de  Gaule  (I,  10-11)  et  Concorde  des  deux  langages  (III,  98). 

*  Illustrations  de  Gaule,  liv.  I,  chap.  24-26  et  30-33. 

'  On  trouve  déjà  chez  J.  Lemaire  un  sentiment  tout  antique  de  la 
nature  :  v.   notamment  III,  10,   12,  28-ii9,  104-105,  129-130. 


/2  JOACHIM    DU    BELLAY 

pénétrante  du  paganisme  mythologique  et  moral  '.  Il  avait  eu 
plus  net  le  sentiment  des  mérites  de  la  forme  et  de  ce  qu'ajoute 
aux  clioses  la  manière  dont  on  les  dit  '  :  il  avait  eu  le  goût 
des  expressions  imagées ,  des  épithètes  descriptives ,  des 
périodes  musicales,  des  rythmes  harmonieux  '.  En  un  mot, 
il  avait  eu  par  endroits  dans  son  œuvre  l'intuition  de  l'art 
vrai.  C'était  assez  pour  que  la  Pléiade  ne  lui  fût  pas  sévère. 
«  Bien  diray  je  que  Jan  le  Maire  de  Belges  me  semble  avoir 
premier  illustré  et  les  Gaules  et  la  Langue  Francoyse  :  luy 
donnant  beaucoup  de  motz  et  manières  de  parler  poétiques, 
qui  ont  bien  servy  mesmes  aux  plus  excellens  de  noslrc 
tens  '  )).  Du  Bellay,  qui  parle  ainsi,  s'appuie  très  sérieusement 
sur  ce  ((  diligent  rechercheur  de  l'Antiquité  »,  comme  il  l'ap- 
pelle, pour  faire  remonter  à  Bardus  V,  roi  des  Gaules,  l'inven- 
tion des  vers  rimes  et  la  première  institution  des  bardes  \ 
Quant  à  Ronsard,  nous  savons  par  Binet  qu'il  lisait  Jean 
Lemaire  à  l'égal  du  Roman  de  la  Rose  '',  et  nul  n'ignore  ce 
que  dut  la  Franciade  aux  Illustrations  de  Gaule  et  singula- 
ritez  de  Troj'e  '.  Le  vieux  rhétoriqueur  flamand  avait  frayé  la 
voie  aux  futurs  novateurs  du  Collège  de  Coqueret. 

'  Epistrcs  de  l'amant  verd;  Description  du  temple  de  Vénus;  Contes  de 
Cupide  et  d'Atropos. 

-  Sur  co  point,  v.  Thibaut,  op.  cit.,  j).  2',i9  sqq. 

■'  Réforme  de  la  coupe  féminine;  introduction  de  la  lerza  rima;  restau- 
ration d(;  l'alexandrin  ;  création  de  mètres  nouveaux  {Chansons  de  Namur 
et  XXIV  couplets  de  lavalitude  et  convalescence  de  la  Rojne). 

''  Deffence,  p.  103.  —  Cf.  Pasquicr,  Bech.  de  la  France,  VI,  5  :  «  Le  pre- 
mier qui  il  bonnes  enseignes  donna  vogue  à  uostre  Poésie,  fut  Maistre 
Jean  le  Maire  de  Belges,  au(|uel  nous  sommes  inliniment  redevables,  non 
seulement  pour  son  livre  de  llllustration  des  Gaules,  mais  aussi  pour  avoir 
grandement  enrieliy  nostre  langue  d'une  infinité  de  beaux  traicts,  tant  en 
Prose  «jue  Poésie,  dont  les  mieux  eserivans  de  nostre  temps  se  sont  sçeu 
quelquefois  fort  bien  aider.  » 

'  Deffence,  p.  13j.  Tout  ce  passage  de  la  Deffence  est  emprunté  des 
Illustrations,  liv.   I,  eliap.  10  (I,  70). 

''  Pasquicr  nous  apprend  que  llonsard  doit  à  J.  Lemaire  «  les  plus  riches 
traicts  de  ceste  belle  Hymne  qu'il  lit  sur  la  mort  de  la  Uoyne  de  Navarre  » 
{i'6'61). 

'  La  légende  de  Francus  est  exposée  par  J.  Lemaire  dans  VEpistre  du 
Roy  à  Hector  de  Troye,  \'6ll  (III,  82-83),  et  surtout  dans  le  3°  liv.  des  Illus- 
trations. 1513  (H,  267-283  et  300-322). 


LE   COLLÈGE   DE   COQUERËT  73 

Clément  Marot,  dans  la  pensée  de  la  Pléiade,  marquait 
un  recul  sur  Joan  Lemaire  de  Belges.  Tandis  que  Lemaire, 
en  effet,  orientait  la  poésie  dans  le  sens  de  l'art  pur,  Marot 
l'avait  ramenée  au  simple  naturel.  Beaucoup  moins  savant 
que  son  devancier,  il  avait  cru  ([uc  l'esprit  et  la  q-ràce  suffi- 
saient à  faire  un  pocte.  (^uel  démenti  les  Italiens  et  les 
anciens  donnaient  à  cette  croyance  !  La  Pléiade  avait  lu 
bien  souvent  VAclolescence  Clémentine  ;  mais  depuis  qu'elle 
se  nourrissait  de  Pétrarque  et  de  Pindare,  elle  ne  parta^i^eait 
plus  l'admiration  universelle  pour  le  gentil  rimeur.  Ses  pre- 
miers recueils  laissent  deviner  ses  vrais  sentiments.  Sans 
doute,  elle  se  garde  bien  de  heurter  de  front  l'opinion 
publique,  elle  rend  à  Marot  d'olliciels  hommages  :  mais  on 
perce  à  jour  ses  pensées  secrètes.  Ronsard,  dans  la  préface 
des  Odes,  appelle  Marot  ((  seulle  lumière  en  ses  ans  de  la 
vulgaire  poésie  '  »,  mais  sept  pages  plus  loin  il  refait  sa 
pièce  sur  la  victoire  de  Cerisoles,  et  carrément  nous  dit  pour- 
quoi ■.  Du  Bellay  dans  la  Deffence  n'agit  pas  autrement.  Il 
nomme  plusieurs  fois  Marot  avec  respect  '.  Bien  plus,  dans 
les  poésies  publiées  avec  la  Deffence  *,  il  insère  en  manière  de 
conclusion  l'antique  épitaphe  quil  avait  composée  à  Poitiers 
pour  maître  Clément.  Mais  lisons  de  plus  près  la  Deffence  : 
que  d'allusions  à  peine  voilées  au  vieux  poète  !  que  de 
phrases  où  paraît  l'intention  satirique  '  !  Ici,  du  Bellay  s'en 
prend  à  ces  traducteurs  qui  «  trahissent  ceux  qu'ilz  entrepren- 
nent   exposer  »,    qui    ((    seduysent    les    lecteurs    ignorans,    leur 


'  Blanchemain,  11,  10. 

-  Édit.  orig.,  loaO,  f"  7  v".  —  Blancliemain,  II,  !J3. 

^  Deffence,  p,  73,  118,  143. 

'  UOlive  et  quelques,  autres  œuvres  poëticques. . .  par  I.  D.  B.  A.  Paris, 
Arnoul  l'Angelicr.  i;j49,  in-8". 

'"  Dans  un  article  «sur  une  page  obscure  de  la  Deffence  »  {Rev.  d'hist. 
litt.  de  la  France,  lii  avril  1897,  p.  239),  j'ai  cité  tout  au  long  les  passages  où 
l'on  peut,  selon  moi,  saisir  des  allusions  plus  ou  moins  directes  à  Clément 
Marot.  Je  prie  le  lecteur  de  s'y  rei)orttr. 


74  JOACHIM   DU    BELLAY 

montrant  le  blanc  pour  le  noyr  »,  et  qui,  «  pour  acquérir 
le  nom  de  scavans,  traduysent  à  credict  les  Langues,  dont 
jamais  ilz  n'ont  entendu  les  premiers  elementz,  comme 
l'Hébraïque  et  la  Greque  »  (p.  67).  Là,  il  félicite  ironique- 
ment ceux  à  qui  Marot  plaît  ((  pour  ce  qu'il  est  facile  et 
ne  s'éloingne  point  de  la  commune  manière  de  parler  » 
(p.  loi).  Ailleurs,  il  critique  un  poète  en  qui  ((  default  ce 
qui  est  le  commencement  de  bien  écrire,  le  scavoir  ))  (p,  io4), 
et  dont  la  gloire  aurait  augmenté  de  moitié  s'il  eût  de  moitié 
diminué  son  livre.  Ailleurs  encore,  il  malmène  ((  ceux  qui  sans 
doctrine,  à  tout  le  moins  non  autre  que  médiocre,  ont  acquis 
grand  bruyt  en  nostre  vulgaire  »  (p.  109),  mais  que  les 
savants,  meilleurs  juges  que  la  foule,  ((  ne  mettront  en  autre 
ranc,  que  de  ceux  qui  parlent  bien  francoys,  et  qui  ont  bon 
esprit,  mais  bien  peu  d'artifice  »  (p.  iio).  Qui  donc  est  visé 
dans  tous  ces  passages  ?  Clément  Marot,  autant  et  plus  que 
ses  disciples,  Marot,  le  poète  naturel  qui  manqua  de  savoir, 
l'écrivain  trop  facile  qui  méconnut  l'érudition.  C'est  que  pour 
la  Pléiade,  dont  on  sait  l'idéal  esthétique,  ce  fin  rimeur 
n'avait  pas  eu  les  dons  précieux  qui  marquent  vraiment  un 
élu  des  Muses.  Échappé  de  la  rhétorique,  il  n'avait  abouti 
qu'au  simple  l^adinage  :  ce  n'était  pas  assez.  Sans  doute  il 
avait  subi  l'induence  de  la  Cour,  d'une  cour  des  plus  bril- 
lantes, très  éprise  de  politesse  et  de  grâce  mondaine  :  et  là 
son  talent  s'était  assoupli  '.  Formé,  mûri  par  elle,  il  avait 
redit  avec  distinction  tous  ces  événements  plus  ou  moins 
menus  dont  se  compose  la  vie  des  cours,  et  qui  sont  la 
matière  de  la  poésie  ofiicielle.  Il  avait  excellé  surtout  à  tra- 
duire des  sentiments  fugitifs,  sinon  1res  profonds,  du  moins 
bien  sincères,  parlant  de  lui-même  et  des  autres  avec  cette 
finesse,    cette  bonhomie,    cette    mesure   qui    sont    toujours  d'un 

'   La    court   du    Roy.   ma    maistrcssc   (rescolle.  (Épîtrc    43    —    Édit.    P. 
Jannet,  I,  ^20). 


LE    COLLÈGE    DE    COQUERET  7o 

si  grand  charme.  Une  clarté  parfaite,  qui  contrastait  étran- 
gement avec  l'obscurité  de  ses  prédécesseurs,  un  art  sans 
pareil  dé  dire  les  choses  avec  une  aisance  légère,  un  esprit 
aimable,  enjoué,  niordant  même  par  intervalles  :  voilà  ce 
qu'on  trouvait  dans  ses  meilleurs  ouvrages.  Mais  ne  pouvait- 
on  rêver  une  forme  de  poésie  plus  sublime  ?  Etait-ce  même 
là  de  la  poésie  ?  N'était-ce  point  [)lutôt  une  prose  rimée  ? 
Car  enfin,  de  quelle  imagination  Marot  avait-il  fait  preuve  ? 
De  quelle  science  dans  les  conceptions  ?  Avait-il  eu  jamais 
cette  vigueur  de  sentiment  si  puissante  sur  les  âmes,  et  sans 
laquelle  on  ne  peut  les  conquérir  ?  Avait-il  jamais  soupçonné 
la  pure  beauté  de  Tart  ?  Tous  ces  dons  lui  manquaient. 
L'insuflisance  de  sa  culture  littéraire  l'avait  condamné  à 
n'être  toute  sa  vie  que  le  premier  des  poètes  de  cour.  Il  n'avait 
pu  s'élever  jusqu'aux  sommets.  Pour  lui,  toujours  la  poésie 
était  restée  le  plus  charmant  des  jeux,  le  plus  exquis  des 
passe-temps,  rien  de  plus.  Ce  poète  naturel  n'avait  pas  été  véri- 
tablement un   poète  artiste. 

Pas  davantage  artistes,  et  à  coup  sûr  moins  naturels,  tous 
ces  plats  rimeurs  (du  Bellay  disait  rimailleurs  et  rimasseurs) 
qui  se  disputaient  la  faveur  publique,  ces  Jean  Le  Blond,  ces 
François  Sagon,  ces  Charles  Fontaine,  ces  François  Habert, 
ces  Michel  d'Amboise,  ces  Jean  Bouchet,  dont  la  sottise 
n'avait  d'égale  que  l'ignorance  '.  Rivaux  de  Marot  de  son 
vivant  ou  depuis  sa  mort,  ils  prétendaient  à  le  remplacer  et 
n'avaient  ni  son  esprit  ni  sa  grâce.  La  vieille  rhétorique 
agonisait  en  eux.  Leurs  titres  superbes  et  leurs  belles  devises 
ne  masquaient  pas  l'effroyable  indigence  de  leur  talent,  et  la 
Pléiade  voyait  avec  dégoût,  avec  colère,  toutes  ces  produc- 
tions insipides  dont  ils   inondaient  la   Cour  et   la  France. 

Est-ce   à    dire  pourtant   que  les  jeunes  écoliers  de  Coque ret 

'   Deffence,  p.  149- IbO. 


76  JOACHIM    DU    BELLAY 

condamnaient  en  bloc  et  sans  rémission  tous  les  poètes 
français  qui  vivaient  de  leur  temps  ?  et  parmi  ceux  dont  ils 
lisaient  les  ouvrages,  ne  s'en  trouvait-il  point  qu'ils  jugeaient 
un  peu  meilleurs  que  les  autres,  pour  être  en  quelque  sorte 
un  peu  moins  distonts  de  leur  idéal  ?  Binet  nous  a  transmis 
l'opinion  de  Ronsard  :  «  Les  premiers  Poètes  quil  a  estimé 
avoir  commencé  à  bien  escrire  ont  esté  Maurice  Sceve,  Hugues 
Salel,  Anthoine  Heroet,  Melin  de  Saint-Gelais,  Jacques  Pelletier 
et  Guillaume  des  Autelz  '  )).Illes  avouait  pour  des  précurseurs. 
Inutile  de  revenir  sur  Jacques  Peletier  du  Mans  :  j'ai 
déjà  dit  ■  son  influence  sur  la  Pléiade  et  les  raisons  qu'avait 
Ronsard  de  saluer  en  lui  ((  l'un  des  plus  excelens  poètes  de 
cet  Age  '  ».  —  Hugues  Salel  *  avait  publié  l'an  i539  un  recueil 
de  Pocsics  très  médiocres,  et  ce  n'était  pas  un  titre  au 
respect  de  la  Pléiade  :  mais  depuis  il  s'était  grandement 
relevé.  Gomme  il  savait  le  grec,  ayant  reçu  jadis  les  leçons 
de  Budé,  il  avait  entrepris  de  traduire  ï Iliade  '  .  Noble 
dessein  que  ne  pouvaient  oublier  les  élèves  de  Dorât  !  C'était 
quelque  chose  d'avoir  fait  connaître  Homère  à  la  France,  et 
l'on   comprend  la    gratitude   de    la   Pléiade  '.  —  Quant   à  Guil- 

'  Textes  de  lr)87  et  1597.  En  158U,  la  liste  se  réduit  à  Maurice  Scève, 
Hugues  Salel  et  Jacques  Peletier. 

-  V.  ci  dessus,  chap.  i,  §  iv. 

3  Pré f.  des  Odes  (II,  10). 

'  Sur  Hugues  Salel,  consulter  Goujet,  t.  XH.  p.  1-14:  les  notices  de 
Courbet,  en  tête  des  Gayelez,  des  Soiispirs  et  des  Amours  de  Magny  ;  la 
thèse  de  Favrc.  Olivier  de  Magny,  p.  38,  n.  2  —  La  plaquette  du  D'  Cli. 
(^almeilles  (Les  poêles  Quenjnois  au  xvi"  siècle:  Hugues  Salel.  Tours, 
Housrey,  189!(,  in-8"  de  2.9  p.)  a  paru  trop  tard  pour  que  j'en  aie  connais- 
sance. 

'  Les  dix  premiers  chants  parurent  en  15io.  Les  liv.  XI  et  XII  ne  furent 
pui>liés  fju'en  \'.y.Vt,  après  la  mort  île  Salel,  par  les  soins  d'Oliv.  de  Magny. 
La  trailuction  lut  achevée  plus  tard  par  Amadis  Jamyn 

'■  Du  Bellay,  Musa gnœomachie  (1550),  str.  19: 

Salel,  que  la  Fiance  avoue 
L'autre  gloire  de  Querci.  (I,  145). 

Ronsard  a  fait  VÉpilaphe  de  H.    Salel  (Bocage    de  1554,   f"  13   r".    —   Blan- 
chemain,  VII,  267).  11  loue  ce  poète 

Qui  tles  premiers  tira  nostre  langue  (Tenfance. 
Ce  dernier  témoignage  est  caractéristique. 


LE   COLLÈGI':    DE   COQUERET  77 

laume  des  Autelz,  il  ne  s'était  encore  signale  (|ue  par  sa 
polémique  avec  Louis  Meigret  sur  la  réforme  de  l'ortho- 
j^raphe  :  je  ne  puis  supposer  que  Ronsard  ait  vu  dans  son 
Moj's   de  Majy  l'œuvre  d'un  précurseur'. 

Saint-Gelays,  Héroët,  Maurice  Scève,  avaient  des  titres 
plus  sérieux  :  ((  La  Poésie  Françoise  [étoit]  avant  nous  foible 
et  languissante,  (je  excepte  tousjours  lleroet,  Seeve,  et 
Saint   Gelais)...  )),    écrit  Ronsard  dans   la    préface   des    Odea  ^ 

Mellin  de  Saint-Gelays,  qui  devait  un  jour  l'aire  à  Ronsard 
l'affront  que  l'on  sait,  avait  sur  Marot,  aux  yeux  de  la 
Pléiade,  la  supériorité  d'une  éducation  beaucoup  plus  soignée. 
Et  de  fait,  il  avait  pour  le  temps  une  culture  universelle  '. 
11  possédait  les  langues  anciennes,  savait  tourner  les  vers 
latins,  paraphrasait  aimablement  Catulle  et  Properce,  Martial 
et  Cllaudien.  Surtout,  il  était  versé  dans  les  choses  d'Italie  : 
depuis  son  passage  aux  universités  de  Bologne  et  de  Padoue, 
il  avait  pris  le  goût  des  poètes  italiens,  qu'il  imitait  et 
traduisait,  et,  s'il  faut  en  croire  du  Bellay,  c'est  par  lui  que 
le  sonnet  était  devenu  français  *.  Certes,  la  Pléiade  lui  savait 
gré  d'avoir  enrichi  notre  poésie  d'une  forme  d'art  si  précieuse; 
mais  elle  s'étonnait  qu'avec  une  culture  comme  la  sienne, 
Saint-Gelays  n'eût  pas  donné  davantage.  Ne  pouvait-il  pré- 
tendre à  plus  qu'à  ces  pièces  légères  où  son  talent  se 
complaisait  ?  N'avait-il  de  plus  haute  ambition  que  d'amuser 
les    dames    et    les     seigneurs  ?     L'humble    rêve    vraiment  !     La 


*  Le  Mojs  de  May  de  Gnilelme  Deshaultelz de  Monicenis  en  Bourgoigne, 
pet.  in-8",  goth.,  s.  I.  n.  d.  (Lyon,  Ollivicr  Arnoullet,  15'i4  ?j. 

-  Blanchemain,  II,  11.  Cf.  Olive,  s.  62,  l"  tercet.  — Il  peut  sembler  étrange 
que  ni  du  Bellay  ni  Ronsard  n'aient  mentionné  Bonav.  des  Périers.  11  est 
juste  de  reconnaître  que  ce  poète  annonce  ciuelquefois  la  Pléiade  par  une 
sensibilité  pleine  de  mélancolie  et  par  un  réel  souci  du  rythme  et  de  la  fac- 
ture. V.  Chenevière,  Bonaventure  des  Périers.  Sa  vie,  ses  poésies.  Thèse. 
Paris,  Pion  et  Nourrit,  188:3,  in-8°. 

'  V.  le  témoignage  du  Quintil  Horatian,  édit.  Person,  p.  ^08. 

*  2'  préf.  de  VOiive  (13o0):  a  Etant  le  Sonnet  d'Italien  devenu  François, 
comme  je  eroy,  jjar  Mellin  de  Sainct  Gelais  »  (I,  72j. 


78  JOACHIM    DU    BELLAY 

Pléiade  au  fond  trouvait  bien  mesquine  cette  poésie  de  cour, 
si  pauvre  d'idées  et  de  sentiments,  ces  petits  sujets  traités 
d'une  petite  manière,  ces  simples  binettes  sans  inspiration  ni 
sincérité.  Saint-Gelays  assurément  y  mettait  un  esprit  sans 
pareil  :  qui  pouvait  avoir  plus  de  finesse  enjouée,  plus  de 
grâce  légère  ?  Mais  la  Pléiade  se  demandait  si  la  poésie 
n'avait  d'autre  but  que  la  constante  recherche  de  ces  jolies 
mignardises,  et  si  Phébus  n'avait  donné  la  lyre  aux  hommes 
que  pour  composer  des  cartels  de  tournois  ou  tracer  des 
quatrains  sur  des   livres  d'heures  '. 

Antoine  Héroët,  lui,  s'était  fait  de  son  art  une  plus  noble 
idée.  S'il  vivait  à  la  Cour,  sa  Muse  au  moins  n'y  vivait  pas  : 
elle  habitait,  sereine  et  grave,  les  hauteurs  éthérées  où 
méditait  Platon.  S'inspirant  des  sublimes  conceptions  de 
l'auteur  du  Banquet,  elle  avait  chanté  la  Parfaicte  Anvye  : 
elle  avait  l'edit  les  délices  du  pur  Amour,  les  jouissances 
ineffables  éprouvées  par  deux  âmes  unies  dans  la  vertu 
et  s'élevant  d'un  même  essor  vers  la  divine  Beauté.  Par  la 
noblesse  des  sentiments  et  des  pensées,  le  petit  ouvrage 
d'Héroët  surpassait  bien  des  longs  poèmes.  La  Pléiade  en 
goûtait  et  la  matière  et  la  facture.  Toutefois,  si  quelque  chose 
lui  semblait  pécher  dans  la  Parfaicte  Amye,  c'était  moins  le 
fond  même  qu'une  sobriété  peut-être  excessive  dans  la  forme, 
une  certaine  indigence  d'ornements  poétiques,  qui  faisait  de 
l'auteur  moins  un  poète   qu'un  philosophe  ^ 

Quant  à  Maurice  Scève,  la  Pléiade  ne  pouvait  manquer  de 
le  tenir  en  très  haute  estime.  Antiquaire ,  érudit ,  peintre , 
musicien  et  poète,  nul  comme  lui  n'avait  le  sens  de  l'art.  Il 
avait   retrouvé  le   tombeau   de    Laure,    et    depuis  s'était    fait  le 

'  Cf.  l'excellenl  chapitre  de  M.  Bourciez  :  «  Le  poëte  courtisan  :  Melin  de 
Saint-Gelais  ».  Liv.  III,  Chap.  ii,  p.  300. 

-  Deffence,  p.  lOi  :  «  L'autre,  outre  sa  ryme,  qui  n'est  par  tout  bien  riche, 
est  tant  dénué  de  tous  ces  délices  et  ornementz  poétiques,  qu'il  mérite 
plus  le  nom  de  Phylosophe  que  de  Poëte.  »  Cf.  p.  73  et  101. 


LIi   COLLÈGL    DE   COQUEUKT  70 

grand  prêtre  du  culte  de  Pétrarque.  Dans  une  œuvre  d'artiste, 
savamment  travaillée,  riche  en  mots  expressifs,  en  figures 
hardies,  en  images  éclatantes,  il  avait  chanté  son  mystique 
amour  pour  Délie,  un  amoui-  pur,  comme  celui  d'Héroët, 
exempt  de  toute  souillure  charnelle,  plus  sombre  pourtant  et 
plus  tourmenté  '.  Gel  amour,  où  les  doctrines  de  Platon  se 
fondaient  avec  les  rêves  de  Pétrarque,  n'avait  rien  de  terrestre, 
et  même  il  était  à  ce  point  éthéré.  qu'on  pouvait  prendre  Délie 
pour  un  symbole  de  Vidée.  Jamais  encore  la  poésie  française 
n'avait  monté  si  haut,  la  Pléiade  le  sentait:  mais  pour(|uoi 
Scève  avait-il  enveloppé  ses  conceptions  dune  si  grande 
obscurité  que  les  doctes  eux-mêmes  avaient  peine  à  l'entendre  '  ? 
Malgré  leurs  défauts,  Héroët  et  Scève  apparaissaient  à  la 
Pléiade  comme  des  esprits  d'une  autre  valeur  que  la  foule  des 
disciples  de  Marot.  Ils  avaient  mis  tous  leurs  efforts  à  rehausser 
la  poésie:  ils  avaient  tâché  qu'elle  fût  autre  chose  qu'un  futile 
agrément,  qu'elle  s'élevât,  au-dessus  de  l'expression  des  senti- 
ments, à  l'expression  des  idées  pures,  qu'elle  devînt  capable 
de  porter  la  pensée  dans  ce  qu'elle  a  de  plus  sublime;  ils 
avaient  voulu  l'arracher  au  vulgaire,  l'isoler  dans  un  monde 
idéal,  ouvert  aux  seuls  initiés.  La  Pléiade  leur  savait  gré  de 
ces  eflbrts.  En  lisant  le  passage  où  Maurice  Scève  exalte  la 
vie   solitaire, 


*  Ce  qui  distingue  Héroët  de  Maurice  Scève  et  des  Pélrarquistes,  c'est 
qu'à  ses  yeux  le  pur  amour  est  exempt  de  soufTrance.  Voyez  le  3'  liv.  de 
la  Par/aicte  Amje,  édit  de  l.oi3,  p.  58.  (Bibl.  Nat.  —  Rés.  Y'.  1613). 

-  Deffence,  p.  105  :  d  Quelque  autre  voulant  trop  s'eloingner  du  vulgaire, 
est  tumbé  en  obscurité  aussi  dilïicile  à  eclersir  en  ses  ecriz  aux  plus 
scavans,  comme  aux  plus  ignares.  » —  A  partir  de  1550,  du  Bellay  n  a  plus 
que  des  éloges  pour  Scève.  Cf.  s.  105  de  l'Olive  et  str.  19  de  la  Musa- 
gnœomachie   : 

Sceve,  dont  la  gloire  noiie 
En  la  Saône  qui  te  lotie, 
Docte  aux  doctes  eclerci.  (I,  lia). 

Cf.   aussi  le    sonnet    qu'il   lui    dédia    lors    de  son  passage  à  Lyon,  en   1553 
{II,  143). 


80  JOACHI.M    DL    BELLAY 

Loing  du    sot  Peuple  au    vil  gaing   intentif   ', 

les   élèves  de   Dorât   se    rappelaient   le  vers    tanieux  dHorace  : 

Odi  profanum  vulgus   et  areeo. 

Vérité  lumineuse  !  Oui,  sans  doute,  si  la  poésie  française 
était  restée  si  basse,  c'est  qu'elle  navait  pas  su  s'allranchir 
des  caprices  et  des  goûts  de  la  foule,  dédaigner  le  vulgaire 
ignorant  et  grossier.  Plus  hardis  que  les  autres,  Héroët  et 
Scève  avaient  montré  la  voie  :  mais  ne  pouvait-on  aller  plus 
loin  qu'eux?  Ils  s'étaient  bornés  à  chanter  l'amour  :  l'amour 
était-il  donc  toute  la  poésie?  Le  domaine  des  Muses  n'était-il 
pas  plus  vaste?  N'embrassait-il  pas  tout  ce  qui  concerne 
l'homme  et  la  nature?  Les  Grecs  et  les  Latins,  les  Italiens 
eux-mêmes,  ne  l'avaient-ils  pas  cultivé,  ce  riche  domaine,  dans 
toute  son  étendue?  Ne  pouvait  on,  à  leur  exemple,  Aouloir 
pour  la  patrie  française  une  poésie  artistique,  supérieure  à  celle 
dont  on  s'était  contenté  jusqu'alors,  et  qui  traduisît  enfin,  sous 
les  formes  les  plus  diverses,  le  rêve  éternel  de  l'idéale 
Beauté? 


VIII 


Dans  les  pages  qui  précèdent,  j'ai  tenté  d'embrasser  l'en- 
semble des  études  que  du  Bellay,  en  compagnie  de  ses  amis, 
avait  faites  au  Collège  de  Goqueret.  Mais  Terreur  serait  grande 
de  croire  que  la  Pléiade  n'y  a  reçu  que  la  culture  intellec- 
tuelle. A  cette  éducation  par  les  livres  il  en  faut  joindre  une 
autre   par  la  nature  et  par  les   arts. 

Du  Bellay  avait  vécu  ses  années  d'enfance  au  sein  de  la 
nature;  Ronsard  de  même,  et  tous  les  deux  auraient  pu  dire 
ce  que  le  second  écrivait  plus  tard  dans  son  Hj'inne  de  l'Au- 
tomne :  ^ 

'  Délie,  dizain  414  (édit.  N.  Sclieuring,  Lyon,  1862). 


LE   COLLÈGE   DE    COQUERET  8l 

Je  n'avois  pas  quinze  ans  que  les  monts  el  les  bois 

Et  les  eaux  nie  plaisoient  plus  que  la  cour  des  Rois, 

Et  les  noires  l'orests  espaisses  de  ramées, 

Et  du  bec  des  oiseaux  les  roches  entamées  ; 

Une  valée,  un  antre  en  horreiu"  obscurci, 

Un  désert  ellroyable  estoit  tout  mon  souci, 

A  tin  de  voir  au  soir  les  Nymphe»  et  les  Fées 

Danser  dessous  la  lune  en  cotte  par  les  prées  '. 

Ce  commerce  avec  la  nature  ne  cessa  pas  lorsqu'ils  furent 
enfermés  dans  les  murs  sombres  du  vieux  collèi^e  de  la  mon- 
tagne Sainte-Geneviève.  On  a  trop  tendance  à  s'imaginer  les 
poètes  de  la  Pléiade  sous  la  ligure  austère  de  pédants  renfro- 
gnés. Cette  jeunesse  si  studieuse  était  aussi  très  folâtre,  très 
amie  des  parties  de  plaisir  et  des  rires  sonores.  De  temps  en 
temps,  Dorât  emmenait  ses  élèves  en  excursion  dans  la  banlieue. 
Ce  que  raconte  Binet  "  des  longues  promenades  de  Ronsard 
aux  environs  de  Paris  n'est  pas  vrai  seulement  de  son  âge 
mùr.  Dès  l'époque  de  Coqueret,  pour  se  délasser  de  ses  rudes 
labeurs,  il  s'en  allait  avec  son  maître  et  ses  anus  à  Gentilly, 
Arcueil,  Vanves,  Meudon,  Saint-Cloud,  tantôt  sur  les  bords  de 
la  Bièvre,  tantôt  sur  les  rives  de  la  Seine  ;  on  goûtait  tous 
ensemble  la  fraîcheur  des  ombrages  et  des  eaux  ;  on  s'aban- 
donnait sur  l'herbe  verte  aux  molles  délices  de  la  rêverie  et 
du  sommeil  :  on  relisait  en  la  savourant  mieux  quelque  page 
rustique  d'un  poète  aimé  ;  parfois  même,  on  écoutait  la  voix  de 
la  Muse  et  ses  inspirations  toujours  si  heureuses  dans  la  soli- 
tude '.  Qui  dira  tout  ce  que  dut  la  Pléiade  à  ces  féconds  repos 
dans  le  calme  recueillement  de  la  nature  ? 

'  Blanchemain,  V,  189. 

-  Édit.  de  1386,  p.  31.  —  Édit.  de  Ijy7,  p.  176-177. 

^  Cf.   à  ce  sujet  deux    pièces    curieuses    de  Bail':  1'   la  NLnIe    BLare,  au 
liv.  IX  des  Poèmes  (II,  438j  ;  2'  à  Henry  Eslienne,  au  liv.  I\'  des  Passetenis 

(IV,  417). 

U?iiv.  de  Lille.  Tome  ^'1II.    A.   i>. 


82  JOACHIM    DU    BELLAY 

Ronsard  nous  a  laissé,  sous  le  titre  de  Bacchanales  ',  le 
récit  d'une  excursion  que  lit  en  i549  au  village  d'Arcueil  la 
jeune  Brigade  *.  Ce  jour-là.  vrai  jour  de  fête,  on  sest  levé 
de  grand  matin.  Dès  avant  l'aurore,  le  collège  est  on  mouve- 
ment :  en  guise  d'aubade,  on  joue  du  chalumeau,  on  sonne 
de  la  guitare,  on  chante,  on  danse,  on  rit.  La  petite  troupe 
se  met  en  marche,  les  uns  montés  sur  des  ânes,  les  autres  à 
pied.  On  emporte  une  quantité  respectable  de  victuailles 
andouilles,  jambons,  pâtés,  boudins,  saucissons,  cervelas,  pains 
d'épice,  sans  compter  les  bouteilles  :  car  ces  écoliers  sont 
de  forts  mangeurs  et  de  torts  buveurs.  Dorât  les  conduit,  et 
tous  s'en  vont  joyeux.  Xaturellement,  du  Bellay,  Ronsard  et 
Baïf  sont  ensemlde.  l'rvoy  porte  au  bout  d'une  gaule  un 
flacon  de  vin  blanc  orné  de  lierre,  qui  lui  pendille  jusqu'au 
flanc,  et  que  Pacate  par  derrière  vient  soutirer.  Denisot, 
comte  d'Alsinois,  trotte  à  l'écart,  songeur  et  parlant  à  voix 
basse,  sur  un  âne  sans  licou  dont  il  flatte  les  oreilles.  Pour 
une  l'ois,  Latan  daigne  faire  le  fou.  Les  autres  suivent, 
Hurteloire,  Bergier,  Lignei'y,  Gapel.  Seul,  des  Mireurs  est 
soucieux  :  toujours  prudent,  il  se  demande  si  pareille  débauche 
est  bien  bonne  à  la  santé.  On  est  parti  dès  le  point  du  jour, 
afin  d'avoir  moins  chaud.  La  rosée  emperle  les  champs,  et 
la  Brigade  aspire  avec  ivresse  l'humide  fraîcheur  qui  monte 
des  prairies  :  elle  voit  les  herbages  fumer  aux  premiers 
rayons  du  soleil.    Peu   à  peu    la   chaleur   augmente  :    les  voya- 

'   Blancheniain,  VI,  358. 

-  Il  ne  faut  pas  confondre  ce  voyage  d'Arcueil  avec  un  autre  plus  connu 
qu'y  lit  la  Pléiade,  trois  ans  plus  tard,  après  la  représentation  de  la  Cléopâtre 
de  Jodelle.  Du  Bellay,  qui  fut  du  premier,  ne  semble  pas  avoir  été  du  second. 
En  revanche,  Belleau,  qui  fut  du  second,  n'était  pas  du  premier.  La  confu- 
sion qui  s'est  établie,  bien  à  tort,  entre  les  deux  voyages,  remonte  à  Claude 
Garnier,  lannotateur  de  Konsard,  qui  rapporte  à  la  même  année  les 
Bacchanales  (VI,  358)  et  les  Dithyrambes  (VI,  377),  et  son  erreur  vient  Sans 
doute  de  ce  que  les  Bacchanales  n'ont  été  publiées  qu'en  1552,  avec  les 
Amours  et  le  V*  livre  des  Odes,  l'année  même  de  la  Cléopâtre  et  du  second 
voyage  d'Arcueil.  V.  Marty-Laveaux,  Notice  sur  Jodelle,  p.  xix-xx. 


LE   COLLÈGE    DE   COQUERET  83 

i>'eurs  mettent  sur  leurs  tôtes  des  mouchoirs  et  des  i'euillag'es  : 
quelques-uns  se  déchaussent.  L'ardeur  du  soleil  ne  les  empêche 
pourtant  point  de  se  livrer  à  mille  ébats.  Ces  jj^raves  écoliers 
s'amusent  à  courir  après  les  papillons  ;  ils  essaient  de  les 
attraper  à  petits  coups  de  chapeau  ;  Ronsard  tombe  sur  le 
ventre  en  les  poursuivant  ;  Bergier,  plus  heureux,  en  tue  un  sur 
la  place  :  précieuse  dépouille  qu'il  consacre  aux  Satyres  dans 
une  dédicace  gravée  sur  un  saule.  L'eau  vive  d'vm  ruisseau 
permet  à  la  bande  de  se  rafraîchir.  Enfin,  on  découvre  la 
vallée  d'Arcueil  et  son  vieil  aqueduc,  et  la  Brigade  salue  avec 
respect  l'antique  village  fondé  par  Hercule  '.  C'est  le  terme 
de  l'excursion.  Très  affamée,  la  troupe  se  met  à  table  :  est-il 
besoin  de  dire  qu'elle  fait  honneur  au  repas  ?  Comme  une 
fête  n'est  pas  complète  sans  poésie.  Dorât  se  lève,  et  sa  voix 
dor  improvise,  dans  le  silence  recueilli  de  ses  élèves,  une 
ode  latine  à  la  fontaine  d'Arcueil  '.  Ainsi  s'écoule  gaiement  la 
journée,  et  quand  \  esper  enibrunit  les  cieux,  la  troupe  regagne 
Paris,  non  sans   quelque  tristesse  au   cœur. 

Quelquefois,  Dorât  menait  ses  élèves  chez  un  seigneur  de 
ses  amis,  qu'il  avait  sans  doute  connu  chez  Lazare  de  Baïf  et 
qu'il  savait  passionné  pour  les  lettres.  Jean  Brinon,  sieur  de 
Villennes  et  de  Medan,  possédait  sur  les  bords  de  la  Seine 
une  superbe  maison  de  campagne,  où  savants  et  poètes  étaient 
sûrs  de  trouver  une  lios[)italité  chaleureuse  et  princière  '.  T'n 
naturaliste  de  cette  époque ,  Pierre  Belon ,  nous  a  raconté 
quelque    part  *    un    voyage    que    fit    ainsi    chez   Brinon   en    i55i 

'  Le  noiu  d'Arcueil  était  alors  Hercueil.  Une  tradition  lui  donnait  Her- 
cule pour  fondateur. 

-  Les  œuvres  de  Dorât  (Poernatia,  158G  :  Odar.  lib.  1  :  part,  u,  p.  194) 
contiennent  une  ode  sous  ce  titre  :  Ad  fontem  ArcuUi  sii>e  Herculei  pagi 
in  agro  Parisino. 

•*  Le  nom  de  Jean  Brinon  revient  à  chaque  instant  dans  les  vers  de 
Dorât,  de  Ronsard,  de  Baïf.  Du  Bellay  lui  consacre  un  sonnet  (II,  1IJ8)  et 
quatre  épitaphes  latines  {Foeniata,  f"'  48  V-iO  r"). 

'  Histoire  de  la  nature  des  ojseaux.  Paris,  Gilles  Corrozet,  VMi'S,  in-f°. 
—  Liv.  IV,  chap.  xxvi,  p.  m. 


84  .lOACHIM    DU    BELLAY 

l'érudit  limousin,  accompagne''  ((  dune  trouppe  des  plus  doctes 
el  excellents  poètes  de  ce  temps  ».  Il  ne  nomme  que  Denisot  ; 
mais  il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  du  Bellay  faisait  partie 
de  l'excursion.  Je  cite  les    paroles   du   vieil  écrivain  : 

((  Au  temps  d'esté,  plusieurs  poètes  de  nostre  nation  s'es- 
lants  alliez  ensemble,  en  faveur  de  monsieur  1.  Briuon,  con- 
seiller du  Roy,  près  de  Poyssi  sur  la  rivière  de  Seine,  l'ac- 
compag-nerent  voir  ses  Muses  Medan  et  A  illaines.  Iceluy 
s'estant  mis  en  devoir  de  les  recevoir  humainement,  les 
festoya  comme  il  appartenoit.  Donc  estants  parveuuz  là,  eurent 
bonne  issue  en  toutes  choses  :  car  errants  plusieurs  jours  par 
les  confins,  trouvèrent  maints  a})pareils  récréatifs  de  diverses 
manières  de  passetemjjs  :  comme  à  faire  la  chasse  à  plusieurs 
espèces  d'animaux....  Ores  cheminants  par  taillis,  tendants  aux 
oy sillons,  en  prenoyent  de  moult  rares  :  tantost  se  trouvants 
par  les  i'orests,  avoyent  plaisir  de  voir  beaucoup  d'espèces 
d'arbres  avec  leurs  fruicts  :  autresfois  cueilloyent  diverses  herbes 
sur  les  montaignes  et  entre  les  vallées.  Et  là  trouvants  iniinis 
arguments  nouveaux,  y  firent  Sonnets,  Odes,  et  Epigrammes 
(irecs.  Latins  et  l<'i'ançoys  en  la  louange  de  celuy  qui  les  y 
avoit  conduicts  et  de  ses  nymphes.  Et  ayants  consacré  les 
fontaines .  avec  grandes  cérémonies .  rapportèrent  toutes  les 
reliques  de  h'ui-  enqueste.  Dorât,  l'un  de  la  compagnie,  poëte 
cloquent,  voyant  ([ue  la  lim])he  de  Medan  convertist  ses  larmes 
en  ]>ierre.  et  voulant  en  perpétuer  la  mémoire,  imprima  tels 
mots   sur    un    tableau   : 

l.\     \  ILI.AMDKM     KONTK.M 

Nyuq)lia  prius  \  illanis  eram   :   Pan  arsil,  anuuiteui 
Duni  fiigio  :  absoi'ptam  terra  rogata  rapit. 

Slat  superùm  pro  Pane  favor  :   de  Xaïde  lympha, 
De  lympha  (iunl  viscera  noslra  lapis. 

Mais     eiu'or    pour    plus     uiagnilier    la    grandeur    de    ce    miracle 


LE   COLLÈGE    DE   GOQUERF.T  85 

naturel,   en   a   escril   un    opuscule    iulitulc     Vilidiiis.    (|u\)m    peut 
voir  avec  ses   œuvres  '    )). 

Ce  naïf  récit  n'a  pas  besoin  de  connucntaire.  On  comprend 
désormais  ])ourquoi  la  nature  tient  tant  de  place  dans  les 
écrits  de   lu  Pléiade. 


IX 


Les  étudiants  du  Collège  de  Coquerel  n'étaient  pas  moins 
sensibles  aux  arts  qu'à  la  nature.  Ils  avaient  parmi  eux  un 
artiste,  dont  l'action  s'exerça  sur  leur  goût  esthétique.  Nicolas 
Deuisot  ",  qui  suivait  connue  eux  les  cours  de  Dorât,  était 
leur  aîné  de  plusieurs  années  '.  Gomment  se  fait-il  qu'à  trente 
ans  passés  il  vînt  s'asseoir  encore  sur  les  bancs  d'un  collège, 
avec  des  condisciples  I)ien  plus  jeunes  que  lui  ?  Sans  doute 
il  pensait,  et  très  sagement,  qu'on  apprend  à  tout  âge  et 
qu'on  ne  peut  que  profiter  quand  on  a  pour  maître  un  Dorât. 
Quoi  qu'il  en  soit,  ce  studieux  écolier  était  déjà  célèbre.  En 
i539,  il  avait  été  collaborateur  d'Androuet  du  Cerceau  dans 
la  carte  du  Maine.  En  i54;">.  il  avait  publié  son  premier 
volume  de  poésies,  un  recueil  de  Noëls,  en  attendant  qu'il 
donnât  ses  Cantiques  (i553).  Surtout,  il  s'était  fait  un  nom 
dans    la   peinture  *.    Ronsard    et    du   Bellay    ont    vanté    à   l'envi 

'  Recueil  de  1586,  Poemat.  lib.  III,  p.  173-184.  —  Cf.  Ronsard,  le  Hoiis 
(VI,  181)  :  la  pièce  a  paru  dans  les  Meslanges  de  l.ioii.  f"  2.  v".  (Bibl.  Nal  — 
Rés.  pY*.   123). 

-  Sur  Nicolas  Denisol,  consulter  —  outre  La  Croix  du  Maine  (II, loi)  et  du 
Vei-dier  (111,  113)  —  la  notice  de  Rathery  I  Bulletin  du  Bibliophile,  18.j0. 
p.  43o),  celle  d'ilauréau  (Hist.  litt.  du  Maine,  111,  177).  et  celle  de  M.  Gabriel 
Marcel,  le  conte  d'Alsinoys  géographe  (Revue  de  Géographie,  sept.  1S94, 
p.   193). 

■'  Nicolas  Deuisot,  natif  du  Mans,  comme  Jacques  Peletier,  vécut  de  lol;J 
à  1550.  II  passait  du  Bellay  de  sept  ans,  Ronsard  de  neuf,  Baïf  de  dix-sept. 

*  La  Croix  du  Maine  (II,  151)  parle  ainsi  de  son  compatriote  :  «  Il  a  été 
estimé  fort  bon  Poêle  et  Orateur  tant  en  latin  qu'en  françois,  et  surtout 
très  excellent  à  la  peinture,  principalement  pour  le  crayon.  Car  auparavant 
qu'elle  fût  en  si  grand  usage  entre  les  F'rançois,  comme  elle  est  dujour- 
d'hui,  it  étoit  estimé  le  premier  de  son  temps,  pour  un  qui  n'en  faisoit  pas 
profession  autrement  que  par  plaisir.  » 


86  JOACHIM    DU    BELLAY 

son  double  talent  de  poète  et  de  peintre,  et  tous  les  deux 
ont  fornuilé  le  même  regret  :  quel  dommage  que  Denisot 
ne  fût  pas  aussi  musicien  !  S'il  eût  eu  ce  don,  que  lui 
manquait-il  pour  être  parfait  '  ?  —  Un  tel  regret  atteste  au  moins 
la   très   haute   idée   qu'ils   avaient   des   arts. 

Nous  savons  par  Binet  à  quel  point  Ronsard  les  aimait  : 
((  La  Peinture  et  la  Sculpture,  comme  aussi  la  Musique,  luy 
estoient  à  singulier  plaisir^  ».  Nous  n'aurions  pas  ce  témoi- 
gnage  que   les   œuvres  de  Ronsard  y  suppléeraient  amplement  : 

Tandis  qu'en  l'air  je  souillerai  ma  vie, 

Sonner  Phebus  j'aurai  tousjours  envie, 
Et  ses  compaignes  aussi, 
Pour  leur  rendre  un  grand  merci 

De  m'avoir  fait  poêle  de  nature, 

Idolâtrant  la  musique  et  peinture. 

Voilà  ce  qu'on  lit  dans  Y  Ode  à  son  Luc,  et  cette  ode  est 
peut-être  la  première  qu'il  ait  faite  ''.  Si  tels  étaient  déjà  ses 
goûts  aux  environs  de  i543,  on  devine  aisément  tout  ce  que 
put,  pour  compléter  et  parfaire  son  éducation  esthétique,  Tin- 
lluence  d'un  homme  tel  que  Denisot.  Elle  acheva  de  l'initier 
aux  secrets  de  l'art  que  lui,  Denisot,  entendait  si  bien.  Les 
Odes  de  i55o  présentent  une  curieuse  description  ((  des  pein- 
tures contenues  dedans  un  tableau  '*  ».  Du  Bellay  ne  subit 
pas  moins  fortement  cette  influence,  si  l'on  en  juge  par  le 
nombre  des  comparaisons  et  des  images  qu'il  emprunte  dans 
ses   vers   aux    arts    plastiques  '.    A    défaut   d'autres   preuves,    on 

'  On  rapprochera  le  sonnet  de  du  Bellay  (II,  142-143)  de  l'ode  de  Ron- 
sard (11,  339-340).  Cf.  aussi  Belleau  (11,  453-435). 

=  Texte  de  1597,  p.  177. 

'  Du  moins  une  note  de  Ronsard  dans  l'édit.  de  1560  le  laisse  supposer: 
«  Celle  ode  est  la  première  que  l'auteur  ait  jamais  composée  ».  —  UOde 
à  son  Luc  fait  partie  du  Bocage  de  1350,  f"  138  v°.  (Blanchemain,  II,  394). 

*  Édit.  orig.,  liv.  II,  ode  28,  f  72  v».  (Blanchemain,  II,  410). 

■  Voyez,  par  exemple,  Olive,  s.  19  et  74.  Cf.  I,  152,  187,  232,  258,  270,  etc. 


LE   COLLKGK    DK    COQUERKT  87 

pourrait  encore  invoquer  les  bonnes  relations  des  poètes  de 
la  Pléiade  avec  les  artistes  du  temps.  Ils  admiraient  sincère- 
ment le  peintre  François  Glouet  '  et  l'architecte  Pierre  Lescot  % 
et  si  de  mesquines  jalousies  personnelles  empêchèrent  Ronsard 
de  rendre  justice  à  Philibert  Delorme,  du  Bellay,  plus  équi- 
table, sut  apprécier  à  leur  valeur  les  beautés  du  château 
d'Anet  \ 

On  ne  sera  point  surpris  qu'aux  arts  plastiques  ils  aient 
encore  préféré  la  nmsique.  La  musique  est  la  sœur  de  la 
poésie  :  peu  d'hommes  ont  eu  comme  eux  le  sentiment  de 
cette  parenté.  Honsard  appelait  les  musiciens  et  les  poètes 
((  enfans  sacrez  des  Muses  »,  proclamant  «  que  sans  la 
musique  la  poésie  estoit  presque  sans  grâce,  comme  la  musique, 
sans  la  mélodie  des  vers,  inanimée  et  sans  vie  *  ».  h' Ode  à 
son  Luc,  en  même  temps  qu'un  vif  éloge  de  la  peinture, 
contient   sur  la    musique  ces  vers  si   pleins  de   charme  : 

Que  dirons-nous  de  la  musique  sainte  ? 
Si  quelque  amante  en  a  l'oreille  attainte. 
Lente  en  lermes  goutte  à  goutte 
Fondra  sa  douce  ame  toute, 
Tant  la  douceur  d'une    armonie  éveille 
D'un    cueur    ardant   l'amitié    qui   someille, 
Au   vif  lui    représentant 
Son   tout   par  ce   qu'elle   entent. 

La   Nature,    de    tout   mère, 
Prevoiant   que   nostre   vie 
Sans  plaisir   seroit  amere. 
D'inventer  elle   eut  envie 

'  Cîouet,  dit  Janet,  peintre  du  roi,  célèbre  par  ses  portraits  (1510-1580).  V. 
du  Bellay,  I.  iïo  et  II.  177  ;  Ronsard,  I,  102  et  132;  Baif,  I,  376. 
-  Du  Bellay,  Regrets,  s.  157  et  158;  Ronsard,  VI,  188. 
'  Regrets,  s.  159;  A  Madame  Diane  de  Poictiers  (II,  102  et  109). 
*  Binet,  texte  de  1597,  p.   177. 


88  JOACHIM    DU    BELLAY 

La    musique,    et  Tinventant 
Alla  ses   fils   contentant 
Par  le    son,    qui  loin  nous  g-ette 
L'ennui   de    lame   sujette, 
Pour  l'ennui   mesrae  douter  : 
Ce  que   l'emeraude   fine 
Xi   l'or   tiré  de   sa  mine 
Nont    la   puissance  d'outer  \ 

Rarement  on  a  mieux  célébré  le  pouvoir  évocateur  et  con- 
solateur de  la  musique,  et  qui  voudra  savoir  tout  ce  que 
Ronsard  lui  reconnaissait  d'influence  morale  n'aura  qu'à  lire  la 
préface  si  curieuse  qu'il  adressait   en  i5;;2   au   roi   Charles  IX  ^ 

C'est  pour  avoir  eu  jusqu'au  fond  de  l'àme  l'instinct 
musical  que  la  Pléiade  s'est  montrée  si  soucieuse  du  bon 
débit  des  vers.  Si  du  Bellay  consacre  à  ce  sujet  tout  un 
chapitre  de  la  Deffence  \  est-ce  donc  seulement  pour  rappeler 
quelques  préceptes  de  Cicéron  ?  X"on  :  c'est  qu'il  a  senti 
lui-môme  tout  ce  que  gagne  la  poésie  à  être  déclamée  «  d'un 
son  distinct,  non  confuz,  viril,  non  efféminé  »,  avec  une 
voix  qui  s'accommode  aux  passions  exprimées  dans  les  vers. 
Et  Ronsard  sur  ce  point  ne  pense   pas  autrement  "*. 

De  là  vient  aussi  l'importance  que  la  Pléiade  attache  aux 
questions  d'harmonie  et  de  nombre  '.  De  là  l'intime  alliance 
qu'elle    rêve  entre   la    musique   et   la   poésie  %    et   qui   conduira 

'  Texte  de  iooO.  —  Blanchemain,  II,  3110. 

-  Blanchemain,  VII,  337. 

'  Liv.  II,  chap.  10,  p.  143  :  De  bien  prononcer  les  vers. 

•  V  préf.  de  la  Franciade  (III,  12-13). 

■  Deffence,  p.  77,  129,  131,  134,  143.  —  Ronsard,  III,  20,  31,  33;  VII,  320, 
326,  3i!7,  328,  329,  330,  332. 

'■  V.  notamment  Ronsard  :  «  La  Poésie  sans  les  instrumens,  ou  sans  la 
fjrace  d'une  seule  ou  plusieurs  voix,  n'est  nullement  aggreable,  non  plus 
que  les  instrumens  sans  estrc  animez  de  la  mélodie  d'une  plaisante  voix.  » 
(VII,  320).  Il  dit  encore  :  a  Les  vers  sapphiques  ne  sont,  ny  ne  furent,  ny 
ne  seront  jamais  agréables,  s  ils  ne  sont  chantez  de  voix  vive,  ou  pour  le 
moins  accordez  aux  instrumens,  qui  sont  In  vie  et  l'ame  de  la  poésie.  »  (II, 
376). 


LE   COLLÈGF    DE   COQUERET  80 

Ronsard  à  iiotci'  lui-iiiriiu'  des  airs  pour  ses  ArnoiiT's  de 
Cassandre  \  Baif  à  fonder,  de  concert  avec  le  musicien 
Thibault  de  Gourville,  une  Académie  de  Poésie  et  de  Musique, 
en  vue  de  faire  revivre  la  poésie  lyrique  chantée,  telle  que 
l'avaient  cultivée  les  anciens  ^ 

Ce  g'oût  des  arts,  que  nous  trouvons  si  vif  chez  les  élèves 
de  Dorât  et  qui  leur  fait  admirer  le  beau  sous  ses  formes 
les  plus  diverses ,  prouve  à  quel  point  ils  ont  subi  l'em- 
preinte de  leur  époque.  Par  là,  non  moins  que  par  leur 
zèle  à  l'étude  et  leur  amour  de  l'érudition,  ils  ont  été  vrai- 
ment, dans  toute  la  force  du  terme,  des  hommes  de  la 
Renaissance. 

X 

Cette  éducation  par  la  nature  et  par  les  arts,  dont  on  n'a 
pas  tenu  toujours  assez  de  compte,  eut  pour  effet  de  remédier, 
dans  une  certaine  mesure,  aux  fâcheuses  conséquences  d'une 
instruction  par  trop  livresque.  Elle  permit  aux  élèves  de 
Dorât  de  mieux  comprendre  l'exquise  valeur  des  œuvres 
anciennes.  Elle  ailina  leur  sens  esthétique  et  le  rendit  plus 
délicat.  Elle  fit  des  artistes  de  ceux  qui  auraient  pu  n'être  que 
des  pédants.  En  un  mot,  elle  acheva  de  pénétrer  tout  leur 
être   d'un  vivant   idéal   de   beauté. 

Pleins  de  cet  idéal,  ils  poursuivaient  leurs  études  en  silence 
sous  la  haute  direction  de  leur  maître,  et  déjà,  par  instants, 
ils  s'essayaient  à  traduire  leurs  aspirations  dans  la  langue  des 
vers  :  Ronsard  façonnait  des  odes  sur  le  moule  de  Pindare  et 
soupirait  des  sonnets  à  Cassandre  ;  du  Bellay,  sur  les  pas  de 
Pétrarque,   chantait  son  Olive  et  puisait  dans  Horace  des  sujets 


'  Gandar,  op.  cit.,  p.  87. 

-  Sur  ce  point,  v.  Becq  de  Fouquières,  Notice  siw  BaiJ,  en  tête  de  soa 
édit.  des  Poésies  choisies  de  /Jai/ (Paris,  Cliarpentier,  1874),  p.  xvi  sri(|.,  et 
l'ouvrage  déjà  cité  de  Freray,  chap.  ii. 


90  JOACHIM    DU    BELLAY 

de  lyrisme  :  et  tous  deux  à  l'envi  s'ingéniaient  à  réaliser, 
par  de  secrètes  ébauches,  le  rêve  d'une  poésie  nouvelle,  artis- 
tenient  modelée  sur  les  chefs  d'œuvre  de  l'Antiquité  et  de 
l'Italie,  lorsqu'un  événement  —  le  mot  n'est  pas  trop  tort  — 
vint  soudain  les  troubler  dans  leur  calme  retraite  du  Collège 
de  Goqueret.  Vers  le  milieu  de  i54B.  parut  VArt  Poétique  de 
Thomas    Sibilet  '. 

L'ouvrage  était  anonyme.  L'auteur,  avocat  au  Parlement  de 
Paris,  écrivait  h  pour  l'instruction  des  jeunes  studieus  et  encor 
peu  avancez  en  la  poésie  l'rançoise  ».  C'était  la  première  fois 
en  France  qu'on  s'avisait  d'un  art  poétique.  Jusqu'alors  on 
n'avait  toujours  vu  dans  la  poésie  qu'une  province  de  la 
rhétorique  ",  et  voici  qu'un  inconnu  tout  à  coup  la  proclamait 
un  art  indépendant  et  libre,  vivant  de  sa  vie  propre,  ayant 
ses  lois  particulières  et  sa  technique  spéciale.  11  faisait  peu 
de  cas  des  rimeurs  de  son  temps ,  leur  reprochait  de  n'avoir 
pas  ime  assez  haute  idée  de  l'art,  et,  dès  la  première  page, 
il  disait  hardiment  son  désir  «  de  voir,  ou  moins  d'escrivains 
en  ryme,  ou  plus  de  poètes  françois  ».  11  ajoutait  en  s'adres- 
sant  à  son  lecteur  :  ((  Je  ne  me  suy  peu  garder  d'escrire  : 
a  tin  que  ces  gentilz  rymeurs  par  la  congnoissance  de  l'art, 
qu'ilz  pourront  prendre  de  mon  escriture,  se  gardent  d'escrire, 
s'en  congnoissans  bien  loin  reculez  :  ou  s'ilz  continuent 
d'escrire,    qu'ilz  le  facent  avecques    l'art.  » 

On  devine  avec  quelle  émotion  les  «  jeunes  studieux  »  du 
Collège  de  Coqueret  entreprirent  la  lecture  d'un  ouvrage  qui 
dès   l'entrée    posait    en    principe   la  nécessité    de    l'art    dans    la 

'  Art  l'iiétique  François  pour  l'instruction  des  leunes  studieus.  et  encor 
peu  auancez  en  la  Piiésie  Françoise.  Paris,  Gilles  Corrozet,  lo48.  Privilège 
(lu   2,)  Juin    l.i'jS.  Kpilre    au  Lecteur  du    21  juin  1548.  (Bibl.  Nat.  —   Rés.  Y'. 

\-n:i). 

-  Sur  les  arts  de  rhétorique  des  .xv"  et  wi'  siècles,  consulter  la  thèse 
latine  de  Langlois,  De  artibus  rhetoricae  rhythmicae . . . .  Paris,  Bouillon. 
1890,  in  8». 


LE    C()I,I>KGE    DK    COQUKRET  01 

poésie.     Lorsqu'ils    l'eurenl    achevée,    riinpressioii     (luellc    leur 
laissa  fut   celle  d'un   vif  dépit  mêlé  d'une   sourde  colère. 

Le  nouvel  Art  Poétique  n'était  guère,  à  tout  prendre,  que 
la  mise  en  préceptes  des  doctrines  de  Marot  et  de  ses  énmles  : 
((  Lira  le  novice  des  Muses  Françoises,  —  disait  Sibilet,  — 
Marot,  Saingelais.  Salel,  lleroet,  Scéve,  et  telz  autres  hons 
espris,  qui  tous  les  jours  se  donnent  et  évertuent  a  l'exal- 
tation de  ceste  françoise  poésie,  pour  ayder  et  roborer  de  leur 
invention  et  industrie  son  encor  indjecille  jugement  :  et 
autrement  les  suivre  pas  a  pas  comme  l'enfant  la  nourrice, 
par  tout  ou  il  vouldra  cheminer  par  dedans  le  pré  de 
Poésie  '  ».  C'est  à  ces  poètes,  à  Marot  surtout,  que  Sibilet 
empruntait  ses  exemples;  c'est  eux  ([u'il  appelait  ((  les  bons 
et  classiques  auteurs  ».  Sans  doute,  à  côté  de  ces  modèles, 
il  faisait  une  place  aux  plus  «  nobles  »  poètes  grecs  et  latins  : 
((  A  vray  dire,  ceuz  sont  les  Gynes,  des  ailes  desquelz  se 
tirent  les  plumes  dont  on  escrit  proprement.  »  Il  réclamait  de 
son  novice  la  connaissance  des  langues  anciennes  :  d  Je  désire 
pour  la  perfection  de  toy,  Poète  futur,  en  toy  parfaitte  con- 
gnoissauce  des  langues  Gréque  et  Latine  :  car  elles  sont  les 
deus  forges  d'où  nous  tirons  les  pièces  meilleures  de  notre 
hai'nois  ".  »  Mais  ni  Ronsard  ni  du  Bellay  ne  trouvaient 
suffisante  cette  part  faite  à  l'Antiquité.  Ge  n'était  pas  assez 
pour  eux  que  de  l'admettre  à  titre  égal  avec  Marot  et  son 
école  dans  la  formation  du  poète  futur.  Leur  ferveur  d'huma- 
nistes protestait  contre  une  pareille  assimilation.  Les  églo- 
gues  de  Marot  valaient-elles  les  idylles  de  Théocrite  et  de 
Virgile  '  ?  N'était-ce  pas  une  dérision  de  comparer  les  chan- 
sons  de    Saint-Gelavs    aux     odes    de    Pindare    et     d'Horace  *  ? 


'  Liv.  I,  chap.  3. 
-  Liv  .  II,  chap.  9. 
^  Liv.  II,  chap.  8. 
'  Liv     H,  chap.  G. 


92  JOACBIM    DU    BELLAY 

Et  le  Roman  de  la  Rose  lui-même,  quel  que  fût  son  mérite, 
pouvait-il^  j)rétendre  à  marcher  de  pair  avec  \' Iliade  et 
V Enéide  '    ? 

Mais  ce  ([iii  n'irritait  pas  moins  les  élèves  de  Dorât  que 
ce  parti  pris  de  mettre  toujours  sur  le  même  pied  la  poésie 
marotique  el  la  poésie  ancienne,  c'était  de  retrouver  sous  la 
plume  d'un  autre  plusieurs  des  idées  qui  leur  étaient  chères 
et  dont  ils  espéraient  bien  donner  un  joui'  une  expression 
personnelle.  Sibilet  voyait  dans  la  poésie  un  art  sacré  dont 
l'origine  était  toute  religieuse  :  car  elle  venait,  comme  la 
vertu,  ((  de  ce  profond  abyme  céleste  ou  est  la  divinité  ». 
Après  Platon,  il  répétait  que  ceux-là  seuls  étaient  poètes 
qu'avait  touchés  le  feu  divin,  l'étincelle  de  l'inspiration  :  «  Le 
Poète  de  vi'aye  merque  ne  chante  ses  vers  et  carmes  autre- 
ment que  excité  de  la  vigueur  de  son  esprit,  et  inspiré  de 
quelque  divine  afllation  '  ».  Et  Sibilet  partait  de  là  pour 
condamner  sans  rémission  ce  terme  de  rimeur,  qu'avait 
adopté  ((  le  rude  et  ignare  populaire  »,  comme  il  l'appelait 
dédaigneusement  :  au  terme  en  faveur  il  substituait  celui  de 
poète,  un  si  beau  mot,  qu'il  ne  fallait  pas  rougir  de  devoir 
aux  anciens  '  !  Il  ne  ménageait  guère  la  vieille  rhétorique  : 
il  parlait  du  rondeau,  du  lai,  du  virelai,  comme  de  genres 
près  de  mourir  ou  déjà  morts  ^.  et.  s'il  tenait  encore  pour  la 
rime  équivoque  ',  en  revanche  il  reléguait  à  la  fin  de  son 
livre,  dans  un  dernier  chapitre  %  les  rimes  bizarres  de  jadis, 
rimes  kyrielles,  concaténées,  annexées,  etc.,  les  déclarant  «  de 
la   vieille   mode    ))   et  désormais  sans  usage  «  entre  cens   qui   ont 

'  Liv.   IF,  chap.  14. 

-  Liv.    I,   chap.  \. 

■'  Liv.    I,    cliap.  2.  * 

*  Liv.   H,  chap    :î  et  i:5. 
'••  Liv.    I,    chap.  7. 

*  Liv.   Il,  chap.   Kj. 


LE   COLLÈGE   DE   CUQUERET  1)3 

le  né  inouclu"  '  >>.  l-',nli;i.  il  coiisfillail  ;i  son  novice  do  cul- 
tiver les  nouveaux  i^enres.  ceux-là  mêmes  que  Ronsard  et  du 
Bellay  rêvaient  d'installer  en  souverains  ineontestés  dans  notre 
poésie  :  il  était  partisan  du  sonnet  '  :  l'ode,  à  ses  yeux,  ne 
méritait  pas  moins  (regards  (|ue  le  canticpie  cl  la  chanson  '  ; 
il  n'était  pas  jusqu'à  l'épopée  ([ue.  sous  le  nom  de  ((  f>rand 
œuvre   »,    il   ne   recommandât    au   poète   futur  '. 

Mettons-nous  un  instant  à  la  place  des  élèves  de  Dorât. 
Dans  le  nouvel  Art  Poëtù/ue,  ils  ne  trouvaient  pas  seule- 
ment défendues  des  opinions  (juils  réprouvaient,  exaltés  des 
poètes  dont  ils  faisaient  assez  bon  marché  ;  mais  encore  ils 
trouvaient  formulées  par  avance,  et  souvent  d'une  manière 
insullisante  et  défectueuse,  des  idées  qn'ils  avaient  à  cœur  : 
de  sorte  qu'ils  en  voulaient  à  son  auteur  de  ce  <]u'il  y  avait 
dans  sa  doctrine  et  de  contraire  et  de  conforme  à  leur 
propre  doctrine.  Ils  ne  lui  pardonnaient  pas  plus  ses  nou- 
veautés que  ses  routines.  Ils  en  concevaient  de  l'irritation  ; 
et  c'est  là  qu'il  faut  chercher  la  première  origine  de  la 
Deffence  et  it/ustration   de  la  lanffiie   françoyse  '. 

'  C'est  le  naris  emunctae  (ritorace. 

-  Liv.  II,  cliap.  2. 

•'  Liv.  IF,   cliap.  H. 

'  Liv.  Il,  chap.   14. 

'  M.  Roy  le  premier  a  bien  vu  que  la  Deffence  est  a  une  réfutation  et  un 
toniplément  autant  qu'un  livre  original  ».  {Rev.  d'hist.  litt.  de  la  France, 
1895,  p.  237,  et  1897,  p.  420  .  «  Si  du  Bellay,  dit-il.  critique  ou  complète  le 
traité  de  son  devancier,  c'est  moins  encore  [)ar  suite  d'un  dissentiment 
littéraire,  que  sous  le  coup  de  cette  impatience  naturelle  à  un  critique  qui 
voit  ses  propres  idées,  des  idées  qui  lui  sont  chères,  à  demi  devinées  par 
d'autres,  et  mal  traitées,  mal  développées  ou  réduites  en  sèches  formules. 
De  fait  une  bonne  partie  de  la  Deffence  et  Illustration  était  déjà  indiquée 
et  esquissée  dans  VArt  Poétique.  »  Ce  point  de  Aue  de  M.  lloy  est  delà  plus 
rigoureuse  exactitude.  Une  édition  annotée  de  la  Deffence  pourrait  seule 
relever  toutes  les  e.\])rcssioas  que  son  auteur  a  copiées  dans  Sibilet  : 
L'ignorance  de  nos  majeurs  iD.  .itj—P.  I.  21.  la  pièce  du  harnois  (D.  63=P.  11.9), 
imiter  à  pied  levé  (D  73'=P.  II,  (5),  la  toile  de  Pénélope  (D.  136=P.  I.  oi,  etc. 
Le  titre  même  du  manifeste  est  déjà  dans  Sibilet  :  «  V illustration  et  augmen- 
tation de  notre  langue  françoise  »  (I,  4|.  Chose  curieuse  :  le  vers  que  blâme 
du  Bellay  ID.  142)  comme  mal  coupé,  Sinon  que  tu  en  montres  un  plus  seur, 
est  le  dernier  vers  du  Sonnet  à  L'Emieux  qui  précède  VArt  Poétique.  J'aurai 
l'occasion  d'indiquer  plus  loin  (chap.  iv)  les  points  essentiels  sur  lesquels 
du  Bellay  critique  ou  complète  Sibilet. 


94  JOACHIM    DU    BELLAY 

h'Art  Poétique  était  k  peine  paru  qu'ils  songèrent  à  la 
riposte.  Si  Ton  voulait  avoir  la  gloire  de  restaurer  la  poésie, 
il  était  grand  temps  de  sortir  de  l'ombre.  L'heui'e  était  venue 
de  prendre  position,  d'indiquer  nettement  au  public  le  rôle 
auquel  on  prétendait,  de  condenser  dans  un  symbole  l'ensemble 
des  croyances  littéraires  qu'on  érigeait  en  dogmes  pour  l'avenir. 
La  Deffence  fut  cette  profession  de  foi.  (î'est  une  œuvre  de 
collaboration,  où  prit  part  le  groupe  tout  entier  :  elle  résuma 
les  théories  nées  des  études  communes  et  des  communes 
discussions.  Bien  hardi  qui  voudrait  préciser  l'apport  de 
chacun. ' 

Pourtant  cette  œuvre,  où  se  reflétaient  les  idées  de  tous, 
deux  seulement  pouvaient  l'écrire  :  Ronsard  et  du  Bellay. 
Baïf  était  trop  jeune,  et  quant  à  Dorât,  il  était  plus  professeur 
qu'écrivain.  C'est  du  Bellay  qui  rédigea  le  manifeste.  Mais 
pour([uoi    lui    plutôt  que    Ronsard  ? 

J'en  vois  plusieurs  raisons.  D'abord,  dernier  venu  dans  le 
groupe,  il  avait  sans  doute  à  cœur  de  réparer  le  temps  perdu, 
de  se  montrer  l'égal  des  autres,  sinon  par  la  science,  au  moins 
p;ir  l'ardeur  de  ses  convictions.  De  plus,  Ronsard  était  timide, 
ami  du  calme  et  du  repos.  On  l'a  dit  justement  :  ((  11  était  peu 
fait  pour  la  lutte,  et  particulièi^ement  pour  la  lutte  littéraire. 
Comme  presque  tous  ceux  ([ui  ont  de  l'éloquence,  il  manquait 
d'esprit  ^  ».  Du  Bellay,  lui,  n'en  manquait  pas.  Il  était  volon- 
tiers batailleur  :  ce  fier  gentilhomme,  que  le  destin  avait  seul 
empêché  d'être  soldat,  n'était  pas  gêné  de  manier  la  plume 
ainsi  qu'une  épée.  Et  puis,  il  n'avait  pas  ces  scrupules  litté- 
raires qui  pesaient  lourdement  sur  Honsard,  le  retenant  des 
mois  entiers  sur  un  ouvrage  qu'il  jugeait  toujours  imparfait.  Il 
était  aussi  pressé  de  produire  et  de  publier  que  son  camarade 
était   hésitant   et    circonspect,    par   défiance    de   lui-même  et  par 

^  Sur  ce  point,  v.  les  réflexions  de  Plôlz.  p.  3-4. 
-  I^'aguet,  Seizième  siècle,  p.  205. 


LE    COLLÈGE    DE   COQUERET  9;» 

souci  de  la  perfection'.  Eutiii,  —  et  c'est  un  point  ([uon  un 
pas  noté,  —  pour  que  le  manifeste  eiit  l'accueil  du  public,  il 
n'était  pas  indid'crent  qu'il  fût  signé  d'un  nom  illustre.  Celui  de 
Ronsard  était  loin  de  l'être  ;  mais  on  sait  quel  éclat  avait 
l'ejailli  sur  les  du  lîellay.  Peu  de  noms  étaient  à  ce  point 
lameux.  Et  qu'on  ne  dise  pas  :  la  Dejjence  était  anonyme.  Les 
initiales  mystérieuses  de  l'en-tête,  I.  D.  B.  A.  -,  se  laissaient 
aisément  deviner.  On  n'avait  qu'à  tourner  la  page  :  huit  vers 
grecs  de  Dorât  révélaient  le  nom  de  l'auteur,  dont  la  patrio- 
tique entreprise  était  comparée  aux  actions  patriotiques  de  ses 
glorieux  parents  '.  La  même  raison  qui  fit  dédier  l'ouvrage  au 
cardinal  du  Bellay,  alors  tout-puissant  à  Rome,  en  lit  confier 
la  rédaction  à  son  neveu.  Gomment  un  livre  où  brillait  un  tel 
nom  aurait-il  pu  passer  inaperçu  ? 

Ronsard  d'ailleurs  fut  le  premier  à  pousser  du  Bellay  de 
l'avant.  Dans  un  Discours  à  Louis  des  Masures  (i56o),  évo- 
quant l'ombre  de  son  ami,  mort  depuis  quelques  mois,  il 
mettait  dans  sa  bouche  ces  paroles  : 

Ronsard,   que   sans  tache  denvie 
J'aimay  quand  je  vivois  comme  ma  propre   vie. 
Qui  premier  me  poussas  et  me  formas  la   vois 
A  célébrer  V honneur  du  langage  François — " 

Ce  témoignage  serait  suspect,  s'il  n'était  contirmé  par  du 
Bellay  lui-même  :  «  Voulant  satisfaire  à  l'instante  requeste  de 
mes  plus  familiers  amis,  je  mosay  bien  avanturer  de  mettre 
en  lumière  mes  petites  poésies  :  après  toutesfois  les  avoir 
communiquées  à  ceux  que  je   pensoy"  bien  estre  clervoyans   en 

'  Je  me  suis  expliqué  sur  ce  point  clans  mon  article  sur  «  l'invention  de 
l'Ode  n.  Rev.  d'hist.  litt.  de  la  France^  15  janv.  1899,  p.  47. 

-  loachim  Du  Bellay  Angevin. 

'  Sainte-Beuve  a  donné  de  cette  épigrauime  une  jolie  traduction  ilSoii- 
veaux  Lundis,  XIII,  282). 

'  Blanehemain,  VII,  62. 


9(j  JOACHIM    DU    BELLAY 

telles  clioses.  singulieremenl  à  Pierre  de  Ronsard,  qui  m'y 
donna  plus  grande  hardiesse  que  tous  les  autres  »  (1,  72). 
Du  Bellay  justement  avait  dans  ses  papiers  des  sonnets  pétrar- 
quistes  et  des  odes  horatiennes  qu'il  songeait  à  publier  quel- 
que jour,  avec  une  épltre  au  lecteur  pour  justilier  leur  «  nou- 
veauté ».  L'apparition  de  1'^/'/  Poétique  le  força  de  hâter  ses 
projets  et  le  décida  bien  certainement  à  transformer  Tépître 
en  manifeste  '.  Pressé  par  ses  amis  et  surtout  par  Ronsard,  il  lit 
un  recueil  de  ses  productions,  y  mit  promptement  la  dernière 
main,  et  bâcla  la  Dejf'enee,  avec  la  pensée,  ])eut-être  sincère, 
de  la  reprendre  un  jour  plus  à  loisir  ou  de  la  voir  reprise 
par  son  docte  rival  '.  Lorsqu'il  fut  prêt,  il  se  mit  en  devoir 
de  livrer  au  public  et  ses  poésies  et  son  manifeste.  Il  obtint 
un  privilège  le  20  mars  i548  (n.  s.  i549),  et  vers  Pâques  i549 
parut,  avec  l'Olive  et  les  Vers  Ij'riques,  la  Dejj'ence  et  illus- 
tration de  la  langue  françoj'se  '\ 

*  2'  préf.  de  VOlive  :  «  Je  eraignoj  '. . . .  que  telle  nouveauté  de  poésie 
pour  le  commencement  scroit  trouvée  fort  étrange  et  rude.  Au  moyen  de 
quoy,  voulant  prévenir  celé  mauvaise  o|)inion,  et  quasi  comme  applanir 
le  chemin  à  ceux  qui  excitez  par  mon  petit  labeur  voudroient  enrichir 
nostre  vulgaire  de  ligures  et  locutions  cslrangeres  :  je  mis  en  lumière  ma 
Deffence  et  Illustration  de  la  langue  Françoise  :  ne  pensant  toutefois  au 
commencement  faire  plus  grand  œuA  le  t[u'une  epistre,  et  petit  adverlisse- 
ment  au  lecteur  »  (I.  73). 

-'  Ceci  résulte  de  deux  passages  de  la  Deffence  :  1"  «  J'ay  bien  aouIu... 
tellement  qucllenuiit  ébaucher  [le  portrait  du  poëte]  :  esj)erant  que  par 
moy,  ou  i»ar  une  plus  ilocte  main,  il  pouia  recevoir  sa  perfection  »  (p. 99); 
2°  «  llecoy  «louques  ce  petit  ouvraige.  comme  un  desseing  et  protraict  de 
quelque  grand  et  laborieux  édifice,  que  j'entreprendray  (possible)  de  con- 
duyre,  croissant  mon  loysir  et  mon  scavoir  »  (p.   104). 

NOTE 

suit     1..V     UATE     K.VAGTE  DE    LA     «    DEFFENCE    »   . 

■  La  Dejfence  et  Jilu.stration  de  la  Lawjue  Francoyse.  Par 
I.  D.  B.  A.  Paris,  Arnoul  l'Angelier,  id^î),  pet.  in-8".  —  Le  privi- 
lège est  le  même  pour  la  Dejfence  et  VOlive  :  la  plupart  du 
temps  les  dcu.v  ouvrages  sont  reliés  enseuible.  —  Cette  publication 
soulève    un  problème  délicat,  qu'on    n'a   j)as    résolu    jusqu'à  ce    jour 


LK    COLLÈGE    DIO   COQL'RIIKT  97 

et  dont  l;i  solution  est  de  toute  iiui)ortancc  :  la  Dejfence  est-elle 
de  io49  ""  ^^  ^'^So  ?  Le  privilège  est  bien  du  20  mars  i548, 
qu'il  faut  lire  i549  (o-  s  )  ;  mais  la  dédicaee.  du  i."j  tôviicr  lô^t), 
doit-elle  se  lire  d'après  l'aneien  ou  le  nouv^eau  style  ?  est-elle 
antérieure  d'a/t  mois  ou  postérieure  de  onze  mois  au  privilège  ? 
On  connaît  les  variations  de  Sainte-Heuve  sur  ce  point  :  depuis 
lui,     les    critiques    n'ont  pu    tomber    d'accord. 

On  peut  établir  que  la  Deffence  a  paru  certainement  en  iS^g. 
Tout  d'abord,  s'il  est  vrai  que,  jusqu'à  l'ordonnance  de  i5G"3, 
l'année  officielle  commença  à  Pâques,  il  n'est  pas  moins  vrai 
que  cette  manière  de  compter  n'était  pas  admise  unanimement, 
et  que  dans  bien  des  cas  ou  taisait  partir  l'année  du  !"■  janvier. 
Aux  preuves  données  par  Plolz  (p.  0-;),  on  peut  ajouter  celle- 
ci  :  des  Lettres  et  Mémoires  (ï Estât  de  Ribier  il  résulte  qu'à 
cette  époque  (io49)  ^^  employait  indifféremment  les  deux  styles  : 
le  roi  lui-même  datait  tantôt  d'une  manière,  tantôt  d'une  autre. 
Toutefois  le  nouveau  style  semble  avoir  dominé.  Du  Bellay, 
pour  sa  part,  comptait  à  la  romaine,  ainsi  que  l'attestent  plusieurs 
de  ses   poèmes  (I,    190,  278,    283   ;    II,    54    et    56). 

Sans  j>arler  de  cette  raison  générale,  des  arguments  parti- 
culiers établissent  avec  une  précision  rigoureuse  que  la  Deffence 
et  l'Olive  sont  antérieures  au  Recueil  de  Poésie,  qui  parut  à  la 
fin  de  i549  • 

1°  Dans  la  dédicace  du  Recueil  de  Poésie  à  iMadame  Margue- 
rite, datée  du  2'3  octobre  i549,  du  Bellay  rappelle  qu'il  a 
«  depuis  peu  de  temps  mis  en  lumière  quelques  peliz  ouvraiges 
poétiques,  pour  satistaire  à  l'instante  prière  d'aucuns  siens  amis  » 
(  I,  219).  11  ne  peut  être  évidemment  question  que  de  l'Olive  et 
des  Vers  lyriques.  C'est  d'ailleurs  ce  qui  ressort  clairement  de  la 
comparaison  de  ce  passage  avec  deux  autres  passages  qu'on  peut 
lire    dans  la    i'''^    et    la   2*^  préface   de    l'Olive    (1,   68    ;    I,    ji). 

2'  Dans  l'Ode  a  Mellin  de  Sainct  Gelais,  qui  fait  partie  de 
ce     même    Recueil    de    Poésie,    on  lit  ceci   : 

Mes    vers,    qui    souloient  resonner 

De    Venus    les   ardentes    larmes....   (I,    238). 

C'est    encore    une    allusion      à    l'Olive. 

3"  La  dédicace  de  la  Deffence  au  cardinal  du  Bellay  nous 
le    dépeint    comme     jouant     à    Rome    un    rôle    considérable.    C'était 

Univ.  de  Lille.  Tome  VIII    A.  7. 


98  JOACHIM    DU    BELLAY 

vrai  en  février  i549  (Ribier,  II,  191),  mais  non  plus  en  février 
i55o,  le  cardinal  étant  tombé  en  disgrâce  au  mois  d'avril  i549 
(Ribier,  II,    206). 

4"  L'iphig-ene  d'Euripide  traduite  par  Sibilet  (dédicace  du  i" 
septembre  io49  5  privilège  du  i3  novembre  i549)  ^st  précédée 
d'une  épître  «  aus  Lecteurs  »  qui  contient  une  réponse  à  la 
Deffence,    comme    on   verra  plus  loin    (chap.   v). 

De  tous  ces  témoignages  concordants  il  résulte  que  la  dédi- 
cace de  la  Dejfence  (10  février  i549)  doit  être  lue  d'après  le 
nouveau  style,  familier  à  du  Bellay,  qu'elle  a  précédé  d'un  mois 
le  privilège  daté,  suivant  le  style  de  la  chancellerie,  du  20  mars 
1Ô48,  et  que  la  Deffence  enfin  a  dû  paraître  aux  environs  de 
Pâques  i549,  Q^i   tombait    cette   année-là   le   21    avril. 


CHAPITRE     III 


LA  «  DEFFE^GE  DE  LA  LANGUE  FRAiNCOYSE  » 

1549 


I.  —  L'antinomie   de  la    «   DefEence  ».    —   Comment  on  peut  la 

résoudre.  —   Une  ambition  patriotique  :  le  désir  d'égaler 

l'Italie.  —  Composition  défectueuse  de  l'ouvrage. 

II.  —  La  partie  apologétique  de  la  «  Deffence  ».  —  Développement 

de  l'humanisme  :  dangers  courus  par  le  français. 

III.  —  Précurseurs  de  du  Bellay  dans  la  défense  de  cette  langue. 

—  Rôle  des  poètes  :  Jacques  Peletier.  Charles  de  Sainte- 
Marthe,  Charles  Fontaine,  François  Habert.  —  Utilité 
d'une  nouvelle  intervention. 

IV.  —  Du  Bellay  défenseur  du  français.  —  Théorie  de  l'origine  des 

langues.  —  Arguments  en  faveur  du  français  :  sa  pau- 
vreté actuelle,  sa  richesse  possible.  —  Attaque  contre  les 
Latineurs.  —  Nécessité  d'écrire  en  français. 


1 


La  Deffence  et  illustration  de  la  langue  françojse  est  une 
œuvre  complexe,  inspirée  à  la  fois  par  le  sentiment  le  plus 
patriotique'    et  l'esprit  le    moins    national;     cest    une   apologie 

'  Cette  intention  patriotique  n'est  pas  douteuse.  Du  Bellay  dit  lui  même 
de  son  livre  :  «  C'est  la  DelFence  et  Illustration  de  nostre  langue  Francoyse. 
A  l'entreprise  de  laquele  rien  ne  m'a  iuduyt,  que  l'aiTection  naturelle  envers 
ma  Patrie  »  (p.  40-47).  Cf.  p.  99  :  u  Pour  le  devoir  en  quoy  je  suys  obligé  à  la 
Patrie  ». 


100  JOACHIM    DU    BELLAY 

de  la  langue  vulgaire  contre  ceux  qui  la  dédaignent  et  lui 
préfèrent  les  langues  anciennes,  et  c'est  une  critique  de  nos 
vieux  poètes  dont  le  faible  talent  n'a  pas  su  l'illustrer;  c'est 
un  plaidoyer  pour  le  français  contre  les  humanistes  trop  épris 
d'Antiquité,  mais  c'est  aussi  un  plaidoyer  pour  l'humanisme 
contre    les    Français    trop    épris    de   Moyen   Age. 

De  là,  tout  au  fond  de  l'ouvrage,  une  sorte  de  contra- 
diction, qui  ne  peut  se  résoudre  que  si  l'on  ne  perd  pas  de 
vue  cette  idée  essentielle  :  la  Pléiade ,  fascinée  par  l'Italie., 
hypnotisée  par  ses  chefs-d'œuvre,  a  voulu  faire  en  France  ce 
qui  s'était  fait  avec  tant  de  succès  dans  la  péninsule.  Les 
Italiens  du  xyi*^  siècle  montraient  avec  orgueil  au  reste  de 
l'Europe  une  littérature  de  premier  ordre,  toute  pénétrée  de 
l'idée  du  beau,  toute  splendide  du  sens  de  l'art.  Pourquoi  la 
France  n'aurait-elle  pas  essayé,  par  les  mêmes  moyens,  d'at- 
teindre au  même  prestige?  Tel  est  le  vrai  point  de  départ  des 
ambitions  de   la   Pléiade. 

L'orgueil  national,  voilà  son  mobile.  Elle  a  très  vive  cette 
conviction  que  la  France  n'est  inférieure  à  l'Italie  ni  dans  les 
armes  ni  dans  les  lois  ni  dans  les  mœurs.  C'est  trop  peu 
dire  :  elle  décerne  à  sa  patrie,  non  sans  fierté  jalouse,  une 
supériorité  politique  et  morale  sur  laquelle  du  Bellay  s'étend 
avec  complaisance  :  «  Aussi  diray-je  bien....  que  la  France, 
soit  en  repos  ou  en  guerre,  est  de  long  intervale  à  préférer 
à  l'Italie,  serve  maintenant,  et  mercenaire  de  ceux  aux  quelz 
elle  souloit  commander  »  (p.  i5.)).  Et  passant  en  revue  tous 
les  avantages  de  la  terre  natale,  il  ajoute  :  «  Je  suis  content 
que  ces  félicitez  nous  soient  communes  avecques  autres  nations, 
principalement  l'Italie  :  mais  quand  à  la  pieté ,  religion ,  inté- 
grité de  meurs,  magnanimité  de  couraiges,  et  toutes  ces  vertuz 
l'ares  et  antiques  (qui  est  la  vraye  et  solide  louange),  la 
France  a  tousjours  obtenu  sans  controverse  le  premier  lieu  » 
(p.   i56).    —   La   Pléiade  n'a  pas    voulu   que    la    France,    supé- 


LA    «  DEFFENCE    LE   LA    LANGUE   FRANÇOYSE  ))  101 

riciire  sur  tant  de  points  à  l'Italie,  lui  restât  inférieure  dans 
les  lettres.  Elle  a  donc  entrepris  de  combler  cette  lacune  en 
fondant  la  grandeur  littéraire  de  la  France.  Elle  a  ressenti 
comme  une  humiliation  d'amour-propre  à  mesurer  la  différence 
qui  séparait  intellectuellement  les  deux  nations.  «  Certes, 
s'écrie  du  Bellay,  j'ay  grand'  honte  quand  je  voy'  le  peu 
d'estime  que  font  les  Italiens  de  nostre  poésie,  en  comparaison 
de  la  leur,  et  ne  le  treuve  beaucoup  étrange,  quand  je  consi- 
dère que  Aoluntiers  ceulx  qui  écrivent  en  la  langue  Toscane 
sont  tous  personnaiges  de  grand"  érudition  '  ».  Dans  sa 
douleur  patriotique,  la  Pléiade  a  résolu  d'etl'acer  jusqu'aux 
derniers  vestiges  de  cette  inégalité  littéraire.  Sa  tentative  est 
née  tout  entière  du  très  ardent  désir  de  rivaliser  avec  les 
Italiens  et,  si  possible,  de  les  surpasser.  Son  principe  direc- 
teur fut  un  principe  d'émulation  ". 

Pour  atteindre  à  cet  idéal,  le  moyen  le  plus  simple,  évi- 
demment, celui  qui  se  présentait  tout  dabord  à  l'esprit, 
c'était  de  procéder  comme  les  Italiens,  de  refaire  ce  qu'eux- 
mêmes  avaient  fait.  Or,  cherchant  d'où  venait  à  leur  poésie 
sa  valeur  esthétique,  la  Pléiade  croyait  en  trouver  deux 
raisons    :    le   culte  de   la   langue  nationale   et  le  culte  de  l'Anti- 

1  2'  préf.  de  V Olive  (I.  74). 

-  Cf.  ces  vers  signilicalifs  de  Ronsard,  dans  une  Elégie  à  Casstindre,  qui 
fait  partie  du  Bocage  de  1554  {("  20  Vi  : 

....  Je  me  paissois  d'espoir 
De  faire  un  jour  à  la  Tuscane  voir 
Que  nostre  France  autant  qu'elle  est  iieureuse 
A  souspirer  une  plainte  amoureuse, 
Et,  pour  monstrer  qu'on  la  peut  surpasser, 
J'avois  desjà  commencé  de  trasser 
Mainte  elegie  à  la  façon  antique. 
Mainte  belle  ode,  et  mainte  bucolique. 
Car,  à  vraj"  dire,  encore  mon  esprit 
N'est  satisfait  de  ceus  qui  ont  escrit 
En  nostre  langue,  et  leur  Muse  mérite 
Ou  (lu  tout  rien,  ou  faveur  bien  petite. 

(Blanchemain,  I,  125). 


102  JOACHIM    DU    BELLAY 

quité.  Dans  le  spectacle  grandiose  qu'offraient  à  ses  yeux 
éblouis  les  lettres  italiennes,  deux  choses  la  frappaient  :  d'une 
part  la  langue  toscane  avait  triomphé  de  la  langue  latine, 
d'autre  part  la  poésie  italienne  s'était  illustrée  par  l'imitation 
des  genres  antiques.  Il  n'en  fallait  pas  davantage  pour  qu  elle 
crût  légitime  de  conclure  que  le  seul  moyen  de  faire  de  la 
France,  intellectuellement,  l'égale  de  l'Italie,  c'était  d'associer 
le  culte  des  anciens  à  l'amour  de  la  langue  maternelle,  et 
pour  qu'elle  rêvât  de  fonder  sui"  l'imitation  des  littératures 
antiques    une    nouvelle  littérature   nationale. 

Une  réserve  cependant  est  nécessaire.  Dans  l'assimilation 
quelle  établissait,  la  Pléiade  oubliait  une  chose  :  c'est  que 
nous  ne  sommes  pas  fils  des  Latins  au  même  degré  que  les 
Italiens.  Ces  derniers,  en  effet,  sont  les  descendants  directs 
des  Romains,  et  lorsque  Pétrarque  et  Boccace.  lorsqu'après 
eux  les  cinqcentistes  concevaient  la  littérature  comme  un 
retour  à  l'Antiquité,  c'est  en  somme  une  tradition  qu'ils 
renouaient  :  ils  pouvaient  croire  de  bonne  foi  qu'ils  reprenaient 
l'œuvre  des  ancêtres  un  moment  interrompue  ;  cette  renais- 
sance de  l'Antiquité  avait  quelque  chose  de  patriotique  et  de 
national.  La  même  renaissance  transportée  chez  nous  n'avait 
plus  tout  à  fait  le  même  caractère  :  car,  si  nous  sommes 
aussi  par  bien  des  points  des  tils  de  Rome,  toutefois,  au 
sang  latin  qui  coule  dans  nos  veines  se  mêle,  en  assez  forte 
proportion,  et  du   sang    gaulois  et    du   sang   tudesque. 

Le  manifeste  de  la  Pléiade  repose  sur  deux  idées  :  i"  il 
faut  cultiver  le  français;  2"  il  faut  imiter  les  anciens.  De  là, 
ces  deux  termes  du  titre  :  Dejfence  et  Illustration.  De  là, 
cette  division  de  l'ouvrage  en  deux  livres.  Mais  la  compo- 
sition n'est  pas  à  beaucoup  près  aussi  rigoureuse  qu'on  pour- 
rait le  s\ii)poser  d'après  ce  qui  précède.  Même  au  xvi^  siècle, 
où  r()n  compose  en  général  très  faiblement,  il  existe  peu 
d'ouvrages   qui   soient  aussi   désordonnés.    La   i'aute   en    est  sans 


LA    ((  DEFFFNCK    DE    LA    LANGL'F,    FRANÇOYSE  )>  103 

doute  à  la  jeiinesse  de  l'écrivain,  à  son  inexpérience  du 
métier  littéraire,  à  son  ardeur  de  combattant,  à  son  désir  de 
frapper  fort  et  vite,  peut-être  aussi,  dans  une  certaine  mesure, 
à  la  collaboration  de  ses  camarades.  Certaines  idées  sont  tour 
à  tour  émises,  laissées,  reprises,  sans  qu'on  voie  bien  pour- 
quoi: d'autres  sont  loin  d'avoir  le  développement  qu'exigerait 
leur  importance:  enfin,  les  obscurités,  les  illou^ismes  et  les 
contradictions  sont  la  preuve  évidente  que  l'auteur  écrivait  au 
courant  de  la  plume,  sans  réflexion  et  sans  méthode  '.  Force 
est  donc,  pour  analyser  la  Dejfence,  de  reconstituer  en  quel- 
que sorte  le  travail  latent  qu'accomplit  la  pensée  de  l'auteur, 
et  d'apporter  dans  l'exposé  de  ses  doctrines  un  ordre  qu'il 
n'y  a  pas  mis. 

11 

La  Deff'ence  est  d'abord  une  apologie  de  la  langue  fran- 
çaise. Du  Bellay  voit  dans  la  langue  une  part  du  patrimoine 
national  :  ((  La  mesme  loy  naturelle,  qui  commande  à  chacun 
défendre  le  lieu  de  sa  naissance,  nous  oblige  aussi  de  garder 
la  dignité  de  notre  langue  »  (p.  i53).  Et  patriotiquement,  il 
la  défend  contre  ses  adversaires.  Mais  une  question  se  pose  : 
pour  avoir  besoin  d'être  ainsi  défendue,  après  plusieurs  siècles 
d'existence,    son   droit  à  vivre  était  donc  contesté  ? 

11  l'était.  Sans  parler  des  obstacles  qu'opposaient  à  son 
développement  comme  langue  littéraire  ces  deuxjpuissances, 
l'Ecole    et   l'Eglise  ^    l'idiome    maternel  était   de[)uis   un    demi- 

'JQuelques  exemples  précis  de  cette  composition  défectueuse  :  la  défense 
de  la  langue,  à  peine  entamée  (I,  2),  est  brusquement  interrompue  (I,  ri),  et 
puis  reprise  dans  un  chajiitre  (I,  9)  qui  n'est  que  confusion  La  critique  des 
poètes  français  rst  faite  en  deux  fois  (II.  2  et  11).  I,a  théorie  de  l'imitation 
est  de  même,  contre  toute  raison,  coupée  en  deux  (I,  (S  et  II,  3).  Les  préceptes 
de  détail,  au  lieu  d'être  ramassés,  sont  épars  çà  et  là  :  ainsi,  pour  la  ryth- 
mique, il  faut  aller  chercher  en  quatre  endroits  le  peu  qu'en  dit  l'auteur 
(11.  4,  7,  8,  9). 

-  Sur  ce  point,  v.  l'exposé  de  M.  Brunot,  dans  son  chapitre  sur  «  la 
langue  au  xvi*  siècle  »,  p.  644  sqq. 


104  JOACHIM    DU    BELLAY 

siècle  fortement  menacé  par  les  progrès  croissants  de  Ihuma- 
nisine.  11  s'était  produit  chez  nous  le  même  fait  que  dans 
l'Italie  du  xv^  siècle.  Philologues  et  lettrés,  dans  leur  fana- 
tisme pour  les  langues  anciennes,  avaient  délaissé  la  langue 
vulgaire,  qu'ils  taxaient  d'impuissance  radicale,  et,  sous  pré- 
texte que  le  français  était  incapable  de  porter  la  pensée,  c'est 
on  latin  qu'on  écrivait  tous  les  ouvrages  de  philosophie  et 
de  religion,  de  critique  et  de  science,  d'érudition  et  de  gram- 
maire. On  connaît  l'opinion  de  Budé  sur  ce  point  et  le  rêve 
qu'il  formait  d'un  latin  éternel,  susceptible  de  s'enrichir  pour 
correspondre  au  changement  indéfini  des  mœurs  et  des  idées'. 
Encore,  si  l'ambition  des  humanistes  se  fût  bornée  à  perpé- 
tuer le  latin  comme  langue  scientifique,  il  n'y  eût  eu  que 
demi-mal.  C'est  luic  question  de  savoir,  en  effet,  si,  la  science 
étant  universelle,  il  n'y  aurait  pas  intérêt  pour  elle  à  s'exprimer 
dans  une  langue  universelle,  et  l'on  peut  soutenir,  sans  être 
paradoxal,  que  le  latin,  à  condition  qu'il  puisse  se  transformer 
suivant  les  besoins  de  la  science,  est  encore  la  meilleure  des  langues 
universelles  '.  Mais  l'humanisme  poussait  plus  loin  ses  préten- 
tions, et,  non  content  de  faire  du  latin  la  langue  des  savants, 
il  voulait  l'installer  à  la  place  du  français  comme  langue 
arti  clique,  lui  réserver,  avec  les  œuvres  de  science,  les 
ouvrages  d'imagination  et  de  sentiment,  dont  le  premier 
mérite  est  d'être  individuels.  A  la  faveur  de  ces  idées,  le  latin 
s'était  emparé  de  la  prose  d'art  aussi  bien  que  des  vers.  Le 
cicéronianisme  est  trop  connu  pour  qu'il  soit  nécessaire  d'y 
insister  ;  mais  ce  qu'on  sait  iinniis,  c'est  que  de  i5oo  à  i549 
s'était  développée  chez  nous  toute  une  poésie  néo-latine  qui 
faisait  à  la  Muse  nationale  une  laide  concurrence.  Une  foule 
de   poètes,   par   de    doctes  plagiats,    s'ingéniaient  à   marcher  sur 

'   Rphitlé,  thèse  sur  Budé,  p.  192-103. 

-  V.   l;i-dessus  les  su5î54cstives  réflexions    de  M.  l'aguct,  dans  sou  artiele 
sur  ((  l'Alexandrinisnie  ))  (Revue  des  Deux-Mondes,  1"  mai  IXili,  p.  i:jl-132). 


LA    «   DEFFENCE    DE    LA    LANGUE    FRANÇOYSE  ))  lUo 

les  pas  de  Virgile  et  d'Horace,  de  Catulle  et  d'Ovide  '. 
L  un  d'entre  eux,  Salnioii  Macriii,  s'adressant  à  ses  rivaux  les 
plus  illustres,  Germain  Brice,  Jean  Dampierre,  Nicolas 
Bourbon,  Etienne  Dolet  et  Jean  ^  oulté,  les  louait  hautement 
d'avoir  fait  de  la  France,  naguère  encore  barbare  et  sans 
culture,    l'égale  de  la   Grèce    et   de    Home    : 

'  Un  simple  tableau  des  principaux  recueils  de  vers  parus  de  lij2ij  à  liiW 
pourra  donner  quelque  idée  de  l'importance  de  ce  mouvement  : 
1527.   Paillas,  de  l'ierreRosset. 
lo28.   Carminum  libelliis,  de  Salmon  Macrin. 
1530.   Odae  aliquot,  d'Olivier  Conrad. 

Carminum  libri  IV,  de   Salmon  Macrin. 

Aediloquium  ceii  Disticha,  de  GeolFroj-  Tory. 
lo31.  Epistolae  gratulatoriae  IV,  de  Germain  Brice. 

Lyricoriim  libri  II,  de  Salmon  Macrin. 

1533.  Niigarnm  libri  V///,  de  Nicolas  Bourbon. 

1534.  Cliristus,  de  Pierre  Rosset. 

1536.  Bombarda,  de  Barth.  Latomus. 
Epigrammatum  libellas,  d'Hubert  de  Soissons. 
Poemata,  de  Ben.  Theocrenus. 
Epigramm,atiim.  libri  II,  de  Jean  Voulté. 

1537.  Hjninorum  libri  VI,  de  Salmon  Macrin. 
Odariim  libri  VI,  du  même. 
Epigrammatum  libri  IV  et  Xenia,  de  Jean  Voulte 

1538.  Xiigae  {2''  édit.),  de  Nicolas  Bourbon. 
Carminum  libri  IV,  d'Etienne  Dolet. 

Psalnii  VII  et  Paeaniim  libri  IV,  de  Salmon  Macrin. 
Ludorum  libri,  d'Hubert  de  Soissons. 
Inscriptionum  libri  II,  Xeniorum  libellus,  de  Jean  Voulte. 
Hendecasyllaboriim  libri  IV,  du  même. 

1539.  Francisci  Valesii  Gallorum  régis  fata,  d'Etienne  Dolet. 
Genethliacum  Claiidii  Doleti,  du  même. 

1540.  Rapina  seu  raporum  encomiiim,  de  Claude  Bigothier. 
Niigae  {'.V  édil. ),  de  Nicolas  Bourbon. 
Hymnorum  selectorum  libri  III,  de  Salmon  Macrin. 

1541.  Pandora,  de  Jean  Olivier. 

1542.  Pandora  (2'  édil),  du  même. 

1543.  Cliristus  (2^  édit.),  de  Pierre  Rosset. 
1540     Odarum  libri  III,  de  Salmon  Macrin. 

Poem.ata,  du  cardinal  Jean  du  Bellay. 

1548.  Poemata,  de  Théodore  de  Bèze. 

1549.  Epitome  vitae  D   X.   I.    C...    Varia  item  poematia.    .,  de   Salmon 

Macrin . 
11  faut  joindre  à   cette  liste  toutes  les  poésies  déjà  composées,  mais  non 
publiées  encore,  par  Aneau,  Buctianan,  Dampierre,  Dorât,  L'Hospital,  Muret, 
Turnèbe,  etc. 


106  JOACHIM    DU    BRLLAY 

Yestra  nanique  opéra  et  labore  factura, 
Insigni  simul  eruditione, 
Haec  ut  natio  Gallicana,  nulJo 
Anfe  humaniter  instiluta  cuUu, 
Et  qiiae  barhara  diceretiir  olirn, 
Jam  agrestera  exuat  expolita  morem, 
Ipsam   jam   Atthida,    Graeciamque    totam, 
Doctos  provocet  ac    Rémi  nepotes, 
Nec  sese  Italia  putet  minorera  *. 

Ce  témoignage  est  significatif.  Si  Macrin  rendait  à  des  poètes 
latins  un  pareil  hommage,  c'est  donc  qu'à  ses  yeux  les  poètes 
français   étaient   non    avenus. 

Ainsi  le  français,  considéré  comme  langue  poétique,  courait 
d'assez  graves  dangers  pour  que  la  Pléiade  eût  raison  de 
prendre  sa  défense,  et  du  Bellay  n'avait  pas  tort  de  penser 
et  de  dire  qu'on  emploierait  plus  utilement  à  cultiver  sa 
propre  langue  tout  le  talent  qu'on  dépensait  à  faire  des 
pastiches  de   TAntiquité. 


III 


Je  ne  prétends  nullement  d'ailleurs  qu'il  fut  le  premier  à 
s'en  aviser,  et  je  ne  songe  pas  à  réclamer  pour  l'auteur  de  la 
Dejfence  un  mérite  qui  revient  à  d'autres.  L'opinion  est  fondée, 
suivant  laquelle  du  Bellay  n'a  fait  que  réunir  en  faisceau, 
dans  un  style  éclatant  et  vigoureux,  des  arguments  et  des 
idées  qui,  depuis  longtemps  déjà,  hantaient  bien  des  esprits  "  : 
j'y  souscris  pleinement  pour  ma  part.  En  ce  qui  touche 
notamment  la  défense  de  la  langue  nationale,  c'est  un  point 
désormais  établi  qu'elle   avait  commencé  bien    avant  la  Pléiade. 

'  Ad^Poctas  Gallicos.  p.  37  lîu  recueil  publié  sous  ce  titre  :  Hymnorum 
libri  VI,  ad  lo.  Bellaium,  cardinalem  amplissimiim.  Paris,  Robert  Estienne, 
1o37,  in-8°. 

2  Em.  Roy,  Rev.  d'hist.  Utt.  de  la  France,  189:5,  p   233  sqq. 


LA    ((  DEFFENCE    DE    LA    LANOCE    FRANÇOYSE  ))  107 

M.  Brunot,  dans  son  chapitre  sur  la  langue  au  xvi®  siècle, 
a  relracé  cette  lutte  du  français  contre  le  latin  et  raconté  sa 
résistance  à  Thutnanisme  '.  Qu'on  uie  permette  d'ajouter  que 
l'effort  des  poètes  seconda  dignement  celui  des  savants  et  des 
granniiairiens,  et  que,  pour  avoir  été  moins  considérable,  leur 
action  en  faveur  du    français    ne    saui-ait    être   négligée. 

On  sait  déjà  la  part  que  prit  au  mouvement  Jacques  Peletier  du 
Mans,  et  j'ai  montré  plus  haut  que  la  dédicace  de  sa  traduc- 
tion de  l'Art  Poétique  d'Horace  (io45)  n'était  pas  autre  chose 
qu'une  apologie  de  la  langue  vulgaire.  D'autres  poètes  avaient 
précédé  Peletier.  Sans  remonter  jusqu'aux  rhétoriqueurs,  comme 
Jean  Lemaire  de  Belges  et  Jean  Bouchet  de  Poitiers  %  tous 
les  deux  très  zélés  partisans  du  français,  le  culte  de  l'idiome 
maternel  était  le  premier  article  de  foi  des  poètes  de  lécole 
de  Marot  C'était  un  amour  qu'ils  tenaient  du  maître.  En  i54o, 
Charles  de  Sainte-Marthe,  présentant  au  ((  lecteur  françois  » 
le  livre  de  Dolet  sur  la  manière  de  bien  traduire  d'une  langue 
en   autre,    écrivait   ce    dizain   : 

Pourquoy  es  tu  daultruy  admirateur, 
Vilipendant  le  tien  propre  langaige  ? 
Est  ce  (François)  que  tu    n'as   instructeur, 
Qui  d'iceluy  te  remonstre  l'usaige  ? 
Maintenant  as  à  ce  grand  advantaige, 
Si  vers  ta  Langue   as  quelque  affection  : 
Dolet  t'y  donne  une  introduction 
Si  bonne  en  tout,  qu'il  n'y  a  que  redire  : 
Car  il  t'enseigne  (ù  noble  invention) 
D'escrire  bien,  bien  tourner,  et  bien  dire  ^ 

'  P.  640-71S. 

-  Boucliet  parlageait  l'opinion  de  Lemaire  que  la  langue  française 
«  estoit  ^ente,  propice,  suffisante  assez  et  du  tout  élégante  pour  exprimer 
en  bonne  foy  tout  ce  que  l'on  scauroit  excogiter.  »  Ouvré.  Notice  sur  Jean 
Bouchet.  p.  20.  Poitiers,  1838,  in-8".  (Bibl.  Nat.   —  L":2T.  2;i'ii). 

^  Ce  dizain,  qui  se  trouve  à  la  lin  du  traité  de  Dolet  (Lyon,  lo40),  figure 
aussi  dans  La  Poésie  Françoise  de  Charles  de  Sainte-Marthe,  natif  de  Ion- 


108  JOACHIM    DU   BELLAY 

Six  ans  après,  Charles  Fontaine,  qui  prenait  poui*  devise 
l'anagramme  de  son  nom,  hante  le  françois,  se  faisait  un 
mérite  de  n'écrire   qu'en   sa   langue  : 

A    QVELQVES    SIENS    AMYS 

Vous  VOUS  esbahissez  comment 

J'escry  tant  en  langue  Françoyse  : 

Ce  n'est  faulte  de  jugement, 

Que  j'ay  petit,   dont  ce  me  poise  : 

Mais  un  seul  mot  sans  bruit  et  noise 

Renverse  toutes  raisons  vostres  : 

C'est  qu'une  langue  si  courtoise 

Est  nostre,  et  si  fait  fruit  aux  nostres  '. 

Lannco  même  de  la  Defjence.  François  Habert,  le  ((  bann)' 
(le  Ij'esse  »,  si  malmené  par  du  Bellay  -,  se  rencontre  avec 
lui  dans  un  même  amour  de  la  langue  natale.  Voici  ce  que 
je  lis  dans  son  épître  à  Jean  Brinon,  seigneur  de  Villennes, 
pour  lui  dédier  le    Temple  de  Chasteté  : 

Si  des  Autheurs  d'estrange  nation 
Aux  successeurs  sont  admiration, 
N'est   il  besoing  que  le  françois  language 
Aux  successeurs  tienne  le  lieu  et  guage 
D'antiquité  ?  ne  fault  il  secourir 
Xostre  language,  et  le  faire  tlorir 

tevrauU  en  Poictou,  divisée  en  trois  livres...  Lyon,  Le  Prince,  Io40,  in-8«, 
[).  78.  (Bibl.  Nal  —  Rés.  pY^  193).  —  Cf.  ce  passage  de  la  dédicace  à  la 
duthesse  d'Etanipcs  :  ((  Je  ne  veux  déprimer  l'excercice  de  la  mienne  lan- 
gue vulgaire,  veu  que  plusieurs  de  trop  plus  célèbre  nom  que  le  mien,  s'y 
sont  esbatu  :  et  mesmementque,  selon  ma  vacation,  ne  puis,  pour  le  pré- 
sent, plus  louable  sacrifice  à  ma  nation,  que  d'illustrer  sa  langue  selon 
mon  rudde  esprit  »  (p.  .'{).  ■ 

^  Liv.  II  des  Epigrarnmes  publiées  à  la  suite  de  la  Fontaine  d'Amour, 
Paris,  Jeanne  de  Marnef,  lo4tJ.  in-16.  (Bibl.  Nat.  -  Rcs.  V'.  IC.Oil).  Le  volume 
n'est  pas  paginé.  —  Celte  épigranime  est  reproduite  p.  116  des  Ruisseaux 
de  Fontaine  (l.-iiiij).  —  Dans  les  Odes,  Enigmes  et  Efjlgramtnefi  (loiJT),  on 
trouve  encore  d'autres  pièces  en  faveur  du  français,  p.  (i^  et  78. 

-  Dejfence,  p.  loO. 


LA    ((   UEFFENCK    DE    LA    LANGUE    KHANÇOYSE   ))  lUl) 

Autant  ou  plus  (|ue  (Irec,   Latin,   Hcbrieu, 

Que  publiez  nous  voyons  en  tout  lieu  ? 

En  cest  advis  se  tient  ma  fantasie, 

Auctorisant  françoyse  Poésie, 

Donts   les  esclats  sortent  de   maints  Autheurs, 

Qui  sont  tresbons  et  sages  inventeurs  *. 

Les  vers  sont  bien  médiocres,  mais  la  pensée  est  louable. 
Ces  divers  témoig-nages.  d'autres  encore  sans  doute  qu'on 
pourrait  découvrir,  sont  la  preuve  que  beaucoup  de  poètes 
se  faisaient  un  devoir  de  défendre  la  langue  nationale  :  sur 
ce  point-là,  du  moins,  marotiques  et  novateurs  étaient  d'accord, 
11  est  donc  sans  conteste  qu'en  plaidant  pour  l'usage  du 
français,  du  Bellay  ne  faisait  pas  œuvre  nouvelle.  Il  est 
certain  qu'il  reprenait  un  combat  livré  par  vingt  autres.  La 
question  est  de  savoir  s'il  avait  tort  de  le  reprendi^e.  Pour 
moi.  je  crois  que  non.  Si  l'on  veut  rélléchir  que  la  lutte 
engagée  entre  le  français  et  le  latin  se  prolongea  longtemps 
encore,  que  même  après  la  Pléiade,  —  et  peut-être  par  la  faute 
de  la  Pléiade,  infidèle  à  ses  principes,  —  on  continua  de 
versifier  dans  la  langue  de  Virgile  et  d'Horace,  qu'en  plein 
xvii^  siècle  Boileau  trouvait  encore  des  poètes  latins  à 
railler  \  on  reconnaîtra  qu'en  i549  la  victoire  était  loin  d'être 
gagnée,  et  qu'un  secours  comme  celui  de  la  Pléiade  était 
d'autant  plus  précieux  qu'elle  avait  avec  l'humanisme  des 
attaches  plus  étroites.  Je  n'en  veux  donc  pas  à  du  Bellay 
d'avoir  entrepris  une  fois  de  plus  la  défense  de  sa  langue 
maternelle  ;  je  regrette  seulement  qu'il  s'y  soit  montré  si 
médiocre. 


'  Le  Temple  de  Chasteté  ..  par  Françoys  Hubert  d'Yssoiildun  en  Berry. 
Paris,  Michel  Fezandat,  1349.  (Bibi.  Nat.  -  Rés.  Y=.  1692).  —  Cf.  à  la  lin  du 
volume  VExhortation  sur  l'art  poétique,  à  Robert  Corbin. 

^  Fragment  d'un  dialogue  contre  les  modernes  qui  font  des  vers  latins. 


110  JOACHIM    UU    BELLAY 


IV 


Cette  partie  du  manifeste  est  de  beaucoup  la  moins  heu- 
reuse. Du  Bellay  n'est  pas  un  linguiste,  on  s'en  aperçoit  en 
lisant  son  œuvre.  Ses  intentions  sont  généreuses,  mais  sa 
science  est  en  défaut,  son  argumentation  laisse  à  désirer.  Il 
raisonne  faiblement,  aflîrmant  plus  qu'il  ne  démontre,  et 
—  circonstance  aggravante  —  il  n'a  pas  le  moindre  souci 
de  mettre  de  l'ordre  dans  ses  déductions.  Essayons  de  nous 
reconnaître   à   travers  cette  incohérence. 

Son  point  de  départ  est  une  théorie  de  l'origine  des 
langues  (I,  i).  Il  a  lu  chez  Rabelais  :  «  C'est  abus  de  dire 
que  nous  ayons  langage  naturel  :  les  langages  sont  par  insti- 
tutions arbitraires  et  convenances  des  peuples  ;  les  voix, 
comme  disent  les  dialecticiens,  ne  signifient  naturellement, 
mais  à  plaisir  '.  ))  Il  reprend  cette  idée  et  soutient  à  son 
tour  que  les  langues  ne  sont  pas,  comme  les  plantes  et  les 
arbres,  des  produits  naturels,  mais  des  créations  du  vouloir 
humain  :  qu'ayant  toutes  une  même  origine,  à  savoir  la  fan- 
taisie des  hommes,  elles  ont  toutes  à  leur  naissance  une 
même  valeur  ;  que  si  certaines  enfin  sont  plus  riches 
que  les  autres,  elles  doivent  cette  richesse,  non  pas  à 
leur  félicité  native,  mais  à  l'industrie  de  leurs  créateurs, 
mais  à  la  culture  que  leur  ont  donnée  ceux  qui  les  parlaient 
et    les    écrivaient  *.     —     On     reproche    à     cette    théorie     son 

'  Rabelais,  III,  19. 

-  «  Les  langues  ne  sont  nées  d  elles  mesnaes  en  façon  (iherbes.  racines,  et 
arbres  :  les  unes  inlirnies,  et  ilelj.les  en  leurs  esjjeces  :  les  autres  saines,  et 
robustes,  et  plus  aptes  à  porter  le  faiz  des  conceptions  liuniaines  :  mais  toute 
leur  vertu  est  née  au  monde  du  vouloir  et  arbitre  des  mortelz  Cela  (ce  me 
semble^  est  une  grande  rayson,  pourquoy  on  ne  doit  ainsi  louer  une  langue, 
et  blâmer  l'autre  :  veu  qu'elles  viennent  toutes  d'une  mcsme  source  et 
origine  :  c'est  la  fantasie  des  hommes  :  et  ont  été  formées  d'un  mesme 
jugement,  à  une  mesme  lin  :  c'est  pour  signllier  entre  nous  les  conceptions 


LA    «   DKFFENCE    DE   LA    LANOCK    FKANÇOYSE  ))  111 

excessil"  rationalisme  '  :  elle  contient  cependant  une  part  de 
vérité.  Que  les  langues  à  leur  origine  soient  des  produits  de 
la  nature,  il  est  dillicile  de  le  contester,  et  du  Bellay  se 
trompe  en  soutenant  le  contraire  ;  mais  a-t-il  si  grand  tort 
de  penser  que  la  volonté  de  rhonime  exerce  une  action  sur 
leur  développement  ?  Comme  le  dit  M.  Brunetière,  «  les 
mots  sont  quelque  chose  de  plus  que  les  signes  des  idées, 
et  une  langue  n'est  pas  seulement  une  algèbre  ou  un  orga- 
nisme :  elle  est  aussi  une  œuvre  dart  "  ».  Tant  qu'une 
langue  n'est  qu'un  commerce,  un  simple  moyen  de  communi- 
cation entre  les  hommes,  elle  se  développe  naturellement  en 
vertu  de  ses  lois  intérieures.  Mais  dès  qu'elle  est  une  œuvre 
d'art  et  que  les  mots  ont  pris  une  valeur  esthétique,  elle 
devient  un  instrument  entre  les  mains  des  écrivains,  et  s'ils 
ont  peu  d'action  sur  son  vocabulaire,  du  moins  en  ont-ils 
une  considérable  siu'  sa  syntaxe,  qu'ils  pétrissent  et  translbr- 
ment  au  gré  de  leur  génie.  Ainsi  s'explique  qu'à  chaque 
révolution  dans  les  idées  corresponde  dans  la  langue  une 
révolution  parallèle  :  la  langue  de  Voltaire  n'est  pas  celle 
de  Bossuet,  et  celle  de  Chateaubriand  n'est  pas  celle  de 
Voltaire.  Cette  action  des  écrivains  sur  la  langue  est,  comme 
on  sait,  un  des  principes  les  plus  constants  de  la  Pléiade, 
et  du  Bellay  garde  l'honneur,  en  dépit  d'une  erreur  mani- 
feste sur  l'origine  des  langues,  de  l'avoir  hardiment  formulée. 
C'est  en  partant  de  là  qu'il  va  combattre  ((  l'étrange 
opinion     d'aucuns    scavans,    qui    pensent    que    nostre    vulgaire 

et  intelligences  de  l'esprit.  Il  est  vray  que  par  succession  de  tens  les  unes, 
pour  avoir  été  plus  curieusement  reiglées,  sont  devenues  plus  riches  que  les 
autres  :  mais  cela  ne  se  doit  attribuer  à  la  félicité  desdites  langues,  ains  au 
seul  artifice  et  industrie  des  hommes  »  (p.  50).  —  Cf.  I,  10:  a  J'ay  dict  au 
eommeneeraent  de  cet  œuvre,  etlc  dy  cncores,  que  toutes  langues  sont  d'une 
mesme  valeur,  et  des  mortelz  à  une  mesme  fin  d'un  mesme  jugement 
formées  »  (p.  81). 

'  Sainte-Beuve,  Nouveaux  Lundis,  XIII,  301. 

-  Manuel  de  l'histoire  de  la  littérature  française,  p.  65. 


112  JOACHIM    DU    BELLAY 

soit   incapable   de  toutes   bonnes    lettres  et  érudition   »   (p.   5i). 

Cette  apologétique  peut  en  somme  se  ramener  à  quelques 
idées    essentielles  : 

1°  Le  français  n'est  pas  une  lang'ue  barba f-e  {l,  2).  —  On 
ne  saurait  y  contredire,  mais  ce  n'est  rien  prouver  que  d'in- 
voquer, comme  du  Bellay,  cet  argument  :  dans  nos  mœurs  et 
dans  nos  lois,  nous  ne  sommes  pas  plus  barbares  que  les 
Grecs  et  les    Romains.    C'est  raisonner  par  à   côté. 

•2°  Si  le  français  n'est  pas  une  langue  barbare,  c'est  une 
langue  pauvre  en  comparaison  des  langues  anciennes  (I,  3). 
Mais  à  qui  la  faute  ?  Cela  vient-il  dun  défaut  de  nature  ? 
Nullement  :  ((  on  le  doit  attribuer  à  l'ignorance  de  notz 
majeurs,  qui  ayans  (comme  dict  quelqu'un,  parlant  des  anciens 
Romains)  en  plus  grande  recommandation  le  bien  faire  que 
le  bien  dire,  et  mieux  aymans  laisser  à  leur  postérité  les 
exemples  de  vertu  que  les  préceptes,  se  sont  privez  de  la 
gloyre  de  leurs  bien  faitz,  et  nous  du  fruict  de  l'immitation 
d'iceux  :  et  par  mesme  moyen  nous  ont  laissé  nostre  langue 
si  pauvre  et  nue,  qu'elle  a  besoing  des  ornementz,  et  (s'il 
fault  ainsi  parler)  des  plumes  d'autruy  '  »  (p.  56).  —  Cette 
indigence  n'est  d'ailleurs  pas  aussi  grande  que  beaucoup 
l'estiment  (I,  4)-  «  ^^  ^^i  voudi'a  de  bien  près  y  regarder, 
trouvera  que  nostre  langue  francoyse  n'est  si  pauvre,  qu'elle 
ne  puysse  rendre  fidèlement  ce  qu'elle  emprunte  des  autres, 
si  infertile ,  qu'elle  ne  puysse  produyre  de  soy  quelque  fruict 
de  bonne  invention,  au  moyen  de  l'industi'ie  et  diligence  des 
cultiveurs  dicelle,    si    quelques  uns    se    treuvent    tant    amys    de 

'  Cl'.  II,  2  :  «  J'ay  bien  voulu,  (lecteur  studieux  de  la  langue  francoyse) 
demeurer  longuement  en  cete  partie,  qui  te  semblera  (peut  estre)  contraire 
à  ce  que  j'ay  promis  :  veu  que  je  ne  prise  assez  haultemcnt  ceux  qui  tien- 
nent le  premier  lieu  en  nostre  vulgaire,  qui  avoy'  entrepris  de  le  louer  et 
delFendre.  Toutesfois  je  croy  que  tu  ne  le  trouveras  point  étrange,  si  tu 
considères  que  je  ne  le  puys  mieux  défendre,  qu'atribuaut  la  pauvreté 
d'iceluy,  non  à  son  propre  et  naturel,  mais  à  la  négligence  de  ceux  qui  en 
ont  pris  le  gouvernement  »  (p.  108). 


LA    «  DEFFENCE   DE   LA    LANGUE   FRANÇOYSE  ))  113 

leur  païz  et  d'eux  mesnies,  quilz  s'y  veillent  employer  » 
(p.  (3o).  L'argument  est  spécieux  et  quelque  peu  contradic- 
toire :  du  Bellay  dit  en  commençant  que  le  français,  «  tel 
qu'il  est  maintenant  »,  n'est  pas  aussi  pauvre  qu'on  croit  : 
opinion  raisonnable  et  sensée,  qu'on  pouvait  d'autant  mieux 
soutenir  qu'elle  était  juste  en  soi,  la  langue  nélanl  pas,  tant 
s'en  faut,  avant  i549,  nécessiteuse  et  misérable,  sans  ressources 
pour  traduire  les  sentiments  et  les  idées  '.  Mais  bientôt 
du  Bellay  nous  dévoile  sa  pensée  véritable  :  à  la  faveur 
d'une  équivoque,  il  transporte  à  l'avenir  ce  qu'on  croyait 
qu'il  disait  du  présent.  Le  français  n'est  pas  pauvre,  à  ses 
yeux,  en  ce  sens  qu'il  est  susceptible  d'enrichissement.  Il  est 
capable  de  poésie,  d'éloquence,  d'histoire,  de  philosophie  et 
de  science  (I,  4  '  ^>  lo  )•  Entendez  qu'il  est  capable  de  s'y 
élever  un  jour,  son  indigence  étant  actuelle,  nullement  origi- 
nelle :  ((  Nostre  langue  n'iia  point  eu  à  sa  naissance  les 
Dieux  et  les  Astres  si  ennemis,  quelle  ne  puisse  un  Jour 
parvenir  au  poinct  d'excellence  et  de  perfection,  aussi  bien 
que  les  autres  »  (p.  (3i).  Gela  revient  à  dire  que,  si  elle  est 
loin  encore  d'être  parfaite,  notre  langue  est  du  moins  perfec- 
tible. 

3°  Rien  ne  s'oppose  à  son  perfectionnement  (I,  9).  La 
nature,  en  ed'et,  a  toujours  mêmes  forces,  et  les  esprits 
modernes  ne  sont  pas  inférieurs  aux  anciens  :  la  découverte 
de  l'imprimerie,  les  merveilles  de  l'artillerie,  d'autres  inven- 
tions non  moins  admirables,  sont  une  preuve  de  leur  vigueur. 
Pourquoi  la  langue  serait-elle  incapable  de  progrès  ?  ((  Il  ne 
fault  point  icy  alléguer  l'excellence  de  l'antiquité  :  et  comme 
Homère  se  plaignoit  que  de  son  tens  les  cors  estoient  trop 
petiz,  dire  que  les  espris  modernes  ne  sont  à  comparer  aux 
anciens.    L'architecture,  l'art  du  navigaige,   et  autres  inventions 

'  Sur  ce  point,  v.  Plôlz,  op.  cit.,  p.  i)3  sqq. 

Unif.  de  Lille.  To.me  VllI    A.  8. 


H4  JOACHIM    DU    BELLAY 

antiques  certainement  sont  admirables  :  non  toutesfois,  si  on 
rciJfarde  à  la  nécessité  mère  des  ars,  du  tout  si  grandes, 
([uon  doyve  estimer  les  cieux  et  la  natm^e  y  avoir  dépendu 
toute  leur  vertu,  vigueur  et  industrie.  Je  ne  produiray  pour 
temoings  de  ce  que  je  dy  l'imprimerie,  seur  des  Muses,  et 
dixiesme  d'elles  :  et  caste  non  moins  admirable,  que  pernicieuse 
foudre  d'artillerie  :  avecques  tant  d'autres  non  antiques  inven- 
tions, qui  montrent  véritablement,  que  par  le  long  cours  des 
siècles,  les  espris  des  hommes  ne  sont  point  si  abatardiz, 
(ju  on  voudroit  bien  dire.  Je  dy  seulement,  qu'il  n'est  pas 
impossible,  que  nostre  langue  puisse  recevoir  quelquesfois  cest 
ornement  et  artifice  aussi  curieux,  qu'il  est  aux  Grecz  et 
Romains  ))  (p.  'J^^-'j'j)-  —  J  ai  cité  tout  entière  cette  page  remar- 
quable :  on  n'est  pas  yjeu  surpris  de  trouver  ainsi  sous  la 
plume  de  du  Bellay,  plus  d'un  siècle  avant  la  querelle  des 
anciens  et  des  modernes,  les  idées  de  Fontenelle  et  de 
Perrault  ;  l'auteur  de  la  Deffence  a  déjà  soupçonné  ce  que 
valent,  appli([ués  aux  questions  littéraires,  ces  deux  principes 
célèbres,  la  peruianence  des  forces  de  la  nature  et  le  progrès 
des  sciences  humaines  '  ;  ce  fervent  des  anciens,  ce  fondateur 
du   classicisme,   apparaît   ici   le   premier  dés    modernes  ^ 

Remarquons  en  passant  que ,  dans  cette  apologie  de  la 
langue  nationale,  du  Bellay  n'attribue  au  franc.ais  aucune 
qualité  positive,  si  ce  n'est  une  douceur  naturelle,  égale  à 
celle  des   langues    antiques  '.  Car  on  ne    saurait    compter  pour 


'   Le  picinicr  se  relrouvc  dans  Ronsard,  Vil,  3;{6  et  III,  39. 

-  Kt  ce  n'est  pas  le  seul  endroit  où  l'on  éprouve  cette  impression.  Sans 
[)arUr  d'un  passai^e  du  cliap.  9  sur  le  pouvoir  de  succéder  aux  anciens  dans 
les  Icltris  connue  dans  les  sciences  (p.  78),  le  chap.  10  contient  plus  d'une 
idée  nouvelle  et  hardie  pour  l'époque,  cette  idée  notamment  que  létude 
des  lanj>ues  anciennes,  où  se  consume  notre  jeunesse,  est  le  principal  ob- 
stacle aux  proj'rès  de  la  philosophie  et  des  sciences  (p.  83). 

'  «  Quand  au  son,  et  je  ne  scay  quelle  naturelle  douceur  (comme  ilz 
disent)  qui  est  en  leurs  lanj^ues.je  ne  voy  point  que  nous  layons  moindre, 
au  jugement  des  plus  délicates  oreilles  »  (p.   77). 


LA    ((  DEFFENCE    DE   LA.    LANGUE   FRANÇOYSE  ))  115 

un  éloge  ce  mérite  qu'il  lui  fait  d'être  aussi  «  irrégulière  » 
que  le  latiu  et  le  grec  (p.  ^5),  encore  moins  cet  étrange 
compliment  qu'elle  présenterait  les  mêmes  dillicultés  que  «ces 
langues  mortes,  si  l'on  ne  pouvait  plus  l'apprendre  que  d'après 
les   œuvres  écrites   (p.  94). 

Ainsi,  notre  langue  est  vantée  moins  pour  les  qualités 
qu'elle  possède  que  pour  les  espérances  qu'elle  donne.  Puis- 
qu'elle est  perfectible,  on  peut  raisonnablement  espérer  qu'elle 
ne  manquera  pas  de  se  perfectionner,  et  l'on  aurait  tort  de 
rien  conclure  contre  elle  de  la  lenteur  de  ses  progrès  '.  Un 
arbre  est  d'autant  plus  robuste  et  vivaee  qu'il  a  mis  plus  de 
temps  à  pousser  ses  racines  :  de  même  notre  langue  est 
assurée  de  garder  longtemps  la  perfection  qu'elle  aura  con- 
quise avec   tant  de   peine. 

D'ailleurs,  les  langues  antiques  elles-mêmes  ont-elles  atteint 
du  premier  coup  à  cette  perfection  (I,  3)  ?  Non,  sans  doute  : 
elles  n'ont  pas  toujours  eu  l'excellence  qu'on  leur  voit  chez  les 
bons  écrivains,  et  ceux-ci  ne  se  seraient  pas  donné  tant  de 
mal  pour  les  cultiver,  s'ils  les  avaient  jugées  impuissantes  à 
((  produyre  plus  grand  fruict  ))  (p.  67).  C'est  un  exemple  à 
méditer.  Qu'ont  fait  les  vieux  Romains  à  l'égard  de  leur 
langue  ?  Ils  se  sont  montrés  bons  agriculteurs  :  «  Hz  l'ont 
pi'emierement  transmuée  d'un  lieu  sauvaige  en  un  domestique  : 
puis  afiin  que  plus  tost  et  mieux  elle  peust  fructifier,  coupant 
à  l'entour  les  inutiles  rameaux,  l'ont  pour  échange  d'iceux 
restaurée  de  rameaux  francz  et  domestiques,  magistralement 
tirez  de  la  langue  greque,  les  quelz  soudainement  se  sont  si 
bien  entez,  et  faiz  semblables  à  leur  tronc,  que  désormais 
n'apparoissent  plus   adoptifz,    mais    naturelz  -   »  (p.  58).    De    la 

'  ((  Quelque  opiniâtre  répliquera  encores  :  Ta  langue  tarde  trop  à  rece- 
voir ceste  perfection.  Et  je  dy  que  ce  retardement  ne  prouve  point  qu'elle 
ne  puisse  la  recevoir  »  (p    78). 

-  Du  Bellay  compare  volontiers  les  langues  à  des  plantes  qu'il  faut 
cultiver  (p.  o7,  69,  79).  Cette  image  lui  tient  lieu  d'argument. 


116  JOACHIM    DU    BELLAY 

sorte  elle  a  poussé  des  (leurs  et  des  fruits.  S'il  faut  tant  de 
labeur  et  d'industrie  pour  parfaire  une  langue,  ((  nous  devons 
nous  émerveiller  si  nostre  vulgaire  n'est  si  riche  comme  il 
pourra  bien  estre,  et  de  la  prendre  occasion  de  le  mépriser 
comme  chose  vile,  et  de  petit  prix?  »  (p.  58).  Et  du  Bellay, 
dans  un  bel  élan  de  j^atriotisme ,  prévoit  le  temps  où,  la 
France  ayant  grandi,  la  langue  française,  amplifiée  et  fortifiée, 
sera  l'égale  des  langues  anciennes  :  ((  Le  tens  viendra  (peut 
estre)  et  je  l'espère  moyennant  la  bonne  destinée  francoyse, 
que  ce  noble  et  puyssant  royaume  obtiendra  à  son  tour  les 
resnes  de  la  monarchie,  et  ([ue  nostre  langue....  qui  commence 
encor'  à  jeter  ses  racines,  sortira  de  terre,  et  s'elevera  en 
telle  hauteur  et  grosseur,  qu'elle  se  poura  égaler  aux  mesmes 
Grecz  et  Romains,  produysant  comme  eux  des  Homeres, 
Demosthenes,  Virgiles  et  Cicerons,  aussi  bien  que  la  France 
a  quelquesfois  pi'oduit  des  Pericles.  Nicies,  Alcibiades, 
Themistocles,   Césars   et  Scipions    »   (p.    59). 

L'avenir  est  donc  plein  de  promesses,  et  notre  langue  est 
appelée  aux  destinées  les  plus  brillantes.  Mais  à  quelle  con- 
dition ?  A  cette  condition  qu'on  ne  la  tiendra  plus  pour 
négligeable  et  qu'on  cessera  de  la  sacrifier  aux  langues 
anciennes,  à  cette  condition  que  tous  les  savants  daigneront 
désormais  la  |)arler  et  l'écrire  :  ((  J'ose  bien  asseurer,  que  si 
les  scavans  hommes  de  nostre  nation  la  daignoint  autant 
estimer  que  les  Romains  faisoint  la  leur,  elle  pouroit  quel- 
quesfois et  bien  tost  se  mettre  au  ranc  des  plus  fameuses  )) 
(p.  (j6).  Et  de  là,  les  violentes  invectives  que  lance  du 
Bellay  contre  ceux  qui  s'obstinent  à  n'écrire  qu'en  latin, 
pour  le  plus  grand  dommage  de  leur  langue  maternelle.  Il 
emploie  deux  chai)itres  à  combattre  une  erreur  si  coupable 
(I,  II  ;  II,  12).  11  s'en  prend  aux  ellorts  laborieux  et  toujours 
inutiles  des  cicéroniens  et  des  inrgilieiis.  Il  établit  contre  eux 
«    (ju'il   est  impossible   d'égaler   les   anciens   en   leurs  langues   » 


LA    «  DEFFENCE   DE   LA    LANGUE   FRANCO YSE  •))  117 

(p.  89),  et  raille  avec  vigueur  ceux  qui  veulent  ainsi  faire  du 
neuf  avec  du  vieux  :  ((  Que  pensent  doncq'  faire  ces  reblan- 
chisseurs de  murailles,  qui  jour  et  nuyt  se  rompent  la  teste 
à  immiter,  que  dy-je  immiter  ?  mais  transcrire  un  Virgile  et  un 
Ciceron  ?  bâtissant  leurs  poëmes  des  hemystyches  de  l'un,  et 
jurant  en  leurs  proses  aux  motz  et  sentences  de  Tautre  ?... 
Pensent  ilz  donques,  je  ne  dy  égaler,  mais  aprocher  seulement 
de  ces  aucteurs,  eu  leurs  langues  ?  recuillant  de  cet  orateur 
et  de  ce  poëte  ores  un  nom,  ores  un  verbe,  ores  un  vers,  et 
ores  une  sentence  :  comme  si  en  la  façon,  qu'on  rebatist  un 
vieil  édifice,  ils  s'attendoint  rendre  par  ces  pierres  ramassées 
à  la  ruynée  fabrique  de  ces  langues  sa  première  grandeur 
et  excellence  »  (p.  90-92).  On  ne  refait  pas  un  édifice  avec 
ses  débris  :  c'est  folie  égale  de  prétendre  ressusciter  une 
langue  ancienne.  La  science  des  mots,  même  la  plus  vaste, 
n'en  livre  pas  tous  les  secrets,  et  l'on  reste  au-dessous  des 
auteurs  qu'on  a  pris  pour  modèles  :  «  Ne  pensez  donques, 
immitateurs,  troupeau  servil,  parvenir  au  point  de  leur  excel- 
lence :  veu  qu'à  grand'peine  avez  vous  appris  leurs  motz,  et 
voyla  le  meilleur  de  vostre   aage   passé  »  (p.  94)- 

Du  Bellay  revient  sur  les  mêmes  idées  dans  le  dernier 
chapitre  de  son  ouvrage.  Exhortation  aux  F?'ancq}'s  d'écrire 
en  leur  langue  (p.  i53),  et,  reprenant  un  mot  d'Horace,  il 
déclare  que  s'appliquer  à  composer  des  œuvres  grecques  ou 
latines,  c'est  porter  du  bois  à  la  forêt.  On  n'acquiert  de  gloire 
vraie  et  durable  que  dans  la  langue  de  sa  patrie,  et  le 
meilleur  moyen  d'imiter  les  anciens,  c'est  de  faire  ce  qu'ils 
ont  fait  :  employer  l'idiome  maternel.  S'ils  eussent  écrit  en 
grec,  Gicéron  et  Virgile  auraient-ils  égalé  Démosthène  et 
Homère?  L'exemple  des  Italiens  confirme  ici  celui  des  Romains. 
Pétrarque  et  Boccace  ont  beaucoup  usé  du  latin  :  mais  c'est 
à  leurs  œuvres  toscanes  qu'ils  doivent  leur  renommée.  Bembo 
lui-même,     le     chef    reconnu    des    cicéroniens,    s'est    converti 


H 8  JOACHIM    DU    BELLAY 

spontanément  à  l'italien,  illustrant  par  là  sa  langue  et  son 
nom  '.  Enfin,  pour  emprunter  aussi  quelques  exemples  domes- 
tiques, «  tous  les  scavans  hommes  de  France  n'ont  point 
méprisé  leur  vulgaire  »  (p.  log).  Rabelais  n'a-t-il  pas  fait 
renaître  en  sa  langue  tout  l'esprit  d'Aristophane  et  de  Lucien? 
Guillaume  Budé  n'a-t-il  pas  écrit  Y  Institution  du  Prince  ?  et 
Lazare  de  Baïf  n'a-t-il  pas  traduit  vers  pour  vers  l'Electre  de 
Sophocle'  ?  Aux  Français  de  marcher  sur  leurs  traces,  bien 
convaincus  de  cette  vérité,  «  qu'il  vavilt  mieux  estre  un  Achille 
entre  les  siens,  quun  Diomede,  voyre  bien  souvent  un  Ther- 
site,  entre   les  autres  »   (p.   i6i). 

Cette  homérique  comparaison  termine  la  défense  de  la 
langue.  On  y  voudrait  plus  de  logique,  une  précision  plus 
rigoureuse,  une  connaissance  moins  superficielle  des  mérites 
du  français ,  de  sa  nature  et  de  ses  lois.  Ce  qui  sauve  un 
peu  toutes  ces  faiblesses,  c'est  la  pensée  patriotique,  le  très 
sincère  amour  de  l'auteur  pour  sa  langue,  son  désir  de  la  voir 
triompher,  —  ^lassion  ardente,  violente,  qui  l'emporte,  le 
soulève,   lui   dicte  des  accents   d'une  belle  éloquence. 

'  Dcffeïicc,  p,  158-la9.  On  retrouvera  les  mêmes  idées  dans  une  ode  du 
Recueil  de  Poésie  (1549),  adressée  à  Madame  Marguerite  :  D'escrire  en  sa 
langue  (I,  240).  V.  plus  loin,  chap.  viii,  §  iv. 

-  Deffence,  p.  Io9-160, 


CHAPITRE    IV 


L   «  ILLUSTKATIOA  DE  LA  LANGLE  FliANÇOYSE  » 

1549 


I.  —  La  partie  théorique  de  la  «  Deffence  ».  —  Un  nouvel  art 
d'écrire  :  l'imitation  des  anciens  et  des  Italiens  posée  en 
principe.  —  Les  moyens  d'illustrer  la  langue.  —  Insuffi- 
sance de  la  traduction.  —  Nécessité  de  l'assimilation.  — 
Théorie  de  l'imitation  empi-untée  à  Quintilien.  —  Fonda- 
tion du  classicisBùe. 
II.  —  Une  nouvelle  conception  de  la  poésie.  —  Rupture  avec 
l'école  de  Marot  —  Proscription  des  vieilles  formes  rhé- 
toricales.  —  Les  nouveaux  genres,  petits  et  grands.  —  Le 
sonnet,  l'ode,  l'épopée. 

III.  —  Les  préceptes  relatifs  à  la  forme.  —   A.  Langue  :  les  néolo- 

gismes  et  les   archaïsmes.   —  B.   Style  :  les  tours  et  les 
figures.  —  C  Rythmique  :  le  métré  et  la  rime. 

IV.  —   Introduction   de    l'art    dans   la    poésie.    —    Élaboration    de 

l'œuvre   d'art.    —   Définition   du   vrai  poète.  —  Mépris  du 
vulgaire.  —  Sainteté  de  la  poésie. 


1 

La  Dejfence  est  surtout  une  poétique.  Mais  en  même 
temps  qu'un  système  particulier  de  poésie,  elle  formule  très 
nettement  une  théorie  générale  de  l'art  d'écrire.  Il  ne  faut 
pas  s'y  tromper  :  c'est  bien  la  littérature  tout  entière  qu  il 
s'agit    de    fonder   sur    un    principe    nouveau.    Quel    principe   ? 


120  JOACHIM    DU    BELLAY 

L'imitation  de  lAntiquité.  Du  Bellay  le  déclare  de  la  manière 
la  plus  formelle  :  c'est  en  se  mettant  à  l'école  de  la  Grèce 
et  de  Kome  qu'on  pourra  seulement  illustrer  notre  langue, 
restée  jusqu'à  ce  jour  si  débile  et  si  pauvre  :  «  Toutes  per- 
sonnes de  bon  esprit  entendront  assez,  que  cela  que  j'ay  dict 
pour  la  deflence  de  nostre  langue,  n'est  pour  decouraiger 
aucun  de  la  greque  et  latine  :  car  tant  s'en  fault  que  je 
soye  de  cete  opinion,  que  je  confesse  et  soutiens  celuj'  ne 
pouvoir  faire  œuvre  excellent  en  son  vulgaire,  qui  soit  igno- 
rant de  ces  deux  langues,  ou  qui  nentende  la  latine  pour 
le  moins  »  (p.  89).  Et  quelques  pages  plus  loin,  il  précise 
encore  sa  pensée  :  ((  Je  ne  te  puis  mieux  persuader  d'y 
écrire  [en  notre  langue],  qu'en  te  montrant  le  moyen  de 
l'enrichir  et  illustrer,  qui  est  Vimmitation  des  Grecz  et 
Romains  '  «  (p.  108).  —  A  cette  imitation  de  l'Antiquité,  la 
Pléiade  ajoute  par  reconnaissance  l'imitation  de  l'Italie.  Les 
Italiens,  en  effet,  ces  disciples  éminents  des  anciens,  ont  su 
faire  œuvre  d'art  en  marchant  sur  leurs  tiaces,  et  leur  litté- 
rature est  un  prolongement  des  deux  littératures  antiques  : 
lorsqu'on  est  à  ce  point  original,  on  mérite  de  servir  de 
modèle  \ 

Imitation  de  l'Antiquité  classique  et  de  l'Italie  moderne 
—  voilà  donc  le  principe  de  la  nouvelle  école.  Mais  comment 
entendre   cette  imitation  ? 

Un  premier  moyen  se  présente,  c'est  de  traduire.  Du  Bellay 
le  récuse.  ((  Utile  et  nécessaire  »  quand  il  s'agit  de  philoso- 
phie   et    de    science,    pour    donner    à  la    langue    les    vocables 

'  Celte  pensée  est  plusieurs  fois  reproduite.  P.  71  :  «Se  compose  donq' 
celuy  qui  voudra  enrichir  sa  langue,  à  l'imniitation  des  meilleurs  aucteurs 
grecz  et  latins.  »  —  P.  100:  «  Sans  l'immitation  des  Grecz  et  Romains  nous  ne 
pouvons  donner  à  nostre  langue  l'excellence  et  lumière  des  autres  plus 
fameuses.  » 

-  Les  modèles  italiens  sont  cités  constamment  à  côté  des  modèles 
antiques  (p.  62,  65,  80,  109,  116,  117,  120,  132,  l.jl,  158).  Les  Espagnols  ne  sont 
nommés  que  deux  fois  (p.  62  et  109). 


l'    «  ILLUSTRATION    I)K    LA    LANGUE    FHANÇOYSE  ))  121 

philosophiques  et  scientifiques  qui  lui  MKuu[uent  '  (I,  lo),  hi 
traduction  n'est  pas  un  moyen  d'illustration  sullisant  lorsqu'il 
s'ag'it  (l'éloquence  et  de  poésie  (I,  5).  Elle  peut  aider  à 
V invention,  en  permettant  à  l'orateur  comme  au  poète  ifi^norant 
des  langues  étrangères  de  puiser  des  idées  à  la  source  si  riche 
des  anciens,  qui  les  j)i"emiers  ont  eu  ((  l'intelligence  pai'l'aile 
des  sciences  »  (p.  ()3).  Pour  Vé/ociilion,  c'est  bien  différent  : 
on  peut  à  la  rigueur  transporter  les  idées,  mais  non  pas 
l'expression  qu'elles  revêtent,  «  partie  certes  la  plus  diilicile, 
et  sans  la  quelle  tontes  autres  choses  restent  comme  inutiles, 
et  semblables  à  un  glayve  encores  couvert  de  sa  gayne  » 
(p.  04).  Ce  qui  fait  le  mérite  de  l'éloculion  ne  s'apprend  point 
des  ti'aducteurs  :  il  est  impossible,  en  ellet,  de  rendre  les 
beautés  d'un  texte  avec  la  même  grâce  dont  l'auteur  a  usé  : 
((  Chacune  langue  a  je  ne  scay  quoy  propre  seulement  à  elle, 
dont  si  vous  efforcez  exprimer  le  naïf  en  une  autre  langue, 
observant  la  loy  de  traduyre,  qui  est  n'espacier  point  hors  des 
limites  de  l'aucteur,  vostre  diction  sera  contrainte,  froide  et 
de  mauvaise  grâce  »  (p.  (35).  Vous  qui  lisez  en  leur  langue 
Homère  et  Démosthène,  Cicéron  et  Virgile,  laissez  l'original 
pour  la  traduction  !  ((  Il  vous  semblera  passer  de  l'ardente 
montaigne  d'^îlthne  sur  le  froid  sommet  de  Caucase  »  (p.  <35). 
Et  ce  qui  est  vrai  des  langues  anciennes  ne  l'est  pas  moins 
des  autres  langues.  Qu'on  suppose  Homère  et  Virgile  renais- 
sants :  malgré  tout  leur  génie,  pourraient-ils  arriver  à  traduire 
le  toscan  d'un  Pétrarque?  Ainsi,  conclut  du  Bellay,  a  l'office 
et  diligence  des  traducteurs,  autrement  fort  utile  pour  instruyre 
les  ingnorans  des  langues  étrangères  en  la  congnoissance  des 
choses,  n'est  suffisante  pour  donner  à  la  nostre  ceste  perfection. 


*  Remarquer  toutefois  l'importante  restriction  de  l'auteur  :  «  Encores 
seroy'  je  bien  dopinion  <{ue  le  scavant  translateur  list  plus  tost  l'oflice  de 
paraphraste  que  de  traducteur,  s'efforceant  donner  à  toutes  les  sciences, 
qu'il  voudra  traiter,  l'ornement  et  lumière  de  sa  langue  »  (  p.  80). 


122  JOACHLM    nu    BELLAY 

et  comme  font  les  peintres  à  leurs  tableaux,  ceste  dernière 
main  que  nous   desirons  »  (p.  66). 

La  conclusion  est  des  plus  nettes  ;  mais,  comme  s'il  n'avait 
pas  tout  dit.  du  Bellay  revient  à  la  charge  et  consacre  encore 
un  chapitre  à  blâmer  les  traducteurs  de  poètes  (I,  6).  Tradut- 
tore  traditore  :  ce  proverbe  italien,  il  le  prend  à  son  compte 
et  soutient  qu'à  l'égard  des  poètes,  traduire,  c'est  trahir.  Gom- 
ment faire  revivre  a  ceste  divinité  d'invention  qu'ilz  ont  plus 
que  les  autres  »,  et  qui  marque  leur  excellence?  Tous  ces 
dons  si  rares,  si  précieux,  a  grandeur  de  style,  magnificence 
de  motz,  gravité  de  sentences,  audace  et  variété  de  tigures  », 
enfin  ce  je  ne  sais  quoi  dont  est  fait  le  génie  '  du  poète,  un 
traducteur  ne  peut  pas  plus  les  reproduire  qu'un  peintre  sur 
sa  toile  Fâme  d'un  personnage.  Translater  les  poètes  est 
impie  :  et  du  Bellay  de  s'écrier,  dans  un  beau  mouvement  de 
religieuse  indignation  contre  un  tel  sacrilège  :  «  O  Apolon  ! 
ô  Muses!  prophaner  ainsi  les  sacrées  reliques  de  l'Antiquité!  -  )) 
(p.  68). 

D'où  lui  vient  cet  accès  de  colère,  et  pourquoi  proscrit-il 
la  traduction  avec  tant  de  rigueur  ?  Est-ce  donc  seulement 
pour  garantir  l'originalité  de  l'écrivain  et  réserver  ses  droits 
à  l'invention  ?  Je  le  voudrais  ;  mais  j'ai  grand 'peur  que  ce 
soit  surtout  pour  faire  échec  aux  Marotiques.  La  «  version  » 
était  fort  en  honneur  dans  l'école  de  Marot.  Depuis  que 
le  maître  avait  dit  qu'elle  pouvait  donner  une  grande 
((    décoration   »    à    la   langue  ',    depuis   qu'il    avait   traduit    lui- 

'  «  Ne  sçay  quel  esprit,  qui  est  en  leurs  ecriz,  que  les  Latins  appelleroinl 
Genias  »  (p.  68). 

-  A  noter  la  curieuse  restriction  qui  tempère  un  peu  cette  intransio^eance  : 
«  Ce  que  je  dy  ne  s'adroisse  pas  à  ceux  (|ui  par  le  commandement  des  princes 
et  grands  seigneurs  traduysent  les  plus  fameux  poètes  grecz  et  latins: 
j)Ource  que  l'obéissance  qu'on  doit  à  telz  personnaiges,  ne  reçoit  aucune 
excuse  en  cest  endroit  »  (  p.  G8).  Du  Bellay  se  rappelait  que  François  I"  avait 
poussé  plus  que  personne  à  la  traduction.  Cf.   Deffence,  p.  00-01. 

'  V.  l'épître  de  Marot  au  Roi,  touchant  la  Métamorphose  d'Ovide. — 
Édit.  P.  Januet,  111,  154. 


l'    ((    ILLUSTRATION    l)K    LA    LANGUK    KKANÇO VSK  ))  li'{ 

nièinc  une  égloguc  do  A'irt;ile,  deux  livi'es  des  Métamor- 
phoses d'Ovide,  le  poème  de  Musée  sur  Héro  et  Léandre, 
et  jusqu'à  six  sonnets  de  Pétrarque,  ses  disciples  et  ses 
émules,  les  Mellin  de  Saint-Gelays.  les  Michel  d'Amboise, 
les  Barthélémy  Aueau,  les  Mliarlcs  Fontaine,  les  Frant^-ois 
Habert,  d'autres  encore,  s'étaient  jetés  à  corps  perdu  dans 
la  traduction,  et  Th.  Sibilet  ([ui,  dans  son  Ai'l  Poétique, 
consacrait  à  l'épopée  quelques  lignes  insignifiantes,  s'étendait 
longuement  sur  le  genre  en  fas^eur  '  :  «  La  Version  ou  Traduc- 
tion, disait-il,  est  aujourd'huy  le  pôéme  plus  fréquent  et 
niieus  receu  des  estimés  poètes  et  des  doctes  lecteurs,  a 
cause  que  chacun  d'eus  estime  grand  (cuvre  et  de  grand 
pris,  rendre  la  pure  et  argentine  invention  des  poètes  dorée 
et  enrichie  de  notre  langue.  »  Et  célébrant  les  mérites  du 
traducteur,  il  ajoutait  :  ((  Yrayemcnt  celuy  et  son  œuvre  méri- 
tent grande  louenge,  qui  a  peu  proprement  et  naïvement 
exprimer  en  son  langage,  ce  qu'un  autre  avoit  miens  escrit  au 
sien,  après  l'avoir  bien  conceu  en  sori  esperit.  Et  luy  est 
deue  la  mesme  gloire  qu'emporte  celuy  qui  par  son  labeur  et 
longue  peine  tire  des  entrailles  de  la  terre  le  thresor  caché, 
pour  le  faire  connnun  à  l'usage  de  tous  les  hommes.  Glorieus 
donc  est  le  labeur  de  tant  de  gens  de  bien  qui  tous  les 
jours  s'y  emploient.  »  Qu'on  relise  maintenant  le  chapitre 
de  la  Deffence  contre  les  traducteurs  de  poètes  :  on  com- 
prendra  l'indignation  de  du   Bellay. 

Si  la  traduction  est  insuffisante  pour  élever  notre  langue 
au  niveau  des  anciennes,  comment  donc  pourrons-nous  l'illus- 
trer ?  Demandons  aux  Romains  leur  secret  (1,  7).  Par  quels 
moyens  ont-ils  enrichi,  jusqu'à  l'égaler  à  la  grecque,  une 
langue  primitiAement  si  chétivc  ?  Ils  ont  imité  «  les  meilleurs 
aucteurs     grecz,     se     transformant    en     eux,     les     dévorant,    et, 

'  Liv.  II,  chap.  14. 


124  .lOACHIM    DU    BELLAY 

après  les  avoir  bien  digérez,  les  convertissant  en  sang  et  nouri- 
ture  »  (p.  69).  Disons  le  mot  :  ils  ont  pratiqué  Vassimila- 
tion.  Gicéron  s'est  si  bien  pénétré  des  modèles  helléniques 
qu'il  a  fait  siennes  l'abondance  de  Platon,  la  véhémence  de 
Démosthène  et  la  douceur  d'isoerate  ;  et  Virgile  n'est  devenu 
le  premier  poète  de  Rome  ([ue  pour  s'être  nourri  d'Homère, 
d'Hésiode  et  de  Théocrite.  Suivons  leur  exemple.  Nous  avons 
deux  modèles  au  lieu  d'un,  la  Grèce  et  Rome  :  à  nous  de 
savoir  en   tirer  profit. 

G'est  ici  que  se  place  la  théorie  de  l'imitation,  que  du 
Bellay,  par  une  faute  inconcevable  de  composition,  fractionne 
en  deux  chapitres,  très  distants  l'un  de  l'autre  (I,  8  ;  H,  3). 
Hàtons-nous  de  le  dire  :  cette  théoi-ie  n'a  rien  de  personnel  : 
du  Bellay  la  copie  tout  entière  dans  Quintilien  \  et  la  chose 
est  piquante  de  surprendre  cet  ennemi  des  traductions  en 
flagrant  délit  de  traduction  pure.  Au  surplus,  rien  ici  ne 
saurait  égaler  l'éloquence  d'un  simple  rapprochement  de 
textes. 

La  théorie  qui  nous  occupe  se  ramène  aux  points  suivants  : 

1°  L'imitation  est  le  principe  de  l'art.  —  Du  Bellay  : 
«  n  n'y  a  point  de  doute  que  la  plus  grand'  part  de  l'ar- 
tifice ne  soit  contenue  en  l'immitation  ;  et  tout  ainsi  que  ce 
feul  le  plus  louable  aux  anciens  de  bien  inventer,  aussi  est 
ce  le  plus  utile  de  bien  immiter,  mesmes  à  ceux  dont  la 
langue  n'est  encor'  bien  copieuse  et  riche  »  (p.  71-72).  — 
(Quintilien  :  «  Non  dubitari  potest,  quin  artis  pars  magna 
contineatur  imitatione  :  nani,  ut  invenire  primum  fuit  est- 
que   praecipuum,   sic   ea,   quae  bene   inventa  sunt,   utile  sequi  ». 

20  L'imitation  est  difficile.  —  Du  Bellay  :  ((  Mais  entende 
celuy  qui  vouth"a  immiter,  que  ce  n'est  chose  facile  de  bien 
suyvre   les  verluz    d'un   bon   aucteur,    et  quasi  comme    se  trans- 

'  Inst.  Orat.,  X,  :i. 


l'    «   ILLUSTRATION    DF.    LA    LANT.UK    FKAiNÇOYSK  ))  1^0 

l'oi'iiier  en  luy,  voii  que  la  Nature  niesiiie  aux  choses,  qui 
paraissent  tressemblables,  n*a  sceu  tant  faire,  (|uc  par  quelque 
notte  et  différence  elles  ne  ])uissent  estre  discernées  ))  (p.  72). 
—  Quintilien  :  a  Tantani  dillicultatem  habet  siinilitudo,  ut  ne 
ipsa  quidem  natura  in  hoc  ita  evaluerit,  ut  non  res  quae 
simillimae  quaeque  pares  maxime  videantur,  utique  discrimine 
aliquo   discernantur.    » 

3"  limitation  doit  porter-  moins  sur  les  mots  que  sur  les 
choses.  —  Du  Bellay  :  «  Je  dy  cecy,  pource  qu'il  y  en 
a  beaucoup  en  toutes  langues,  qui  sans  pénétrer  aux  plus 
cachées  et  intérieures  parties  de  Taucteur  qu'ilz  se  sont  pro- 
posé, s'adaptent  seulement  au  premier  regard,  et  s'amusant  à 
la  beauté  des  motz,  perdent  la  force  des  choses  »  (p.  ^2).  — 
Quintilien  :  «  Hoc  autem  his  accidit  qui,  non  introspectis 
penitus  virlutibus,  ad  primum  se  velut  adspectum  orationis 
aptarunt. ...  Imitatio  autein  (nam  saepius  idem  dicam)  non  sit 
tantum  in   verbis.  » 

4°  L'imitation  doit  être  Judicieuse,  et  quiconque  la  pratique 
doit  savoir  choisir  ses  modèles  et  choisir  dans  ses  modèles 
mêmes.     —   Du    Bellay  :    Je   ne   veux  pas    (Lecteur)    que   sans 

élection  et  jugement  tu  te   prennes  au  premier  venu Regarde 

nostre  immitateur  premièrement  ceux  qu'il  voudra  immiter,  et 
ce  qu'en  eux  il  poura,  et  qui  se  doit  immiter....  Avant 
toutes  choses,  fault  qu'il  ait  ce  jugement  de  cognoitre  ses 
forces,  et  tenter  combien  ses  épaules  peuvent  porter  »  (p.  108- 
112).  —  Quintilien  :  ((  Exactissimo  judicio  circa  hanc  partein 
studiorum  examinanda  sunt  omnia  :  primum,  quos  imitemur  ; 
tum  in  ipsis,  quos  elegerimus,  quid  sit  ad  quod  nos  eliicien- 
dum  comparemus. ...  Ergo  primum  est,  ut  quod  iraitaturus  est 
quisque  intellegat  et,  quare  bonum  sit,  sciât  ;  tum  in  susci- 
piendo   onere   consulat  suas  vires.   )) 

A    la    lumière    de    ces   citations,  on  voit   ce   qui    reste    à   du 
Bellay   d'idées    originales.    Faut-il    le   blâmer    d'avoir    copié   de 


[2(J  JOACHIM    DU    BELLAY 

si  près  Quintilien  ?  Je  lui  ferais  plutôt  le  reproche  de  ne 
ravoir  pas  copié  jusqu'au  bout,  en  négligeant  l'importante 
restriction  que  le  rhéteur  latin  apporte  à  sa  doctrine  :  c'est 
que  l'imitation  par  elle-même  est  insuflisante.  et  qu'elle  ne 
doit  pas  entraver  l'invention  personnelle  :  «  Ante  omnia 
imitalio  per  se  ipsa  non  suilîcit  »,  etc.  Pour  avoir  dédaigné 
celte  réserve  nécessaire,  sa  théorie  est  dangereuse  et  compromet 
gravement  l'indépendance  de  l'éci'ivain  :  la  distance  est  si 
courte   qui   sépare   l'imitation  de   l'esclavage  ! 

Malgré  tout  ce  qu'elle  a  d'indécis  et  de  vague,  cette 
ihéoiie  tle  l'imitation  fait  époque  dans  notre  histoire  littéraire  : 
c'est  la  première  fois,  en  effet,  que  l'on  formule  en  France 
une  doctrine  qui,  tempérée,  précisée,  complétée,  deviendra  la 
pure  doctrine  classique.  La  Fontaine  et  Ghénier  reprendront 
—  avec  quel  bonheur  !  -  pour  les  élargir  et  les  vivifier,  les 
idées  chères  à  du  Bellay.  L'auteur  de  la  Deffence,  tout  obsédé 
du  souvenir  de  ses  lectures,  l'esprit  encombré  de  choses 
confuses  et  mal  digérées,  n'a  pas  su  définir  d'une  manière 
nette  et  vraiment  personnelle  l'exacte  nature  de  l'imitation.  Il 
n'en  reste  pas  moins  qu'en  posant  pour  principe  de  la  litté- 
rature nouvelle  l'imitation  de  l'Antiquité,  il  a  fondé  le  clas- 
sicisuie.  Il  est  déjà  dans  la  Dejfence,  ce  mot  de  La  Bruyère  : 
((  On  ne  sauroit  en  écrivant  rencontrer  le  parfait,  et,  s'il  se 
peut,   surpasser  les  anciens   ([ue    par   leur   imitation  '.   » 


II 


Cette  théorie  générale  de  l'art  d'écrire,  du  Bellay  l'ap- 
plique spécialement  à  la  poésie.  Laissant  de  coté  Vorateur, 
dont  s'est  occupé  Dolet  (I,  i^),  il  s'en  tient  au  pocfe,  dont  il 
va    tracer,  non    pas    un   portrait    idéal,    à    la    mode   de    Platon, 

'   Des  Ouvrages  de  l'Esprit,  §  15. 


l'    «   ILLUSTHATIOX    I)K    LA    LANGL'E    FRANÇOYSE  »  \  11 

mais  un  plan  d'éducation  pralif/iie  (II,  i).  Beaucoup  sans  doute 
le  reprendront  d'avoir  ((  osé  le  premier  des  Francoys  intro- 
duire cpiasi  comme  une  nouvelle  poésie  »  (p.  loo).  Mais  ce 
reproche  n'est  pas  fait  pour  l'arrêter  :  «  J'ay  tousjours  estimé, 
dit-il,  nostre  poésie  francoysc  estre  capable  de  quelque  plus 
liault  et  meilleur  style,  que  ccluy  dont  nous  sommes  si  lon- 
guement contentez  »  (p.  loi).  Cette  fière  déclaration  consomme 
sa  rupture  avec  le  passé. 

Je  n'ai  pas  à  chercher  pour  l'instant  si  cette  rupture  fut 
en  fait  aussi  complète  et  radicale  que  du  Bellay  le  croyait  et 
le  voulait,  et  si  la  Pléiade  n'hérita  rien,  en  dépit  qu'elle  en 
eût,  de  (Uément  Marot  et  de  son  école.  Je  rapporte  simple- 
ment les  intentions  et  les  pensées  de  mon  auteur,  et  je 
remarque  ({ue  cette  proscription  des  poètes  antérieurs  est  une 
conséquence  logique  du  principe  nouveau  qu'il  avait  formulé. 
Dans  sa  théorie  de  l'imitation,  il  marquait  avec  soin  qu'on 
doit  se  garder  d'imiter  dans  la  môme  langue  :  «  Gomme  ce 
n'est  point  chose  vicieuse,  mais  grandement  louable,  emprunter 
d'une  langue  étrangère  les  sentences  et  les  motz,  et  les  appro- 
prier à  la  sienne  :  aussi  est  ce  chose  grandement  à  reprendre, 
voyre  odieuse  à  tout  lecteur  de  libérale  nature,  voir  en  une 
mesme  langue  une  telle  immitation,  comme  celle  d'aucuns 
scavans  mesmes,  qui  s'estiment  estre  des  meilleurs,  quand 
plus  ilz  ressemblent  un  Heroet  ou  un  Marot.  Je  t'amonneste 
donques  (o  toy,  qui  desires  l'accroissement  de  ta  langue,  et 
veux  exceller  en  icelle)  de  non  immiter  à  pié  levé,  comme 
nagiieres  a  dict  quelquun  *,  les  plus  fameux  aucteurs  d'icelle, 
ainsi  que  font  ordinairement  la  plus  part  de  notz  poètes 
francoys,  chose  certes  autant  vicieuse,  comme  de  nul  prolict 
à  nostre  vulgaire  :  veu  que  ce  n'est  autre  chose  (ô  grande 
libéralité  !>   si  non  luy  donner  ce  qui   estoit  à   luy  »  (p.    72-^3). 

*  Sibilet,  liv.  II,  chap.  G  :  «  Que  tu  imites  à  pied  levé  Saingelais  es  [odes] 
francoises.  » 


128  JOACHIiM    DL"    BKLLAY 

Dans  cette  page,  du  Bellay  ne  reprenait  pas  seulement  une 
expression  de  Sibilet,  c'est  surtout  une  de  ses  idées  qu'il 
attaquait  :  a  Lira  le  novice  des  Muses  Françoises  Marot, 
Saingelais,  Salel,  Heroet,  Scéve,  et  telz  autres  bons  espris, 
qui  tous  les  jours  se  donnent  et  évertuent  a  l'exaltation  de 
ceste  françoise  poésie  \  »  Se  traîner  constamment  dans  l'or- 
nière à  la  suite  de  Marot  et  des  autres,  sans  jamais  rien 
tenter  de  nouveau,  voilà  précisément  ce  que  réprouvait  l'au- 
teur de  la  Dejffence.  C'est  à  cela  que  notre  poésie  devait 
d'être  restée  si  médiocre  :  car  il  était  impossible,  avec  des 
auteurs  nationaux,  de  pratiquer  cette  assimilation  qui  pouvait 
seule  la  rajeunir  et  la  féconder  :  «  Quand  à  moy,  si  j'etoy' 
enquis  de  ce  que  me  semble  de  notz  meilleurs  poètes  fran- 
coys. ...  je  repondroy'  quilz  ont  bien  écrit,  qu'ilz  ont  illustré 
nostre  langue,  que  la  France  leur  est  obligée,  mais  aussi 
diroy-je  bien,  qu'on  pouroit  trouver  en  notre  langue  (si  quelque 
scavant  homme  y  vouloit  mettre  la  main)  une  forme  de  poésie 
beaucoup  plus  exquise,  la  quele  il  faudroit  chercher  en  ces 
vieux  Grecz  et  Latins,  non  point  es  aucteurs  francoys,  pource 
qu'e/i  ceux  cj-  on  ne  scaw^oit  prendre  que  bien  peu,  comme 
la  peau  el  la  couleur  :  en  ceux  la  on  peut  prendre  la  chair, 
les  oz-,  les  nerj'z  et  le  sang  »  (p.  loG-io;;).  On  i^econnaît  la 
métaphore. 

Le  principe  de  l'imitation  des  anciens  a  pour  conséquence 
immédiate  l'abandon  des  vieux  genres  poétiques,  où  se  cora- 
[)laisaiciit  les  rimcurs  d'antan  :  ((  Ly  donques  et  rely  premiè- 
rement (ô  poëte  futur),  fueillette  de  main  nocturne  et  jour- 
nelle  les  exenq»laires  grecz  et  latins  :  puis  nie  laisse  toutes 
ces  vieilles  poésies  francoyses  aux  Jeuz  Floraux  de  Thoulouze 
et  au  puy  de  llouan  :  comme  Rondeaux,  Ballades,  Vyrelaiz, 
Chantz     Hoyaulx.    Chansons,     et    autres    telles    episseries,     qui 

'  Liv.  1,  chap.  3. 


l'    «  ILLUSTKATION    DE   LA   LANGUE    FRANÇOYSE  »  129 

corrunipent  le  goust  de  nostre  langue,  et  ne  servent  si  non  à 
porter  lemoingnaige  de  noslre  ignorance  »  (p,  ii2-ii3).  — 
Episseries!  le  mot  est  dédaigneux  et,  dans  sa  rigueur,  quelque 
peu  injuste  *  ;  mais  il  lait  disparaître  d'un  seul  coup,  du 
champ  de  la  poésie,  des  formes  auxquelles  Sibilet  croyait 
encore   devoir  consacrer   cinq  chapitres   de  son  ouvrage  ". 

Les  vieux  genres  proscrits,  par  quoi  va-t-on  les  remplacer? 
Par  des  genres  nouveaux,  que  fournira  l'Antiquité  (II,  4)-  Mais 
ici  cependant  une  distinction  est  nécessaire.  La  Pléiade  ne 
pouvait  prétendre  à  renouveler  tous  les  genres  antiques,  pour 
cette  simple  raison  que  d'autres  avant  elle  avaient  commencé 
le  renouvellement.  Marot  tout  le  premier  était  entré  dans  cette 
voie  en  composant  des  épigramhies,  des  élégies,  des  épîtres, 
des  satires,  des  églogues,  et  Sibilet,  constatant  la  vogue  de 
tous  ces  poèmes,  en  avait  donné  les  règles  précises  '\  Allait- 
on,  sous  prétexte  qu'ils  avaient  la  faveur  de  Marot  et  de 
tous  ses  disciples,  les  exclure  à  l'instar  des  vieilles  formes 
rhétoricales  ?  Le  respect  absolu  qu'on  professait  pour  les 
anciens  ne  permettait  pas  une  pareille  mutilation  :  l'Antiquité 
s'imposait  tout  entière.  Du  Bellay  conseille  au  poète  futur 
de  pratiquer  ces  divers  genres,  mais  à  condition  de  les  trans- 
poser, en  les  rapprochant  de  l'Antiquité  plus  que  n'ont  fait 
les  Marotiques.  On  devra  cultiver  Vépigramme,  non  pas 
l'insipide  et  banal  dizain  d'un  tas  de  faiseurs  de  contes, 
mais  le  trait  d'esprit  piquant  à  la  Martial  ;  —  Yélégie, 
pourvu  qu'elle  soupire  dans  un  style  coulant,  à  la  manière 
d'Ovide,  de  ïibulle  et  de  Properce  ;  —  Yépître,  si,  quittant 
les  sujets  familiers,  elle  traduit  désoi'mais  des  pensées  graves  ; 
—  la  satire,    à    condition   qu'elle    ne   soit    plus    le    coq-à-Vdne 

'  Tahureau  n'est  pas  i)lus  respectueux,  lorsqu'il  parle  des  «  triolets, 
virelais,  rondeaux,  ballades  et  autre  telle  espèce  de  vieille  quinquaille 
roùillée».  {Dialogues,  édit.  Conscience,  p.  Vi). 

-  Liv.  II,  cliap.  3,  4,  5,  0,  13. 

^  Liv.  II,  chap.  1,  7,  8,  9. 

Univ.  de  Lille.  Tome  VIU.  A.  y. 


130  .lOACHlM    DU    Bf:!-LAY 

et  quelle  scii  prenne,  comme  chez  Horace,  aux  vices  du 
temps  sans  nommer  les  personnes  ;  —  Véglogiie  enfin,  mais 
l'églogue  dont  on  trouve  des  modèles  chez  Théocrite,  Virgile  et 
Sannazar.  Même  ainsi  rehaussés,  pourtant,  ces  genres  poétiques 
restent  de  petits  genres,  et  ce  uest  pas  là  que  devra  porter 
leilort   de   celui  qui   voudra  vraiment  illustrer  sa   langue. 

Au-dessus  d'eux,  du  Bellay  place  les  gi'ands  genres,  et, 
comme  on  la  dit,  il  est  très  classique  davoir  établi  cette 
hiérarchie  \  Les  grands  genres,  c'est  naturellement  la  poésie 
dramatique,  la  poésie  lyrique  et  la  poésie  épique.  Le  culte 
de  l'Italie  y  l'ait  joindre  le  sonnet.  Laissons  le  théâtre,  du 
Bellay  ne  donnant  qu'en  passant  le  conseil  de  remplacer  à 
l'avenir  les  moralités  et  les  farces  par  des  tragédies  et  des 
comédies  ^  Trois  formes  surtout  à  ses  yeux  sont  dignes  de 
tenter   le  génie    du   poète  :   le   sonnet,  l'ode  et  l'épopée. 

Ce  qu'il  dit  de  ces  genres  est  d'une  insuffisance  notoire. 
Cinq  lignes  à  peine  sur  le  sonnet,  pour  marquer  ses  rapports 
avec  l'ode  '  :  ingénieuse  réplique  à  Sibilet,  qui  faisait  du 
sonnet  une  façon  d'épigramme  " .  Cette  fois  encore,  du  Bellay 
cède  au  besoin  de  relever  en  dignité  une  forme  dont  l'école 
de  Marot  n'avait  pas  senti  toute  la  valeur.  Certes,  il  n'a  pas 
tort  d'en  faire  tant  de  cas,  et  bien  qu'il  n'ait  pas  vu  qu'il 
y  avait  peut-être  quelque  inconséquence  à  proscrire  la  ballade 
et  le  rondeau,  poèmes  fixes,  pour  leur  substituer  le  sonnet, 
autre  poème  fixe,  je  conçois  qu'il  ait  été  séduit  par  la  beauté 
de  cette  forme  si  puremfjnt  harmonieuse.  Mais  pourquoi  s'en 
est-il   expliqué  avec  tant   de   sécheresse   ? 

'  Faguet.  Seizième  siècle,  p.  217-219. 

-  Deffence.  p.   118. 

•'  Deffence,  p.  IIG  :  «  Sonne  nioy  ces  beaux  Sonnets,  non  moins  docte  que 
plaisante  invention  italienne,  conforme  de  nom  à  l'Ode,  el  diflerente  d'elle 
seulenienl  pource  que  le  Sonnet  a  certains  veis  reiglez  et  limitez  :  et  l'Ode 
peut  courir  par  toutes  manières  de  vers  librement.» 

'  Art  Poétique,  liv.  II,  chap.  2  :  «  Le  Sonnet  suit  lEpigramme  de  bien 
près,  et  de  matière,  et  de  mesure.  » 


l'    «  ILLUSTRATION    DE   LA    LANGUE    l'HANÇOYSE  ))  l3l 

Sa  conception  de  Tode  est  reprise   d'Horace  : 

Musa   dedil  lîdibus   divos   puerosquc   deorum, 

Et   pugilem   victorein  et  cquum   certamine  priinuiu, 

Et  juvenuni    curas,    et   libéra    vina   ret'erre  '. 

((  Te  fourniront  de  matière  les  louanges  des  dieux  et  des 
hommes  vertueux,  le  discours  iatal  des  choses  mondaines,  la 
solicitude  des  jeunes  hommes,  comme  l'amour,  les  vins  libres, 
et  toute  bonne  chère  »  (p.  ii4)-  Sujets  héroïques  et  mytholo- 
giques, sujets  philosophiques  et  moraux,  sujets  erotiques  et 
bachiques,  tel  est  le  domaine  de  l'ode  :  pas  un  instant  du 
Bellay  ne  songe  à  se  demander  si  le  lyrisme  nest  point 
avant  tout  l'expression  poétique  de  sentiments  personnels.  Et 
cette  ode  qu'il  conçoit  tout  antique,  il  la  veut  aussi  très 
relevée  de  forme,  écrite  en  beau  style,  éclatante  de  figures 
et  d'images  :  ((  Sur  toutes  choses,  prens  garde  que  ce  genre 
de  poëme  soit  eloingné  du  vulgaire,  enrichy  et  illustré  de 
motz  propres  et  epithetes  non  oysifz,  orné  de  graves  sen- 
tences, et  varié  de  toutes  manières  de  couleurs  et  ornementz 
poétiques  »  (p.  ii5).  Il  ne  l'imagine  pas  sans  imitations  ou 
réminiscences  de  Pindare  et  d'Horace  :  ((  Qu'il  n'y  ait  vers, 
ou  n'aparoisse  quelque  vestige  de  rare  et  antique  érudition  » 
(p.  ii4).  Dans  la  haute  idée  qu'il  s'en  fait,  il  n'admet  pas 
qu'on  la  ravale,  comme  Sibilet  ",  et  qu'on  aille  citer  pour  des 
modèles   d'odes   de   vulgaires  chansons   de  Saint-Gelays  '. 

Quant   à  l'épopée,  «   le  long  poëme  françoys  »,    dont   Sibilet 


*  Epist.  ad  Pisones,  83-85. 
-  Liv.  II,  chap.  6. 

*  Des  trois  pièces  raillées  par  du  Bellay  (p.  115),  deux  {Laisses  la  verde 
couleur  et  O  combien  est  heureuse)  sont  des  chansons  de  Saint-Gelays, 
précisément  données  par  Sibilet  comme  modèles  de  chants  lyriques.  Quant 
à  la  troisième  (Amour  avecques  Psychés],  c'est  une  pièce  de  Pcrnette  du 
Guillet.  Du  Bellay  avait  pu  les  lire  toutes  trois  dans  un  recueil  publié  par 
Jean  de  Tournes  (Lyon,  1545,  l.:47,  1548)  :  Deploration  de  Venus  sur  la  mort 
du  bel  Adonis.  Avec  plusieurs  chansons  nouvelles.  V.  liev .  d'hist.  litl.  de- 
là France,  1896,  p.  97. 


132  JOACHIM    DU   BELLAY 

ne  dit  qu'un  mot  pour  constater  la  pénurie  où  nous  sommes 
((  d  oeuvres  grans  et  héroïques  *  »,  du  Bellay  l'honore  de  tout 
un  chapitre  (II,  5).  et  nous  avons  là  le  point  de  départ  de 
cette  idée  fixe  qui  régnera  chez  nous  trois  cents  ans  :  c'est 
que  l'épopée  est  le  poème  par  excellence,  et  que  sans  épopée 
une  littérature  est  toujours  inférieure.  Pour  du  Bellay,  le 
poète  épique  est  celui  qui  fera  vraiment  hausser  la  tète  à 
notre  pauvre  langage  et  lui  permettra  de  s'égaler  a  d'un  brave 
sourcil  ))  aux  «  superbes  »  langues  grecque  et  latine.  Mais  combien 
dillicile  est  son  œuvre  !  et  quels  dons  il  lui  faut  réunir  pour  en 
venir  à  bout  !  Ce  n'est  pas  assez  d'avoir  reçu  du  ciel  u  une 
excellente  félicité  de  nature  )),  d'être  instruit  à  fond  des  arts 
et  des  sciences,  versé  dans  la  culture  des  bons  auteurs  anciens  : 
il  faut  qu'il  sache  la  vie  humaine  et  qu'il  ait  encore  favora- 
bles toutes  les  conditions  matérielles  :  qu'il  soit  d'un  rang 
moyen,  ni  trop  liant  ni  trop  bas,  pour  ignorer  également  et 
les  soucis  du  «  régime  public  »  et  le  tracas  des  «  affaires 
domestiques  »  ;  qu'il  jouisse  du  repos,  de  la  tranquillité 
d'esprit  ;  que  la  protection  des  rois  et  des  princes  le  mette 
à  cou^  ert  de  tous  les  besoins  :  car  c'est  une  œuvre  labo- 
rieuse (ju'il  entreprend,  ((  et  quasi  de  la  vie  d'un  homme  ))  ! 
—  Du  BeHay  [)arle  bien,  et  non  sans  émotion,  de  la  gloire 
innnortelle  réservée  au  poète  qui  dotera  la  France  d'une 
épopée  ;  mais  il  ne  lui  dit  pas  les  moyens  d'y  atteindre.  S'in- 
spirer d'Homère,  de  ^'irgile  et  d'Arioste,  et  puiser  son  sujet 
dans  vm  de  nos  locaux  vieux  romans,  tels  que  Lancelot  ou 
Tristan  :  voilà  tous  les  conseils  qu'il  lui  donne.  \u  l'impor- 
tance de  la  matière,  on   conviendra  que   c'est  peu. 

La  nouvelle  poésie  étant  ainsi  constituée  dans  son  fond 
par  un  ensemble  de  petits  genres  et  de  grands  genres,  il  faut 
la  parer,  à  l'exemple  des  anciens,  de  tous  les  ornements  de 
la  langue,  du  style  et  du    mètre. 

1  Liv.  II,  chap.    14. 


L'    ((  ILLUSTRATION    Dli   LA    LANGUE    l'HANÇOYSE  »  133 


C'est  ici  la  partie  la  plus  faible  de  cet  art  poétique.  Après 
ses  attaques  contre  les  rimeurs  de  la  vieille  école,  on  était 
en  droit  d'attendre  du  réformateur  un  certain  nombre  de 
préceptes  mûrement  réfléchis,  clairement  formulés,  tout  ensem- 
ble précis  et  pratiques.  Mais  la  logique  et  la  méthode  ne 
sont  pas,  on  le  sait,  les  qualités  maîtresses  de  la  Deffence. 
Rien  ne  montre  mieux  combien,  en  1049,  les  idées  de  la 
Pléiade  étaient  encore  sur  bien  des  points  vagues  et  incom- 
plètes, que  les  lacunes  du  manifeste  touchant  cette  question, 
cependant  capitale,  de  la  forme  en  poésie.  De  ces  idées  mieux 
définies,  plus  consistantes,  se  forma  par  la  suite  un  système, 
une  doctrine  véritable,  qui  s'exprime  assez  bien  dans  les 
œuvres  théoriques  de  Ronsard.  Je  n'ai  pas  à  retracer  tout 
entière  la  poétique  de  la  Pléiade,  mais  à  montrer  lesquelles 
de  ces  idées  se  trouvent  déjà  dans  la  Deffence.  Je  le  ferai 
suivant  Tordre  logique,  en  groupant  sous  trois  chefs  les  pré- 
ceptes épars    relatifs    à   la  forme. 

A.    LANGUE  (II,   6). 

Du  Rellay  ne  dit  pas  nettement  ce  que  dira  Ronsard  : 
((  Plus  nous  aurons  de  mots  en  nostre  langue,  plus  elle  sera 
parfaicte'.  »  Mais  au  fond  c'est  sa  pensée.  Par  quels  moyens 
conseille-t-il  de  l'enrichir  ?  —  Il  n'est  question  dans  la 
Deffence  ni  des  dialectes  ni  du  provignement.  Tout  compte 
fait,  les  procédés  d'enrichissement  sont  au  nombre  de  deux, 
et  tous  les  deux  viennent  d'Horace  :  i"  inventer  des  mots 
nouveaux  :   1"  rajeunir  des    mots  anciens. 

a)  Les  Néologisrnes.  —  Du  Bellay,  reprenant  la  théorie 
fameuse    d'Horace    sur    les    créations    de   mots  '\    recommande 

1  Art  Poétique  (loGo). —  Blancliemain,  Vil,  333. 
-  Epist.    ad  Pisones,  48-o3. 


134  JOACHIM    DU    BELLAY 

au  poète  «  d'inventer,  adopter  et  composer  à  l'immitation  des 
Gréez  quelques  niotz  franeoys,  comme  Ciceron  se  vante 
d'avoir  fail  en  sa  langue  »  (p.  laS).  Les  anciens,  plus  riches 
que  nous  sans  comparaison,  nous  ont  eux-mêmes  donné 
l'exemple,  en  usant  fréquemment  ((  de  motz  non  acoutumés  es 
choses  non  acoutumées  ».  Dans  une  langue  aussi  pauvre  que 
la  nôtre,  le  poète  futur  sera  souvent  gêné  pour  traiter  bien  des 
choses  qui  n'ont  pas  encore  été  traitées,  s'il  n'obtient  pas  les 
mêmes  droits  :  pourquoi  lui  serait-il  défendu  d'user  de  quelques 
mots  nouveaux,  lorsque  la  nécessité  l'y  contraint  ?  (p.  126- 
127).  —  On  a  mainte  fois  jugé  dangereux  ces  emprunts  de 
vocables  à  des  langues  étrangères.  Sans  discourir  de  ce  qu'ils 
ont  de  légitime,  remarquons  en  passant  que  sur  ce  point  du 
Bellay  s'est  montré  plus  circonspect  qu'on  ne  le  croit 
généralement,  et  qu'il  a  soin  de  tempérer  la  hardiesse  de  son 
conseil  par  une  sage  restriction  :  «  Ne  crains  donques,  poëte 
futur,  d'innover  quelques  termes,  en  un  long  poëme  principa- 
lement, avecques  modestie  toutes/ois,  analogie,  et  Jugement  de 
V oreille^  »  (p.  127).  —  En  ce  qui  touche  particulièrement  les 
noms  propres,  du  Bellay  veut  qu'(m  les  accommode  à  son  vul- 
gaire, entendez  qu'on  les  francise  :  les  transcrire  tels  quels 
du  latin  ou  du  grec,  ce  serait  ((  appliquer  une  pièce  de  velours 
verd  à  une  robe  de  velours  rouge  »  (p.  128).  On  dira  donc 
Hercule  et  Thésée,  non  Hercules  et  Theseus.  Mais  la  chose 
n'est  pas  toujours  possible  :  il  est  des  noms  qu'on  ne  peut 
franciser  (Mars,  Vénus,  Jupiter).  Ici  encore,  c'est  affaire  de 
jugement  et  d'harmonie  :  (t  Tu  doibz  user  en  cela  de  juge- 
ment et   discrétion....    Je    renvoyé    tout    au    jugement   de   ton 


*  Sibilet,  qui  parle  aussi  de  cette  question,  enjoint  de  même  au  futur 
poète  «  qu'il  soit  rare  et  avisé  en  la  novation  des  nios  »,  et.  s'il  est  contraint 
d'en  emprunter,  «  qu'il  le  face  tant  modestement  et  avec  tel  jugement,  que 
l'aspreté  du  mot  nouveau  n'égratijjne  et  ride  les  aureilles  rondes.  »  Liv.  I, 
chap.  4. 


l'    ((   ILLUSTRATION    DE    LA    LANCUK    FHANÇOYSE  ))  135 

oreille  '  »  (p.  128-129).  Cette  réserve  faite,  l'auteur  ajoute 
encore  :  ((  Quand  au  reste,  use  de  luotz  purement  francoys  ». 
11  n'était  pas  de  ceux  qui  voulaient  en  français  parler  grec 
et  latin. 

b)  Les  Archaïsmes.  —  Horace  avait  dit  :  Multa  renascentur 
qiiae  jain  cecidere  ^  Du  Bellay  conseille  de  puiser  dans  nos 
vieux  romans  et  nos  vieux  poètes,  pour  les  faire  revivre, 
quelques-uns  de  ces  mois  «  ([ue  nous  avons  perduz  par  notre 
négligence  »  :  par  exemple  ajourner  (faire  jour),  anuiter 
(faire  nuit),  assener  (frapper),  isnel  (léger).  Enchâssés  dans 
les  vers,  ces  mots  d'autrefois  auront  l'éclat  de  pierres  pré- 
cieuses. Il  faut  cependant  que  l'usage  en  soit  modéré  '  (p. 
129-130). 

B.    STYLE  (II,   9). 

L'idée  chère  à  la  Pléiade,  on  le  sait,  c'est  la  création  d'un 
style  poétique,  qui  sépare  nettement  les  vers  de  la  prose. 
Ronsard  le  dira  de  façon  formelle  :  «  Le  style  prosaïque  est 
ennemy  capital  de  l'éloquence  poétique  *  ».  Cette  préoccupa- 
tion conduit  l'auteur  de  la  Deffence  à  formuler  un  certain 
nombre  de  préceptes  sur  le  style  qui  convient  à  la  poésie. 
Il   faut   distinguer  ici   les   tours   et  les    figures. 

a)  Les  Tours.  —  Entre  autres  tours,  le  poète  devra  s'atta- 
cher aux   manières    de   parler   que   voici  : 

I"  User  de  l'infinitif  pour  le  nom  :  l'aller,  le  chanter,  le 
vivre,    le  mourir. 

'  Cf.  Ronsard,  Art  Poétique,  VII,  320  et  33n. 

-  Epist.  ad  Pisones,  70. 

3  «  Ne  doute  point  ([ue  le  modéré  usaige  de  telz  vocables  ne  donne 
grande  majesté  tant  au  vers  comme  à  la  prose  »  (p.  130).  —  Du  Bellay 
revient  sur  cette  question  des  archaïsmes  dans  l'épître-préface  à  Morel  qui 
précède  son  recueil  de  loo2.  Il  sappUuuUt  d'avoir  usé  de  cerve  (biche),  gal- 
lées  (galères),  endementiers  (cependant), carro/anf  (dansant),  «  et  autres,  dit- 
il,  dont  l'antiquité  me  semble  donner  quelque  majesté  au  vers,  principale- 
ment en  ung  long  poème,  poiirveii  toutcsfois  que  Vusay  '  n'en  soit  imno- 
deré  »  (I.  337). 

^  2°  préf.  de  la  Franciade.  —  Blanchemain,  III,  l(î. 


136  JOACHIM    DU    BELLAY 

2"  Employer  l'adjectif  substantivé  :  le  liquide  des  eaux,  le 
vide  de  l'air,  le  frais  des  ombres,  Vépais  des  forêts,  Venroué 
des  cymbales. 

3''  Construire  avec  l'infinitif  des  verbes  et  participes  qui 
de  leur  nature  n'admettent  pas  une  telle  construction  :  trem- 
blant de  mourir,  pour  craignant  de  mourir  ;  volant  d'y  aller, 
pour   se  hâtant   d'y  aller. 

4°  User  de  l'adjectif  pour  l'adverbe  :  ils  combattent  ob- 
stinés,  pour  obstinément  ;  il   vole  léger,   pour   légèrement. 

5°  Se  garder  d'omettre  les  articles.  Ronsard  ajoutera  : 
les  pronoms  personnels  *.  On  sait  combien  cette  double  omis- 
sion  est   fréquente   chez    Marot. 

b)  Les  Figures.  —  La  vertu  de  Télocution,  suivant  du 
Bellay,  gît  «  aux  methaphores ,  alegories,  comparaisons, 
similitudes,  énergies,  et  tant  d'autres  figures  et  ornemens, 
sans  les  quelz  tout  oraison  et  poème  sont  nudz,  manques  et 
débiles  »  (p.  64).  Gela  revient  à  dire  qu'il  faut  orner  le  style 
des  vers  de  toutes  les  figures,  pour  qu'il  soit  le  plus  brillant, 
le  plus  éclatant,  le  plus  imagé  possible.  Ainsi  le  poète 
usera  souvent  de  l'antonomase  :  il  dira  le  Père  foudroyant, 
pour  Jupiter;  le  Dieu  deux  fois  né,  pour  Bacchus  ;  la  Vierge 
chasseresse,  pour  Diane.  11  enq)loiera  des  épithètes  caracté- 
ristiques :  la  flamme  dévorante,  les  soucis  mordants .  Il  aura 
recours  aux  comparaisons  les  plus  variées.  La  connaissance 
des  métiers  lui  sera  sur  te  point  fort  utile  :  «  Encores  te 
veux-je  advertir  de  hanter  quelquesfois.  non  seulement  les 
scavans,  mais  aussi  toutes  sortes  d'ouvriei-s  et  gens  méca- 
niques, comme  mariniers,  fondeurs,  peintres,  engraveurs,  et 
autres,  scavoir  leurs  inventions,  les  noms  des  matières, 
des  outilz,  et  les  termes  usitez  en  leurs  ars  et  mé- 
tiers,    pour    tyrer    de    la    ces     belles    comparaisons    et    vives 

'  Art  Poétique.  —  Blancheniain,  VII,  329. 


L'    ((  ILLUSTRATION    1)K    LA    LANGUE    FHANÇOVSE  ))  137 

descriptions  de  toutes  choses  '  ))  (p.  i47).  C'est  ainsi  que  les 
termes  techniques  entreront  dans  la  langue  poétique  et  seront 
pour  eUe    un   nouveau    moyen    d'enrichissement. 

C.    RYTHMIQUE    (11,    -,  S,  1»). 

Du  liellay  fait  de  Vharinonic  la  loi  souveraine  des  vers  : 
((  Regarde  principalcmeid  (ju'cn  ton  vers  n'y  ait  rien  dur, 
hyulque,  ou  redundant.  Que  les  périodes  soient  bien  joinclz, 
numereux,  bien  remplissans  l'oreille  »  (p.  i43).  Il  n'a  pas 
tort.  Mais  en  dehors  de  ce  précepte  très  général,  je  ne 
vois  rien  de  bien  nouveau  dans  la  Deffence^  concernant  les 
questions  de  rythmique.  Les  préceptes  de  détail  sont  à  peu 
près  insignifiants . 

à)  Le  Mèlvc.  —  La  variété  des  mètres  est  infinie  : 
«  Quand  aux  espèces  de  vers....  elles  sont  aussi  diverses 
que  la  fantasie  des  hommes  et  que  la  mesme  nature  ))  (p.  i38- 
iSq).  Cette  variété  des  mètres  est  un  des  éléments  de  la  poésie 
lyrique  :  «  L'Ode  peut  courir  par  toutes  manières  de  vers  libre- 
ment, voyre  en  inventer  à  plaisir  »  (p.  117).  —  Touchant  les  vers 
considérés  isolément,  la  Deffence  est  muette.  Chose  singulière  : 
il  n'est  pas  même  question  de  l'alexandrin,  qui  ne  devienth'a 
que  plus  tard,  vers  i5.55,  le  mètre  favori  de  la  Pléiade.  Le 
vers  décasyllabe  reste  toujours  le  vers  héroïque,  et  du  Bellay 
se  borne  à  demander  qu'on  en  marque  mieux  la  césure  -.  Le 
seul  point  à  noter,  c'est  le  conseil  aussi  bizarre  qu'obscur 
d'acclimater  chez  nous  l'hendécasyllabe  :  ((  Adopte  moy  aussi  en 
la  famille  francoyse  ces  coulans  et  mignars  hendecasyllables, 
à  l'exemple  d'un  Gatule,  d'un  Pontan,  et  d'un  Secund  :  ce  que 
tu  pouras  faire,  si  non  en    quaniité,  pour    le  moins    en  nombre 


'  Cf.  Ronsard.  VII,  321  ;  III,  20  et  M. 

■  Il  estime  défectueuse  la  coupe  de  ce  vers,  qui  est  précisément  un  vers 
de  Sibilet  :  Si  non  que  tu    \    en  montres  un  plus  seur  (p.  142). 


138  JOACaiM    DU   BELLAY 

de  sj'llahes  »  (p.  ii8).  C'est  d'ailleurs  un  conseil  qui  resta 
lettre   morte  '. 

b)  La  Rime.  —  Je  ne  suivrai  pas  du  Bellay  dans  ses  ex- 
plications plus  ou  moins  embrouillées  sur  le  sens  du  mot 
l'ime  (\(  rj-lhine  »)  *  ;  encore  moins  dans  ce  qu'il  dit  de  l'in- 
vention des  vers  rimes,  due,  selon  Jean  Lemaire  de  Belges, 
à  Bardus  V,  roi  des  Gaules  (p.  i35).  Sans  se  prononcer  abso- 
lument contre  les  vers  blancs  ■',  du  Bellay  voit  dans  la  rime 
une  nécessité  dont  on  peut  difficilement  s'afFranchir  :  elle  est 
pour  nous  ce  quêtait  pour  les  anciens  la  quantité.  Ses  pré- 
ceptes  sur  la   rime    sont    au   nombre    de    trois  : 

1"  Il  faut  que  la  rime  soit  riche  sans  être  contrainte. 
Du  Bellay  n'admet  pas  qu'aux  dépens  du  sens  ou  de  la  rai- 
son, on  fasse  rimer  ensemble  éminent  et  imminent,  miséricor- 
dieusemeni  et  mélodieusement .  Il  proscrit  la  rime  équivoque, 
si  chère  aux  vieux  rhétoriqueurs.  Il  proscrit  de  même  la  rime 
du  simple  et  du  composé  (baisser.,  abaisser).  —  C'est  juste- 
ment  le   contre-pied   des   prescriptions   de  Sibilet  *. 

2"    Il    faut    se    contenter    de   la    rime  pour  l'oreille   et  sans 

'  V.  Plôtz,  op.  cit.,  p.  40. 

-  Sur  ce  point,  cf.  du  Bellay,  II,  8,  et  Sibilet,  I,  2. 

^  Sibilet,  parlant  des  vers  sans  rimes  (liv.  11,  chap.  15),  remarque  que 
Bonav.  des  Pcriers  est  chez  nous  le  seul  poète  qui  les  ait  hasardés  (tra- 
duction de  la  1"  Satire  d'Horace  en  octosyll.  non  rimes).  Avant  des  Périers, 
Pétrarque  en  avait  fait,  mais  en  sextines  :  «  Si  tu  veus  faire  des  vers  non 
rymez,  dit-il,  et  t'aider  de  l'exemple  de  Pétrarque,  fay  les  en  Sestines 
comme  luy.  Car  l'authorité  de  Bonaventure  des  Périers  seroit  basse  pour 
faire  trouver  hors  Sosline  bons  ces  vers,  qui  sans  ryme  demeurent  autant 
froys.  comme  un  corps  sans  sanj^  et  sans  ame.  »  —  Du  Bellaj',  s'autorisant 
de  Pétrarque  et  d'Alamanni,  croit  qu'on  pourrait  à  la  rigueur  faire  des 
vers  non  rimes,  pourvu  qu'ils  fussent  «  bien  charnuz  et  nerveux,  afin  de 
compenser  par  ce  moyen  le  default  de  la  rj'thme  »  (p.  1,32).  —  Les  essais 
de  la  Pléiade  en  ce  genre  sont  d'ailleurs  presque  nuls  :  un  sonnet  de  du 
Bellay  {Olive,  s.  114).  une  ode  de  Ronsard  (Blanchemain,  II,  212). 

*  Liv.  l,  chap.  7:  o  Geste  espèce  de  ryme  en  équivoque...  comme  elle 
est  la  plus  diiricile,  aussy  est  elle  moins  usitée  :  et  ne  laisse  pourtant  a 
estre  la  plus  élégante  )>.  —  «  Avise  toy  cependant  que  tu  peus  rymer  bien 
et  deuement  le  simple  contre  le  composé,  combien  que  aucuns  vœillent 
soutenir  le  contraire,  mais  sans  apparence  de  raison  ». 


L'    «  ILLUSTRATION    DE    LA    LANGUK    FRANÇOYSE   ^)  ['AU 

scrupule  accouplei' ,  par  exemple ,  inailre  et  prêtre ,  Atlicnes 
et  fontaines,  connaître  et   naître. 

3°  Il  faut  se  garder  de  faii-e  i-imer  des  mois  longs  et  des 
mots   bi'ei's,   comme  passe  et    trace,   maître  et   mettre. 

Quant  à  l'alternance  des  rimes  masculines  et  Icmiuines, 
observée  par  Marot  dans  ses  Psaumes,  et  qui  sera  plus  tard 
un  des  principes  de  la  Pléiade,  du  Bellay  l'approuve,  mais 
sans  en  faire  un  dogme  :  «  11  y  en  a  qui  fort  supersticieu- 
seraent  entremeslent  les  vers  masculins  avecques  les  féminins, 
comme  on  peut  voir  aux  Psalmes  traduictz  par  Marot.  Ce 
qu'il  a  observé  (comme  je  croy')  afin  que  plus  facilement  on 
les  peust  chanter,  sans  varier  la  musique,  pour  la  diversité 
des  meseures,  cjui  se  trouverroint  à  la  fin  des  vers.  Je  treuve 
cete  diligence  fort  bonne,  pourveu  que  tu  n'en  faces  point  de 
religion,  jusques  à  contreindre  ta  diction,  pour  observer  telles 
choses  '  ))  (p.  142-143).  Cette  dernière  phrase  nous  montre 
un  poète  qui  n'entend  pas  sacrifier  à  des  règles  tyranniques  sa 
liberté  d'inspiration. 


IV 


Quelc|ue  incomplets  que  soient  les  préceptes  contenus  dans 
la  Deffence,  pourtant  il  s'en  dégage  cette  inqoression  nette  : 
c'est  qu'un  élément  nouveau,  Y  art.  s'introduit  dans  la  poésie. 
Qu'est-ce  en  somme  que  la  Deffence  ?  Un  hymne  à  l'art. 
Nul  n'est  poète  sans  art.  Non  que  du  Bellay  supprin)e  la 
nature.    Dans    la    question    souvent    discutée    des    rapports   de 

'  Cf.  son  avis  au  Lecteur,  en  tôle  des  Vers  Lyriques  i)iil)liés  avec  la 
Deffence  :  a  Je  n'ay  (Lecteur)  entremellé  foi't  supersticieusement  les  vers 
masculins  avecques  les  féminins,  comme  on  use  en  ces  vaudeviles  et  chan- 
sons qui  se  chantent  d'un  mesme  chant,  par  tous  les  coupletz,  craignant  de 
contreindre  et  geliinner  ma  diction  pour  l'observation  de  telles  choses. 
Toutesfois.  allin  que  tu  ne  i)onses  que  j'ayc  dédaigné  ceste  diligence,  tu 
trouveras  quelques  Odes,  dont  les  vers  sont  disposez  avecques  telle  reli- 
gion »  (I,  175). 


liO  JOACHI.M    UU    BELLAY 

lart  et  de  la  nature,  il  estime,  avec  Gicéron  et  Quintilicn, 
«  le  naturel  faire  plus  sans  la  doctrine  que  la  doctrine  sans 
le  naturel  ».  (p.  109).  Mais  il  le  proclame  très  haut  :  ((  le 
naturel  nest  suffisant  à  cehij'  qui  en  poésie  veult  faire 
œuvre  digne  de  Vimmortalité  »  (p.  108).  Il  lui  faut  encore 
le  secours  de  l'art  :  ((  Qu'on  ne  m'allègue  point  aussi  que 
les  poètes  naissent',  car  cela  s'entend  de  ceste  ardeur  et 
allégresse  desprit,  qui  naturellement  excite  les  poëtes,  et 
sans  la  quele  toute  doctrine  leur  seroit  manque  et  inutile.  Cer- 
tainement ce  seroit  chose  trop  facile,  et  pourtant  contemptible, 
se  faire  éternel  par  renommée,  si  la  félicité  de  nature, 
donnée  mesmes  aux  plus  indoctes,  étoit  suffisante  pour  faire 
chose  digne  de  l'immortalité.  Qui  veut  voler  par  les  mains 
et  bouches  des  hommes,  doit  longuement  demeurer  en  sa 
chambre  :  et  qui  désire  vivre  en  la  mémoire  de  la  postérité, 
doit  comme  mort  en  soy  mesmes  suer  et  trembler  maintes- 
fois  :  et  autant  que  notz  poètes  courtizans  boyvent,  mangent 
et  dorment  à  leur  oyse,  endurer  de  faim,  de  soif  et  de  lon- 
gues vigiles.  Ce  sont  les  esles  dont  les  ecriz  des  hommes 
volent  au  ciel  »  (p.  iio-iii).  Cette  page  est  fort  belle  : 
jamais  encore  on  n'avait  dit  avec  de  tels  accents  le  devoir 
laborieux  qui  s'impose  au  poète,  le  mépris  de  la  tâche  trop 
facile,   la  sainte   religion   de   l'art. 

En  quoi  consiste  cet  'art  ?  Dans  la  ((  cogitation  »  et  dans 
r  ((  émendation  »  (II,  ri).  Il  faut  tout  d'abord  méditer  son 
œuvre.  Sur  ce  point,  on  ne  peut  établir  d'autre  règle  que  le 
((  plaisir  »  et  la  ((  disposition  ))  de  chacun  :  lorsqu'ils  com- 
posent, les  uns  recherchent  les  forêts,  les  ruisseaux  et  les 
prés  ;  les  autres  préfèrent  le  secret  des  chambres,  les  doctes 
cabinets  d'études,  les  mystéx'ieuses  bibliothèques.  Ce  qu'il  faut 
avant   tout,    c'est    la    solitude ,      le     silence     ami     des    Muses. 

'  Allusion  à  l'adage  :  Fiant  oratores,  poetae  nascnntnr,  invoqué  par 
Sibilet,  liv.  1,  chap.  3. 


L'    ((  ILLUSTRATION    DE    LA    LANGUE    FRANÇOYSE  ))  141 

le  recueillement  qui  favorise  Tinspiration,  cette  ((  fureur 
divine  »  sans  laquelle  nul  ne  doit  espérer  faire  chose  qui 
dure.  Mais  l'œuvre  éclose,  rémendation  doit  intervenir  pour 
la  corriger  :  «  lollice  d'elle  est  ajouter,  oter,  ou  muer  à 
loysir  ce  que  cete  première  impétuosité  et  ardeur  d'écrire 
n'avoit  permis  de  faire  »  (p.  14G).  11  faut  façonner  longuement 
ses  écrits,  les  lécher,  comme  l'ours  ses  petits,  —  sans  pour- 
tant lonjber  dans  l'excès  et  pousser  ce  scrupule  jusqu'à  la 
superstition  '.  11  est  bon  enfin  d'avoir  un  ami  savant,  dévoué, 
fidèle  -,  qui  puisse  connaître  vos  fautes,  vous  les  signaler  en 
toute  franchise,  sans  crainte  de  blesser  votre  amour-propre, 
qui  joue  en  un  mot  vis-à-vis  de  vous  le  rôle  salutaire  d'un 
censeur. 

C'est  par  l'application  de  tous  les  préceptes  ci-dessus  énon- 
cés que  se  formera  le  ((  poète  futur  »,  —  non  plus  ce  rimeur 
pour  qui  la  poésie  n'est  qu'une  distraction  et  qu'un  passe- 
temps,  qui  ne  veut  qu'amuser  son  public  sans  exciter  en  lui 
d'impressions  profondes,  et  dont  tout  l'idéal  est  de  plaire 
aux  seigneurs  de  la  Cour,  aux  gentilshommes,  aux  damoi- 
selles  \  —  mais  un  écrivain  qui  fait  de  son  art  presque  un 
sacerdoce,  et  qui,  unissant  le  génie  et  la  science,  le  naturel 
et  la  doctrine,  veut  agir  fortement  sur  les  autres  et  se  rendre 
maître  de  leurs  àraes.  Du  Bellay  trace  ainsi  le  portrait  du 
poète  de  l'avenir  :  ((  Saiches,  Lecteur,  que  celuy  sera  véritable- 
ment le  poêle,  que  je  cherche  en  nosti'e  langue,  qui  me  fera 
indigner,  apayser  ejouyr,  douloir,  aymer,  hayr,  admirer, 
étonner,     bref,    qui    tiendra    la    bride    de   mes    alFections,    me 


'  Cf.  2'  préf.  de  l'Olive  {I,  73). 

-  Du  Bellay  ajoute  :  «  voire  trois  ou  quatre  ».  11  y  a  là  comme  un  écho 
de  ce  qui  devait  se  passer,  j'imagine,  au  Collège  de  Coqueret. 

3  Cf.  Muret,  préface  de  Jiwenilia  (1552),  p.  9  :  «  Qui  se  vernaculo  nostro 
sermone  poetas  perhiberi  volebant,  perdiu  ea  scripsere  quae  deleclare 
modo  ociosas  mulierculas,  non  ctiam  eruditorum  hominum  studia  tener? 
possent.  )) 


142  JOACBIM   DU    BELLAY 

tournant  ça  et  la  à  son  plaisir.  Yoyla  la  vraye  pierre  de 
touche,  ou  il  fault  que  tu  épreuves  tous  poëmes  et  en  toutes 
langues  »  (p.  i5i).  —  «  Admirable  définition,  dit  M.  Petit  de 
JuUeville,  et,  après  tout,  la  seule  vraie.  Car  les  cadres  et 
les  genres  sont  changeants  et  passagers  ;  les  procédés  de  ver- 
sification varient  à  rinfini  ;  on  définit  le  riineur  par  les 
règles  quil  observe.  Mais  on  ne  définit  le  poète  que  par  le 
charme  qu'il   exerce   et    par  rémolion  qu'il  excite  *.   » 

La  Dcffence  devrait  se  terminer  sur  celte  belle  pensée. 
Pourquoi  faut-il  que  du  Bellay,  dans  son  horreur  pour  le 
vulgaire,  ait  limité  de  parti  pris  la  libre  fantaisie  du  poète 
en  lui  faisant  une  loi  de  rompre  avec  la  foule  ?  «  Seulement 
veux -je  admonnester  celuy  qui  aspire  à  une  gloyre  non  vul- 
gaire, s'eloingner  de  ces  ineptes  admirateurs,  fuyr  ce  peuple 
ignorant,  peuple  ennemy  de  tout  rare  et  antique  scavoir  :  se 
contenter  de  peu  de  lecteurs  à  fexemple  de  celuy,  qui  pour 
tous  auditeurs  ne  demandoit  que  Platon,  et  d'Horace,  qui 
veult  ses  œuvres  estre  leuz  de  trois  ou  quatre  seulement, 
entre  les  quelz  est  Auguste  -  »  (p.  i5i-i52).  Certes,  une  telle 
déclaration  ne  surprend  pas  de  la  part  d"un  poète  qui 
s'écriait  : 

Rien   ne   me  plaist,  fors   ce   qui   peut  déplaire 

Au  jugement   du  rude   populaire  ^ 

*  Ghap.  I  s\ir  la  llonaissance ,  p.  19,  clans  le  Seizième  siècle  de  la 
grande  Histoire  de  la  littérature  française . 

-  Rapprocher  de  ce  passage  ce  que  disait  du  Bellay  la  même  année,  à  la 
lin  de  la  1"  prêt",  de  l'Olive  :  «  Je  ne  eerche  point  les  applaudissemens 
populaires.  Il  nie  suflit  pour  tous  lecteurs  avoir  un  S.  Gelays,  un  Heroët, 
un  de  Ronsart,  un  Caries,  un  Sceve,  un  Douju,  un  Salel,  un  iMartin,  et  si 
quelques  autres  sont  encor'  à  mettre  en  ce  ranc.  A  ceulx  la  s'addressent 
mes  petiz  ouvraiges  »  (I,  69>.  —  Les  poètes  de  la  Pléiade  ont  maintes  fois 
renouvelé  ces  déclarations  où  s'afliche  le  mépris  du  vulgaire.  Je  citerai 
simplement  dans  le  nombre  ce  passage  de  Ronsard  (1564)  :  «  Si  vous  esti- 
mez que  je  sois  désireux  de  la  faveur  du  vulgaire,  vous  vous  trompez 
beaucoup;  car  le  plus  grand  desplaisir  que  je  soaurois  avoir  en  ce  monde, 
c'est  d'estre  estimé  ou  recherché  du  peuple.  »  (Blanchemain,  Vil,  143). 

'  De  L'immortalité  des  poêles,  au  seigneur  Bouju  (I,  205). 


l'    «  ILLUSTRATION    nE   LA    LANGUE   FRANÇOYSE  »  143 

Mais  combien  elle  est  regrettable  !  et  coin  nie  elle  gâte  les 
meilleures  intentions  du  réformateur  !  C'était  bien  la  peine, 
vraiment,  cVallranchii'  la  poésie  du  caprice  des  gens  de  cour, 
pour  en  faire  l'apanage  exclusif  des  savants,  de  lui  donner 
comme  domaine  l'universel,  pour  la  restreindre  tout  aussitôt 
à  l'usage  d'une  élite  !  Au  surplus,  on  a  si  souvent  redit  les 
dangers  de  cette  aristocratique  conception,  qu'il  est  inutile  de 
marquer  une  fois  de  plus  tout  ce  que  perd  la  })oésie  à  se 
séparer   ainsi   de  la  foule. 

Je  ne  voudrais  pas  finir  sur  une  critique.  J'aime  mieux 
rappeler  pour  conclure  ce  qui  fait  le  mérite  souverain  de  la 
Deffence  et  son  incontestable  valeur.  Le  petit  opuscule  de 
i54g  est  un  plaidoyer  magnifique,  chaleureux,  enthousiaste, 
qui  célèbre  excellemment  la  beauté,  la  dignité,  disons  le  mot, 
la  sainteté  de  la  poésie.  C'était  la  première  fois  chez  nous 
que  quelqu'un  avait  le  cœur  si  pénétré  de  sa  grandeur  auguste, 
parlait  avec  cette  éloquence  de  son  pouvoir  sacré,  de  sa  divine 
mission.  En  vain  a-t-il  voulu  que  les  Muses  restassent  étran- 
gères à  la  foule  :  par  la  vertu  puissamment  séductrice  de  sa 
parole,  l'auteur  de  la  Deffence  les  a  ramenées  sur  la  teri^e  ;  il 
les  a  rendues  familières  aux  Français  qui  les  avaient  mécon- 
nues tant  de  siècles  ;  il  a  si  bien  scellé  leur  union  avec  eux 
que  jamais  plus,  depuis  cette  époque,  les  chastes  déesses  ne 
sont   remontées  dans  le   ciel. 


\ 


CHAPITRE    V 


L'ATTAQUE  DE  LA  «  DEFFENCE  » 


ET 


LA    DÉFENSE    DE    LA    «   DEFFENCE   » 

1549-1550 


I.  —  La  guerre  contre  l'ignorance.  —  Résistance  des  disciples  de 

Marot.  —  La  préface  de  r«  Iphigène  »  de  Sibilet  il349j. 
II.  —  Guillaume  des  Autelz  et  sa  «  Réplique  aux  furieuses  défenses 
de  Louis  Meigret  »  (1350'. 

III.  —  Le  «  Quintil  Horatian  »  de  Barthélémy  Aneau  (1330). 

IV.  —  Défense  de  la  «  Deffence  »  :  la  seconde  préface  de  l'a  Olive  » 

(1330). 
V.  —  Deux  poèmes  polémiques  :  la  «  Musagnœomachie  »  et  1  Ode 
â  Ronsard  «  Contre  les  envieux  poètes  »  (1330). 


I 


«  Ce  l'ut  une  belle  j^uerre,  que  Ion  entreprit  lors  contre 
l'ignorance.  »  —  C'est  en  ces  ternies  qu'Etienne  Pasquier  ^ 
parle  de  la  révolution  accomplie  dans  les  lettres  par  la 
DeJJ'ence. 

Une   guerre  ?   Oui   :    le    mot    n'est  i)as  trop    lort.    Du  Bellay 

liée  h.  de  la  France,  VI,  7. 


l'attaque    de    la    ((    DEKKliNCE    ))  145 

lui-même  avait  sonné  la  charge  dans  les  dernières  lignes  de 
son  manifeste  :  «  La  donques,  Francoys,  marchez  couraigeu- 
sement  vers  cete  superbe  c-ilé  romaine  :  et  des  serves 
dépouilles  d'elle  (connue  vous  avez  lait  plus  d'une  fois)  ornez 
voz  temples  et  autelz.  Ne  craignez  plus  ces  oyes  cryardes,  ce 
fier  Manlie  et  ce  traitre  Gamile,  qui,  soubz  umbre  de  boniuî 
foy,  vous  surprenne  tous  nudz  contans  la  rançon  du  (^apitoie. 
Donnez  en  cete  Grèce  menteresse,  et  y  semez  encor  un 
coup  la  fameuse  nation  des  Gallogrecz.  Pillez  moy  sans  con- 
science les  sacrez  thesors  de  ce  temple  delphique,  ainsi  que 
vous  avez  fait  autrefoys  :  et  ne  craignez  plus  ce  muet 
Apollon,  ses  faulx  oracles,  ny  ses  (lesches  rebouchées.  Vous 
souvienne  de  votre  ancienne  Marseille,  secondes  Athènes,  et  de 
votre  Hercule  Gallique,  tirant  les  peuples  après  luy  par  leurs 
oreilles  avecques  une  chesne  attachée  à  sa  langue  »  (p.  i6i- 
162).  Cette  éloquente  exhortation,  hérissée  d'expressions  mili- 
taires, avait  l'énergie  d'un  appel  aux  armes.  Sus  aux  anciens  ! 
clamait  du  Bellay,  jetant  le  cri  de  guerre.  Mais  dans  Tar- 
deur  farouche  de  sa  marche  en  avant,  il  passait  sur  le 
corps  de  tous  ceux  qu'il  trouvait  devant  lui,  se  dressant  à 
chaque  pas  et  lui  barrant  la  route,  et  l'on  ne  pouvait  espé- 
rer que  ces  gens-là  se  laisseraient  écraser  et  piétiner  sans 
opposer  la   moindre   résistance. 

L'apparition  de  la  Dejfence  produisit  chez  les  disciples  de 
Marot  un  mouvement  de  stujjeur  et  de  colère,  et  l'on  songea 
tout  aussitôt  à  la  riposte.  L'œuvre  était  trop  violente,  trop 
remplie  d'allusions  personnelles,  d'attaques  à  peine  déguisées, 
d'intentions  nettement  batailleuses,  pour  ne  pas  provoquer  de 
fortes  protestations  et  de  véhémentes  répliques.  Et  de  là, 
une  querelle  littéraire  des  plus  vives,  comparable  en  son 
genre  à  celle  des  anciens  et  des  modernes,  ou  bien  encore 
à  celle  des  classiques  et  des  romantiques.  Moins  heureuse 
que   les   autres,    cette    querelle    n'a    pas    trouvé    son    historien. 

Univ.  de  Lille.  Tome  VI 11    A.  10. 


146  JOACHIM    DU    BELLAY 

Je  souhaite  qu'elle  le  trouve  quelque  jour.  A  qui  voudra 
tenter  ce  sujet  peu  connu,  rien  ne  fera  défaut,  ni  l'intérêt 
de   la   matière,    ni   l'abondance    des   documents. 

Pour  moi,  je  me  bornerai  simplement  à  retracer  le  rôle 
que  joua  dans  l'afl'aire  Joacliim  du  Bellay.  J'examinerai  plu- 
sieurs des  pamphlets  qui  furent  lancés  contre  la  Deffence ,  et 
je  dirai  comment  il  répondit  aux  critiques  quon  faisait  de  son 
livre.    Même   ainsi   limitée,   la   question    est   encore   assez  vaste. 

La  première  riposte,  à  ma  connaissance,  vint  de  Sibilet. 
C'était  justice  :  le  théoricien  de  VArt  Poétique  avait  trop 
souvent  été  pris  à  partie  par  le  novateur  de  la  Deffence 
pour  ne  pas  répliquer.  Bien  qu'il  ne  fût  désigné  nulle  part 
d'une  manière  explicite,  il  ne  pouvait  pas  se  méprendre  sur 
le  sens  véritable  du  manifeste  et  sur  la  portée  des  idées 
nouvelles  :  c'était  lui  qu'on  visait  en  maint  endi'oit  du  livre. 
Il  n'attendit  qu'une  occasion.  Justement,  au  mois  de  novembre 
1549,  il  publiait  une  traduction  de  Y Iphigénie  d'Euripide  *.  On 
sait  le  mal  qu'avait  dit  du  Bellay  des  traductions,  et  surtout 
des  traductions  de  poètes.  L'heure  était  venue  de  le  réfuter,  ou 
tout  au  moins  de  lui  rendre  attaque  pour  attaque.  Dans  une 
épître  aua  Lecteurs,  qui  précédait  sa  traduction,  il  le  prenait 
d'abord  sur  le  ton  cavalier  :  «  Cette  mienne  mignardise  a  l'aven- 
ture déplaira  a  la  délicatesse  de  la  délicatesse  de  quelques  hardis 
repreneurs:  mais  si  jesay  que  la  friandise  vous  en  plaise,  ce  me  sera 
plaisir  de  leur  déplaire  en  vous  plaisant.  »  Puis  il  parlait  de  son 
ouvrage,  et,  dans  une  conclusion  finement  agressive,  il  chantait 
une  fois  de  plus  les  louanges  de  Marot,  contestait  à  du 
Bellay    ses    idées    sur    la    «  version  »,    laissait     entendre    qu'il 

'  L'iphigene  d'Euripide  Poète  Tragiq  :    tourné  de   Grec  en  François  par 

l'Auteur  de    VArt    Poétique Paris,   Gilles    Corrozct,    1549.   Privilège  du 

13  nov.  laW.  Dédicace  à  Jean  Brinon,  signée  T.  S.  et  datée  de  Paris, 
1"  sept.  I;j49.  L'épilrc  ans  Lecteurs  suit  cette  dédicace.  (Bibl.  Nat.  —  Rés. 
yb.  832;. 


l'attaque   DR   LA    ((    DKFFENCE    ))  147 

savait  à  quoi  s'en  tenii*  sur  sou  degré  d"origirialité,  raillait 
surtout  sa  conception  aristocratique  de  la  poésie  et  cette 
prétention  de  ne  vouloir  écrire  que  pour  une  élite  :  ((  Fina- 
blement  si  je  n'ay  tant  purement,  doucement,  naïvement,  élé- 
gamment, richement  et  mignonnement  tourné  l'Iphigene 
d'Euripide,  que  Marot  a  l'ait  le  Léandre  du  poète  Musée  : 
aussy  ne  suy-je,  ne  pense-je  êttre  Marot.  Si  la  langue  Fran- 
çoise n'est  illustrée  par  la  version  dés  poëmes,  on  ne  s'en 
doit  attacher  a  nioy  qui  n'en  suy  illustrateur  ne  gagé  ne  re- 
nommé. Si  je  fay  moins  pour  nioy  en  traduisant  anciens 
auteurs  qu'en  cérchant  inventions  nouvelles,  je  ne  suy  toute- 
fois tant  a  reprendre  que  celuy  qui  se  vante  d'avoir  trouvé, 
ce  qu'il  ha  mot  a  mot  traduit  dés  autres.  Si  cette  version 
n'est  suflisante  pour  immortaliser  mon  nom,  aussi  ne  l'y  vœil- 
je  mettre  en  tittre.  Si  je  ne  suy  leu  et  loué  des  Poètes  de 
la  première  douzaine,  aussi  n'ay-je  pas  écrit  a  cette  intention  : 
car  j'écry  ans  Muses  et  a  moy  :  et  si  quéqu'un  par  fortune 
prend  plaisir  a  mes  passetems,  je  ne  suy  pas  tant  ennuyeus  ' 
de  son  aise,  que  je  lui  vœilhe  défendre  la  communication 
de  mes  ébbas,  pour  lés  réserver  a  une  affectée  demye  douzaine 
dés  estimés  princes  de  nottre  langue,  et  par  ce  moyen  cércher 
leur  applaudissement.  )) 


II 


La  préface  de   Vlphigène  n'était     qu'une  courte   et  brillante 

sortie   contre    la    Deffence.    Guillaume    des   Autelz    %  poète   de 

Lyon,    cousin    de    Pontus    de    Tyard,     entra    dans    le  fort    du 

débat.   Il    était   alors   en   pleine  polémique  avec    Louis  Meigret, 

le   rèformatem*   de   l'orthographe  ;  mais  il  faisait  aussi  des  vers 

'  Sic.  Peut-être  faut-il  lire  envieus. 
Sur  Guill.  des  Autelz,  consulter  Goujet,  t.  XII,  p.  343-333. 


148  JOACHIM    DU    BELLAY 

et  venait  de  donner  son  Repos  de  plus  grand  travail  '.  Il 
éprouva  le  besoin  dexposer  son  opinion  sui'  ce  sujet  si  con- 
testé de  la  poésie,  et,  dans  sa  Réplique  aux  furieuses 
défenses  de  Louis  Meigret  -,  au  mois  daoût  i55o,  il  inséra 
quelques  pages,  qui  sont  une  réponse  très  remarquable  au 
manifeste   de   la   Pléiade. 

Des  Autelz  se  réjouit  de  voir  l'effort  des  novateurs  poi'ter 
si  haut  la  poésie  que  désormais  ((  nous  approchons  bien 
près  du  sommet  de  la  montaigne  »  ;  mais  il  estime  pour  sa 
part  qu'ils  manquent  de  justice  envers  leurs  devanciers,  et  que 
ce  dédain  brutal  du  passé  n'est  pas  exempt  d'ingratitude  : 
((  Encores  me  desplait  il.  que  ceux  qui  pensent  avoir  con- 
questé  l'empire  de  l'encyclopédie  des  Muses,  se  connoissent 
trop,  ou  (pour  mieux  dire)  ne  se  connoissent  pas  assez  :  car 
comme  je  loue  (laissez  moy  ainsi  parler)  leur  erudite  hardiesse, 
d'avoir  plus  osé  que  noz  majeurs  :  aussi  ne  puis  je  prendre  en 
gré  leur  mesconnoissance,  que  je  ne  die  ingratitude,  envers 
ces  bons  pères,  de  les  vouloir  ainsi  descrier  comme  la  taulse 
monnoye    »    (p.    58). 

Avec  raison,  des  Autelz  va  droit  à  la  théorie  de  l'imita- 
tion comme  au  centre  de  la  doctrine,  et  il  n'a  pas  de  peine 
à  montrer  que  limitation,  telle  que  l'entend  du  Bellay,  ne 
diffère  pas  essentiellement  de  la  traduction  ([uil  ])roscril  : 
((  En  premier  lieu  je  ne  suis  pas  de  lavis  de  ceux,  qui  ne 
pensent  point  que  le  François  puisse  faire  chose  digne  de 
l'immortalité  de  son  invention,  sans  l'imitation  d'autrui  :  si 
c'est  imiter  desrober  un  sonnet  tout  entier  d'Arioste,  ou  de 
Pétrarque,   ou    une   ode   d'Horace,     ou   ilz  n'ont   point   de    pro- 

'  Lyon,  Jiiiii  (le  Tourm  s  el  Guill.  Gazeau,  l^liU.  (13ibl.  Xal. —  Rés.  Y'. 
1406). 

-  Lyon,  Jean  de  Tournes  et  Guill.  Gazeau,  LioO.  Epître  dédicatoire  du 
iJO  août  l.DoO. —  La  Bibl.  Nat  ne  [)ossède  pas  l'édition  de  l.ioO  indiquée  par 
Brunet  [Supplément,  t.  I,  col.  371),  mais  seulement  celle  de  l.Jal  (Kés.  Y'. 
IGT'J).   C'est  d'après  cette  dernière  que  je  cite. 


l'attaque    de    la    !(    DEFFRNCE    ))  149 

prieté,  mais  connue  misérables  cmphylcolaires  rocoiuioissoiit 
tout  teuir  avecques  redevance  des  seigneurs  direct/,  et  ne 
différent  en  rien  des  translateurs  qu'ilz  méprisent  tant,  sinon 
en  ce  qu'ilz  laissent  ou  chani-enl  ce  quil  leur  plait  :  quelque 
immodeste  plus  librement  diroit  ce  qu'ilz  ne  peuvent  traduire. 
Mais  je  pense  qu'il  y  lia  bien  à  dire,  à  considérer  en  quoy 
gist  l'artifice  et  la  grâce  d'un  bon  auteur,  pour  s'ellbrcer  de 
l'ensuivre  par  semblable  chemin  :  et  à  luy  desrober  du  tout 
son  invention,  ses  mots  et  ses  sentences  »  (p.  08-59).  — 
Partant  de  là,  des  Autelz  conseille  au  poète  de  se  dégager 
de  l'imitation  non  moins  que  de  la  traduction,  et  d'oser  être 
original,  en  s'afTranchissant  des  anciens  et  des  Italiens  :  «  Qui 
l'empescliera  de  faire  sortir  de  la  France  chose  que  ny  l'arro- 
gante Grèce,  ny  la  curieuse  Romme,  ny  la  studieuse  Italie 
n'avoient  encores  veu  ?  De  qui  ont  esté  imitateus  les  Grecs  ?  » 
Les  Latins  à  leur  tour  n'ont-ils  pas  créé  la  satire  ?  Et 
quant  aux  Italiens ,  n'ont-ils  pas  dédaigné  les  inventions 
étrangères  pour  être  eux-mêmes  inventeurs  ?  k  Donc,  puis  que 
nous  admirons  les  Sonnets,  les  Chans,  les  Triomphes  de  Pé- 
trarque, ou  nous  ne  pouvons  dire  qu'il  ayt  spécialement  imité 
aucun  auteur  Grec  ny  Latin  :  pourquoy  desperons  nous  d'en 
faire   autant  ou  plus  ?   »   (p.  59-Go). 

Toute  cette  critique,  il  faut  le  reconnaître,  est  pénétrante 
et  judicieuse,  et  des  Autelz  a  bien  saisi  le  côté  faible  et  vul- 
nérable   de    la   nouvelle   doctrine. 

Il  n'est  pas  moins  heureux  dans  sa  défense  des  anciens 
genres  contre  celui  qui  les  traitait  cVépisseries  :  «  Au  reste, 
encores  ne  tiens  je  si  peu  de  conte  de  noz  anciens  François, 
que  je  mesprise  tant  leurs  propres  inventions  que  ceux  qui 
les  appellent  espisseries,  qui  ne  servent  d'autre  chose  que  de 
porter   témoignage  de   nostre  ignorance  \  Pourquoy   est  plus   à 

'  Ce  sont  les  propres  termes  dont  se  sert  du  Bellay,  Deffence.  p.  113. 


loO  JOACHIM    DU    BELLAY 

mesj)i'iser  lelaboree  Ballade  Françoise  que  la  superstitieuse 
Sextine  Italiene  ?  »  Est-ce  à  cause  du  refrain  ?  Mais  le  refrain 
se  trouve  aussi  chez  les  anciens.  Est-ce  pour  sa  difficulté  ? 
La  belle  raison  vraiment  !  «  Tant  s'en  faut  que  pour  sa 
difficulté,  je  l'estime  incapable  des  ornemens  poétiques,  que  je 
n'en  forclus  pas  le  Chant  royal,  beaucoup  plus  difficile  et 
ingénieux ....  Et  quant  ce  ne  seroit  qu'un  exercice  pour 
nous  préparer  à  plus  grans  œuvres,  pource  ne  devrions  nous 
vitupérer  l'Eglantine  Tholosane  :  ou  Ion  ne  défend  pas  de 
proposer  d'autres  poèmes  »  (p.  6i).  Des  Autelz  se  fait  ainsi 
l'avocat  des  Jeux  Floraux,  si  malmenés  par  du  Bellay.  Il 
plaide  la  cause  du  lai  comme  il  avait  plaidé  celle  de  la 
ballade.  11  justifie  la  moralité,  ce  poème  mépi'isé  «  des  doctes 
gens  »,  mais  si  cher  à  nos  pères,  «  qui  en  leurs  jeux  n'ont 
voulu  suivre  la  vanité  gregoise  des  comédies  et  tragédies  )>. 
Il  va  jusqu'à  louer  les  vers  batelés  et  couronnés,  ((  en  quoy 
nostre  langue  ha  je  ne  say  quelle  naïve  grâce,  inconnue 
aux    autres  »  (p.  62-66). 

Ce  défenseur  des  anciens  genres  ne  se  montre  pas 
d'ailleurs  hostile  aux  nouveaux.  Il  n'entend  pas  qu'on  re- 
jette l'ode.  Il  veut  seulement  la  justice  pour  tout  le  monde. 
Les  chansons  de  Saint-Gelays,  quelque  nom  qu'on  leur  donne, 
ne  méritent  pas  le  dédain  que  du  Bellay  professe  à  leur  égard  : 
((  Et  ne  me  sauroit  on  oster  de  la  fantasie  que  Lah'-cz 
la  verde  couleur  et  Amour  avecques  Psiches,  quelque  nom 
que  leur  donnent  ceux  qui  veulent  bailler  des  titres  aux  œuvres 
d'autrui,  sont  vrayment  œuvres  poétiques,  bien  ornées  de  figures 
convenantes  à  leur  subjet.  »  Au  reste,  pourvu  qu'on  accorde  à 
Bonav.  des  Périers  l'honneur  de  l'invention,  il  reconnaîtra  sans 
difficulté  que  personne  n'a  plus  fait  pour  l'ode  que  Ronsard, 
et  que  son  volume  d'Odes  '  est  «  digne  d'estre   immortellement 

'  Les  Odes  de  Ronsard  avaient  paru  tout  au  début  de  looO. 


l'aTTAQUK  1)K  la  «  DKFFENCE  »  151 

Icu  et  loué  ))  ([).  (32-G3).  Cet  hoinma^e  à  l{ousar(l  ucmpêchc 
pas  des  Autelz  de  terminer  son  exposé  par  un  autre  hommage 
à  Marot,  dont  il  vante  la  facilité,  le  naturel  et  la  grâce,  et 
qu'il  proclame  inimitable  (p.   71). 

Ce  qui  frappe  dans  ces  pages,  ce  n'est  pas  seulement  l'in- 
telligence dont  fait  preuve  des  Autelz,  la  sûreté  de  son  juge- 
ment et  la  finesse  de  sa  critique  ;  c'est  encore  cette  modéra- 
tion dans  la  forme,  qui  révèle  un  esprit  pondéré,  conciliant, 
ennemi  de  toute  exagération.  En  combattant  son  adversaire, 
il  a  su  garder  la  juste  mesure  qui  devrait  présider  à  toute 
discussion.  C'est  toujours  un  mérite  peu  commun,  mais  ici 
d'autant  plus  remarquable  que  l'auteur  était  un  jeune  homme 
de   vingt   ans  *. 

m 

Barthélémy  Aneau  n'avait  pas  montré  cette  modération, 
quelques  mois  plus  tôt,  lorsqu'il  publiait  sous  le  voile  de 
l'anonyme  son  Quintil  Horatian,  mais  en  s'arrangeant  de  façon  à 
faire  croire  que  Charles  Fontaine  en  était  l'auteur.  J'ai  déjà  tâché 
d'établir,    ailleurs    que  dans   ce   livre  ' ,    que  l'œuvre    était   bien 

'  Il  était  né  vers  1321). 

-  Rev.  d'hlst.  Utt.  de  la  France,  l;i  janv.  1898,  j).  5i  :  article  sur  «  la  date  et 
l'auteur  du  Quintil  Horatian)).  —  Je  résume  ici  brièvement  les  raisons  que 
j'ai  fait  valoir  :  i"  Cli.  Fontaine,  dans  une  lettre  à  Jean  de  Morel,  désavoue 
formellement  la  paternité  du  Quintil^  qu'il  met  au  compte  du  principal  du 
Collège  de  la  Trinité  [Bar th.  Aneau]  ;  —  2"  le  Quintil  rejette  l'élégie,  et 
Fontaine  a  fait  beaucoup  d'élégies;— 3''  Fontaine,  né  en  1515,  n'a  vraisembla- 
blement pu  faire  entre  1525  et  1530  une  traduction  en  vers  français  de  l'Art 
Poétique  d'Horace,  dont  parle  l'auteur  du  Quintil  comme  ayant  été  faite 
«  il  y  a  plus  de  vingt  ans  »  ;  —  4°  le  contenu  du  Quintil  dénote  un  régent  de 
collège  très  érudit  et  très  versé  dans  la  grammaire,  la  rhétorique  et  la 
dialectique  ;  —  5"  l'auteur  du  Quintil  se  donne  pour  un  jurisconsulte  :  Aneau 
l'était,  mais  non  Fontaine  ;  —  6"  on  retrouve  dans  le  Quintil  la  même  langue 
pédantesque,  le  même  abus  de  mots  savants,  tirés  du  latin  et  du  grec, 
qu'offrent  tous  les  écrits  d'Aneau;  —  7"  on  y  retrouve  aussi  des  idées 
analogues,  et  jusqu'à  des  phrases  semblables.  — Quant  à  la  date  du  Quintil, 
—  qui  se  place  logiquement  entre  la  1"  et  la  2'  édit.  de  VOlive,  puisqu'il  suit 
pas  à  pas  la  1'=  et  ne  connaît  pas  la  2%—  on  peut  la  déduire  de  la  lettre  même 
de  Fontaine  à  Morel. 


152  JOACHIM    DU    BELLAY 

(l'Aiieau,  nullement  de  Fontaine,  comme  on  Ta  cru  longtemps, 
et  j'ai  (lit  les  raisons  qui  me  faisaient  penser  qu'elle  avait  dû 
paraître  à  la  fin  de  février  ou  dans  les  premiers  jours  de 
mars  i55o.  Dé  tous  les  pamphlets  lancés  contre  la  Deffence^ 
ce  fut  de  beaucoup  le  plus  important  :  je  l'ai  donc  réservé 
pour  la   fin. 

Dans  un  passaj^e  de  la  Dejfence,  du  Bellay,  s'adressant 
aux  rimeurs  de  son  temps,  leur  souhaitait  ((  la  lyme  de 
quelque  sca^ant  homme,  aussi  peu  adulateur  qu'étoit  ce 
Quintilie,  dont  parle  Horace  en  son  Art  Poétique  '  »  (p.  i4^)- 
Grand  ami  de  Marot,  fervent  admirateur  de  la  vieille  poésie, 
dont  il  continuait  les  noëls,  le  théâtre,  et  jusqu'aux  bestiaires  % 
Barth.  Aneau  résolut  de  jouer  envers  l'écrivain  révolution- 
naire ce  rùle  bienfaisant  de  censeur  A^éridique  :  et  de  là  son 
Qiiintil  Horatian  \  A  l'en  croire,  il  n'a  fait  que  noter  cer- 
tains points  qui  lui  semblaient  ((  dignes  de  correction  amiable 
et  modeste,  sans  aucune  villanie,  injure  et  calumnie,  ne 
simple  ne  figurée  »  (p.  187).  Quand  on  voit  le  ton  qu'il  a 
pris,  on  se  demande  ce  qu'eût  été  l'ouvrage,  si  le  critique 
n'eût  pas  usé  de  retenue.  Il  est  vrai  que  du  Bellay  tout  le 
premier  avait  quelquefois  passé  les  bornes,  et  qu'il  s'était 
permis,  à  l'égard  des  plats  rimeurs  de  l'époque,  des  per- 
sonnalités un  peu  bien  vives.  Mais  Aneau  ne  lui  cède 
rien  sur  ce  point.  Qu'on  en  juge  :  «  O  combien,  s'écrie  du 
Bellay,  je  désire  voir  sécher  ces  Printens,  châtier  ces  Pe- 
tites jeunesses,  rabbattre  ces  Coups  d'essaj^,  tarir  ces  Fontai- 
nes,   bref  abolir    tous    ces    beaux     tiltres    assez     sufiisans    pour 

'  Epist.  ad  Pisones,  438-444. 

-  Chant  Natal,  contenant  sept  Noelz,  ung  Chant  Pastonral,  et  ung  Chant 
lloyal,  avec  un;/  Mystère  de  la  Nativité,  par  personnages. .  fl.o39).  —  Lyon 
Marchant.  Satyre  Françoise.  .  .  sonhz  Allégories  et  Enigmes,  par  personnages 
mysticqiies. . .  (1541).  — Décades  de  la  description,  forme,  et  vertu  naturelle 
des  animaulx,  tant  raisonnables  que  brutz  (1.Ï49). 

^  Le  Quintil  Horatian  se  trouve  à  la  suite  de  la  Deffence,  édit.Person. 


l'attaqii:  de  l.\  «   DKiFKNCii;  »  1;)3 

dégoûter  lout  lecteur  scavaiit  il'eu  lire  davanlai^e.  Je  ne 
souhaite  moins,  ([uc  ces  D('i)oiitvcnz,  ces  humbles  Esj)cr(ins, 
ces  Banniz.  de  h'essc,  ces  Esclaves,  ces  Tfaver.seurs  soient 
renvoyés  à  la  Table  ronde,  et  ces  belles  petites  devises  aux 
Gentilzhommes  et  Damoyselles,  d'où  on  les  a  empruntées. 
Que  diray  phis  ?  Je  supplie  à  Phebus  Apollon,  que  la  France, 
après  avoir  été  si  longuement  stérile,  grosse  de  luy  enl'ante 
bien  tost  un  poëte,  dont  le  lue  ])ien  résonnant  lace  taire  ces 
enrouées  cornemuses,  non  autrement  que  les  grenoilles,  quand 
on  jette  une  pierre  en  leur  maraiz  »  (p.  i49-i;")o).  —  ((  Envieux 
souhait,  réplique  le  QuintiL  par  lequel  tu  desires  les  œuvres 
d'autruy  estre  aneantiz,  qui  ne  sont  moins  dignes  de  durée 
que  les  tiens,  et  te  mocques  de  leurs  tiltres.  qui  sont  modestes, 
et  non  ambitieux  comme  le  tien,  et  ne  degoustans  pas  les  lec- 
teurs (comme  tu  dis)  mais  plustost  les  invitans.  Car  autant  et 
plus  gracieux  est  Printemps  et  Fontaine  comme  Olive  :  le  Prin- 
temps portant  aussi  belles  fleurs,  que  ton  Olive  beaux  fruictz  : 
la  Fontaine  aussi  purement  coulante  et  claire,  que  l'huile  de 
ton  Olive  est  crasseux  et  faisant  obscure  lumière....  »  etc. 
(p.  2IO  -  21 1).  On  le  voit  :  le  Quintil  descend  vite  aux  inju- 
res. On  sent  dans  cette  riposte  je  ne  sais  quoi  de  rageur  qui 
réconcilie   avec   du   Bellay. 

Ce  n'est  pas  le  seul  défaut  de  l'ouvrage.  11  est  encore 
écrit  dans  un  style  lourdement  pédantesque.  L'auteur  dirigeait 
à  Lyon  le  Collège  de  la  Trinité  :  le  régent  perce  à  chaque 
page  dans  ce  factum.  Ce  professeur  de  rhétorique  traite  du 
Bellay  comme  un  écolier.  Avec  une  science  toujours  doctorale 
et  souvent  indigeste,  il  lui  fait  son  procès  —  impitoyablement. 
Il  note  à  tous  les  pas  les  fautes  d'orthographe  et  les  fautes  de 
français;  il  signale  les  impropriétés,  les  incorrections,  les 
néoiogismes  ;  il  souligne  les  figures  mal  venues,  les  allégo- 
ries vicieuses,  les  périplirases  affectées,  les  métaphores  incohé- 
rentes ;    il   relève   enfin    les    manques    de   logique  et   prouve    à 


lo4  .lOACHLM    DU    BELLAY 

son  adversaire  qu'il  ne  sait  pas  raisonner.  Et  je  ne  dis  pas 
qu'il  ait  toujours  tort.  11  est  certain,  par  exemple,  que  du 
Bellay  raisonne  à  faux,  en  concluant  que  notre  langue  n'est 
pas  barbare  de  ce  que  nos  mœurs  et  nos  lois  ne  le  sont 
point  :  et  le  QaintiL  est  dans  le  vrai,  de  l'accuser  d'inconsé- 
quence :  Tu  extra  vagues,  lui  dit-il  justement,  «  en  la  civilité 
des  mœurs,  loix,  équité,  et  magnanimité  des  courages  fran- 
çoys,  et  commémoration  de  leurs  gestes  :  desquelles  choses 
n'est  icy  question  :  et  ne  font  rien  à  la  langue  eslre  dicte 
barbare  ou  non  barbare  »  (p.  iqS).  Il  n'a  pas  tort  non  plus 
de  déclarer  la  Deffence  mal  composée,  ((  les  chapitres  et  pro- 
pos ne  dependans  l'un  de  l'autre,  mais  ainsi  mis  comme  ilz 
venoyent  de  la  pensée  en  la  plume,  et  de  la  plume  au  papier  : 
tellement  que  tout  l'œuvre  est  sans  propos  et  certaine  con- 
sistence,  sans  thème  proposé  et  certain,  sans  ordre  méthodi- 
que, sans  œconomie,  sans  but  final  advisé,  sans  continuelle 
poursuyte  et  sans  conséquence,  tant  en  l'œuvre  universel,  qu'en 
chacune  partie  et  chapitre  d'iceluy,  et  argumens  des  cha- 
pitres »  (p.  193).  Pour  être  hargneux  et  pédant,  Aneau  ne 
manque  ni  de  bon  sens  ni  de  finesse,  et  l'on  s'en  aperçoit 
surtout  lorsqu'on  passe  de  cette  criti([ue  de  la  forme  à  la 
critique   des   idées.      > 

Il  a  très  bien  vu  le  point  faible  du  retentissant  manifeste, 
la  contradiction  intérieure  qui  s'y  trouve  dès  le  principe 
entre  la  langue  nationale  qu'on  veut  défendre  et  l'imitation 
de  l'Antiquité  qu'on  propose  pour  l'illustrer.  Il  a  très  bien 
vu  que  c'est  un  singulier  moyen  de  faire  l'apologie  d'une 
langue,  que  d'accuser  d'abord  sa  pauvreté  pour  la  déclarer 
riche  en  espérance.  C'est  fort  beau,  dit-il  à  du  Bellay,  de 
blâmer  éloquemment  ((  ces  ambicieux  admirateurs  des  langues 
grecque  et  latine  »,  mais  il  ne  faut  pas  faire  comme  eux 
en  disant  tout  le  mal  possible  de  la  sienne  :  ((  Tu  es  de 
ceux   la,    car  tu  ne   faitz  autre   chose   par   tout  l'œuvre,    mesme 


l'aTTAQIE    r)F,    LA    ((    DKFFKNCIÎ    ))  ['M') 

avi  second  livre,  <[ue  nous  induire  à  grcciser  et  latiniser  en 
françoys,  vitupérant  tousjours  noslre  lornu^  de  poi-sie,  eoninu' 
vile  et  populaire,  attril)uaiit  à  iceux  toutes  les  vertus  et 
louanges  de  bien  dire  et  bien  eserire,  et  {)ar  eomparaison 
d'iceux  monstres  la  pauvreté  de  nostre  langue,  sans  y  remé- 
dier nullement  et  sans  Tenriehir  d'un  seul  mot,  d'une  seule 
vertu,  ne  bref  de  rien,  sinon  (pie  de  promesse  et  d'espoir, 
disant  qu'elle  pourra  estre,  qu'elle  viendra,  qu'elle  sera,  etc. 
Mais  quoy  ?  quand  et  comment  ?  Est  ce  la  défense  et  illus- 
tration, ou  plus  tost  olïense  et  denigration  ?  Car  en  tout 
ton  livre  n'y  a  un  seul  chapitre,  non  pas  ime  seule  sentence, 
monslrant  quelque  vertu,  lustre,  ornement  ou  louange  de 
nostre  langue  françoyse,  combien  qu'elle  n'en  soit  dégarnie 
non  plus  que  les  autres,  à  qui  le  sçait  bien  congnoistre  *  » 
(p.  194-195).  —  Cette  réfutation  est  inattaciuable.  Si  le  Qiiintil 
n'en  sait  pas  plus  que  du  Bellay  sur  l'origine  et  la  nature 
de  notre  langue,  il  a  du  moins  cet  avantage  d'avoir  compris 
que,  dans  son  état  actuel,  elle  avait  un  prestige  suflisant,  et 
qu'il  y   avait   quelque   inconséquence   à   l'en   dépouiller, 

Avec  de  pareils  sentiments,  le  Qiiintil  ne  pouvait  accepter 
la  théorie  du  novateur  sur  l'imitation.  Il  la  repousse  en  ctlet. 
en  enfermant  son  adversaire  dans  un  dilemme  qui  tend  à  lui 
prouver  que  l'imitation  est  impraticable,  si  elle  porte  sur  les 
mots,  contradictoire  à  ses  principes  et  d'ailleurs  impossible 
sans  traduction,  si  elle  porte  sur  les  choses  (p.  201).  Sans 
doute,    il  ne   rejette   pas   l'étude    de   l'Antiquité  :    la   plupart  des 


'  Aneau  revient  plusieurs  fois  sur  celle  idée  :  «  Tu  seinltles  celuy  c[ui  ccrclu' 
son  asne  et  est  monté  dessus:  el  en  faisant  semblanl  de  illustrer  la  langue 
françoyse,  lu  l'obscurcis,  et  enrichis  les  autres  pour  l'apauvrir.  luj'  ostant 
ce  que  est  à  elle,  au  moins  par  portion, de  communauté  »  (p.  194)  —  «  Il 
appert  manifestement  que  soubz  couleur  et  promesse  de  la  défendre,  tu  la 
despoilles  et  destruytz,  en  tant  qu'en  toy  est,  sans  l'enrichir  d'une  seule 
syllabe,  qui  soit  à  elle  propre, et  convenante,  eu  tout  ton  cruvre  »  (|>.  It)7i.— • 
Il  se  sentait  sur  un  terrain  solide. 


156  JOACHIM    DU    BELLAY 

poètes  français  de  son  temps,  il  le  reconnaît,  «  sont  exercez 
es  langues  )).  Mais  il  soutient  qu'on  peut  se  passer  de  l'An- 
tiquité pour  être  un  bon  poète  :  u  Sans  lescpielles  langues 
n'ont  pas  laissé  aucuns  d'estre  tresbons  poètes,  et  par  adven- 
ture  plus  naïfz,  que  les  Grœcaniseurs,  Latiniseurs  et  Italia- 
niseurs  en  B'rancoys  :  lesquelz  à  bon  droict  on  appelle 
Peregrineurs  »  ('p.  202).  Autrement  dit,  la  connaissance  de 
l'Antiquité  n'est  pas  nécessaii'e  aux  poètes  et  risque  plutôt 
de  gâter  leur  naturel.  Quant  à  l'Italie,  il  la  rejette  absolu- 
ment. S'il  ne  veut  pas  qu'on  ((  écorclie  »  le  latin,  encore 
moins  veut-il  qu'on  ((  contremine  l'italien  en  françoys  » 
(p.  200).  Avant  Henri  Estienne,  il  se  plaint  déjà  de  la 
((  corruption  italique  »  qui  envahit  la  France  ' .  Il  accuse  les 
Italiens  de  «  singerie  »  ".  Il  n'a  pour  Pétrarque  lui-même 
qu'une  admiration   assez   tiède    (p.    212). 

Toute  innovation  est  donc  condamnée  :  la  poésie  n'a  rien 
de  mieux  à  faii'e  que  de  continuer  indéfiniment  l'œuvre  des 
auteurs  nationaux  dans  les  formes  traditionnelles.  Le  Qiiintil 
prend  la  défense  des  vieux  écrivains  français,  que  du  Bellay 
taxait  d'ignorance  et  qu'il  rendait  responsables  de  la  pauvreté 
de  notre  langue  :  ((  Noz  majeurs  certes  nont  esté  ne  simples, 
n'ignorans,  ny  des'  choses,  ny  des  paroUes.  Guillaume  de 
Lauris,  Jean  de  Mcung,  Guillaume  Alexis,  le  bon  moine  de 
l'Yre,  Messire  Nicole  Oreme,  Alain  Chartier,  Villon.  Meschinot 
et  plusieurs  autres  n'ont  point  moins  bien  escrit,  ne  de 
moindres  et  pires  choses,  en  la  langue  de  leur  temps  propre 
et  entière  non  peregrine,  et  pour  lors  de  bon  aloy  et  bonne 
mise,  que  nous  à  présent  en  la  nostre  »  (p.  194)-  H  prend 
de  même  la  défense  des  vieilles  formes  poétiques,  depuis  la 
ballade  jusqu'au    coq-à-l'àne    :    «    Ces   nobles   poëmes   sont   pro- 

'  «  Le  nom  de  Patrie  esl  oI)liquement  enlrc  et  venu  en  France  nouvelle- 
ment avec  les  autres  corruptions  Italiques  »  (p.  192). 

-  «  Les  Italiens,  les  dieux  en  singerie  »  (p.  20i).  —  «  La  singerie  de  la 
passion  Ilaiiaae  »  (p.  203). 


L'ATTAQUli    DE    LA    ((    DEFFKNCE    ))  157 

près  et  peculiers  à  la  langue  Irançoyse,  et  de  la  sienne,  et 
propre,  et  antique  invention.  »  C'est  précisément  leur  dilliculté 
qui  fait  leur  mérite  :  ((Hz  ne  sortent  jamais  de  pauvre 
esprit,  et  d'autant  sont  plus  beaux  que  de  diilicile  facture.  » 
Loin  d'attester  notre  ignorance,  ((  ilz  tesmoignent  la  magnili- 
cence  et  richesse  de  nostre  langue,  et  la  noblesse  et  félicité 
des  espritz  françoys,  en  cela  excedans  toutes  les  poésies  vul- 
gaires ))  (p.  202-2o3).  Bien  entendu,  pour  le  Quintil,  la  rime 
équivoque  est  ((  la  pbis  exquise  sorte  de  ryme  que  nous 
ayons  »  (p.  209).  Dans  son  culte  très  vif  pour  la  vieille 
poésie,  Aneau  s'en  tient  aux  opinions  de  Sibilet,  qu'il  con- 
naît et  qu'il  loue  (p.  200).  C'est  trop  dire  :  il  est  plus 
exclusif  que  lui,  moins  ouvert  et  moins  large.  Sibilet,  à  cer- 
tains égards,  était  tourné  vers  Tavenir  :  Aneau,  lui,  ne  voit 
que  le  passé  :  c'est  le  suprême  héritier,  le  partisan  irréduc- 
tible  des   rhétoriqueurs. 

Les  geni'es  nouveaux  le  trouvent  hostile.  II  s'attache  à 
démontrer  qu'ils  ne  sont  pas  aussi  nouveaux  que  du  Bellay 
veut  bien  le  dire  :  c(  Les  noms  [sont]  changez  et  déguisez, 
au  demourant  la  chose  [est!  mesme  ou  pire  »  (p.  200).  II 
s'en  prend  surtout  aux  deux  inventions  que  du  Bellay  van- 
tail si  fort,  le  sonnet  et  l'ode  (il  ne  dit  rien  de  l'épopée). 
11  laisse  entendre  qu'adopter  le  sonnet,  c'est  remplacer  les 
genres  fixes  existants  par  un  autre  genre  fixe,  non  moins 
compliqué,  non  moins  difficile,  et  qui  n'est,  à  tout  prendre, 
—  ô  la  belle  invention  !  —  qu'un  liuitain  suivi  d'un  sizain 
(p.  206).  L'ode  est  encore  plus  maltraitée.  Ce  mot  ((  peregrin  », 
écorché  du  grec,  est  une  création  récente  de  «  ceux  qui  en 
changeant  les  noms  cuydent  deguyser  les  choses  ».  Mais  la 
chose  existe  depuis  longtemps  sous  le  nom  bien  français  de 
chanson.  El  si  l'ode  n'est  rien  que  la  chanson,  pourquoi 
tenir  en  tel  dédain  les  chansons  de  Saint-Gelays,  ((  des  choses 
si   bien   faictes   »  ?   (p.    2o3-2o4  ;    p.    207-208). 


158  JOACBIM    DU    BELLAY 

Au  total,  le  Qiiintil  se  prononce  contre  la  poésie  éruclite 
et  savante  qui  s'éloigne  du  vulgaire.  Il  repousse  cette  con- 
ception aristocratique  de  la  poésie,  à  laquelle  il  oppose  la 
manière  de  Marot  :  ((  Toy  au  contraire  commandes  d'estran- 
ger  la  poésie,  disant  que  n'escris  sinon  aux  doctes  »  (p.  2o4). 
—  Il  n"a  ])as  tout  à  fait  tort.  Mais  sa  conception,  à  lui, 
reste  également  insullîsante.  Lorsqu'il  ne  fait  pas  de  la 
poésie  un  tour  de  force  comme  les  rhétoriqueurs,  il  en  fait, 
comme  les  Marotiques,  un  jeu  desprit.  Du  mot  fameux 
d'Horace,  ut  pictura  poesis,  —  (juc  d'ailleurs  il  comprend  à 
faux  —  il  déduit  une  contîlusion  inattendue  :  ((  La  poésie  est 
comme  la  peincture.  Or  la  peincture  est  pour  plaire  et  res- 
Jouir,  non  pour  contrister  '  »  (p.  2o5).  C'est  la  réduire 
de  parti  pris  aux  mesquines  proportions  d'un  passe-temps 
agréable  ;  cest  lui  fermer  les.  grandes  sources  d'inspiration. 
Combien  est  plus  large  et  combien  plus  belle  la  conception 
{\\n  fail  de  la  poésie  un  art  divin,  et  du  poète  le  chantre 
de    toutes  les  émotions    humaines  ! 


IV 


('es  vives  attaques  contre  la  Deffence  ne  surprirent  pas 
du  Bellay  :  il  les  avait  prévues.  En  se  faisant  l'apôtre  d'une 
poésie  nouvelle,  il  ne  se  dissimulait  point  qu'une  telle  nou- 
veauté «  pour  le  commencement  seroit  trouvée  fort  étrange 
et  rude  »,  et  qu'il  mettrait  en  colère  les  «  rhétoriqueurs  fran- 
çoys  ))  -.  Peut-être  cependant  n"avait-il  pas  prévu   que  la  colère 

^  Cf.  cet  autre  passage  :  «  Tu  nous  renvoyés  à  ces  pitoyables  élégies 
(helas)  pour,  alors  que  demandons  à  rire,  nous  faire  plourer  »  (p.  203). 

-  «  Or  ay  je  depuis  expérimenté  ce  qu'au  paravant  favoy  assez  preveu, 
c'est  que  d'un  tel  œuvre  je  ne  rapportcroy  jamais  favorable  jugement  de 
noz  retlioricjueurs  Fran(,'o.\s.  tant  pour  les  raisons  assez  nouvelles  et  para- 
doxes introduites  par  moy  en  nostre  vulgaire,  que  pour  avoir  (ce  semble) 
hurté  un  peu  trop  rudement  à  la  porte  de  noz  ineptes  rimasseurs  »  (I,  73). 


LA    IJÉFKNSK    l)K    LA    ((    DEFFKNCK    )'  159 

irait  si  loin.  Toujours  cst-il  (ju'il  jugea  nécessaire  de  répondre 
à  son  tour  aux  pamphlets  lancés  contre  son  ouvrage.  A  la 
fin  de  i55o,  publiant  une  seconde  édition  de  VOlice  ',  il 
fit  précéder  sa  publication  dune  longue  préface,  qui  con- 
stitue  comme   une   défense   de   la    DeJJ'ence. 

Ce  qui  frappe  surtout  dans  cette  préface  apologétique, 
c'est  la  fierté  dédaigneuse  qu'il  affecte  à  l'égard  de  ses  adver- 
saires. On  dirait  vraiment  qu'il  ne  les  avait  point  provoqués  ! 
A  l'adresse  de  Sibilet  il  écrit  :  ((  Ne  t'esbahis  donques  si  je 
ne  respons  à  ceulx  qui  m'ont  appelle  hardy  repreneur  :  car 
mon  intention  ne  feut  onques  d'auctorizer  mes  petiz  (euvres 
par  la  reprehension  de  telz  gallans  ^  »  (1,  'j'd-'j^).  C'est 
traiter  l'auteur  de  VArt  Poétique  avec  un  mépris  que  rien 
ne  justifie.  Pour  être  gentilhomme  et  de  noble  origine,  ou 
nest   pas  tenu   d'avoir   tant  de   morgue. 

Dans  sa  préface,  du  Bellay  répond  en  bloc  aux  factums 
dirigés  contre  lui  ;  mais  beaucoup  de  ses  phrases  ont  une 
portée  précise  et  s'appliquent  spécialement  à  l'un  ou  à  l'autre 
de  ses  adversaires.  La  courte  et  sèche  riposte  de  Thomas 
Sibilet  l'avait  piqué  au  vif.  Il  lui  rend  la  monnaie  de  sa 
pièce,  en  reprenant  à  dessein  plusieurs  de  ses  expressions  : 
«  Quelques  uns  se  plaignent  de  quoy  je  blâme  les  traduc- 
tions poétiques  en  nostre  langue,  dont  ilz  ne  sont  (disent- 
ilz)  illustrateurs  ny  gaigez  ri}'  renommez.  Aussi  ne  suis-je. 
Mais  s'ilz  n'allèguent  aultre  raison,  je  n'y  feray  point  de 
response.  Encores  moins  à  ce  qu'ilz  disent,  que  j'ay  réservé 
la  lecture  de  mes  ecriz  à  une  affectée  deniy-douzaine  des  plus 
renommez  poêles   de    nostre   langue.    Car  je    n'avoy'   entrepris 


'  Le  privilège  est  du  3  octobre. 

-  Dans  mon  article  sur  le  Quintil,  p.  iJG.  j'ai  cru  que  cette  phrase  visait 
Barth.  Aiieau.  Je  ne  connaissais  pas  alors  la  préface  de  ïlphiyène.  Je  corrige 
mon  erreur,  en  faisant  remarquer  toutefois  que  les  autres  arguments  invo- 
qués en  faveur  de  la  date  de  looO  gardent  toute  leur  force. 


IGO  JOACHIM    DU   BELLAY 

(le  faire  un  catalogue  de  tous  les  aultres,  mesmes  de  eeulx 
qui  ne  m'etoient  conneuz,  ny  à  leurs  noms,  ny  à  leurs 
(fiuvres.  Ceux  dont  je  ne  cherche  point  les  applaudis  semé  ns 
ont  occasion  de  gronder.  Aussi  me  plaisent  leurs  aboj^s,  car 
je  n'en   crain'   gueres   les  morsures   »    (I,  ;j5). 

D'autres  phrases  semblent  bien  se  rapporter  au  Quintil. 
Jai  cité  ce  passage  où  du  Bellay  visait  sans  les  nommer 
quelques-uns  des  rimeurs  de  l'époque  et  tournait  en  dérision 
les  titres  prétentieux  de  leurs  écrits  de  cour,  ainsi  que  leurs 
sottes  devises.  Le  Quintil  à  ce  propos  l'accusait  d'être  envieux. 
Du  Jiellay  s'en  défend  en  mettant  ses  attaques  sur  le  compte 
d'une  doideur  patriotique  :  «  Si  j'ay  particularizé  quelques 
ecriz,  sans  toutefois  toucher  aux  noms  de  leurs  aucteurs,  la 
juste  douleur  m'y  a  contrainct,  voyant  nostre  langue,  quand 
à  sa  nayfve  propriété  si  copieuse  et  belle,  estre  soui.lée  de 
tant  de  barbares  poésies,  qui  par  je  ne  sçay  quel  nostre 
inallu'ur  plaisent  communément  plus  aux  oreilles  françoises, 
que  les  eeritz  d'antique  et  solide  érudition  »  (1,  j^)-  —  ^^ 
Quintil  (p.  2ii)  avait  amèrement  raillé  le  sonnet  final  de  la 
Dejfcnce  d  à  l'ambicieux  et  avare  ennemy  des  bonnes  lettres  », 
où  l'auteur     dès    le    premier   pas    se   promettait    l'immortalité  : 

Quand   à  l'honneur,   j'espère    estre  immortel. 

Il  lui  reprochait,  non  sans  raison,  tant  de  vanité.  Du  Bellay 
se  justifie  comme  il  peut  du  reproche,  en  appelant  les  an- 
ciens au  secours  :  «  Si  en  mes  poésies  je  me  loué  quelques 
fois,  ce  n'est  sans  limitation  des  anciens  :  et  en  cela  je  ne 
pense  avoir  encor'  esté  si  excessif,  que  jaye  pour  illustrer 
le  mien,  oU'ensé  l'honneur  de  personne  »  (I,  >5 -76).  —  Mais 
je  vois  surtout  une  réponse  directe  au  Quintil  dans  ce 
passage  où  du  Bellay,  faisant  allusion  à  l'anonymat  gardé 
par  l'auteur,  flétrissait  sa  critique  acerbe  et  dénigrante. 
Aneau,    je    l'ai    dit,    avait   prétendu  faire    œuvre   de  ((  correc- 


LA    DÉFENSE    1>E   LA    <(    DEFFE.NCE    »  IHl 

tion  amiable  et  modeste,  sans  aucune  villanic,  injure  et 
calumnic  )).  Ou  sait  comme  il  avait  pi'ati(|ué  sa  méthode. 
Du  Bellay  lui  répond  :  ((  Cculx  qui  avecques  raison  me 
voudront  faire  ce  bien  de  me  reprendre,  je  nietlray  peine 
d  en  faire  mon  prolil.  Car  je  ne  suis  du  nombre  de 
ceulx.  qui  aynuMit  myeux  delfcndrc  leurs  faulles,  que  les 
corriger.  Mais  si  quelques  ungs  directement  ou  indirec- 
tement (comme  on  dict)  me  vouloient  taxer,  non  point 
avecques  la  raison  et  modestie  accoutumée  en  toutes 
honnestes  conti'oversies  de  lettres,  mais  seulement  avecques 
une  petite  manière  dirrision  et  contournement  de  nez,  je 
les  adverty",  qu'ilz  n'attendent  aulcune  response  de  moy  :  car 
je  ne  veux  pas  faire  tant  d'honneur  à  telles  bestes  mas- 
quées, que  je  les  estime  seulement  dignes  de  ma  cholere. 
Si  quelques  uns  vouloient  renouveler  la  farce  de  Marot  et  de 
Sagon,  je  ne  suis  pour  les  en  empescher  :  mais  il  fault 
qu'ilz  cherchent  aultre  badin  pour  jouer  ce  rôle  avecques 
eux  »  (p.  77-78).  —  Du  Bellay  pose  ici  le  fondement  d'une 
critique  toute  nouvelle,  qui  dépouille  l'àpreté  satirique,  pour 
être  raisonnable,  mesurée  et  polie,  qui  cesse  en  un  mot  d'être 
personnelle  pour  devenir  purement  littéraire  '  :  et  l'on  appré- 
ciera sans  doute  la  valeur  d'une  telle  conception,  si  l'on  se 
rappelle  ce  que  fut  la  critique  de  la  Renaissance.  Mais  pour- 
quoi du  Bellay  n"a-t-il  pas  le  premier  appliqué  son  principe  ? 
et  pourquoi  cette  préface  de  V  Olive  contient  elle  encore  à 
l'adi'esse  des  adversaires  tant  de  mots  injurieux  et  d'épithètes 
malsonnantes  "  ? 

Le  point  capital  de  cette  préface,  c'est  un  retour  de  du 
Bellay    sur    sa     théorie     de    l'imitation.  Vraisemblablement,    la 

'  Cf.  Regrels,  s.  67. 

-  Noz  ineptes  rimasseurs  ;  V importun  croassement  des  corbeaux  ;  de  telz 
gallans  ;  telz  poètes  barbares;  leurs  ineptes  œa\>res  ;  des  rnùjnons  de  telle 
farine  ;  noz  petiz  rime.urs  ;  etc. 

Univ.  de  Lille.  Tome  VIll.  A.   ]1. 


162  .lOACHIM    DU    BELLAY 

critique  judicieuse  et  sensée  de  Guillaume  des  Autelz  lavait 
contraint  à  réfléchir,  et  de  ces  réflexions  sortit  une  théorie 
plus  précise  et  plus  nette  —  bien  moins  servile  aussi  —  que 
celle  de  la  Deffence,  la  théorie  de  Yinnutrition,  suivant  le 
mot  ingénieux  de  M.  Faguet  '.  Elle  consiste  pour  l'écrivain 
à  ne  pas  imiter  dans  le  Jjut  dimiter,  comme  le  marquait  la 
Dejfence,  mais  à  laisser  couler  de  lui,  sans  y  songer,  sans  le 
vouloir,  les  pensées  et  les  sentiments  qu'il  a  puisés,  par  un 
ancien  commerce,  dans  la  lecture  des  bons  auteurs,  et  dont 
il  s'est  depuis  longtemps  tout  imprégné  :  ((  Si  par  la  lecture 
des  bons  livres,  je  me  suis  imprimé  quelques  traictz  en  la 
fantaisie,  qui  ajjres,  venant  à  exposer  mes  petites  conceptions, 
selon  les  occasions  qui  m'en  sont  données,  me  coulent  beau- 
coup plus  facUement  en  la  plume,  qu'llz  ne  me  reviennent  en 
la  mémoire,  doibt-on  pour  ceste  raison  les  appeller  pièces 
rapportées  ?  ))  (I,  76).  Du  Bellay  formulait  cette  fois  la  véri- 
table  doctrine   de   l'imitation   littéraire. 

Je  ne  veux  pas  quitter  la  prélace  de  l'Olive  sans  indiquer 
en  finissant  avec  quelle  hauteur  du  Bellay  sait  parler  du 
métier  d'écrivain  et  de  la  dignité  du  poète.  A  ses  yeux, 
l'exercice  des  lettres  ne  déroge  pas  à  l'état  de  noblesse  :  tenir 
la  plume  vaut  autant  c[ue  tenir  l'épée  (l,  71).  Il  faut  voir  de 
(|uel  ton  il  répond  aux  censeurs  charitables  qui  veulent  le 
détourner  de  la  poésie  comme  d'une  chose  frivole  :  «  Quand 
à  ceux  qui  blasment  en  moy  cet  étude  poétique,  comme 
totalement  inutile,  s'ilz  veulent  combatre  contre  la  poésie,  elle 
a  des  armes  pour  se  deffendre  :  s'ilz  plaignent  l'erapeschement 
de  ma  promotion,  je  les  remercie  de  leur  bonne  volunté.  Ceux 
(pii  ayment  le  jeu,  les  banquetz  et  aultres  menuz  plaisirs, 
qu'ilz  y  passent  et  le  jour  et  la  nuict,  si  bon  leur  semble. 
Quand  à  moy,  n'ayant  aultre  passetemps   de  plus  grand  plaisir, 

'  iieizième  siècle,  p.  2\i. 


LA  DÉFENSE  DE  LA  ((  DEFFE.NCE  ))  163 

je  donneray  voulunlicrs  quelques  heures  ù  la  poésie  »  (1,  78). 
Et  ce  qui  n'est  pas  moins  remarquable  que  cette  bravade 
lancée  à  l'opinion ,  cest  lindépcndance  qu'il  revendique  pour 
sa  petite  muse  :  «  Je  te  pi'ie  don(iucs.  amy  lecteur,  me  faire 
ce  bien  de  penser,  (jue  ma  petite  muse,  telle  qu'elle  est,  n'est 
toutefois  esclave  ou  mercenaire,  comme  d'ung-  tas  de  rymeurs 
à  gaiges  :  elle  est  serve  tant  seulement  de  mon  plaisir  n 
(I,  ^8).  Voilà  de  tîei's  accents,  et  qu'on  chercherait  en  vain 
chez  un  disciple    de  Marot  '  ! 


11  est  juste  de  rattacher  à  la  préface  de  l'Olive^  deux 
poèmes  qui  parurent  avec  elle,  et  qui,  par  leur  caractère 
polémique,  se  rapportent  à  cette  querelle  :  la  Musagnœoma- 
chie  et  l'ode  à  Ronsard  Contre  les  envieux  poètes  '.  Tous 
deux  présentent  de  curieuses  analog^ies  :  même  ordre  d'idées, 
même  type  de  strophe  ',  même  usage  de  l'allégorie  et  des 
fictions  mythologiques . 

La  Musagnœomachie,  ou  la  Guerre  des  Muses  et  de 
rignorance,  est  une  œuvre  étrange,  dont  la  première  idée 
semble  bien  être  venue  à  l'auteur  du  petit  poème  héroï- 
comique,    la  Batrachomjyomachie  *.    En  l'olfrant  au    public,   du 


'  Epilogue  (ie  la  querelle  :  —  du  Bellay  se  réconcilia  sincèrement  avec 
Sibilet,  auquel  il  dédia  le  s.  122  des  lleyrels,  et  dont  il  loua  Vlpluyénie  (II, 
f)ij  et  8j).  Dl-  même  avec  Guill.  des  Autelz,  qu'il  vit  à  Lyon,  lors  de  son  pas- 
sage pour  gagner  l'Italie  (11,  14i).  Quant  à  l'auteur  du  Quinlil,  il  eut  beau 
par  la  suite  saluer  en  du  Bellay  lun  des  «  bons  poètes  de  présent  ))[Méta- 
rnorpfiose  d'Ovide,  l.ioB)  :  ,je  ne  vois  pas  ([u'il  ait  reçu  de  lui  le  moindre 
signe  dattenlion. 

-  Marty-Laveaux,  I,  13'.1  et  1G2. 

^  Strophe  de  douze  vers  heptasyllabes  du  type  ababbccddede. 

'  Str.  3  : 

Homère  premier  sonna 

Et  les  raz  et  les  grenouilles.  (I,  140). 


1G4  .lO.VCHl.M    DU    BELLAY 

Bellay  le  prévient  de  ce  qu'il  a  voulu  foire  :  ((  Mon  inten- 
tion n'estoit  alors  d'écrire  une  hystoire,  mais  une  poésie  » 
(1.  j9).  Sans  être  une  histoire,  la  Musagnœomachie  a  quel- 
que chose  dun  pamplilet,  et  c'est  là  le  seul  intérêt  de  ce 
médiocre  badinage. 

Au  fond  d'un  antre  ténébreux,  que  le  Silence  emmure  et 
d'où  le  Léthé  prend  sa  source,  le  Sommeil  tient  l'ig-norance 
embrassée.  La  Terre  en  courroux  l'a  jadis  vomie  contre  le 
Ciel  avec  les  Géants.  Ce  monslre  surpasse  en  horreur  les 
monstres  les  plus  hideux  de  la  fable  :  il  a  les  lèvres  du 
lion,  les  oreilles  de  l'àne,  les  pattes  de  l'ours,  le  nmseau  de 
la  lau[)e.,..  Autour  de  lui,  toute  une  armée  s'agite  :  la 
Fraude,  le  Faux-Conseil,  la  Discorde  suivie  d'Ambition  et 
d'Orgueil,  l'Envie,  la  Cruauté,  la  Malice,  l'Av^arice,  les  Plai- 
sirs éphémères,  l'Oisiveté,  nourrice  des  Désirs  impudiques,  les 
longs  Regrets  et  la  Mort  de  lame.  —  Tout  ce  début  est 
plein  de  mauvais  goût,  et  si  je  l'analyse,  c'est  pour  faire  voir 
combien  du  Bellay,  dans  ses  premiers  ouvrages,  a  de  peine 
encore  à  se  dégager  de  certains  procédés  chers  à  la  vieille 
école  :  ce  novateur  intransigeant  prodigue  lallégorie  à  légal 
d'un    rhétoriijueur. 

Mais  cela  n'est  que  l'accessoire  :  nous  arrivons  au  principal. 
L'Ignorance  a  vu  s'élancer  contre  elle  toute  une  troupe  d'en- 
nemis. Pour  lui  donner  la  chasse,  se  sont  levés  soudain,  à 
l'exemple  de  François  I^i,  les  rois,  les  princes,  tous  les  grands 
personnages  de  la  Cour,  —  et  puis  la  vaillante  et  noble  phalange 
des  écrivains   chéris   des   Muses    : 

Le  grand  visage  des  cicux. 
Quand  le  char  de  la  nuit  erre, 
Ne  rit  avecques   tant  d'yeux 
A  la  face  de  la  terre  : 
Et  l'Inde  riche  n'enserre 
Tant  de  perles  et  thesors, 


LA    DKFENSi:    UE    LA    U    IJLFrKNCF.    ))  16o 

Que  la  France  dans  son   corps 

Cache  dent'ans  poétiques  : 

Qui  en  sonnez  et  canti(iues. 

Qui  eu  ti'a^i((ues  sangloz 

Font  revivre  les  antiques, 

Au  seing  de  la  mort  enclos.         (1,  i^^-i^-^)- 

Et  ces  doctes  auteurs,  «  (/ui  font  revivre  les  antiques  ».  du 
Bellay  dit  leurs  noms  '  :  c'est  Caries,  Héroët,  Saint-Gelays, 
((  les  trois  favoris  des  Grâces  »,  Yutiledoux  Rabelais.  Boujn, 
Scève,  Salel,  Jacques  Peletier  et  Jean  Martin,  Maclou  de  la 
Haye  et  Salmon  Macrin,  beaucoup  d'autres  encore,  qui 
s'avancent,  guidés  pai-  l'étoile  du  grand  Baïf,  sous  la  savante 
conduite  de  Dorât  aux  vers  dor  et  du  n  Pindare  François  », 
A   tous   ceux-là   du  Bellay  lance   le  cri    de   guerre    : 

Sus  donq,  divine  cohorte, 

Qu'on  ouvre  la  double  porte 

Du  mont  qui  se  fend  en  deux, 

Afin  que  la    guerre  sorte 

Dessus  le  Monstre  hideux.  (I,  i4o-i4<J). 

Je  ne  suivrai  pas  le  poète  dans  le  récit  de  ce  combat, 
auquel  il  a  soudé  tant  bien  que  mal  une  gigantomachie. 
Quelques   vers    à   la  tin   marquent  l'orgueil  de  la  victoire  : 

Là  diront   mile  cantiques 

Les  jeunes,    qui    ont   choisi 

Le  thesor  presque  moisi 

De   la   vieille   Poésie.  (I,  i52). 

Ces  vainqueurs  de  l'Ignorance,  ces  jeunes  restaurateurs  de 
l'antique  Poésie,  on  les  connaît:  c'est  la  Brigade,  dont  l'appa- 
rition   triomphale    a    fait    rentrer    dans    le   néant     les    derniers 

'  Peut  être  l'idée  première  de  eettc  énumération  vient-elle  il'un  passajre 
les  Cominentarit  Lingiiae  Latinae  d'Etienne  Dolet,  que  cite  Christic 
mienne  Dolet,  trad.  C.  Stryienski,  1886,  p.  245). 


166  JOACHIM    DU    BELLAY 

suppôts   de   l'ancienne   école,    —   quitte   à    onvi'ir  ses    rangs  aux 
survivants  les  plus   illustres. 

Je  dirai  peu  de  chose  de  l'ode  à  Ronsard  Contre  les 
envieux  poHes.  Tout  d'al)ord,  Joachiin  y  retrace  le  rôle  de 
Ronsard  et  le  sien  pi'opre  dans  la  nouvelle  poésie  :  à  son 
ami  la  gloire  de  Vofle,  à  lui-même  celle  du  sonnet.  11  part 
de  là  pour  attaquer  leurs  conununs  envieux.  Son  portrait  de 
l'Envie,  qui  se  consume  au  fond  de  son  pâle  manoir,  ((  plâ- 
tré de  sang  vert  et  noir  »,  et  qui  crache  le  venin  des ,  cou- 
leuvres, est  dans  le  goût  de  son  portrait  de  l'Ignorance. 
Pareils  à  des  chiens  enragés,  les  envieux  grondent  après  les 
neuf  Sœurs  :  Apollon,  ce  soleil,  les  fait  fondre  «  comme  la 
neige  »  :  tel  jadis  il  triompha  de  Marsyas.  L'antithèse  une 
fois  posée,  le  poète  la  développe  en  une  série  d'images 
incohérentes,  en  opposant  les  ruisseaux  fangeux  formés  par  le 
Styx  aux  fleuves  courants  sortis  du  Parnasse,  la  noirceur  des 
Corbeaux  à  la  blancheur  des  Cygnes,  le  babil  des  Pics  aux 
chansons  des  Muses.  Ces  oripeaux  mythologiques  ne  doivent 
pas  nous  faire  perdre  de  vue  l'intention  polémique  de  la 
pièce  :  elle  ai)paraît  dans  cette  strophe  où  du  Rellay  peint  la 
noire  gent  des  corbeaux    envieux,  qui 

Troublent   d'un    son    eclattant 

Les   nouveaux  Cignes,  qui  ores 

Par  la   France  vont  chantant.  (I,   t6"). 


CHAPITRE    VI 


L  '  «  OLIVE  » 

1549-1550 


I.  —  Les  deux  éditions  de  1  '  «  Olive  ».  —  La  part  que   du  Bellay 
a  prise  à  l'introduction  du  sonnet   en   France.  —   Pontus 
de  Tyard  et  du  Bellay. 
II.  —  L'imitation  de  Pétrarque  et  des  Italiens. 

III.  —  M"'  Viole  et  du  Bellay  :  le  roman  d'amour  dans  1'  «  Olive  ». 

IV.  —  Les  deux  thèmes  de  1  '  «  Olive  »  :  beauté  de  la  dame,  amour 

du  poète. 

V.  —  Les  variations   sur  les   deux  thèmes.  —  La  nature.  —  La 
mythologie  —  Les  figures  de  rhétorique.  —  La  préciosité. 

VI.  —  L'idéalisme  platonicien   et  l'inspiration  religieuse.    —   Les 

«  XIII  Sonnetz  de  l'honneste  Amour  »  ilSSS). 
VII,  —  La  réaction   contre  le  pétrarquisme.  —   L'«  Antérotique  » 
(1549).  —  La  pièce  «  A  une  Dame  »  (1553).  —  La  valeur 
et  l'influence  de  1'  «  Olive  ». 


Joachim  du  Bellay  débuta  dans  la  poésie  dès  i549  par  un 
recueil  de  sonnets  suivi  d'un  recueil  d'odes  Ainsi,  son  premier 
ouvrage  poétique  apparaissait  comme  une  application  du  prin- 
cipe qu'il  venait  de  poser  :  la  double  imitation  de  l'Italie  et 
de  l'Antiquité. 


16S  JOACHIM    DU   BELLAY 

11  avait  dit  dans  la  Deffence  :  «  Sonne  nioy  ces  beaux 
Sonnets,  non  moins  docte  que  plaisante  invention  italienne  » 
(p.  ii6).  Et,  joignant  l'exemple  au  précepte,  il  donnait  sous  le 
nom  di  Olive  une  suite  de  cinquante  sonnets,  inspirés  de 
Pétrarque  '.  Ce  n'était  qu'un  essai  :  lauteur,  qui  craignait 
qu  une  telle  nouveauté  ne  fût  trouvée  «  étrange  et  rude  », 
voulait,  comme  on  dit,  tàter  son  public  ^  L'œuvre  ayant 
réussi,  du  Bellay,  l'année  suivante,  l'augmenta  dans  des  pro- 
portions très  considérables,  et  Y  Olwc  au  complet,  comptant 
cette  fois  cent  quinze  sonnets,  parut  à  la  lin  de  i55o  '\  Aucune 
différence  sérieuse  ne  distinguant  les  deux  éditions,  j'étudierai 
Y  Olive   dans   son  ensemble. 

I^' Olive    a    beaucoup      fait     pour     acclimater     le    sonnet     en 

France  : 

Par  moy  les  Grâces  divines 

Ont  faict  sonner  assez  bien 

Sur  les  rives  Angevines 

Le  Sonnet  Italien, 

s'écriait  du  Bellay,  parlant  de  son  premier  recueil  (I,  164). 
Mais  quelle  est  au  juste  la  part  qu'il  a  prise  à  l'introduction 
de  ce  genre    nouveau  ? 

Sainte-Beuve  donne  au  chantre  d'Olive  l'honneur  de  nous 
avoir  enrichis   du   sonnet   : 

Du   Bellay    le  premier  l'apporta   de  Florence, 


'  L'Olive  et  quelques  autres  œuvres  poëticques.  Le  contenu  de  ce  livre  : 
Cinquante  Sonnetz  à  la  louange  de  l'Olive.  L'Anterotique  de  la  vieille  et  de 
la  ieune  Amye.  Vers  Lyriques.  Par  /.  D.  B.  A.  Caelo  Musa  beat.  Paris, 
Arnoul  l'Aiio^dier,  l;)49,  in-8".  Même  privilège  que  pour  la  Deffence  :  2U  mars 
1548  (n.  s.  IdW).  —  Les  50  sonnets  qui  composent  cette  1"  édition  sont  les 
suivants  :  1-22,  24-31,  33-39,  41-4^^,  4o,  47-49,  ol,  32,  54,  35,  57  et  59. 

-  «  Prolestant,  si  je  congnois  que  ces  fragmentz  te  plaisent,  te  laire  liicn- 
tost  présent  de  l'œuvre  entier.  »  Préf.  de  la  l"'  édition  (I,  6S-69). 

^  L'Olive  augmentée  depuis  la  première  édition.  La  Musagnœomachic  et 
aullres  œuvres  poétiques.  Paris,  Gilles  Corrozit  et  Arnoul  l'Angelier,  1530, 
in-8\  Privilège  du  3  oct.  1550. 


L  '  ((    OLIVE    »  169 

Sous  cette  l'orme  al)solue.  l'opinion  est  inexacte.  Si  Ton  en 
croit  (lu  Bellay  lui-niènie  (1,  712),  c'est  à  Mellin  de  Saint- 
Gelays  que  cet  honneur  revient  '.  En  même  temps  ([ue  lui. 
Clément  Marot  en  faisait  quelques-uns  :  on  en  peut  lire  une 
dizaine  dans  ses  o'uvres,  dont  six  sont  traduits  de  Pétrar([ue  '. 
Et  l'exemple  donné  par  ces  deux  poètes  rencontrait  des 
imitateurs.  Sans  parler  de  Marguerite  de  Navarre  '  et  de  Maur 
rice  Scève  ',  Jacques  Peletier,  dans  ses  Œiwj'es  Poétiques  (i547) 
insérait  quinze  sonnets,  sur  lesquels  douze  étaient  empruntés 
à  Pétrarque  ^  Un  très  obscur  docteur  es  droits,  Yasquin 
Philieul  de  Carpentras,  entreprenait  la  complète  traduction  du 
poète  Uorentin,  et  publiait  en  i548  le  premier  livre  de 
Laure  d'Avignon,  soit  196  sonnets  de  Pétrarque  rendus  par 
autant  de  sonnets  français  ^  Enfin,  la  même  année,  Thomas 
Sibilet,  qui  faisait  précéder  son  Art  Poétique  d'un  sonnet  ((  à 
l'Envieux  »,  constatait  en  ces  termes  la  vogue  du  nouveau 
genre  :  «  Tant  y  a  que  le  sonnet  aujourd'huy  est  fort  usité, 
et  bien   receu    pour   sa  nouveauté   et  sa  grâce    ^  »  Ainsi,    cette 

*  A  la  vérité,  son  petit  recueil  de  lo47  (Saingelais.  Œuvres  de  luy  tant 
en  composition  que  translation)  ne  contient  qu'un  sonnet,  qui  remonte 
peut-être  à  1.^3G  (édil.  Blancliemain.  I,  78).  Mais  très  certainement  il  en 
avait  comijosé  d'autres.  On  sait  qu'il  avait  pour  principe  de  produire  sans 
imprimer. 

'  Édit.  P.  Jannet,  1,  116  ;  111,  o9,  62,  76  (Épigr.  144,  to2,  187)  ;  111,  148-lol. 
'  Les  Chansons  spirituelles  de  Marguerite  se   terminent   par   un    sonnet 
(édit.  F.  Frank.  111,  163). 

*  Les  Marguerites  de  la  Marguerite  des  Princesses  et  la  Sujte  des  Mar- 
guerites s'ouvrent  par  deux  sonnets  signés  M.  SG,  cjui  sont,  à  n'en  [)as 
douter,  de  Maurice  Scève. 

^  Édit.  orig.,  f"  2  r",  36  v»,  ii!)  ro-3'J  r°. 

"  Laure  d'Avignon.  . .  par  Vaisquin  Philieul  de  Carpentras.  Paris,  Jacques 
Gazeau,  1348.  (Arsenal.  —  B.  L.  4429).  Les  196  sonnets  cjui  comiioscnt  ce 
premier  livre  sont  en  vers  décasyllabes,  à  l'exception  des  s.  71  et  100,  qui 
sont  en  vers  alexandrins.  11  comprend  en  outre  24  chants  (canzones).  — 
La  traduction  complète  des  œuvres  vulgaires  de  Pétrarque  par  Vasquin 
Philieul  parut  en  l.ooj,  divisée  en  quatre  livres.  Avignon,  Ijartliélemy 
Bonhomme,  in-8".  (Bibl.  Xat.  —  liés.  Y^".  1134). 

'  Liv.  11,  chap.  2. 


170  JOACHIM    nu    BELLAY 

forme  de  poésie,  cultivée  par  la  jeune  école  au  point  d'être  un 
de  ses  caractères  distinctifs,  fut  bien  réellement  introduite  par 
l'ancienne,  et  Ion  ne  peut  sans  injustice  réclamer  pour  l'au- 
teur de  l'Olive  une  innovation  dont  tout  l'honneur  revient  à 
l'école  de  Marot. 

Seulement.  Marot  et  ses  amis  n'avaient  fait  que  cueillir 
des  Heurs  :  du  Bellay,  plus  artiste,  tressa  une  couronne.  C'est 
lui  qui  le  premier  s'avisa  d'une  suite  de  sonnets,  se  ratta- 
chant tous  à  la  même  idée,  roulant  sur  un  sujet  unique.  Voilà 
proprement  son  mérite  dans  \  Olive,  et  c'est  là  sans  doute  ce 
qu'entend  Pasquier,  lorsqu'il  salue  en  du  Bellay  «  celuy  qui 
premier  aporta  l'usage   des   sonnets  *  ». 

11  est  vrai  que  ce  mérite,  on  a  voulu  le  reporter  sur 
Pontus  de  Tyard  ^  On  allègue  que  Ronsard,  dans  son  Elégie 
à  Jean  de  la  Péruse,  après  avoir  loué  le  poète  de  V  Olive, 
rend   à  Pontus  ce  témoignage  : 

Long-  temps  davanf.  d'un  ton  plus  haut  que  luy, 
Tyard  chanta  son  amoureux  ennuy  *. 

Mais  on  oublie  que  Ronsard,  qui  parlait  de  la  sorte  en 
i584-  pour  flatter  lévêque  de  Ghalon,  avait  précisément  dit 
tout  le  contraire  en  i55'3,  dans  le  texte  primitif  de  cette  même 
élégie    : 

Apres  Tiard,  amoureus  comme  lui, 
D'un  autre  vers  souspira  son  ennui  *. 

'  liech.  de  la  France.  VI,  7. 

-  Aljel  Jeandet,  Pontus  de  Tyard,  seigneur  de    Bissy,    depuis  évéque   de 
Chalon,  Paris,  .\ubry,  1860,  p.  189-191. 
'  Blanchemain,  YI,  44. 

'  L'Eléf/ie  à  I.  de  la  Péruse  se  trouve  à  la  p.  177  du  Cinqieme  des  Odes 
de  P.  de  Ronsard....  Paris,  V^e  M.  de  Laporle,  1553.  in-8".  Privilège  du 
6  sept.  Ifiiii.  (lîibl  Nat.  —  liés.  Y'.  4770).  —  Etienne  Pasquier,  qui  semble 
n'avoir  eonnu  (|ue  le  dernier  texte  de  Ronsard  (VI,  7;  VI,  11),  relève  judieieu- 
scnient  Tinexaclitude  eoniniise  :  «  Il  s'abuze,  et  je  m'en  croy,  pour  l'avoir  veu 
et  observé.  »  Mais  il  se  trompe  à  son  tour  en  ajoutant  :  »  L'Olive  eouroit  i)ar 
la  France  deux  ans,  voire  trois,  avant  les  Erreurs  .\nioureuses  de  Tiart.  » 


L  '  «  oLivi-;  »  171 

Cette  élraiiye  paliuoilie.  ([ui  l'ait  peu  triionneur  à  Ilonsard, 
ne  prouve  rien  contre  du  lîellay.  —  Le  simple  rapproche- 
ment des  dates  parle  assez  eu  faveur  du  poète  angevin.  La 
première  édition  de  Y  Olive  parut  vers  Pâques  i549  ;  le  pre- 
mier livre  des  Erreurs  Amoureuses  ne  vit  la  lumière  qu'au 
mois  de  novembre  ',  après  une  demi-année.  Je  sais  bien  que 
Pontus  s'est  avisé  d'un  artifice  assez  subtil  pour  faire  croire 
à  son  antériorité  :  à  la  lin  de  Tépître  A  sa  Dame  qui  pré- 
cède son  premier  livre  de  sonnets  ",  il  a  mis  la  date  de  î548. 
Mais  qu'on  prenne  garde  :  cette  date  ne  se  trouve  pas  dans 
l'édition  princeps  de  i549  '  mais  seulement  dans  la  troisième, 
l'édition  complète  de  i555  ',  parue  alors  que  du  Bellay  était 
en  Italie.  —  Plus  tard  encore,  en  lô^S,  publiant  toutes  ses 
œuvres,  il  eut  l'art  d'insinuer  que  la  poésie  française  lui 
devait  autant  qu'à  Ronsard  et  du  Bellay,  qu'il  avait  avant 
eux  haussé  le  style  des  vers,  que  ses  premiers  essais  remon- 
taient à  trente  ans  '.  S'il  disait  vrai,  les  plus  anciennes 
pièces  des   Erreurs  amoureuses  seraient  de  i543.  Pour  ma  part, 

*  Le  privilège  est  du  13  sept.  1.J49  ;  l'achevé  d'imprimer  est  du  o  nov. 

2  Œuvres  de  Pontus  de  Tyard,  édit.  Marty-Laveaux,  p.  10. 

'  Je  l'ai  vérifié  par  moi-même,  sur  l'exemplaire  de  l'Arsenal,  B.L.  92!)0 
(Réserve) 

'  Bibl.  Xat.  —  Rés.  Y'.  1677. 

^  ((  J'ay  fait  recueillir  mes  vieilles  et  nouvelles  Poésies  en  un,  .  .  .  vous 
suppliant  de  prendre  garde,  par  le  111  de  ceste  longue  continualion  com- 
mencée il  y  a  trente  ans,  combien  entre  nous  a  esté  la  mutation  du  stile 
poétique  estrange,  et  grand  et  louable  le  progrez  et  avancement  qu'a  fait 
nostre  langage  François  depuis  ce  temps.  Je  commençay  fort  jeune  d'aimer 
et  d'honorer  la  beauté  et  les  (grâces,  et  de  mesme  aage  fuz  eschauffé  de 
l'ardeur  d'Apollon.  Toutesfois  n"ayant  aucun  devant  moy,  qui  en  François 
eust  publié  Poëmes  respondans  à  Televation  de  mes  passionnées  conceptions, 
je  ne  fuz  aidé  que  de  la  force  de  la  beauté  qui  me  commandoit,  pour  com- 
plaire à  laquelle  je  mis  peine  d'embellir  et  hausser  le  stile  de  mes  vers,  plus 
que  n'estoit  celuy  des  rimeurs  qui  m'avoient  précédé  :  comme  aussi  mes 
affections  passionnées  pour  un  objet  très-excellent  dévoient  estre  plus 
hautes  et  plus  belles  Mais  au  mesme  teiips  que  je  fiz  prendre  Vair  à  mes 
Poc'sies,  sortirent  en  lumière  les  œuvres  de  Ronsard  Vandomois  et  du  Bellay 
Angevin,  lesquels  le  Parnasse  François  receut,  comme  fils  aisnez  des  Muses, 
et  les  favorisa  du  plus  riche  partage.  »  Edit.  Marty-Laveaux,  p.  1-2. 


172  JOACHl.M    DU    BELLAY 

je  le  soupçonne  d'avoir  arrondi  le  chiU're,  et  je  crois  sentir 
dans  ses  confidences  un  secret  dépit  contre  Ronsard  et  du 
J3ellay  qui  l'avaient  non  -  seulement  prévenu,  mais  encore 
éclipsé.  Au  surplus,  pour  n'èlre  pas  injuste  envers  Pontus  de 
Tyard,  je  dirai,  si  l'on  veut,  qu'il  conçut  en  môme  temps 
que  Joachiin  celte  idée  dune  suite  de  sonnets  traduisant  ses 
pensées  amoureuses  '.  Tous  deux,  suivaient  un  mouvement  : 
Saint-Gelays,  Marot,  Peletier  avaient  ouvert  la  voie  :  il  était 
natui'el  qu'on  poussât  plus  loin  qu'eux,  qu'on  fît  succéder  les 
sonnets  enchaînés  aux  sonnets  détachés,  —  d'autant  plus  que 
Pétrarque  en  offrait  le  modèle.  Joacliim  et  Pontus  travaillè- 
rent parallèlement,  à  linsu  l'un  de  l'autre,  je  le  veux  bien  : 
mais  je  réclame  pour  mon  auteur  le  bénéfice  de  la  priorité 
dans  la  publication.  J'ajoute  qu'on  ne  saurait  lui  refuser  non 
plus  celui  de  la  supériorité  poétique.  Sans  être  excellents, 
les  sonnets  de  du  Bellay  sont  bien  nteilleurs  que  ceux  de 
Pontus  de  Tyard,  et,  si  la  valeur  d'une  œuvre  décide  de 
son  influence,  il  n'est  ([iie  juste  de  conclure  que  V Olive  a  plus 
fait  pour  acclimater  le  sonnet  en  France  que  les  Erreurs 
Amoureuses  -.  Saluons  donc  en  du  Bellay  le  père  du  sonnet 
français,  non  (ju'il  l'ait  introduit  le  premier,  mais  parce  que 
le  premier,  suivant  un  mot  spirituel,  ((  il  obtint  pour  lui  des 
lettres   de  grande   naturalisation  ^    ». 


•  Remarquons  toutefois  que  les  Erreurs  Amoureuses  n'olFrent  pas  comme 
l'Olive  un«  i)ure  succession  de  sonnets,  mais  (ju'il  s'y  mêle  aussi  des  clian- 
sons,  des  épigrammes,  des  rimes  tierces  et  des  sextines. 

-  Turquety,  dans  son  Étude  sur  J.  du  Bellay  {Bulletin  du  Bibliophile, 
nov.  I86i,  p.  1138-1142),  revendique  jalousement  pour  Joacliim  contre  Pontus 
l'honneur  d'avoir  le  premier  fait  fleurir  le  sonnet.  Toutes  vérilications  faites, 
sa  démonsiration  est  de  la  plus  rigoureuse  exactitude. 

•''  A.  P,  Lemercier,  Vauquelin  de  la  Fresnaje,  p.  144.  —  Celte  partie  de 
mon  travail  était  rédigée,  quand  j'ai  connu  l'opuscule  de  Pllânzel.  Je  constate 
avec  surprise  que  la  question  relative  à  Pontus  de  Tyard  est  à  peine  abordée 
(p.  13-14).  Pour  le  dire  en  passant,  cet  opuscule  contient  de  graves  erreurs 
clironologiques  qu'il  était  facile  d'éviter  en  consultant  d'un  peu  plus  près 
les  notes  de  l'édit.  Marty-Laveaux.  C'est  ainsi  que  l'auteur  (!>.  18)  place  dans 


L  '  «   OLIVE   »  ITii 


II 


Chez  Pétrar(|ue  et  les  lUiliens,  le  sonnet  était  consacré 
presque  exclusivement  à  la  peinture  des  sentiments  amoureux. 
C'est  avec  ce  caractère  quil  passa  dans  notre  poésie  :  «  La 
matière  facécieuse,  écrit  Sibilet,  est  répugnante  a  la  gravité 
du  sonnet,  qui  reçoit  plus  proprement  affections  et  passions 
grèves,  mesmes  chés  le  prince  des  Poètes  Italiens,  duquel 
l'archétype  des  sonnetz  a  esté  tiré  '.  »  Plus  tard,  du  Bellay 
conçut  le  sonnet  hiunoristique  et  satirique,  .  et  ce  fut  à  coup 
sûr  une  de  ses  créations  les  plus  originales  ".  Mais  en  1049, 
il  n'y  voyait  comme  tout  le  monde  qu'une  forme  rythmique 
merveilleuse  i)our  exprimer  les  émotions  tristes  ou  graves,  et 
surtout  les  douceurs  et  les  peines  de  lamour.  Tout  au  plus 
tendait-il  à  lui  donner  pour  conclusion  quelque  trait  gracieux 
ou  saillant,  à  la  manière  de  Tépigramme  '  :  innovation  inté- 
ressante, qui  devait  le  conduire  dans  la  suite  à  finir  ses 
sonnets  par  une  pointe. 


le  Recueil  de  Poésie  de  l.')i9  les  Sonnets  à  la  Royne  de  Navarre  qui,  com- 
posés peut-être  (?)  vers  cette  époque,  n'ont  paru  qu'en  1561.  C'est  ainsi  encore 
qu'il  donne  comme  publiés  en  lao2  les  Amours,  qui  n'ont  été  composés  cju'en 
la'JO  et  publiés  qu'en  lo69.  C'est  là- dessus  cju'il  se  fonde  et  sur  une  date 
erronée  du  séjour  à  Rome  (lijol-loijo)  pour  soutenir  (p.  21-22)  que  du  Bellay 
fut  certainement  le  premier,  non  Ronsard,  qui  lit  des  sonnets  en  alexandrins. 
*  Liv.  II,  chap.  2. 
-  Cf.  Vauquelin  de  la  Fresnaye  : 

Ce  fut  toy,  Du-Bellay,  qui  des  premiers  en  France 
D'Italie  attiras  les  Sonefs  amoureux  : 
Depuis  y  séjournant^  d'un  goust  plus  savoureux. 
Le  premier  tu  les  as  mis  hors  de  leur  enfance. 

Édit.  Julien  Travers,  t.  II,  p.  702. 
^  2'  préf.  de  VOlive  :  «  Quelques  ungs  vojans  que  je  linissoy',  ou  m'efïor- 
çoy'  de  finir  mes  Sonnetz  par  ceste  grâce,  qu'entre  les  aultres  langues  s'est 
faict  propre  l'Epigramme  françois,  diligence  qu'on  peult  facilement  recon- 
gnoistre  aux  œuvres  de  Cassola  Italien,  disent  iiour  ceste  raison,  que  je  l'aj^ 
imraité,  Jjien  que  de  ce  temps  la  il  ne  me  feust  congneu  seulement  de  nom, 
ou  Apollon  jamais  ne  me  soit  en  ayde  »  (1,  76). 


174  JOACBIM    DU    BELLAY 

{.'Olive  est  un  recueil  de  sonuets  pétrarquistes.  Il  n'entre 
pas  dans  mon  sujet  d'analyser  le  pétrai-quisme  et  d'en  retracer 
l'histoire  '.  Je  nai  pas  à  redire  ici  ce  que  fut  l'amour  de 
Pétrarque  pour  Laure  de  Noves  et  de  quelle  âme  il  la  chanta 
dans  son  Canzoniere  :  comment,  dans  l'ilalie  du  xyi^  siècle, 
toute  une  école  de  poètes,  à  la  suite  de  Bembo,  s'inspira  de 
Pétrarque,  se  fit  une  loi  de  l'imiter  religieusement,  essaya  de 
lui  dérober  son  génie  en  lui  prenant  ses  idées  et  son  art, 
ses  expressions  et  ses  tournures,  et  jusqu'à  ses  défauts  ; 
comment  enfin  le  pétrarquisme  s'introduisit  en  France  par 
l'école  lyonnaise,  en  se  mêlant  très  fortement  de  platonisme 
dans  l'œuvre  d'Héroët  et  de  Maurice  Scève  ■.  Je  dois  remar- 
quer pourtant  que  l'admiration  de  Joachim  du  Bellay  ne 
s'adressa  pas  seulement  au  grand  poète  que  fut  Pétrarque, 
mais  encore,  et  d'une  manière  égale,  à  toute  la  foule  de  ses 
imitateurs  ;  il  confondit  dans  le  même  culte  les  disciples  et 
le  maître  ;  il  ne  vit  pas  l'écart  immense  qui  séparait  de  son 
ardente  passion  leur  amour  factice  et  conventionnel.  Cette 
remarque  est  nécessaire,  si  l'on  veut  mesurer  l'exacte  valeur 
de  V  Olive. 

Bien  loin  de  s'en  cacher,  du  Bellay  s'est  fait  un  titre  de 
gloire  d'imiter  Pétrarque  et  les  Pétrarquistes  :  «  Vrayment  je 
confesse  avoir  imité  Pétrarque,  et  non  luy  seulement,  mais 
aussi  l'Arioste  et  d'autres  modernes  Italiens,  pource  qu'en 
l'argument  que  je  traicte  je  n'en  ay  point  trouvé  de  meilleurs  : 
et  si  les  anciens  Romains  pour  lenrichissement  de  leur 
langue  n'ont  fait  le  semblable  en  l'imitation  des  Grecz,  je  suis 
content  n'avoir  point  d'excuse  »  (I,  Gq).  Il  faut  marquer  très 
nettement   le  caractère  de    cette  imitation. 


1  Sur  ce  point,  v.  la  thèse  de  M.  Piéri. 

-  Pour  ce  point,  quelque  peu  négligé  par  M.   Piéri,  v.   Bourciez,   op.  cit., 
liv.  1,  cliap.  IV. 


L  '  ((    OLIVE    »  175 

Du  Bellay  doit  beaucoup  à  Pétrarque  '.  On  peut  dire  qu'il 
l'imite  à  chaque  page,  mais  sous  des  formes  très  diverses  ^ 
Souvent  il  emprunte  à  Pétrarque  l'idée  générale  d'un  sonnet, 
qu'il  développe  pour  son  compte,  d'une  manière  plus  ou  moins 
indépendante  de  son  modèle  '.  Quelquefois,  il  emprunte  sim- 
plement un  procédé  de  rhétorique  pour  mettre  en  relici'  la 
pensée  :  tel,  un  développement  par  antithèses  ^  ou  par  excla- 
mations ',  ou  bien  encore  par  énumération  ''.  Très  souvent 
aussi,  les  emprunts  sont  plus  directs,  et  l'imitation  n'est 
guère  qu'une  traduction.  Il  arrive  que  du  Bellay  traduise  un 
sonnet  mot  à  mot  ',  ou  qu'il  en  fasse  une  paraphrase  très 
rapprochée  ^  D'autres  fois,  d'un  sonnet  il  ne  traduit  qu'une 
partie  :  tantôt,  deux  quatrains  et  un  tercet  '  :  tantôt  deux  qua- 
trains seulement'";  tantôt  un  simple  quatrain  ";  tantôt  un  vers 
isolé  : 

Je  ne  croy  point  que  de  douleur  on  meure.         (O.    ij(j). 
...Aé  credo  cliiioni  di  dolor  inora.  (S.  aSo). 

Seul  et  pensif  par  la  déserte  plaine...  (O.    84)- 

Solo  e  pensoso  i  pin  deserti  campi. . .  (S.     28). 

Si  longue  foy  peult  mériter  merci...  (O.    88). 

S'  onesto  ainor  pu  ineritar  mercede. . .  (S.  288). 


'  Mes  renvois  à  Pétrarque  se  réfèrent  à  lédition  Giov.  Mestica,  Florence, 
Barbera,  1896.  —  Sur  cette  édition,  v.  un  art.  de  M.  de  Nolhac,  Revue  critique, 
1896,  t.  I,  p.  233. 

-'  Dans  les  notes  suivantes,  O.  désigne  ïOlive,  S.  et  C.  les  Sonnets  et  les 
Canzones  de  Pétrarque. 

3  O.  2  =  C.  23,  str.  o  ;  (3.  'j  =  S.  3  ;  O.  11  =  S.  156  ;  O.  36  =  G.  18,  str.  1  ; 
O.  77  =  S.  129  ;  O.  98  =  C.  19  ;  O.  103  =  S.  19û  ;  O.  113  =  S.  126. 
'^  *  O.  26  =  S.  104. 

3  O.  oa  =  S.  128 

«  O.  57  et  76  =  S.  113  ;  O.  96  =  S.  271. 

'  O.  93  =  S.  193  ;  O.  94  =  S.  134. 

»  O.  27  =  S.  187  ;  O.  31  =  S.  9  ;  O.  65  =  S.  178. 

«  O.  69  =  S.  192  ;  O.  89  =  S.  269. 
i«  O.  63  =  S.  2  :  O.  67  =  S.  120. 
"  O.  33  =  S.  47  ;  O.  68  =  S.  6  ;  O.  70  =  S.  19  ;  O.  8.^  =  S.  148. 


176  .lOACIII.M    DU    BKLLAY 

Enfin,  il  emprunte  à  Pétrarque  des  jeux  d'esprit  \  des  images  % 
des  alliances  de  mots,  des  épithètes,  des  détails  de  style, 
qu'on  ne  pourrait  relever  que  dans  une  édition  annotée  de 
VOIire. 

Il  doit  presque  autant  à  l'Arioste,  si  l'on  considère  que 
sur  3i  sonnets  amoureux  composés  par  ce  poète,  il  s'en  est 
approprié  jusqu'à  huit  par  voie  d'imitation,  et  souvent  de 
traduction  pure  '.  Plusieurs  sonnets  de  VOlive  présentent 
même  à   la   lois   des   souvenirs   de   l'Arioste  et  de    Pétrarque  ". 

Je  m'attendais  à  retrouver  aussi  chez  du  Bellay  quelques 
souvenirs  de  13embo  :  mais  mon  attente  a  été  trompée.  On 
saisit  bien  entre  les  deux  poètes  de  vagues  rapports  d'idées  : 
je  n'ai  pu  constater  aucune  traduction  directe,  aucune  imita- 
tion  précise. 

Il  va  sans  dire  que  du  Bellay,  comme  il  s'en  vante  lui- 
même,  s'est  parfois  inspiré  des  poètes  pétrarquistes  de  son 
temps  '.  Mais  comment  aujourd'hui  parvenir  à  fixer  ces 
emprunts,  parmi  tant  de  recueils  dont  la  plupart  sont  introu- 
vables '^  ?    Ce    qui    précède    sufiit,    je   crois,   à    montrer   que    la 

1  11  joue  sur  Olive  cl  Volivler  connue  Pétrarque  sur  Laure  cl  le   laurier. 

-  Ainsi,  le  diamant,  ().  3."J  =  S.  iS.)  ;  le  cerf  blessé,  O.  70  =  S.  174. 

^  O.  ;j  (tercets)  =  Mal  si  compensa  fahi  lasso)  un  brève  sguardo  ;  7  = 
Madonna  sete  bella,  e  hella  tanto ;  8  =  Com' esser  piio  che  degnamente  lodi; 
10  =  La  rete  fii  di  queste  Jila  d'oro  ;  11  =  Cldiiso  era  il  Sol  da  un  tenebroso 
vélo  ;  18  ■=  Altri  lodarà  il  viso,  altri  Le  chiorne  ;  30  =  Bén  che  l  martir  sia 
periglioso  e  grave  ;  33  =  O  avvenluroso  carcere  soave.  —  Le  liirne  di  M.  Lodo- 
vico  Ariosto Venise,  1546.  (lîibl.  Nat.   —  Y''.  ")8[)2). 

*  C'est  le  cas,  par  exemple,  pour  les  s.  3,  11,  33.  Dans  le  s.  33,  le  2'  qua- 
train vient  de  Pétrarque,  le  l^'  quatrain  et  les  tercets  de  l'Arioste.  Du  Bellay 
prati(|ue  la  contarninatio. 

'  Ainsi  Pasquier,  dans  une  lettre  à  Tabourol  {Lettres,  VIII,  12),  nous 
apprend  que  le  s.  l'J  de  VOlive,  en  vers  rapportés,  «  est  desrobé  d'un  Italien, 
et  rendu  fort  lidellenient  en  nostre  langue  ».  Suivant  La  Monnoye,  cet  Ita- 
lien est  Martelli  (Œuvres  de  Saini-Gelays,  édit.  elzév.,  t.  1,  p.  301). 

"  Un  savant  jurisconsulte  Ij'onnais,  André  de  Rossant,  avait  composé 
sur  ÏOlive,  d'après  La  Croix  du  Maine  (I,  20),  «  de  très-amples  commen- 
taires.... contenant  tant  de  matières  diverses  que,  s'ils  éloicnt  imprimés, 
ils  passeroient  la  grosseur  d'un  juste  volume  ».  En  dépit  du  fatras  certain, 


L  '  ((    OLIVE    »  177 

part  (rimitation  est  trt's  grande  tlans  VOlive.  En  présence  de 
cette  imitation  volontaire,  préméditée,  Systématicpie,  imc  ([ues- 
tion  vient  aux  lèvres  :  qu'y  a-t-il  de  réel  et  de  \  rai  dans 
l'amour  du   poète   pour  Olive  ? 


III 


\5nQ  ancienne  tradition  prétend  que  du  Bellay,  sous  le 
nom  d'Olive,  aurait  chanté  par  anagramme  une  jeune  fille  de 
grande  maison.  M"'^  Viole.  Marcassus  dit  tenir  le  fait  de 
M.  Garnier,  «  excellent  poëte  de  ce  temps  »  '.  Golletet,  sans 
citer  ses  garants,  déclare  le  savoir  de  bonne  source  %  et 
Ménage  raconte  qu'il  a  su  cette  particularité  de  M.  Guiet, 
«  qui  l'avoit  apprise  d'un  ami  de  du  Bellay  »  ^  Biographes 
et  critiques  sont  d'accord  pour  admettre  que  Ml''  Viole  était 
nièce  ou  parente  de  Guillaume  Mole,  qui  devint  évêque  de 
Paris  (déc.  1.563),  après  la  démission  d'Eustache  du  Bellay. 
L'accord  cesse,  lorsqu'il  s'agit  de  déterminer  quel  était  son 
lieu  d'origine.  Ménage  et  Goujet  font  d'elle  une  Angevine, 
tandis  que  Golletet  atfirme  hautement  qu'elle  était  Parisienne. 
Sainte-Beuve  se  range  à  l'avis  de  Golletet  *,  et  M.  Ballu  cer- 
tifie qu'on  ne  trouve  en  Anjou  aucune  famille  du  nom  de 
Viole  \ 

Pour  moi,   faut-il  le  dire?  je  ne  suis  pas  bien   sûr  qu'Olive 

la  perte  de  ce  coiuuientaire  est  profondément  regrettable  André  de  Rossant 
indiquait  sans  doute,  comme  Muret  et  Belleau  pour  les  Amours  de  Ronsartl, 
l'origine  insoupçonnée  de  maint  sonnet  de  VOLive. 

'  Commentaire   sur  la   3'   Eclogiie  de  Ronsard.    —   Blancliemain,    t    IV, 
p.  G2,  n.   1. 

-  Copie  mscr.,  f"  49  v° . 

3  Anti-Baillct,  chap.  cix.  —  Édit.  de  1730,  p.  229-230. 

*  Notice  sur  J.  du  Bellay,  p.  339. 

'"  Ballu,  p.  ux,  n.  1. 

Univ.  de  Lille  To.me  YIII    A.  12. 


178  .lOACHlM    nu    BELLAY 

ail  jamais  existé.  Certain  passage  de  du  Bellay  lui-même 
m'inspire   un   doute   à   ce   sujet  : 

Si   est-ce   pourtant  que  je  puis 
Me   vanter  qu'en   France  je  suis 
Des  premiers  qui  ont  ozé   dire 
Leurs   amours    sur   la   Thusque   lyre. 

Et    mon   Olive  (soit  ce   nom 

U  Olive  véritable,  ou   non) 

Se  penlt   vanter   d'avoir   première 

Salué   la   doulce   lumière  '.  (11,   329). 

Je  remarque  d'ailleurs  qu'après  avoir  dédié  la  première  édi- 
tion de  V Olive  ((  à  sa  Dame  »  (I,  (3;^),  il  supprima  cette 
dédicace  pour  offrir  la  seconde  à  Madame  Marguerite  (I,  70), 
et  je  nu;  demande  si  l'on  fait  pareil  afïront  à  quelqu'un  que 
l'on   aime. 

Toujours  est-il  que  son  roman  d'amour  avec  Olive  se 
réduit  à  fort  peu  de  chose.  Pétrarque  avait  rencontré  Laure, 
dans  ime  église  d'Avignon,  le  G  avril  i32^,  à  l'ollice  du  ven- 
dredi saint.  G'ei^t  à  la  messe  de  minuit,  le  jour  de  Noël,  que 
du  Bellay  a  fait  la  rencontre  d'Olive  (s.  5).  Amour  l'a  frappé 
d'une  llèche  :  ((  le  coup  au  cœur  par  les  yeux  descendit  ». 
Et  depuis,  le  poète  se  consume  pour  elle.  Il  nourrit  en  son 
àme  un  amour  sans  espoir.  Car  Olive  est  inexorable,  et,  quoi- 
qu'il parle  de  la  douceur  de  ses  baisers  (s.  33,  44)'  J6  ne 
vois  pas  qu'il  ait  jamais  reçu  d'elle  autre  chose  qu'un  ((  voile 
blanc  »  —  traduisez  un  mouchoir  —  brodé  d'une  branche 
d'olivier  (s.  72).  Cet  amour,  ce  semble,  aurait  mal  fini  :  un 
rival  détruisit  le  bonheur  du  poète,  du  moins  si  j'en  juge  par 
deux   sonnets  violents  contre  la  Jalousie  (s.  99,   100).  Peut-être 


'  Cf.  Baïf  : 

Jîcllay  cliaiita,  soit  ou  feinte  ou  naïve, 

Sa  prime  ardeur  sous  le  doux  nom  d'Olive. 

Édit.  Marty-Laveaux,  I,  8. 


L  '  ((    OLIVE   »  179 

Olive  s'était  elle  laissé  séduire  par  la  f(M'tuue  :  une  iMii)réca- 
tion  du  poète  contre  l'or  permettrait  de  le  supposer  (s.  loi, 
102)  '.  L'inconstance  de  sa  maîtresse  n'empêcha  pas  du  Bellay 
de  bien  prier  pour  elle,  au  cours  d'une  maladie  dont  elle  fut 
atteinte  (s.  io3,  io4).  Les  sonnets  de  la  fin  paraissent  indi- 
quer que  lamant  évincé  chercha  dans  la  i-eligion  un  récon- 
fort à  sa  douleur  (s.  107-113).  —  Voilà  tout  ce  qu'on  peut 
dégager  de  V  Olive,  en  fait  d'impressions  réelles  :  on  convien- 
dra que  c'est  peu.  N'attachons  donc  pas  d'importance  à  ces 
données  insulïisantes,  et  sans  vouloir  à  tout  prix  décider  si 
Mlle  Viole  a  vécu,  ne  voyons  en  Olive  que  ce  qu'elle  a  vrai- 
ment été  pour  le  poète,,  une  amante  idéale,  une  Muse  inspi- 
ratrice,   un   prétexte   à   beaux   vers. 


IV 


Le  travail  de  M.  Piéri  sur  le  Pétrarquisme  au  xvi^  siècle 
me  dispense  d'une  longue  étude  de  V Olive.  Je  ne  dirai  que 
l'essentieL 

Deux  idées,  deux  thèmes,  si  l'on  veut,  résument  tout 
l'ouvrage,  et  les  cent  quinze  sonnets  n'en  sont  qu'un  continuel 
développement  :  beauté   de   la  dame,    amour   du   poète. 

Olive,  comme  toutes  les  idoles  de  son  genre,  réunit  en 
elle  toutes  les  beautés  physiques  et  toutes  les  perfections 
morales.  Le  jour  qu'elle  naquit,  l'univers  était  «  plein  de 
bonheur  »  :  la  mer  était  tranquille  et  les  cieux  éclatants  : 
et  la  nature  en  fête  se  pencha  sur  elle  pour  la  parer  avec 
amour  de  ses  dons  les  plus  rares  :  elle  lit  son  teint  de  la 
blancheur  des  lys,  ses  cheveux  d'or,  ses  deux  lèvi'es  de  roses  ; 
elle  mit  dans  ses  yeux  la  splendeur  du  soleil  (s.  2).  Et  main- 
tenant   qu'Olive    réalise    dans    son    entière  plénitude   la  beauté 

'  A  noter  que  le  s.  IU:J  est  une  traduction  d'Horace,  Garni..  III,  xvi. 


ISd  .lUACHl.M    DU    BELLAY 

de  la  feinnie,  quel  charme  exquis  sexhale  de  tout  son  être  ! 
Son  visage  ((  angélique  et  serein  »  emprunte  ses  couleurs  à 
la  «  vermeUle  aurore  )).  Sa  «  fine  et  blonde  ))  chevelure  se 
déroule  ((  ondoyante  »  sur  un  «  cou  de  porphyre  et  de 
marbre  ».  Dans  sa  bouche  ((  soupire  une  haleine  »  aussi 
suave  que  les  «  parfums  de  1" Arabie  »,  et,  loi'squ'elle  sourit, 
ses  ((  lèvres  de  corail  »  uiontrent  «  deux  rangs  de  perles 
cristallines  ».  Elle  a  des  «  yeux  étincelants  »,  des  <(  sourcils 
bien  arqués  )),  un  «  front  de  neige  »,  un  «  sein  d'albâtre  », 
une    ((   main   polie,   blanche   comme  l'ivoire  '    »  : 

Bref,   ce  que   d'elle    on   peult   ou   voir  ou   croyre, 
Tout  est  divin,   céleste,   incomparable.  (S.  "). 

Du  Hellay  refait  jusqu'à  sept  fois  le  portrait  d'ensemble 
d'Olive  ".  Puis  il  chante  ses  beautés  en  détail.  Croirait-on 
qu'il  consacre  un  sonnet  (s.  i5)  à  célébrer  son  pied,  ce  ((  pied 
d'argent  »,  pareil  à  celui  de  Thétis,  et  qu'enrichissent  «  cinq 
pierres  d'orient  »  ? 

Ce  n'est  pas  tout.  Olive  a  du  talent  :  elle  est  instruite 
et  cultivée,  u  Elle"  danse,  elle  balle,  elle  chante  »  :  quand  sa 
voix  se  marie  au  son  des  instruments,  ((  elle  enchante  tous 
les  soucis  ».  Elle  parle  à  ravir  ;  elle  pense  ((  hautement  )),  et 
traduit  ses  pensées  en  des  écrits  d'un  style  «  doux  et  grave  ». 
Connue  tous  les  attraits  du  corps,  elle  a  tous  les  dons  de 
l'esprit  '.  Et  ceux-ci  l'emportent  de  beaucoup  sur  ceux-là, 
comme  étant  plus  durables  et  plus  sûrs.  Il  faut  citer  ce  beau 
sonnet,  un  des  mieux  venus  du  recueil,  où  du  Bellay  pro- 
clame la   beauté   morale   supérieure   à   la  beauté   physique  *   : 

'   Olive,  i)a.ssim. 

-  S.  2,  7,  02,  65,71,  74,  91. 

■'  S.  18,  32,  65,  69,  74,  78,  80. 

*  Peut-être  s'est-il  souvenu  d'un  joli  passage  d'Ovide,  Trist.  III,  vu, 
33  sqq.  Élégie  à  Périlla.  —  Cf.  un  autre  passage  d'Ovide,  Cosni.  43,  heureu- 
sement traduit  par  ilu  Bellay,  I,  4iJG. 


L  '  «    OLIVE    »  181 

Tout  ce  qu'icy  la  Nalure  environne, 
Plus  test  il  naist,   moins   longuciueiiL    il    dure  : 
Le  gay  printemps  s'enrichist  de  verdure, 
Mais  peu  flcurist  riionneui-  de  sa  couronne. 

L'ire  du  ciel  facilement  étonne 

Les  fruicts  d'esté,  qui  craignent  la  froidure  : 

Contre  l'hiver  ont  l'ecorce  plus  dure 

Les  fruicts  tardifs,  ornement  de  l'autonne. 

De  ton  printemps  les  fleurettes  seichées 
Seront  un  jour  de  leur  tige  arrachées, 
Xon  la  vertu,  resj)rit  et  la  raison. 

A  ces  doulx  fruicts  en  toy  meurs  devant  l'aage. 

Ne  faict  l'esté,  ny  l'autonne  dommage. 

Ny  la  rigueur  de  la  froide  saison.       (S.  32). 

Olive  est  donc  de  tout  point  accomplie  :  comment  la  con- 
templation de  tant  de  trésors  laisserait-elle  le  poète  insensible? 

Alors  de  moy  une  doulce  rapine 

Se  faict  en  moy  :  je  me  pers,  il  me  semble 

Que  le  penser  et  le  vouloir  on  m'emble 

Avec  le  cœur,  du  fond  de  la  poitrine  '.        (S.  94)- 

Un  amour  profond  est  né  dans  son  âme,  brusquement, 
au  premier  contact  avec  la  beauté,  une  passion  violente, 
fatale,  irrésistible,  qui  s'est  emparée  de  lui  tout  entier,  attei- 
gnant dès  l'abord  à  l'extrême,  désormais  immuable  '\  La  flèche 
meurtrière  a  blessé  le  poète  à  jamais.  Captif  d'Olive,  jamais 
il  n'essaiei'a  de  secouer  sa  chaîne.  Il  est  «  le  roc  de  foy  non 
variable  »  que  rien  ne  saurait  entamer.  On  verrait  plutôt 
fondre  le  diamant  que  son  cœur  changer  envers  sa  maîtresse 
(s.  35).  Et  d'un  ton  grave,  il  multiplie  les  promesses  de 
dévouement  sans   mesure,   les  serments   d'éternelle    fidélité  '. 

»  Cf.  s.  38. 

■'  S.  0,  63. 

3  S.  13,  29,  39,  oO,  Tti. 


182  JOACHIM    DU    BELLAY 

Cet  amour  si  constant  est  aussi  douloureux.  Il  cause  au 
poète  de  vives  soufl'rances  :  il  exerce  en  lui  de  profonds 
ravages  :  c'est  une  fièvre  qui  le  raine,  une  llarame  qui  le 
dévore  '.  Mais  ces  ravages  physiques  ne  sont  rien  en  compa- 
raison des  tourments  moraux  quil  endure.  Car  son  amour 
est  incompris  :  Olive  ne  daigne  pas  y  répondre.  Les  protes- 
tations les  plus  enflammées  n'arrivent  pas  à  la  fléchir.  Elle  a 
tout  Torgueil  de  la  femme  aimée  qui  s'est  fait  une  loi  de  la 
fierté  farouche,  et  que  nul  serment  ne  saurait  toucher  ".  Le 
poète  analyse  longuement  ses  tortures.  11  le  fait  quelquefois 
de  façon  discrète  et  légère,  comme  dans  ce  sonnet,  que  je  cite 
pour  sa   grâce  : 

Qui  a  peu  voir  la  matinale  rose 
D'une  liqueur  céleste  emmiellée, 
Quand  sa  rougeur  de  blanc  entremeslée 
Sur  le  naïf  de  sa  branche  repose  : 

11  aura  veu  incliner  toute  chose 
A  sa  faveur  :  le  pié  ne  la  foulée, 
La  mainencor'  ne  l'a  point  violée, 
Et  le  troupeau  aprocher  d'elle  n'ose  : 

Mais  si  elle  est  de  sa  tige  arrachée, 

De  son  beau  teint  la  frescheur  desséchée 

Pert  la  faveur  des  hommes  et  des  Dieux. 

Helas  !  on  veult  la  mienne  dévorer, 

Et  je  ne  puis,  que  de  loing,  l'adorer 

Par  humbles  vers  (sans  fruit)  ingénieux  \       (S.  97). 

Ce    n'est    là    ({uun    soupir    mélancoli(iue.     Mais    la    plupart    du 
temps,   le  poète  a  moins  de  réserve  :  il  se  répand  en  plaintes  "  ; 

>  S.  44,  51. 
2  S.  23,  37,  53,  01. 

'  Esl-il  besoin  de  rappeler  (jue  ces  jolis  vers  sur  la  rose  sont  un  souvenir 
de  Catulle.  Carm.  LXII,  46  sqq.? 
*  S.  27,  46,  55,  84,  90. 


L  '  ((    OLIVE    »  183 

il  adresse  des  prières  su|)pliaiiles  à  la  IjcUc  insensible  '  :  il 
verse  des  torrents  de  larmes  '^  ;  il  appelle  la  iiiorl  coiuine 
une   délivraiu'(,*  '  : 

.  .  .    Puis   ([ue   le  yniv   me  nuist 
Plus    que   la    mort,    o   mort,  veilles   donq"  ores 
Glorre   mes   yeulx    d'une    éternelle   nuit.       (S.  47). 

Qu'on  se  rassure  pourtant.  11  ue  se  tuera  [)oint.  (]et  amour 
dont  il  souffre,  c'est  un  amour  qu'il  aime  :  pour  rien  au 
monde,  il  n'en  voudrait  guérir.  Il  est  si  bon  de  subir  un 
joug  comme  celui  d'Olive,  et  la  prison  a  tant  de  charmes, 
quand  c'est  pour  des  liens  si  doux  qu'on  a  perdu  sa  liberté  *  ! 
Bien  des  bonheurs  attendent  le  ])oète  esclave  :  un  regard  de 
sa  dame  fait  pour  lui  le  printemps  (s.  3i)  ;  un  sourire  de 
sa  jjouche  l'élève  au  paradis  (s.  81).  Dans  ces  conditions, 
pourrait-il  n'être  pas  heureux  de  sa  servitude  ?  Conmie  d'au- 
tres ont  l'orgueil  de  la  victoire,  il  a,  lui,  l'orgueil  de  la 
défaite    : 

Avoir   esté    par   vous   vaincu   et   pris, 

C'est   mon  laurier,  mon   triomphe,  et   mon  prix.     (S.  34). 


V 


Ces  deux  thèmes  fondamentaux  —  beauté  de  la  dame, 
amour  du  poète  —  qui  reviennent  à  chaque  page,  toujours 
les  mêmes,  ne  sont  pas  exempts  de  monotonie.  Tout  cela 
serait  supportable,  si  l'auteur  avait  su  prendre  notre  esprit 
par  la  finesse  de  l'analyse  psychologique,  toucher  notre  cœur 
par    la   i)einture  vivante  d'émotions  véritables.    A   défaut   d'une 

'  S.  4.  36.  02,  67. 

-  S.  25,  48.  12. 

»  S.  47,  66. 

*  S.  22,  30,  33,  34,  08,  80,  133. 


184  JOACHIM    DL-    BELLAY 

science  si  subtile,  pour  varier  son  sujet,  il  fait  appel  à  toutes 
les  ressources  de  l'imagination,  à  tous  les  artiliccs  du  style. 
La  nature  est  ici  d'un  précieux  secours,  et  le  poète  en 
tire  de  très  heureux  effets.  Je  ne  dis  rien  de  cette  poésie 
((  pictuj'ale  »  qui  donne  en  parure  à  la  bien-ainiée  tout  ce 
que  la  nature  a  de  plus  rare  et  de  plus  beau  :  j'en  fais 
pour  ma  part  assez  bon  marché.  Lor,  l'arg'ent,  le  cinabre, 
l'albâtre,  le  porphyre,  le  marbre,  le  cristal,  l'ivoire,  le  corail, 
les  perles,  les  lys,  les  œillets  et  les  roses,  tiennent  trop  de 
place  dans  V Olive  ,  et  l'auteur,  qui  siiispire  de  Pétrarque  ', 
a  le  grand  tort  d'exagérer  limitation  de  son  modèle.  Mais 
il  y  a  mieux  que  cela  :  le  poète  a  déjà  l'art  d'associer  la 
nature  aux  divers  sentiments  de  son  àme  :  il  sait  nous 
décrire  avec  force  ce  douloureux  contraste  si  fréquent  entre 
la  nature  en  fête  et  l'honmie  en  deuil  (s.  4^)  !  il  sait  oppo- 
ser au  cœur  d'Olive,  rebelle  à  l'amour,  lamour  universel  des 
choses  dans  l'ivresse  du  printemps  (s.  89")  ;  il  sait,  en  une 
heure  de  sombre  désesjjoir,  faire  entendre  un  appel  pathé- 
tique, pour  qufî  la  nature  ait  pitié  de  lui,  puisque  sa  dame 
est  sans  pitié  -  (s.  54).  Dans  l'œuvre  entière  de  du  Bellay, 
on  trouverait,  je  crois,  peu  de  sonnets  d'un  sentiment  plus 
délicat   que   celui-ci  : 

Seul  et  pensif  par  la  déserte  plaine 
Resvant  au  bien  qui  me  faict  doloreux, 
Les  longs  baisers  des  collombs  amoureux 
Par  leur  plaisir  firent  croître  ma  peine. 

Heureux  oiseaux,  que  vostre  vie  est  pleine 
De  grand'doulccur  !  ô  baisers  savoureux  ! 
O  moy  deux  fois  et  trois  fois  malheureux, 
Qui  n'ay  plaisir  que  d'espérance  vaine  ! 

'  Canzoniere,  s.  101,  124,  184. 

-  Dans  la  note  purement  pittoresque,  v.  le  s.  83,  «  la  ])r('mière  ries  belles 
matineuses  »,  dit  M.  Faguct  (p.  29S). 


L  '  ((    ULIVE    »  185 

Voyant  cncor'  sur  les  bords  de  mon  fleuve 

Du  sep  lascif  les  lonj^s  cnibrassenients, 

De    ujes   vieulx    niaulx  je  fy'  nouvelle  épreuve. 

Suis-je  donc  veuf  de  mes  sacrez  rameaux  ? 

O  vigne  heureuse  !  heureux  enlacements  ! 

O  bord  heureux  !  ô  bien  heureux  ormeaux  '  !     (S.  84). 

La  mythologie  ne  l'a  pas,  à  beaucoup  près,  aussi  bien 
inspiré  que  la  nature.  Pétrarque  en  avait  usé  très  rarement. 
C'était  sagesse.  Mais  on  ne  pouvait  pas  attendre  d'un  élève 
de  Dorât  la  même  discrétion.  Les  fictions  mythologiques 
gâtent  la  plupart  des  sonnets  de  V Olive.  Les  Naïades  de  la 
Loire,  les  amours  de  Vénus  et  de  Mars,  les  songes  de  la 
porte  d'ivoire,  la  légende  d'Endymion  et  de  Diane,  de  Tithon 
et  d'Aurore,  la  nymphe  Écho,  la  rose  teinte  du  sang  d'Adonis, 
le  supplice  d'Encélade  sous  l'Etna ,  de  Prométhée  sur  le 
Caucase,  la  descente  d'Orphée  aux  enfers ,  le  chant  des 
Sirènes,  Actéon  dévoré  par  ses  chiens,  Zéphire  et  Flore,  les 
Harpyes,  Jupiter  pénétrant  en  pluie  d'or  dans  la  tour  d'airain 
de  Danaé,  la  chute  d'Icare,  etc..  paraissent  tour  à  tour  dans 
les  vers  du  poète,  quelquefois  sous  la  forme  de  simples  et 
rapides  allusions,  mais  pour  y  faire  presque  toujours  un  effet 
déplorable  '\  Il  est  même  des  cas  où  le  souvenir  fabuleux  a 
tout  juste  la  clarté  d'une  énigme  :  ainsi  dans  le  s.  90,  où 
du  Bellay  résume  la  légende  d'Esculape,  et  pourquoi  ?  Pour 
en  tirer  cette  conclusion  :  nouvel  Esculape,  je  suis  la  victime 
de  celle  que  j'ai  ravie  à  l'enfer  et  que  j'ai  faite  compagne 
des  dieux  ! 

Prodigue    d'ornements    poétiques,    du    Bellay    met   à    contri- 


1  Cf.  Ovide,  Amor.  Il,  xvi,  41-42  : 

Ulnius  amal  viteni,  vilis  non  deserit  ulniiim 
Separor  a  domina  cur  ego  saepe  mea  ? 

2  S.  3,  9,  14,  10,  24,  45,  51,  59,  80,  82,  86,  87,  99,  102,  115. 


186  .loAcm.M  Di:  bellay 

bution  d'autres  choses  encore  que  la  mythologie.  Qui  voudra 
voir  comme  il  mêle  aux  passions  amoureuses  les  abstractions 
philosophiques,  lira  le  s.  64  '.  Les  arts  aussi  paient  au  poète 
leur  quote  part  ^  \ai  chasse  et  la  guerre  lui  donnent  des 
images  "  :  les  beautés  d'Olive  sont  ((  les  haims,  les  appaz, 
l'amorse.  les  traicts,  les  rez  ))  qui  l'ont  captivé  (s.  65)  ; 
quant  à  sa  loi  d'amant,  c'est  une  forteresse  qui  n'a  pas 
besoin 

De   fosse   creuse   ou  de  tour   bien   murée.       (S.  39). 

La  navigation,  dans  V Olive,  joue  de  même  un  rôle  impor- 
tant *  :  plusieurs  fois  le  poète  se  compare  au  marin  en 
détresse  dont  le  navire  est  ballotté  sur  la  mer  orageuse,  et 
qui  n'est  sauvé  du  naufrage  que  par  la  soudaine  apparition 
d'une  étoile  bienfaisante  (s.  11  et  40-  Cette  étoile,  c'est  Olive. 
Car  du  Bellay,  qui  fait  grand  usage  de  l'astrologie,  ne  laisse 
échapper  aucune  occasion  de  transformer  les  yeux  d'Olive 
en  deux  astres  resplendissants  '.  Des  yeux  qui  sont  des 
astres  !    On   sttjt   si    ce  goût  a    duré  longtemps   ". 

l*ar  ce  (jui  précède,  on  peut  voir  où  du  Bellay  puise  ses 
comparaisons  et  ses  méfapJioj'cs.  Les  principales  figures  de 
rhétorique  se  donnent  à  leur  suite  rendez-vous  dans  l'Olive. 
Cueillons-en   quel([ues-unes   au    hasard    : 

'   Allusion  aux  llit-orics  du  limée. 

■'  S.  19,  74. 

3  S.  6i).  82.  85.  —  S.  34,  39,  ofi. 

■'  S.  H,  41,  80,  98. 

5  S,  2,  il.  12.  17,  21,  27.  31,  41,  ;i8,  71,  91,  98. 

"  Vieilleville  se  plaint  déjà,  vers  1530,  de  ce  mauvais  goùl  :  a  II  ne  sullit 
pas  aux  poètes  de  tirer,  pour  les  beautés,  leurs  eonii)araisous  des  choses 
terrestres,  comme  de  lys,  roses,  œillets  et  toutes  aultres  Heurs,  semblable- 
ment  du  eoral,  albastre.  yvoire,  perles  et  aultres  pierres  de  prix  ;  mais  les 
vont  crocheter  jusques  aux  cieux,  attaquant  le  soleil  et  ses  rayons,  l'arfren- 
tine  rondeur  de  la  lune,  reslincelleiiienl  des  cstoilles  ».  Mémoires,  111,  7. 
Cité  par  Bourciez,  p.  404. 


L  '  ((    OLIVE    ))  187 

Des  allégoriei<  :  —  le  cœur  du  poète,  qu  Amour  avait  fait 
occuper  par  l'Espérance  «  et  sa  bande  blanche  »,  est  investi 
par  la  (Crainte  ((  à  la  noire  séquelle  »,  qui  le  foudroie  «  du 
canon  de   rigueur  »  (s.   56). 

Des  périphrases   :    —   Homère   est  ((   celui 

Par  qui  Achille  est  cncor'  aujourdhuy 

Contre  les  Grecz  pour  s'ainye  obstiné.  »       (S.  uo). 

Les    roses    sont    dites   ((  les   fleurs   du    sang-    amcjureux    nées  » 

(s.  45)'. 

Des  hyperboles;  :  —  Phébus  tout  honteux  cache  ses  cheveux 
quand  il  voit  ceux  d'Olive  (s.  i^).  La  Loire  se  grossit  des 
ruisseaux   de  larmes  du  poète   (s.   90). 

Des  antithèses  :  —  ((  Pasle,  dessoubz  l'arbre  pasle  étendu  » 
(s.  45).  «  L'heureux  object  qui  m'a  faict  malheureux  »  (s.  (3i). 
((  Sus,  chaulx  soupirs,  allez  à  ce  froid  cœur  »  (s.  67).  a  De 
mon  amer  la  tant  doulce  racine  »  (s.  77).  —  Plusieurs  fois, 
l'antithèse,  au  lieu  d'être  restreinte  aux  bornes  d'un  seul  vers, 
s'étend  au  sonnet  tout  entier  ■.  C'est  alors,  d'un  bout  à  Tautre, 
comme  un  cliquetis    d'idées   et   de   mots. 

On  peut  aller  très  loin  dans  cette  voie.  L'abus  des  figures, 
surtout  de  l'antithèse,  conduit  vite  au  raffinement.  La  subti- 
lité du  langage,  la  recherche  de  l'expression,  le  goût  des 
traits  brillants,  plus  ingénieux  que  naturels,  se  rencontrent 
presque  à  toutes  les  pages  de  V Olive.  11  n'est  pas  jusqu'aux 
jeux  de  mots,  si  fâcheux  déjà  chez  Pétrarque,  que  du  Bellay 
n'ait  cultivés  avec  un  plaisir  évident.  L'identification  d'Olive 
avec  l'olivier  finit  par  être  une  obsession  :  le  poète  y  revient 
jusqu'à   dix-sept   fois  '  ! 

'  Cf.  les  périphrases  pour  di'si<>ner  le  soir  et  le  matin  (s.  21),  le  printemps 
et  l'hiver  (s.  31). 

•'  S.  26,  28,  47,  93,  MO. 

3  S.  1,  4,  45.  49,  61.  62.  V>\),  72,  76,  77,  8;i,  93,  98,  103,  104,  105,  llo. 


188  JOACHLM    DU    BELLAY 

Ce  que  j'ai  cite  de  l'Olive  est  plutôt  à  son  avantage.  Le 
lecteur  aurait  du  recueil  une  idée  inexacte  et  fausse,  s'il 
croyait  qu'on  y  trouve  beaucoup  de  sonnets  pareils  à  ceux 
quïl  a  lus  plus  haut.  Pour  être  juste,  il  faut  donner  un 
échantillon  du  mauvais  goût  qui  s'}'  rencontre.  Ecoutez  ce 
sonnet  : 

Je   ne   croy   point,    veu   le  dueil   que  je   meine 
Pour  Tapre   ardeur   d'une  flamme   subtile. 
Que  mon   œil  feust  en   larmes  si   fertile, 
Si   n'eusse   au   chef  d'eau   vive   une   fonteine. 

Larmes   ne    sont,    qu'avecq'  si   large   vene 
Hors   de   mes   yeux    maintenant  je  distile    : 
Tout   pleur  seroit   à   finir   inutile 
Mon   dueil,    qui    n'est   qu'au   meillieu    de   sa   i)cine. 

L'humeur  vitale   en   soy   toute   réduite 
Devant   mon   feu  craintive   prent  la   fuyte 
Par  le    sentier    qui    meine   droict   aux    yeux. 

C'est   cete   ardeur,    dont    mon   ame    ravie 

Fuyra   bien    tost  la   lumière   des   cieux, 

Tirant  à   soy   et    ma   peine   et   ma  vie.  (S.  25). 

Admirez,  je  vous  prie,  cet  œil  fertile  en  larmes,  cette  fon- 
taine d'eau  vive  logée  dans  la  tête,  cette  humeur  vitale  du 
poète  qui  fuit  craintive  devant  son  feu,  cette  àme  qui  tire  à 
soi  sa  peine  et  sa  vie  !  Madelon  et  Cathos,  Armande  et 
Bélise,  se  fussent  pâmées  d'aise  à  la  lecture  de  ces  jolies 
choses.  Qui  donc  a  dit  que  la  préciosité  datait  du  grand 
siècle  ? 

VI 

La     perle    de    V  Olive,    c'est     le     beau     sonnet    sur     Vidée. 
M.    Bourciez  '     a    montré    tout    ce   qui    le    sépare    du   gracieux 

'   Op.  cit.,  liv.  I,  cliap.  iv,  p.  107  sqq. 


L  '   «    OLIVE    ')  189 

rondeau  de  Marot  sur  rainour  au  bon  vieux  temps.  C'est 
bien,  en  effet,  une  nouvelle  conception  de  Tamoui'  qui  s'ex- 
prime en  ces  vers  admirables.  Le  culte  du  poète  pour  Olive, 
pour  la  lenniie  en  qui  sint-arne  toute  beauté,  est  vraiment 
autre  chose  qu'une  passion  terrestî'e  :  c'est  un  amour  tout 
idéal,  mystérieux  inspirateur  des  plus  nobles  pensers,  des 
plus  sublimes  vertus,  par  les  degrés  duquel  l'âme  s'élève 
jusqu'à  la  contemplation  du  bien  suprême.  Emprisonnée  ici- 
bas,  elle  aspire  à  sortir  du  séjour  ténébreux,  à  briser  tous 
les  liens  qui  l'attachent  à  la  terre,  pour  s'envoler  d'un  coup 
d'aile  vers  un  monde  éclatant  de  lumière,  et  pour  g-oùter, 
dans  son  éternelle  essence,  le  pur  amour  au  sein  de  la 
beauté  divine.  Ce  rêve  tout  céleste,  le  poète  le  soupire 
vaguement  en  plusieurs  endroits  de  son  œuvre  '  ;  l'expres- 
sion définitive   s'en   trouve    dans  le    sonnet   ii'i  : 

Si  nostre   vie   est   moins    qu'une  journée 
En  l'éternel,    si  l'an   qui   faict   le  tour 
Chasse   noz  jours    sans   espoir   de   retour, 
Si   périssable    est   toute   chose  née. 

Que   songes-tu,    mon  ame  emprisonnée  ? 
Pourquoy   te   plaist   l'obscur   de    nostre   jour, 
Si  pour  voler   en   un   plus   cler  séjour. 
Tu   as   au   dos   l'aele   bien   empanée  '? 

La  est  le  bien  que  tout  esprit  désire, 
La,  le  repos  ou  tout  le  monde  aspire, 
La   est   l'amour,    la,    le   plaisir   encore. 

La,    6   mon    ame,    au   plus  hault   ciel   guidée, 

Tu  y  pourras   recongnoistre   ITdée 

De   la   beauté,    qu'en   ce   monde  j'adore. 

Dans    cette    idée    de    la    beauté,    rayonnant    au    plus    haut   du 
ciel,    archétype   indestructible    de    la   femme   aimée   ici-bas,   qui 

»  S.  4G,  uS.  03,  112. 


190  JOACHIM    DU    BELLAY 

n'a  reconnu  Tespi'it  de  Platon  ?  La  théorie  platonicienne  de 
Tamour  revit  ici  tout  entière.  Héritier  d'Héroët  et  de  Seève, 
du  Bellay  la  formule  à  nouveau,  mais  avec  plus  d'éclat  que 
ses  deux  précurseurs,  sa  pensée  étant  plus  condensée,  et  par 
là   d'autant  plus   nette  et   forte. 

On  a  souvent  fait  ressortir  l'idéalisme  platonicien  contenu 
dans  V Olive  ;  mais  ce  qu'on  n'a  pas  dit,  c'est  qu'il  s'allie  aux 
doa^mes  chrétiens.  Le  s.  112  assimile  le  Prévoyant,  qui  choisit 
les  âmes  les  plus  belles  pour  s'en  faire  une  escorte  à  travers 
l'empyrée,  au  cours  de  son  voyage  dans  le  clos  des  Idées,  — 
au  Juste  qui  choisit  ses  élus.  ((  les  réanime  en  leur  première 
vie  »,  et  les  rend  presque  égaux  à  son  Fils  '.  Les  sonnets 
qui  précèdent  '  sont  vraiment  pénétrés  du  souflle  religieux.  Le 
cas  est  assez  rare  chez  les  poètes  paganisants  du  xvF  siècle 
pour  mériter  qu'on  le  signale.  Je  sais  bien  que  c'était  l'habi- 
tude, chez  les  Pétrarquistes  Italiens,  après  avoir  chanté  leurs 
amours,  de  confesser  en  quelques  sonnets  leurs  erreurs  et 
leur  repentir  '.  Pétrarque  avait  donné  l'exemple  "*  :  tous  ses 
disciples  l'avaient  suivi.  Mais  si  du  Bellay  n'a  fait  ces  sonnets 
que  par  esprit  d'imitation  et  pour  obéir  à  la  mode,  il  faut 
avouer  qu'il  s'est  surpassé  :  car  on  y  sent  plus  d'émotion 
que  dans  la  plupart  de  ses  vers  d'amour.  Ses  élévations  reli- 
gieuses, ses  amers  regrets  des  larmes  versées  pour  un  objet 
profane,  ses  élans  vers  Dieu  pour  implorer  le  pardon  qui 
efface  et  la  grâce  qui  console,  ne  manquent  ni  de  grandeur 
ni  de  poésie  '".  Les  sonnets  repentants  de  V  Olive  ne  sont  pas 
indignes  de   Pétrarque. 

'  Il  est  étrani^e  que  du  Bellay  applique  à  Dieu  le  Père  l'épithète  de 
Juste  qu'on  applique  toujours  au  Fils. 

-  S.   107-111. 

3  Ginguené,  llist.  lilt.  d'Italie.  IX,  39i-395. 

*  Canzoniere,  s.  31;'),  316,  317. 

'"  A  titre  de  euriosité,  le  lecteur  rapprochera  du  sonnet  111  de  V Olive,  sur 
le  vendredi  saint,  le  rondeau  31  de  Marot  (édit.  P.  Jannet,  H,  144). 


L  '  ((    OLIVE    »  191 

Du  Bellay,  dans  VOlice,  avait  t'ait  de  l'amour  une  religion. 
Deux  ans  plus  tard,  il  reprit  cette  idée  en  l'épurant  encore, 
et,  toujours  inspiré  par  le  platonisme,  il  composa  les  XIII 
Sonnetz  de  Vhonneste  Amour  *.  Dans  le  premier  de  ces 
sonnets,  il  indiquait  la  pensée  directrice  de  son  (ruvre  : 
Amour  l'avait  sacré  prèti'e  de  son  honneuh,  pour  cluinter 
les  hymnes  de  sa  g-loire.  Notez  ce  mot  honneuu,  en  lettres 
capitales  :  il  résume  à  lui  seul  le  sujet.  C'est  de  l'amour 
honnête  que  l'auteur  va  traiter,  de  l'amour  éthéré,  de  l'amour 
idéal.  Ces  treize  sonnets  ne  sont  qu'une  suite  du  sonnet  ii'i 
de  Y  Olive.  Ce  qui  domine  en  tous,  c'est  l'idée  platonicienne 
que  l'amour  spirituel  est  supérieur  à  l'amour  corporel,  comme 
la  beauté  de  l'esprit  est  supérieure  à  la  beauté  du  corps. 
Refaisant  le  portrait  de  sa  dame  au  moyen  des  images 
((  picturales  ))  si  fréquentes  dans  l'Olive,  ce  n'est  pas  ces 
attraits,    lui    dit-il. 

C'est  cet  esprit,  rare  présent  des  cieux, 
Dont  la  beauté  de  cent  grâces  pourveiïe 
Perce    mon   anie,   et  mon  cœur,   et   mes  yeux.         (S.  2). 

Il  n'est  parlé  que  là  des  beautés  de  la  dame.  Quant  aux 
soullrances  de  l'amant,  il  n'en  est  plus  question.  Le  pétrar- 
quisme  a  disparu  :  c'est  le  triomphe  du  platonisme  le  plus 
subtil  "'  : 

Rien  de  mortel  ma  langue  plus  ne  sonne, 

s'écrie  du  Bellay  (s.  10),  et,  dans  tous  ses  sonnets,  il  redit 
le  chaste  et  pur  désir  de  la  Beauté  céleste,  idéale   et  parfaite  '. 


'  Marty-Laveaux,  II,  60-66.  —  Ces  sonnets  ont  paru  dans  le  recueil  de 
iVy.yl,  dont  je  parlerai  plus  loin  (chap.  \). 

-  J'ai  déjà  dit  (p.  79,  n.  1)  que  pour  les  vrais  Platoniciens,  le  pur  amour 
est  exempt  de  souffrance.  V.  au  3'  liv.  de  la  Parfaicte  Amye  d'IIéroet 
(édit.  de  loi'i,  p.  08)  une  curieuse  satire  du  pélrarquisme. 

^  V.  notamment  les  s.  4,  7,  10. 


192  JOAÇHIM    DU    BELLAY 

Il  le  redit  en  général  de  la  manière  la  plus  entortillée, 
la  plus  alambiquée,  la  plus  quintessenciée  '.  Quiconque  aura 
le  courage  d'affronter  jusqu'au  bout  la  lecture  de  ces  treize 
sonnets,  ne  seï-a  pas  d'un  autre  avis  que  nous.  D'où  peut 
venir,  chez  un  auteur  le  plus  souvent  facile  et  clair,  cette 
recherche  du  prétentieux  et  de  l'obscur  ?  —  De  l'influence 
de    Pontus    de  Tyard. 

Pontus  avait  publié,  quelques  mois  après  la  première 
édition  de  YOliçe,  en  i549,  ses  Erreurs  Amoureuses.  Puis  en 
i55i,  il  en  avait  donné  la  Continuation,  en  môme  temps 
qu'une  traduction  du  traité  de  Léon  Hébrieu  sur  l'Amour  ^ 
On  sait  en  quel  galimatias,  sous  prétexte  d'échapper  au  vul- 
gaire, il  avait  exprimé  ses  conceptions  platoniciennes.  Du 
lîcllay  se  sentit  dépassé.  Dans  un  désir  d'émulation,  il  vou- 
lut montrer  qu'il  était  capable  de  faire  aussi  bien  '.  De  là 
les  Sonnetz  de  Vhonneste  Amour.  On  n'y  saurait  nier  une 
imitation   de   Pontus    de   Tyard.     Quelques    exemples    sudiront. 

Mon  cœur,    disait   du    Bellay  dans   le   s.   4' 

Boit   à  longs   traicts  Vaigre-doulce  poj'zon, 
Qui   tous    mes  sens   heureusement  enchante. 

Je   lis   chez   Pontus   de   Tyard  : 

C'est   donq  d'Amour  la  poison  aigre-douce  \ 

Au   s.   12,  du   Bellay  s'exprime   en   ces  termes  : 

La  docte  main,   dont  Minerve  eust  appris, 
Main,   dont   l'y  voire   en  cinq  perles    s'allonge... 

'  Les  s.  \,  4,  5,  9,  11,  sont  même  à  peu  près  inintelligibles. 

-  Sur  cet  ouvrage,  v.  Bourciez,  op.  cit.,  p.  120-121. 

'  Son  admiration  pour  l*.  de  Tyard  est  attestée  par  ce  passage  de  l'épitre- 
préface  de  1552  :  «  Quand  aux  œuvres  de  mon  invention,  je  ne  les  estimoi' 
dignes  de  se  montrer  au  jour,  pour  comparoistre  devant  ces  divins  espris 
ïholozains,  A7asfO/uiots,  et  autres...  »  (1,  338).  Pontus  de  Tyard  était  île 
Bissy-sur-Fley,  en  Maçonnais. 

*  Liv.  Il,  s.  2,  p.   08. 


L  '  ((    OLIVE    »  193 

Ce   qui  rappelle   étrangement   ce   quatrain   de   Tontus  : 

En  ta   prison  (bien-heureux  gan)    conserve 
La  docte  main,  la   main   blanche   et   polie  : 
Main,    qui   pourroit   endoctriner  Talie. 
Voire   venger   Aracné   de   Minerve  \ 

Les  Sonnetz  de  l'honneste  Anioar  se  terminent  (s.  i3)  par 
cette  dédicace   à  sa  dame   : 

J'appen    ce  çœu  à    Viminortalité, 

Devant  les  pieds  de  vostre  image  saincte. 

L'année  précédente  (i55i),  Tyard  avait  précisément  commencé 
sa  Continuation  des  Erreurs  Amoureuses  par  une  dédicace 
du  même  genre    : 

J'appen,    et  voiie  en   toute   humilité 

Ce,  que  je   puis   de  l'immortalité. 

Aux  sacrez  piedz  de  cette  sainte  image   '\ 

J'ajoute  que  des  expressions  comme  celles-ci  :  Je  peins  au 
tableau  de  Mémoire  votre  beauté,  —  la  céleste  Androgyne 
de  nos  cœurs,  —  l'alambic  de  vos  perfections,  —  l'esprit  de 
la  flamme  des  deux,  —  les  mains  du  Moteur  souverain,  — 
la  sphère  de  ma  vie,  —  le  centre  oii  tend  le  rond  de  m.es 
esprits,  —  etc.,  sont  tout  à  fait  dans  le  goût  de  Pontus  de 
Tyard. 

Tout  cela,  certes,  est  très  médiocre,  et  si  j'ai  cru  devoir 
y  insister,  c'est  qu'il  est  curieux  de  voir  du  Bellay  se  préci- 
piter à  la  suite  de  Pontus  de  Tyard,  s'efforcer,  au  risque  de 
gâter  ses  dons  naturels,  de  reproduire  sa  manière  amphigou- 
rique  et  prétentieuse,    et  cela,   par  horreur    du    vulgaire,   pour 

*  Liv.  II,  s.  31,  p.  94. 

-  P.  7  de  l'édit.  Marty-Laveaux.  —  Le  s.  2  de  du  Bellay  n'est  qu'une 
réduction  du  Chant  à  son  Leut  inséré  par  Pontus  p.  34  de  sa  Continuation 
(Marty-Laveaux,  p.  1^6-127).  —  Ce  vers  du  s.  12  :  Le  tout-divin  de  vostre 
Pasithée,  est  une  allusion  à  P.  de  Tyard,  dont  Pasithée  était  la  dame. 

Univ.  de  Lille.  Tome  VllI.  A.  13. 


194  JOACHJM    DU    BELLAY 

rendre  la  |joésie  inaccessible  au  commun  des  mortels.  Rien  ne 
montre  mieux  combien  Joachim.  empêtré  dans  les  théories 
d'école,  était  à  court  de  sentiments  vrais  :  ne  sachant  que 
dire  par  lui-même,  sans  idées  personnelles  nettement  arrê- 
tées, il  subissait  les  influences  les  plus  contraires  à  son 
g-énic,  jusqu'au  jour  où,  fatigué  de  ce  rôle  d'emprunt,  il  jeta 
le     mast[ue   et   se    mit   à   bafouer   l'objet    de   son    premier   culte. 


VII 


h'Oliçe,  les  Erreurs  Amoureuses,  très  goûtées  du  public 
savant,  avaient  déterminé  tout  un  courant  de  poésie  pétrar- 
quistc.  Après  Joachim  et  Pontus,  Ronsard  avait  chanté 
Cassaudre,  Baif  avait  chanté  Méline  (i552).  Et  voici  qu'une 
légion  de  poètes,  emboîtant  le  pas  à  leur  tour,  célébrait  à 
l'envi  des  maîtresses  imaginaires  qui  se  présentaient  invaria- 
blement comme  des  types  achevés  de  beauté,  des  modèles 
accomplis  de  vertu.  La  Sainte  de  Guillaume  des  Autelz,  la 
Castianire  d'Olivier  de  Magny,  l'Admirée  de  Jacques  Tahureau, 
la  Diane  d'Etienne  Jodelle,  la  Glaire  de  Louis  le  Gai'on, 
l'Olympe  de  Jacques  Grévin,  l'Amalthée  de  Claude  de  Buttet, 
combien  d'autres  encore  !  étaient  à  tour  de  rôle  la  femme 
unique  (pii  réunit  en  elle  toutes  les  perfections.  C'était  par 
la  France  une  marée  montante  de  sonnets,  un  débordement 
inouï   de    pétrarquisme '. 

Du  liellay  ne  tarda  pas  à  comprendre  le  danger.  Il  était 
honnue  de  goût  ;  et  d'ailleurs  il  y  avait  en  lui,  comme  en 
Ronsard,  comme  en  Baïf,  sinon  un  fonds  gaulois,  du  moins 
je  uc  sais  quoi  de  sensuel  qui  s'accommodait  mal  de  toute 
ujièvrcrie.  Pas  plus  (pien  aniowc  il  n'avait  horreur  des  réalités, 
il    n'avait    en    littérature    le    dédain   du    mot    [)ropre   et    parfois 

'  Cf.  t^iôri,  op.  cit.,  j).  2i}î  scjcj. 


L  '  «   OLIVE    ))  195 

un  peu  cru.  Dès  i549,  ^^  publiait  contre  une  duègne,  dont  il 
avait  à  se  plaindre,  luie  diatribe  très  violente,  que  n"exi)liqne 
peut-être  pas  seul  le  désir  d'imiter  Horace  ou  Properee  '.  En 
tout  cas,  sincère  ou  non,  YAntcrotique  de  la  vieille  et  de  la 
Jeune  amie  ~  était  un  singulier  pendant  aux  cinquante  sonnets 
de  YOlive^  et  l'on  pouvait  s'iUonner  de  ti-onver  sous  la 
plume  dun  disciple  de  Pétranj^ue  des  propos  dignes  plutôt 
d'un  Marot  ou  dun  Régnier.  Il  nest  donc  pas  bien  surprenant 
que  du  Bellay,  dont  l'humeur  fut  toujours  très  mobile,  ait 
fini  par  se  dégoûter  du  pétrarquisme  intempérant  qui  sévissait 
autour  de  lui.  Reniant  son  passé,  le  panégyriste  des  amours 
idéales  écrivit  a  à  une  Dame  »,  en  i553.  une  amusante  et 
spirituelle  palinodie,  qui  compte  parmi  ses  meilleures  pièces  \ 
Rien  de  plus  piquant  que  cette  satire  de  Y  Olive  par  l'au- 
teur de  Y  Olive.  Du  Bellay  débute  par  une  profession  de  foi 
très   nettement  anti-pétrarquiste  : 

J'ay  oublié   l'art    de   Petrarquizer  '. 

Je   veulx    d'Amour   franchement   deviser. 

Sans  vous  flatter,    et   sans    me   deguizer  : 

Geulx   qui   font  tant  de   plaintes, 
X'ont   pas   le   quart   d'une  vraye    amitié, 
Et  n'ont   pas    tant  de   peine  la  moitié. 
Gomme    leurs   yeux,    pour  vous   faire   pitié. 

Jettent  de   larmes   feintes. 

Puis  il   se    moque    avec    esprit   de   tous    les    défauts   de   l'école, 
en    passant    en    revue    le    programme    du   parfait    pétrai^quiste. 

*  Horace,  Epod.  vui  et  xii  ;  Properee,  Eleg.  IV,  \ ,  Lena  Acanthis. 

-  Marty-Laveaux,  I,  169-174. 

•''  Celle  pièce  a  paru  pour  la  première  fois  dans  la  seconde  éiUtiou  du 
ReciieU  de  Poésie,  Paris,  Cavellat,  l,ï53,  p.  68-77.  Du  Bellay  l'a  reprise  et 
retouchée,  pour  la  faire  entrer  dans  les  Jeux  Rustiques  (15o8j,  sous  ce  titre 
nouveau  :  Contre  Les  Pétrarquistes.  —  Marty-Laveaux,  II.  33}-338. 

'  Brantôme  s'est  fait  le  plagiaire  impudent  de  cette  pièce  dans  un  sonnet 
à  Talard.  cdit.  Lalanne,  X,  432. 


196  JOACHIM    DU    BELLAY 

C'est  d'abord   les   fades   langueurs,   l'artifice  des   flammes  dévo- 
rantes et  des   larmes  intarissables  : 

Ce   n'est  que  feu  de   leurs   froides   chaleurs, 
Ce   n'est   qu'horreur  de  leurs   feintes   douleurs, 
Ce   n'est  encor'    de  leurs   souspirs   et   pleurs. 

Que   vents,   pluye,    et  orages  : 
Et  bref,   ce   n'est  à   ouir   leurs   chansons,  • 

De   leurs  amours,    que  flammes   et  glaçons, 
Flesches,    liens,   et  mille   autres  façons 

De   semblables   oultrages. 

Ce  sont  ensuite  les  métaphores  monotones  et  banales,  tirées  de 
la  nature  : 

De  voz  beautez.    ce   n'est  que  tout   fin   or, 
Perles,   crystal,    marbre,    et   ivoyre    encor, 
Et   tout  l'honneur  de  l'Indique   thresor, 

Fleurs,    lis,   œillets,    et   roses  : 
De   voz  doulceurs  ce   n'est  que   sucre   et  miel. 
De   voz  rigueurs  n'est   qu'aloës  et   fiel, 
De  voz   esprits,    c'est  tout    ce  que  le   ciel 

Tient  de  grâces    encloses. 

Ce    sont    encore    les    descriptions     de    la     nature    associée     au 
désespoir  des  amoureux  : 

Il  n'y  a  roc,  qui  n'entende  leur  voix  : 
Leurs  piteux  cris  ont  faict  cent  mille  fois 
Pleurer  les  monts,  les  plaines,  et  les  bois, 

Les  antres  et  fonteines  : 
Bref,  il  n'y  a  ny  solitaires  lieux, 
Ny  lieux  hantez,  voyre  mesmes  les  cieux, 
Qui  çà  et  là  ne  monstrent  à  leurs  yeux 

Limage  de  leurs  peines. 

Puis  c'est  l'emploi   douteux   des   vieilles    fables   mythologiques, 
cette    bizarre    introduction    de    Tantale    et    de    Prométhée,    de 


L  '  «    OLIVE    »  197 

l*rotée  et  (Vllercule  dans  les  choses  daniour.  C'est  enfin  le 
jargon  philosophique,  toute  la  métaphysique  idéaliste,  tout  le 
platonisme  effréné,  que  du  Bellay  lui-même  avait  tant  pratiqué  : 

Quelque  autre  encor'  la  terre   dédaignant 
Va  du  tiers  ciel  les  secrets  enseignant, 
Et  de  l'Amour,  où  il  se  va  baignant, 

Tire  une  quinte  essence  : 
Mais  quant  à  moy,  cpii  plus  terrestre  suis, 
Et  n'ayme  rien,  que  ce  qu'aymer  je  puis. 
Le  plus  subtil,  qu'en  amour  je  poursuis, 

S'appelle  jouissance. 

Le  dernier  mot  est  quelque  peu  brutal.  Mais  cette  fois  nous 
avons  la  vraie  pensée  du  poète.  Revenant  aux  idées  de 
Marot,  il  rappelle  que  ((  noz  lions  ayeulx  »  ne  concevaient 
pas  l'amour  autrement,  et  que,  pour  en  parler,  ils  n'avaient 
nul  besoin  de  Pétrarque.  Puis,  s'adressant  à  sa  dame,  il  lui 
conseille   de  profiter   de   sa  jeunesse   : 

Et  qu'ainsi  soit,  quand  les  hyvers  nuisans 
Auront  seiche  la  fleur  de  voz  beaux  ans. 
Ridé  ce  marbre,  esteinct  ces  feuz  luisans, 

Quand  vous  voirez  encore 
Ces  cheveux  d'or  en  argent  se  changer. 
De  ce  beau  sein  l'yvoire  s'allonger. 
Ces  lis  fanir,  et  de  vous  s'estranger 

Ce  beau  teinct  de  l'Aurore, 

Qui  pensez  vous,  qui  vous  aille  chercher, 
Qui  vous  adore,  ou  qui  daigne  toucher 
Ce  corps  divin,  que  vous  tenez  tant  cher  ? 

Vostre  beauté  passée 
Ressemblera  un  jardin  à  noz  yeux 
Riant  naguère  aux  hommes  et  aux  Dieux, 
Ores  faschant  de  son  regard  les  cieux, 

Et  l'humaine  pensée. 


198  JOACHIM    DU    BELLAY 

N'attendez    doiiq'  que  la  grand'  faux  du  Temps 
Moissonne  ainsi  la  fleur  de  voz  primtemps, 
Qui   rend   les    Dieux    et  les  hommes  contents  : 

Les  ans,  qui  peu  séjournent, 
Ne  laissent  rien,  que  regrets  et  souspirs, 
Et  empennez  de  noz  meilleurs  désirs, 
Avecques  eux  emportent  noz  plaisirs, 

Qui  jamais  ne  retournent. 

Tout  ce  passage  est  fort  joli  ;  mais  que  nous  voilà  donc  loin 
de  Pétrarque  !  Aux  chastes  rêves  du  chantre  de  Laure  s'est 
substituée  la  facile  et  voluptueuse  morale  de  l'amant  de 
Lydie  :   l'épicurisme  a   détrôné  l'idéalisme. 

J'allais  oublier  la  (lèche  du  Parthe.  A  la  fin  de  sa  pièce, 
((  par  un  dernier  trait  de  satire  où  s'expi'ime  mieux  que 
partout  ailleurs  son  dédain  *  »,  du  Bellay  déclare  que,  si  l'on 
y  tient,  il  pétrarquisera  tant  qu'on  voudra,  la  chose  est  aisée  : 

Si  toutefois  Pétrarque  vous  plaist  mieux. 
Je  reprendray  mon  chant  mélodieux. 
Et  voleray  jusqu'au  séjour  des  Dieux 

D'une  ade  mieux  guidée  : 
Là  dans  le  sein  de  leurs  divinitez 
Je  choisiray  cent  mille  nouveautez, 
Dont  je  peindray  voz  plus  grandes  beautez 

Sur  la  plus  belle  Idée. 

(^uon  relise  maintenant  le  sonnet  ii3  de  V Olive  :  on 
poiuM'a  mesurer  combien  fui  profond  le  revirement.  La  pièce 
de     i5.53     est     la     cinglante     parodie     du     sonnet    de     i55o  '. 


'  Fajîuct,  Seizième  siècle,  p.  303. 

-  On  rapprochera  de  la  satire  contre  les  Pétrarquislos,  outre  un  passage 
d'IIéroët  ci-dessus  mentionné  (p.  191,  n.  2),  une  pièce  de  Saint-Gelays  A  «ne 
mal  contente  {édit  Blanciiemain,  I,  196),  qui  se  rencontre  aussi  dans  les 
œuvres  de  Marot  (édit.  F.  Jannet,  II,  liS),  —  ainsi  qu'une  chanson  de  Jodelle 
(édit.  Marty-Laveaux,  II,  49). 


L  '  ((  OLIVK  n  199 

Qu'importe,  après  cela,  que  du  Bellay,  par  une  de  ces  con- 
tradictions dont  on  trouve  tant  d'exemples  dans  son  œuvre, 
ait  t'ait,  sur  la  fin  de  sa  vie,  un  retour  vers  le  pétrarquisme, 
et  qu'il  ait  de  nouveau,  dans  le  style  de  VOlwe,  conqDOsé 
des  Amours  '?  L'essentiel,  c'est  qu'il  ait,  en  présence  du  fléau 
grandissant,  dénoncé  le  péril,  essayé  de  le  conjurer,  sauvé 
par   son  intervention  le  naturel  et    le  bon  goût. 

Le  discrédit  jeté  par  du  Bellay  lui-même  sur  la  poésie 
pétrarquiste  ne  doit  pas,  cependant,  nous  rendre  injustes  pour 
\  Olive.  Certes,  l'œuvre  est  faible  et  ne  répond  guère,  il  faut 
l'avouer,  aux  magnifiques  ambitions  de  la  Deffence.  Elle  est 
tendue,  pénible,  obscure  en  maint  endroit  :  elle  sent  l'huile. 
Elle  a  surtout  ce  défaut  capital  de  manquer  de  sincérité. 
Pétrarque  avait  traduit  en  vers  émus  un  amour  véritable, 
qui  l'avait  conquis  tout  entier  et  dont  il  avait  longuement 
souft'ert.  L'amour  du  chantre  d'Olive  n'est  point  de  ces  fortes 
passions  qui  remuent  jusqu'au  fond  de  l'être  :  c'est  une 
fiction  de  l'esprit,  non  une  réalité  du  cœur.  <(  J'ai  fait  en 
ma  vie,  disait  Th.  Gautier,  quelques  vers  amoureux,  ou  du 
moins  qui  avaient  la  prétention  d'être  tels.  Je  viens  d'en 
relire  une  partie.  Le  sentiment  de  l'amour  moderne  y  manque 
absolument.  Il  n'y  est  parlé  que  de  l'or  ou  de  l'ébène  des 
cheveux,  de  la  finesse  miraculeuse  de  la  peau,  de  la  rondeur 
du  bras,  de  la  petitesse  des  pieds  et  de  la  forme  délicate  de 
la  main.  C  est  un  éclat  sans  chaleur  et  une  sonorité  sans 
vibration  '.  »  Combien  ces  paroles  seraient  plus  vraies  encore, 
appliquées  aux  sonnets  amoureux  du  poète  angevin  !  C'est 
leur    plus   grand   défaut   de   n'être   pas   vécus.     Du    Bellay   sans 


'  Marty-Laveaux,  II,  120-134.  —  Les  Amours,  qui  se  composent  de  29  son- 
nets, n'ont  paru  que  bien  après  la  mort  de  du  Bellay,  par  les  soins  d'Aubert, 
en  1569.  H  résulte  du  s.  9  qu'ils  ont  été  composés  dans  le  courant  de  1jù9. 
Rien  d'ailleurs  qui  les  distingue  essentiellement  <Je  Y  Olive. 

-  Th.  Gautier,  Mlle  de  Maiipin,  ix.  —  Cité  par  Piéri,  p.  262. 


200  JOACHIM    DU   BELLAY 

doute    le    sentait    lui-même,    lorsqu'il    disait    plus    tard    à    son 
ami    Magny  : 

Croy   moy,    Magny,    et  je   le   sçay 

Pource   que  j'en   ay   faict   l'essay, 

Mal   volontiers  chante   la   bouche 

De   l'amour  qui   au   cueur  ne  touche.  (II,  32 j). 

Mais  ce  jugement  une  fois  porté  sur  l'exacte  valeur  de 
YOlwe,  on  ne  saurait  méconnaître  son  influence  dans  l'his- 
toire générale  de  la  poésie  française.  Une  conception  toute 
nouvelle  de  la  beauté  de  la  femme  et  de  la  sainteté  de 
l'amour,  voilà  le  plus  clair  bienfait  que  nous  devions  au 
pétrarquisme  :  et  cette  conception,  inconnue  de  Marot,  qui 
faisait  de  l'amour  un  plaisir  et  de  la  femme  son  instrument 
si  du  Bellay  ne  fut  pas  le  premier  à  l'avoir,  il  l'eut  du 
moins  un  des  premiers.  C'est  trop  peu  dire  :  il  fut  le  pre- 
mier à  la  formuler  avec  précision  et  noblesse.  Sainte-Beuve  * 
a  noté  qu'on  entend  déjà  dans  V Olive  comme  un  accent  pré- 
curseur de  cette  haute  et  pure  poésie  qui  ne  s'est  pleine- 
ment révélée  que  trois  cents  ans  plus  tard  dans  les  Médita- 
tions :  ((  On  y  ressaisit,  écrit-il,  un  écho  distinct  et  non  dou- 
teux, qui  va  de  Pétrarque  à  Lamartine  '\  »  Des  tercets  du 
sonnet  sur  Vidée  : 

La  est  le  bien  que  tout  esprit  désire, 
La,  le  repos  ou  tout  le  monde  aspire, 
La  est  l'amour,  la,  le  plaisir  encore. 

La,  ô  mon  ame,  au  plus  hault  ciel  guidée. 

Tu  y  pourras  recongnoistre  l'Idée 

De  la  beauté,  qu'en  ce  monde  j "adore. 


'  On  plutôt  M.  Reinliold  Dezeimeris,  un  savant  lettré  de  Bordeaux,  qui 
fut  plus  d'une  fois  utile  à  Sainte-Beuve.  V.  Correspondance  de  Sainte-Beuve, 
édit.  C.  Lévy,  1878,  t.  I,  p.  227,  n.  2. 

-  Nouveaux  Lundis,  XIII,  325. 


L  '  ((    OLIVE   »  2.01 

il  rapproche  la  strophe  sublime  de  V Isolement  : 

Là,  je  m'enivrerais  à  la  source  où  j'aspire  ; 
Là,  je  retrouverais  et  l'espoir  et  l'amour. 
Et  ce  bien  idéal  que  toute  àme  désire, 
Et  qui  n'a  pas  de  nom  au  terrestre  séjour  '  ! 

Ce  n'est  pas  un  mince  honneur  pour  du  Bellay  d'avoir  ainsi 
donné  les  premières  notes  d'un  thème  qui  devait  résonner 
dans  toute  sa  beauté  sur   la   lyre  harmonieuse   de   Lamartine. 

*  Premières  Méditations  Poétiques,  I. 


CHAPITRE    VII 


LES  «  VERS  LYRIQUES  » 

1549 


1.  —  Les  odes  de  1549.  —  Le  rôle  de  du  Bellay  dans  l'invention 

de  l'ode. 
II.  —  Les  odes  philosophiques  et  morales. 

III.  —  Les  odes  descriptives  et  mythologiques. 

IV.  —  Les  odes  intimes  et  personnelles. 

V.  —  Valeur  des  odes.  —  Du  Bellay  rebelle  au  pindarisme. 


La  première  édition  de  Y  Olive  (i549)  était  accompagnée, 
sons  le  nom  de  Vers  Lyriques,  d'un  recueil  de  treize  odes  \ 
Après  linflnence  italienne,  c'était  la  part  de  l'influence  anti- 
que.   Le  disciple  de    Pétrarque   se  transformait    en   un  disciple 

1  Marly-Laveaux.  I,  175-206. 


Li:s    ((  vilUs  lyriques  »  203 

d'Horace  et  réalisait  pour  son  (•oin{)lc  ce  pn'ccpte  de  la 
Dejfence  :  «  Chante  nioy  ces  Odes,  incongnues  encor'  de  la 
Muse  trancoyse,  d'un  lue  bien  accordé  au  son  de  la  lyre 
greque   et   i-oniaine    ))  (p.  ii4)- 

Du  lîellay  a  contribué  par  ses  Vers  L)'ri(/ues  à  l'intro- 
duction de  l'ode  en  France,  comme  par  son  Olive  à  celle  du 
sonnet.  Mais  ici  toutefois  son  rôle  est  moins  saillant.  J'ai  dcVjà 
tenté  de  le  définir  ',  en  montrant  que  Ronsard  était  vrai- 
ment, comme  il  l'a  toujours  prétendu,  le  premier  inventeur 
de  l'ode,  dans  le  sens  très  précis,  très  spécial,  où  la  Pléiade 
entend  ce  mot  ;  qu'il  s'était  ouvert  de  son  invention  à  Pele- 
tier,  dans  une  rencontre  au  Mans,  en  i543  ;  que  Peletier  à 
son  tour,  en  i546,  l'avait  transmise  à  du  Bellay  ;  que,  si 
Peletier  et  du  Bellay,  l'un  en  154",  loutre  en  i549,  avaient 
devancé  dans  la  publication  le  véritable  initiateur,  cela  tenait 
uniquement  à  l'excès  de  prudence  de  Ronsard,  à  des  scru- 
pules d'artiste,  que  du  Bellay  jugeait  exagérés,  mais  qu'il 
n'avait  pu  réussir  à  vaincre,  —  ce  qui  même  avait  amené 
entre  les  deux  amis  une  brouille  passagère,  dont  Binet  avait, 
à  mon  sens,  dénatui^é  complètement  et  l'origine  et  la  portée. 
Si  du  Bellay  mai-cha  de  l'avant,  c'est  que  Ronsard,  toujours 
timide  et  circonspect,  n'osa  pas  se  lancer  du  premier  coup 
dans  la  mêlée.  J'ajoute  qu'il  est  heureux  pour  notre  poète 
qu'il  ait  ainsi  pris  les  devants.  Publiées  en  i549,  aloi'S  qu'il 
n'existait  rien  de  ce  genre  que  les  essais  de  Peletier,  ses 
odes  pouvaient  encore  briller  de  quelque  éclat.  Elles  auraient 
paru  bien  ternes  et  bien  pâles,  un  an  plus  tard,  après  la 
traînée  fulgurante  laissée  dans  le  ciel  poétique  par  le  passage 
du   Vendômois. 


'  Rev.  d'hist.  Utt.  de  la  France,  lij  janv.  1899,  p.  21  :  «  L'invention  de  l'Ode 
et  le  dilTérend  de  Ronsard  et  de  du  Bellay  ». 


204  JOACHIM   DU   BELLAY 


n 


Les  treize  odes  de  i549  répondent  assez  bien  à  la  con- 
ception du  genre  telle  que  l'exprime  la  Deffence  :  c'est  une 
application  honnête  et  consciencieuse,  encore  que  partielle, 
du  programme  qu'elle  formule  '.  On  peut  les  diviser  en  trois 
groupes  :  les  odes  philosophiques  et  morales,  les  odes  descrip- 
tives et  mythologiques,  les  odes  intimes  et  personnelles.  Mais 
cette  division  n'est  pas  tellement  tranchée  que  certaines  odes 
ne  puissent  à  la  rigueur  se  rattacher  à  deux  groupes  à  la 
fois. 

Rien  ne  montre  mieux  combien  est  grande  chez  du  Bellay 
l'indigence  des  idées,  que  les  odes  roulant  sur  des  thèmes 
philosophiques  et  moraux.  Incapable  de  penser  par  lui-même, 
le   poète   est   réduit  à   copier   les   pensées   des  anciens. 

Il  veut  traiter  Des  misères  et  fojHunes  humaines  (I,  178). 
Comment  s'y  prendra-t-il  ?  —  D'une  façon  très  simple.  Une  idée 
générale  :  nous  mourons  tous.  Développement  :  les  uns  sont 
tués  à  la  guerre  ;  les  autres  s'empoisonnent  ;  d'autres  se 
noient  ;  d'autres  se  poignardent  :  d'autres  meurent  en  nais- 
sant. Ornements  poétiques  :  le  fouet  de  Bellone,  les  mains 
de  la  Parque,  Mercure  psychopompe,  la  barque  de  Gharon, 
le  tribunal  de  Minos.  Et  voilà  six  strophes  sur  douze  de 
remplies  !  —   Mais  le  reste  ?  —   Encore  plus  simple.    Ecoutez  : 

Le   chemin  est  large   et  facile 
Pour  descendre  en  l'obscur  séjour. 
Pluton  tient   de   son   domicile 
La   porte   ouverte  nuyt   et  jour. 

'  V.  ci-dessus,  cliap.  iv,  §  11,  p.  131. 


LES      «    VERS    LYUIQUES    ))  205 

La  gist   l'œuvre,    la   gist   la    peine, 
Ses  pas   de   l'Orque   retirer, 
A  letroit   sentier   qui   nous   nieine 
Ou  tout   mortel   doit  aspirer. 

Le  nombre  est  petit  de  ceux  ores. 
Qui  sont  les  bien  aymez  des  Dieux, 
Et  ceux  que  la  vertu  encores 
Ardente  a  élevez  aux  cieux. 

C'est  du   Virgile,    et   traduit   mot   à  mot    : 

F'acilis  descensus  Averno  ; 
Noctes  atque  dies  patet  atri  janua  Ditis  ; 
Sed  revocare  gradum  superasque  evadere  ad  auras, 
Hoc  opus,  hic  labor  est.  Pauci  quos  aequus  amavit 
Jupiter,  aut  ardens  evexit  ad  aetliera  virtus. 
Dis  geniti,  potuere  '. 

Voilà  ce  que  du  Bellay  appelle  «  convertir  les  anciens  en 
sang  et  nourriture  )).  C'était  bien  la  peine  d'être  si  sévère 
pour  les  traducteurs  !  —  Ajoutons  maintenant  la  double 
légende  des  deux  tonneaux  de  Jupiter  et  de  la  boîte  de 
Pandore,  un  souvenir  d'Homère  renforcé  d'un  souvenir 
d'Hésiode  '^   :   le   tour  est  joué  '. 

Du  Bellay  dédie  à  Ronsard  une  ode  De  l'inconstance  des 
choses  (I,  i83).  C'est  un  sujet  de  rhétorique,  et  qu'il  traite  en 
rhétoricien.   11  pose   d'abord   l'idée   : 

Nul,  tant  qu'il  ne  meure, 
Heureux  ne  demeure  : 


1  VirgUe,  En.  VI,  126-131. 

^  Homère,  II.  XXIV,  527  sqq.  —  Hésiode,  Œuvr.  et  Jours,  94  sqq. 

3  J'engage,  le  lecteur  à  rapprocher  de  cette  pièce  le  même  sujet  traité  par 
Ronsard,  Sur  les  misères  des  hommes  (Blancliemain,  II,  132).  Cette  ode  se 
trouve  à  la  suite  de  la  i"  édit.  des  Amours,  1553,  p.  263.  (Bibl.  Nat.  —  Rés. 
pY.  125).  L'avantage  de  Ronsard  est  éclatant. 


206  JOACHIM    DU    BELLAY 

car  il  est  soumis  au  sort  inconstant.  Puis,  l'idée  posée,  il  la 
développe.  Cette  inconstance,  il  nous  la  montre  partout  dans 
la  nature  et  dans  l'histoire.  La  imit  fait  place  au  jour,  et 
l'hiver  au  printemps.  Les  âges  se  succèdent  comme  les  jours 
et  les  saisons.  La  fuite  du  temps,  les  ruines  qu'il  entasse, 
les  changements  survenus  à  la  surface  du  globe,  les  chutes 
de  cités,  les  révolutions  de  royaumes  et  d'empires,  tout  atteste 
cette  inconstance.  Conclusion  :  le  poète  s'adresse  à  Ronsard  : 
puisque  le  ciel  est  si  variable  en  ses  faveurs,  lui  dit-il  en 
substance,  tu  as  bien  fait  de  renoncer  aux  ennuis  de  la  Cour, 
])ar   ambition  d'un   nom   immortel  : 

Laisse  aux  courtizants 
Les  souciz  cuyzans   : 
Ne  soys  curieux 
Des  biens  aquei'ir, 
Ou  de  t'enquerir 
Du  secret  des  Dieux  '. 

L'ode  à  Christophe  du  Breil,  De  porter  les  misères  et  la 
calumnie  (1,  'lo'i),  est  comme  une  fusion  des  deux  précédentes. 
L'auteur,  ([ui  décidément  est  à  court  diilées,  reprend  ce  qu'il 
a  dit,  et  presque  dans  les  mêmes  termes,  sur  les  divers 
genres  de  mort  et  sur  l'inconstance  du  destin  -,  Mais  il  ajoute 
un  autre  point  :  ((  Rien,  que  vertu,  ne  domte  la  Fortune  )), 
11  répète   le   nil   adrnirari  d'Horace  : 

O    lùenheureux    ([ui    de    rien   ne   s'étonne  ! 

Bienheureux     qui    ne    craint     pas     la    colère     du    ciel   et   reste 


'  Encore  ici  rapprocher  une  ode  de  Ronsard  à  Anthoine  Cliasteigner 
(édit.  orig.,  irioO.  f"  97  v.  —  Blanchemain,  II,  ii'S). 

-  \  noter  p.  20i{  Irois  ver.s  sur  la  mort  [D'un  éi^nl  pie..,)  qui  sont  une 
pure  traduction  d'Horace  (Carm.  I,  iv,  13  i.  Pallida  Mors.    .]. 


LKS     ((    VERS    LYRIQUES    ))  2.^)1 

inaccessible  aux  rumeurs  du  dehors  1  Sur  cet  houime-là,  la 
fortune  n"a  pas  de  prise,  la  calomnie  est  impuissante.  Le  ciel 
permet  souvent  que  les  pervers  imisent  aux  bons  :  ce  n'est 
jamais  que  pour  un  temps,  et  la  justice  finit  toujours  par 
triompher. 

A  quoi  bon  insister  sur  tous  ces  lieux  communs?  Le  déve- 
loppement en  est  fastidieux.  Non  qu'ils  soient  par  eux-mêmes 
incompatibles  avec  le  lyrisme  :  mais  ils  n'offrent  d'intérêt  que 
si  l'auteur  les  associe  à  des  émotions  personnelles,  que  s'il 
sait  les  rajeunir  en  se  les  appropriant.  Tel  n'est  point  le 
cas  :  chez  du  Bellay,  ces  lieux  communs  sont  un  remplissage 
banal.  Nul  accent  personnel  :  il  est  trop  clair  que  le  poète, 
désirant  faire  une  ode  et  n'ayant  rien  à  dire,  n'a  vu  là  qu'un 
thème   à   traiter. 

L'inspiration  est  plus  heureuse  dans  l'ode  qui  célèbre  Les 
louanges  d'Amour  (I,  i8o).  Cette  jolie  pièce,  que  berce  le 
rythme  gracieux  de  YAvril  de  lielleau,  semble  un  écho  du 
beau  discours  d'Agathon  dans  le  Banquet  '.  C'est  un  hommage 
au  dieu  d'amour,  que  l'auteur  envisage  au  point  de  vue 
philosophique  comme  principe  de  toutes  choses.  Amour  est 
le  dieu  tout-puissant  dont  lé  sceptre  victorieux  subjugue  le 
ciel,  la  mer  et  la  terre  ;  c'est  lui  qui  maintient  l'harmonie 
des  éléments  ;  c'est  lui  qui  va  donnant  aux  villes  les  lois, 
la  police  et  la  paix  ;  c'est  lui  qui  fait  pousser  les  arbres, 
les  plantes  et  les  fleurs  ;  c'est  lui  qui  perpétue  les  espèces 
animales  ;   c'est   lui   qui  fait   de    la   vierge   une   femme  : 

Par  ce  petit   Dieu   puissant 

Délaissant 
Le   doulx  gyron   de   la    mère, 

'  Du  Bellay  semble  aussi  s'être  souvenu  d'Ovide,  qui  fait  de  Vénus  un 
éloge  analogue  {Fast.  IV,  91  sqq.). 


r^ 


t>-  JOACHIM    DU    BELLAY 

0 

La  vierge   i'emine   se   treuve, 

Et  fait   preuve 
De   la   flamiue   doulcearaere. 


Amour  est  tout   bon  et   beau. 

Son   llambeau 
N'enilaïunie  les   vicieux  : 
Juste    est,    et   de   simple    foy. 

C'est    pourquoy 
11   est   tout  nu   et   sans   yeux. 


Et  du  lîellay  termine  par  un  acte  d'adoration  à  cet  auteur 
de  toute  vie,  qui  donne  aux  rois  leurs  victoires,  aux  poètes 
leurs  lauriers,  aux  dames  leurs  beautés  '.  Dans  cet  hymne  à 
l'Amour,  il  a  mis  quelque  chose  qui  manque  à  beaucoup  de 
ses  odes,  une   grâce   légère  et  délicate. 


m 


Horace  a  le  secret  d'enfermer  une  idée  morale  dans  une 
odelette  descriptive,  et  d'associer  aux  réflexions  philosophiques 
un  frais  tableau  de  la  nature,  un  paysage  aux  tons  variés, 
que  traversent  d'un  pas  rapide  les  vivantes  divinités  de  l'an- 
tique mythologie.  C'est  le  cadre  quil  préfère  pour  donner  les 
conseils  de  son  épicurisme,  et  pour  redire  en  jolis  vers  la 
fuite  du  temps,  l'incertitude  du  lendemain  et  la  nécessité  de 
jouir  du  présent  ^  Ce  type  de  l'ode  horatienne  a  beaucoup 
frappé  la  Pléiade,  qui  s'est  attachée  avec  une  prédilection 
évidente  à  le  reproduire.  11  n'est  donc  pas  étonnant  d'en 
retrouver  plusieurs   copies   chez  du   Bellay. 

'  Rapprocher  de  celle  ode  Ronsard,  le  Trophée  d'Amour  (Blanchemain, 
IV,  131)  et  Baif,  les  Muses  (Marly-Laveaux,  II,  77-79). 

-  V.  notainmenl  Carm.  I,  iv  ;  I,  i.\  :  II,  m  ;  IV,  vu  ;  IV,  xii  ;  Epod.  xui. 


LES      ((    VERS    LYRIQUES    )) 


209 


Co  mot  de  copies  n'a  rien  d'excessif  :  lautcur  s'inspire  de 
son  modèle  jusqu'au  plagiat.  Ainsi  l'ode  à  Dorât,  Du  retour 
du  printens  (I,  194),  n'est  qu'un  impudent  amalgame  de  deux 
odes  d'Horace,  —  l'ode  à  Sestius  et  l'ode  à  Torquatus  ',  — 
agrémenté    d'emprunts    à  d'autres   odes.    Qu'on  en  juge  : 


Or'esl  tens  que  Ion  se  couronne  ) 
De  l'iirbre  à  Venus  consacré,  j 

Ou  que  sa  leste  on  environne  ) 

Des  fleurs  qui  viennent  de  leur  gré.  -' 

Qu'on  donne  au  vent  aussi 

Cest  importun  soucy. 

Qui  tant  nous  fait  la  guerre  : 

Que  Ion  voyse  sautant, 

Que  Ion  voyse  hnrtant 

D'un  pié  libre  la  terre. 

V'oicy,  déjà  l'Eté  qui  tonne 

Chasse  le  peu  durable  Ver, 

L'Eté  le  fructueux  Autonne, 

L'Autonne  le  frilleux  Hyver  ; 
Mais  les  lunes  volaiges 
Ces  célestes  dommaiges 
Reparent,  et  nous  hommes. 
Quand  descendons  aux  lieux 
De  noz  ancestres  vieux, 
Urabre  et  poudre  nous  sommes.    | 

Pourquoy  doncq'  avons-nous  envie 
Du  soing  qui  les  cœurs  ronge  et  tend 
Le  terme  bref  de  notre  vie  | 

Long  espoir  nous  délient.  / 

Ce  que  les  Destinées 
Nous  donnent  de  journées. 
Estimons  que  c'est  gaing. 
Que  scais-lu  si  les  Dieux 
Ottroyronl  à  tes  yeux 
De  voir  un  lendemain  ? 


Nunc  decel  aul  viridi  nitidum  caput  nnpedire  myrto, 

A  ut  flore  terrae  quem  ferunt  soiutae. 

(I,  IV,  y- 10). 


iSunc  pede  libei'o 
Pulsauda  tellus. 


(1,   XXXVII,   1-i). 


Ver  proterit  aestas 
Interitura,  simul 
Poniifer  autumnus  fruges  efl'udei'it,  et  n\ox 

Bruma  recurrit  iners. 
Damna  tamen  celeres  reparant  coelestia  lunae  : 

Nos,  ubi  decidimus 
Quo  pius  Aeneas,  quo  dives  TuUus  et  Ancus, 
Pulvis  et  umbra  siimiis. 

(IV,  VII,  0-1(5). 


V'itac  sunima  bievis  spem  nos  vetat  inchoare  loiigam. 

(I,  IV,  lo). 

Quem  fors  dierum  cumque  dabil,  iucro 
Appone. 

(I,  IX,  li-l,ï). 

Quis  scit  an  adjiciant  hodiernae  ciastina  suinmae 
Tempora  Di  superi  "? 


(IV,  VII,  i7-lS). 


J'en  dirai  presque  autant  de  l'ode  à  Bergier,  Du  premier 
Jour  de  l'an  (I,  190),  imitée  en  partie  de  l'ode  à  Thaliarque  '. 
Ce  n'est  plus  un  tableau  du  printemps,  c'est  une  description 
de  l'hiver  que  l'auteur  nous  présente,  mais  pour  aboutir  aux 
mêmes  pensées  :  chassons  le  souci  qui  dévore,  ne  songeons 
à    demain    dont    seuls    les    Dieux    disposent,     aimons,    buvons, 

'   Garni.  I,  iv  et  IV,  vu. 
-  Carm.  I,  ix. 


Univ.  de  Lille. 


Tome  VIII    A.   14. 


210  JOACHIM    DU    BELLAY 

vivons.    Horace    est  partout   là   dedans.   Néanmoins,    la    conclu- 
sion est  d'une  facture   assez  personnelle    : 

Je  te  souhaite  pour  t'ebatre 
Durant  ceste  morte  saison, 
Un  plaisir,  voyre  trois  ou  quatre, 
Que  donne  l'amye  maison  : 

Bon  vin  en  ton  celier, 

Beau  feu,  nuyt  sans  soucy, 

Un  amy  familier. 

Et  belle  amye  aussi, 

Qui  de  son  lue,  qui  de  sa  voix 
Endorme  souvent  tes  ennuiz. 
Qui  de  son  babil  quelquesfois 
Te  face  moins  durer  les  nuitz, 

Au  lict  follastre  autant 

Que  ces  chèvres  lascives. 

Lors  qu" elles  vont  broutant 

Sur  les  herbeuses  rives. 

Cette  moi'ale  épicurienne,  qui  consiste  à  noyer  ses  soucis 
dans  le  vin,  se  retrouve  encore  à  la  lin  de  l'ode  au  seigneur 
Rabestan,  Du  Jour  des  Bacchanales  '  (I,  192).  Mais  ici  les 
descriptions  de  la  nature  ont  fait  place  aux  fictions  de  la 
mythologie.  Toujours  aidé  d'Horace  %  du  Bellay  consacre  à 
Bacchus  un  véritable  dithyrambe  \  11  nous  dépeint  le  dieu 
s'avançant,    le   front    ceint   de    lierre,    sur    un    char    traîné   par 


'   Les  deux  derniers  vers  de  la  pièce  : 

Quelquesfois  il  faut  faire 
Le  fol  pour  son  amy, 
sont  une  Iraduction  d'IIoraee,  Garni.  II,  vu,  lin  : 

. . .  Receplo 
Dulcc  iiiilii  furere  est  aniico. 
-   Cann.  Il,  xix. 

'  Comparer  la  pièce   de  Ronsard,  Chant  de  folie  à  Bacchus  {Bocage  de 
lo.iO,  {   147  r".  —  Blanchcniain,  IL  470). 


LES      ((    VERS    LYRIQUES    ))  211 

des  tigres,  taudis  que  de  joyeux  Satyres  soutiennent  avec 
peine  Silène  cliancelaut  sur  un  âne  tardif.  Puis  il  chante  ses 
victoires  sur  Orphée,  sur  Lycur^^ue,  sur  Penthée,  sur  Uhœtos. 
Tout  ce  déploiement  de  uiytliologie  n'est  pas  exeni[)t  de  pé- 
dantisme    :    au  moins,    vu   le   sujet,    peut-il    se   justifier. 

Mais  il  nen  va  pas  toujours  de  même,  et  la  mytholog-ie, 
qui  gâte  la  plupart  des  sonnets  de  VOliçe,  ne  produit  [)as 
meilleur  ellet  dans  quelques-uns  des  Vers  Lyriques.  On  ne 
voit  pas  pourquoi,  s'adressant  A  une  dame  cruelle  et  inexo- 
rable (I,  200),  le  poète  éprouve  le  besoin,  pour  lléchir  ses 
rigueurs,  d'invoquer  la  légende  de  Diane  et  dActéon,  le 
larcin  de  Prométhée,  le  supplice  d'Encélade  sous  l'Etna. 
lnsupporta])le  et  fastidieuse  dans  cette  élégie  d'amour,  la 
mythologie  est  impertinente  dans  l'ode  A  deux  dainoyzelles 
(1,  18G).  Je  comprends  qu'il  égale  leurs  attraits  à  la  beauté 
des  Charités  et  des  Nymphes,  la  douceur  de  leui-  voix  à  la 
«  harpe  »  d'Orphée.  Mais  je  ne  comprends  pas  <]u'il  leur 
raconte  les  bonnes  fortunes  de  Jupiter,  les  galantes  aventures 
d'Europe,  de  Léda,  de  Danaé,  d'Alcmène,  de  Callisto,  d'io, 
—  pour  les  menacer  du  sort  de  ces  femmes,  si  leur  cœur 
est  rebelle   à   l'amour  : 

Fuyez   doncq'   les   façons   cruelles 
Que   Beauté   couve  soubz   ses   esles  : 
Faites  à   l'Ainour  humbles  vœutz 
Qu'à  Jupiter  ne  vous  otroye. 
Pour  croistre  (ô   bienheureuse  proye   !) 
Le  nombre   des   célestes  feux. 

Singulière     façon    de    pousser    au    mariage  ! .  .  .     Et   je    ne   dis 
rien   des   deux   strophes    finales  ! 

Le  meilleur  emploi  qu'ait  fait  du  Bellay  des  fictions  mytho- 
logiques, c'est  lorsqu'il  chante  Les  louanges  d' An/ou  (1.  175). 
Dans   ses  vers,  je  retrouve   cette    conception   de   la   nature  peu- 


^12  JOACHIM    DU    BELLAY 

plée  de  dieux,  qui  l'ait  le  charme  souverain  de  certains 
fragments  de  Ronsard.  L'auteur  s'adresse  au  dieu  de  Loire 
et   le  prie  de  jeter   ses  regards    protecteurs    sur    le    beau   pays 

angevin, 

A   qui   le   Ciel  feut  donneur 
De   toute  grâce  et  bonheur. 

Celte  terre  bénie,  Cérès,  Bacchus  l'ont  jadis  visitée.  Les 
Faunes  habitent  ses  forêts.  Les  Nymphes  s'ébattent  sur  les 
bords  de  son  lleuve.  Les  gentilles  Hamadryades,  et  Priape, 
et  Paies,  et  Flore,  et  le  pasteur  de  l'Amphryse,  y  font  volon- 
tiers leur  demeure.  —  Un  mérite  s'ajoute  encore  à  ce  vivant 
naturalisme  :  c'est  l'amour  du  coin  de  province,  le  culte  du 
pays   natal,    un    accent  de   terroir  inconnu  jusqu'alors  : 

Quand  à  moy,  tant  que  ma  lyre 
Voudra   les  chansons   élire 
Que  je   luy   commanderay, 
Mon   Anjou  je    chanteray. 

Et  le  poète  fait  le  vœu  de  reposer  un  jour,  près  de  quelque 
fontaine,  non  loin  du  lleuve  paternel.  Dans  la  fin  de  cette 
ode,  qui  contient  comme  en  germe  le  sonnet  du  petit  Lire, 
je  sens  percer  enfin  cette  source  du  vrai  lyrisme,  l'émotion 
personnelle. 


IV 


Elle  est  rare  dans  le  recueil  de  i549.  Trois  odes  cepen- 
dant  en   sont  plus  ou  moins   pénétrées. 

Dans  son  Chant  du  Désespéré  (I,  196),  le  poète  a  tenté  un 
thème   vraiment  lyrique  ',    le   désespoir  d'une  àme  qui   souffre, 


'  J'ai  «léjà  (lit  que  les  Œuvres  Poétiques  de   Peletier   (1547)  contenaient, 
elles  aussi,  un  Chant  du  Désespéré  {f"  74  r"). 


LES      ((    VERS   LYRIQUES    »  213 

qui  ne  trouve  pas  de  consolations  dans  la  nature,  et  (jui 
ne  voit  de  reuiède  à  ses  maux  que  dans  la  mort.  Malheu- 
reusement, ridée  reste  vague  :  le  poète  ne  dit  pas  la  cause 
de  cette  souffrance,  et  les  sentiments  qu'il  exprime  sont  gâtés 
la  plupart  du  temps  par  l'exagération  et  par  le  mauvais  goût. 
Du  Bellay  sera  plus  touchant  trois  ans  plus  tard,  lorsqu'il  écrira, 
sous  l'empire  de  la  douleur,   sa   Complainte  du   Désespéré. 

L'ode  Au  seigneur  Pierre  de  Ronsard  (1,  198)  est  une 
pièce  intime  qui  dénote  l'amitié  véi'itable  et  la  sincère  admi- 
ration qu'éprouvait  du  Bellay  pour  le  chef  de  la  Pléiade. 
Ronsard  l'ayant  comblé  de  louanges  dans  quelque  ode  encore 
inédite  \  du  Bellay   confus  répond  par  avance   : 

Amy,  vole  plus  hautement. 
Et  en  lieu  si  humble  n'amuse. 
Qu'à  me  louer,  ta  docte  Muse. 

A  son  tour  il  fait  de  Ronsard  l'éloge  le  plus  enthousiaste  et 
lui  prophétise,  quelque  sujet  qu'il  chante,  un  renom  immortel. 
Ce  qui  me  frappe  dans  cette  ode,  c'est  la  modestie  de  l'auteur 
en  face  de  son  ami,  modestie  peut-être  excessive,  mais  que 
je  crois  réelle  :  du  Bellay  s'est  toujours  effacé  devant  le  grand 
Ronsard,    comme   un  élève  devant   son  maître. 

Contraste  étrange  :  cet  humble  dévot  de  Ronsard  montre 
l'orgueil  le  plus  superbe  dans  son  ode  à  Bouju  ',  De  l'immor- 
talité des  poètes  (I,  120.1).  Cette  ode,  qui  clôt  les  Vers  Lyriques, 
est  le  chef-d'œuvre  du  recueil.  Le  poète  entonne  fièrement 
son  exeg'i  monumentum.  Peut-être  dira-t-on  que  c'est  bien  tôt 
chanter  victoire,    et  qu'il  est   présomptueux,   pour   ne  rien   dire 

'  II  s'agit  sans  nul  doute  de  lune  des  odes  suivantes  du  recueil  de  15î50  : 
liv.  I,  ode  9  ;  liv.  I,  ode  16  ;  liv.  III,  ode  14.  (Blanchemain,  II,  98,  117,  214). 

-  Jacques  Bouju  (lalo-1577),  Angevin,  maître  des  requêtes  de  la  reine, 
poète  latin  et  français,  ami  de  Ronsard  et  de  du  Bellay.  Sur  Bouju,  consulter 
La  Croix  du  Maine,  I,  394  ;  Scév.  de  Sainte  Marthe,  Elo g ia  (160G),  p.  116-118, 
lacobus  Biigius;  et  surtout  rinlcressante  notice  d'Em.  DupréLasale,  Paris, 
Techener,  18S3. 


214  JOACHIM    DU    BELLAY 

de  plus,  de  se  décerner  dès  les  premiers  pas  l'immortalité. 
D'accord  :  mais  il  faut  reconnaître  que  le  sujet  l'a  cette  l'ois 
bien  inspiré,  qu'il  a  traduit  en  très  beaux  vers  son  ardent 
amour  de  la  gloire,  et  qu'en  se  souvenant  d'Horace  ',  il  a 
su  rester   lui-même  : 

Cetuy    quiert   par   divers   dangers 
L'honneur  du  fer  victorieux  : 
Cetuy   la    par    flotz    étrangers 
Le   soing   de   lor   laborieux. 

Lun   aux  clameurs    du  palais  s'étudie, 

L'autre  le   vent   de   la   faveur  mandie   : 

Mais  moy,   que   les   Grâces   chérissent, 
Je   hay'    les   biens   que   l'on   adore. 
Je   hay*   les  honneurs   qui  périssent, 
Et  le  soing  qui   les   cœurs   dévore  : 

Rien   ne   me   plaist,    fors   ce   qui    peut   déplaire 

Au  jugement   du  rude   populaire. 

Les  idées  chères  à  la  Pléiade,  le  prix  inestimable  de  l'art  et 
riiorrcur  du  vulgaire  ignorant  et  grossier,  s'expriment  en  ces 
vers  avec  une  rare  énergie.  Le  poète  hardiment  se  fait  com- 
pagnon des  Dieux  et  couronne  son  front  de  laurier.  Il  entre 
vivant  dans   l'éternité  : 

Je  ne   craindray,    sortant  de  ce  beau  jour. 
L'epesse  nuyt   du   ténébreux    séjour. 

De  mourir   ne  suys  en  emoy 

Selon    la    loy  du   sort   humain. 

Car  la   meilleure   part   de   moy 

Ne   craint   point   la   fatale   main  : 
Craingne   la   Mort,   la   Fortune,   et   l'Envie, 
A    (jui    les    Dieux   n'ont   donné   qu'une   vie. 

'   Carm.  I,  i;  II,  xx  ;  III,  xxx. 


LES     U    VERS    LYRIQUES    »  215 

Arrière   tout   funèbre   chant, 
Arrière    tout   marbre   et   peinture, 
Mes   cendres   ne   vont   point  chei'chunt 
Les   vains   honneurs  de   sépulture  : 

Pour  n'estre  errant  cent   ans  à   l'environ 

Des   tristes   bords  de   l'avare  Acheron. 
Mon   nom   du  vil  Peuple   incongnu 
N'ira   soubz  terre   inhonorc  : 
Les  Seurs   du  mont   deux    fois   cornu 
M'ont  de  scpulchre  décoré, 

Qui   ne   craint  point  les   Aquilons  puissans, 

Ny  le   long  cours   des   Siècles   renaissans. 

Voilà  de  fiers  accents,  et  que  la  lyre  française  n'avait  encore 
jamais  rendus  !  Quel  Marotique  avait  trouvé,  pour  redire  son 
rêve  de  gloire,  des  vers  d'un  sentiment  si  haut,  d'un  souJlle 
si  égal,   dune   facture  si   correcte   et  si   ferme  ? 


V 


J'ai  cru  devoir  m'étendre  un  peu  sur  le  premier  recueil 
lyrique  de  du  Bellay.  Certes,  à  le  prendre  dans  son  ensemble, 
il  est  plutôt  médiocre.  L'imitation  y  tient  trop  de  place,  et 
même  la  traduction  :  procédé  littéraire  déplorable,  mais  surtout 
dans  un  genre  qui  réclame  du  poète  la  plus  grande  somme 
possible  de  personnalité.  Néanmoins,  il  serait  excessif  de 
prétendre  que  du  Bellay  s'est  mépris  de  tout  point  sur 
l'essence  du  lyrisme.  L'émotion  personnelle,  on  a  pu  s'en 
convaincre,  n'est  pas  absente  de  ses  odes  :  une  fois  au 
moins,  elle  a  fait  jaillir  de  son  âme  de  très  beaux  vers,  d'une 
grande  noblesse  de  pensées.  Mais  évidemment  c'est  l'exception. 
Presque  toujours,  du  Bellay,  qui  sait  tourner  des  strophes 
agréables    et   faciles,    manque   de  puissance   et   de  force. 


216  JOACHIM    DU    BELLAY 

Il  s'est  tenu  clans  les  sujets  moyens.  Ses  odes  n'ont  rien 
de  pindarique.  Rien  plus  latin  que  grec,  du  Bellay  préférait 
Horace  à  Pindare,  et,  s'il  admirait  le  lyrique  tliébain,  il 
n'était  nullement  soucieux   de  le   suivre  : 

Si  je  voulois  suyvre  Pindare, 

Qui  en  mille  discours  s'égare 

Devant  que  venir  à  son  poinct. 

Obscur  je  brouillerois  ceste  Ode 

De  cent  propos  :  mais  telle  mode 

De  louange  ne  me  plaict  point. 
Il  me  plaict  de  chanter  ta  gloire 

D"un  vers,  lequel  se  face  croire 

Par  sa  seule  simplicité  : 

Sans  me   distiller   la   cervelle 

Nuict   et  jour,   pour  rendre   nouvelle 

Je   ne  sçay   quelle   antiquité  : 
Tirant   d'une   longue  fable 
Un   loz   qui    n'est   véritable, 
Pour  farder   l'honneur  de   ceux 
Qui,    peincts   de   telles  louanges. 
Comme  de   plumes   estranges, 
N'ont    rien  de   louable   en   eux  '. 

Ces  vers  d'une  ode  au  prince  de  Melphe  nous  livrent  sa 
pensée  touchant  le  pindarisme.  Son  goût  très  sur  et  bien 
français  s'accommodait  mal  de  ces  complications,  comme  il 
répugnait  dans  le  fond  aux  mièvreries  du  pétrarquisme.  L'eût- 
il  voulu  d'ailleurs,  son  génie  trop  grêle  et  trop  court  n'aurait 
jamais  pu   concevoir  l'ode   à  Michel   de    L'Hospital. 

Je  ne  songe  aucunement  à  lui  en  faire  un  reproche  ;  mais 
je  ne  voudrais  pas  non  plus  qu'on  en  fil  un  reproche  à 
Ronsard.    On    a     souvent    redit    les    erreurs    où    ce     poète    est 

'    Ode  au  Prince  de  Melphe  (II,  S9). 


LES      ((    VERS    LYRIQUES    ))  217 

tombe  par  la  faute  du  pindarisiuo  :  on  oublie  peut-être  un 
peu  trop  ce  qu'il  lui  doit  d'heureux  '.  Je  cherehe  en  vain 
chez  du  Bellay  cette  g^randeur  d'inspiration  ([ui  me  frappe 
chez  son  rival,  ces  élans  vii«()ureux  et  cette  ampleur  de 
souffle  qui  mettent  Ronsard  hors  de  pair.  Je  sais  bien  qu'il 
n'a  pas  connu  le  désastre  des  chutes  profondes,  —  et  c'est 
quelque  chose  sans  doute.  Mais  il  n'a  pas  connu  non  plus 
le  secret  merveilleux  de  monter  parfois  dans  l'air  libre,  d'une 
aile    largement  éployée,    et  de  planer  sur   les   sommets. 

'  Sur  ce  point,  v.  la  thèse  de  Gandar,  p.  101-105. 


CHAPITRE    VIII 


LE  «  RECUEIL  DE  POESIE  » 

1549 


I.  —  Entrée  d'Henri  II  â  Paris  (16  juin  1549).  —  La  «  Prospho- 

nématique  ». 
II.  —  Du  Bellay  se  présente  à  Madame  Marguerite   —  Origine  du 
((  Recueil  de  Poésie  ».  —  Du  Bellay  courtisan. 

III.  -  Le  ((  Chant  triumphal  sur  le  voyage  de  Boulongne  »  et  les 

odes  officielles. 

IV.  —  Les  odes  littéraires. 

V.    -  Le  ((  Dialogue  d'un  Amoureux  et  d'Echo  ». 


La  Deffence,  V  Olive  et  les  Vers  Lyriques  avaient  paru  vers 
Pâques  i549.  Deux  mois  plus  tard,  le  i6  juin,  Henri  II  faisait 
son  entrée  solennelle  à  Paris.  Cet  événement  fut  pour  la 
Pléiade  roccasion  toute  naturelle  de  se  mettre  en  avant,  et, 
par  la  part  qu'elle  prit  à  ces  fêtes  historiques,  de  s'imposer  à 
l'attention  du    roi  de   France  et   de  sa  Cour  '.    «  Les    Parisiens, 


'  Maurice  Scève  avait  de  nièine,  Tannée  précédente,  avec  Claude  de  Taille- 
mont,  ordonné  l'entrée  d'Henri  II  à  Lyon. 


LK    «    RECUEII,    DR    POESIE    ))  219 

dit  Vieilleville,  poui"  n'estrc  vous  ingrats  envers  leur  prince 
souverain,  (iront  merveilles  de  le  bien  recevoir  ;  car  il  n'y 
avoit  place,  canton,  carrefour  ny  carroy,  qui  ne  fust  gai-ny, 
ou  dun  théâtre,  ou  d'un  arc  triomphant,  ou  d'une  pyramide, 
ou  d'un  obélisque,  ou  d'un  colosse  de  nos  anciens  roys,  ou 
dun  pegme  :  tous  élaboui'cz  de  très-excellents  et  très-ingenicux 
artifices,  où  For  et  l'azur  n'estoient  nullement  épargnez,  decoi*ez 
au  reste  de  festons  et  trophées,  illustrez  quant  et  quant  des 
très-doctes  vers  grecs  et  latins  de  ce  poëte  royal  d' Aurai,  et 
des  odes  françaises   et  chants  royaulx  du   divin   Ronsard  '.   » 

A'ieilleville  fait  erreur  quand  il  parle  d'odes  et  de  chants 
royaux  :  les  arcs  de  triomphe  élevés  dans  Paris  n'offraient  aux 
yeux  que  des  devises  grecques  et  latines  et  des  ([uatrains 
français  ".  Mais  la  Pléiade  était  peut-être  aussi  pour  quelque 
chose  dans  cet  étalage  de  décorations  allégoriques  et  mytholo- 
giques qui  partout  se  dressaient  au  milieu  des  places  et  des 
carrefours.  Peut-être  elle  en  avait  fourni  l'idée  en  même  temps 
que  les  inscriptions.  Je  croirais  volontiers  qu'elle  ne  fut  pas 
étrangère  à  cet  arc  triomphal  de  la  porte  Saint-Denis,  où  l'on 
voyait  un  Hercule  Gaulois,  tirant  par  quatre  chaînes,  qui 
sortaient  de  sa  bouche  et  s'attachaient  à  leurs  oreilles,  quatre 
personnages  symboliques,  le  Clergé,  la  Noblesse,  le  Conseil  et 
le  Peuple  ^ 

Quoi  qu'il  en  soit,  elle  jugea  que,  dans  une  fête  aussi 
mémorable,  il  était  du  devoir  des  poètes  de  faire  entendre  la 
voix  des  Muses.  Tandis  que  Ronsard  publiait  V Avant-Entrée 
du    Roy    Tres-Chrestien    à    Paris  \    du   Bellay    lit    paraître   sa 

1  Mémoires  de  Vieilleville,  liv.  111.  cliap.  20.  —  Collection  Petitot,  XXVI, 
304. 

-  V.  la  relation  de  l'entrée  d'Henri  II  à  Paris,  dans  Félibien,  Histoire  de 
la  ville  de  Paris,  t.  V,  p.  301-378  (preuves  et  pièces  justilicatives). 

'  Cf.  Deffence.  p.  162,  (in. 

*  Paris,  Gilles  Corrozet,  1549,  in-i»,  132  vers.  —  L'ouvrage  reparut  dans  le 
Bocage  de  1330,  f"  136  r°.  Plus  tard,  il  trouva  place  dans  les  Poëmes  (Blanche- 
main,  VI,  297). 


220  JOACHIM    DU    BELLAY 

Prosphonémalique  \  C'était  un  salut  de  bienvenue"  au  sou- 
verain qu'on  recevait  avec  tant  de  pompe  et  d'éclat.  L'œuvre 
est  médiocre,  comme  il  arrive  si  souvent  pour  les  poèmes 
olïiciels.  On  se  prend  à  sourire,  lorsqu'on  voit  du  Bellay  se 
mettre  en  frais  d'imagination  pour  nous  dépeindre  le  passage 
du  roi  dans  la  campagne  de  Paris  :  à  la  vue  d'Henri  II, 
Gérés  se  couronne  de  beaux  épis  dorés,  Bacchus  orne  sa 
tête  de  pampres  et  de  fleurs,  Nymphes  et  Demi-dieux  se 
retirent  sur  les  hauteurs  pour  contempler  ce  lîls  des  Dieux 
tout  à  leur  aise,  les  oiseaux  à  l'envi  le  saluent  de  leurs 
chants,  les  animaux  domestiques  et  champêtres  fixent  sur  lui 
des  regards  étonnés  :  bref,  la  nature  entière  est  ravie  en 
extase.  —  Pourtant,  quelques  détails  sont  bien  réels  et 
suffisent  à  montrer  que  du  Bellay  s'est  inspiré,  dans  une 
certaine  mesure,   du  spectacle  qu'il  avait  sous  les    yeux   : 

Qui  a  peu  veoir  les  mousches  ménagères 

Sur  le  printemps  de  leurs  manoirs  saillir. 

Faire  un  grand  bruit,  et  s'en  voler  légères. 

Puis  çà  et  là  l'honneur  des  champs  cueillir  : 

Celuy  a  veu  les  miliers,  qui   se  rendent 

Dessus  les  murs  et  portes,  qui  t'attendent.    (1,  223-224). 

L'anonyme  écrivain  d'une  antique  relation  de  l'entrée  d'Henri  11 
à  Paris  est  ici  d'accord  avec  le  poète  :  «  Les  spectateurs 
estoient  en  si  grande  multitude  aux  portes  et  fcnestres  des 
maisons,  tant  d'un  costé  que  d'aultre,  niesmes  sur  les  tuilles  et 

*  Phosphoneumatique  (sic)  au  Roy  Trescretien  Henry  II,  le  iour  de  son 
entrée  à  Paris  HJ  de  luin  1549.  Paris.  Michel  Vascosan,  1549,  in-8".  — 
L'ouvrage  reparut  dans  le  Recueil  de  Poésie  de  1549  (Marly-Laveaux,  I,  222). 

-  «  Ce  tillrc  est  pris  du  grec,  et  signilic  autant  que  salutation.  Dionys. 
Halicarnass.  a  fait  un  traicté  des  Prospiionematiqucs,  parlant  des  saluta- 
tions qu'on  fait  aux  Roy»  et  grands  seigneurs  aux  entrées  de  leurs  villes  et 
I)r()viuccs.  Il  no  fault  trouver  estrange  la  nouveauté  du  ternie,  veu  que  les 
Latins  ont  pris  des  Grecs  les  noms  de  leurs  i)ri)ësmcs,  et  que  nostre  langue 
depuis  peu  de  temps  a  desja  receu  ode,  epilhalaine,  panégyrique  et  autres.  » 
(Jean  Proust.  Brievc  exposition). 


LK.  ((    REGUKIL    UH    l'OKSlE    ))  221 

tout  au  long-  des  rues,  que  aussitost  seroicnt  noinhrécs"  les 
estoilles  du  eiel  et  les  grains  de  sable  de  la  nier,  que  l'on 
eust  pu  compter  ce  peuple  '  )).  Plus  loin,  du  Bellay  parle  du 
canon  qui  taisait  par  le  ciel  comme  un  nouveau  tonnerre , 
capable  de  troubler  Jupiter  même  dans  son  Olympe.  Nous 
savons  en  effet  qu'à  la  porte  Saint-Denis  le  roi  «  l'ut  haulte- 
ment  salué  de  trois  cents  cinquante  pièces  d'artillerye ,  tant 
grosse  que  menue  :  laquelle  iîst  un  si  merveilleux  tonnerre, 
qu'il  n'est  en  la  puissance  des  hommes  de  le  représenter^  ». 
Ailleurs  encore,  s'il  nous  peint  Seine  et  ses  trois  îllles,  Marne, 
Oise,  Yonne,  sortant  des  eaux,  les  tresses  dénouées,  pour 
chanter  en  l'honneur  du  monarque,  ne  serait-ce  point  qu'il 
s'inspire  de  certaine  décoration ,  devant  laquelle ,  suivant  la 
chronique,  «  assez  bon  espace  de  temps  arresta  Sa  Majesté  avec 
toute  sa  suitte  »  ?  Un  grand  arc  de  triomphe  représentait  la 
Gaule,  tenant  en  ses  mains  des  fleurs  et  des  fruits,  symbole 
de  sa  richesse.  Sur  les  côtés  intérieurs  de  cet  arc,  se  voyaient 
deux  carrés  de  peinture  :  l'un  d'eux  figurait  le  fleuve  de 
Seine,  couronné  de  laurier,  à  demi  couché  sur  des  roseaux 
aquatiques,  portant  d'une  main  un  aviron,  pour  montrer  qu'il 
est  navigable,  et  de  l'autre  s'accoudant  sur  une  hydrie,  d'où 
s'échappait  en  abondance  une  eau  limpide,  source  d'une  grande 
rivière  où  se  jouaient  des  nymphes  ;  le  col  de  l'urne  était  g-arni 
de  blés  et  de  raisins;  au-dessous  on  lisait  l'inscription  :  feux 
SEQVANAE  VBERTAS.  L'autre  carré  représentait  une  peinture  du 
même  genre,  la  rivière  de  Marne,  avec  cette  devise  :  grata 
MATRONAE  AMOENiTAS  '.  N'est-ce  pas  là  que  du  Bellay  aurait 
puisé  l'idée  de  ces  louanges  de  Seine  qu'il  a  mises  dans  la 
bouche  de  la   Nymphe  de   Marne  *  ? 


*  Félibien.  loc.  cit.,  p.  365. 

2  Félibien,  ibidem. 

3  Félibien,  loc.  cit.,  p.  369. 
^  Marty-Laveaux,  1,  iÈlj. 


222  JOACHLM    DU    BELLAY 


II 


Le  18  juin,  doux  jours  après  le  roi,  la  l'cine  Catherine  de 
Médicis  lit  à  son  tour  son  entrée  dans  Paris.  Les  princesses 
racconi})agnaienL  notamment  Madame  Marguerite,  sœur  du 
roi.  Pendant  un  mois  entier,  les  souverains  logèrent  aux 
Tournelles. 

Cest  alors  que  du  Bellay,  ([ui  sortait  du  Collège  de  Coqueret 
et  qui  cherchait  des  protecteurs,  pi-it  In  hardiesse,  counne  il 
le  dit  lui-même,  de  se  présenter  à  Madame  Marguerite.  Il 
noTis  a  raconté  l'accueil  qu'il  reçut  d'elle  :  «  Il  vous  pleut  de 
vostre  bénigne  grâce  me  recevoir  avecques  tel  visage,  que  je 
congneu  mes  petitz  labeurs  vous  avoir  esté  agréables  '.  »  Ce  lui 
lut  un  ])onheur.  Prompt  à  s'abattre,  il  se  plaignait  de  n'avoir 
pas  tiré  de  ses  premières  œuvres,  la  Deffence  et  VOlive,  le 
profit  qu'il  en  attendait,  et  déjà,  de  dépit,  accusant  l'infélicitc 
du  siècle ,  hostile  aux  «  bons  esprits  »,  et  le  nombre  des 
concurrents,  ((  indocte  nmltitude  »,  il  songeait  à  rentrer  sous 
sa  tente,  à  renoncer  à  tout  jamais  à  la  carrière  poétique.  Le 
bienveillant  accueil  de  la  princesse  lui  lit  reprendre  espoir. 
Elle  lui  j)rodigua  les  encouragements,  lui  parla  de  ses  œuvres 
en  femme  qui  les  avait  lues  et  qui  savait  les  apprécier, 
l'engagea  vivement  à  poursuivre  dans  cette  voie  si  glorieuse. 
Il  n'en  fallait  pas   davantage   pour   remonter  notre  poète  ^ 

Ce  fut  là  lOriginc  de  la  grande  amitié  de  l'écrivain  pour 
la  princesse ,  ou  pour  mieux  dire,  du  culte  ardent,  fidèle,  et 
presque  religieux,  qu'il  lui  voua  daus  son  cœur.  Et  ce  fut 
aussi  l'origine  de  son  troisièiue  ouvrage,   le   Recueil  de  Poésie. 

'  Épîlro  dédicatoiro  <lii  lU-viicil  de  Poésie  (I,  220). 

-  «  Cela,  Madanio,  a  depuis  si  vivement  incité  mon  couraig^e,  que  mettant 
en  arrière  ma  première  <lcliberation,  je  me  suis  remis  aux  ciioses  que  j'ay 
pensé  vous  pouvoir  donner  iiucl(]ue  plaisir»  (I,  220). 


LE    ((    RECUEIL   DE   POESIE    ))  223 

Encourage  par  Marguerite,  du  liellay  se  remit  aux  vers  avec 
plus  d'eutrain  que  jamais.  11  élabora  des  odes  nouvelles  en 
s'inspirant  des  circonstances.  A  quelques  mois  de  là,  dans  le 
courant  d'octobre,  il  présentait  son  manuscrit* à  la  princesse: 
Marguerite  l'agréait,  commandait  à  l'auteur  de  le  mettre  en 
lumière,  et  cela  sous  son  noni\  Le  Recueil  de  Poésie  vit  ainsi 
le  jour  à  la  fin  de  i549  '.  Est-il  besoin  de  dire  que  du  Bellay 
le  dédiait  à  sa  protectrice  ?  Mais  en  se  proclamant  heureux 
d'avoir  pu  ((  rencontrer  la  faveur  de  son  jugement  )),  il  laissait 
entendre  qu'il  espérait  aussi  gagner,  par  son  uioyen.  «  celui 
du  Roy  et  de  la  Royne  )).  Habilement,  une  pièce  liminaire 
à   sa  Lj're  complétait  la  pensée   du   poète  : 

Va   doncques    maintenant,    ma   Lyre  : 

Ma  Princesse   te  veult   ouir. 

Il  fault   sa  table  docte   eslire. 

Là  quelque   amy   voudra   bien   lire 

Tes  chansons,    pour   la  resjouir. 

Ta  voix    encores   basse  et  tendre 

Apren   à   hausser  des   ici. 

Et  fay   tes   chordes  si    bien  tendre 

Que  mon   grand   Roy  te   puisse  entendre, 

Et   sa  royale  epouze  aussi.  (I,  221). 

Voilà    donc    du    Bellay    devenu    poète    courtisan  !   Dans    la 


'  «  Vous  ayant  doncques  ces  derniers  Jours  fait  présent  de  ce  petit  livre, 
non  seulement  vous  l'avez  eu  aggreable. . . .  mais  encor'  vous  a  pieu  me 
commander  de  le  mettre  en  lumière,  et  soubs  vostre  nom  »  (I,  220).  —  Cette 
épitre  dédicatoire  est  datée  de  Paris,  23  oct.  1549. 

-  Recueil  de  Poésie  présenté  à  tresillustre  Princesse  Madame  Marguerite, 
Seur  Unique  du  Roy,  et  mis  en  lumière  par  le  commandement  de  madicte 
Dame.  Par  I.  D.  B.  A.  Paris,  Guiil.  Cavellat,  1549,  in-8".  Privilège  du  5  nov. 
1549. —  L'ouvrage  est  accompagné  d'un  commentaire  de  «  lan  Proust  Angevin  », 
Brieve  exposition  de  quelques  passaiges  poétiques  les  plus  difficiles  contenuz 
en  cet  œuvre.  V.  Marty-LaA-eaux,  I,  494.  —  Ce  Jean  Proust,  dont  on  ne  sait  rien 
de  plus  (cl".  La  Croix  du  Plaine,  I,  578),  était  un  ami  du  poète,  qui  lui  a  dédié 
la  2'  ode  de  ses  Vers  Lyriques  :  Des  misères  et  fortunes  humaines  (I,  178). 


224  JOACHIM    DU    BELLAY 

Deffence.  il  s'était  pourtant  assez  moqué  de  ceux  qui  n'écri- 
vaient que  pour  les  gentilshommes  et  pour  les  damoiselles, 
et  qui  mettaient  leur  ambition  à  briguer  les  faveurs  de  la 
Cour.  Et  l'occasion  se  présentant,  il  faisait  comme  eux  :  il 
reniait  ses  principes,  il  recherchait  avec  ardeur  ce  dont  il 
avait  dit  tant  de  mal,  il  prostituait  sa  Muse  chez  les  princes. 
L'austère  critique  qui  n'était  pas  loin  de  penser  en  i549  ^^^ 
la  Cour  était  le  g-rand  obstacle  aux  progrès  de  la  poésie, 
allait  écrire  en  i55o  que  la  Cour  était  la  «  seule  escoUe  ou 
voluntiers  on  apprent  à  bien  et  proprement  parler  '  ».  Dans 
l'espace  de  quelques  mois,  une  conversion  s'était  accomplie 
dans  les  idées  de  Joachim,  et  pour  l'opérer,  il  avait  suffi  d'une 
parole  de  Madame  Marguerite. 


m 


Le  Recueil  de  Poésie  ^  s'ouvrait  par  la  Prosphonématique, 
déjà  parue  au  mois  de  juin.  La  pièce  était  suivie  d'un  Chant 
trinniphal  sur  le  ooj^ag-e  de  Boulongne  (I,  228).  Au  milieu 
(lu  mois  d'août,  Henri  II  était  parti  pour  reprendre  Boulogne 
aux  Anglais,  qui  s'en  étaient  emparés  en  i544-  Après  quelques 
succès,  une  forte  tempête  ayant  détruit  son  camp,  il  avait  dû 
lever  le  siège  ((  avec  ung  indicible  regret  '  »  d'avoir  échoué 
dans  son  entreprise.  Tel  était  le  voyage  que  du  Bellay  chan- 
tait comme  un  triomphe.  Des  imprécations  contre  les  Anglais, 
des  llatteries  aux  puissants  de  la  Cour,  l'hyperbole  à  jet 
continu,  quelques  images  gracieuses  mêlées  à  maint  souvenir 
mythologique,  et,  brochant  sur  le  tout,  des  vers  entiers  traduits 

'  2*  préf.  de  YOUve  (1,  74). 

-  Marly-Laveaux,  I,  ^19-267. 

^  Mémoires  «le  Vieilievillc,  liv.  111,  cliai).  21  sijq. 


LE    «    RECUEIL    DR    POÉSIE    »  2io 

d'Horace  et  de  Yirgilu  '  :  voilà  ce  (|U(>ii  Irouvail  dans  ce 
poème  de  circonstance,  aussi  vide  d'inspiration  (juc  dépourvu 
de  véritc. 

Puis,  le  Recueil  de  Poésie  conlcuail.  couunc  1  OZ/tr,  des 
Vers  Lyriques  :  soit  seize  odes,  dont  la  moitié  consistait 
en  éloges  olliciels  ".  Du  Bellay  célébrait  tour  à  lour  la  Heine 
et  Madame  Marguerite,  les  cardinaux  de  (iuisc,  de  (]hàlillon 
et  du  Bellay,  François  I'^''  et  Henri  II,  le  seigneur  du  Bois- 
Dauphin  et  la  comtesse  de  Tonnerre.  On  ne  m'en  voudra  pas 
de  glisser  à  la  hâte  sur  cette  partie  de  l'ouvrage.  Elle  n'ajoute 
rien  à  la  gloire  de  l'auteur.  Rien  ne  montre  aussi  clairement 
que  ces  odes  laborieuses  comme  il  était  peu  fait  pour  ce 
genre  de  poésie.  Le  malheureux  se  met  l'esprit  à  la  torture 
pour  savoir  qu'inventer  et  que  dire.  11  veut  chanter  la  Reine  : 
matière  infertile  et  petite.  Il  est  réduit,  faute  de  mieux ,  à 
louer  sa  fécondité  '.  C'est  tout?  Non  :  il  loue  encore  l'exem- 
plaire tendresse  du  royal  ménage  O  le  lin  courtisan  1  II  est 
couturaier  de  ces  trouvailles  :  il  vante  la  vertu  «  chenue  )) 
d'un  cardinal  de  vingt-cinq  ans  ou  bien  l'éclatant  mérite  d'un 
très  obscur  maître  d'hôtel.  Lorsqu'il  est  trop  dans  l'embarras, 
la  mji,hologie  vient  à  son  secours.  Atlas,  Hercule,  Thésée, 
Tiphys,  Jason,  l'aident  à  chanter  le  cardinal  de  Chàtillon  et 
le  connétable  de  Montmorency.  Les  femmes  illustres  de  la 
légende  et  de  l'histoire,  Penthésilée,  Sémiramis.  Camille,  Mar- 
phise,  Bradamante,  Corinne,  Sappho,  Gornélie,  guerrières  et 
lettrées,  accourent  à  sa  voix  pour  publier  les  louanges  de  la 
comtesse  de  Tonnerre.   Ces  fastidieux  panégyriques  ont  l'impar- 

*  P.  229-230  (la  mort  pour  la  patrie,  la  vertu  qui  rend  immortel)  =  Horace 
Carm.  III,  ii,  1;M6  et  21-24  :  IV,  vin,  29-32.  —  P.  232-233  île  temple  de  Victoire) 
=  Virgile,  Géor^.  III,  début. 

-  Ces  odes  ollicielles  sont  exactement  les  otles  I,  2,  3,  6,  7,  11,  13  et  16.  — 
A  signaler  dans  l'ode  6  (p.  243)  des  souvenirs  d'Horace   (Carm.  IV,  ix,  I3-2<S). 

'  Ronsard  d'ailleurs  en  fait  autant  (Blanchemain,  II,  177  et  V,  74). 

Univ.  de  Lille.  Tome  VIll.  A.   13. 


226  JOACHIM    DU    BELLAY 

donnable  défaut  de  manquer  de  sincérité.  Tout  au  plus 
pourrait-on  mettre  à  part  l'ode  à  Madame  Marg-uerite.  où  les 
sentiments  de  l'humljle  poète  revêtent  une  horreur  religieuse 
(jui  nest  pas  sans  émotion. 


IV 


J'arrive  aux  odes  ([lù  sont  davantage  d'ordre  littéraire. 
Une  d'entre  elles,  adressée  A  Mercure  (I,  261),  n'est  qu'une 
traduction  d'Horace  '.  —  et  traduction  combien  prolixe  !  Deux 
autres,  Contre  les  cwaritieu.x  (I,  25o)  et  De  l'innocence,  et  de 
n'attenter  contre  la  magesté  divine  (I,  255),  sont  des  lieux 
comnmils  de  morale,  où  du  Bellay  pille  encore  sans  vergogne 
son  poète  lavori  ".  Nous  avons  déjà  vu  quel  système  il  applique, 
lorsqu'il  traite  un  sujet  de  ce  genre.  Ses  nouvelles  odes  ne 
se  distinguent  pas  des  anciennes,  à  cela  près  qu'elles  sont  peut- 
être  encore  un  peu  moins  personnelles.  Décidément,  pour  un 
lyrique,    du   Bellay   traduit  trop. 

Trois  autres  odes  célèbrent  les  louanges  de  trois  poètes, 
dont  le  prestige  était  alors  considérable  :  Saint-Gelays,  Caries, 
Héroët  '. 

Mellin  de  Saint-Gelays  avait  pris  à  la  Cour  la  place  de 
Marot.  Il  était  le  poète  en  vogue,  très  goûté  des  seigneurs  et 
des  dames,  très  cher  au  prince.  Ingénieux  et  spirituel,  il 
plaisait  par  ses  petits  vers,  épigrammes  et  sonnets,  cartels  et 
mascarades,     étrennes     et     chansons,      qu'il     se      gardait     bien 


'  Carm.  JII,  xi,  Ad  Mercurium. 

■  Ode  8  ■-=  Carm.  III,  xxiv,  1-16  :    III.   i,    \l-32.   —   Ode    lU   =    Cann.    IIJ, 
xxiii,  1-8  ;  1,  XXII,  1-4  :  III,  m,  1-8  ;  III,  11,  31-32  ;  1,  m,  2o-U)  ;  III,  iv,  09-80. 

•'  Dans  la  Musagnœornacliie  (1550),   du   Bellaj'   réunit  encore   leurs   trois 
noms  : 

Carie',  Heroët.  Saint  Gelais, 

Les  trois  favoriz  des  (îraces.  (I,  14o). 


LK    ((    RKCUEIL    DK    l'OKSIE    ))  '^27 

d'ailleurs  »rim|»i'iiii(M'  '.  Du  lirllay  l'avait  alla([iu'  iiaj>uèi'(',  eu 
une  phrase  de  la  Dejfence  -,  alors  que,  dans  sou  zèle  de  néo- 
phyte, il  avait  toutes  les  audaces.  Mais  depuis  il  s'était  ravisé. 
Maintenant  qu'il  voulait  se  pousser  à  la  (]our  et  qu'il  espérait 
pouvoir  réussir,  grâce  à  Madame  Marguerite,  il  voyait  les 
choses  d'un  autre  œil.  11  avait  réfléchi  qu'il  était  dangereux 
de  se  mettre  à  dos  un  rival  si  puissant,  et  (juil  était  |ilus 
politique  de  conquéi'ir  ses  bonnes  grâces.  De  là  les  Heurs  dont 
il   le   couvre  (1,  238)  : 

Mellin,    que   cherist    et   honnore 
La  court  du  Roy,  plein  de  bon  heur  : 
Mellin,  que  France  avoue  encore 
Des  Muses  le  premier  honneur..*. 

Le  sujet  de  l'ode  c[u'il  lui  dédie  est  insignifiant.  Poète  de 
Vénus,  lui  dit-il  en  substance,  je  voulais  chanter  Mars  et  les 
combats  :  mais  Phébus  m'a  représenté  que  c'était  pour  ma 
lyre  une  œuvre  trop  laborieuse,  (^ue  ceux-là  donc  l'entre- 
prennent, 

Qui  la  bonne  fortune  sentent, 
Et  l'heur  de  la  royale  main. 

Moi,  je  redirai  le  vin  et  l'amour.  —  C'est  une  invitation 
au  poète  en  faveur  à  traiter  la  matière  à  laquelle  il  renonce 
pour  lui-même.  En  des  vers  très  flatteurs,  il  lui  reproche 
amicalement  de  ne  rien  publier  et  de  condanmer  à  l'oubli  les 
précieux   labeurs   de   sa  Muse  : 


'  En  fait,  il  avait  publié  l'an  15i7  une  mince  plaquette  de  vers  (Saingelals . 
Œuvres  de  luy  tant  en  composition  que  translation,  ou  allusion  aux  Auteurs 
Grecs  et  Latins.  Lyon.  Pierre  de  Tours,  in-S"  de  79  p.)  dont  on  ne  connaît 
aujourd'hui  que  l'unique  exemplaire  qui  lit  partie  de  la  bibliothèque  du 
baron  James  de  Rothschild,  et  que  Blanchemain  a  reproduit  au  t.  I  de  son 
édition  de  Saint-Geiays  C'est  le  seul  ouvrage  que  Mellin  ait  jamais  fait 
imprimer. 

'  Deffence,  p.  115. 


228  .lOACHI.M    DU    BELLAY 

(^oiume  la  Saonc  doulce  et  lenlc 
Dedans  son  sein  non  fluctueux, 
Goule  beaucoup  moins  violente, 
Que  le  fort  Rhosne  impétueux  : 
Mellin,  tes  vers  emmielez, 
Qui  aussi  doulx  que  ton  nom  coulent, 
Au  nectar  des  Muses  meslez, 
L'honneur  de  tous  les  autres  foulent. 

Celuy  (jui  n'a  eu  favorable 
La  Muse  lente  à  son  secours, 
D'un  artifice  misérable 
Enfante  les  siens  durs  et  lours. 
Pourquoy  doncques  si  longue  nuit 
Yeulx  tu  sur  tes  labeurs  estendre, 
Opprimant  la  voix  de  ton  bruit, 
Qui  malgré  toy  se  fait  entendre? 

Ces    éloges    sont-ils    sincères?    Je    ne    sais   tro}>    :    mais    il   est 
clair  que  c'est  pour  eux  que  le    poète   a  fait  son   ode. 

Lancebit  (Parles  ',  gentilhomme  bordelais,  devait  à  ses 
talents  mondains  autant  qu'à  sa  science  le  crédit  qu'il  avait 
à  la  Cour  '.  11  (Hait  aumônier  d'Henri  II,  qui  l'avait  envoyé, 
Lan  1547,  en  mission  près  du  pape,  et  qui  s'apprêtait  à  le 
nommer  évéque  de  Riez  (i55o).  Il  se  piquait  de  poésie  '  et 
possédait  le  grec  à  fond.  C'est  sans  doute  aux  leçons  de  Dorât 


'  Sur  Laiicelot  (Parles,  cotisuller  Koiisanl,  Hymne  des  Daiinons  (Blaii- 
clu-iiiaiii,  \,\ii]  ;  Magnj',  (iayetez,  cdil  Coiirlx't,  p.  80-K2;  Dorât,  Poematia 
[V.W)),  parL  II,  p.  1.")4  ;  Micliel  de  L'ilospital,  Carmina,  cdit.  Dufey  de 
rYoïme.  p.  71.  Kll,  1S2  ;  La  Croix  du  Maine,  II,  22  ;  du  Verdier.  II,  570;  — 
et  surtout  la  notice  de  (^ollelet,  publiée  et  coniinentéc  par  Tamizey  de 
Larroque,  Collection  Méridionale,  t.  IV,  Paris,  1873. 

-  «  On  ha  veu  le  protliouotaire  Carie,  de  Bourdeaux,  desi)uys  evesque  de 
liiès,  svavant  et  «•rand  persoiinaj^e,  avoyr  emporté  la  resputation  en  son 
jeune  temps  d'csire  le  meilleur  danceur  de  gaillarde  qui  fusl  en  la  Court.  » 
(Brantôme,  édit.  Lalannc,  III,  134). 

'  Epistre  contenant  le  procès  criminel  laid  a  lenconlre  de  la  royne 
Anne  Bon  liant  d'Angleterre,  par  Caries,  auniosnier  de  Monsienr  le  Dinilpkin. 
Lyon.  l!)i.'),  pet.  iii-8".  (Bi-unet,  t.  I.  eol.  1a79).  —  Caries  avait  fait  aussi  les  bla- 
sons du  (lenou,  de  lEspril  et  de  l'Honneur  dans  les  Blasons  dn  corps  féminin . 


LK    «    RECL'KIL    l)K    l'OËSIK    »  220 

que  du  Bellay  Itivail  coinm  :  car  nous  savons  qu'il  les  suivait. 
Sans  parler  dune  veision  du  roman  triléliodore  '.  il  avait 
enti-epris  de  traduire  ï Odyssée.  Du  Bellay,  qui  le  sentait  moins 
hostile  que  Saint-Gelays  aux  jeunes  écrivains,  en  raison  même 
de  ses  études,  comptait  beauc-ouj)  sur  son  appui.  —  Dans  l'ode 
qu'il  lui  consacre  (1,  25^).  il  lui  conseille  d'abandonner 
momentanément  sa  traduction  de  ï  Odyssée  pour  chanter  les 
exploits  du  roi,  le  triomphe  de  la  France  et  la  ruine  des 
Anglais.  Qui  pourrait,  mieux  que  Caries  et  sa  docte  Muse, 
venir  à  bout   d'un  tel   sujet? 

Antoine  Héroët,  l'auteur  de  la  Parfnicte  Aiiiye,  n'était  pas 
encore  évêque  de  Digne  ■.  Mais  ancien  protégé  de  Marguerite 
de  Navarre  et  parent  du  chancelier  François  Olivier,  il  jouis- 
sait d'un  prestige  que  rehaussait  encore  son  talent  de  poète. 
Du  Bellay,  qui  le  regardait  comme  un  précurseur,  rend  un 
sincère  hommage  (I,  259)  à  celui  qui,  s'élevant  au-dessus  du 
prosaïsme  marotique,  avait  su  traduire  en  beaux  vers  les  nobles 
aspirations  de   Platon  et   les  chastes    plaisirs  de    lidéal   amour  : 

Heroët  aux  vers  héroïques, 
(Sul)je<^'t  vrayment   digne  du   ciel) 
Qui   en  doulceur   passent   le    miel, 
En  gravité  les  fronts   stoïques  : 

Ta   Muse,    des  Grâces   amie, 
La   mienne  à   te  louer  semond. 
Qui  sur  le  hault  du  double  mont 
As  érigé  l'Académie. 

Si  l'on  doibt  croire   à  Pythagore. 
Qui   les    corps   fait   reanimer. 
On   peut.    Heroët,    estimer 
En   tov   celuv   revivre   encore. 


'  Celte  version,  anlérieui-e  ;i   celle  d'Amyot,  est  conservée  en  manuscrit 
à  la  Bibl.  Nat.,  fonds  français,  n"  2143. 

-  Il  le  devint  en  1552  (GalUa  ClirLstiana,  t.  111,  col.   1132,  C). 


230  JOACHIM    DU    BELLAY 

A   qui  jadis   dedans   la  bouche 
Les  abeilles  alloint  formant 
Le    miel,   lors  qu'il  estoit   dormant, 
Encor'   enfant,    dedans   sa   couche. 

Jai  iii'ardé  pour  la  fin  deux  odes  qui  sont,  de  l'avis  général, 
les  meilleures  du  recueil.  Dans  une  ode  à  Madame  Margue- 
rite, D'escrire  en  sa  langue  (I,  240),  du  Bellay  reprend  les 
idées  de  la  Deffence.  au  point  de  mettre  en  vers  quelques- 
unes  des  phrases  du  fameux  manifeste.  C'est  folie  de  vouloir 
imiter  les  anciens  en  leur  langue  :  autant  vaut  porter  de  l'eau 
à  la  mer.  du  bois  à  la  forêt  '.  Qui  pourrait  jamais  égaler 
Homère    et  Pindare,    Virgile   et   Horace  ? 

Princesse,   je  ne  veulx  point  suyvre 
Dune   telle   mer   les   dangers, 
Aimant  mieulx    entre  les   miens  vivre, 
Que    nKJurir  chez   les  estrangers. 

Mieulx  vault   que   les   siens  on  précède, 
Le  nom   d'Achille  poursuyvant, 
Que    d'astre  ailleurs  un  Diomede, 
Voire   un   Thersite  bien  souvent. 

(hicl    siècle  esteindra  ta   mémoire, 
O    Boccace  !    et   quelz   durs   hyvers 
Pourront  jamais   seicher  la  gloire, 
Pétrarque,    de    les  lauriers   verds  ? 

(^)ui    verra    la  vostre   muette, 
Dante,    et   Bcmbe  à    l'esprit  haultain  1 
Qui    i'era    lairc   la    musette 
Du   pasteur   Neapolitain  '  ? 

Comme    dans    la     Deffence,     du    Bellay    termine    en    disant    la 

'  A  remarquer  dans  ee  début  deux  souvenirs  d'Horaee  :  Carm.  IV,  11.  1-t  ; 
Sat.  f,  X,  3I-3.T. 
-  Sannazar. 


LE     ((    RECUEIL    DE    F^OËSIE    ))  231 

gloire    de    ceux    qui    n'ont    pas    craint    d'illustrer    leur    langue 
maternelle  '. 

L'autre  ode  a  pour  sujet  Les  conditions  du  vray  poëte 
(1,  aSa).  Du  Bellay  l'adresse  à  Bouju,  maître  des  requêtes  de 
la  reine.  C'est  une  heureuse  paraphrase  de  l'ode  célèbre 
d'Horace,  Qiieni  tu,  Melpomene.  semel  '.  Celui  que  la  Muse  a 
sacré  ne  suit  ni  la  faveur  des  grands  ni  la  voix  ((  conten- 
tieuse  »  du  palais  ;  il  ne  connaît  ni  l'ambition,  ni  l'avarice,  ni 
l'envie  ;  il  est  ami  de  l'amour,  ennemi  de  la  volupté  ;  il  fuit 
la   ville   et   le   vulgaire,   pour  vivre    au  sein   de   la    nature   '   : 

Les  superbes   collisées, 

Les   palaiz   ambitieux, 

Et  les  maisons   lant  prisées 

Ne  retiennent  point  ses    yeux  : 

Mais  bien   les  fontaines   vives. 
Mères   des   petits   ruisseaux, 
Autour  de  leurs   verdes  rives 
Encourtinez   d'arbrisseaux  : 

Dont  la  frescheur   qui  contente 
Les   beufz  venans  du  labeur. 
De   la   Canicule  ardente 
Ne   sentit    onques   la   peur. 

Il  tarde  le  coui's  des    ondes, 
11   donne  oreilles   aux  bois, 
Et  les   cavernes  j^rofomles 
Fait  rechanter  soubs  sa  voix  : 


'  Rapprocher  de  cette  ode  le  dernier  chapitre  de  la  Deffence,  p.  153-iril. 
-  Carm.  IV,  m. 

^  Sainte-Beuve    {Nouveaux    Lundis,  XIII.    "i'il)    rapproche    de    cette    ode 
l'élégie  de  Chénier  : 

O  Muses,  accourez,  solitaires  divines.... 

Edit.  Becq  de  Fouquières,  p.  155. 


232  JOACHIM    DU    BELLAY 

Voix    que   ne   feront   point   taire 
Les   siècles   s'entresuivans  : 
Voix,    qui   les    hommes   peult   faire 
A    eulx  mesmes   survivans. 

C'est  im  beau  portrait  de  l'élu  des  Muses,  et  l'on  ne  peut 
que  l'admirer  :  mais  n'est-ce  pas  une  ironie  de  le  rencontrer 
dans  \\n  recueil  fait  pour  la  Cour  ?  Était-il  bien  séant  au 
poète  de  parler  avec  ce  dédain  de  la  faveur  des  grands 
dans   un    ouvrage    qu'il    écrivait   pour   l'obtenir  ? 


V 


Le  Recueil  de  Poésie  se  terminait  par  ime  pièce  d'un 
genre  assez  bizarre,  le  Dialogue  cl  un  Amoureux  et  d'Echo 
(I.  273).    On    y    ])ouvail    lire   de    ces  jolies    choses   : 

()ui    est    raiillicMir    d(^    ces    maulx    avenuz  ? 

Venus. 
(iOiiinienI    eii    soûl    tous    mes   sens   devenuz  ? 

Nuds. 
()n'(^slois-i('    avant    qu'enti-er   en   ce    passaige  ? 

Saige. 
Et    maintenant    ([ue    sens-je   en    mon   couraige   ? 

Raige. 
Qu'(^sl-ce   ([u'aimer.    et    s'en    ])hiindre   souvent? 

Vent. 
One   suis-je   doncj'    lors   <pie    mon    cœur   en    fend  ? 

Enfant. 
Oui    est    \\\     lin    de    ]ii'ison    si    <)l)scure    ? 

Cure. 
Dy    moy,    cpielle    est    celle    poui-   (|ui   j'endure  ? 

Dure. 
SiMil-cMc    Iticii    la    (htuh'ui'    (|ui    me    poingt  ? 

Point. 


LF,    ((    KFCUKIL    UK    POKSIK    »  2.Xi 

Pasquier  ot  Tabourot  '  sont  d'accord  pour  voii'  dans  ce 
jeu  desprit  le  plus  ancien  écho  IVançais.  Mais  du  Bellay 
s'est  inspiré  très  certainement  d'un  écho  latin  du  poète 
hollandais  Jean  Second  (diah)i;ue  d'un  passant  et  d'I^cho), 
dont  j'extrais   ces    fragments  : 

VIATOR. 

Die,  oro,  poterit   quid   inipotenti 
Seros   ponere   limites  amori  ? 

ECHO. 

Mori. 

VIATOR. 

. . .   Aut  mox  abjicienda  prima  vita  est  ? 

ECHO. 

Ita   est. 

VIATOR. 

.  .  .   Adeone    amaruni    amare    est  ? 

ECHO. 

Mare   est  -. 

La  pièce  de  Joachim  est  sans  valeur  avicune,  et  je  n'en 
aurais  point  parlé,  s'il  n'était  picjuant  de  voir  l'adversaire 
des  rimes  équivoques  et  l'apôtre  de  la  grande  poésie  se 
complaire  à  ces  bagatelles,  tout  comme  un  simple  Maro- 
tique. 

'  Pasquier,  Rech.  de  la  France.  VI,  13.  et  Lettres.  VIII,  12.  —  Tabourot, 
Bigarrures,  cliap    IG. 

-  loannis  Secundi  Hagiensis  opéra,  lunic  primiim  in  lucem  édita.  Utrecht, 
1541,  pet.  in-8\  Volume  non  paginé.  (Bibl.  >iat.  —  Y»^.  9470). 


CHAPITRE    IX 


NOUVELLES   SOUFFRANCES 

1549-1552 


I.  —  Maladie  de  J.  du  Bellay. 

II.  —  Consolations  que  lui  procurent  les  lettres  et  la  poésie.  — 
La  seconde  édition  de  1'  ((  Olive  »  :  l'ode  ((  A  Salmon 
Macrin  sur  la  mort  de  sa  Gélonis  »  (1550).  —  Le  «  Tom- 
beau de  Marguerite  de  Valois ,  Royne  de  Navarre  » 
(1550-1551).  —  Jeanne  d'Albret  et  du  Bellay  :  les  u  Son- 
nets à.  la  Royne  de  Navarre  ». 

III.  —  Soucis  et  tracas  domestiques. 


I 


Le  'Surmenage  intellectuel  qut^  du  Bellay,  dans  sa  folle 
ardeur  de  jeunesse,  n'avait  point  redouté  pour  lui-même,  de 
si  fortes  (Hudes  poursuivies  sans  relâche  dans  l'espace  de 
quelques  mois,  la  production  fiévreuse,  et  coup  sur  coup,  de 
plusieurs  ouviages  importants,  n'avaient  pas  été  sans  elTet 
sur  sa  santé  toujours  cliétive  et  délicate.  Une  grave  maladie, 
à   la   suite   de   laquelle   il   ressentit   les    premières    atteintes   de 


NUUVKl,M!:s    SOUFFRANCES  2'35 

la  sui'ditt',  fui  la  c-()us6(|ii(nif(>  de  tous  ces  excès  '.  Il  l'aillit 
en  mourir  :  un  mal  allroux,  (|ui  le  privait  de  toutes  forces, 
le  tourmenta  durant  deux  ans,  le  cloua,  nous  dit-il,  sur  un 
lit  de  douleur  ■.  Nous  saisissons  un  vague  écho  de  ses  souf- 
IVances  dans  une  ode  du  Rocueil  de  Poésie,  rAi'anlretoai-  en 
France   de   Monseigneur   lîeverendiss.    Cardinal    du    Bel/a)-    : 

Alors  que  les  lièvres  cruelles 

Mes  oz  vont  ronger  de  si  près, 

Qu'ilz  n'ont  quasi  plus  de  mouëlles , 

Ja-desja  me  montroit  la  Parque 

De  Charon  la  fatale  bartfue.  (I,  249). 

Des  fièvres  intermittentes  le  minaient.  Assez  mal  en  i549 
pour  inquiéter  sérieusement  tous  ses  amis,  il  allait  mieux  eu 
i55o,  et  Uonsard,  dans  une  ode  à  Meigret,  célébrait  sa  conva- 
lescence '  : 

,  Les   dieus   n'ont   remis    en    arrière 

L'humble    soupir   de    ma    prière, 
Et   Pluton,    qui    na   point   apris 
Se  fleschir  pour   dueil  qu'homme  meine, 
N'a   pas   mis   le   mien   à    mépris, 
Rapellant   la   Parque    inhumaine 
Qui  ja   nostre    ami    tenoit   pris. 

'  Pieri-e  de  Paschal  le  dit  expressément,  dans  son  épitaphe  du  poète  :  Qui 
ciwi  in  incommodnm  valetiidinem  nimio  literariim  studio  Jamdiu  incidisset. 
ex  eaque  multos  jam  annos  surdaster  et  tandem  surdus  factus  esset... 
(Marty-Laveaux,  Appendice  de  la  Pléiade,  II,  38o). 

-  Elégie  à  Morel  : 

Continue  excipiunt  morbi,  saevique  dolores, 

Queis  prope  Lelliaeas  vidimus,  umbra,  domos 
Hoc  soliluni  eripuit  robur,  binosqae  par  annos 
Yexavit  misero  detinuitque  toro. 
^  Édit.  orig..  liv.  III,  ode  lo.  f"  90  1°.  (Blanchemain,  II,  21G).  L'ode  a  pour 
titre  :  De  la  convalescence  d'un  sien  ami.  De  même  en  looo.  C'est  seulement 
en  1560,  après  la  mort  de  son  ami,  que  Ronsard  a  nommé  du  Bellay. 


236  JOACHIM    DU    BELLAY 

Mortes   sont  les   fièvres   cruelles 

Qui   rongeoint   ses   chères   mouëlles  ; 

Son   œil  est  maintenant   pareil 

Aus   lleurs   que    trop    les   pluies   baignent, 

Envieuses   Je   leur   vermeil, 

Lesquelles   après    se   repaignent 

Aus    raions    du    nouveau   souleil. 

Sus,    Mégret,    qu'on  chante,    qu'on   sonne 
Cest    heur   que    la   santé   lui   donne. 
Qu'on   chasse   ennuis,    soucis   et   pleurs. 
Qu'on   semé   la   place  de    roses, 
Doeillés,    de   lis,   de   toutes   fleurs 
Qui   se  monstrants   au   ciel    descloses 
Le   font   mirer  en  leurs  couleurs. 

Toutefois.  Ronsard  s'était  trop  pressé.  Le  malheureux  était 
bien  loin  d'être  guéri.  La  santé  ne  devait  jamais  lui  revenir 
complètement,  et  c'est  tout  au  plus  s'il  allait  connaître  des 
moments  de  relâche  dans  le  mal  qui  le  consumait.  Dès  i55i, 
autant  (ju'on  peut  préciser  en  pareille  matière,  il  était  repris 
de  ses  fièvres,  et  dans  sa  Complainte  du  Drftesperé  ',  il 
faisait   de    lui-inènie   ce    portrait    lamentable  : 

.Mes  oz,  mes  nerfz,  et  mes  veines, 
Tesmoins   secrez   de   mes   peines. 
Et  mile  souciz  cuyzans, 
Avancent  de  ma  vieillesse 
Le  triste  hyver,  (pii  me  blesse 
Devant  l'esté  de  mes  ans. 

Comme  l'autonne  saccage 
Les  verdz  chpveux  du  boccage 
A  son  triste  advenement. 


'   L'œuvre  fait  p.nrlic  irnii  iccueil  île  I;m2,  cloiil  le  iJi-ivilèg-e  est  <lu  1"  févr. 
1551  (n.  s.  1552). 


NOUVELLKS    SOUFFRANCES  2'{7 

Ainsi   peu  à   peu   s'cllacr 

Le  ci'esjjc  honiicui'  de  ma  l'ace 

VeulVe  de  son  orncnienl. 


(Quelle   M«'d('('  ancienne 

Vnv  sa  voix  magicienne 

M'a  chansfé  si  pi'oni])temenl  ? 

Fichant  daignilles  cruelles 

Mes  entrailles,  el  moelles 

Serves  de  l'enchantement  ?  (II,  5). 

Il    n'avait    pas     trente    ans,    et     la    maladie     luvait   à   ce   point 
vieilli  ! 


Il 


Au  cours  de  ses  souffrances,  le  pauvi-e  Joacliim  troviva 
dans  les  Muses  une  consolation.  La  lectur<^  des  auteurs  de 
l'Antiquité,  le  culte  de  la  poésie,  lurent  le  remède  à  ses 
maux.  «  Qu'aurais-je  bien  pu  l'aii-e,  éci'it-il  tristement,  moi 
qui  n'avais  aucun  repos,  aucun  plaisir,  moi  ([ui  m'appar- 
tenais  à   peine  *  ?  h 

Il  donnait  à  l'étude,  aux  vers  surtout,  les  instants  de  répit 
que  lui  laissait  la  maladie  :  c'est  alors  ([uil  se  fit  connaître 
«  dans  le  cliœur  Aonien  ».  Le  mal  dont  il  était  atteint  ne 
l'empêchait  pas  de  travailler  avec  ardeur  au  Recueil  de 
Poësie  '.     L'amélioration     toute    l'elative    ([ui     se     produisit     en 

'  Elégie  à  Morel  : 

Ilic  milii  Musa  luit  ciisus  solaïueii  acerbi, 
Sola  fuit  nostris  Musa  luedela  nialis. 
ïuui  prinuini  Latios  legi  Graiosque  poetas, 
Tuni  coepi  Aonio  cognitus  esse  clioro. 
Quid  facereui,  cui  nulla  quies.  cui  nulla  voluptas, 
Qui  non  ipse  niilii  pêne  relictus  erani  ? 
-  (1  Sans  que  maladie  ou  autre  empescliemenl  ait  peu  retirer  mon  esprit 
de  ceste  non  jamais  assez  louée  eutrejjrise. . . .  »  (l,  2,2.0). 


238  JOACHIM    DU    BEF.LAY 

lôoo  dans  sa  santé  lui  poi-init  (le  prciulre  part  au  combat 
qui  se  livrait  autour  <lo  la  Beifence.  Il  lança  la  seconde 
édition  île  ï Olive,  et  pour  leniercier  Madame  Marguerite  de 
raccueil  si  gracieux  (|uil  avait  l'eçu  d'elle,  il  lui  dédia  ce 
nouveau  livre  (I,  70).  Il  déposséda  sans  scrupule  la  dame  de 
ses  pensées,  sa  maîtresse  idéale,  des  sonnets  amoureux  qui 
chantaient  sa  beauté,   afin  d'en   faire  hommage  à  la  princesse  '. 

La  seconde  édition  de  V Olive,  à  laquelle  la  préface  et  la 
Miisag'uœoinackie  donnaient  un  caractère  niar(j[ué  de  polé- 
mi(|ue,  ollrail  <[uol([ues  odes  nouvelles  ",  dont  une  au  moins 
mérite  de  retenir  quelques  moments  noire  attention  :  il  s'agit 
de  la  pièce  A  Salmon  Maerin  sur  la  morl  de  sa  Gélonis 
(I,  i53). 

Salmon  Maerin,  le  poète  latiniste  (|ui  jadis,  à  Poitiers, 
s'était  moulré  si  hienveillaul  pour  .loaehim.  alors  à  ses  débuts  ', 
venail  ilc  perdre  sa  l'emiue.  Gélonis  était  morte  d'une  pul- 
monie,  le  i4  jiiin  i55o,  à  l'âge  de  quai-ante  ans.  Maerin,  qui 
l'avait  toujours  chérie  ttmdrement.  voulut  lui  l'aire  un 
tombeau  digne  d'elle.  Suivant  l'usage  du  temps,  il  implora 
de  ses  amis  le  concours  de  leur  Muse  poui-  ])leurer  la 
(h'I'unte.  Dans  une  ode  très  loiuingeuse  qu'il  adressait  à  du 
Bellay,  il  lui  disait  naïvement  que  le  chantre  d'Olive  était 
le  seul  capable  de  i-endre  à  jamais  immortels  les  mérites  de 
Gélonis  : 

Félix    Olivae    carminibns    Inae. 
An    vate    l'elix    illa    suo    magis. 

Laui'am    seculura    liinc    Petrarchae. 
Quintiliam,    Nemesin,    Corinnam  ? 

'  Les  sonnets  de  l'Olive,  à  la  rigueur,  pouvaient  lui  convenir  :  a  Pour 
divise  elle  portoil,  dit  Bj-antômc,  un  rameau  d'oLlive  entortillé  de  deux 
serpens  enlrelassez  l'un  en  l'autre  aveq'  les  mots  :  lieriim  snplentia  ciintos.  » 
Édit.  Lalanne,  VIII,  128. 

-  Marty-Laveaux,  I,  153-168. 

^  V.  ci-dessus,  chap.  i,  §  iv,  p.  30-32. 


NOUVELLES    SOUFFRANCES  239 

Conjungeretur   his    utinain    iiu^a 
Olim    Gelonis  !    niortua    sit    licol, 
ïristenique   decedens   Macrinimi 
Liquerit   heu.    saturuinquc    vitae. 

Sic    illa    vixit    ciiin    unaiiiini    viro. 
Laudc   lit    perenni   digna    sit    evolii  : 
At  solus  argutis  valeres 

Tu   facere  id,    Joachinie,  rytluniii  '. 

Le  moyen  de  repousser  une  prière  qui  supplie  eu  ternies 
si  flatteurs  ?  Du  Bellay  s'en  sentait  d'autant  moins  le  courage 
qu'il  avait  pour  Macrin  une  aftection  véritable.  Il  s'exécuta 
iinniédiatement  '. 

Son  élégie  sur  la  moti  de  Gélonis  '  vaut  mieux  ([ue  les 
pièces  ollicielles  <pii  sont  d'usage  en  pareil  cas.  «  Certaines 
strophes,  dit  M.  Marty-Laveaux,  sont  dune  grâce  et  dune 
mélancolie  exquises  *.  »  Ce  n'est  pas  à  dire  que  l'auteur 
s'affranchisse  encore  de  tout  souvenir  érudit  :  presque  au 
début    on    trouve,     et    de    façon    assez    inattendue,    un   résumé 


'  Du  Bellay,  nalurellement,  n'a  pas  manqué  de  mettre  en  tète  de  la  2' 
édit.  de  VOlive  une  pièce  qui  lui  faisait  tant  d'honneur.  (Bibl.  Nat.  —  Rés.  Y^ 
173a).  Mais  elle  avait  déjà  paru  dans  les  Naem'ae  de  S.  Macrin  [Naeniariim 
llbri  III  de  Gelonide  Borsala  iixore  charissiina.  Paris,  Vascosan,  1550,  in-S"), 
p.  40.  —  On  la  trouvera  dans  les  Deliciae  Poetarum  Galloriim,  t.  II,  p.  363. 
-  C'est  ce  qui  ressort  d'une  pièce  à  Dorât  [Aaeniae,  p.  72),  où  Macrin  se 
plaint  que,  malgré  ses  prières,  l'érudit  n'ait  rien  composé  sur  la  mort  de 
Gélonis  : 

Tu  lugubre  negas  dulci  de  conjuge  carmen, 

Quam  vati  rapuil  mors  violenta  seni  ? 
Haud  ita  feceriint  Bellaïus  atque  Beraldus, 

Poscenti  numéros  promptus  uterque  dédit. 
Laudibus  et  caelo  vexere  Gelonida  miris, 
Ac  stellam  stellis  inseruere  novam. 
Ajoutons  que  Dorât  s'excusa  par  une  pièce   latine  (p.  97),   et  qu  il   dédom- 
magea Macrin  par  une  belle  ode  u  ad  numéros  Odes  Pindari  Olympiacae  IIII  » 
(p.  109).  —  On  trouve  p.  122  la  pièce   de   Fr.   Beraud,  dont  il  est  question 
ci-dessus. 

'  Elle  a  paru  d'aboi'd  dans  les  Naeniae,  p.  128. 
^  Notice  sur  J .  du  Bellay,  p.  xv. 


24U  .lOACUIM    DU    BELLAY 

des  Triomphes  de  Pétrarque,  et  dans  le  cours  de  l'ode,  on 
pourrait  signaler  plus  d'une  réminiscence  d'Horace.  Néanmoins 
la  pensée  est  sincère  et  l'accent  assez  ])ersonnel.  Voici  des 
vers  dont  la  simplicité  discrète  contraste  avec  le  style  allecté 
de   Y  Olive  : 

La  constance  immuable 

De  ta  douce  moitié, 

Sa  chasteté  louable. 

Son  ardente  amitié. 

O  Macriii  I  n"onl  eu  force 
Contre  la  fiere  loy. 
Qui  a  l'aict  le  divorce 
De  ta  l'emme  et  de  toy. 

La  mort  blesme  d'envie, 
En  la  venant  saisir, 
A  troublé  de  ta  vie 
Le  plus  heureux  plaisir. 

Malgré  ses  vertus,  Gclonis  est  morte  :  la  plainte  de  Macrin 
ne  saurait  «  soulever  »  son  tombeau,  la  rappeler  à  la 
luiiiière.    C'est   le   destin    : 

Il    l'aull    (jue    chacun    passe 
En   l'éternelle   nuit  : 
La   Mort   qui   nous   menasse. 
Comme    l'ombi-e    nous   suit. 

Mais  (|u'il  prt>nue  courage  :  un  .)•'"•'  viendra,  (ju'il  ira  retrou- 
A'er   sa   compagne   sous   les  myrtes   verts   des  Champs-Elysées  : 

Adoiic    ira    Ion   àme 
Sa   moitié   retrouver, 
Pour   ta    première   llàme 
Encores   éprouver. 


NOUVELF.ES   SOUFI'RANCKS  241 

L'Amour,    tu    donc»'    peine, 
T'ouvrira  le    pourpris. 
Ou    la    Mort   {^uido    et   meiiie 
Les    amoureux    espris. 

La,    sous    le    saiiu't    ombrat^e 
Des    rjyrtes   verdoyants 
S'appaisera   l'orage 
De    tes   yeux    larmoyaus. 

Dans  sa  note  païenne,  cette  conclusion  a  du  cliarme.  C'est 
d'ailleurs  le  mérite  de  cette  ode  d'être  «l'une  touche  lés'ère 
et  délicate.  Elle  en  possède  un  autre  :  ([uiconque  la  lira 
sera  surpris  d'y  découvrir  comme  un  avant-dessein  de  la 
Consolation  à  du  Périer  sur  la  mort  de  sa  fille  :  par  les 
idées,    par   les    images,    du   Bellay   devance    Malherbe. 

Notre  poète  lui  moins  heui-eux,  lorsqu'il  prit  part  au 
tombeau  de  la  reine  de  Navarre.  La  ((  Marguerite  des 
Princesses  »,  la  l'enniie  intelligente  et  bonne  <[ui  avait  tenu 
tant  de  place  sous  le  règne  de  François  I«r,  le  très  subtil 
auteur  des  poésies  mystiques  et  de  ÏHeplaméron,  s'était 
éteinte,  quelque  peu  délaissée,  le  ui  décembre  i549-  Trois 
sœurs  de  la  cour  d'Angleterre,  Anne,  Marguerite  et  Jeanne 
Seymour,  filles  du  protecteur  Edouard  Seymour  et  nièces 
d'une  des  femmes  d'Henri  VIII.  princesses  distinguées,  qui 
avaient  reçu  de  leur  précepteur.  Nicolas  Denisot  '.  une  Ibrte 
culture  classique,  consacrèrent  à  sa  gloire  une  centaine  de 
distiques    d'une    élégante    latinité    ■.     Leur    ouvrage    parut    au 

'  De  io4o  à  1549,  d'après  M.  Gabriel  Marcel,  Revue  de  Géographie,  sept. 
J8!)4,  p.  195. 

-'  De  Thon,  lib  VI,  ami.  1549  (édil.  de  Londres,  1733,  l.  I,  p.  :i09),  dit  à  pro|>os 
de  Marguerite  :  a  Décima  Musa,  et  quarta  Ciiaris  a  studiosis  omnibus,  aut 
una  IX  Musarum,  et  triuin  Cliaritura  instar  appellari  nieruit  :  versibusque 
passim  editis,  et  nummis  percussis,  his  elogiis  ornata  est  :   praecipue  vero 

Uiiiv.   de  Lille.  Tome  Y 111.   A.    l(j. 


242  JOACHIM    DU    BELLAY 

luiiiou  (1<>  i55o  '  :  il  riait  suivi  »run  certain  nombre  de  pièces 
grecques  et  latines,  parmi  lesquelles  une  très  curieuse  épître 
de  Chai'les  de  Sainte-Marthe.  Cet  ancien  ami  de  Marot  s'éton- 
nait, s'indiii^nait  que  la  France  i-estât  muette,  alors  que  trois 
jeunes  Anji^laises  chantaient  en  si  beaux  vers  les  vertus  de  la 
reine  de  Navarre.  Voilà  bientôt  six  mois  qu'elle  n'est  plus, 
disait-il  en  substance,  et  pas  un  poète  français  ne  s'est  levé 
poui'  pleurer  morte  celle  qu'on  loua  si  souvent  vivante.  Macrin 
et  Bourbon  se  taisent  cl.  comme  eux.  Saint-Gelays.  Héroët, 
Salel.    lîouju.    Pclctier.   Ronsard   et    du   Bellay  : 

Omnes  nmli   hodii'   :   recensque  scriplor 
Honsardus,  célébrât  suos  amores, 
Hcroasque  vehit  suos  ad  astra, 
Ausus  Pindarico  sonare  versu  : 
Honsardus  meus  illc,  quem  Minerva 
Sacravit  sibi   :   cui  suada  Pitho 
Dextro  Mcrcurio  ii-i-igavit   oin. 
Oui  (nolil   velil  invidus)  poêlas 
Tnter,  cons])icuus  locum  tenebit  : 
Musas  (|ui  us(]ueadeo  sacras  amavit. 
Miisac  (|U('in    us(|uradc()  >acratac  aniai'unt, 
llli   til   caruiina  gallicc  cancnli 
.\on  (iallac   modo,   set  simul  Latinae, 
Atticaei[ue  sinml  lyram  ministrent. 


a  III  sororibus  Anglis,  Anna.  Maruarila  et  laiia  Seiiiioriis,  non  minus  ob 
splendoreni  {j-eneris,  quani  ingenii  cleganliam  et  exiniiani  eruditionem  cuni 
rara  uiorum  probitate  c-onjunctain  aeterna  conimcndatione  dij-nis,  eelebrata 
est  edito  liecatondisticho  ...»  —  Les  sœurs  Seymour  ont  été  chantées  par 
Dorât  l  Hendecasyllabuni  in  très  sorores  Semorianas,  liv.  I  des  Odes  du 
recueil  de  1;J86)  et  par  Ronsard  {Odes,  II,  308). 

'  Annae.  Margarilac,  lanae,  sororurn  virginiim,  heroïdiim  Anglaruin, 
in  mortem  divae  Margaritae  Vaiesiae,  yavarrortiin  reginae,  hecatodis- 
tichon.  Accessit  Pétri  Mirarii  ad  easdcm  virgines  epistola  :  una  cuni  doc- 
toruni  nliquot  virorum  carminibvs.  Paris.  1530,  pet.  in-S".  (Bibl.  Nat.  —  Rés. 
pY'.  1237).  —  En  tète  éi)Urc  latine  de  N.  Denisot  aux  sœurs  Seymour,  datée 
(le  Paris,  1"  mai  lîioO. 


NOUVELLES    SOUFFRANCES  243 

1[)S»'   al    Mari;ari(lciM    lacet,   ir*c  ullos 
Dcruiiclae  lril)uit   porta  honores. 
Bellàius  f/uo(jiu',   (/ni  Italo  Petranliac 
Artern  siistulil  atc/ne  dignilalein. 

Ni  la  vertu  ni  la  vt-rité,  conlimiail  Sainte-Marthe,  ne  peuvent 
admettre  ce  sih^nee.  Les  poètes  français  ne  rougii'out-ils  pas 
de  voir  acconij)Ii  par  trois  jeunes  fiUes  un  dcvoii-  <[u"ils  ont 
déserté  ? 

(^uid  ais  ?  pU(h)re  niagno 

Non  perlunderis,  o  Poeta  Galle  ? 
Gujus  olliciuni  faeit  puella, 
(^uando  tu  oUiciuni  lacis  puellae  ? 

L"a[)pel  lancé  par  Sainte-Marthe  ne  resta  pas  inentendu. 
L'occasion  était  ti'op  helle,  tout  en  faisant  assaut  de  poésie, 
de  faire  aussi  sa  cour  au  roi  1  Tous  ceux  qui  se  piquaient 
(le  hêtres,  Denisot  et  des  Essars,  Dorât,  s<'s  trois  disciples 
de  cœur,  du  Bellay,  Ronsard  el  Bail',  Jean  de  Morel  et  sa 
femme  Antoinette  de  Loynes,  Pierre  des  Mireurs  et  Jean- 
Pierre  de  Mesmes,  de  plus  obscurs  encore,  comme  Bouguier 
et  Tagault,  tous  se  mirent  à  l'œuvre,  et  de  cette  nuiltiple 
collaboration  sortit  en  i55i  le  Tombeau  de  Marg'iierite  de 
Valois,  Ro)'ne  de  Xavan-e  '.  On  commença  i)ai'  reproduire 
de  toutes  les  façons  les  ceni  distiques  des  sœurs  Seymour  : 
Dorât   les    mit    en   grec,    Jean-Pierre   de   Mesmes    -     <>n    italien. 


'  Le  Tombeau  de  Marguerite  de  Valoin,  Royiie  de  Navarre,  /aicl  pre- 
mièrement en  Disticques  Latins  par  les  trois  Sœurs,  Princesses  en  Antfte- 
terre.  Depuis  tradniclz  en  Grec,  Italien  et  François  par  plusieurs  des 
excellenlz  Poêles  de  la  France.  Avecr/ues  plusieurs  Odes,  Hymnes,  Can- 
tiques, Epitaphes,  sur  le  mesmc  subiect.  Paris,  looi,  pet  ia-8'.  (Bibl.  Nat.  — 
Kés.  Y'.  1633). 

-  Sui'  Jean-Pierre  de  Mesiue.s,  consulter  La  Croix  du  Maine.  I,  573  ;  du 
Vcrdier,  II,  469  ;  et  surtout  la  notice  de  Colletet,  publiée  par  Tamizey  de 
Larroque,  Paris,  Picard,  1878. 


244  JOACHIM    DL    BELLAY 

du  Bellay  cl  Haïl',  Antoinette  de  Loynes  -  et  le  «  Conte 
d'Alsinois  »,  à  ((ui  mieux  mieux,  en  firent  des  quatrains 
français.  Puis  les  élèves  de  Dorât,  d'une  ode  latine  eoni- 
posée  par  le  nuiître  %  tirèrent  cluuvui  une  version  française  *. 
Enfin,  les  disciples,  volant  de  leurs  propres  ailes,  s'aban- 
donnèrent à  leur  inspiration.  Ronsard,  poète  d'un  souffle 
puissant,  enrichit  le  recueil  d'un  hymne  triomphal  et  d'une 
ode  pastorale  '.  Baïf.  i)lus  bref,  se  contenta  d'une  épitaphe  ''. 
Quant  à  du  Bellay,  (jui  n'avait  ni  la  sécheresse  de  Baïf  ni 
rabondancc  de  llonsard,  il  écrivit,  dans  la  note  moyenne. 
Les  (leu.x  M<ir^ue?^itcs  {\\.  ^O-  Pour  répondre  au  reproche  de 
Charles    de    Sainle-Marthe,    il    y    disait  : 

Si  des  premiers  je  n'ay  pas 
Orné  le  Royal  trespas, 
Aussi  ma  Muse  est  trop  basse 
Pour  une  première  place  : 
Et  qui  sçait  si  les  derniers 
Se  feront  ])oint  les  premiers  ? 

Ces  (lei-niers  vers  étaient  ((ue](|ue  j»cu  présomptueux.  La 
pièce  des  deux  Marguerites  ne  vaut  ni  plus  ni  moins  que 
toutes  celles  du  recueil  :  elle  (>st  médiocre.  Toutefois  du 
Bellay  s'y  montrait  fort  habile,  puisqu'en  célébrant  la  sœur 
d<'  François  le^  il  trouvait  moyen  de  louer  aussi  la  sœur 
d'Henri  II.    C'était   d'un    bon  courtisan. 


•  Du  Bellay,  11,  ;il3.  -  Baïf,  V,  225. 

-  V,  La  Croix  du  Maine,  1,  55,  et  la  note  de  La  Monnoyc. 

'  Celte  ode  (Qualis  quadrigis  raptus  ab  igneis)  ligure  dans  le  recueil  de 
1586,  Odar.  lib.  I,  p.  187. 

'  Du  Bellay,  I,  160.  —  Ronsard,  11,  312  —  Baïf,  II,  365.  —  La  pièce  de 
Joacliini  avait  déjà  paru  dans  les  Naeniae  de  S.  Macrin,  p.  133,  et  dans  la 
2«  édit.  de  Y  Olive. 

*  Ronsard,  II,  313  et  IV,  115. 
«  Baïf,  II,  :i63. 


NOUVELLKS    SOUFFRANCKS  245 

Vers  la  fin  «lo  la  pièce,  un  Irès  disci'ot  éloj^e  de  la  fille 
de  Marguerite.  Jeanne  d'Albret.  indiquait  les  sentiments  du 
poète  à  rég;ard  de  la  jeune  princesse.  Jeanne,  mariée  à  vingt 
ans  (i548)  avec  Antoine  de  Bourbon,  était  alors,  par  sa  grâce 
et  par  son  es[)rit.  le  plus  bel  orneiiieiil  de  la  Cour  d'Henri  II. 
Elle  savait  les  langues,  cultivait  les  sciences,  s'exerçait  à  la 
poésie  \  C'est  à  cette  époque  (ju'il  faut  placei*  son  commerce 
de  sonnets  avec  l'auteur  de  V Olive  '.  Le  rafiinement,  la 
préciosité,  l'excès  de  Ilatterie  surtout,  gâtent  presque  tous  ces 
sonnets,  ceux  du  poète  comme  ceux  de  la  reine.  Le  poète 
loue  dans  la  reine  l'absence  de  lîerté .  qui  la  rend  acces- 
sible aux  humbles,  et  la  grandeur  de  ses  vertus  intellec- 
tuelles et  morales  ;  la  reine  loue  dans  le  poète  l'excel- 
lence de  son  génie  et  ce  don  précieux  qu'il  a  d'immortaliser 
ceux  qu'il  chante.  Et  le  tout  se  termine  par  des  sonnets  à 
Caries,  oii  du  Bellay  prie  son  ami  de  l'inspirer,  pour  mieux 
célébrer  la  reine,  proteste  de  n'avoir  rien  dit  qui  soit  contre 
la  vérité,  fait  enfin  sonner  haut  le  bonheur  qu'il  ressent  de 
ce   commerce   poétique. 


III 


C'est  par  des  œuvres  tle  ce  genre  que  du  Bellaj'^  tâchait 
d'oublier  ses  soufii'ances.  et  les  lettres  lui  procuraient  un 
réconfort  d'autant  plus  précieux  qu'aux  douleurs  de  la  maladie 


*  V.  les  Mémoires  et  Poésies  de  Jeanne  d'Albret,  publ.  par  le  baron  de 
Ruble.  Paris,  Km.  Paul,  Huard  et  Guilleniin,  1S93,  in-8°. 

-  Marly-Laveaux,  I,  295-302.  —  Ces  sonnets  n'ont  pas  été  publiés  en  1549, 
dans  le  Recueil  de  J^oësie,  comme  le  dit  Pflânzel  (p.  IS  et  45),  mais  seulement 
en  1581,  après  la  mort  de  du  Bellay.  Toutefois,  ils  doivent  dater  des 
environs  de  1550.  Ce  qui  permet  de  le  penser,  c'est  que  plusieurs  de  ces 
sonnets  comme  c'est  le  ras  pour  l'Olive,  ont  encore  la  forme  italienne,  non 
la  foruie  française  :  je  veux  dire  que  les  tercets  sont  sur  deux  rimes,  et 
non  sur  trois. 


246  JOACHIM    UU    BELLAY 

s'ajoutaient  maintenant  bien  des  soucis,  bien  des  tracas  d'une 
autre  espèce.  Il  s'était  toujours  senti  peu  de  goût  pour  les 
affaires  donoestiques.  C'est  peut-être  à  lui  qu'il  songeait, 
lorsqu'il  disait  dans  la  Deffence  qu(\  jiour  entreprendre  un 
poème  épique,  il  i'allait  être  «  non  troublé  d'afaires  domes- 
ti(jues.  iu;ds  en  icpo/  cl  ti'aiiquilitt'  d'cspi-it  »)  (p.  119).  En 
tout  cas.  la  pi'élace  de  VOlicc  contenait  cet  aveu  non  équi- 
voque :  «  ...  Me  ti'ouvant  chargé  d'alfaires  domestiques,  dont 
le  soin^-  est  assez  suffisant  pour  dégoûter  un  homme  beaucoup 
plus  studieux  que  mo)' )>  (I.  -i).  Ses  .  embarras  s'accrurent, 
lorsqu'en  lôôa.  à  la  mort  de  son  frère.  René  du  Bellay, 
gouverneur  de  Metz.  Joacbim  se  vit  confier  la  tutelle  de  son 
jeune  neveu.  Claude  du  Bellay,  seigr^eur  de  Gonnord  '.  Il 
était  alors  âgé  de  trente  ans  :  les  rêves  de  la  poésie  le  sédui- 
saient bien  auti'ement  cpie  les  charges  d'une  tutelle.  Mais 
son  frère  m  mourant  avait  l'ait  appel  à  son  dévouement  : 
bien  à  i-cgi-cl.  il  acc«>j)la  donc  le  ((  fardeau  »  de  l'enfant 
remis   à  sa  garde  '.   De  là.    des    ennuis    sans  nombre    '    :  il    hii 


'   Du  IJellay  s'est  étendu  sur  ce  point  dans  son  Elégie  à  Morel  : 
Fraterno  interilu,  nobis  cuni  firmior  aetas 

Jani  foret,  accessit  tuin  nova  cura  milii. 
Pupilli  nova  cura  fuit  subeunda  nepotis, 
Queni  lidei  frater  li(|uerat  ipse  meae. 
lîrgo  onus  invitus  subeo  puerique,  doniusque 

Accisae,  et  variis  litibus  impiicitae, 
Ouani,  velut  lonio  deprensus  navita  ponto, 

Naufrafïa  cui  puppis  sola  relicla  fuit, 
Il  polui,  rcxi  caecis  ignarus  in  undis, 

Nec  pelago  assuetus,  nec  satis  arte  valcns. 
Hic  tauien  ingeniuni  quodcunque  lidenique  prol)avi, 
Suceul)uit  tuuiidis  nec  mea  puppis  aquis. 
On  lit  dans  la  notice  de  Golletet  :  «  Quelques-uns    m'ont   dit   f|u'il   fut 
encore  tuteur  des  enfans  de  sa  sœur  mariée  au  baron  de  Lyre,  maison  du 
bas  Anjou,  mais  je  ne  sais  s'ils  ne  confondent   point  cette  seconde  tutelle 
avec  la  première,  comme  il  est  assez  vraisemblable,   puisque  notre  auteur 
n'en  parle  point,  et  qu'il  ne  désigne  expressément  que  celle  du  lils  de  son 
frère.  »  Copie  mscr.,  f"»  46  V-il  r". 

^  On  en  saisit  la  trace  dans  l'épître-préface  à  Morel  (1352),  qui    contient 
mainte  allusion  à  ces  alfaires  domestiques  (I,  33."i-.'î36). 


NOUVELLKS    SOUFFRANCES  247 

fallut  d'abord  (Mitreprendrc  un  voyage  dans  le  Maine  et 
l'Anjou  '.  voyage  pénible  au  cours  duquel,  pouf  se  déridei'.  il 
faisait   des   vers  : 

Pourtant,    Macrin.    ne    te    fasche 

Si    la   bride   ung   peu  je    lasclie 

An   soing-  qui  l'espril   nie  rompt  : 

Et   se    pour    t'aider   à   rire, 

J'ay   entrepris   de    t'escrire. 

Pour  nie  dérider  le  front.         (II.  35). 

C'était  un  voyage  d'affaires.  Renc-  du  Bellay,  semble-t-il,  avait 
laissé  derrière  lui  une  situation  des  plus  embrouillées.  Force 
procès  étaient  pendants,  et  la  maison  était  au  boi-d  de  sa 
ruine.  L'infortuné  tuteur  connut  bien  des  déboires  et  garda 
mauvais  souvenir  de  ses  démêlés  avec  la  justice.  Son 
horreur  de  Thémis  se  manifeste  en  maint  endroit.  Il  y  fait 
allusion   dans   sa    Complainte  du  Désespérée  (i552)  : 

Si   la   maison   mal   entière 

De   cent   procez   héritière. 

Telle    qu'on    la    peut    nommer 

La   gallere   desarmée. 

Qui    sans   guide   et   mal   ramée 

Vogue   par   la    haulte    mer...       (11,4)- 

Il  dit  encore  dans  une  pièce  liminaire  à  Jacques  Gohorry 
(i553)  :    Je   chanterai   ta   gloire   quelque  jour. 

Si   le   soing 
De   l'orage. 
Et  la   rage 
Des  procès 
Pleins  d'excès 

*  Ma  muse  qui  se  pourmeine 

l'ar  Anjou  et  par  le  Meine 
A  faict  ce  discours  plaisant. 

Discours  sur  la  louange  de  la  vertu.... 
à  Salmon  Macrin,  Xzr^'l.  (II,  41). 


248  JOACHIM    DU   BELLAY 

Ne  m'engoufre 
Dans  le  gouphre 
De  fureur. 
Dont  l'horreur 
Véhémente 
Me  tourmente  * . 

Sur  cette  mer  pleine  décueils.  pour  reprendre  sa  métaphore, 
du  Bellay,  malgré  son  inexpérience,  navigua  sans  faire 
naufrage  :  à  force  d'adresse  et  de  conscience,  il  sauva  sa  nef 
des  Ilots  déchaînés.  Entendez  qu'il  débrouilla  la  situation  au 
mieux  des  intérêts  de  son  pupille.  Mais  ce  neveu,  pour 
l('(|uel  il  avait  tant  fait,  ne  (h'vait  pas  en  profiter  :  il  nioui'ut 
en  juillet  i55'3  '.  Joacliim  du  Bellay,  sieur  de  Lire,  devint 
par    sa    iiiorl    seigneur    de   Gonnord    '. 

Souffi'ances  physiques.  soufTrances  morales,  rien  n  avait 
inaii([uc.  durant  Irois  anni'cs.  à  notre  auteur.  De  telles  émo- 
tions ne  sont  point  sau'-  iidluence  sur  rinsi)iration  poétique. 
Xous   en   verrons    le    ((tntre-cou])    dans   les    œuvres   île    i552. 

'  Cette  pièce  se  trouve  en  tète  du  A'=  livre  d'Aniiidis  de  Gaule,  traduit 
par  J.  (lotiorry,  1533.  Elle  n'a  pas  été  recueillie  par  M.  Marty-Laveaux.  — 
On  rapprochera  des  deux  passages  que  jai  cités  les  quatrains  d'un  sonnet 
(1.  i3.j)  publié  seulement  en  i:iGl,  mais  qui  semble  bien  dater  de  cette  époque. 
Cf   aussi  les  tercets  d'un  sonnet  à  Pasclial  (II,  lil). 

-  Ms.  fr.  20.265,  f"74  v». 

'  C'est  un  fait  que  Ménage,  Niceron  et  Goujet  ont  contesté,  mais  à  tort. 
Le  registre  eapitulaire  de  Notre  Dame  nomme  du  Bellay  Dominus  de  Gonnor 
(Marty-Laveaux.  Appendice  de  la  Pléiade,  II,  386).  Cf.  P.  de  Nolhac,  Lettres 
de  J.  du  liellay.  p.  41  et  8(i,  notes. 


vX 


CHAPITRE  X 


LES  «  J  RADl  CTIONS  »  ET  LES  «  INVENTIONS  » 


DE 


1552 


I    —  Caractère  du  recueil  de  1552.  —  L'épltre-préface  à  Morel. 
II.  —  Les  traductions  de  du  Bellay. 

III.  —-  Les  œuvres  de  l'invention  de  l'auteur.  —  La  a  Complainte 

du  Désespéré  ». 

IV.  —  Les  pièces  religieuses. 

V.  —  Les  pièces  philosophiques. 
VI.  —  Les  pièces  littéraires. 
VU.  —  L'  «  Adieu  aux  Muses  ».   —   Le  voyage  de   Rome  fait  de 
J.  du  Bellay,  poète  livresque,  un  poète  personnel. 


I 


Dans  le  courant  de  i552.  du  Bellay  publia  un  recueil 
mi-parti   de  traductions  et  de   poésies  originales  '.   Ce    nouveau 

'  Le  qnatriesme  livre  de  l'Enéide  de  Vergile,  traduict  en  vers  francoys. 
La  complaincte  de  Didon  à  Etiée,  prinse  d'Ovide.  Autres  œuvres  de  l'inven- 
tion du  translateur.  Par  l.  D.  B.  A.  Paris,  Vincent  Certenas  fsiej,  1532, 
in-8'\  Privilège  du  1"  févr.  lool  (n.  s.  1332). —  En  têtt  du  volume,  se  trouvent 
divers  compliments  poétiques  adressés  à  du  Bellay  :  —  l"  un  Sonnet  de  lan 


2o0  JOACHIM    DU    BELLAY 

recueil  pi-ésenlail  un  caractère  assez  (lifTérent  de  ceux  (|u"il 
avait  donnés  jusqu'alors.  Éclos  au  milieu  de  tous  les  malheurs 
qui  s'abattaient  sur  le  poète,  il  portait  sa  marque  d'origine. 
On  y  surprenait  un  amer  sentiment  de  désespérance.  L'au- 
teur, arrête  dans  son  rêve  idéal  par  les  brusques  rappels  de 
la  r('alilé  .  se  prenait  à  doutci-  de  lui-inèmc.  Il  avait  con- 
science de  baisser  :  ingénument,  il  en  laisait  l'aveu.  Décou- 
ragé, malade,  atteint  de  lassitude  et  d'épuisement,  il  n'avait 
plus  dans  son  génie  cette  belle  confiance  d'autrefois.  Lâche 
à  créer,  il  traduisait.  Et  pourtant,  à  le  prendre  dans  son 
ensemble,  son  nouvel  ouvrage  avait  quelque  chose  de  moins 
lwres(jue  peut-être  que  ses  œuvres  antérieures  :  les  souvenirs 
d'érudition  s'y  montraient  moins  nombreux.  Le  poète  s'épan- 
chait davantage  :  par  d(Mi\  ou  trois  l'ois  tout  au  moins,  il 
était  bien  lui-même  :  sous  le  coup  de  la  souffrance,  des 
accents  s'échappaient  de  son  àme  endolorie,  des  accents  per- 
sonnels et  sincères,  ([u'on  n'avait  entendus  si  profonds  ni 
dans  les  Vers  fjj'/iqucs  ni  dans  le  Recueil  de  Poésie.  On 
sentait  ([ue    la    vie    avait   passé    par    là. 

L'élat  d'àme  (|ui  a  donné  naissance  à  cette  œuvre  s'exprime 
tout  entier  dans  l'épîti'e-préface  adressée  par  l'auteur  à  son 
ami  Jean  i\e  Morel.  Le  début  est  à  citer  :  ((  Je  n'avoy  jamais 
expérimenté  la  doulceur  des  bonnes  lettres  (cher  amy  Morel) 
si  non  depuis  (pie  la  forlune  m'a  voulu  préparer  tant  de 
calamité/.,  tpie  je  ne  seray  jamais  las  de  remercier  celuy  qui 
m';i    donné    la    grâce   de   les  pouvoir   suppoi'ter  jusques  icy.   Je 


de  Morel  Ambrunois,  à  qui  l'ouvrage  esl  déilii-  ;  —  2'  une  Ode  de  Damoiz. 
M.  D.  L.  Haye  [Marie  de  La  Haye]  sur  les  œuvres  poétiques  de  I.  du 
Bellay  et  P.  de  Ronsard  ;  —  3»  un  sonnet  de  Th.  Seb.  [Thomas  Sibiicl]  ;  — 
4"  une  épigrnmiue  latine  Ejnsdcm  ad  lo.  Bellaïnin  ;  —  'S°  des  hendtcasyl- 
labes  lalins  de  llobert  de  La  Haye,  Rob.  Ilajus  de  I.  Bellaïo  et  P.  Ronsardo. 
Dans  le  cours  du  volume,  on  trouve  encore  un  sonnet  de  Baïf  (Marty- 
Laveaux,  V,  231).  Toutes  ces  pièces  encomiastiques  ollrent  peu  d'intérêt  : 
on  y  voit  cependant  que,  dans  l'opinion  des  contemporains,  du  Bellay  mar- 
chait l'égal  de  Konsard.  (Bibl.  Nat.  —  Rés.  pY'.  1400). 


LES    «   TRADUCTIONS    »    ET   LES    «    INVENTIONS    ))  231 

ne  (lii'ay.  par  (|ii('ll('  diversité  de  inalhours  s'csl  joucc  Ar 
moy  cesto  cruelle  arbitre  des  choses  humaines  :  coiauie  celuy 
qui  n'ignore  telles  complainctes  estre  aussi  usitées,  comme  les 
occasions  en  sont  ordinaires.  Je  diray  seuh^uent  <|ue  pariny 
tant  de  malhmirs  (conti'e  les([uelz  je  ne  sens  ma  raizon  si 
forte  ([u'elle  menst  peu  armer  de  sullisanlc  patience)  le  non 
moins  honneste.  <pie  plaisant  exercice  poëlicpie  ma  donne-  lanl 
de  consolation,  cfue  je  ne  puis  encores  me  repcMitir  d"y  avoir 
perdu  une  partie  de  mes  jeunes  ans  o  (I,  333-334).  Après  ce 
bel  hommage  au  pouvoir  consolateur  des  lettres,  du  Bellay 
déclarait  ([u'il  lu'  portait  aucune  envie  à  la  félicité  des  gens 
désœuvrés  et  frivoles.  Assurément,  la  poésie  était  peu  lucra- 
tive :  c'était  un  cliamp  ((  inl'ertil  et  peu  lidele  à  son  laboureui*. 
auquel  le  plus  souvent  il  ne  rapporte  cpie  i-onses  et  espines  » 
(334).  Il  avait  continué  néanmoins  à  la  cultiver  :  d"al)ord . 
pour  «  l'honnc^ste  contentement  de  son  espi'it  )).  et  par  désir 
de  témoigner  à  la  postérité  <[u'il  n'avait  point  vécu  dune  vi<> 
oisive;  et  puis  aussi,  dans  l'espoir  d'être  encore  agréable  aux 
princes,  et  sui'tout  à  Madame  Marguerite.  Toutefois,  il  avait 
conscienc(>  ([U(^  «  ce  doulx  labeur,  jadis  seid  enchantement  de 
ses  ennuys  ».  se  ((  refroidissait  »  en  lui  cha((ue  jour.  Il  en 
venait  maintenant  à  traduire  :  «  Ne  sentant  plus,  disait-il.  la 
première  ardeur  (h*  cet  Rnthusiasme.  <[ui  me  faisoit  librement 
courir  par  la  carrière  de  mes  inventions,  je  me  suis  converty 
à  retracer  les  pas  des  anciens,  exercice  de  plus  ennuyeux  labeur, 
que  dalegresse  d'esprit  »  (335).  Mais,  comme  il  ne  voulait  pas 
abandonner  complètement  le  plaisir  ({ui,  «  durant  ses  infor- 
tunes »,  favait  toujours  ((  pourveu  de  si  souverain  remède  », 
il  donnait  encore  à  la  langue  quelques  poèmes,  «  les  derniers 
fruicts  de  son  jardin  non  du  tout  si  savoureux  que  les 
premiers,    mais   (peult   estre)  de   meilleure   garde    »   (335). 

Voilà   l'état    d'àme,    pleinement    douloureux,    d'où    sortit   le 
recueil  des   traductions   et   des   inventions. 


2^2  JOACHIM    DU    BELLAY 


II 


Les  traductions  publiées  en  i552  comprenaient  :  i»  le 
quatrième  livre  de  l'Enéide  de  Virgile,  dont  lit  choix  du 
Hella\ .  parce  ([uil  n'est  œuvre  en  aucune  langue,  dit-il.  ((  ou 
les  liassions  amoureuses  soyent  plus  vivement  depeinctes, 
<[u"en  la  personne  de  Didon  »  (336)  ;  20  la  septième  héroïde 
d'Ovide,  Guniplainte  de  Didon  à  Enée,  ([ui,  tout  en  continuant 
le  ((  propos  ))  de  Virgile,  permet  d'opposer  «  la  divine 
magesté  de  l'ung  de  ces  aucteurs  à  l'ingénieuse  facilité  de 
l'autre  ))  (33")  ;  3»  une  épigramme  d'Ausone  Su/-  la  statue  de 
Didon,  qui  leur  sert  de  contre-partie  :  «  Il  me  sembloit 
inique  de  l'enouveler  l'injure  qu'elle  a  receu  par  Vergile, 
sans  luy  reparer  son  honneur  par  ce  qu'autres  ont  escrit  à 
sa  louange  »  (338).  On  peut  y  jtdndre  un  fragment  du  cin- 
(piième  livre  de  YEnéide,  la  Mort  de  Palinure.  qui  parut 
en  i553,  (hms  la  seconde  édition  du  Recueil  de  Poésie,  et  le 
sixième   livre   tout   entier,   qui   ne   fut   publié   qu'en    i56o  '. 

Par  ces  traductions,  notre  auteur  allait  droit  contre  les 
principes  qu'il  avait  lui-même  formulés  autrefois  "^  :  mais  cela 
n'était  pas  [)()ur  le  gêner  beaucoup.  Il  justifie  sa  volte-face 
avec  une  désinvolture  incroyable  :  ((Je  n'ay  pas  oublié  ce 
qu'autrefois  j'ay  dict  des  translations  poétiques  :  mais  je  ne 
suis  si  jalouzement  amoureux  de  mes  premières  appréhensions, 
(|u('  j  ave  honte  de  les  changer  quelquefois,  à  l'exemple  de 
tant  d'excellens  aucteurs.  dont  l'auctorité  nous  doit  oster   ceste 


'  K[)itre  à  Mord  (I,  336)  :  «  Et  si  je  congnoy  que  ce  mien  labeur  soit 
iigrëahlc  aux  lecteurs,  je  metlray  peine  (si  mes  affaires  m'en  donnent  le 
loysir)  de  leur  faire  bien  tosL  voir  le  sixiesme  de  ce  mesnie  aucteur.  »  Cf. 
I,  43."j  et  11.  8(j.  —  La  traduction,  projetée  et  peut  être  couimeneée  dès  1532, 
était  finie  en  liiiiS,  puisqu'on  eu  retrouve  des  frafi:ments  dans  la  traduction 
du  Sijmpose  de  Platon  par  Louis  Le  Roy  (I,  443,  461,  467). 

-  Deffence,  liv.  I,  chap.  5  et  6. 


LKS    ((    TRADUCTIONS    »    ET    LES    ((    INVENTIONS    »  253 

o])iniasliT  ()|)iiii(>ii  de  vouloii-  lousjours  pcrsistoi"  on  ses  advis. 
principaleiurnl  en  matière  de  lettres.  Quand  à  moy.  je  ne 
suis  pas  Sloïque  jusques  là  »  (336-33^).  On  le  voil  :  du  Bellay 
pensait  par    avaiiee.   à    légal   de    liai-lliéleiny   : 

L"honini(>    a])sui'de    est    celui    (|ui   ne    clian^'e   jamais. 

Sa  méthode  de  traduction  n'est  jjoini  celle  ((ui  nous  plail 
aujovird'hui  :  l'exactitude  rigoureuse  et  pi'es(|ue  littérale  .  il 
la  i-ejette.  Il  n'admet  pas  qu'on  cherche  à  rendre  «  période 
pour  perïod<>.  epithete  pour  epithete,  nom  propre  pour  nom 
propre  ».  Son  système  est  tout  autre  :  «  Il  me  semble,  dit-il, 
veu  la  contraincte  de  la  ryme.  et  la  dillerence  de  la  pro- 
priété et  structure  d'une  langue  à  l'autre,  que  le  transla- 
teur n'a  point  mal  t'aict  son  devoir,  qui  sans  coi-rompre  le 
sens  de  son  aucteur,  ce  qu'il  n'a  peu  rendre  d'assez  bonne 
grâce  en  ung  endroict,  s'efforce  de  le  recompenser  en  l'autre  » 
(336).  C'est  le  système  des  équivalents,  la  méthode  des  com- 
pensations. 

Conséquence  naturelle  :  ses  ti-aductions  '  laissent  beaucoup) 
à  désirer.  Donnant  à  peu  près  le  sens  général,  elles  sont 
dans  le  détail  singulièrement  infidèles  et  restent  imi)uissantes 
à  rendre  la  physionomie  particulière  de  l'original.  Du  Bellay 
procède  librement  :  il  transpose,  il  supprime,  et  surtout  il 
ajoute.  L'emploi  du  vers  décasyllabe,  tro[)  facile  et  trop 
lâche,  l'entraîne  à  délayer.  La  traduction  n'est  bien  souvent 
qu'une  paraphrase.  11  ne  faut  pas  à  du  Bellay  moins  de  12G8 
vers  pour  rendre  les  705  vers  du  livre  IV  de  Y  Enéide  :  les 
901  hexamètres  du  livre  VI  se  dissolvent  à  leur  tour  en 
i5o4  décasyllabes.  Je  remarque  en  passant  que  les  discours 
sont  mieux  traduits  que  les  narrations,  et  je  crois  constater 
un  certain  progrès  à  la  longue  :  comme  version,  le  livre  \l 
est  supérieur  sensiblement  au    livre    IV. 

'  Marly-Laveaux,  I,  340-43n. 


254  JOACHIM    DU    BELLAY 

J'estime  superllu  dinsislcr  sur  une  question  aussi  secon- 
daire :  ce  n'est  point  par  là  ([ue  vaul  «lu  Bellay.  Comme  le 
(lit  l'abbé  Goujet  '.  «  ee  <[u'il  a  ti-aduit  de  Virgile  ne  lui 
lait  i;uère  d'honneur...  Contemporain  de  Louis  des  Masures, 
non-seulenicnl  il  ne  li*  surpassa  point,  on  ne  ptmt  pas  même 
dire  qu'il  l'ait  égalé  "  ».  Mais  ce  qu'il  laut  bien  remarquer, 
c'est  qu'en  se  mettant  à  traduire,  du  Bellay  revenait  aux 
idées  de  Marot.  Il  reprenait  la  tradition  de  son  école  '\  Ce 
n'est  ])as  la  dernière  t'ois  (jue  nous  le  verrons  retourner  ainsi 
en    arrière  '. 


III 


Les  Œuvres  de  iinventioti  de  l'Aiitheur  se  composaient  de 
treize  pièces  d'inspiration  assez  diverse  '.  Je  ne  reviendrai  ni 
sui-  Les  deux  Marguerites  ''.  ni  sur  les  XIII  Sonnetz  de  l'hon- 
nesle  Amour  ' .  Je  ne  dirai  rien  non  plus  de  deux  ]^ièces  de 
circonstance,  deux  Estreiies  adressées  à  HobcrI  de  La  Haye 
et    Marie   de  La   Haye  '   (II,  54  t't  56). 

'   Bibl.  franr.,  V,  72-73. 

-  Louis  (les  Masures,  de  Tournai,  qui  tlevail  publier  eette  même  année 
lo!)2  les  quatre  premiers  livres  de  l'Enéide  de  Virgile  (Lyon,  Jean  de  Tournes, 
in-4"l,  avait  dC\\i\  fait  paraître  les  deux  j)reniiers  en  loi7  (Paris,  Chr.  Wecliel, 
in-4'  ).  Du  Hellay  loue  hautement  sa  «  lidele  et  diligente  traduction  »  (I,  33(3). 
11  a  d'ailleurs  toujours  lait  grand  cas  de  Louis  des  Masures.  Cf.  Regrets, 
s.  148,  et  Xenia,  ï'  12.  r',  Ludovicus   Masurius.   Cf.  aussi  Ilousard,  V,   331. 

■'  V.  ci-dessus,  ehap.  iv.  §  i,  p.  \22-l2'.i. 

'  En  13:jlS,  du  Hellay  traduisit  encore  plusieurs  passages  des  po(îtes  grecs 
et  latins  citi's  aux  Comme nlaireft  du  Sj-mpose  de  Platon  jiar  Louis  Le  Roy 
(Marty-Laveaux,  I,  t'ir2-4()S).  —  V.  dans  Marty-Lavcaux  (L  ;iÙ())  le  flatteur 
jugement  de  Le  Roy  lui-même  sur  cette  traduction. 

'  Marty-Laveaux,  11,  1(36.  —  Aubert,  diMuemhrant  le  recueil  de  i.ïi2,  a  fait 
entrer  les  Œuvres  de  l'invention  de  l'Autheur  dans  les  Divers  Poèmes  (lo68). 

'^  V.  ci-dessus,  chai),  ix,  §  ii.  p.  244. 

•  V.  ci-dessus,  cliai).  vi,  vj  vi,  p.  191-194. 

*"  Voici  du  moins  Torigine  de  ces  deux  pièces.  Robert  de  La  Haye,  con- 
seiderau  Parlement  de  Paris  et  maître  des  requêtes  de  la  reine  de  Navarre, 
grand  ami  de  Sibilel  (v.  dédicace  de   Vlpldgène  à   J.   Brinon),   poète   latin, 


LES    ((    TRADUCTIONS    ))    ET    LES    <(    INVENTIONS    ))  255 

Le  poème  le  plus  loiuhaul  du  recueil,  sinon  le  MUMlleur. 
est  celui  par  lequel  il  sOiivre,  la  Complainte  du  Désespéré 
(II,  i).  Du  Bellay  l'a  écril  dans  une  heure  de  trislcsse, 
et  l'on  y  retrouve  les  inipi'essions  mélancoliques  de  son  âme 
éprouvée  par  la  vie.  Le  poêle,  allolé  de  douleur,  lait  entendre 
un  tliant  lamentable  et  soupii-e  ((  Tennuy.  qui  le  cœur  lui 
poingt  ))  : 

Ainsi   que   la  fleur  cuillie 

Ou   par  la  bize    assaillie 

Pert   le  vermeil  de  son  teinct. 

En  la  fleur   du  plus   doulx    aage, 

De   mon  palissant   visage 

La  vive  couleur  sesteinct. 

Une  languissante  nuë 

Me  sille  desja  lavëue, 

Et  me  souvient   en  mourant 

Des  doulces  rives  de  Loyre. 

Qui  les  chansons  de  ma  gloyre 

Alloit  jadis  murmurant. 

Ce  ((  poète  mourant  »  évoque  la  saison  où.  tout  jeune  encore, 
il  allait  suivant  les  pas  de  Pétrarque.  Il  pleurait  d'amour, 
l'insensé  !  C'est  d'un  plus  juste  émoi  qu'il  pleure  maintenant. 
Que  de  maux  ont  fondu  sur  lui  !  Le  sort  contraix'e,   des  amitiés 


avait  adressé  de  très  élogieux  hendécasyllabes  à  Ronsard  et  du  Bellay, 
Rob.Hdjus  de  l.Bellaio  et  P.Ronsardo.  Du  Bellay  répondit  par  VEstrene  en 
question  et  plaça  les  vers  de  K.  de  La  Haje  en  tète  de  son  recueil.  Ronsard 
répondit  à  son  tour,  dans  les  Amours  de  1552  (Bibl.  d'Orléans,  D.  1505),  par 
des  Contr^Estrenes,  qui  devinrent  par  la  suite  la  8°  ode  du  livre  V  (Blanche- 
main,  II,  332).  La  pièce  est  à  rapprocher  de  celle  de  du  Bellay.  Sur  R.  de 
La  HayCjV.  encore  Regrets, s.  2S  et  1:21,  et  surtout  le  bel  Hymne  de  Santé  que 
du  Hellay  lui  adresse  (IL  79).  C'est  à  lui  que  R.onsard  a  dédié  sa  19"^  Élégie 
iBlanchemain,  IV,  291j.  —  Quant  à  Marie  de  La  Haye,  sœur  de  Robert, 
«  damoiscUe  très-docte  »,  dit  La  Croix  du  Maine  ill.  89),  elle  avait  fait  une 
ode  Sur  les  œuvres  poétiques  de  I.du  Bellay  et  P.  de  Ronsard.  D'où  VEstrene 
de  du  Bellay.  Cf.  Poemata,  ï"  :J9  r",  Ad  Maviani  Hajam. 


236  JOACHIM    DU    HKLLAY 

lallacieuses.  cent  procès  k  souU'iiir.  les  suites  cuisantes  des 
passions,  mille  touruieiils  de  toute  espèce  :  que  lui  a-t-il  man- 
qué !  N'a-t-il  pas  mérité  qu'on  le  nonnne  «  l'esclave  de  tout 
malheur  »  ?  Enl'aul.  il  a  souffert  :  ses  proches  a  ont  laissé  sa 
jeunesse   aux  ténèbres  ». 

Et    depuis  que   1  âge  IVîrmc 

A  touché  le  premier  terme 

De  mes  ans  plus  vigoreux. 

Las.  helas.   quelle  journée. 

Feut  onq"  si  mal  fortunée 

Que  mes  jours  les  plus  heureux  ? 

Tant  de  soucis  ont  blanchi  ses  cheveux .  flétri  son  cœur  : 
il  est  vieux  avant  l'âge.  Il  est  atteint  de  sui'dité.  Triste 
toujours,  toujours  chagi'in,  il  ne  connaît  plus  de  repos  :  le 
doux  sommeil  réparateur  ne  vient  pas  visiter  sa  couche  ;  ou 
si  parfois  il  s'assoupil.  des  songes  alfreux  hantent  sa  pensée. 
Son  lournient  renaît  avec  Taube  et  le  suit  en  tous  lieux. 
jus([u"au  sein  de  la  nature.  C'est  partout  pour  son  cœur  la 
même  angoisse  poignante,  la  même  solitude,  la  même  déso- 
lation. Et,  plein  d'un  sombre  désespoir,  le  poète  maudit  la 
lumière  : 

Mauldicte   d()n(|"    la   lumière, 

Qui   m'esclaira    la    première, 

Puys  ([ue    le    ciel  rigoreux 

Assujetit    ma   naissance 

A   l'indomtable   puissance 

D'ung    astre    si    mallieui'eux. 

Pourquoi  donc  souffre-t-il  à  ce  point,  si!  est  pur  de  tout 
crime  ?  Est-ce  là  le  prix  de  son  innocence  ?  Meurtri  dans 
sa  chair,  meurtri  dans  son  ànie,  il  envie  le  bonheur  de 
ceux    (jui    sont   morts    avant   de    naître  : 


LES    «    TRADUCTIONS    »    ET    LKS    ((    INVENTIONS    »  257 

Heureuse   la   ci-eature 
Qui    a    l'ait    sa   sépulture 
Dans   le  ventre   maternel  ! 
Heureux    celuy.    dont   la   vie 
En   sortant   s'est   veu  ravie 
Par   un    sommeil    éternel  ! 

Il   n'a   senty    sur   sa   teste 
L'inévitable   tempeste. 
Dont   nous   sommes   agitez. 
Mais   asseuré   du   naul'raige 
De   bien   loing   sur   le   rivaige 
A   veu   les    llotz   irritez. 

Des   idées   de   suicide   traversent   son  esprit  : 

Sus,    mon   ame,    tourne   arrière. 
Et  borne   icy   la   carrière 
De    tes   ingrates   douleurs  : 
Il   est   temps   de  faire   espreuve. 
Si   après   la   mort   on  treuve 
La  fin   de   tant  de    malheurs. 

Et  du  Bellay  termine  en  souhaitant  à  ceux  que  sa  misère 
apitoiera  de  ne  jamais  connaître  les  mêmes  infortunes  et 
les   mêmes   souffrances. 

Malgré  bien  des  longueurs,  dont  ne  peut  rendre  compte  une 
brève  analyse,  malgré  du  mauvais  goût  et  l'emploi  trop  fré- 
quent des  souvenirs  mythologicjues.  la  Complainte  du  Déses- 
péré me  parait  supérieure  aux  sonnets  de  V  Olive  ainsi  qu'à  la 
plupart  des  Odes,  parce  qu'on  y  trouve  ce  qui  manque  ailleurs, 
une   émotion   sincère   et   véritable. 

IV 

UH)'mne  Chrestien  (II.  i5)  est  comme  une  conti-e-partie 
de  la  complainte  précédente.  Après  le  cri  de  désespoir,  c'est 
un   acte   de   contrition  : 

Univ.  de  Lille.  Tome  VIII    A.  17, 


258  JOACHIM    Dr    BELLAY 

O  Seigneur  Dieu,  mon  rarapart.  ma  fience, 
Rainpare  moy  du  fort  de  pacience 
Contre  i'elfort  du  corps  injurieux. 
Qui  veult  forcer  l'esprit  victorieux. 
L'ardeur  du  mal.  dont  ma  chair  est  attainte, 
Me  faict  gémir  dune  éternelle  plainte. 
Moins  pour  l'ennuy  de  ne  pouvoir  guérir. 
Que  pour  le  mal  de  ne  pouvoir  mourir. 
Certes,  Seigneur,  je  sens  bien  que  ma  faulte 
Me  rend  coupable  à  ta  majesté  haulte  : 
Mais  si  de  toy  vers  toy  je  n'ay  secours. 
Ailleurs  en  vain  je  cherche  mon  recours. 
Gai*  ta  main  seule  invinciblement  forte 
Peult  des  enfers  briser  l'avare  porte, 
Et  me  tirer  aux  rayons  du  beau  jour. 
Qui  luyt  au  ciel,  ton  éternel  séjour. 

La  prière  continue  sur  ce  ton  attendri  de  ferveur  religieuse, 
et  ([uand  il  la  termine .  le  poète  supplie  le  Seigneur 
d'avoir  pitié  de  sa  faiblesse,  de  rompre  les  liens  du  mal 
qui  le  tourmente  ou  de  délivrer  son  esprit  de  sa  prison  de 
cliair.  —  Cet  hymne,  qui  rappelle  les  sonnets  chrétiens  de 
V Olive,  a  presque  partout  laccent  personnel  *.  Mais  à  ce 
mérite,  il  en  joint  un  autre  :  une  idée  toute  nouvelle  y 
surgit,  c'est  que  la  poésie  sacrée  n'est  pas  moins  belle  que 
l'autre.    Arrière   désormais   la   Muse   profane  ! 

Arrière   les   vains   sons. 
Les   vains   soupirs,    et   les   vaines  chansons  ! 
Arrière   amour,    et   les   songes   antiques, 
Mlahoui'cz    par    les    mains    poétiques  ! 

Ce     n'est     pkis     ck'     ['Iliade     ou     de     VOd)^ssée     que    rêve   du 


'  Cf.  un  autre   Hymne  Chreslien  (I,  323),  de  date   incertaine,   mais  que 
l'emploi  de  l'alexandrin  j)ermet  de  supposer  postérieur  au  premier. 


LKS    ((    TRADUCTIONS    ))    ET    LKS     «    I.WKNTIONS    »  259 

Bellay  :  c'est  d'une  Israëliade.  el  lui-iiu'uie  ;i  grands  traits 
retrace   l'histoire   du   peuple   de   Dieu. 

Cette  idée  reparaît,  plus  précise  et  plus  nette,  dans  La 
Ljyre  Chrestienne  (II,  3o),  qui  n'est  pas  autre  chose  ([u'une 
protestation   contre   le   paganisme   littéraire  : 

Si  les   vieux   Grecz   et   les   Romains 
Des   faux   Dieux   ont   chanté   la   gloire, 
Seron'  nous   plus   qu'eulx   inhumains. 
Taisant   du   vray   Dieu   la   mémoire  ? 
D'Helicon   la   fable   notoire 
Ne   nous   enseig-ne   à   le   vanter  : 
De   l'onde   vive   il   nous   faull   bojre. 
Qui   seule   inspire   à   bien   chanter. 

L'ancienne  idolâtrie  nous  fait  trouver  peu  mélodieux  les  sons 
de  la  lyre  chrétienne.  Les  mensonges  de  la  fable  nous  empê- 
chent d'être  sensibles  à  la  sainte  voix  de  la  vérité.  Nous 
délaissons  l'utile  pour  l'agréable.  Pourquoi  ne  pas  les  asso- 
cier, en  introduisant  dans  les  chants  chrétiens  ce  qui  fait 
l'agrément   des   antiques   fictions  ? 

Si  nous  voulons  emmieller 
Noz  chansons  de  fleurs  poétiques. 
Qui  nous  gardera  de  mesler 
Telles  doulceurs  en  noz  cantiques? 

Saloraon,    pour   orner   le   temple   de   Dieu,    mendiait    bien    l'or 

étranger. 

Nous  donques,  faisons  tout  ainsi  : 
Et  comme  bien  rusez  gendarmes, 
Des  Grecz  et  des  Romains  aussi 
Prenons  les  bouclers  et  guyzarmes  : 
L'ennemy  baillera  les  armes, 
Dont  luy  mesme'  sera  batu. 
Telle  fraude  au  faict  des  alarmes 
Mérite  le  nom  de  vertu. 


260  JOACBIM    DU    BELLAY 

Ainsi,  nous  prendrons  aux  anciens  leurs  moyens,  et,  forts 
de  cet  emprunt,  nous  laisserons  la  louange  mensongère  des 
dieux   et  des   grands   pour   celle   du   vrai   Dieu  '. 

La  Monomacliie  de  Daçid  et  de  Goliath  (II,  20)  est  une 
application  de  cette  nouvelle  poétique  ^  S'inspirant  du  récit 
de  la  Bible  ^  que  tantôt  il  allonge  et  tantôt  il  abrège,  du 
Bellay  raconte  la  lutte  ilu  jeune  pâtre  hébreu  contre  le  géant 
philistin.  Ce  combat  est  pour  lui  comme  une  démonstration 
de  cette  idée  morale  exprimée  au  début  :  la  faiblesse  intelli- 
gente et  guidée  de  raison  est  supérieure  à  la  force  brutale. 
Mais  qui  n'a  reconnu  dans  cette  idée  les  vers  fameux  d'Horace  : 

Vis   consili   expers   mole   ruit   sua  ; 
Vim   temperatam    Di   quoque  provehunt 
In   majus  '*. 

C'est  ainsi  que  l'auteur  concilie  son  principe  d'esthétique 
religieuse  avec  son  amour  de  l'Antiquité.  Du  sujet  qu'il  avait 
choisi,   il  espérait   tirer    plus    de    gloire  et   d'honneur 

Que  des  vieux  sons  d'une  fable  moizie. 

L'œuvre  prise  en  elle-même  n'a  rien  de  très  remarquable  % 
mais    la    tentative    reste    intéressante.    N'est-il    pas  curieux,   en 


'  Guillaume  (luiroull.  daus  son  l'rnmier  livre  des  narrations  fabuleuses, 
avec  ces  discours  de  la  vérité  et  histoires  d'icelles. . .,  1"  ii5  r",  (Lyon,  Robert 
Granjoii,  loo8).  adresse  une  Congratulation  à  loachini  du  Bellaj-,  poète  fran- 
coys,  sur  le  discours  de  sa  Lyre  Chreslienne,  dans  laquelle  il  le  compare  à 
David.  (Bibl.  Nal.  —  Rés.  J.  3173). 

-'  Ce  poème  est  en  germe  dans  l'Hymne  Chrestien  (II.  18)  : 
Lors  je  diray  ce  grand  pasteur  Hebrieu.    . 

'  Rois,  I,  xvn. 

'  Carm.  III,  iv.  65-67. 

*  C'est  l'opinion  de  Collelet,  qui  dit  assez  pittoresquement,  à  propos  de 
Pierre  de  Bracli  :  «  Son  poëine  de  la  Monomaehie  de  David  et  de  Goliath 
femporle,  à  mon  avis,  de  si  loin  sur  eelluy-là  mesme  du  fameux  Joachim 
du  Bellay,  que  le  mont  Cenis  l'emporte  en  hauteur  sur  nostre  butte  de 
Montmartre.  »  Cité  par  A.  de  Rocliambeau,  La  famille  de  Ronsart,  p.  2,22. 


LES    «    TRADUCTIONS    »    ET    LES    «    INVENTIONS    »  26! 

effet,  que  ce  disciple  de  Doiut.  ce  paganisant  de  la  Renaissance, 
ait  un  instant  renie  les  Dieux  du  vieil  Olympe  et  conçu  la 
première  cbauclie  dune  poétique  chrétienne  '  ? 


Dans  le  recueil  de  i55'2.  deux  pièces  sont  d'ordre  philoso- 
phique et  moral  :  Y  Ode  au  Reverendiss.  Cardinal  du  Bellay 
(II,  26)  et  le  Discours  à  Salmon  Macrin  ^  sur  la  louange  de 
la  vertu  et  sur  les  divers  erreurs  des  hommes  (II,  36).  Toutes 
les  deux  sont  un  éloge  de  la  vertu  :  mais  lune  est  traitée 
dans   le   ton   sérieux,    et   l'autre   dans   le   ton   plaisant. 

L'ode  au  cardinal  du  Bellay  n'a  rien  qui  la  distingue 
des  autres  pièces  philosophiques  que  nous  avons  déjà  trou- 
vées dans  les  deux  recueils  précédents.  C'est  un  lieu  com- 
mun sans  grand  intérêt,  L'honmie  est  né  plus  chétif  que  le 
reste  des  animaux  ^  :  mais  il  leur  est  supérieur  par  la  rai- 
son, qui  lui  permet  de  discerner  le  bien  du  mal  et  de 
((  hausser  la  bride  »  aux  passions  déréglées.  Le  souverain 
bien  n'est  ni  dans  la  faveur,  ni  dans  la  gloire,  ni  dans  le 
pouvoir,  ni  dans  le  génie,  ni  dans  la  richesse,  ni  dans  les 
honneurs,  ni  dans  la  beauté,  ni  dans  la  naissance  :  il  est 
dans  la  vertu.  Sur  ce  mot.  le  poète  introduit  l'éloge  du 
cardinal   et   de   son   frère,    le   grand   Langey. 

Le   discours   à   Salmon   Maicrin   me    parait   plus   intéressant. 


'  Dans  1  epitre-préface  à  Morel  (I,  ^38),  du  Bellay  nous  dit  qu'il  a  l'inten- 
tion, «  aiin  de  ne  mesler  les  choses  sacrées  avecques  les  prophanes  »,  d'éditer 
ses  poèmes  «  en  meilleur  ordre  que  devant,  les  comprenant  chacun  selon 
son  argument  sou'  les  titres  de  Lyre  Chrestienne  et  Lyre  Prophane  ».  11  n'a 
pas  donné  suite  à  ce  projet.  Mais  cette  intention  prouve  au  moins  l'impor- 
tance qu'il  attachait  en  lo52  à  ses  poésies  religieuses. 

-  Du  Bellay  dédie  encore  à  S.  Macrin  un  sonnet  sans  importance  (II,  39). 

'   Réminiscence  de  Pline  l'Ancien,  Hist.  Nat.,  VII,  1. 


262  JOACHIM    DU    BELLAY 

Tout  en  se  défendant  d'imitei*  Rabelais,  du  Bellay  procède 
un  peu  dans  son  genre,  par  une  série  d'énumérations  desti- 
nées à  produire  un  effet  comique.  Le  thème  est  le  suivant  : 
le  bonheur  est  dans  la  vertu,  qui  peut  seule  nous  hausser 
par  degrés  jusqu'aux  cieux.  Sur  cette  idée,  l'auteur  ordonne 
trois   développements   symétriques  : 

i"  L'homme  vertueux  est  riche,  il  est  noble,  il  est  illustre, 
il    est    roi  :    il    est    roi   de    son   cœui'. 

Et   de   son   cœur   estre   maistre. 
C'est   plus   grand'    chose   que   d'estre 
De   tout   le   monde   vainqueur. 

2»   Que   me   sert    la    philosophie,    la    poésie,     les    sciences, 

les   arts,    les   voyages,    les  combats,    le    service    des   princes 

sans   la   vertu  ? 

3"  C'est  chose  belle,  c'est  chose  heureuse  de  faire  ceci, 
de  faire  cela  (du  Bellay  passe  en  revue  les  diverses  erreurs 
des  hommes).  Mais 

Quel   estât   doy'  je   donq'    suyvre, 
Pour   vertueusement   vivre  ? 

Conclusion  :   le   bonheur   est  en  nous,   dans   la  vertu  : 

Celuy  en  vain  se  travaille. 
Soit  en  terre,  ou  soit  ([u'il  aille 
Ou  court  l'avare  marchant. 
Qui  fasché  de  sa  présence. 
Pour  trouver  la  suflisence, 
Hors  de  soy  la  va  cherchant. 

C'est  principalement  dans  la  tj'oisième  partie  (|ue  l'auteur 
a  semé  les  traits  satiriques  :  quelques-uns.  dirigés  contre  les 
chasseurs,  les  médecins  et  les  alchimistes,  ne  manquent  point 
de  portée.  L'esprit  de  du  Bellay,  humoristique  et  malicieux, 
se  fait  jour  dans  ces  vers.  On  a  là  comme  un  avant-goût 
de   certaines  pièces  des  Jeux  Rustiques. 


I.ES    ((    TKAIHICTIONS    ))    KT    LKS    ((    INVKNTIONS    »  26.3 


VI 


Deux  odes  littéraires,  l'une  à  Bertrand  Bergier  de  Mon- 
tembeuf,  l'autre  à  Nicolas  Herberay  des  Essars ,  complètent 
les  inventions  de   i552. 

Bertrand  Bergier  est  cet  ami  rencontié  jadis  à  Poitiers, 
et  plus  tard  retrouvé  par  Joachim  au  Collège  de  Coqueret. 
En  lui  dédiant  une  Ode  pastorale  '  (11,  5'j).  du  Bellay  pré- 
tend illustrer  celui  qu'il  appelle  assez  plaisamment  un  poète 
((  bedonniquebouffonnique  »,  entendez  champêtre  et  bouftbn  \ 
En  des  strophes  d'une  grâce  bien  rustique,  il  recommande 
aux  bergers  du  Poitou  les  chants  divins  de  ce  ((  Berger  » 
qui   fait  revivre  en   lui  Théocrite  et  Virgile  : 

Heureux   Berger   désormais. 
Tu   seras   pour  tout  jamais 
L'honneur  des  champs  et  des  prées, 
L'honneur   des  petiz   ruisseaux, 
Des  bois   et  des  arbrisseaux, 
Et  des  fontaines   sacrées  : 

Pour   sonner  si   bien  tes   vers 
Sur   les  chalumeaux  divers 
Dont  la  doulceur   esprouvée 
Aux  oreilles  de   bon   goust. 
Coule   plus  doulx   que   le  moust 
De    la  première   cuvée. 

L'amour   se   nourrist   de  pleurs. 
Et    les   abeilles  de    fleurs  : 


'  L'édit.  de  1552  porte  simplement  pour  titre  :  «  Ode  pastorale  à  ung  sien 
amy  ».  Mais  en  lisant  la  pièce,  les  contenijjorains  n'ont  pu  se  méprendre 
sur  le  nom  de  cet  ami. 

-  Le  bedon  était  un  tambourin  (Becq  de  Fouquières,  p.  134,  n.  1). 


264  JOACHIM    DU    BELLAY 

Les  prez   ayment   la   rozée, 
Phœbus  ayme   les   neuf  Sœurs, 
Et   nous   aynion'  les   doulceurs 
Dont   ta   muse  est  arrousée. 

Herberay  des  Essars  s'était  acquis  un  grand  renom  pour 
avoir  traduit  (i54o-i548)  les  huit  premiers  livres  d'Amadis 
de  Gaule  ' .  On  sait  la  vogue  qu'obtint  ce  roman  à  la  Cour  de 
France  :  ((  Jamais  livre,  écrit  Etienne  Pasquier,  ne  fut  embrassé 
avecq'  tant  de  faveur  que  cestuy.  l'espace  de  vingt  ans  ou 
environ  '.  ))  Du  Bellay  qui,  dans  la  Deffencc,  tenait  les 
romans  en  si  piètre  estime,  avait  en  i552  tout  à  fait  changé 
d'opinion.  Son  Ode  au  seigneur  des  Essars  (II.  4^)  est  un 
très  curieux  témoignage  du  revirement  accompli  dans  ses 
idées.  Du  Bellay,  par  cette  ode  que  Pasquier  proclame 
((  la  plus  belle  de  toutes  les  siennes  '  »,  se  révèle  à  nous 
comme  un  admirateur  du  roman  espagnol,  sensible  aux 
charmes  de  l'intrigue,  non  moins  sensible  aux  mérites 
d'expression  du  traducteur  ".  Un  long  récit  des  amours 
de   Vénus    et    de    Mars    l'amène    à   louer   des   Essars, 

Qui    nous    monstre  le  dieu  Mars 
Joint  avec'  la  Gyprienne  : 
Chantant    sous    plaisant    discours 
Les  armes  et  les  amours .... 


'  Sur  Amadis  de  Gaule,  consulter  Eug.  Baret,  De  VAmadis  de  Gaule  et 
de  son  influence  sur  les  mœurs  et  la  littérature  au  xvi*  et  au  xvii*  siècle, 
llièse  de  18a3,  2'  édit.,  Finnin-Didot,  1873,  in-8»  ;  Saint-Marc  Girardin,  Cours 
de  litlér.  dramat.,  t.  III,  leç.  xxxix  ;  Bourciez,  op.  cit.,  liv.  I,  chap.  m,  p.  60. 

-  Rech.  de  la  France,  VI,  5.  —  La  Noue  dit  à  son  tour  des  Amadis  : 
«  Sous  le  règne  du  roy  Henri  II,  ils  ont  eu  leur  principale  vogue  ;  et  croy 
que  si  quelqu'un  les  eust  voulu  alors  blasnu-r,  on  lay  eust  craché  au  visage, 
d'autant  qu'ils  servoient  de  pédagogues,  de  jouet  et  d'entretien  à  beaucoup 
de  personnes.  »  Disc,  polit,  et  milit.,  VI.  Cité  par  Baret,  p.  169. 

'  Rech.  de  la  France,  VI,  .'i. 

*  Cf.  un  souvenir  tV Amadis  dans  le  s.  \\2.  des  Regrets. 


LES    «    TRADUCTIONS    »    ET    LES    «    INVENTIONS    »  265 

La  fiction  séduisante  qui  redit  les  prouesses  d'Araadis  et  les 
beautés  d'Oriane  est  donc  à  ses  yeux  comme  une  transpo- 
sition de  la  fable  antique.  Mais  il  y  voit  encore  une  pein- 
ture allégorique  ((  de  la  Françoise  grandeur  »,  en  même 
temps   qu'un   manuel  de   chevalerie    : 

Là  ce  gentil  artizan 

Nous  montre  au  vif  quoi  doit  estre 

Le  prince,  le  courtizan. 

Le  sei'viteur,  et  le  maistre  : 

Combien  d'ung  foi't  bataillant 

Peut  le  courage  vaillant  : 

Quel  est  ou  fheur.  ou  malheur 

D'une  entreprize  amoureuse. 

Et  la  clianse  malheureuse 

D'ung  injuste  querelleur. 

Du  Bellay  s'étend  longuement  sur  le  style  aisé,  coulant  et 
fluide  d'Herberay  des  Essars  :  vainement  on  s'eflbrcerait.  dit- 
il,  ((  après  ce  doulx  écrivain  »,  d'égaler  ((  le  sucre  de  son 
parler  »,  et  si  jamais  notre  langage.  «  par  estrangers  cour- 
tizans  »,  venait  à  se  corrompre,  c'est  chez  lui  qu'on  retrou- 
verait «  la  purité  de  sa  doulce  gravité  »  '.  Par  là.  des 
Essars,  tout  comme  un  poète,  figure  au  premier  rang  des 
ennemis  de  l'ignorance  :  et  c'est  l'occasion  pour  du  Bellay 
de   faire   une   sortie   contre   ces   «    pourceaux   d'Epicure    ». 

Qui   en   despit   de   Mercure 

Grongnent   aux   doctes   escriz. 

Le  nombre  est  grand  de  ceux  qui  s'en  prennent  aux  élus 
des   Muses  : 

'  Cf.  Tahiireau  ;  «  Je  nommeraj-  toutesfois  [le  seigneur  des  Essars]  avecques 
révérence  et  honneur,  tant  pour  un  coulant  langage,  liaison  de  propos,  que 
pour  une  douceur  et  fluidité  de  paroUes  dont  il  a  usé  outre  tous  ceux  qui 
se  sont  meslez  devant  luy  d'écrire  en  nostre  vulgaire,  et  encores  aujourd'huy 
s'en  trouve-il  peu  de  ceux  t[ui  écrivent  en  pareilles  choses,  qui  approchent 
de  la  grâce  et  naifve  beauté  de  son  stile.  »  Dialogues,  édil.  Conscience,  p.  28. 


2fifi  JOACHI.M    DU    BELLAY 

L'ung   plaint   la   c-ontag'ion 
De  la  jeunesse   abuzée  : 
L'autre,    la   religion 
Par   noms   payens   deguizée. 
Cetui-cy   fort  élégant 
Va   ung  songer   allegant  : 
Cetuy-la   trop    rigoreux 
Approuve   l'edict   d'Auguste. 
Et   le   bannissement  juste 
De   l'Artizan   amoureux  '. 

Non  contents  d'attaquer  les  poètes,  ils  s'en  prennent  encore 
aux  grands  seigneurs,  aux  damoiselles.  à  tous  les  lecteurs 
d'Amadis  : 

Puis   ces   graves   enseigneurs 

D'une   efifrontée   assurance 

Se   prennent   aux   grands   seigneurs. 

Les   accusant   d'ignorance  : 

Mesmes   leurs   cler-voyans   yeux 

Se   monstrent  tant   curieux. 

Que   d'abaisser   leur   edictz 

Jusqu'aux   simples   damoizelles, 

Et   aux  cabinetz   de   celles 

Qui  lizent   nostre   Amadis. 

Qu'on  se  raj)j)elle  maintenant  la  phrase  dédaigneuse  de  la 
Deffence  sur  les  romans  «  en  beau  et  fluide  langaige,  mais 
beaucouj)  plus  propre  à  bien  entretenir  Damoizelles  qu'à 
doctement  écrire  »  (p.  120)  :  on  mesurera  le  chemin  fait  en 
trois  ans  par  du  Bellay.  La  volte-face  était  complète  :  surpren- 
dra-t-elle  de  la  part  d'un  poète  que  nous  avons  vu  si  sou- 
cieux  de   se  pousser  en  Cour  ^  ? 

'  Ovide,  auteur  des  Amours  et  de  1*^4^  d'aimer. 

-  On  pourra   rapproctier  de  l'ode,  à  des  Essars  une  ode  inédite  A  laques 
Gohorry  Parisien  sur  la  poursuite  d' Amadis,    cjui  parut  en  tête  du  X'  livre 


LES    ((    TRADUCTIONS    »    ET    LES    d    INVENTIONS    ))  267 


VII 


Un  Adieu  aux  Muses  (I.  4^'^)-  P'i^  ^^^  latin  de  Buchanan '. 
servait  crépilogue  au  recueil  de  i552.  S'inspirant  lii)ren»ent 
de  la  première  Élégie  ^  du  célèbre  humaniste  écossais,  du 
Bellay  déplorait  cet  ingrat  métier  de  poète,  où  l'on  ne  connaît 
jamais  que  labeur  sans  répit,  pauvreté  sans  remède.  Il 
s'écriait  : 

Adieu,  ma  Lyre;  adieu  les  sons 

De  tes  inutiles  chansons  : 

Adieu  la  source,  qui  recrée 

De  Phebus  la  tourbe  sacrée. 

J'ay  trop  perdu  mes  jeunes  ans 

En  voz  exercices  plaisans  : 

J'ay  trop  à  voz  jeuz  asservie 

La  meilleure  part  de  ma  vie. 

Tout  imités  qu'ils  sont,  ces  vers  traduisaient  sans  doute  une 
pensée  sincère  :  car  pourquoi  du  Bellay  se  fùt-il  arrêté  sur  le 
texte  de  Buchanan.  s'il  n'y  avait  trouvé  comme  un  écho  fidèle 
de  ses  sentiments  propices  ?  Il  donnait  au  public  «  les  derniers 
fruicts  de  son  jardin  ».  et.  convaincu  qu'il  déclinait,  sentant 
son  style  «  refroidy  et  altéré  de  sa  première  forme  »  ',  instruit 
par  l'expérience  que  les  vers  ne  rapportaient  rien,  il  disait 
adieu  à  la  poésie. 

Pourtant,    quelques  cris  arrachés  par  la  souffrance,  quelques 

d'Amadis  de  Gaule,  Paris,  Vincent  Sertenas,  1553,  in-f".  La  pièce  est  d'ailleurs 
aussi  médiocre  que  longue.  Elle  offre  celte  particularité  d'être  écrite  tout 
entière  en  vers  de  trois    syllabes  à  rimes  plaies  et  régulièrement  alternées. 

'  Sur  IJuchanan  (loOG-ioS:!),  consulter  la  thèse  de  Vauthier,  De  Buchanani 
vita  e<  scr/p<ts,  Toulouse,  Chauvin,   1886,  in-8°. 

-  Elle  a  pour  titre  :  Quam  misera  sit  conditio  docentiiini  litteras  hiima- 
niores  Liitetiae.  (Bibl.  Xat.  —  Y'.  9598). 

*  Épître-préface  à  Morel  il,  338). 


'2&8  JOACHIM    DU    BELLAY 

accents  partis  du  cœur  avaient  montré  que  chez  ce  poète 
savant,  qui  jusque-là  n'avait  vécu  que  dans  les  livres  et  par 
les  livres,  la  source  de  poésie,  bien  loin  d'être  tarie  encore, 
était  prête  au  contraire  à  jaillir  avec  force,  pour  peu  qu'il  se 
présentât  une  occasion  favorable.  Il  suffisait,  pour  qu'il  en  fût 
ainsi,  d'un  changement  dans  son  existence,  d'un  cours  nouveau 
dans  ses  idées.  Le  voyage  à  Rome  fut  cette  occasion.  A  quitter 
sa  patrie,  à  fuir  Paris,  qu'il  hal)itait  depuis  cinq  ans,  du 
Bellay  ne  gagna  pas  seulement  do  pouvoir  se  soustraire  à 
l'action  immédiate  de  ses  amis  d'écolo,  à  l'influence  dangereuse 
dos  théories  systématiques  :  il  y  trouva  cet  avantage  d'étendre 
son  horizon  et  d'élargir  le  champ  de  ses  idées.  Au  delà  du 
Collège,  au  delà  de  la  Cour,  il  découvrit  un  nouveau  monde, 
un  pays  différent  du  sien,  des  mœurs  étranges,  une  vie  tout 
à  fait  inconnue.  Et  son  cœur  en  fut  ébranlé,  non  moins  que 
son  esprit.  Car.  on  pénétrant  dans  ce  nouveau  monde,  il  n'y 
trouva  point  ce  ({u'il  y  rêvait.  Tristesses  sur  tristesses,  amer- 
tumes sur  amertumes,  désenchantements  sur  désenchante- 
monts,  voilà  ce  que  lui  réservait  ce  long  séjour  en  Italie.  11 
on  souffrit  jus([u'à  l'angoisse.  Pourtant,  ne  le  plaignons  pas 
trop.  Cette  rude  épreuve  lui  fut  salutaire  :  les  souffrances  de 
son  àmo.  transformant  son  génie,  le  mûrirent,  l'attendrirent, 
parachevèrent  son  développement.  Le  contact  douloureux  de  la 
vie  fut  une  fois  de  plus  bienfaisant  et  fécond  :  et  c'est  ainsi 
que  du  Bellay,  dont  l'étude  avait  fait  un  poète  livresque,  — 
pour  avoir  eu  le  cœur  meurtri  par  les  réalités  brutales,  devint 
un  poète  vraiment  personnel. 


SECONDE     PARTIE 


DU  VOYAGE  DE  ROME  A  LA  MORT 


15SS - 1S60 


CIIAPiTUE  I 


DEPAirr    POUR     L'ITALIE 

LE  CARDINAL  JEAN  DU  BELLAY 
1553 


I.  —  Le  cardinal  Jean  du  Bellay.  —  Le  politique.  —  L'intellectuel. 
II.  —  Rapports  du  poète  et  du  cardinal  avant  1353. 

III.  —  État  d'esprit  de  Joachim.  —  Ses  pensées  d'avenir.  —  Ses  rêves 

d'humaniste. 

IV.  —  Départ  pour  l'Italie.  —  Saint-Symphorien-de-Lay.  —  Lyon.  — 

Arrivée  à  Rome  (juin  1553). 


Ce  voyage  en  Italie,  si  désiré  de  Joachim.  et  qui  devait 
avoir  tant  d'influence  sur  ses  idées  et  son  talent,  il  le  fit  à 
la  suite  de  son  parent,  le  cardinal  Jean  du  Bellay.  L'heure 
est  venue  de  faire  plus  ample  connaissance  avec  cet  habile 
et  savant  prélat,  qui  tient  une  si  grande  place  dans  la  vie 
de  notre  poète  *. 

'  Le  cardinal  du  Bellaj'  n'a  pas  encore  été  l'objet  de  la  monographie  à 
laquelle  il  a  droit.  Sa  vie,  écrite  par  Louis  Trincant  de  Loudun,  n'a  pas 
vu  l'impression  (Dom  Liron,  Biblioth.  Chartraine,  p.  I59j.  On  pourra  consulter 


272  JOAGHIM    DU    BELLAY 

Frère  de  Guillaume  de  Langey,  le  valeureux  capitaine  de 
François  I«'",  Jean  du  Bellay,  tout  d'abord  simple  évêque  de 
Bayonne  (iSaG).  s'était  distingué  de  bonne  heure  par  sa 
finesse  diplomatique.  Ambassadeur  en  Angleterre,  il  avait  su 
gagner  les  bonnes  grâces  d'Henri  VIII  et  le  détacher  de 
Charles-Quint  au  profit  de  la  France,  en  servant  les  desseins 
du  monarque,  qui  voulait  répudier  Catherine  d'Aragon.  Il 
avait  obtenu  que  la  Sorbonne.  en  cette  grave  question,  se 
prononçât,  malgi'é  Noël  Béda,  dans  le  sens  du  divorce,  et. 
s'il  n'avait  pu  réussir  à  convaincre  le  Consistoire,  sur  qui 
pesait  l'influence  impériale,  ce  n'était  pas  faute  d'avoir 
dépensé  beaucoup  d'éloquence  en  faveur  d'Henri  VIII.  Le 
21  mai  i535,  le  pape  Paul  III  l'avait  promu  cardinal,  et  le 
nouvel  élu  s'employait  à  miner  dans  l'esprit  du  pontife  l'au- 
torité de  l'empereur.  L'année  suivante,  lorsque  François  I^r 
partait  défendre  la  Provence  envahie  par  Charles-Quint,  c'est 
à  du  BeHay  (ju  il  avait  confié  le  gouvernement  de  sa  capitale 
et  de  l'Ile-de-France.  Et  depuis,  dix  ans  durant,  le  prélat 
n'avait  cessé  d'être  un  des  meilleurs  conseillers,  un  des  plus 
dévoués  auxiliaires  du  roi  son  maître.  En  môme  temps,  il 
trônait  au  premier  rang  parmi  les  dignitaii'es  ecclésiastiques  : 
en  i532,  il  avait  changé  son  siège  de  Bayonne  pour  celui 
de  Paris,  auquel  il  avait  ajouté  tour  à  tour  l'abbaye  de 
Saint-Maur  (i532),  l'évêché  de  Limoges  (i54i).  l'archevêché 
de  Bordeaux  (i544)»  enfin  l'évêché  du  Mans  (i546),  devenu 
vacant  par  la  mort  de  son  frère,  René  du  Bellay.  Les 
revenus  de  tous  ces  bénéfices  lui  permettaient  une  vie  large, 
un   grand   train   de    maison. 


la  notice  d'Ilauréau,  Hist.  litt.  du  Maine,  t.  III  ;  la  plaquette  du  Marquis  de 
la  Joriquiùrc,  Le  Cardinal  du  liellay  (Ak-nçon,  Renaut-I3e  Broise,  18S7)  ; 
rouvraf^i'  (l'IIeulliard.  Rabelais.  Ses  voyages  en  Italie.  Son  exil  à  Metz  (Paris 
lil)r.  de  lArl,  1891).  —  Un  grand  noinl)re  de  ses  lettres  sont  conservées  à  la 
Bilil.  Nat.  Beaucoup  se  trouvent  dans  Ribier,  Lettres  et  Mémoires  d'Estat 
(Paris.  1077,  2.  vol.  in-l"). 


DÉFAUT    POUR    l'iTALIF.  27^^ 

Ce  sulilii  cl  cU'liô  [xililinuc  iiavail  pas  moins  (|U(^  le  goût 
des  affaires  raiiioiii'  des  choses  de  res[)i'il.  La  Renaissance 
avail  marqué  sur  lui  protbndénienl.  Il  était  ouvcn'l  aux  idées 
nouvelles,  au  point  d'être  suspect,  comuu'  la  i-eine  de  Navarre, 
de  sympathie  pour  la  Réforme  '.  La  cause  des  études  l'avait 
trouvé  toujours  ierveut.  11  avait  uni  ses  efforts  à  ceux  de 
Guillaume  liudé  pour  décider  François  l*^""  à  créer  les  lecteurs 
royaux  (i53o),  et  plus  dune  ibis  par  la  suite,  ou  l'avait  vu 
intervenir  auprès  des  trésoriers  du  roi,  pour  taire  payer  leurs 
gages  aux  savants  professeurs  ^  11  protégeait  tous  les  lettrés, 
Etienne  Dolet,  Salmon  Macrin,  Michel  de  L'Hospital.  Rabelais 
surtout  était  de  sa  part  l'objet  d'une  estime  spéciale  et  d'une 
réelle  allection.  11  avait  fait  de  lui  son  médecin  et  son  secré- 
taire, et  par  trois  fois  il  l'avait  emmené  dans  ses  missions  en 
Italie  '.  Le  prélat  goûtait  fort  la  science  de  l'humaniste  et  la 
variété  de  ses  entretiens  :  maître  François  était  pour  lui  un 
homme  de  tous  les  instants  (omnium  liorarum  hominem).  A 
Rome,  en  i534,  ils  avaient  entrepris  tous  deux  l'étude  des 
vieux  monuments  et  de  concert  faisaient  des  fouilles  *.  Le 
cardinal  savait  à  l'occasion  secourir  le  malheur.  11  recueillit 
dans  son  palais  le  poète  Louis  des  Masui'es  qui,  réduit  à  fuii' 
la  France  —  on  ne  sait  ti-op  pour  quel  motif  —  à  la  mort  de 
François  \^^.  avait  erré  jusqu'en  Sicile  avant  de  débarquer  à 
Rome.  11  le  garda  quatorze  mois  '.  Non  content  d'être  ainsi  le 
Mécène  des  érudits  et  des  lettrés,  ce  très  intelligent  prélat,  que 

*  «  Je  ne  suis  pas  troj)  papiste  »,  dit-il  lui-même  dans  une  lettre  (M'' de 
la  Jonquière,  p.  9/. 

-  V.  la  lettre  caractéristique  que  lui  adressent  J.  Toussaint  et  F.  Yatable 
(Paris,  mai  133ij  ?).  —  Citée  par  A.  LeCranc.  Hist.  du  Coll.  de  France,  p.  129-130. 

*  V.  l'ouvrage  d'Heulhard. 

*  Heulhard,  p.  34. 

5  Heulhard,  p.  i!68-269.  —  Le  fait  est  raconté  par  Louis  des  Masures  dans 
une  pièce  à  Joachim  du  Bellay,  Œuvres  Poëliques,  Lyon,  Jean  de  Tournes  et 
Guill.  Gazeau,  1557,  iu-4°,  p.  15.  (Bibl.  Nat.  —  Rés.  Y^  366). 

Univ.  de  Lille.  Tome  YIII.  A.  18. 


i~i  .lOACHIM    DU    BELLAY 

ne  rebutait  aucune  partie  du  savoir  humain  '.  prenait  plaisir 
lui-même  à  cultiver  les  Muses  :  il  avait  composé  des  poésies 
latines  d'une  jolie  facture,  que  Macrin  se  chai*gea  de  révéler 
au  public  à  la  suite   d'un  recueil   de   ses   Odes  *  (i546). 

Tel  était  l'homme  auprès  duquel  Joacliim  allait  passer 
quatre  années  de  sa  vie.  et  qu'il  allait  avoir  comme  patron 
poui'   le   reste   de   ses  jours. 


II 


L'admiration  du  porte  pour  le  cardinal  datait  de  son 
adole.scence  : 

Ille  etiam    mentem   stimulis   urgebat   lionestis 
Pierii   Janus   gloria   prima   chori  '. 

De  bonne  heure  il  avait  rêvé  de  s'attacher  à  sa  fortune,  et 
c'est  peut-être  sur  son  avis  —  Sainte-Beuve  le  suppose  — 
(|ii"il    avait    tout    d'abord   étudié    le  droit   à    Poitiers. 

A  la  mort  de  François  I^r  (i.")47).  le  cardinal  perdit  un 
peu  de  son  crédit.  Le  nouveau  roi.  tout  entier  aux  Guises, 
à  iMontmorency.  se  déliait  des  anciens  serviteurs  de  son 
père.  Il  nomma  bien  Jean  du  Bellay  de  son  Conseil  d'État, 
mais  il   n'eut   rien  de  plus  pressé  que  de  l'écarter  des  affaires 

'  Si  du  moins  l'on  en  juge  par  sa  bibliothèque.  Le  Biilletindu  Bibliophile, 
janv.-févr.  1894,  p.  38  scjq. .  a  publié —  daté  du  2.  juill.  1360  —  ((  l'inventaire 
des  livres  trouvés  en  un  bahut,  appartenant  au  feu  Reverendissime  cardinal 
M.  du  Bellay  ».  A  côté  d'un  assez  grand  nombre  d'ouvrages  de  tiiéologie  et  de 
religion,  se  rencontrent  des  ouvrages  darcliilecture,  de  médecine,  d'érudition, 
de  littérature  et  de  piiilosopiiie.  Je  relève  notamment  les  Observations  de 
Nizolius  sur  Cicéron,  un  ouvrage  de  Guill.  Postel  sur  la  grammaire  comparée, 
la  Dialectique  de  Ramus.  les  Commentaires  de  César,  Euclide,  un  poème  de 
Scaliger.  les  Géorgiques  de  Virgile,  la  Chronique  d'Eusèbe,  les  œuvres  de 
Jean  Second,  deux  grammaires  hébraïques,  divers  ouvrages  de  Xénophon, 
d'Aristole.  de  Plutartjuc  et  de  Lucien,  etc. 

-  V.  ci-dessus  1"  part.,  ciiap.  i.  §  is ,  p.  ;{|. 

'  Élégie  à  Morel. 


DÉPART    POUR    l'iTALIK  275 

en  lexpédianl  à  Rome  (juillcM  i547),  sur  le  hi'uil  qui  coui'uil 
de  la  mort  procliaine  de  Paul  111.  Ci-tail  une  disgrâce 
déguisée.  Du  Bellay  profita  de  son  séjour  là-has  pour  y 
détendre  au  mieux  les  intérèls  du  roi  de  France.  Mais  lors- 
que malade  de  la  gouUe.  épuisé  par  la  fièvre  (mai  i548),  il 
demanda  son  rappel,  pour  aller  respirer  «  l'ayr  de  la  doulce 
terre  du  Mayne  ».  il  ne  put  l'obtenir  \  Vainement  il  écrivait 
au  cardinal  de  Guise  (a  janvier  i549)  une  lettre  désespérée  *  : 
on  lui  taisait  entendre,  en  le  couvrant  de  Heurs,  que  sa 
présence  à  Rome  était  indispensable,  et  comme  preuve  de 
confiance,  on  le  chargeait  de  nouvelles  négociations.  Le  i5 
février  i549.  i^  recevait  pleins  pouvoirs  d'Henri  II  pour 
traiter  avec  Gênes,  qui  sollicitait  aide  et  protection  contre 
l'empereur.  Le  roi  se  reposait  du  succès  de  l'affaire  «  sur 
le  bon  sens,  vertu,  dextérité,  fidélité,  grande  expérience  et 
diligence  de  son  amé  et  féal  cousin  le  Gard,  du  Bellay  »  '. 
Singulière  coïncidence  :  ce  même  jour  exactement,  le  poète 
Joachim  dédiait  au  cardinal  le  manifeste  de  la  Deffence  et 
louait  en  phrases  pompeuses  celui  qui  donnait  tout  son  temps 
((  au  service  de  son  prince,  au  profit  de  la  patrie  et  à 
l'accroissement  de  son  immortelle  renommée  *  ».  et  qui  soute- 
nait presque  seul,  au  sein  du  Sacré-Collège,  u  le  pesant  faiz 
des   affaires  françoyses    ». 

Deux  mois  plus  tard,  le  cardinal  tombait  en  disgrâce 
(avril  1549).  pour  s'être  montré  trop  fViible  vis-à-vis  du  pape 
dans  la  question  des  induits  '.  Bientôt,  Henri  II  mécontent 
envoyait   à   Rome   pour  le   remplacer  le   cardinal  de   Ferrare  \ 

*  Heulliard,  p.  2Gi. 
-  Heulliard,  p.  2«1. 

*  Ribier,  II,  191.  —  Pour  le  rôle  important  joué  par  le  cardinal  à  Rome 
en  1549,  cf.  encore  p.  171,  189,  192,  196. 

*  Deffence,  p.  43. 

=  Ribier,  11,  206.  Lettre  du  secrétaire  d'État   Duthier  au  chancelier  Fran- 
çois Olivier  (13  avril  1349).  —  Cf.  Mis  de  la  Jonquière,  p.  33-34. 
«  Ribier,  II,  22U. 


•216  JOACBI.M    DU    BELLAY 

Dans  une  lettre  au  roi  du  a'i  août  i549,  du  Bellay  se  défendit 
de  son  mieux  d'avoir  mal  soutenu  les  intérêts  français,  et 
conta  son  chagrin  de  se  voir.  «  après  plus  de  trente  ans  de 
service  ».  soupçonné  d'inlidélité  '.  Tentative  superflue  :  désor- 
mais à  l'écart  des  affaires,  le  prélat  regagna  la  France 
(septembre  i549). 

C'est  alors  que  Joacliim.  qui  traA'aillait  à  son  Recueil  de 
Poësie,  eut  l'idée  de  chanter  V Avantretour  en  France  de 
Monseig-iiew  Reverendiss.  Cardinal  du  Rellay  (I,  246).  Il 
s'écriait  d'un   ton  joyeux  : 

Tu  viendras  donq'  finablement, 
Heureux   Prélat,    et  à  ta  suite 
Retourneront  semblablement 
L'esprit,   la  vertu,    la   conduite. 
Qui   te    suivent  ou  que  tu   voises, 
Veillant   aux  affaires    françoises. 

Puis,  après  avoir  l'ail  son  éloge  et  celui  de  Langey,  «  ce  grand 
Langé  inimitable  ».  il  dépeignait  la  France  heureuse  de  le 
revoir  —  telle   Pénélope   ravie   de   retrouver   Ulysse  —  : 

La  France,   qui  bien  apei'çoit 
Combien  vault  un  esprit  si   saige, 
Apres  longs   Iravuulx   te  reçoit 
Avecques   un  joyeux  visaige  : 
Si   fait  ton  Roy,   bien  heureux  Prince, 
D'avoir  tel   homme  en  sa  province. 

Haste  toy  donq'.  et  n'attens  pas 
Que  la  grand'  épaule  chenue 
Des  Alpes  déçoive  tes  pas. 


'  «  Il  ne  me  pouvoil  advenir  plus  grand  malheur,  qu'après  plus  de  trente 
ans  de  service,  tant  de  fciis  et  en  tant  de  divers  endroits  exploité,  je  vinse  sur 
mes  derniers  jours  en  soupçon  frinlidclité  envers  mon  Maistre.  »  Ribier,  11, 
"2W. 


DÉPART    l'OUH    L'ITALIK  277 

Paris,  joyeux  de  ta  venue. 
Ja  de  loing  venir  te  regarde  : 
Mon  dieu,  que  l'arriver  nie  tarde  ! 

Cette  impatience  était  l)ien  naturelle  :  le  poète  comptait  sur 
le   cardinal   pour  juger   les   essais   de   sa   Muse  : 

Prélat,   te  plaise  temps  élire 
Pour  mes  vers   écouter  ou  lire. 

Mais  surtout,  il  comptait  sur  lui  pour  lui  servir  de  protecteur 
et   de  Mécène.    Il   l'avouait   ingénument  : 

Moy  jeune  et   encores  peu  fier 
Laissant  la  maison   paternelle. 
Au  ciel  je  m'oseray  fier, 
Dessoubs  la  faveur  de  ton  aile  : 
Aile,  dont  la  plume  dorée 
De  tout  le  monde  est  adorée. 

Il  se  donnait  au  cardinal,  et  même,  dans  la  naïveté  de  ses 
épanchements,  il  lui  confiait  le  rêve  qu'il  avait  fait  souvent 
de  l'accompagner  sur   les  bords  du  Tibre  : 

O  la  grand'  ardeur  que  j'avois 
D'appaiser  ma  soif  en  cest'  onde. 
Qui  veid  à  son  bord  quelque  fois 
Les  dépouilles  de  tout  le  monde, 
Et  la  grand'  cité,  qui  encore 
Ainsi  qu'un  demi-dieu  t'adore  ! 
Je  bruloy'  tous  les  jours  après,... 

C'était  s'inviter  d'avance  pour  un  prochain  voyage. 

L'attente  du  poète  fut  trompée  :  le  cardinal  ne  parvint 
pas  jusqu'à  la  Cour.  Une  dépêche  était  venue  de  M.  d'Urfé, 
l'ambassadeur  de  France  à  Rome,  qui  mandait  la  fin  immi- 
nente du  pape  et  se  plaignait  que  deux  cardinaux  français 
seulement,    ceux    d'Armagnac    et   de   Meudon,    fussent    présents 


278  JOACHIM    DU    BELLAY 

(•j  novembre)  '.  Paul  III  mourut  trois  jours  après.  Dès  le  17 
novembre,  le  roi  faisait  partir  en  toute  hâte  ses  cardinaux,  et 
dans  le  nombre  du  Bellay,  cpie  l'on  dut  rencontrer  sur  la  route. 
Ils  arrivèrent  à  Rome  le  la  décembre,  juste  à  temps  pour 
entrer  au  conclave  *.  Le  7  février  t55o.  Jules  III  était  élu. 
Du    Bellay,   dans  cette   élection,   avait   obtenu   huit  suffrages. 

11  ne  reprit  le  chemin  de  la  France  qu'au  début  de  juillet. 
De  retour  à  Paris,  il  alla  se  refaire  dans  son  abbaye  de  Saint- 
Maur.  Il  en  avait  besoin  :  les  fatigues,  la  maladie  avaient 
gravement  altéré  ses  forces.  Mais  Saint-Maur  était  un  lieu  de 
délices,  un  asile  de  repos  et  de  paix  :  on  trouvait  là,  dit 
Rabelais,  «  paradis  de  salubrité,  aménité,  sérénité,  commo- 
dité, délices,  et  tous  honestes  plaisirs  de  agriculture,  et  vie 
rusticque  '  ».  Le  cardinal  avait  fait  élever  par  Philibert  Delorme, 
à  la  place  de  l'abbatiale,  un  joli  palais  italien.  A  l'entour, 
de  magnifiques  jardins  offraient  aux  yeux  des  marbres  rap- 
portés de  Rome  ;  on  y  voyait  même,  ornement  singulier,  une 
antique  statue  de  Priape  *.  Dans  ce  riche  domaine,  il  se 
plaisait  à  recevoir  les  gens  d'esprit  dont  il  aimait  les  entre- 
tiens, Rabelais,  Macrin,  L'HospitaL  :  c'était  sa  cour  à  lui. 
Nul  doute  que  Joachim  n'y  soit  aussi  venu,  qu'il  n'y  ait  lu 
ses  poésies,  cette  ode  notamment  qui  redit  la  çei^tu  du  prélat  *. 

C'est  là  que  l'ancien  ministre  en  disgrâce  vécut  trois  ans, 
dans  le  silence  et  la  retraite,  stins  regret  du  passé,  sans 
souci  de  l'avenir.  II  se  tenait  loin  des  affaires,  quelque  peu 
négligé  par  le  roi,    ((ui   hii    gardait  rancune.  Un  jour  pourtant. 


»  Ribier,  II,  232. 
2  Ribier,  II,  2.56-257. 

^  Rabelais,  dédicace  du  Quart-Livre,  1552.  —  Edit.  Marty-Laveaux,  II, 
251. 

*  Uiiprè-Lasale,  Michel  de  UHospital  avant  son  élévation  au  poste  de  chan- 
celier de  France  (i5o5-j558 ),  p.  lOCt-lOT.  Paris,  Thorin,  1875.  Sa inl-Maur  re- 
vient souvent  dans  les  poésies  de  L'IIospital.  V.édit.  Dufey  de  l'Yonne,  t.  III, 
p.  7,  62,  141. 

•  Celle  de  1552  (II,  2(5). 


DÉPART    POUR    LITALIK  279 

Henri  II  eut  besoin,  pour  n^i^ocier  avec  Jules  III,  d'un 
homme  expert,  dévoué,  qui  connût  bien  lu  Cour  de  Rome  et 
sût  pénétrer  les  secrets  de  la  politique  italienne.  Il  songea  de 
nouveau  à  «  son  amé  et  féal  cousin  ».  Un  rapprochement 
s'ensuivit  :  le  roi  chargea  le  cardinal  d'une  mission  auprès 
du  pape.  Ce  jour-là,  Joachim  dut  être  au  comble  de  ses 
vœux  :  car  son  puissant  parent  consentait  à  se  l'attacher  et 
l'emmenait   en  Italie. 


III 


En  si  grand  honneur  que  du  Bellay  tint  la  poésie,  il  ne 
la  jugeait  pourtant  pas  capable  de  sulïire  à  la  vie  d'un 
homme.  Il  le  disait,  dans  la  seconde  préface  de  VOlwe.  avec 
sa  franchise  habituelle  :  ((  J'ayme  la  poésie, .  . .  mais  je  n'y 
suis  tant  affecté,  que  facilement  je  ne  m'en  retire,  si  la  for- 
tune me  veult  présenter  quelque  chose,  ou  aveccpies  plus 
grand  fruict  je  puisse  occuper  mon  esprit  '  »  (I.  78).  Il  fallait 
vivre,  et  pas  plus  autrefois  qu'aujourd'hui,  l'on  ne  vivait  de 
l'art  des  vers.  D'ailleurs,  il  avait  toujours  eu  le  goût  des 
hauts  emplois.  S'il  voyait  dans  la  poésie  le  plus  sacré  des 
passe-temps,  son  ambition  rêvait  d'occupations  actives.  Jeune 
homme,  il  eût  voulu  être  d'épée  ;  mais  le  destin  ne  l'avait 
pas   permis  : 

'  Il  le  pensait  encore  neuf  ans  plus  tard.  Dans  son  Élégie  à  Morel,  après 
avoir  dit  que  la  poésie  est  sa  seule  richesse  {siint  divitiae  carmina  sola  meae), 
il  ajoute  qu'il  n'est  pas  assez  fou  pour  la  faire  passer  avant  la  médecine,  le 
droit,  la  religion,  la  politique,  le  métier  militaire  : 

Nec  vero  usque  adeo  nobis  mentem  abstulit  omnem 

Delius,  haec  démens  ut  potiora  putem. 
Paeonias  artes,  sanctique  volumina  Juris, 

Quodque  salus  animae  est,  haec  potiora  puto. 
Sunt  potiora  milii,  quae  comnioda  publica  curant. 

Quaeque  hostem  patriis  finibus  ejiciunt. 
Artibus  his  debentur  opes,  debentur  honores. 

Hoc  quisquis  sapiet,  Jane,  sequelur  iter. 


280  JOACHIM    DC    BELLAY 

Si   me  lata   meis   voluissent  vivere  votis, 
Nec   coUum   indigno  supposuisse  jugo. 

Non    aninms   deerat  studiis  gravioribus  aptus. 
Quique    aulain   posset   militiamque   sequi  ^ . 

En  1549.  il  avait  essayé  de  se  pousser  en  Cour,  avec  l'aide 
de  Madame  Marguerite.  Il  accepta  donc  de  grand  cœur 
auprès  du  cardinal  une  situation  qu'il  avait  ardemment 
recherchée   et   dont   il   espérait   beaucoup. 

Jo  sais  bien  que  plus  tard,  à  l'heure  cruelle  des  désillu- 
sions, il  prétendit  être  innocent  de  toute  pensée  ambitieuse 
et  protesta   n'avoir   agi   que   par   devoir  : 

L'honneste   servitude,     où   mon   devoir   me   lie, 
M'a   fait   passer  les   monts   de   France   en    Italie  ^ 

Etait-il  bien  sincère  ?  ou  se  donnait-il  le  change  à  lui-même  ? 
La  vérité,  c'est  qu'au  départ  il  exultait  et  qu'il  aurait  suivi 
son  maître  au  bout  du  monde  \  Il  entrevoyait  ce  voyage 
à  Rome  comme  le  commencement  de  la  fortune  rêvée.  Son 
cœur  s'ouvrait  à  l'espérance  :  il  allait  donc  enfin  connaître, 
avec  la  vie  fastueuse,  les  charges  importantes  qui  menaient 
aux  honneurs  !  Et  puis,  une  auti'e  pensée  le  comblait  de 
joie,  cette  pensée  de  l'humaniste  qui  va  faire  un  pèlerinage 
au  pays  des  vieilles  légendes  et  des  classiques  souvenirs. 
Voir  Rome  !  quelle  jouissance  pour  un  élève  de  Dorât  !  Dans 
l'ardeur  de  son  enthousiasme,  il  se  sentait  comme  une 
flamme  nouvelle,  un  désir  infini  de  tout  savoir,  de  tout 
comprendre  : 

'  Élégie  à  Morel. 
■  Regrets,  s.  27. 
^  Élégie  à  Morel  : 

Millitur  interea  Romam  Bellaïus  illi", 

Quo  duce  Laurent! s  vidimus  arva  soli. 
Necduin  lotus  erat  dcpulsus  corpore  languor, 

Alpil)us  et  (luris  ille  sequendus  eral. 
Sed  milii  ))er  Scytliieas  rupes  et  iiih<)s])il;i  saxa, 
lUuni  duui  seqiierer,  molle  luissct  iter. 


DKI'ART    POl  U    l'iTALIK  281 

Je   me    feray    sçavant   en   la   philosophie, 
En   la    mathématique,  et   médicine   aussi  : 
Je    me  feray  légiste,   et  d'un   plus    hault  soucy 
Apprendray  les  secrets  de  la  théologie  : 

Du  Ivit  et   du  pinceau  j'ébatteray  ma  vie, 
De  l'escrime  et  du  bal.  —  Je  discourois  ainsi. 
Et  me  vantois  en  moy  d'apprendre  tout  cecy. 
Quand  je    changeay  la  France  au  séjour  d'Italie  '. 

Sans  nul  doute,  au  départ,  une  pensée  de  gratitude  s'éleva 
du  cœur  du  poète  pour  celui  qui  lui  rendait  possible  ce  rêve 
de  science  universelle.  Ainsi  Rabelais  jadis,  dans  une  effusion 
de  reconnaissance,  remerciait  le  cardinal  de  lui  avoir  fait 
contempler  l'antique  capitale  du  monde  :  Qiiod  maxime 
mihi  fuit  optatum  jam  inde  ex  qiid  in  literis  poUtiorihus 
aliquem  sensiim  habui.  ut  Italiam  peragrare  Roniamque  orbis 
caput  invisere  posseni,  id  tu  niirifica  quadam  benignitaie 
praestitisti  ' .' 


IV 


C'est    au    mois    d'avril    i55'3    que    le    cardinal    se    mit    en 
chemin    '.    Le    poète    partit    à    sa    suite,    après   avoir   fait    ses 

'  Regrets,  s.  .32. 

-  Dédicace  de  la  T opo graphia  antiquae  Romae  Ae  ^iarWani .  Lyon,  Séb. 
Gryphe,  1534.  —  Rabelais,  édit.  Marty-Laveaux,  III,  332. 

'  Tous  les  biographes  du  poète  ont  fait  erreur  sur  la  date  précise  de  son 
voyage  en  Italie,  qu'ils  placent  en  1350  (Goujet,  Sainte-Beuve,  Ballu),  1551 
(Revillout,  Pellissier)  ou  1552  (Marty-Laveaux,  de  Xolhac,  Faguet).  Le  doute 
n'est  pas  possible.  Joachini  est  resté  à  Rome  près  de  quatre  ans  et  demi 
[Regrets,  s.  174).  Il  y  était  encore  au  mois  d'aoîit  1557  (v.  plus  loin,  chap.  vi, 
§  n).  D'ailleurs,  il  dit  formellement  qu'il  a  suivi  le  cardinal  iquo  duce  ;  se- 
qnendus)  :  or  le  cardinal  ne  se  mit  en  route  qu'après  la  mort  de  Rabe- 
lais (9  avril  1553,  d'après  Heulhard,  p.  338  et  341).  On  remarquera  que  cet 
espace  de  temps  (1553-1557)  correspond  exactement  h  l'espace  i)endant  lequel 
du  Bellaj'n'a  rien  publié.  Le  dernier  ouvrage  qu'il  ait  fait  paraitreest  la  2' édi- 
tion du  Recueil  de  l^oësie  dont  l'achevé  d'imprimer  est  du  8  mars  1352  (n.  s. 
1533). 


282  JOACHIM    DL"    BELLAY 

adieux  à  uno  maîtresse  peut-être  imaginaire  '.  A  l'en  croire, 
ce   voyage   commença  sous   de   mauvais   auspices    : 

. . .   Sur   le   sueil    de   l'huis,   d'un  sinistre   présage, 
Je   me  l)lessay   le  ])ied   sortant   de   ma    maison  '. 

Du  v()ya>;('  lui-uicme.  nous  savons  peu  de  chose.  On  fit  une 
halte  entre  Roanne  et  Lyon,  à  Saint-Sympliorien-de-Lay.  C'est 
là  que.  le  9  janvier  i543.  au  pied  du  mont  Tarare,  avait 
succombé  d'épuisement  le  grand  Langey,  parti  de  Piémont  en 
litière,  malgré  la  goutte  qui  le  tenaillait,  pour  donner  au  roi 
d'importants  avis  \  L'esprit  hanté  dans  son  sommeil  par  ce 
funèbre  souvenir,  du  Bellay  dormit  mal.  Comme  il  se  retour- 
nait ((  sur  l'hosteliere  plume  »,  il  crut  voir  apparaîti-e  à  ses 
yeux  le  héros  qu'il  admirait  tant.  11  en  eut  un  sursaut  et 
s'éveilla.  ((  tressuant  »  defTroi  *.  C'est  peut-être  à  Saint- 
Symphorien  ({iiil    traça    la  concise  épitaphe  de   Langey    : 

Hic  situs   est   Langeus.   Ultra   nil   quaere.  viator  : 
Nil  majus  dici.   nil  potuit   hrevius  '\ 

Puis  on  parvint  à  Lyon.  Je  ne  redirai  pas  après  tant 
d'autres  '  ce  ([u'était  au  xvi^  siècle  cette  cité  fameuse,  —  «  le 
second  o-il   de  France  ».  dit  J.    Lemaire   de  Belges  ',  —  où  les 

'  Du  regret  de  l'autheur  tia  partir  de  France  (1.  327).  Ce  sonnet  est  imité 
du  premier  sonnet  de  Pétrarque. 

-  Regrets,  s.  25. 

^  Rabelais,  qui  l'accompagnait  à  ce  dernier  voyage,  a  raconté  cette  agonie 
qui  l'avait  fortement  frappé  (Hv.  III,  chap.  2!,  et  liv.  IV,  chap.  27).  —  Cf. 
Heulhard,  p.  168-170. 

*  D'un  songe  qu'il  feit  passant  d  S.Saphorin  et  Sur  ce  mesme  propos  (1,328). 

•'  Poeinata,  {■'  iiO  v">. 

•*  Sainte-Beuve,  art.  sur  Louise  Labé  (1845),  dans  les  Portraits  Contempo- 
rains, t.  V,  p.  3  ;  —  Christic,  Etienne  Dolet  (1880),  trad.  C.  Stryicnski,  p. 
159;  — Chenevière,  Bonav .  des  Périers  (188a),  p.  43  ;  —  Bourciez,  Les  mœurs 
polies...  (188()),  p.  123  ;  —  Thibaut,  Marguerite  d'Autriche  et  Jehan  Lemaire 
de  Belges  (1888),  p.  143;  —  Brunot,  De  Philiberti  Bugnonii  vita....  (1801), 
p.  0;  —  Buisson,  Sébastien  Castellion  (1892),  t.  I,  p.  14. 

■  Illustrations,  liv.  I,  chap.  13.  —  Édit.  Slechcr,  t.  1,  p.  86. 


DÉPART    POl'R    L'iTAI.ir:  283 

lettres  et  les  arts  n'étaient  pas  en  moins  grand  honneur  que 
l'industrie  et  le  commerce.  C'était  la  patrie  de  Maurice  Scève, 
un  précurseur  de  la  Pléiade.  Joachim  le  vit  au  passage  et  lui 
dédia   ce    beau    sonnet  : 

Gentil  esprit,  ornement  de  la  France, 
Qui  d'Apollon  sainctement  inspiré 
T'es  le  premier  du  peuple  retiré, 
Loing  du  chemin  tracé  par  l'ignorance, 

Sçeve  divin,  dont  l'heureuse  naissance 
N'a  moins  encor    son  Rosne  décoré, 
Que  du  Thuscan  le  fleuve  est  honnoré 
Du  tronc  qui  prent  à  son  bord  accroissance, 

Reçoy  le  vœu.  qu'un  dévot  Angevin 

Enamouré  de  ton  esprit  divin. 

Laissant  la  France,  à  ta  grandeur  dédie  : 

Ainsi  tousjours  le  Rosne  impétueux, 

Ainsi  la  Sône  au  sein  non  fluctueux. 

Sonne  tousjours  et  Sçeve,  et  sa  Délie.        (II,  i43)- 

Il  vit  aussi  Pontus  de  Tyard  et  son  cousin  Guillaume  des 
Autelz.  et  leur  adi*essa  de  même  un  fraternel  salut  (II,  i44)- 
Des  Autelz  avait  jadis  écrit  contre  la  Deffence  '  :  mais  la 
réconciliation  fut  d'autant  plus  facile  que  l'adversaire  s'était 
rallié  depuis  aux  principes  de  la  nouvelle  école.  Pour  témoigner 
de  ses  bons  sentiments,  des  Autelz  composa  deux  pièces  ^  où, 
célébrant  la  rencontre  qu'il  avait  faite  de  du  Bellay,  il  chantait 


*   V.  ci-dessus.  Impartie,  chap.  v,  §  ii,  p.  147-151. 

^  1»  Une  ode,  ou  plutôt  une  «  façon  lyrique  »  en  cinquains  :  A  I.  du  Belay 
rencontré  à  Lyon,  en  son  chemin  de  Homme.  2'  Un  sonnet  :  A  loachim  du 
Belay,  trouvé  à  Lyon  lors  qu'il  alloit  à  Homme.  —  Ces  deux  pièces  li^u- 
rent  dans  V Amoureux  Repos  de  Guillaume  des  Autelz,  Gentilhomm.e  Chnrro- 
lois,  Lyon,  Jean  Temporal,  loo3,  in-8'.  L'ouvrage  contient  deux  privilèges, 
l'un  daté  de  Paris,  27  mai  loo3,  l'autre  de  Lyon,  12  juin  loo3.  L'achevé  d'im- 
primer est  du  lii  juin  de  la  même  année.  (Bibl.  Nat.  —  liés.  Y'.  14(fô). 


284  JOACHIM    DU    BELLAY 

ses  louanges  et  souhaitait  au  voyageur  toute   sorte   de   prospé- 
rités.   Il   invoquait   pour   lui   la   déesse   de    Cypre  : 

Donc,   par  prière  flateuze. 
Impctre  le  chemin  doux 
A  la  Muse  doucereuze. 
La  Muse  noble  amoureuse, 
Bellay,   bel  Astre  entre  nous. 

Que  la  froydeur  blanchissante 
Des  nions,   qui  clierchent  les  cieux, 
Ne  soit  rudement  nuysante 
A  cette  lampe,   veillante 
Au  service  des  bons  dieux. 

Ces  souhaits  n'étaient  pas  superflus.  Il  semble  bien,  en 
eflet,  qu'au  passage  des  Alpes,  le  |)auvrr  Joachim  tut  repris 
do  ses  fièvres,  et  quun  moment  il  eut  gi'and'peur  de  ne 
jamais  voir  Rome.  Il  fit  des  vœux  païens  à  la  Fièvre,  à  la 
Santé,  ((  nourrice  des  hommes  ».  Même  malade,  il  restait 
humaniste.  Il  lut  guéi-i  par  la  Saignée,  qu'il  remercia  dans 
un   sonnet   débordant  de    reconnaissance   *. 

Le  voyage  s'acheva  sans  incident.  Le  cardinal  était  passé 
par  Genève  et  la  Suisse.  Il  descendit  en  Italie  par  Côme, 
Brescia  et  Ferrare  '.  Le  7  juin,  il  était  à  Fano  '.  Dans  le 
courant   du  même   mois,    il  faisait  son  entrée  à  Rome. 


*  Elégie  à  Morel  : 

Neciluiii  lotus  erat  dcpulsus  corpore  languor, 

Alpihus  et  duris  ille  sequendus  erat. 

Cf.  sonnets,  I.  329-332. Toutefois  le  sonnet  A  son  Luth  n'appartient  pas  à  eette 

époque  :  il  est  traduit  d'une  épigramme  latine  de  Saint  Gelays,  certainement 

postérieure.  V.  Œuvres  de  Mellin  de  Saint-Gelays,  édit.  elzév.,  t.  II,  p.  255. 

-  Heulliard,  p.  341 . 

^  Ce  jour-là,  il  éerit  au  connétat)le  pour  conseiller  au  roi   la  conquête  de 
la  Corse  (Ribier,  II,  467). 


CHAIMTRK    II 


LES    «  ANTIQUITEZ    DE    ROME 


I.  —  L'humanisme  et  les  ruines  de  Rome.  —  Promenades  de  du 
Bellay  dans  Rome.  —  Son  poème  «  Romae  descriptio  »  . 

II.  —  Les  «  Antiquité/,   de  Rome  »  :   les  idées  principales  de  l'ou- 
vrage. 
III.  —  Valeur    du   recueil  :    c'est    une   œuvre  de   transition.  —   Le 
«  Songe  ».  —  Une  note  nouvelle   en   poésie  :  le  sentiment 
des  ruines. 


Lorsqu'on  a  vécu  de  longs  jours  dans  le  commerce  des 
anciens,  qu'on  s'est  nourri  de  leurs  ouvrages  et  qu'on  s'est 
fait  par  la  pensée  une  âme  antique,  le  rêve  le  plus  doux  que 
l'on  puisse  former,  c'est  de  voir  le  sol  qu'ont  foulé  leurs 
pas,  les  lieux  vénérables  et  saints  où  s'est  déroulée  leur  his- 
toire, les  souvenirs  qu'ils  ont  laissés  de  leur  passage.  Au 
pays  qui  fut  leur  pays,  devant  les  choses  qu'ils  contemplèrent 
et  qui  furent  les  muets  témoins  de  leurs  actes,  en  présence 
des  monuments  qu'érigea  leur  génie,  on  les  comprend  mieux 
tout  entiers,  on  sent  revivre  un  peu  d'eux-mêmes.  Les  dis- 
cours et  les  lettres  de  Cicéron,  les  narrations  de  Tite-Live 
et   de  Tacite,  les   poèmes   de  Virgile  et  d'Horace,    de  Properce 


28(J  JOACHIM    DU    BELLAY 

cA  ilOvide,  nous  donnent  quelque  idée  de  la  Rome  antique  : 
mais  combien  cette  idée  se  précise,  quand  nous  voyons  Rome 
elle-même  et  ce  qui  reste  de  son  passé  !  Ainsi  s'explique 
r attraction  qu'a  toujours  exercée  sur  les  humanistes  la  vieille 
capitale,  et  le  respect  qu'ils  n'ont  cessé  d'avoir  pour  ses 
débris.  Le  sagace  historien  à  qui  nous  devons  le  tableau  de 
la  culture  en  Italie  à  l'époque  de  la  Renaissance,  a  consacré 
très  justement  tout  un  chapitre  de  son  ouvrage  à  a  Rome, 
la  ville  aux  ruines  célèbres  »  '.  Le  culte  des  ruines  romaines 
est  né  dans  les  esprits  en  même  temps  que  l'humanisme. 
Pétrarque  est  le  premier  qui  ait  aimé  le  sol  de  Rome  et 
senti  fortement  la  majesté  de  ses  reliques.  Il  avait  trente-deux 
ans  lorsqu'il  les  contempla  pour  la  première  l'ois  :  l'impres- 
sion qu'il  en  reçut  fut  saisissante,  ineffaçable  *.  Que  de  fois 
il  monta  depuis,  avec  son  ami  Giovanni  Golonna,  sur  les 
voûtes  des  Thermes  de  Dioclétien,  évoquant  le  passé  de 
l'histoire  dans  le  silence  mystique,  pendant  que  leurs  yeux 
se  posaient  sur  les  restes  épars  de  la  ville  éternelle  !  Il 
connut  ainsi,  le  premier  des  modernes,  la  méditation  senti- 
mentale devant  les  ruines.  On  relève  des  émotions  du  même 
genre  dans  les  écrits  du  Pogge.  Dans  une  page  éloquente, 
il  nous  a  raconté  l'impression  douloureuse  que  lit  sur  un 
de  ses  amis  et  sur  lui  Rome  désolée,  vue  du  Gapitole  ^ 
Non  content  de  sentir  en  artiste,  il  voulut  décrire  en  savant, 
et,  tempérant  l'imagination  par  la  science,  il  appuya  l'étude 
des   ruines    sur    celle    des   auteurs  et  des  inscriptions  \   Après 

<  Jacob  Burckharilt,  3'  part,  ohap.  2.  —  Trad.   Schmitt,  t.   I,  p.  218. 

-  1*.  de  Nolhae,  Pétrarque  et  l'Humanisme,  p.  19.  Thèse.  Paris,  Bouillon, 
1892,  in-S". 

^  Cette  page  est  citée  par  J.  P.  Gliarpentier,  Histoire  de  la  Renaissance 
des  Lettres  en  Europe  au  xv'  siècle,  t.  I,  p.  206.  Paris,  Maire-Nyon,  1843.  — 
Charpentier  en  rapproclie  la  lettre  de  Chateaubriand  à  Fontanes  sur  la  cam- 
pagne romaine. 

*  Ruinarum  urbis  Romae  descriptio,  vers  1430,  d'après  Burckhardt,  t.  I, 
p.  221. 


LES     ((    ANTIQUITKZ    DK    HOMK    ))  iSl 

Pétrarque,  après  le  Pogge.  Ijcaucuup  d'iiunianistes,  dcrudits. 
d'antiquaires,  eurent  le  même  culte  et  la  même  piété  pour  les 
débris  augustes  de  la  reine  du    monde. 

Il  était  naturel  que  du  Bellay,  dès  son  arrivée  à  Rome, 
subît  à  son  tour  cette  fascination.  L'àme  imprégnée,  comme 
il  l'avait,  de  souvenirs  classiques,  il  dut  sentir  un  vif  émoi, 
lorsqu'il  se  vit  enfin  dans  la  vieille  cité  dont  il  avait  jadis 
évoqué  mainte  fois  la  vision  imaginaire,  aux  leçons  de  Dorât, 
là-bas,  dans  le  sombre  Collège  de  Goqueret.  On  aime  à  se  le 
figurer,  dès  les  premiers  temps  de  son  séjour  à  Rome,  explo- 
rant, tantôt  seul,  tantôt  avec  Bailleul  '.  tous  les  coins  de  la 
ville,  sarrétant  à  chaque  pas  devant  les  choses  nouvelles  qui 
frappaient  ses  regards,  demeui-ant  de  longues  heures  à 
contempler  l'éminence  du  Gapitole.  la  colonne  Trajane  ou 
l'arc   de    Constantin. 

Une  pièce  de  son  œuvre  résume  assez  bien  les  multiples 
sensations  que  son  cœur  dut  épi^ouver.  C'est  une  pièce 
latine  :  par  ferveur  d'humaniste,  du  Bellay  n'a  pas  cru  qu'on 
pût  dignement  parler  de  la  ville  éternelle  dans  une  autre 
langue  que  la  langue  du  lieu.  Son  poème  Roinae  descriptio  -.  très 
admiré  de  Sainte-Beuve  %  est  une  curieuse  peinture  de  Rome  vue 
dans  son  ensemble  *.  Voici  d'abord  le  Tibre  aux  eaux  jaunâtres 
et  la  vieille  enceinte  romaine  qui  court  à  travers  la  campagne. 
La  ville  moderne  ne  la  remplit  plus.  En  maint  endroit,  la 
muraille  tombe   en  ruines  ;    mais  elle  a  gardé  son     air  d'autre- 


*  Une  éuigramme  des  Poemata  (f"  22  v"  :  Ad  Lodoicum  Baillolium)  nous 
apprend  que  Bailleul  connaissait  à  fond  les  monuments  de  Rome  (nulli  nota 
magis  veterum  moniimenta  Qairitum]  et  qu'il  avait  servi  de  guide  à  du 
Bellay  (quae  nos  luslravimus  unu).  Joachim  lui  dédie  encore  le  s.  30  des 
Regrets . 

■  Poemata,  i"  3  v  . 

'  Nouveaux  Lundis.  XIII,  342. 

*  Je  ne  saurais  trop  remercier  mon  ancien  collègue,  M.  Fougères,  du  pré- 
cieux concours  qu'il  m'a  prêté  dans  l'éclaircissement  de  cette  pièce,  dont  la 
composition  est  très  défectueuse  et  les  détails  parfois  très  obscurs. 


288  JOACHIM    DU    BELLAY 

fois,  impérieux  et  monaçant.  Un  vaste  amas  de  constructions 
domine  la  cité  des  papes  :  Saint-Pierre  encore  iuaciievé,  qui 
s'annonce  déjà  la  merveille   de  lltalie. 

Quo  nullum  Ausonia  pulclirius  extat   opus, 

l'immense  Vatican,  déroulant  ses  galeries,  que  termine  l'élé- 
gant Belvédère.  Puis,  c'est  une  vision  de  créneaux  aériens, 
la  masse  imposante  du  tombeau  d'Adrien,  des  ponts  aux 
arches  surélevées,  des  palais,  des  églises,  le  Panthéon 
d' Agrippa,  la  lonttiine  de  l'Aqua  Virgo.  —  Après  les  monu- 
ments, le  spectacle  des  mœurs.  Les  arts  cliers  à  Pallas,  le 
jeu  des  armes,  les  courses  de  chevaux,  les  rumeurs  de  la 
politique,  tout  a  sa  place  a  Rome  :  la  fortune  y  règne  en 
maîtresse,  et  Vénus  elle-même  y  compte  plus  de  dévots 
qu'ailleurs  :  n'est-elle  pas  la  mère  des  Romains  ?  Dans  cette 
ville  tapageuse,  où  résonnent  confusément  les  appels,  les 
clameurs,  les  sifflets,  les  joyeux  lazzi,  les  rires  bruyants,  la 
musique  des  chansons  et  des  danses,  la  femme  déploie  avec 
art  les  séductions  et  les  appâts  :  le  front  ceint  de  bandeaux 
ornés  de  pierreries .  les  joues  rouges  de  fard .  des  colliers 
d'or  autour  d'un  cou  de  lait,  des  brillants  à  leurs  doigts  de 
neige,  des  perles  en  pendants  d'oreilles,  les  cheveux  frisés 
en  accroche-cœur,  vêtues  de  vêtements  de  pourpre  aux 
franges  d'or  et  de  longues  robes  flottantes  qui  tombent  jus- 
qu'aux pieds ,  les  Romaines  ont  le  secret  des  savantes 
démarches,  des  savantes  œillades,  des  savants  jeux  de  main. 
—  Et  voici  maintenant  les  nobles  créations  de  l'art,  les 
chefs-d'œuvre  de  la  sculpture,  les  statues  de  marbre  et  de 
bronze  ([ui  ont  reçu  le  don  de  vie  :  Laocoon  et  ses  deux 
fils,  l'Apollon  du  Belvédère  et  la  Vénus  tle  Cnide,  Rome 
guerrière     '.     la     Louve     allaitant     les     jumeaux     Romulus     et 

'  Visconti,  Musée  Fio-Clernentino,  trad.  franc.,  Milan,  Giegler,  1818,  t.  II, 
pi.  15. 


LES     a    ANTIQUITEZ    DE   ROME    ))  ^89 

Réilius,  le  Tireur  d'épine.  l'Hercule  en  bronze  <loré  du  Capi- 
tole,  Marc-AuW'le  à  cheval,  les  bustes  des  Césars,  le  Tibre 
et  le  Nil.  Cléopàtre  mourante  \  le  groupe  de  Mars  et  Vénus, 
les  Colosses  de  Monte  Cavallo.  le  Satyre  et  lEnlant,  Adonis 
blessé,  combien  d'aulres  encoi'e  !  —  VA  pour  (inir,  le  poète 
évoque  à  nos  yeux  le  spectacle  mélancolique  des  ((  pou- 
dreuses ))  antiquités.  La  pyramide  de  Cestius.  la  l)rcche 
formidable  du  Colisée,  la  muette  désolation  des  caveac 
désertes,  les  murs  couverts  de  ronces  et  les  temples  enfouis 
sont  le  point  de  départ  d'unc^  rêverie  douloui-euse  sur  la 
chute  de  toute  grandeur,  la  fragilité  de  toute  puissance.  Pour 
ne  point  l'affaiblir  par  une  traduction,  je  cite  dans  le  texte 
ce   développement   qui   n'est   j)as  sans  beauté  : 

Aspice   ut  lias    mohns.    quondamque    niinanlia    Divis 

Moenia   luxurians  lierba   situsque    tegant. 
Hic   ubi  praeruptis  nulantia  culmina   saxis 

Descemlunt   coelo,   maxima  Roma    fuit. 
Nunc  juvat   exesas   passim   spectare  columnas. 

Et   passim  veterum    tenipla    sepidta  Deùm, 
Nunc  Martis   campum.    Thermas,  Circumque.  Forumque, 

Nunc  septem   Colhns,    et   monumenta    vin'im. 
Hac   se    victores   Capitolia   ad    alta    ferebant. 

Hic   gemini  fasces,    Consulis   imperium. 
Hic   Rostris   locus.    hic    niagnus   regnare    solebat 

TuUius,    hic   plebis   maxima   turba   fuit. 
Heu  tantum  inq)erium  terrisque   undisque   superbum 

Et   ferro    et   (lamma   corruit   in   cineres. 
Quacque   fuit   quondam    sumrais  Urbs   aemula  Divis, 

Barbarico   potuit   subdere   colla  jugo. 
Orbis   praeda   fuit,    totum   quae   exhauserat   orbem. 

Quaeque   Urbis   fuerant.    nunc   habet   Orbis   opes. 

'  Avec  tous  ses  contemporains,  du  Bellay  prend  pour  Cléopâtre  l'Ariane 
couchée  du  Vatican.  Il  a  vu  l'aspic  légendaire  dans  ce  qui  n'est  qu'un  brace- 
let. Cf.  Visconti,  t.  II,  pi.  44. 

Univ.  de  Lille.  To.mk  VIII.  A.  49. 


290  JOACHIM    DU    BELLAY 

Caetera   tempus   edax   longis   tegit   obruUi   seclis, 

Ipsaque   nunc   tumulus   mortua   Roma   sui   est. 

Disce   liinc,   humanis   qiiae   sit  fîducia   rébus  : 
Hic   tanti   cursus   tam  brevis   imperiiV 

A  ce  peu  de  durée  des  œuvres  matérielles,  l'auteur  oppose 
la  durée  infinie  des  œuvres  de  l'esprit.  La  grande  Rome  est 
morte  :  mais  les  écrits  de  ses  poètes  vivent  toujom's.  Les 
plus  beaux  monuments  périssent  :  la  poésie  est  immortelle  et 
rend  immortel  ce  qu'elle  a  touché.  Dans  cette  méditation 
historico-philosophique,  digne  de  Pétrai-que  ou  du  Pogge.  il 
est  aisé  de  reconnaître  la  pensée  première  et  comme  le 
germe  des  Antiqiiitez   de  Rome  '. 


11 


Les  Antiqiiitez  de  Rome  sont  un  petit  recueil  de  trente- 
deux  sonnets,  que  suit  un  Songe  ou  Vision  en  quinze 
sonnets  '.  Il  n'y  faut  point  chercher  un  tableau  méthodique 
et  précis  qui  fasse  revivre  à  nos  yeux  chacun  des  vestiges 
de  Rome,  Du  Bellay  ne  s'attache  qu'à  l'impression  d'ensemble^ 
nullement  aux  détails.  Ce  qu'il  nous  présente  de  Rome, 
c'est  «  une  générale  description  de  sa  grandeur  et  comme 
une   déploration   de   sa   ruine  »  .  Le   fond   même  de   l'ouvrage, 

'  Rapprocher  de  ce  passage  un  autre  développement  que  du  Bellay  met 
dans  la  bouche  du  Tibre  (l'oemala,  f"  7  v")  : 

111e  ego  sum  Tybris  toto  notissimus  orbe. . . 

-  Elle  est  condensée  tout  entière  dans  le  s.  o  des  Antiquitez. 

'  Le  premier  livre  des  Antiquitez  de  Rome,  contenant  une  générale  de- 
scription de  sa  grandeur  et  comme  une  déploration  de  sa  ruine,  par  loach. 
du  Bellay  Ang.  Plus  un  Songe  ou  Vision  sur  le  mesme  subiect,  du  mesme 
autheur.  Paris,  Fcdcric  Morel,  loocS,  in-4».  Privilège  daté  de  Fontainebleau,  3 
mars  l;w7  (n.  s.  i'SSHj. —  Marty-Laveaux,  II,  :iG3-288.  —  L'auteur  de  la  Reine 
des  Fées,  lidmund  Spcnscr,  a  traduit  en  anglais  les  Antiquitez  et  le  Songe 
(The  Ruines  of  Rome  ;  The  Visions  of  Bellay).  Édit.  R.  .Morris,  Londres, 
Macmillan,  1«86,  in-8%  p.  526  et  538. 


LES     ((    ANTIQUITKZ    DE   ROME    ))  :291 

c'est  le  navi'aut  contraste  entrer  sa  puissance  passée  et  son 
actuelle   déchéance. 

Plusieurs  idées  sont  l'amilières  à  l'esprit  du  poète  et 
l'eviennent  dans  ses  soiniets  avec  des  expressions  diverses. 
C'est   d'abord    la   f^randeur    colossaU'    de    la    Home    d'autrelbis  ': 

Rome  lut  tout  le  monde,  et  tout  le  monde  est  Rome, 

s'écrie-t-il  dans  un  vers  cornélien  (s.  26).  Il  la  compare  à 
l'antique  Gybèle,  la  déesse  féconde,  (^ui  s'avançait  triom- 
phante   et   superbe  : 

Telle  que   dans   son   char   la    Berecynthienne 
Couronnée   de    tours,    et  joyeuse   d'avoir 
Enfanté    tant   de   Dieux,    telle    se    faisoit    voir 
En   ses  jours    plus   heureux   ceste    ville   ancienne  : 

Ceste    ville,    qui    fut   plus   que    la    Phrygienne 
Foisonnante   en   enfans,    et   de    qui    le    pouvoir 
Fut   le   pouvoir   du   monde,    et   ne    se   peult    revoir 
Pareille   à   sa    grandeur,    grandeur   sinon    la   sienne. 

Rome   seule   pouvoit   à    Rome   ressembler, 
Rome   seule   pouvoit   Rome   faire  trembler  : 
Aussi   n'avoit   permis   l'ordonnance   fatale, 

Qu'autre  pouvoir  humain,   tant  fust  audacieux, 

Se  vantast  d'égaler  celle  ([ui   (il  égale 

Sa  puissance  à  la  terre,  et  son  courage  aux  cieux,  (S.  6). 

Comment  tant  de  grandeur  a-t-elle  pu  crouler?  C'est  qu'une 
loi  fatale  s'oppose  à  tout  excès  dans  la  puissance  ou  la  for- 
tune. Quand  on  monte  trop  haut,  on  devient  la  victime  de 
la  Némésis  vengeresse.  Rome  a  renouvelé  contre  le  ciel  la 
tentative   des   Géants,    et   les   Dieux  jaloux   l'ont   punie  *  : 

»  S   G,  8,  26. 
-  S.  4,  11,  ii. 


292  JOAGHIM    DU    BELLAY 

Telz  que  Ion  vid  jadis  les  enfans  de  la  Terre 
Plantez  dessus  les  monts  pour  escheller  les  cieux. 
Combatti'e  main  à  main  la  puissance  des  Dieux. 
Et  Juppitei'  contre  eux.  qui  ses  foudres  desserre  : 

Puis  tout  soudainement  renversez  du  tonnerre 
Tumber  deçà  delà  ces  squadrons  furieux. 
La  Terre  gémissante,  et  le  Ciel  glorieux 
D'avoir  à  son  honneur  achevé  ceste  guerre  : 

Tel  encor'  on  a  veu  par  dessus  les  humains 
Le  front  audacieux  des  sept  costaux  Romains 
Lever  contre  le  ciel  son  orgueilleuse  face  : 

Et  telz  ores  on  void  ces  champs  deshonnorez 

Regretter  leur  ruine,  et  les  Dieux  asseurez 

Ne  craindre  plus  là  hault  si  effroyable  audace.    (S.  12). 

Sous  sa  mythique  formule ,  cette  raison  philosophique 
ne  suffit  pas  à  rendre  compte  d'une  chute  aussi  lamentable. 
Il  y  faut  encore  une  cause  humaine  :  Rome  est  tombée  par 
les  guerres  civiles  '.  Tant  que  ses  fils  ont  vécu  dans  l'union, 
elle  est  restée  puissante  et  forte.  Du  jour  où  la  discorde  est 
entrée  dans  ses  murs,  elle  était  marquée  pour  la  décadence. 
Frappée  dans  sa  vigueur,  elle  commença  de  décroître  et  fina- 
lement subit   les   outrages   des    peuples   qu'elle  avait   vaincus  : 

Comme  on  passe  en  esté  le  torrent  sans  danger, 
Qui  souloit  en  hyver  estre  roy  de  la  plaine, 
Et  ravir  par  les  champs  d'une  fuite  hautaine 
L'espoir  du  laboureur  et  l'esjjoir  du  bergei*  : 

Comme  on  void  les  couards  animaux  oultrager 
Le  courageux  lyon  gisant  dessus  l'arène, 
Ensanglanter  leurs  dents,  et  dune  audace  vaine 
Provoquer  l'ennemy  qui  ne  se  peult  venger  : 

'  S.  10.  22.  23,  24,  31. 


LES     «    ANTIQLITEZ    DE    ROME    ))  293 

Et  comme  devant  Troyo  on  vid  des  Grecz  encor 
Braver  les  moins  vaillans  autour  du  corps  d'Hector  : 
Ainsi  ceulx  qui  jadis  souloient,  à  teste  basse, 

Du  triomphe  Romain  la  gloire  accompagner. 

Sur  ces  poudreux  tumbeaux  exercent  leur  audace, 

Et  osent  les  vaincuz  les  vainqueurs  desdaigner.  (S.   i4)- 

Et  maintenant,  Rome  n'est  plus  qu'un  monceau  de  ruines  '  : 
de  vieux  palais  et  de  vieux  murs,  des  arcs  triomphaux  rongés 
par  le  temps,  des  temples  à  moitié  détruits,  des  colonnes 
décapitées,  des  pierres  gisant  sur  le  sol,  voilà  tout  ce  qui 
reste  d'elle  :  mais  ces  débris  sont  imposants,  et  Rome  n'est 
pas  tellement  abattue,  ([u'au  milieu  de  ses  ruines  elle  ne 
garde  un  air  de  sauvage  grandeur,  qui  force  l'admiration  des 
hommes  *    : 

Ny   la   fureur   de   la   flamme   enragée, 
Ny   le   tranchant   du   fer   victorieux, 
Ny   le   degast   du    soldat   furieux, 
Qui   tant  de   fois  (Rome)   t'a   saccagée, 

Ny  coup   sur   coup   ta  fortune    changée, 

Ny  le   ronger   des   siècles   envieux, 

Ny  le  despit  des  hommes   et  des  Dieux, 

Ny  contre   toy   ta   puissance  rangée, 

Ny  l'esbranler  des  vents  impétueux, 
Ny  le  débord  de  ce  Dieu  tortueux. 
Qui   tant   de   fois   t'a   couvert   de   son   onde, 

Ont   tellement   ton    orgueil   abbaissé. 

Que   la   grandeur   du    rien,    qu'ilz   t'ont   laissé, 

Ne  fasse  encor'  émerveiller  le  monde.  (S.  i3). 

La     contemplation     de      ces     ruines     est      douloureusement 

'  S.  3,  o,  7,  23,  29. 
-'  S.  13,  27,  28. 


294  JOACHIM    DU    BELLAY 

suggestive  et  A'C'oiulo.  Elle  est  pour  le  poète  une  source 
constante  de  graves  réflexions,  et  lait  de  lui  parfois  une 
manière  d'historien  ])liilosophe  *  :  les  révolutions  politiques, 
les  phases  de  la  monarchie,  l'histoire  de  Rome  et  de  ses 
divers  gouvernements,  l'inéluctable  loi  qui  veut  que  le  déclin 
succède  à  la  grandeur  et  que  tout  finisse  au  néant,  devien- 
nent tour  à  tour  des  sujets  de  méditation.  Dans  une  de  ces 
rêveries,  du  Bellay  se  demande  ce  que  pensent  les  vieux 
Romains,  si  leurs  ombres  échappées  des  enfers  reviennent 
(pielquefois  errer  sur  les  débris  de  la  cité  déchue.  Il  y  a  de 
beaux  vers   dans   cette   évocation  : 

Pâlies   Esprits,    et   vous   Umbres    poudreuses. 
Qui  jouissant  de   la   clarté    du  jour 
Fistes   sortir   cest   orgueilleux    séjour. 
Dont  nous   voyons   les   reliques   cendreuses  : 

Dictes,   Esprits  (ainsi   les  ténébreuses 
Rives   de   Styx   non   passable   au   retour. 
.   Vous  enlaçant  d'un  trois   fois   triple   toui\ 
N'enferment   point   voz   images   umbreuses) 

Dictes   moy  donc  (car   quelqu'une  de   vous 
Possible   encor  se   cache   icy  dessous) 
Ne  sentez  vous  augmenter  vostre  peine. 

Quand  quelquefois   de   ces   costaux   Romains 

S^ous  contemplez  l'ouvi'age  de  voz    mains 

N'estre   plus   rien    (pi'une   poudreuse   plaine*?    (S.  i5). 


'  S.  16,  18,20,21,  30. 

'  n  Le  retentissement  sourd  et  prolongé  du  dernier  vers  produit  le  même 
efTct  que  certains  vers  lugubres  de  Dante,  n  Ampère.  La  Grèce,  Rome  et 
Dante,  édit.  de  1859,  p.  1.57. 


Ll-:S     «    ANTIQUITKZ    DE   ROMK    »  295 


III 


Les  Antiqiiilez  de  Rome  sont  uno  œuvre  de  transition. 
On  saisit  là.  chez  du  Bellay,  le  passage  de  sa  j)remière  à 
sa  seconde  manière,  et  la  forme  même  des  sonnets,  cette 
alternance  du  décasyllabe  et  de  l'alexandrin,  en  est  un 
curieux  indice  ^  Ce  serait  une  erreur  de  croire  qu'il  ait 
renoncé  tout  d'un  coup  à  ses  habitudes  livresques  et  qu'il 
soit  devenu  pleinement  personnel.  La  part  de  l'imitation  est 
encore  ici  assez  considérable.  Le  s.  'j  est  traduit  mot  à  mot 
d'un  sonnet  italien  de  Baldassare  Castiglione  %  le  s.  3,  d'une 
épigramme  latine  de  Janus  Vitalis  ^  Le  s.  i8  sur  Rome,  pri- 
mitivement asile  de  pasteurs,  maintenant  au  pouvoir  d'un 
pasteur,  n'est  qu'une  amplification  de  ce  distique  de  Buchanan  : 

IN  ROMAM. 

Non   ego    Romulea   miror    quod   pastor  in   Urbe 
Sceptra   gerat   :    pastor  conditor   Urbis   erat  *. 

C'est    encore    de    Buchanan    qu'est    emprunté    le    s.   8  '.    Une 

^  Si  l'on  en  croit  Pasquier  {Rech.de  la  France,  Yl,  8),  Baïfestle  premier  qui, 
clans  ses  Amours  de  Francine  Hdod),  ait  risqué  des  sonnets  en  vers  alexan- 
drins. Pasquier  confond  sans  doute  avec  les  Am.ours  de  Méline  (1552).  où  l'on 
tr')uve  en  effet  cinq  sonnets  en  vers  alexandrins  mêlés  à  36  autres  en  vers 
décasyllabes,  haa  Antiqn'tez  ci  \e  Songe  nous  montrent  du  Bellay  essayant 
pour  son  compte  d'acclimater  la  nouvelle  facture  en  la  faisant  marcher  de 
pair  avec  l'ancienne. 

^  Sur  ce  point,  v.  l'art,  de  M.  Morel-P'atio,  Histoire  d'un  sonnet,  dans  la 
Rei>.  d'hist.  litt.  de  la  France,  189i,  p.  07. 

^  Deliciae  Poctarum  Italorum,  part.  II,  p.  1433.  —  Cf.  Marty-Laveaux,  II, 
b.')4. 

*  Edit.  Th.  Guarinus,  Basileae-Rauracorum  [Bàle],  1368,  in-S",  p.  44.  (Bibl. 
Nat.  —  Yc.  9600). 

^  Même  édit.,  p.  44  : 

Roma  armis  terras,  ratibusque  subegeral  undas, 
Atque  iidem  fines  orbis  et  urbis  erant. . . . 


296  JOACHI.M    DU    BRLLAY 

pièce  peu  connue  de  Lazzaro  Buonamici  '  a  peut-être  laissé 
des  traces  à  travers  les  Antiquitez.  Enfin,  du  Bellay  s'est 
copié  lui-même,  en  transposant  de  latin  en  français  dans  le 
s.   4  son   Tiimulus   Romae  veteris  ^ 

Ce  besoin  d'imiter,  de  penser  par  autrui,  non  ])ar  soi, 
n'est  pas  le  seul  défaut  que  garde  du  Bellay  de  son  ancienne 
manière  :  il  en  garde  encore  par  endroits  le  penchant  à  la 
rhétorique  '\  l'obscurité  prétentieuse  '*,  l'abus  de  la  mytho- 
logie ',  le  goût  des  allégories  et  des  symboles  '^  .  Cette  ten- 
dance au  symbolisme  est  surtout  manifeste  dans  le  Songe  ou 
Vision,  où,  sur  les  pas  de  Pétrarque  '  et  de  Dante  *,  mais 
avec  moins  de  bonheur  qu'eux,  du  Bellay  fait  appel  au 
symbole  pour  l'endre  ses  pensées.  Dans  une  série  de  sonnets, 
coulés  en  un  moule  uniforme  ',  il  exprime  figurément  la  grandeur 
et  la  chute  de  Rome  :  c'est  tour  à  tom^  un  palais  construit  sur 
une  montagne  et  qu'un  soudain  tremblement  jette  à  bas,  — 
une  pyramide  ([ue  la  foudre  renverse,  —  un  arc  de  triomphe 
qui  s'écroule,  —  un  chêne  (jue  des  paysans  abattent.  —  une 
louçe  allaitant  deux  bessons,  que  des  chasseurs  traquent  et 
tuent,    —    une   nacelle    chargée    de    richesses,   qu'une  mer  ora- 


'  Deliciae  Poetariim  Italorum,  part.  1,  p.  47b  : 

Vos  operum  antiquae  moles,  coUesque  superbi... 
Lazzaro  Buonamici  de  Bassano  (147!)  1352).  successivement  professeur  à  Bo- 
loffne.  à  Rome,    à  Padoue.  V,  Ginguené,    Hist.  litt    d'Italie.  VII.  207.   —   Le 
«  docte  Bonamy  »  l'ut,  comme  on  sait,  un  des  premiers  maîtres  de  Bail". 

-  Poemata,  f°  4.-5  r". 

'  S.  2  :  développement  par  énumération.  —  S.  19:  antithèses  recherchées. 

*  Le  s.  17  est  une  énigme. 

■"  Jason  (s.  10)  ;  le  Chaos  (s.  19,  22)  ;  les  Géants  (s.  4.  Il,  12,   17). 

"  S.  16  (la  Monarchie)  ;  s.  21  (la  nef  de  Rome). 

'  V.  la  24'  Canzone  de  Pétrarque  (édit.  G.  Mestica.  p.  447),  traduite  par 
Marot  sous  ce  titre  :  Des  visions  de  Pétrarque  {édit.  P.  Jannet,  IIL  146). 

"  Le  s.  13  du  Songe  contient  un  souvenir  de  Dante.  —  Ratliery  (Influence 
de  l'Italie. . .,  18b3,  p.  108)  retrouve  en  du  Bellay  »  comme  un  reste  affaibli  du 
génie  allégorique  et  de  la  grandeur  triste  du  Dante  ». 

"  Le  s.  10  fait  seul  excei)tion. 


LES     ((    ANTlQUITi:Z    DR    ROME    »  297 

geuse  engloutit.  —  uno  cité  bâtie  sur  le  sable,  que  l'ourap^an 
du  nord  balaie,  —  etc.  Tous  ces  ol)jets  a|)|)araissent  en  songe 
au  poète  endormi  sui'  les  boiils  du  Tibi-c.  C'est  une  vision 
apocalypti([ue,  pittorescjue  et  brillanlc.  mais  d'un  bi-illant  trop 
artificiel. 

J'aime  mieux  les  images  que  présentent  les  Antiquitez\ 
L'auteur  assez  souvent  en  trouve  de  fort  belles  pour  ptnndre 
les  choses  de  façon  saisissante.  Rome  en  ruines,  et  pourtant 
vénérée  entre  toutes  les  villes,  devient  «  un  grand  chesne 
asseiché  »,  qui  lève  au  ciel  «  su  vieille  teste  morte  »,  dont 
le  pied  n'est  plus  ferme,   mais  qui,   ((  plus  qu'à  demy  panché  », 

Monstrant  ses  bras  tous  nuds   et  sa  racine    tortc, 

inq)ose  au  populaire  par  son  tronc  ((  noùailleux  »  et  se  voit 
plus  révéré  que  les  jeunes  arbres  qui  l'entourent  (s.  28). 
L'empire  romain  a  grandi,  pai'eil  à  la  semence  qui  devient  à 
la  longue  un  épi  de  blé  jaunissant  :  puis  les  Barbares  l'ont 
détruit,   et  n'ont  laissé    de  lui 

Que  ces   marques  anti({ues, 
Que  chacun    va    pillant  :   comme  on   voit  le   gieneur 
Cheminant   pas  à  pas  recueillir   les  reliques 
De  ce   qui  va  tumbant  après  le  moissonneur.  (S.  3o). 

Voilà  de  beaux  tableaux,  d'une  poésie  à  la  fois  simple  et 
forte.  Les  comparaisons  des  Antiqiiitez  ont  ainsi  presque 
toujours  une  richesse,  une  ampleur,  une  vérité,  dont  ni  l'Olive 
ni  les  Odes  ne  nous  avaient  donné  d'exemple.  A  changer 
d'horizon,  le  poète  a  gagné  :  son  imagination  s'est  étendue 
et   comme  fécondée. 

Mais  là  n'est  pas  encore  le  mérite  éminent  de  ce  nouveau 
recueil.  Il  est  dans  l'émotion  profonde  et  toute  spéciale  que 
du   Bellay   a   ressentie    devant  les   ruines  de  Rome.   Comme  le 

'  V.  notamment  les  s.  14,  16,  20,  28.  30, 


298  JOACHIM    DU    BELLAY* 

dit  M.  Faguet,  «  il  a  bien  compris  que  ce  que  doit  nous 
inspirer  le  monument  antique,  sorte  de  sépulcre  vidé,  c'est 
la  méditation  sur  les  êtres  semblables  à  nous,  qui  l'ont 
construit  selon  le  modèle  de  leurs  rêves .  qui  l'ont  peuplé , 
animé,  quitté,  et  dont  il  reste  comme  le  signe,  lui-même 
périssable,  lui-même  caduc,  testament  déchiré  d'àmes  mortes»'. 
Ce  mélange  singulier  de  réflexions  philosophiques  et  d'évo- 
cations historiques,  ([ui  se  fondent  et  se  perdent  en  un  sen- 
timent très  vague  et  très  doux  d'indéfinissable  mélancolie, 
c'est  là  ce  qu'on  appelle  le  sentiment  des  ruines.  Dans  son 
dernier  sonnet,  du  Bellay  demande  à  ses  vers  s'ils  osent 
espérer  un  destin  immortel,  et  si  «  l'œuvre  d'une  lyre  »  peut 
prétendre  à  plus  de  durée  que  tant  de  monuments  de  por- 
phyre et  de  marbre,  ({ui  semblaient  dressés  pour  l'éternité. 
Puis   il   ajoute  : 

Ne  laisse  pas  toutefois  de  sonner. 

Luth.  qu'Apollon  m'a  bien  daigné  donner  : 

Car  si  le  temps  ta  gloire  ne  desrobbe. 

Vanter  te  peux,  quelque  bas  que  tu  sois, 

D'avoir  chanté  le  premier  des  François, 

T/antique  honneur  du  peuple  à  longue  robbe.    (S.  32). 

Il  avait  raison  de  parlei-  ainsi.  Le  premier,  en  effet,  il  a 
ressenti  fortement  la  niéhmcolie  ])ai-ticulière  que  fait  naître 
dans  l'àme  le  spectacle  émouvant  des  vestiges.  Plus  tard, 
Volney.  Chateaubriand.  M^i^'  de  Staël.  Lamartine,  donneront  à 
leur  tour  du  même  sentiment  des  peintures  différentes  et 
souvent  plus  profondes.  Il  n'en  reste  pas  moins  que  d'avoir 
fait  sonner  sur  la  lyre  cette  note  nouvelle,  voilà  pour  du 
Bellay   l'un   de   ses   beaux   titres   de   gloire  ^ 

'  Seizième  siècle,  p.  310. 

-'  Jacques    Grévin    a  fait  aussi    des   sonnets    sur  Home,    très   inférieurs 
de  ceux  de  Joachim,  et  d'ailleurs  inspirés  par  l'esprit  protestant.  La  haine 


LES     ((    ANTIQUITEZ    DE    ROME    ))  î\)'i) 

C'est  au  début  de  son  séjour  en  Italie,  selon  toute  vi-ai- 
semblance .  que  du  Bellay  dut  conijutser  «  le  premier  livre 
des  Antiqiiitez  de  Rome  ».  Il  n'y  eu  eut  pas  de  second.  Pour- 
(juoi?  Déjà  sans  doute  l'ennui  l'avait  saisi  :  les  tristesses 
de    la    réalité   lui    l'aisaienl    oublier   son    rêve   d'humaniste. 


de  la  pap.auté  n'y  tient  pas  moins  de  place  que  le  sentiment  des  ruines.  On 
a  dit  justement  de  Grévin  :  «  Le  Vatican  lui  gâte  le  Capitole  «.  V.  la  thèse 
de  M.  Pinvert,  p.  74-77. 


CHAPITRE    III 


LA    VIE    DE     HlACHni    A    ROME 

1553-1557 
I.    LA    VIE   PUBLIQUE 


I.  Palais  du  cardinal  à  Rome.  —  Son  tz'ain  de  maison.  —  Fonctions 

de  Joachim. 
II.  Rome  en  15S3.  —  Situation  religieuse.  —  Situation  politique.  — 
Jules  III.  Sa  politique.  Son  caractère. 

III    Marcel  II  (1555). 

IV.  Paul  IV.  —  Le  cardinal  du  Bellay  doyen  du  Sacré-Collège. 
Sa  disgrâce  définitive.  —  Caractère  de  Paul  IV.  —  La  ré- 
forme de  l'Église.  —  La  guerre  contre  l'Espagne.  — 
Rome  en  1556.  —  L'expédition  du  duc  de  Guise  en 
Italie  (1557). 


Le  cardinal  du  B(dlay  avait  hahitt'  jatlis  un  beau  palais 
sui-  la  place  Sant'-Apostolo.  la  plu'-  \aste  de  Rome  après  la 
place  d'Agone  '.  C'est  là  (piCn  1.149  il  avait  doinié.  en  l'hon- 
neur  de    la  naissance  du  duc  dOrléans  ■.   une  iète    magnifique 

'   Aujourd'Ilui  place  Navonc. 

-  Louis  d'Orléans,  second  lils  d'Henri  II  et  de  Catherine  de  Médicis,  mort 
en  bas  âge. 


LA    VIK    DE   JOACHIM    A    ROMK  301 

dont   Rabelais   nous   a   laissé    la  relation  dans  la  Sciomachie  '. 

Lors(iu'il  revint  à  Rome,  après  trois  ans  d'al^sence,  il 
s'installa  d'abord  dans  un  palais  de  la  cité  Léonine,  au 
bouri?  Saint-Pierre  *.  Mais  ce  n'était  qu'une  demeure  provi- 
soire. Il  avait  acheté  les  Thermes  de  Dioclétien,  et  relevant 
une  partie  des  ruines,  il  y  faisait  aménap^er  un  vrai  palais 
de  prince  et  des  jardins  immenses,  où,  parmi  la  verdure 
des  citronniers,  des  grenadiers,  des  cèdres,  des  cyprès,  des 
lauriers  et  des  myrtes,  un  peuple  de  statues,  plus  de  cent 
trente  pièces,  pour  la  plupart  antiques  et  d'un  prix  rare, 
jetaient  l'éblouissant  éclat  de  leur  blancheur.  Le  cardinal 
avait  pris  à  cœur  de  réunir  dans  ce  paradis  toutes  les 
séductions   de    la    nature,    toutes   les   voluptés   de   l'art  '. 

Il  possédait  encore,  «  du  côté  de  Saint-Laurent  in  Palisper- 
na  )).  une  petite  vigne  qu'il  devait  laisser  par  testament  à  son 
valet  de  chambre.  Charles  Marault.  ((  pour  en  disposer  selon 
son   commandement  »  *. 

Enfin,  il  faisait  achever  non  loin  du  port  d'Ostie  un  parc 
où,  dit-il,  «  les  plus  fâcheuses  ombres  qui  soient  d'un  bout 
à  l'autre  sont  de  lauriers ,  myrtes ,  rosiers  marins  avec 
chevreulz,  fayzans  et  toutes  sortes  d'oyseaux . . . .  chasses, 
voleries   et   peschcries  »  ''. 

La  situation   du  cardinal  l'obligeait  à  un   train  de  vie  con- 


'  Heulhard,  p.  283  sqq. 

-  Heulhard,  p  341. 

'  V.  dans  Boissard,  Antiquitates  Romanae,  Francfort,  lo97-lo98,  2  vol.  in- 
fo, t.  I,  p.  90,  la  description  des  florti  Bellaiani,  et  t.  II,  4=  part.,  les  plan- 
ches qui  figurent  les  principales  curiosités  de  ces  jardins,  pi.  119  134.  (Bibl. 
Nat.  —  Rés.  J.  462-463).  —  M.  Clédat  a  retrouvé  à  Rome  (Archivio  di  Stato, 
registres  du  notaire  Savius  ou  Le  Save,  n»  31,  le  2-  de  ioo6)  l'inventaire  de 
la  collection  d'antiques  du  cardinal  du  Bellay.  Il  a  publié  ce  catalogue  dans 
le  Courrier  de  l'Art,  ann.  1883,  p.  99  et  206.  On  y  voit  figurer  toutes  sortes 
de  statues,  bustes  ou  torses,  sujets  historiques  et  mythologiques. 

'  Heulhard,  p.  74. 

'"  Lettre  au  Connétable,  janv.  1554.  —  Cité  par  Heulhard,  p.  341-342. 


302  JOACHIM    DU    BKLLAY 

sidérable.  M.  Healhard  a  publié  '  l'état  de  sa  maison  en  i549. 
Il  était  à  coup  sûr  sensiblement  le  même  en  i553.  On  n'a  pas 
idée  du  grand  nombre  de  domestiques  que  nécessitait  le  service 
d'un  prélat  romain.  Dans  les  palais  du  cardinal  grouillait 
un  personnel  confus  de  pages,  de  varlets,  d'estafiers,  de  laquais, 
de  fauconniers,  sommeliers,  cuisiniers,  verduriers,  pourvoyeurs. 
tailleurs,  portiers,  boulangers,  palefreniers,  muletiers  et  char- 
retiers *,  sans  parler  des  chanteurs  et  des  joueurs  de  luth  et  de 
cornet.  Au-dessus  de  ces  subalternes ,  il  y  avait  l'argentier , 
le  contrùleui",  le  médecin,  roflicial,  les  aumôniers,  les  secré- 
taires. Il  y  avait  aussi  le  corps  des  gentilshommes  attachés 
phis  ou  moins  directement  à  la  suite  du  cardinal,  et  qui 
formaient  sa  cour  dans  les  cérémonies  publiques.  Tout  ce 
monde  vivait  aux  frais  du  maître.  Chaque  jour,  il  fallait 
nourrir  plus  de  cent  personnes.  Et  ce  n'était  là  que  le  train 
ordinaire  :  mais  il  y  avait  encore  à  compter  les  petites  et  les 
grandes  réceptions,  les  dîners  officiels,  les  fêtes  de  tout  genre 
données  à  tout  propos,  la  coûteuse  habitude  des  cadeaux  : 
des  cardinaux,  des  princes,  des  seigneurs,  des  frères  ou  des 
neveux  de  papes,  avaient  part  aux  largesses  du  prélat,  (l'était 
une  représentation  continuelle,  et  du  Bellay  tenait  plus  que 
personne  à   représenter  magnifiquement'. 

Pour  subvenir  à  tant  de  frais,  il  n'avait  pas  assez  des 
gros  revenus  de  ses  bénéfices  :  toujours  à  court  d'argent,  il 
devait   emprunter  *  et   sans  cesse  négociait   avec   les  banquiers 


'  P.  284. 

-  Entendez  des  cochers. 

'  Outre  Heulhard,  v.  M'*  de  la  Jonquière,  op.  cit.,  p.  53. 

*  Il  est  vrai  qu'il  n'était  pas  le  seul,  puisque  le  pape  tout  le  premier  était 
parfois  contraint  d'en  faire  autant.  Ne  l'avait-on  pas  vu  dans  sa  récente 
guerre  contre  le  duc  de  Panne,  Octave  Farnèse  (1531)  ?  Plont;é  dans  l'em- 
barras par  Henri  11,  qui  lui  coupait  les  vivres,  Jules  III  avait  dû  recourir  à 
la  bourse  de  l'empereur  et  des  Romains.  V  la  lettre  de  Porquevaux  à  Beau- 
regard,  7  cet.  1551.  (llibier,  II,  350). 


LA    VIE    DE   JOACHIM    A    KOME  303 

italiens.  Comme  beaucoup  de  grands  seigneurs,  il  payait  mal 
et   traînait   à   sa   suite   un   tas   de   créanciers. 

Dans  ce  milieu,  quel  était  donc  le  rôle  de  Joachim  ?  Sur 
la  nature  de  ses  l'onctions,  VElé<rie  à  Morel  est  assez 
imprécise  : 

Illic   assiduus   domini   tlum  jussa   capesso, 

Quarla    redit   messis,    quarla    recurrit    hyems. 

Les  Regrets.  Dieu  merci,  nous  <mi  apprennent  davantage. 
Dans  un  sonnet  à  son  ami  Panjas,  exilé  comme  lui  sur  les 
rives   du   Tibre,    il   nous   dit   ses    occupations  : 

Panjas,  veuls-tu   sçavoir   quels  sont   mes   passetemps  ? 
Je  songe   au  lendemain,  j*ay  soing  de  la  despense 
Qui   se  fait   chacun  jour,  et   si   fault  que  je   pense 
A  rendre   sans   argent   cent  créditeurs   contents  : 

Je  vays,  je  viens,  je  cours,  je  ne  perds  point  le  temps. 
Je   courtise  un  banquier,  je  prens  argent  d'avance, 
Quand  j'ay   despesché   l'un,    un   autre  recommence, 
Et   ne   fais  pas  le   quart  de   ce  que  je   prétends. 

Qui   me  présente   un  compte,  une  lettre,  un  mémoire, 
Qui  me  dit   que  demain  est  jour  de  consistoire, 
Qui   me  rompt  le  cerveau  de   cent   propos   divers  : 

Qui   se  plainct,    qui  se   deult,   qui  murmure,   qui  crie  : 

Aveques  tout  cela,   dy  (Panjas)  je   te   prie. 

Ne   t'esbahis-tu   point   comment  je   fais   des   vers  '  ? 

Ainsi  Joachim  avait,   dans  la  maison  du  cardinal,    la  situation 
d'un  intendant  :  c'est  à   lui   qu'incombait  la  charge  très  lourde 


'  Regrets,  s.  15.  —  Cf.  s.  18  : 

Si  lu  ne  sçais  (Morel)  ce  que  je  fais  icy, 
Je  ne  fais  pas  l'amour,  ny  autre  tel  ouvrage  : 
Je  courtise  mon  maistre,  et  si  fais  d'avantage 
Ayant  de  sa  maison  le  principal  soucy. 


304  JOACHTM    DU    BELLAY 

et  très  délicate  de  la  direction  domestique  et  des  opérations 
financières,  mémoires  à  solder,  emprunts  à  contracter,  créan- 
ciers à  satisfaire.  Mission  de  confiance,  sans  doute,  et  qui 
prouve  l'estime  où  le  cardinal  tenait  son  neveu,  mais  aussi 
mission   ennuyeuse,    et  qui  n'était  pas  le  fait  d'un  poète  : 

Je   suis   né    pour   la   Muse,  on   me    fait   mesnager, 

disait-il  tristement  '.  11  s'acquittait  pourtant  de  sa  tâclie  en 
conscience,  y  mettant  tout  son  zèle,  y  dépensant  tout  son  esprit  ^ 
Mais  il  y  avait  des  jours,  malgré  tout,  où  l'humeur  l'emportait, 
où  le  poète  perdait  patience  et  s'abandonnait  au  dépit  :  il  en 
venait  à  l'cgretter  de  n'être  pas  tout  à  fait  sourd.  Ah  !  s'il 
l'était  I 

Le  bruit  de  cent  vallets.  qui  mes  flânez  environnent. 
Et  qui  soir  et  matin  à  mes  oreilles  tonnent. 
Le  devoir  de  la  court,  et  l'entretien  commun. 
Dont  il  fault  gouverner  un  fascheux  importun . 
Ne  me  fascheroit  point  :  un  créditeur  moleste 
(Ra((>  de  gens,  Ronsard,  à  craindre  plus  que  peste) 
Ne  troublei'oit  aussi  l'aise  de  mon  repos, 
Car.  sourd,  je  n'entendrois  ne  luy  ne  ses  propos  '. 

Les  fonctions  i\c  Joachini  ne  se  l)oi"naient  j)as  au  simple 
rôle  d'intendant.  Je  n'irai  pas  jus({u"à  prétendre  avec  Golletet 
qu'il  était  au  courant  de  tous  les  secrets  politiques  '.  Les 
secrétaires    d'ambassadeurs     au    xvF    siècle    ne     connaissaient 


'  Regrets,  s.  30. 

-  Regrets,  s.  4G. 

■■'  Hymne  de  la  Surdité  (II,  404). 

'  «  Comme  ce  grand  prélat  éloil  assuré  de  l'afleetion  et  de  la  lidélité  aussi 
bien  que  de  la  suHisance  de  J.  du  Bellay,  ce  fut  sur  toutes  ces  bonnes  et 
rares  qualités  qu'il  commença  de  lui  communiquer  ses  affaires  et  de  se  re- 
poser sur  lui  du  faix  de  son  ambassade,  de  sorte  qu'il  l'admit  dans  le  secret 
de  toutes  les  grandes  négociations  dont  il  étoit  chargé.»  Copie  mscr.,  f°  47  r». 


LA    VIK    DK    JOACHrM    A    ROME  305 

pas  taul  do  choses.  Magny,  qui  l'élail.  nous  renseigne  péremp- 
toirement : 

Mon  principal   eslat,   c'est   d'estre  secrétaire, 
Mais  on  me   l'ait   servir  de   mille   autres   mestiers, 
Dont   celuy    que  je   lais  le  plus   mal    volontiers 
Est   cil   qui   me   contraint   d'endurer   et   me   taire  \ 

On  ne  traite  pas  de  la  sorte  quelqu'un  qui  détient  des  secrets 
d'État.  Du  Bellay  sans  nul  doute  était  logé  à  la  même  enseigne. 
En  qualité  de  secrétaire,  il  pouvait  rédiger  pour  son  maître  des 
billets  de  politesse  mondaine  :  les  dépêches  diplomatiques  ne  pas- 
saient point  par  ses  mains.  Toutefois,  s'il  ignorait  généralement 
le  fond  de  la  politique,  il  prenait  part  à  la  vie  extérieure  du 
cardinal.  N'oublions  pas  qu'il  était  gentilhomme.  A  ce  titre, 
il  était  désigné  pour  l'aire  partie  de  son  escorte  et  l'assister 
dans  toutes  les  cérémonies  ".  Il  nous  a  tracé  d'une  plume 
alerte  un  spirituel  tableau  de  l'existence  pompeuse  et  vide 
que  menaient  avec  lui  les  gentilshommes  de  l'entourage  du 
cardinal   : 

Suivre  son  Cardinal  au  Pape,  au   consistoii'O, 
En  capelle,  en    visite,   en  congrégation. 
Et   pour  l'honneur  d'un    prince,    ou   d'une   nation, 
De  quelque  amiiassadeur  accompagner  la  gloire   : 

Estre  en  son  rang  de  garde  auprès  de  son  seigneur, 
Et   faire   aux  survenans  l'accoustumé   honneui', 
Parler  du  bruit  qui    court,   l'aire  de  l'habile  homme, 

'  Oliv.  de  Magiiy,  Soiispirs,  s.  13,  édit.  Courbet,  Paris,  Lemerre,  1874,  in- 
ii.  —  Cr   la  thèse  de  M.  b'avre  sur  Maguy,  p.  68. 

-  «  Sur  la  domesticité  du  poète  dans  la  maison  du  cardinal,  m'écrit 
M.  de  >iolhac,  je  pense  qu'il  faut  songer  à  un  rôle  de  gentilhomme  suivant, 
bien  plus  que  de  secrétaire,  sans  toutefois  exclure  complètement  cette  der- 
nière hypothèse.  N'oublions  pas  que  la  cour  de  chaque  cartlinal,  et  surtout 
d'un  cardinal  tel  que  Jean  du  Bellay,  comptait  d'assez  nombreux  gentils- 
hommes sans  fonction  précise,  ad  pompam.  » 

Univ.  de  Lille.  Tome  VIU.  A.  '20. 


306  JOACHI.M    DU    BELLAY 

Se  pourmener  en  housse,  aller  voir  d'huis  en  huis 
La  Marthe  ou  la  Victoire  ',  et  s'engager  aux  Juifz  : 
\'oilà,  mes  compagnons,  les  passetemps  de  Rome  ^ 

A  suivre  ainsi  pendant  quatre  ans  son  cardinal  un  peu 
partout,  Joachim  put  voir  bien  des  choses.  Demandons-lui  ce 
qu'il  a  vu.  quels  spectacles  ont  surtout  attiré  ses  regards, 
et,  guidés  par  lui,  jetons  un  coup  d'œil  sur  la  vie  publique 
de   ce   temps. 


II 


Kn  i55'3,  la  capitale  du  catholicisme  était  depuis  plusieurs 
années  le  théâtre  d'un  sérieux  mouvement  de  réforme  *.  Le 
pontificat  de  Paul  111  avait  marqué  le  début  des  grands 
efforts  tentés  pour  arrêter  les  progrès  de  l'hérésie,  raffermir 
la  foi  chancelante,  restaurer  la  discipline,  épurer  les  niœui's, 
corriger  les  abus.  L"œuvre  commencée  se  poursuivait  régu- 
lièrement. Jules  m  venait  de  suspendre  (avril  i552)  le  con- 
cile de  Trente  ;  mais  la  tâche  essentielle  était  faite  :  le  dogme 
était  fixé.  L'Inquisition,  ressuscitée  par  Carafla,  se  montrait 
la  gardienne  inflexible  et  jalouse  de  l'orthodoxie  la  plus 
rigoureuse  :  Joachim  put  voir  brûler  des  livres  au  Marché- 
des-Fleurs  et  des  hérétiques  devant  Sainte-Marie-de-la-Minerve. 
De  nouveaux  ordres  s'étaient  fondés,  les  Capucins,  les  Théa- 
tins,  les  Jésuites.  Ces  derniers,  institués  depuis  une  dizaine 
d'années,    se    comptaient    déjà    par    centaines.     Leur    puissance 

^  Courtisanes  de  l'ôpoque. 

-  Regrets,  s.  84.  —  Lambin,  qui  suivit  à  Rome  vers  la  même  époque  le 
cardinal  de  Tournon,  se  plaint  à  Muret  de  la  vie  qu'il  mène  :  «  Totius  diei 
meliores  horas  in  deducendo  et  reducendo  cardinal!  perdimus.  »  Cité  par 
Dejol),  Marc-Antoine  Muret,  p.  IH, 

'  L.  Kanke ,  Histoire  de  la  Papauté  pendant  les  xvi'  et  xvir  siècles, 
trad.  Ilaiber,  1848,  t.  I  ;  M.  Pliiliiipson,  La  contre-révolution  religieuse  au 
XVI'  siècle,  1884. 


LA    VIK    UK   JOACHIM    A    RO.VIK  307 

avait  grandi  vite  :  rien  qu'à  Rome,  ils  avaient  deux  collèges. 
Du  Bellay  rencontra  peut-être  chez  son  maître  le  cardinal  un 
homme  à  physionomie  expressive,  la  liguie  amaigrie  par  la 
pénitence,  le  iront  large,  les  yeux  petits  et  brillants,  le  nez 
aquilin,  la  bouche  énergique,  le  teint  olivâtre.  C'était  Ignace 
de  Loyola  qui,  dans  l'intérêt  de  la  Compagnie,  rendait  visite 
aux  cardinaux,  aux  ambassadeurs  des  rois  et  des  princes,  à 
tous  les  personnages  de  Rome  «  dont  la  position  exigeait 
l'estime  et  dont  l'autorité  méritait  qu'on  leur  fit  la  cour  '  ». 
Il  trouvait  partout  le  meilleur  accueil,  et  le  pape  lui  était 
tout   dévoué. 

Du  Bellay  ne  me  semble  pas  avoir  un  instant  soupçonné 
l'intensité  du  mouvement  dont  Rome  était  alors  le  centre. 
Soit  qu'il  fût  trop  près  des  événements  pour  en  mesurer  l'im- 
portance, soit  que  sou  tour  d'esprit  humaniste  et  païen 
l'empêchât  d'en  sentir  l'intérêt,  je  ne  vois  pas  qu'il  ait  perçu 
bien  nettement  cette  renaissance  du  catholicisme.  C'est  peut- 
être  aussi  que  la  politique  lui  voilait  un  peu  trop  la  ques- 
tion  religieuse . 

Depuis  Jules  II,  le  rêve  plus  ou  moins  avoué  de  chacun 
des  pontifes  qui  s'étaient  succédé  sur  le  siège  de  Saint-Pierre, 
avait  été  d'affranchir  l'Italie,  en  chassant  les  barbares  qui  se 
la  disputaient,  et  de  constituer  son  indépendance  sous  la  direc- 
tion de  la  Papauté.  Mais  les  barbares  étaient  trop  forts  pour 
être  expulsés  de  la  péninsule.  L'Italie  était  le  champ  clos  où 
se  vidaient  leurs  duels  sanglants.  Depuis  un  demi-siècle, 
Espagnols  et  Français  s'y  livraient  des  combats  formidables 
dont  elle  était  l'enjeu.  Impuissants  à  réaliser  le  rêve  glorieux 
d'autrefois,  soucieux  de  concilier  hnir  pouvoir  spirituel  et 
leurs  intérêts  temporels,  dominés  par  le  népotisme,  les  paj)es, 
comme  tous  les  princes  italiens,  oscillaient  constamment  entre 

*  Orlandino  (l'historien  officiel  des  Jésuites),  cité  par  Philippson,  p.  67, 


308  JOACHIM  DU  bi:llay 

les  deux  rivaux,  s'unissant  tantôt  aux  Espagnols  et  tantôt 
aux  Français,  selon  quils  craignaient  davantage  les  Français 
ou  les  Espagnols.  L'intérêt  du  moment  faisait  les  alliances 
et  les  défaisait. 

Cette  politique  de  l^ascule,  sans  consistance  et  sans  grandeur, 
était  celle  de  Jules  III  comme  elle  avait  été  celle  de  Paul  III 
et  de  Clément  YII.  Elu  pape  en  i55o,  grâce  à  rinfluence 
française,  il  avait  aussitôt  oublié  ses  promesses  et  lâché  le 
parti  du  l'oi  pour  celui  de  l'empereur  *.  De  concert  avec  Charles- 
Quinl.  il  avait  fait  la  guerre  au  duc  de  Parme,  Octave 
Farnèse,  notre  allié  (i55i).  Puis,  battu  par  Brissac,  paralysé 
par  Henri  11,  qui  défendait  à  ses  sujets,  sous  les  peines  les 
plus  graves,  d'envoyer  de  l'argent  à  Rome,  il  s'était  retiré  de 
la  lutte,  et,  par  l'intermédiaire  du  cardinal  de  Tournon,  avait 
signé,  le  iG  avril  i552,  une  trêve  de  deux  ans  avec  le  roi  de 
France  ^ 

Henri  II,  qui  n'avait  cessé  d'être  en  guerre  avec  l'empe- 
reur ',  craignait  qu'à  l'expiration  de  la  trêve,  le  pape  ne 
se  déclarât  en  faveur  de  son  adversaire.  C'est  ce  qu'il  fallait 
prévenir  en  négociant  le  renouvellement  de  cette  trêve.  A 
cet  edet,  il  avait  chargé  le  cardinal  du  Bellay  d'une  mission 
extraordinaire  auprès  de  Jules  III,  pour  qu'il  appuyât  de 
tout  son  crédit  les  efforts  de  l'ambassadeur,  M.  de  Lansac  *. 
Si  quelqu'un  était  fait  pour  réussir  auprès  du  pape,  c'était 
bien    du   Bellav.    Le   secrétaire   Raince   éci'ivait   de  Jules   III    : 


'  D'Urfé  au  Connétable:  «  Je  ne  m'apperçois  pas  de  ce  qu'il  a  fait  pour  le 
Roy  »  (13  févr.  lo.'iO).  «  Je  ne  me  suis  point  apperçeu  qu'il  y  ait  rien  pour  le 
Roy  que  belles  paroles  et  générales  »  (7  avril  looU).  —  Ribier,  11,  :i04  el  'Hi. 

'  On  en  trouvera  le  texte  dans  Ribier,  11,  386. 

'  Principaux  événements  militaires  :  succès  du  maréchal  de  Brissac, 
gouverneur  du  Piémont,  sur  Fernand  de  Gonzague,  gouverneur  du  Milanais  ; 
opérations  de  la  flotte  franco-turque  contre  Naples  et  contre  la  Corse  ; 
révolte  de  Sienne  contre  les  Espagnols. 

'  Lettre  du  Roi  à  Lansac,  G  nov.  1553.  —  Ribier,  II,  474. 


LA    VIK    DR   .lOACHIM    A    ROME  300 

«  Il  ayme  Mgr  le  cai-diiial  du  BoUay  et  sont  fort  approclians 
Tung  do  l'autre  de  nature  et  condition  :  je  dis  ([uanl  au 
S(^'avoii'  et  c[uant  à  l'expérience  et  pratic(|ue  '.  »  Mais  le 
pontife  (Hait  inconstant,  versatile  et  léger  :  on  ne  pouvait 
pas  faire  fonds  sur  lui  ".  D'ailleurs,  il  était  mal  disposé 
pour  les  Français  :  «  Monseigneui-.  écrivait  au  connétable  le 
cardinal  du  Bellay,  je  ne  voy  pas  <[ue  le  Paj)e  aime  gueres 
le  Ro3%  mais  bien  craint-il  l'Empereur,  et  sur  tout  ne  voudroit 
que  le  Roy  eust  de  voix  en  Chapitre  :  il  a  encores  depuis 
nagueres  rafréchy  qu'il  ne  falloit  aux  François  plus  de  force 
au  Consistoire  qu'ils  ont,  et  qu'encore  en  ont-ils  trop  \  n  Le 
prélat  se  voyait  obligé  de  lui  faire  des  remontrances,  le 
blâmant  de  créer,  dans  une  intention  hostile  à  son  maître, 
quatorze  cardinaux  d'un  coup  *.  Dans  ces  conditions,  négocier 
avec  Jules  III  était  une  tâche  des  plus  difficiles,  et  ce  n'était 
pas  trop,  pour  la  mener  à  bien,  du  concours  de  deux  diplo- 
mates comme   Lansac   et  du   Bellay  '". 

II  est   curieux   de    retrouver    chez   Joachim    l'écho    de    tous 
ces   faits.    Depuis  qu'il   était   devenu    Romain,   il  avait   souvent 
l'occasion    d'entretenir    l'ambassadeur.    Louis    de    Saint-Gelays, , 
seigneur  de  Lansac,  d'une  illustre  maison  de   Saintonge,    s'était 
acquis     dans     les    fonctions     qu'il    exerçait    le    renom    d'habile 


1  Heulhard,  p.  .316. 

-  Le  Roi  à  Lansac,  6  nov.  1353  :  «  Monsieur  de  Lansac,  à  voir  vosdépes- 
ches  depuis  la  première  jusques  à  la  dernière,  l'on  n'y  trouve,  sinon  actions 
et  propos  d'un  homme  inconstant,  variable  et  léger,  avec  lequel  l'on  ne 
peut  rien  asseurer  ny  résoudre  ;  et  par  ce  moien  il  n'y  a  Ministre  auprès 
de  luy  qui  ne  soit  bien  empesché,  et  que  l'on  puisse  aussi  instruire  pour  né- 
gocier avec  luy  de  chose  qui  importe  plus  que  du  jour  au  lendenaain,  ou  du 
matin  au  soir.  »  —  Ribier,  II,  474. 

^  Le  card.  du  Bellay  au  Connétable,  22  déc.  15o3.  —  Ribier,  II,  481. 

*  Le  card.  du  Bellay  au  Connétable,  26  déc.  1533.  —  Ribier,  II,  482. 

^  Pendant  les  années  1553-1534,  ils  ont  constamment  agi  de  concert.  Us 
recevaient  de  communes  instructions.   (Ribier,  II,  468,  473,  474,  516,  323). 


310 


JOACHI.M    DU    BELLAY 


orateur  '.  Joacliiiii  l'iioiioi-a  (ruiu*  ode  (I.  2-4).  Il  y  chantait 
le  pouvoir  souverain  de  l'éloquence  et  vantait  chez  Lansac 
son   talent  de   parole  : 

Celuy  sagement    esleut, 

Qui   voulut 
Pour   son   orateur  t'eslire  : 
Il  avoit   cogneu  en  toy 

Et   la  foy. 
Et   la   force   de  bien   dire. 

A  quoy  poui*ray-je  égaler 

Ton  parler, 
Fors   à   l'œuvre   d'une  abeille  ? 
Si  doux  ne  glissoit   encor" 

De  Xestor 
La   grand'  douceur  nompareille. 

Naturellement,  le  poète  s'aidait  de  la  mythologie  pour  mieux 
louer   Lansac.  mais    sans  taire    tort   à   l'histoire  : 

Le   grand  Jules   est  tesmoing 

De   quel  soing, 
Pour  le   bien    de  ta   province. 
D'un   œil    sans   cesse   veillant 

Travaillant 
Tu   fais    service   à    ton  prince. 

Il    terminait    en    souhaitant    que    Lansac,    si     bien    doué    par 


'  Il  avait  remplace  d'Urfé.  Il  fut  fait  prisonnier  de  nuit  par  les  gens  du 
duc  de  Florence  (aoùl  l.ï.oi),  comme  il  se  rendait  à  Sienne  pour  «  conforter 
le  cueur  des  habitans  et  les  tenir  tousjoursen  bonne  union  et  dévotion  envers 
le  Roy  ».  Le  cardinal  d'Armaj^nac,  qui  s'exprime  en  ces  termes,  ajoute  : 
«  C'est  ung  personnage  aussy  aecorl  et  prudent,  dextre  à  negotier  et  à  faire 
la  charge  qu'il  avoit,  que  le  Roy  en  eusl  s(,eu  avoir  par  deçà.  »  Lettre  au 
Coriiictable,  IS  août  IJi.ïi.  Cf.  lettre  au  Roi.  12dce.  1555.  (Tamizey  de  Larroque, 
Lettr.  inéd.  ducard.  d'Armagnac,  Paris,  1874,  p.  51  et  85).  —  Il  fut  rerais  en 
liberté  dans  le  courant  de  1555.  —  Monluc,  Brantôme,  de  Thou,  louent  égale- 
ment Lansac. 


LA    VIF    np:   .lOACHIM    A    RO.MK  311 

Mercure,    scellât  à    jamais    l'unit)!!   du    l'oi     tic     Franco    et    du 
Saint-Pèi*e  : 

Ce   Dieu   ta   donné  encor' 

Le  thresor 
De    sa   langue   bien  apprise. 
Te   puisse-il  toiisjours   aider, 

Et   guider 
Chacune  tienne   entreprise  : 

El   face  le    Philien  ' 

Qu'un   lien 
Eternellement   enserre, 
D'une   inviolable   foy, 

Nostre  Roy 
Au   grand   successeur   de   Pieri*e. 

Ces  souhaits,  il  eut  bientôt  l'occasion  de  les  formuler 
dei'cchef.  L'année  i553  touchait  à  sa  fin,  et  les  négociations 
étaient  toujours  pendantes.  Qu'apporterait  l'année  nouvelle  ? 
La  reprise  des  hostilités,  ou  cette  paix  perpétuelle  que  le  roi 
désirait  co!iclure  avec  le  pape,  afin  de  lutter  plus  comiuodé- 
ment  contre  re!!ipereur  ?  C'était  l'heure  ou  jamais  de  faire 
des  vœux  pour  la  paix.  Cette  pensée  dicta  au  poète  des 
étrennes  latines  et  fi'ançaises  %  dans  lesquelles  il  soupirait 
après  la  vierge  Astrée  et  le  retour  de  l'âge  d'or.  Il  s'adressait  --e^-^t^-Aa^ 
au  cai'dinal,  à  Lansac,  au  Saint-Père  lui-même.  Il  espérait 
que  la  nouvelle  aiinée  verrait  la  Paix,  «  fille  de  Dieu  », 
redescendre  pa!'mi  les  hommes  et  réconcilier  d'un  miituel 
accord  le  !'oi,  le  pape  et  l'empereur.  Voici  le  sonnet  qu'il 
dédiait   au   pape   : 


'  Jupiter.  —  Cf.  Ronsarrl,  ode  9  du  livre  V  (Blanchemain,  11,335). 

-  Poemata  :  1°  De  pace  inter  principes  Christianos  ineunda  (f°  9  r°)  ;  2° 
Ad  laniim  Card.  Pellaiiim  Cal.  laniiar.  if"22v").—  Au  Reverendiss.  Card.  du 
Bellay  et  au  Seigneur  de  Lansac.  . .  Estrenes  (I,  278).  —Au  Pape,  le  premier 
jour  de  Van  (I,  283). 


312  JOACHIM    DU    BELLAY 

Soit   clrsoi'inais  sous   tes   clefs   enserrée, 
Père   Janus,    la  Thracienne  horreur, 
Le   fer,   le    sang,   la   flamme,   et   la   fureur 
De   trois   cents   fers   pieds  et   mains   enferrée. 

Vive  la   vierge  au  vieux   siècle   adorée, 
De   Jupiter   Saturne   soit  vainqueur. 
Règne   Pallas   sur   le  Dieu   belliqueur. 
Cède  le   fer  à   la   saison   dorée. 

Le  gouverneur  du  grand  tropeau  Romain 
De  sang  François,  Espagnol,  et  Germain, 
Xe   voye   plus   la   campaigne   arrousée. 

En  lieu  de  sang  son  nage  plus  heureux 
Voye  couler  par  les  champs  planteureux 
Le   laict,    le   miel,    la  manne,    et   la   rosée.     (L  283). 

C'était  là  rêve  de  poète.  L'année  était  commencée,  et 
Jules  III  était  toujours  insaisissable.  Il  parlait  bien  de  rester 
neutre,  mais  il  agissait  de  façon  suspecte,  négociant  avec  le 
duc  de  Florence,  l'ennemi  d'Henri  II.  Le  roi,  que  sa  conduite 
exaspérait,  mandait  à  ses  ambassadeurs  (i554)  :  «  Mon  Cousin, 
et  vous  Monsieur  de  Lansac,  quand  jay  bien  pensé  et  considéré 
sur  ce  que  vous  deux  ensemble,  et  en  particulier,  m'escrivez 
(lu  Pape,  et  des  propos  qu'il  vous  tient,  je  ne  sçay  où  j'en 
suis  logé  :  car  d'un  costé  il  vous  dit  les  plus  belles  paroles 
du  monde,  quant  à  l'observation  de  sa  neutralité,  et  de  l'autre 
neantmoins,  il  fait  les  eflets  tout  contraires...  »  Il  ajoutait 
d'ailleurs  qu'il  n'avait  qu'à  se  louer  de  leurs  bons  offices  : 
«  Quoy  qu'il  en  soit,  vous  ne  vous  sçauriez  mieux,  ny  plus 
dextrement  et  prudemment  conduire  et  gouverner  que  vous 
faites  avec  luy.  »  Ce  qui  le  rassurait,  c'est  que  le  pape, 
n'étant  pas  riche,  ne  pouvait  pas  faire  grand  mal  :  «  Toutefois, 
s'il   avoit   quelques   moyens   d'entreprendi'e    et    exécuter,  je    ne 


LA    VIE    l)K   .lOACIUM    A    ROMt  313 

m'y  voudrois  nuUeinenl  fier,  el  ne  preudrois  jamais  ses  paroles 
pour  argent  comptant  '.    » 

Henri  II  n'avait  rien  à  craindre.  Si  Jules  III  ne  voulait 
pas  s'engager  avec  lui  trop  à  Ibud,  il  ne  tenait  pas  davan- 
tage à  s'inféoder  à  l'empereur.  Sollicité  par  tous  les  deux,  il 
se  dérobait  à  l'un  comme  à  l'autre,  inconstant  et  mobile  par 
système.  Il  avait  horreur  de  la  politique  :  vivre  en  repos, 
tel  était  l'idéal  de  ce  pape  indolent.  Il  s'était  fait  construire, 
sur  la  voie  Plaminienne,  en  dehors  de  la  porte  du  Peuple, 
une  villa  superbe,  entourée  de  vastes  jardins,  d'où  l'on  décou- 
vrait Rome  et  les  courbes  du  Tibre,  et  qui  charmaient  la 
vue  par  l'ensemble  artistique  des  édicules,  des  arcs,  des  fon- 
taines, des  statues,  des  colonnes,  et  la  richesse  des  matériaux, 
albâtres,  ophites,  marbres  et  porphyres  '\  Il  vivait  dans  ce 
lieu  de  délices,  indifférent  aux  affaires,  en  voluptueux  épi- 
curien '*. 

Il  n'avait  pas  tenu  ce  que  promettait  son  passé.  Préfet 
de  Rome  sous  Clément  VII,  il  avait  eu  de  l'héroïsme  lors 
du  sac  de  1.527.  Il  s'était  livré  comme  otage  à  la  place  du 
pontife,  avait  failli  trouver  la  mort  de  la  main  des  soldats 
impériaux,  ivres  de  sang  et  de  butin,  et  n'avait  dû  son  salut 
qu'à   la   pitié   du  cardinal  Pompeio  Colonna   '.     Plus  tard,    pre- 


<  Ribier,  II,  316. 

-  Muratori,  Annali  d'italia,  ann.  laori,  t.  X.  part.  II,  p.  ISH  —  V  tlnns 
Boissard.  Antiq.  Roman.,  t.  I,  p.  99-100,  la  description  de  la  Vigne  du  nafie 
Jules,  et  t.  IV,  6'  part.,  les  pi.  liT-llO. 

^  V.  la  vie  de  ce  pape,  écrite  par  son  contemporain,  le  frère  aiijiustin 
Oiiofrio  Panvinio  (1361).  Il  dit  énergiqueraent  de  lui  :  u  Nihil  prorsus  egit, 
quod  valde  menioratu  esset  dignuni,  qui  fruendo  potius  quam  regendo 
Pontilicatu  totus  incumbebat.  » 

*  Le  fait,  raconté  tout  au  long  par  Paul  Jove  [Pompeii  Colvmnae  Cardi- 
nalis  Vita},  est  ainsi  résumé  par  O.  Panvinio  :  «  Per  idem  fere  teinjuis, 
quod  omnino  praetereundum  non  videtur,  durante  adliuc  arcis  Uomanae 
obsidione.  aurum  immaniter  petentibus  insolentissime  Caesarianis  militibus 
obsidem  cum  aliis  nonnuUis  pro  Pontilice  rei  nummariae  diflicultate  impe- 
dito  se  dédit,  magnumque  adiit  vitae  periculum,  quum  bis  in   Florae  cam- 


314  JOACHIM    DU    BELLAY 

mier  légat  du  pape  au  concile  de  Trente  (i545),  il  s'était 
montré  fort  adroit  dans  la  direction  des  débats.  Son  rôle  au 
concile  l'avait  désigné  pour  le  Saint-Siège.  Mais  à  peine  cou- 
ronné de  la  tiare,  il  avait  trompé  toutes  les  espérances.  Son 
premier  acte  avait  surpris  et  fait  scandale.  11  avait  revêtu  de 
la  pourpre  un  jeune  homme  de  dix-sept  ans,  rencontré, 
disait-on,  à  Plaisance,  et  chéri  d'une  étrange  aftection.  Inno- 
cent, —  c'était  son  nom,  —  de  naissance  inconnue  et  de 
réputation  douteuse,  n'avait,  ce  semble,  d'autre  mérite  que  de 
bien  jouer  avec  un  singe.  Jules  III  l'avait  imposé  au  Sacré- 
Collège,  malgré  la  vive  opposition  du  doyen,  le  cardinal  Théatin, 
qui  trouvait  que  c'était  prostituer  la  dignité  cardinalice  que 
de  la  conférer  à  si  vil  personnage  \  Depuis  cette  élection, 
des  bruits  fâcheux  couraient  à  Rome  sur  le  compte  du  pon- 
tife :  Innocent  passait  pour  un  Ganymède,  et  les  festins  somp- 
tueux et  les  fêtes  païennes  que  voyait  la  villa  de  la  porte 
du   Peuple,    n'étaient   pas   pour   les   démentir  ^ 

Notre    poète    était   au    courant  de   ces    bruits  ;    il  voyait  par 
les    rues    ce    jeune    cardinal,    aussi    laid    que    vicieux,   que   le 


pum,  ad  furcas  omnes  siiiiul  catenati  latronum  more  traherentur,  bisque 
sentcntiis  de  eonim  supftlicio  in  corona  militiim  gravi  et  infesto  concionis 
fremitu  e.ss»t  (!isf)iitatiim,  e  quo  jiericulo  quanquam  tuna  oaines,  coinmise- 
rante  adjutanlcque  Pompcio  Cardinale,  incoluines  evascrinl,  constat 
tamen  eo  facto,  libcrtatem  alllicto  Pontilici  fuisse  maturatam.  »  Cf.  Ciaco- 
nius.  Historiae  Pontificum  Uomanornm  et  S.  R.  E.  Cardinaliiim,  Rome, 
1677,  t.  III,  col.  7'i3.  F.  —  Ainsi  s'explique  le  premier  tercet  du  s.  105  des 
Regretft  (édit.  Liseux),   que    M.  de  Montaiglon  n'avait  pu  éclaircir. 

'  Pour  le  parti  qu'ont  tiré  de  ces  fait  les  protestants,  v.  Bayle ,  art. 
Jules  m.  Mais  les  historiens  catlioliques  ne  se  montrent  pas  moins  sévères 
ide  TIm.u,  lil).  VI,  p.  2i;>,  et  lib.  XV,  p.  ol7.  t.  1  de  l'édit.  de  Londres,  1733  ; 
Fallavicino,  Hist.  du  conc.  de  Trente,  XI,  vu,  4,  trad.  franc.,  édit.  Migne, 
t.  II,  p.  533-iî3i  ;  Uaynaldus,  Ann.  Eecles.,  ann  loaO,  n»  50;  Ciaconius.  op. 
cit.,  t.  III.  col.  7.-)9  7(iO). 

-  ().  Panvinio  :  »  Septuaj^enarius  fcre  scnex,  per  totum  Pontiiicatum  in- 
tempestive commessando  {sic)  lasciviendoque,  gravissimarum  rerum  nego- 
tiis,  magno  cliristianae  Reipub.  malo,  neglectis,  genio  jucunde  suaviterque 
induisit.  »  Cf.  de  Tliou,  lib.  XV,  p.  517.  —  Les  dépèches  des  ambassadeurs 
font  allusion  à  la  vie  privée  de  Jules  III  (Ribier,  II,  268  et  337). 


LA    VIE    DK   JOACHIM    A    ROME  315 

peuple  de  Rome  sui-noiinnait  plaistuimicut  le  cardinal  Simia. 
Quoi  d'étonnant  que,  dans  un  jour  d'indignation  contre  des 
mœurs  si  dépravées,  il  ait  décoché  comme  un  trait  vengeur 
le  sonnet  suivant  ? 

De   voir  mignon  du    Boy   un   courtisan  honneste, 
Voir  un  pauvre   cadet  l'ordre   au  col   soustenir, 
Un  petit  compagnon  aux    estatz   parvenir. 
Ce  n'est   chose   (Morel)  digne  d'en  faire   feste. 

Mais  voir  un   estafTier,    un  enfant,   une  beste, 
Un   forfant,    un   poltron   Cardinal  devenir. 
Et  pour   avoir  bien   sceu  un  singe    entretenir 
Un   Ganymède   avoir  le   rouge   sur  la   teste  : 

S'estre   veu  par   les   mains  d'un  soldat   Espagnol 
Bien   hault   sur   un   eschelle   avoir   la    corde  au  col 
Celuy,   que   par   le   nom   de   Sainct-Père   Ion   nomme  : 

Un  bélistre  en  trois  jours  aux  princes  s'égaller, 
Et  puis  le  voir  de  là  en  trois  jours  dévaller  '  : 
Ces  miracles   (Morel)   ne   se    font   point,    qu'à    Rome  '. 

Dans  un  autre  sonnet  \  il  se  permettait  entre  le  pape  et  Jupiter 
un  parallèle  irrévérencieux,  et  qui  n'était  pas,  tant  s'en  faut, 
à   l'avantage  du   Jupiter  terrestre. 

Un  tel  pontife  devait  laisser  peu  de  regrets.  11  mourut  à 
68  ans,  le  23  mars  i555.  D'Avanson,  arrivé  récemment  à  Rome 
en   qualité  d'ambassadeur  *,   écrivait   le  5  avril   au   connétable   ; 

'  .le  ne  saisis  pas  l'allusion  de  ces  deux  vers. 

-  Resrets,  s.  10.i,  édit.  Liseux.  —  Je  cile  toujours  les  Regrets  d'après  celte 
édition,  la  plus  complète  de  toutes.  Sur  ce  point,  v.  Marty-Laveaux.  Appen- 
dice de  la  Pléiade,  II,  394-399. 

^  Regrets,  s.  106. 

*  M.  Courbet  (notice  des  Soiispirs  de  Magny,  p.  xv)  et  M.  Favre  (thèse 
sur  Magny,  p.  .53)  placent  vers  la  lin  de  loo3  la  mission  de  d'Avanson  en 
Italie.  Cette  date  me  semble  arbitraire.  Il  résulte  de  deux  le'lres  du  cardinal 
d'Armagnac  au  Connétable,  en  date  des  25  et  28  mars  1335  (édit.  Tamizey  de 
Larroque,  p.  91,  n.  1),  que  c'est  à  la  lin  de  mars  1.555  que  d'Avanson  rem- 
plaça comme  ambassadeur  Odet  de  Selve,  qui  lui-même  avait  remplacé 
Lansac  (sept.  1554). 


316  JOACHIM    DU   BELLAY 

((  Monseigneur,  vous  aurez  entendu  la  mort  du  Pape,  qui  a 
esté  pleuré  par  ce  peuple,  tout  ainsi  qu'il  est  accoustumé 
de  faire  à  Garesine-prenant  '.  »  11  avait  fini  singulièrement. 
Comme  il  était  perclus  de  goutte,  ses  médecins  lui  prescri- 
virent un  l'égime  d'abstinence,  dont  il  mourut  ■.  Du  Bellay, 
habile  à  manier  l'ironie,  lit,  en  vers  latins  et  français  ^  une 
épitaphe   satirique  à   ce   pape  trop   friand   de  légumes  *. 


III 


La  mort  de  Jules  III  ouvrait  le  champ  à  toutes  les  intrigues. 
Sa  succession  était  vacante,  et,  comme  toujours,  Impériaux 
et  Français,  luttant  d'inlluence,  manœuvraient  à  l'envi  pour  y 
faire  nommer  un  pape  qui  fût  dans  leurs  intérêts.  Dès  le 
mois  d'avril  ir)54.  Henri  II,  en  prévision  de  l'avenir,  avait 
donné  ses  instructions  au  cardinal  d'Armagnac,  qui  s'en  allait 
à  Rome  '.  Selon  toute  apparence,  il  les  avait  renouvelées  à 
d'Avanson,  qu'il  avait  dépêché  vers  le  Tibre,  en  apprenant 
la  maladie  de  Jules  III  ^  Le  conclave  était  déjà  clos  qu'il  les 
renouvelait  encore  à  Lansac,  dans  une  lettre  du  9  avril  i555  '. 
Il   aurait   voulu    voir   élire    son   cousin   le  cardinal   de   Ferrare. 


'  RibicT,  II,  oui. 

-  O.  Panvinio  :  «  .lulius  mcdicorum  consilio,  temere  mutata  victus 
ratione,  febre  correptus,  e  vita  excessit.  »  —  Cf.  Giaconius,l.  III,  col.  746,  C. 

^  Poeniata,  f"  47  r  ,  t-l  liegreLs,  s.  104.  Le  sonnet  n'est  qu'une  traduction  de 
l'épigrannue  latine. 

'  On  rapprochera  des  sonnets  de  du  Bellay  sur  Jules  III  une  pièce  de 
Majïny,  Sur  la  Mort  de  I.  P.  T.  |Iulius  Papa  Tertius],  Odes,  édit.  Courbet, 
1876,  t.  I,  p    138. 

•'  Ribier,  II,  ol7. 

"  Joaciiiin  a  célébré  l'arrivée  de  d'Avanson  dans  une  pièce  latine  :  Ad 
lanurn  Avansoniuni  ajnid  summum  Pont,  oratorcni  Regiuin,  Tyberis  (Poe- 
mata,  f"  6  r"). 

"  Rii)ier,  II,  (JO'i.  —  Lansac  venait  de  recouvrer  la  liberté.  De  la  sorte, 
Henri  II  cul  à  Home  deux  ambassadeurs  au  lieu  d'un. 


LA    VIE   DE   JOACHIM    A    ROME  317 

A  son  défaut,  si  les  cardinaux  de  Tournon,  du  Bellay,  d'Ar- 
magnac, n'avaient  pas  plus  de  chances  et  qu'il  fallût  se 
replier  sur  un  candidat  étranger,  il  souhaitait  l'élection  ou 
du  cardinal  anglais  Pôle  ou  du  cardinal-doyen  Théatin.  Un 
pareil  plan,  pour  réussir,  exigeait  de  la  pari  des  cardinaux 
français  un  accord  qui  n'existait  pas  :  ((  Jusques  icy,  mandait 
le  5  avril  d'Avanson  au  connétable,  je  ne  voy  point  plus 
d'union  entre  les  nostres  qu'il  s'en  est  veu  par  le  passé  : 
sur  quoy  je  vous  laisse  à  penser  quel  fruict  en  doit  advenir 
à  l'honneur,    gloire   et  bien  du  service  du  Hoy  '.  » 

Le  conclave  dura  seulement  quatre  jours.  Ce  fut  assez 
pour  que  Joachini  qui,  vraisemblablement,  accompagnait  son 
cardinal  en  qualité  de  conclaviste,  fût  édifié  sur  ce  qui  s'y 
passait.  Il  était  aux  premières  loges  pour  en  faire  la  descrip- 
tion. Dans  l'espace  d'un  sonnet,  on  a,  dit  Sainte-Beuve,  «  la 
réalité  mouvante  du  spectacle,  la  brigue  à  huis  clos,  les 
bruits  du  dehors,  les  fausses  nouvelles,  les  paris  engagés 
pour   et   contre  '^  ))  : 

Il  fait  bon  voir  (Paschal)  un  conclave  serré. 
Et  l'une  chambre  à  l'autre  également  voisine 
D'antichambre  servir,  de  salle,  et  de  cuisine, 
En  un   petit  recoing   de   dix   pieds  en  carré   : 

Il  fait   bon   voir  autour    le   palais   emmuré, 
Et  briguer   là  dedans  ceste   troppe   divine, 
L'un  par  ambition,   l'autre  par  bonne   mine. 
Et  par   despit  de    l'un,    estre  l'autre  adoré  : 

Il    fait  bon    voir  dehors    toute   la    ville  en   armes, 
Crier,  le  Pape  est  fait,  donner  de  faulx  alarmes. 
Saccager  un  palais  :    mais   plus   que  tout    cela 

'  Ribier.  II,  604. 

-  Nouveaux  Lundis,  XIII.  338. 


318  JOACHIM    DU    BELLAY 

Fait  bon  voir,    qui   de  l'un,    qui   de  l'autre   se   vante, 
Qui   met   pour  cestui-cy,    qui   met   pour  cestui-là. 
Et  pour  moins   d'un   escu  dix  Cardinaux  en   vente  '. 

Le  9  avril,  le  cardinal  de  Sainte-Croix  fut  élu  :  il  pi"it  le 
nom  de  Marcel  11.  C  ctait  un  digne  et  saint  prélat,  dont  le 
caractère  était  à  la  hauteur  de  l'intelligence  *.  Savant  modeste, 
aimant  les  livres  au  point  de  laisser  à  sa  mort  200  manuscrits 
grecs  et  ^00  manuscrits  latins  ',  il  joignait  aux  dons  de 
l'esprit  une  rare  sévérité  de  mœurs,  un  grand  amour  des 
pauvres,  un  zèle  exemplaire  pour  la  religion  '.  «  il  va 
plusieurs  siècles,  écrivait  le  cardinal  du  Bellay,  que  pape  ne 
lut  assis  en  ce  siège,  qui  donnât  meilleure  odeur  de  son  fait  ■'.  » 
Le  jour  même  de  son  couronnement,  le  i)ontife  manda  près 
de  lui  l'ambassadeur  de  l'empereur  ainsi  que  d'Avanson,  et 
leur  manifesta  le  désir  qu'il  avait  de  mettre  en  paix  leurs 
souverains,  en  leur  disant  «  qu'il  estoit  délibéré  de  s'y  employer 
de  toute  sa  puissance,  et  d'y  faire  ollice  de  vray  Père 
commun,  sans  incliner  à  dextre.  ny  à  senestre  ''.  »  Mais 
surtout,  il  avait  à  cœur  de  réformer  l'Église  et  de  la  ramener 
à  la  pureté  primitive  :  «  J  ay  esté  ce  jourd'huy,  dit  encore 
d'Avanson,    adverty    par  un   de   ses   plus    familiers    qu'il    veut 


'  Regrets,  s.  ISI.  —  Le  meilleur  commentaire  de  ce  sonnet,  c'est,  dans  les 
dépêches  des  aml)assadeurs,  le  récit  des  conclaves  qui  élurent  Jules  III, 
Marcel  II,  Paul  IV  et  Pie  IV.  (Ribier,  II,  232,604,  609,  832). 

*  Sur  Marcel  II,  v.  sa  vie  par  O.  Panvinio  ;  Raynaldus,  Ann.  Ecoles.,  ann. 
io35,  n»  13  sqq.  ;  Ciaconius,  op.  cit.,  t.  III,  col.  801  sqq. 

'  P.  de  Nolhac,  La  bibliothèque  de  Fulvio  Orsini,  p.  248.  Paris,  Vieweg, 
1887,  in-8». 

*  De  Tliou,  cité  par  Raynaldus  :  «  Vir  rara  eruditione,  prudentia,  sancti- 
tate  vitae  antiquis  comparandus,  et  sub  quo  certa  spes  emendandae  Eccie- 
siae  affulscrat  :  relulj^ebat  enim  morum  integritate,  ita  ut  ipsius  vita  om- 
nium censura  habcri  possit.  » 

■'  M"  de  la  Jonquière,  p.  43. 

*  D'Avanson  au  Roi,  13  avril  io'60.  —  llibier,  II,  G06. 


LA    VIE    DE   JOACHIM    A    HUME  .'i  1 9 

mettre  bien  tost  en  avant  de  grandes  retormations  sur 
l'Estat  Ecclésiastique.  La  pluspart  des  gens  espèrent  qu'il 
fera  quelque  grand  fruit  :  Dieu  veuille  par  sa  grâce  qu'il  soit 
ainsi  '.  » 

11  n'en  eut  pas  le  temps.  Le  ly  avril,  il  londjait  malade. 
Monluc,  le  héros  de  Sienne,  qu'il  reçut  le  29  en  grand 
honneur,  le  trouva  <(  sur  une  chaire,  près  son  lict,  si  mal 
qu'à  peine  pouvoit-il  guières  parler  )).  En  sortant,  il  dit  aux 
cardinaux  qu'il  rencontra  chez  d'Avanson  «  qu'ilz  pouvoinct 
bien  rentrer  au  conclave  pour  fere  ung  autre  pape,  car 
estuy-là  ne  seroit  pas  en  vie  lendemain  au  soir  »  ■.  Marcel  II 
mourut  en  etfet  dans  la  nuit  du  3o  avril  au  i"  mai,  après 
21  jours  de  pontiticat  '.  Il  n'avait  que  55  ans.  Il  laissa  des 
regrets  unanimes  \  On  le  pleura  comme  un  autre  Marcellus. 
S'inspirant  de  ces  sentiments,  Joachini  lui  consacra  cinq  épi- 
grammes  latines  %  dont  la  première  est  un  éloge  ému  de  ses 
vertus  morales  ;  la  cinquième  est  devenue  le  s.  109  des 
Regrets  : 

Gomme  un,  qui  veult  curer  quelque  Cloaque  immunde, 
S'il   n'a  le   nez   armé   d'une  contresenteur, 
Estoufl'é  bien  souvent   de  la   grand"   puanteur 
Demeure  ensevely   dans  l'ordure   profonde  : 

Ainsi  le   bon  Marcel   ayant  levé    la  bonde, 
Pour  laisser  escouler   la   fangeuse   espesseur 
Des   vices  entassez,    dont  son  prédécesseur 
Avoit  six  ans  devant  empoisonné   le   monde  : 

1  Ribier,  II,  606. 

-  Liv.  III  des  Commentaires,  édit.  A.  de  Ruble,  t.  II,  p.  124-125. 

'  D'Avanson  au  Roi,  22  avril  et  4  mai  (Ribier,  II,  6Q7  et  609).  —  Le  card. 
d'Armagnac  au  Connétable,  30  avril  (Tamizey  de  Larroque,  p.  70). 

*  O.  Panvinio  :  «  Luxerunt  mortuum  onines  sine  discrimine,  inprimis 
virtutis  et  literarum  studiosi.  » 

^  Poemata,  i"^  il  r*-48  r». 


320  JOACHIM    DU    BELLAY 

Se  trouvant  le   pauvret   de   telle   odeur  surpris, 
Tomba   mort   au   milieu   de   son  œuvre  entrepris, 
Xayant   pas  à   demy   ceste   ordure   purgée. 

Mais   quiconques  rendra   tel    ouvrage   parfait. 

Se   pourra  bien  vanter  d'avoir  beaucoup   plus   fait, 

Que  celuy   (jui    purgea   les   estables  d'Augée. 


IV 


Pour  la  seconde  fois,  Joachim  suivit  son  maître  au  con- 
clave. 11  j)ut  voir  de  nouveau  la  série  des  intrigues  engagées 
autour  de  la  tiare  par  les  deux  puissances  rivales,  et  qui  se 
dénouèrent  le  23  mai  i555  jjar  lélection  de  Garalfa,  cardinal 
Théatin,    sous  le   nom   de    Paul    IV. 

En  cette  circonstance,  le  cardinal  du  Bellay  fut  soupçonné 
d'avoir  plus  travaillé  pour  lui  que  pour  le  candidat  du  roi, 
le  cardinal  de  Ferrare.  DAvanson  l'accuse  nettement  dans 
une  lettre  au  connétable  :  ((  Monseigneur,  c'est  chose  asseurée 
que  les  Cardinaux  de  Ferrare,  Farnése  et  du  Bellay  preten- 
doient  tous  trois  au  Papat,  et  qu'il  n'y  a  aucune  amitié 
entr'eux,  chacun  pratiquant  pour  soy  les  Cardinaux  qu'il  con- 
noist  luy  estre  plus  favorables  '.  »  J.e  fait  est  quil  obtint 
lui-même  un  certain  nombre  de  suffrages  ;  mais,  s'il  ne  les 
rechercha  pas,  comme  il  s'en  défendit  auprès  du  roi  en  pro- 
testant de  ses  loyaux  services  ",  il  est  permis  de  croire  qu'il 
appuya  volontiers  une  cleclion,  qui  laissait  libre  désormais 
le  poste  envié  du  décanat.  En  tout  cas,  le  Théatin,  à  peine 
élu,  lançait  une  bulle  en  vertu  de  laquelle  le  doyen  serait 
toujours  à   l'avenir  le  plus   ancien    des  cardinaux-évêques   rési- 

'  D'Avanson  au  Gonnitable,  25  mai  1355.  —  Ribier,  II,  612. 
^  M  ■  de  la  Jonquière,  p.  43. 


LA    VIE   DK   JOACHIM    A    HOME  321 

dant  à  Borne,  et  du  Bellay  lui  succédait  comme  évêque 
d'Ostie  et  comme  doyen  du  Sacré-Collège.  Cet  acte,  qui 
dépouillait  le  vieux  cardinal  de  Toui'non  d'un  privilège  qui 
lui  revenait,  irrita  contre  du  Bellay  Henri  II  et  la  Cour  de 
France,  et  j)répara  sa  prochaine  disgrâce  '.  Pourtant,  comme 
doyen,  du  Bellay  pouvait  i-endre  encore  de  très  précieux 
services.  C'est  ce  qu'indiquait  d'Avanson,  dans  une  lettre  au 
roi  :  ((  Monseigneur  du  Bellay  tient  aujourd'huy  le  premier 
lieu  après  le  pape,  et  puisqu'il  est  doyen  et  evesque  d'Ostie 
et  ayant  la  bonne  volonté  qu'il  a  à  votre  service,  il  pourra 
tous  les  jours  ])eaucoup  tant  au  consistoire  qu'en  tous  autres 
lieux  de  congrégations  :  qui  me  l'ait  espérer  que  ayant  ung 
pape  de  bonne  volonté  à  Votre  Majesté  et  ung  doyen  votre 
naturel  subject,  du  sçavoir  et  expérience  de  Monseigneur  le 
Cardinal  du  Bellay,  on  ne  peult  attendre  que  bonne  yssue 
des  affaires  que  Votre  Majesté  aura  en  cour  de  Homme  \  » 
Mais  Henri  II  était  devenu  très  défiant  à  l'égard  du  nou- 
veau doyen.  Le  cardinal  avait  d'ailleurs,  tant  à  Bome  qu'en 
France,  de  puissants  ennemis  qui  travaillaient  à  le  miner. 
S'il  avait  l'amitié  de  Paul  IV  ',  il  avait  contre  lui  le 
neveu  même  du  pape,  le  cardinal  Carlo  Caraffa.  Ce  dernier, 
à  l'instigation  du  cardinal  de  Lorraine,  prenait  prétexte  de  sa 
liaison  avec  Carpi,  un  cardinal  impérialiste,  pour  le  rendre 
suspect  au  roi.  Fondée  ou  non,  l'insinuation  eut  plein  succès  : 
à  partir  de  septembre  i555,  du  Bellay  n'eut  plus  part  aux 
secrets  politiques.  Il  eut  beau  réclamer  :  on  lui  laissa  de  parti 
pris  ignorer  toutes  les   affaires.    C'était  la  complète   disgrâce  \ 

'  M"  de  la  Jonquière,  p.  44-46. 

^  D'Avanson  au  Roi,  24  mai  loao.  —  La  lettre  n'est  pas  dans  Ribier.  Elle 
est  citée  par  Favre,  thèse  sur  Magny,  p.  437-438. 

^  «  Monseigneur  le  Cardinal  du  Bellay,  qui  est,  à  ce  qu'on  dit,  des  favoris 
du  Pape  ».  écrit  l'évêque  de  Lodéve  au  Roi  (Sjanv.  1537).  — Ribier.  II,  674. 

*  De  Thou,  lib.  XVI  :  «  Bellaium  Gallici  nominis  studiosissimum  summo 

Univ.  de  Lille.  To.me  Vlll.  A.  il. 


322  JOACHIM    DU    BELLAY 

Joachim  ne  vit  pas  sans  un  serrement  de  cœur  cette  fin 
lamentable  d'une  carrière  si  glorieuse.  Osait-il  bien  se  plaindre, 
lui  si  humble  et  chétif,  de  la  l'ortune  adverse,  lorsqu'elle  se 
montrait  si  cruelle  à  son  maître  ?  Il  traduisit  ses  sentiments 
avec   une   émotion  sincère   dans   le   sonnet   qui   suit  : 

Si   après  quarante   ans  de  fidèle  service. 
Que  celuy  que  je   sers    a  fait   en   divers   lieux, 
Emploiant,  libéral,  tout  son  plus   et   son  mieux 
Aux   affaires  qui   sont   de   plus  digne  exercice, 

D'un  hayneux  estranger  l'envieuse   malice 
Exerce  contre  luy  son   courage   odieux, 
Et   sans   avoir   souci  des   hommes  ny    des   dieux, 
Oppose  à   la  vertu  l'ignorance   et  le  vice  '    : 

Me  doy-je  torm enter,    moy  qui  suis  moins  que   rien, 
Si  par  quelqu'un  (peult   estre)   envieux  de  mon    bien, 
Je  ne    trouve  à  mon  gré   la  faveur  opportune  ? 

Je   me  console  donc,   et  en  pareille  mer, 

Voyant   mon  cher   Seigneur   au   danger   d'abysmer, 

11   me  plaist   de  courir   une  mesme  fortune  ^ 

Depuis  son  arrivée  à  Home,  c'était  le  troisième  pape  que 
Joachim  voyait  s'asseoir  sur  le  trône  de  Saint-Pierre.  Paul  IV 
était  un  vieillard  de  79  ans,   rigide,  austère,   ardent,    passionné, 

odioj^prosequebalur  cardinalis  Lolharingus  ;  eoque  insligante,  cardinalis 
Carafa  illum,  quod  arcta  cuni  Carpensi  familiaritate  viveret,  apud  regem 
Iraduxerat,  ae  suspeclum  po&tremo  rcddideral  ;  adeo  ut  regii  procuratores 
ipsius  opéra  non  amplius  uterenlur,  et  omnia  régis  ncgotia  Romae  clam 
eo  peragerenlur.  »  Edil.  de  Londres,  1733,  t.  I^  p.  543. 

'  Ce  ((  hayneux  estranger  »,  c'est  évideniinent  le  cardinal  Carlo  Garall'a. 
Joachim  dira  plus  tard,  dans  une  lettre  au  cardinal:  «  Ce  qui  m'a  faict  ainsj' 
touclier  les  Carralles  en  quelque  endroict  [Regrets,  s.  1U3,  111,  113]  a  esté 
l'indignité  de  quoy  ils  usoient  en  vostre  endroict,  dont  je  ne  pouvois  quel- 
quefois ne  me  passionner  et  en  deschargeois  ma  cholère  sur  le  papier.  » 
Lettres,  édit.  P.  de  Nolhac,  p.  vJO. 

-  Regrets,  s.  4'J. 


LA    VIK    DE   JOACHIM    A    ROME  323 

colérique  ',    ([ui   ne    vivait    ([ue    pour   deux  choses    :    la    réforme 
de  rÉglise  et   la   haine   de  l'Espagne. 

Fondateur    de    l'ordre    des    Théatins,  restaurateur  du    Saint- 
Ollice,  il  voulait  rétablir  dans  l'I^^glise  luie  discipline  inllexible. 
((    Nous   promettons,    déclarait-il   dans  sa   bulle   d'avènement,   et 
nous  faisons    serment   de    mettre   un    soin   scrupuleux   à   ce  que 
la  réforme  de   l'Eglise  universelle   et  de  la  Cour   de  Rome   soit 
exécutée.    »   Dès  le   premier    jour   il   se    mit    à    l'œuvre,    insti- 
tuant  à   cet   effet    une   vaste    congrégation    de   cardinaux  et  de 
docteurs.     Le     12G    juillet  i555,    le    cardinal     du    Bellay     parlait 
ainsi     au    connétable    des    g'rands    projets    du    nouveau   pape  : 
«...    Sadite   Sainteté   fait   de   grands    préparatifs   pour    remetre 
icy  la   forme   de   cette   Eglise,   et   les    dépendances    d'icelle,    en 
tel   estât   qu'elle  puisse  par   bon  exemple  inviter  toute  la  Ghres- 
tienté   à   bien    faire,    et   si    elle  vit,    ainsi   qu'il  y   a  apparence 
qu'elle    fera,    j'espère    que    son    entreprise    luy    réussira    :    elle 
m'y  fait    déjà     prendre    un    peu     d'exercice,    et   semble    qu'elle 
veuille    faire    comme    ceux   qui    donnent    la    clef    du   vin     aux 
plus   yvrognes  :  aussi    nous    fait   elle    commencer   de    mettre   la 
main   à   la  reformation   de   l'universelle   Eglise  ^   » 

Notre  poète,  témoin  de  ces  premiers  efforts,  y  trouva  l'oc- 
casion d'une  ode  Sur  le  papat  de  Paille  II II  (11,  74)-  ^^ 
débutait  pompeusement  par  une  triple  comparaison,  qui  se 
déroulait  en  six  strophes  :  connue  après  l'orage  vient  la 
bonace,...  comme  après  la  guerre  vient  la  paix,...  comme 
après  l'hiver  vient  le  printemps,...  ainsi  la  sainte  nef  romaine, 
longtemps  ballottée  sur  les  flots  contraires,  se  voit  enfin  hors 
de  péril,  guidée  qu'elle  est  par  un  nocher  prudent  et  ferme. 
Il    en   rendait   grâces   à    Dieu  : 

1  George  Diiruy,  Le  Cardinal  Carlo  Carafa  ( i5ig-i56i).  Étude  sur  Le 
pontificat  de  Paul  IV.  Thèse.  Paris,  Hachette,  1882,  in-8».  P.  18,  n.  1;  p.  22, 
n.  1  ;  p.  I80,  n.  3. 

-  Ribier,  II,  613.  —  Cf.  la  vie  de  Paul  IV  par  O.  Panvinio,  et  surtout  liaynal- 
dus,  Ann.  Eccles.,  ann.  l.iaij,  n'^  22.  et  23.  Haynaldus  cile  les  Acta  Consis- 
torialia  des  29  mai,  o  juin  et  17  juill.  1533. 


324  JOACHIM    DU    BELLAY 


Grâces  à  toy,   souverain  Sire, 
Moteur   du   Ciel,  fidèle   espoux 
De  ton  espouse,    éternel   Père, 
Père   bénin,    paix,    et    lumière, 
Et  guyde  universel   de  tous, 

Qui   nous   as   donné  de   ta   grâce 
Un  sainct  Pilote   qui   embrasse 
La  Vérité  :    et  qui.    Seigneur, 
Jaloux   de   ta   gloire   et  honneur, 
Entend   tes  secrets,  et  luyt  comme 
Une   claire  lampe   dans   Ronnne, 
Et   soubs   l'heureux   gouvernement 
Duquel,  et  sa  bonté   notoire, 
Le    Monde   chantera  la  gloire 
De  ton   Nom,    éternellement. 

Gestuy  par   exemple   et  doctrine 

Remplira  d'une   Amour   divine 

Les  chastes   et   nobles  espi'its, 

Et  vainqueur   ravira   le    prix 

Aux   ennemis    de   ton   sainct    Temple, 

Demonstrant  d'un   égal   exemple 

Sa  justice   et  dévotion, 

Qui   autre   chose  ne   désire, 

Que  chasser  loing   de   son   empire 

L'erreur,    et   la  sedicion, 

Que   semé  la  bande   hérétique 
Parmy   le   troppeau  Catholique, 
Et   sera   ce   divin   Pasteur 
De   réduire  premier  autheur 
Nos   cœurs  à   la   vraye  lumière, 
Et  à   la   saincte  loy    première 
Que  nous  a  donné    Jésus  Christ. 
Et  puis   fera   d'un    cœur   sans  vice 
Un  pur   et   dévot   Sacrifice 
De   luy  et  nous   au  Sainct   Esprit. 


LA    VIE    DK   JOACniM    A    ROME  325 

Les  projets  relig^ieux  de  Paul  IV  étaient  fortement  contra- 
riés par  SCS  ambitions  politiques  :  en  lui,  le  prince  tempo- 
rel faisait  tort  au  chef  spirituel.  Appartenant  à  une  famille 
napolitaine  de  la  vieille  faction  française,  il  avait  été  nourri 
dans  l'horreur  des  tyrans  espagnols.  Il  avait  contre  Gharles- 
Quint  un  ressentiment  implacable.  «  II'  détestait  en  lui  :  comme 
ancien  sujet,  le  souverain  auquel  il  reprochait  des  injustices 
envers  sa  personne  et  envers  sa  maison  ;  comme  pape,  l'em- 
pereur qui  avait  souffert  le  sac  de  Rome  et  laissé  s'étendre  le 
protestantisme  en  Allemagne  ;  comme  Italien,  le  dominateur 
étranger  dont  le  joug  pesait  sur  sa  patrie'.  ))  Il  était  ardem- 
ment secondé  dans  sa  haine  par  son  neveu,  Carlo  CarafTa, 
un  ancien  condottiere  dont  il  avait  fait  un  cardinal.  Avec 
l'aide  de  ce  ministre,  il  rêvait  de  reprendre  et  de  mener  à 
bien  l'antique  projet  de  Jules  II,  d'affranchir  l'Italie,  de  l'arra- 
cher aux  Espagnols,  et  —  provisoirement  —  de  s'appuyer 
pour   réussir   sur   les   Français. 

L'histoire  de  cette  ambition  et  de  son  lamentable  échec 
n'est  plus  à  faire  depuis  la  belle  étude  de  M.  George  Duruy. 
Je  n'en  redirai  point  les  phases  II  me  suflîra  d'indiquer, 
parmi  les  faits  saillants  de  ce  pontificat,  ceux  dont  on 
retrouve   l'écho    dans   les   œuvres   de   Joachim. 

Le  i5  décembre  i555,  les  cardinaux  de  Lorraine  et  de 
Tournon,  représentants  du  roi  de  France,  signèrent  à  Saint- 
Pierre  avec  le  pape  un  traité  d'alliance  offensive  et  défensive, 
qu'avait  préparé  d'Avanson  par  la  convention  du  i4  octobre. 
Deux  mois  plus  tard,  un  beau  matin,  le  i5  février  i556,  le 
bruit  se  répandait  à  Rome  qu'Henri  II  venait  de  conclure 
avec   l'empereur,    à   Vaucelles,    une  trêve   de  cinq  ans  -.    C'était 

'  Mignet,  Charles-Quint,  son  abdication,  son  séjour  et  sa  mort  au  mo- 
nastère de  Yuste.  Paris,  Didier,  3'  édit.,  1857,  p.  81. 

-  George  Duruy,  De  pactis  anno  i556  apud  Valcellasindutiis.  Thèse.  Paris, 
Hachette,  1883,  in-8". 


326  JOACHIM    I)L'    BELLW 

un  (ouj)  (U-  loiulre  pour  les  Caralla,  dont  cette  trêve  inatten- 
due ruinait  brusquement  toutes  les  espérances.  Du  Bellay 
vit  de  près  la  stupeur  causée  par  cette  nouvelle.  Le  pape  se 
plaignait  d'avoir  été  trahi  ;  son  entourage,  ces  bannis  de 
Florence  et  de  Xaples  qui  s'étaient  réfugiés  près  de  lui,  com- 
posant sa  cour  habituelle,  accusaient  hautement  Henri  II  de 
fouler  aux  pieds  ses  vrais  intérêts  et  de  faire  preuve,  en  la 
circonstance,  d'une  coupable  légèreté,  —  pendant  que  les 
Impériaux  jouissaient  de  cette  déconvenue  et  parlaient  de  la 
trêve  comme  d'un  triomphe  de  leur  politique.  Le  poète, 
amusé,  recueillait  les  propos  qui  couraient  par  la  ville.  Les 
deux    sonnets  suivants   ont   la    valeur   d'un   l'eportage  : 

Nous   ne   sommes   faschez   que   la    trefve  se   face  : 
('ar   bien   que   nous   soyons    de  la    France   bien   loing, 
Si  est  chascun   de   nous  à   soy-mesmes   tesmoing, 
Combien   la   France  doit  de   la  guerre   estre   lasse. 

JNIais   nous   sommes   faschez  que   l'Espagnole   audace. 
Qui   plus   que   le   François   de  repoz   a   besoing. 
Se   vante   avoir  la   guerre  et  la  paix   en   son   poing, 
Et  que   de   respirer   nous   luy  donnons   espace. 

Il   nous   fasche   d'ouir  noz   pauvres   alliez 

Se   plaindre  à   tous   propoz    ([u'on  les  ait  oubliez, 

Et   qu'on   donne   au  privé   l'utilité   commune. 

Mais   ce  qui   plus   nous  fasche,   est   que  les   estrangers 
Disent   plus   que  jamais,    que   nous   sommes   légers. 
Et    que   nous  ne  sçavons   cognoistre  la   Fortune  : 


Le    Roy  (disent   icy   ces  baniz  de  Florence) 
Du   sceptre   d'Italie   est   frustré   désormais, 
Et   son   heureuse   main  cet   heur   n'aura  jamais 
De  l'éprendre  aux    cheveux  la   fortune  de   France. 


LA    vu:    IIK   JOACHIM    A    ItO.MIÎ  327 

Le  Pape   mal  conlonl  n'aura   plus  do    liaucc 
En  tous  ces   beaux   desseings   trop   légèrement   faictz, 
Et  l'exemple    Sienois  l'endra    par  ceste    paix 
Suspecte   aux   estrangers   la   Françoise    alliance. 

L'Empereur  alïbibly  ses  forces  reprendra, 
L'Empire  héi'édilaire  à  ce  coup  il  rendra, 
Et  paisible   à  ce    coup   il  rendra   l'Angleterre. 

Voilà   que   disent   ceulx,   qui  discourent   du   Roy  : 
Que   leur  respondrons-nous  ?  Vineus,   mande   le   moy, 
ïoy,  qui   sçais   discourir   et   de   paix  et   de   guerre    '. 

Personnellement ,  le  poète  ne  pouvait  qu'applaudir  à  la 
trêve  de  Vaucelles.  Depuis  qu'Henri  II  était  sur  le  trône, 
la  guerre  n'avait  pas  cessé.  Si  glorieuse  que  fût  la  lutte, 
elle  était  épuisante,  et  la  France  en  souffrait.  Cette  pensée 
patriotique  inspira  le  Discours  au  Roy  sur  la  trefve  de 
Van  M.D.LV  (I,  3o2).  Du  Bellay  s'y  montre  éloquent,  et  les 
beaux  vers  n'y  manquent  pas.  Il  loue  le  roi  de  sa  sagesse  : 
Vous  pouviez,  lui  dit-il,  poursuivre  vos  exploits  ;  vous  avez 
préféré   le  bien  public  à    des    victoires   : 

Celuy   vrayement,    celuy   est   doublement   vainqueur, 

Vainqueur  de   son   hayneux,    et   de    son   propre   cueur, 

Qui   peult   durant   le   cours  de  sa  bonne   fortune 

Suyvre   de   la   vertu  la  trace  non  commune. 

Fascheuse  de  nature  est  toute   adversité, 

Mais   trop  plus  dangereuse  est   la    félicité. 

Le   cheval  furieux,    aiant  le   mords  pour  guide, 

Tousjours   en  sa    fureur  ne  desdaigne  la   bride   : 

Le   navire  agité   des  vents  impétueux 

Ne  succumbe   tousjours   aux  flots  tempestueux   : 

Et   le  cours    du  torrent   tombant   de   la    montaigne 

'  Regrets,  s.  12'5  et  124.  V.  encore  les  s.  125  et  126.  et  cf.  le  s.  125  des 
Souspirs  de  Magny. 


328  JOACHIM    DU    BELLAY 

S'allente  quelquefois  au  plain   de    la   campaigne. 
Mais   veoir  un  jeune   Roy  heureusement   vaillant, 
Contre    un    autre  grand  Roy  pour  rhonneu.r  bataillant, 
Refréner   sa   fureur.  Sire,    c'est  une   chose, 
Qui  d'un   moindre  que   vous  au   pouvoir  n'est  enclose. 

La  gloire  militaire  est  commune  à  beaucoup  et  dépend  de 
bien  des  conditions  :  la  valeur  des  soldats,  les  circonstances 
de  temps  et  de  lieu,  les  vivres,  les  armes,  l'argent,  et  surtout 
le  hasard,  fréquemment  en  décident.  Mais  il  ne  dépend  que 
de   nous  d'obtenir  cette    gloire  que   donne   la  bonté    : 

Donques  autant   de  fois   qu'en  noz   vers    ou   histoires 

Noz   nepveux    reliront  voz   heureuses    victoires, 

Hz   s'esmerveilleront.    et  de   quelle    vertu. 

Et  de   quel   heur   encor'  vous   aurez   combattu 

Contre   un    tel  ennemy.   Mais  autant  de  fois,   Sire, 

Que   voz   sujets   viendront,  je   ne  dis   pas   à   lire, 

Mais   sentir    la  pitié   dont   vous    avez    usé. 

Sans    avoir,    inhumain,   de   leur   sang   abusé. 

Hz   vous  adoreront,    et  en   chasque    province 

Serez  tenu   pour  Dieu,   et   non  pas  pour  un   prince. 

On  vous  tiendra  pour  Dieu,  car  qu'elle  chose  aux  Dieux 

Approche   de   plus   près,    qu'un   Roy    victorieux. 

Un   Roy   sage,    constant,    fort,    magnanime,  et  juste 

Plus  humain  que   Trajan,    et    plus  heureux    qu'Auguste  ? 

C'est  vraiment  le  fait  d'un  roi  très  chrétien  de  se  dompter 
ainsi    lui-même  : 

Vous   pouviez   regaigner,    voire   en   bien   peu   de   temps, 
Ce   que  vostre  ennemy   depuis  vingt   ou   trente    ans 
Usurpe   dessus  vous  :    mais   vostre   bonté,    Sire, 
Qui   plus  au  bien   public,   qu'à   sa   grandeur  aspire, 
Pour   laisser  reposer   de   leurs   travaux   passez 
Voz  peuples   et   voisins   de  la  guerre  lassez, 


LA    VIIl    DK   .lOACHlM    A    KOMli  ''M\) 

Est   venue  arracher    au    milieu   des   alarmes, 

Des  mains    de  voz  soldais,  la   fureur   et   les  armes. 

Car   vous   n'avez   plustost   apperceu   l'Empereur 

Incliner  à  la   Paix,   que   soudain   la   fureur 

S'est   esteinte   dans   vous    au   plus   fort   de  l'allaire  : 

Et   content  d'avoir   peu   domter   vostre   adversaire, 

Avez  domté   vous   mesme  :    et   pour  le   commun  bien 

Vous  estes    souvenu   d'estre   Roy   Treschrestien. 

S'inspirant  de  l'idée  chrétienne  ',  le  poète  insinuait  qu'il  serait 
glorieux  pour  le  roi  de  rassembler  sous  sa  bannière,  pour 
aller  attaquer  l'Orient,    toutes   les   forces   de  l'Europe. 

Il  s'agissait  bien  d'une  croisade  !  Pendant  que  Joachim 
écrivait  son  Discours,  le  neveu  de  Paul  lY  travaillait  en 
France  à  la  rupture  de  la  trêve  de  Vaucelles  et  jetait  les 
bases  d'un  nouveau  traité  d'alliance  offensive  et  défensive 
entre  Henri  II  et  le  Saint-Siège.  Une  partie  de  i556  se  passa 
en  préparatifs.  A  Rome,  on  était  dans  l'attente  ;  on  vivait  au 
milieu  de  cette  fièvre  inquiète  qui  précède  les  grands  événe- 
ments :  les  moindres  nouvelles  faisaient  sensation.  Tout 
d'abord,  un  fait  capital  eut  un  long  retentissement,  l'abdica- 
tion de  Gharles-Quint.  Le  vieux  monarque,  fatigué  du  pouvoir 
et  las  de  la  grandeur,  allait  s'enfermer  au  cloître  de  Yuste. 
C'était  un  étrange  contraste,  de  voir  cet  empereur,  vieilli  sur 
les  champs  de  bataille,  qui  se  faisait  ermite,  à  l'heure  même 
où  le  pontife  octogénaire,  vieilli  dans  la  paix  de  l'Eglise,  son- 
geait à  se  faire  guerrier.  Frappé  de  ce  contraste,  Joachim  y 
vit   le  sujet   d'un   piquant  parallèle  : 

Je   n'ay  jamais   pensé   que   ceste   voulte    ronde 
Couvrist   rien   de   constant  :    mais  je   veulx   désormais, 


'  Cette  conception  chrétienne  de  la  paix  se  retrouve  dans  Ronsard  (Rlan- 
cliemain,  III,  344-345  ;  VI,  209-215  et  216-224)  et  dans  Baïf  (Marty-Laveaux,  II, 
223-229). 


330  JOACHIM    DU    BELLAY 

Je   veulx   (mon   chor   Morcl)   croire   plus   que  jamais, 
Que   dessous   ce   grand  Tout  rien   ferme   ne   se   fonde. 

Puisque   celuy  qui   fut  de  la  terre   et  de  l'onde 
Le   tonnerre   et  l'effroy,    las   de   porter   le   faiz, 
Veult  d'un   cloistre   borner   la   grandeur  de   ses    faicts. 
Et   pour   servir   à  Dieu   abandonner   le   monde. 

Mais   quoy  ?   que   dirons-nous   de   cet   autre   vieillard, 
Lequel   ayant  passé  son   aage   plus   gaillard 
Au   service   de   Dieu,    ores  César  imite  ? 

Je  ne   sçay   qui   des  deux   est   le   moins   abusé  : 

Mais  je  pense   (Morel)  qu'il   est  fort  mal   aisé. 

Que    l'un    soit   bon    guerrier,    ny   l'autre  bon   hermite  '. 

Bientôt,  on  apprit  que  le  duc  de  Parme,  Octave  Farnèse, 
notre  ancien  allié,  passait  à  la  cause  espagnole,  moyennant 
la  restitution  de  Plaisance  ^  C'était  un  fâcheux  contretemps  : 
car  on  comptait  sur  lui  pour  tenir  en  échec  le  duc  de 
Florence,  toujours  hostile.  C'était  aussi  un  bel  exemple  d'in- 
gratitude :  les  Farnèse  devaient  tout  à  la  France.  Du  Bellay 
donna  libre  cours  à  son  indignation  dans  une  pièce  intitulée 
Les  Furies  contre  les  infracteurs  de  foy  (I,  3i6).  monologue 
déclamatoire  où  l'ombre  de  Pierre-Louis  Farnèse  est  censée 
parler,  et,  flétrissant  la  conduite  de  ses  fils,  répand  sur  eux 
ses  malédictions  '. 


'  liegrcts,  s.  111.  —  Le  s.  110,  tr.Tduction  en  vers  rapportés  d'une  épi- 
wranime  latine  {Poemata,  f"  24  r»),  oppose  le  belliqueux  Paul  IV  au  pacifique 
Jules  m.  —  Du  lîellaj'  fait  parler  Cliarles  Quint  lui-même  dans  Les  tragi- 
ques regrets  de  Clinrla  V  empereur  (11,  li't).  11  n'est  \m\s  prouvé  que  dans 
ce  poème,  d'ailleurs  très  médiocre,  il  ait  voulu  refaire  vine  pièce  de  Grévin 
sur  le  même  sujet,  ainsi  que  l'avance   M.  Pinvert,  thèse  sur  Grévin,  p.  205. 

-  Ribier,  H.  6'»G-647  et  6;i6-6.^!^'. 

^  Antérieurement,  du  Bellay  avait  célébré  (II.  149  et  lo5)  la  mort  d'Horace 
Farnèse,  duc  de  Castro,  frère  d'Octave,  qui  venait  d'épouser  Diane  d'An- 
goulème,  lille  légitimée  d'Henri  II,  et  qui  s'était  fait  tuer  quelque  temps 
après  au  siège  d'Hcsdin  (18  juill.  1533). 


LA    VIK    l>K   JOACHIM    A    ROME  331 

Euiin,  le  j  scpteiubri'  i55G,  le  tardiiial  Caralla,  retour  de 
France,  rentrait  de  nuit  à  Rome  :  il  amenait  avec  lui  Mou- 
lue, Strozzi,  Lansac,  plus  de  2000  liouinies,  et  rapportait  en 
outre  35o.ooo  écus  et  la  promesse  formelle  d'Henri  II  (juune 
armée  française  allait  descendre  en  Italie  sous  les  ordres  du 
duc  de  Guise  '.  II  était  temps  :  dès  le  i^r  septembre,  le  duc 
d'Albe,  lieutenant-général  de  Philippe  II  dans  la  péninsule  et 
vice-roi  de  Naples,  franchissant  la  frontière  du  territoire 
ecclésiastique,  avait  entamé  les  hostilités.  Il  s'avançait  à 
marches  forcées,  prenant  d'assaut  les  villes  et  les  bourgs. 
Dans  l'espace  de  quelques  jours,  toute  la  campagne  de  Rome 
était  tombée  en   son  pouvoir. 

Alors,  ce  fut  à  Rome,  plusieurs  mois  durant,  un  spectacle 
inaccoutumé.  L'état  de  guerre  avait  changé  du  tout  au  tout 
la  cité  voluptueuse,  où  jadis  florissaient  les  plaisirs  et  les 
fêtes.  La  navrante  métamorphose  !  Du  Bellay  l'écrivait  à  son 
ami    Dagaut  : 

Nous  autres   malheureux   suivons   la  court  Romaine, 
Où,   comme   de   ton  temps,    nous  n'oyons  plus  parler 
De   rire,    de  saulter,    de  danser,    et  baller. 
Mais   de  sang,    et   de   feu,  et   de   guerre    inhunjaine  ■. 

On  ne  rencontrait  dans  les  rues  que  des  soldats  en 
armes  '  :  on  n'entendait  que  le  son  des  trompettes,  et  le  bruit 
des  tambours,  et  le  grondement  des  canons,  et  les  décharges 
d'artillerie  qui  tonnaient  du  château  Saint-Ange.  Le  pape, 
solennel,  passait  des  revues  sur  la  place  Saint-Pierre  et  bénis- 
sait   les    étendards,     tandis    qu'artisans    et    bourgeois,    dans    le 

*  G.  Duruy,  Le  Cardinal  Carlo  Carafa,  p.  181-182 
-  Regrets,  s.  57. 

*  Dans  une  lettre  au  Roi  (14  nov.  loo6|,  MM.  «le  Selve  et  de  Lansac  éva- 
luent le  nombre  des  forces  réunies  à  Rome  à  9000  hommes  de  pied  et  4  à 
300  chevaux.  —  Ribier,  II,  664. 


332  JOACHIM    DU    BELLAY 

tumulte    général,    désertaient    leurs    occupations     et     fermaient 
leurs   boutiques.    Quel   constraste   avec  autrefois  ! 

Ne   pense  (Robertet)  que    ceste  Rome   cy 
Soit  ceste  Rome  là,    qui  te   souloit  tant   plaire. 
On  n'y  fait  plus    crédit,    comme  Ion  souloit   faire, 
On   n'y   fait   plus  l'amour,   comme   on   souloit  aussi. 

La   paix  et  le   bon   temps   ne  régnent   plus  icy, 
La   musique  et  le   bal   sont  contraints  de   s'y  taire. 
L'air  y   est   corrompu.    Mars   y   est   ordinaire, 
Ordinaire   la     faim,    la   peine,    et  le   soucy. 

L'artisan   desbauché  y  ferme  sa  boutique, 

L'ocieux   advocat  y   laisse  sa  pratique. 

Et    le  pauvre   marchand  y   porte   le  bissac    : 

On  ne  voit  que  soldartz,  et  raorrions  en  teste, 
On  noit  que  tabourins,  et  semblable  tempeste, 
Et  Rome  tous  les  jours  n'attend   qu'un  autre    sac*. 

Pour  comble  d'infortune,  c'est  de  ses  propres  défenseurs 
que  Rome  avait  à  craindre  un  sac.  Les  soldats  étrangers  qui 
campaient  dans  ses  murs  la  traitaient  en  ville  conquise.  Les 
Gascons  volaient  et  violaient  les  femmes.  Les  Allemands 
luthériens  soldés  par  Henri  II  affectaient  de  manger  de  la 
viande  les  jours  consacres  au  jeune,  et  criblaient  de  coups 
pe  poignard  les  images  du  Christ.  Les  Suisses  se  grisaient, 
et  leur  lourde  gaieté  se  traduisait  par  des  bastonnades,  qu'ils 
faisaient  pleuvoir  sur  les  citoyens  inoffensifs  '\  Exaspéré,  le 
peuple  murmurait  ;  il  s'en  prenait  au  pape  de  toutes  ses 
misères,  il  accusait  son  ambition,  sa  cruauté,  son  népotisme  ; 
il  blâmait  l'incapacité  des  chefs,  vaniteux,  fanfarons  et  lâches; 
il   se  lamentait   sur  les  périls    de    la  situation,    sur   les  maisons 

'  Regrets,  s.  8.5.  —  Cf.  s.  110. 

-  G.  Duruj',  op.  cit.,  p.  193-194,  d'après  Navagero,  témoin  oculaire. 


LA    VIE    DE   JOACHIM    A    HOME  333 

détruites,  sur  les  impôts  trop  lourds.  La  vie  à  Rome  n'était 
plus  tenable.  Une  fois  de  plus,  du  Bellay  regrettait  de  n'être 
pas   sourd  : 

Je   n'orrois    du   Castel  la   fouldre   et   le    tonnerre. 

Je   n'entendrois  le  bruit   de   tant   de  gens  de   guerre. 

Et  n'orrois   dire  mal   de   ce   bon  Père    Sainct, 

Dont   ores    sans   raison   toute    Rome    se   plaingt, 

Blasinant   sa    cruauté,    et  sa    grand'    convoitise, 

Qui  ne  craint  (disent-ilz)   aux    despends  de   l'Eglise 

Enrichir  ses   nepveus,    et   troubler   sans    propos 

De   la  Chrestienté  le   publique   repos. 

Je  n'orrois   point   blasmer   la    mauvaise   conduite 

De   ceux    qui   tout   le  jour   traînent   une   grand"    suite 

De   braves   courtisans,    et   pleins   de   vanité 

Voyant   les   ennemis   autour   de   la   cité. 

Portent   Mars    en  la   bouche,    et  la   crainte   dans   l'anie  : 

Je   n'orrois   tout   cela,   et  n'orrois   donner   blasme 

A  ceux  qui  nuict  et  jour  dans  leur  chambre  enfermez 

Ayant   à   gouverner   tant   de   soldats   armez, 

Font   aux  plus   patiens   perdre    la   patience, 

Tant  superbes   ilz   sont,    et  chiches   d'audience. 

Je   n'entendrois   le    cry    du   peuple    lamentant 

Qu'on  voise  sans  propos   ses    maisons   abbatant, 

Qu'on  le   laisse   au    danger   d'un   sac    époventable, 

Et  qu'on  charge   son   doz   d'un   faiz   insupportable  ' . 

Heureusement,  après  plusieurs  mois  passés  dans  les 
transes,  on  vit  enfin  venir  le  duc  de  Guise.  C'était  le  salut 
espéré.  Le  duc  avait  franchi  les  Ali:)es  dans  les  derniers 
jours  de  décembre.  Il  entra  dans  Rome  le  jour  du  carnaval, 
le  2  mars  155^,  bientôt  suivi  de  son  armée.  Parmi  ces  sol- 
dats   venus     de    si    loin ,    Joachim    put    voir     Rémy     Belleau, 

»  Hymne  de  la  Surdilê  (H,  404-40j). 


334  JOACHIM    DU    BELLAY 

escortant  à  la  guerre  son  protecteur  René  d'Elbeuf  '.  Il 
accompagna  de  ses  vœux  les  Français  héroïques  qui  s'en 
allaient   conquérir  Naples  *  : 

Quos   cliara   e  patria  avulsos   et   dulcibus   arvis 
Saevus   amor  belli  misit  in   Hesperiam, 

Pergite   Ibelices,    fatisque   vocantibus  ite, 

Quo   vos  ipsa   vocat   Gallica   Parthenope. 

Il  n'éprouva  cependant  nulle  envie  de  participer  à  l'expédition  : 
Faustine  le  tenait  par  des  liens  trop  doux  ^  A  quelque  temps 
de  là,  il  put  pleurer  la  mort  glorieuse,  mais  inutile,  des 
soldats  tombés  pendant  la  campagne  *.  Le  duc  de  Guise  avait 
échoué  devant  Civitella  (i5  mai)  :  l'invasion  du  royaume  de 
Naples,  à  peine  commencée,  se  terminait  par  un  désastre. 
Lellbndrement   était  complet. 

Du  Hellay  vit  encore  la  division  se  mettre,  à  la  suite  de 
torts  réciproques,  entre  Guise  et  les  Caraffa  ;  le  duc,  mécon- 
tent de  lui-même  et  des  autres,  se  consumer  dans  l'inaction  ; 
3ooo  Suisses,  accourus  au  secours  du  pape,  fuir  en  déroute  ; 
le  vice-roi  camper  aux  portes  mêmes  de  Home,  et  la  ville  une 
fois  de  plus  en  proie  à  des  terreurs  sans  nom.  Il  apprit  enfin 
le  23  août  la  débâcle  de  Saint-Quentin,  et  fut  témoin  de  la 
stupeur  que  Rome  entière  en  ressentit  \  Henri  II,  écrasé  chez 
lui,  c'était  le  rappel  immédiat  du  duc  de  Guise  en  France,  le 
pape  contraint  de  capituler  et  de  faire  sa  paix  avec  le  roi 
d'Espagne,  et  le  renoncement  fatal,  définitif,  au  rêve  caressé 
naguère. 

'  Marty-Laveaux,  Notice  sur  Belleau,  p.  vu. 

-  Poemata,  t"  38  v  :  Ad  milites  Gallos,  cum  ad  bellum  Neapolitanurn  pro- 
ficiscerentur. 

^  V.  plus  loin,  chap.  vi,  §  i. 

'  Poemata,  f»  iil  v"  :  In  Gallicam  juvenlutem  quae  pro  Paiilo  IIII,  Pont. 
m.ax.  bello  Parthenopaeo  occiibuit. 

"  Poemata,  f»  52  r"  :  In  eos  qui  bello  Quintiniano  occubuerunt  Lacrjmae. 


LA    VIK    DK    JOACHIM    A    HOME  335 

Pendant  les  quatre  années  de  son  séjoui*  à  Rome,  le 
spectacle  de  la  politique,  avec  ses  niulliples  aspects  et  ses 
péripéties  diverses,  avait  largement  instruit  du  Bellay.  Son 
œil  perspicace  avait  entrevu  tout  ce  ((ui  se  cacliait  sous  la 
pompe  extérieure,  les  vanités,  les  ambitions,  les  convoitises, 
les  jalousies  et  les  intrigues.  Ce  côté  de  la  vie  romaine,  petit, 
mesquin,  tortueux,  ne  pouvait  que  déplaire  à  sa  franchise 
naturelle,  à  ses  généreux  sentiments.  Il  en  eut  vite  le  dégoût. 
Nous  aurons  bientôt  l'occasion  de  voir  en  quoi  ce  dégoût 
servit  son  talent,  et  comment  cette  indignation  fouetta  sa 
verve  satirique.  Mais  nous  serions  mal  préparés  à  bien 
comprendre  les  Regrets,  si,  après  ce  coup  d'œil  jeté  sur  la 
vie  publique  du  poète,  nous  n'en  jetions  un  autre  sur  sa 
vie    privée. 


CHAPITRE    IV 


LA   VIE    DE   JOACHIM   A  ROME 

1553-1557 
IL    LA   VIE    PRIVÉE 


I.  —  Passe-temps  de  Joachim,  —  Ses  ennuis,  ses  dégoûts. 
II.  —  Ses  consolations.  —  Le  monde    savant    à   Rome.  —   Annibal 
Caro    —  Érudits  et  poètes  :   la  poésie  latine.  —  Satisfac- 
tions d'amour  propre, 
m.  —  Les  amis  de  Rome.  —  Magny,  Gordes,  Panjas. 
IV.  —  Les  amis  de  France.  —  Ronsard  et  Tahureau. 
V.  —  Le   culte   des  Muses  :  la  poésie  consolatrice.  —  Origine  des 
((  Poemata  »  et  des  «  Regrets  ». 


I 


Du  Belliiy,  si  prorapt  à  nous  dévoiler  les  dessous  de  la 
vie  romaine  et  tous  les  laits  divers  dont  il  fut  le  témoin,  se 
montre  plus  discret  sur  les  incidents  de  sa  vie  privée.  Nous 
l'avons  suivi  tour  à  tour  dans  ses  deux  emplois  officiels, 
tantôt  chargé  de  l'intendance  et  de  la  gestion  financière  dans 
le  palais  du  cardinal,  tantôt  accompagnant  son  maître  dans 
les  cérémonies   publiques   avec  les   autres  gentilshommes.  Mais 


LA    VIE    D1-:    JOACHIM    A    HOMK  3.'^ 

quand  il  dépouillait  ces  lonctions  oflicielles,  lorsqu'il  redeve- 
nait lui-même,  aux  heures  de  loisir  et  de  libre  détente,  que 
faisait-il?  que  pensait-il?  quelles  étaient  ses  distractions  et 
ses  intimes  sentiments?  Sur  ce  point  si  curieux,  nous  aime- 
rions les  confidences  :  celles  (pic  nous  lait  du  Bellay  ne  nous 
satisfont  qu'à  demi.  Nous  sommes  tentés  de  lui  en  vouloir  de 
son  excessive   réserve. 

A  travers  les  Regrets,  nous  entrevoyons  vaguement  ({uel- 
ques-uns  de  ses  passe-temps.  Parfois,  il  s'en  allait  s'ébattre 
avec  Charles  Marault,  le  valet  de  chambre  du  cardinal,  dans 
la  vigne  de  Saint-Laurent  '.  D'autres  fois,  il  se  rendait  dans 
la  boutique  du  barbier  Pierre  et,  pour  se  divertir,  il  se  fai- 
sait conter 

Des  nouvelh^s   du    Pape,  et  du  bruit  de  la   ville  ^ 

Ou  bien  encore,  il  s'amusait  à  plaisanter  avec  les  secrétai- 
res, et  surtout  avec  l'un  d'entre  eux,  un  certain  Le  Breton  % 
dont  il  a  tracé  ce   piquant   portrait  : 

Le  Breton   est  sçavant,    et   sçait   fort   bien   escrire 
En  François,   et  Thuscan,   en   Grec,    et  en  Romain, 
Il  est  en  son   parler  plaisant  et  fort  humain. 
Il  est   bon  compaignon.  et  dit  le  mot  pour  rire. 

Il  a  bon  jugement,   et  sçait   fort   bien   eslire 
Le   blanc   d'avec  le    noir  :    il  est  bon   escrivain. 
Et  pour  bien  compasser   une   lettre   à   la   main, 
Il   y  est   excellent  autant   qu'on   sçauroit  dire  : 

*  Regrets,  s.  54.  —  Cf.  Heulhard,  p.  74. 

-  Regrets,  s.  59. 

^  Je  doute  qu'il  ait  rien  de  commun  avec  Claude  Breton,  sieur  de  Viilan- 
dry,  qui  fut  agent  du  roi  de  F'rance  à  Rome  en  1554  (Ribier,  II,  541,  543,  608  ; 
Lettr.  inéd.  du  card.  d'Armagnac,  édit.  Tamizey  de  Larroque,  p.  55,  70,  89). 
En  tout  cas,  il  ne  faut  pas  le  confondre,  comme  le  fait  M.  Courbet,  avec  Fran- 
çois Le  Breton,  écrivain  de  Goulances,  dont  parlent  La  Croix  du  Maine 
(I,  211)  et  du  Verdier  (1,  644). 

Univ.  de  Lille.  Tome  VllI    A.  22. 


338  JOACHIM    DU    BELLAY 

Mais  il   est  paresseux,    et  craint   tant   son   raestier, 
Que   s'il   devoit  jeusncr,    ce   croy-je,    un   mois   entier, 
Il  ne  travaillei-oil   seulement  un   quart  d'heure. 

Brel",   il   est   si  poltron,   pour   bien   le  deviser, 

Que  depuis  quatre  mois,  qu'en  ma  chambre  il  demeure, 

Son   urabre  seulement  me   fait  poltronniser  '. 

Plus  tard,    il  eut    à   se  plaindre   de   lui  :   Le    Breton   faisait  en 

cachette    des    copies   des   Regrets  et   les   vendait   secrètement  à 

des    gentilshommes    français  ".    Mais    pour   l'instant,    du   Bellay 

goûtait  fort  sa   bonne  humeur   et  son   esprit,    et  lui  savait  gré, 

dans   leurs   ennuis    communs,    d'avoir    toujours    «   le   mot   pour 

rire  »    : 

. , .    Nous  n'esprouvons  icy 

Que   peine,    que   travail,   que  regret   et  soucy, 

Et  rien,    que   Le    Breton,    ne    nous  peult  faire  rire  '. 

Un  si  joyeux  confrère  avait  le  don  précieux  d'égayer  ses 
tristesses.  C'est  qu'on  effet,  depuis  longtemps,  l'ennui,  le 
soudure  ennui  s'était  abattu  sur  notre  poète.  Une  mélancolie 
profonde,  incurable,  avait  pénétré  dans  son  âme,  et  la 
nostalgie  le  tenait,  le  regret  très  amer  de  la  patrie  absente. 
Perdu  sui-  la  terre  d'exil,  il  soupirait  en  vers  latins  :  «  Je 
n'ai  pas  un  cœur  do  rocher,  ou  qui  ait  la  raideur  inilexible 
du  fer.  Il  faut  être  le  fils  d'une  ligresse  ou  d'une  ourse, 
pour  n'être  pas  touché  du  doux  amour  do  la  patrie,  et  pour 
consentir  tant  de  mois  un  lointain  exil.  L'exil  !  qu'est-ce  autre 
chose  que  l'abandon  des  cieux  connus,  de  la  patrie,  du  foyer 
domestique  ?  Trois  fois,  s'est  accomplie  l'annuelle  révolution 
du  rapide   soleil,    depuis    qu'il    m'a    fallu    entreprendre   un   si 

'  Regrets,  s.  58.  —  Cf.  Magny,  Souspirs,  s.  132  : 

Autant  que  Le  Breton  je  ne  voudroy  qu'il  sçeust. 
Mais  l)ien  qu'il  eusl  de  luy  la  paresse  et  le  vice. 

^  Lettres  de  J.  du  Bellay,  édit.  P.  de  Nolhac,  p.  43-44. 

'■'  Regrets,  s.  'ôl. 


LA    VIK    DE    JOACaiM    A    ROME  339 

long  voyage  :  je  me  suis  vu  contraint  de  vivre  en  étranger 
sous  des  toits  inconnus,  gardant  à  peine  le  souvenir  de  mon 
Lire  ;  je  me  suis  vu  contraint  d'apprendre  d'autres  usages  et 
d'autres  mœurs,  de  parler  une  langue  insolite  !  —  Mais,  diras- 
tu,  quoi  de  plus  brillant  ({ue  la  Cour  de  Rome,  et  quel  lieu, 
dans  tout  l'univers,  est  plus  beau  ?  Rome  est  la  mère  du 
monde  :  habiter  ses  murailles,  c'est  vivre  sur  son  propre  sol. 
—  Oui,  sans  doute,  il  m'est  plus  doux  qu'à  n'importe  quel 
étranger,  de  vivre  à  Rome,  moi  qui  possède  un  oncle  qui 
tient  tant  de  place  au  Sacré-Collège,  tant  de  place  aussi 
dans  le  chœur  des  Muses,  un  oncle  dont  la  bonté  honore  mes 
talents  et  les  encourage,  et  détourne  loin  de  moi  la  pauvreté. 
Mais  chaque  fois  qu'il  me  souvient  d'avoir  abandonné  mes 
anciennes  études,  et  mes  anciens  amis,  et  la  chère  maison 
où  jadis,  instruit  à  mépriser  les  trésors  de  la  Perse,  je  savais 
vivre  heureux  de  peu,  —  chaque  fois  se  présente  à  moi 
l'image  même  de  la  patrie,  et  chaque  fois  je  suis  en  proie  à 
de   nouveaux  tourments  '.  » 

Mais  le  regret  de  la  patrie  n'était  pas  le  seul  mal  dont 
son  cœur  fût  atteint.  Le  pauvre  Joachim  soutirait  aussi  de 
faire  un  métier  qui  n'était  nullement  de  son  goût.  Il  adorait 
la  liberté  :  il  lui  fallait  servir.  11  détestait  l'hypocrisie,  et  sans 
cesse  il  lui  fallait  feindre.  Il  se  sentait  né  pour  la  Muse  : 
c'est  au  c(  ménage  »  qu'on  l'employait  '  !  Surtout,  il  souffrait, 
il  souffrait  violemment  de  ses  rêves  déçus,  de  ses  espoirs 
trompés.  Il  s'imaginait,  au  départ  de  France,  qu'il  allait  tout 
apprendre,  et   son  illusion   s'était  envolée  : 

O   beaux  discours   humains  !  je   suis   venu  si   loing, 
Pour  m'enrichir   d'ennuy,   de    vieillesse,    et   de   soing, 
Et   perdre  en  voyageant  le   meilleur  de   mon  aage  ^ 

^  Poemata,  f°  12  r"  :  Patriae  desideriiim. 
-  Regrets,  s    39. 
^  Regrets,  s.  32. 


340  JOACHIM    DU    BELLAY 

Il  croyait  naïvement  qu'il  allait  faire  fortune,  et  de  ses  fidèles 
services  il  ne  tirait  nul   avantage  : 

Et   quel   profit  en   ay-je  ?   ô   belle  récompense  ! 

Je  me   suis   consumé   dune   vaine  despenee, 

Et  n'ay  fait   autre   acquest   que  de   mal  et   d'ennuy  '. 

Le  cardinal,  si  bon  fùt-il.  ne  payait  pas  son  dévouement  à  sa 
juste  valeur.  Et  Joachim  se  lamentait  sur  la  cruauté  de  sa 
destinée.    Il  enviait  le   bonheur   de   Baif    amoureux  : 

Moy  cliétif,  ce  pendant,  loing  des  yeux  de  mon  Prince. 
Je  vieillis   malheureux   en   estrange   province. 
Fuyant   la   pauvreté  :   mais   las,   ne   fuyant   pas 

Les   regrets,   les   ennuys,    le    travail,    et   la   peine. 

Le  tardif  repentir   dune    espérance    vaine, 

Et   l'importun   souci,    qui    me    suit   pas   à    pas  *. 

Il   avait   des   accès   de   désespoir,  se   demandant   avec   angoisse 

si  son  martyre  aurait  un  terme  : 

La  nef  qui   longuement   a   voyagé   (Dillier) 
Dedans   le   sein   du   port  à  la   fin   on   la   serre  : 
Et   le   bœuf,    qui  long  temps   a   renversé   la   terre, 
Le   bouvier   à   la  fin   luy   oste   le   collier  : 

Le   vieil   cheval   se   voit   à    la   fin   deslier. 

Pom'  ne   perdre   l'haleine,    ou  quelque   honte   acquerre  : 

Et   pour  se   reposer  du   travail  de   la  guerre, 

Se    retire  à  la    fin   le  vieillard   chevalier. 

'  Regrets,  s.  4a.  —  Cf.  s.  47  : 

Ainsi  (mon  cher  Vincus)  jamais  ne  puisse-lu 

Ksprouver  les  regrets  qu'esprouve  une  vertu, 

Qui  se  voit  défrauder  du  loyer  de  sa  peine. 

Uu  Bellay  se  plaint  vaguement  (s.  45  et  49)  d'un  étranger  qui  aurait  recueilli 

le  fruit  de  ses  services,  d'un  envieux  qui  laurait    desservi.  L'allusion  reste 

obscure. 

=  Regrets,  s.  24.  —  Cf.  s.  42  : 

La  pauvreté  me  suit,  le  souci  me  dévore. 

Tristes  me  sont  les  jours,  et  plus  tristes  les  nuits  : 

O  que  je  suis  comblé  de  regrets  et  d  ennuis  I 


LA    VIE    DE   JOACHIM    A    ROME  341 

Mais   moy,    qui  jusquicy   n'ay   prouvé  que  la   peine, 
La  peine   et   le   malheui"   d'une  espérance   vaine, 
La  douleur,    le  souci,   les    rcîgrels,    les   ennuis, 

Je   vieillis   peu   à   peu    sur  l'onde  Ausonienne, 

Et  si  n'espère   point,  quelque   bien   ([ui   m'advienne. 

De   sortir  jamais   hors   des  travaux   où  je   suis  '. 

Parfois ,  il  lui  prenait  envie  de  quitter  l'Italie ,  d'aller 
revoir  la  France  :  il  confiait  à  Morel  comme  il  était  per- 
plexe, implorait  ses  conseils,  le  conjurait  de  lui  répondre 
s'il  devait  partir  ou  rester  ^  Finalement,  il  demeurait  :  le 
devoir,  l'habitude,  la  crainte  plus  ou  moins  avouée  de 
perdre  entièrement  «  le  loyer  de  sa  peine  ».  disons  le  mot, 
l'espoir  quand  même,  le  retenaient  près  de  son  maître.  Pen- 
dant quatre  ans.  mais  surtout  à  partir  de  la  troisième 
année,  du  Bellay  s'ennuya,  sur  les  rives  du  Tibre,  d'un 
incommensurable  ennui.  Dans  un  si  poignant  état  d'àme, 
quelles   étaient  ses   consolations   ? 


II 


Quand  un  écrivain  de  renom  débarcpie  à  l'étranger,  il  ne 
tarde  guère  à  lier  connaissance  avec  les  illustrations  du 
pays.  Il  n'est  pas  certain,  lorsque  du  Bellay  vint  à  Rome, 
en  i553.  cpie  sa  récente  gloire  eût  encore  franchi  les  Alpes. 
Mais,  outre  que  sa  présence  sur  le  sol  même  de  l'Italie  dut 
contribuer  à  la  répandi^e.  il  est  permis  de  croire  qu'il  fut 
tout  le  premier  curieux  d'entrer  en  relations  avec  les  beaux 
esprits  du  temps,  et  qu'il  rechercha  l'amitié  des  érudits  et 
des   poètes    que   comptait   alors   le    monde   romain. 

'  Regrets,  s.  3d. 
2  Regrets,  s.  33. 


342  JOACHIM    DU    BELLAY 

A  Tépoque  où  nous  sommes,  l'Italie  commençait  à  déchoir, 
littérairement,  de  son  antique  splendeur.  Son  âge  d'or  finis- 
sait. Les  grands  écrivains  du  siècle  étaient  morts  :  Machiavel 
en  1527,  Sannazar  en  i53o,  l'Arioste  en  i533,  Berni  en  i536, 
Guichardin  en  i54o,  Berabo  en  1047.  ^'^  Trissin  en  i55o. 
Alamanni,  toujours  en  exil  à  la  Cour  de  France,  était  sur 
le  point  de  s'éteindre.  Dans  ce  déclin  des  lettres  italiennes, 
le  traducteur  de  Y  Enéide.  Annibal  Caro  *,  passait  pour  un 
nouveau  Pétrarque.  On  vantait  la  richesse,  l'harmonie,  l'élé- 
gance, la  pureté  de  son  style,  sans  se  soucier  assez  si  la 
justesse  des  sentiments  égalait  toujours  chez  lui  la  beauté 
de  l'expression.  C'est  à  Caro  (jue  du  Bellay  adi'essa  tout 
d'abord  ses  hommages.  Précisément,  Caro  venait  de  compo- 
ser *  en  l'honneur  de  la  France  et  de  la  famille  royale  une 
canzone  restée   célèbre  : 

Venite   à   l'ombra   de'    grau   gigli   d'oro, 
Care   Muse    . . .   ' 

L'œuvre  faisait  grand  bruit  et  valut  à  l'auteur  toute  une  polé- 
mique avec  Castelvetro.  Du  Bellay,  qui  l'admirait  fort,  saisit 
cette  occasion  de  remercier  publiquement  l'étranger  qui 
chantait  sa  patrie  et  ses  princes.  11  adressa  donc  à  Caro  une 
épigramme   très   louangeuse  \    dont   voici   quelques  vers  : 

Chara  Deûm   soboles,   Phoebo  charissime  Care, 
Qucm   Charitum    edocuit,    Pieridumque   chorus  : 

Quas  tibi   pro   mcritis  persolvet   Gallia   grates  ? 
Praemia   quae   referet,    magne  poeta,   tibi  ? 


'  Sur  Annibal  Caro  (1507-1566),  consulter  Tirabosthi.  Storia  délia  Lette- 
ralura  Italiana  (Modènc,  1791),  l.  VII,  p.  1160  ;  Gingucnr,  Hist.  litt.  d'Italie, 
l.  IX.  p.  :}09. 

-  Vers  1;);)3,  suivant  Tiraljoschi,  p.  IKJi. 

•''  On  la  trouvera  dans  les  Rime  del  Commendatore  Annibal  Caro,  Venise, 
Aldo  Manutio.  1372,  p.  44-47.  (Bibl.  Xat.  —  ¥<*.  752). 

'  PoemaUi,  f»  17  v"  :  De  laiidibus  Galliae,  ad  Annibalem  Carum. 


LA    VIE    DE   JOACHIM    A    ROME  343 

Magna  virùin,   frugunujue  pareus,    Mavortiu    tellus, 

Gallia   sic  per  te  tollit   ad  astra    caput, 
Ut   currus,    turrosquc   suas,   Phrygiosque  leones 

Huic   facile  cedat   magna  Deùm   genitrix. 

Nulla   tamen   tantis   major  de   laudibus    extat, 
Quam   quod   te   vatem   nacta   sit   illa    svium. 

Il  fît  plus  encore,  —  et  je  m'étonne  d'être  le  |)r('mier  à  le 
remarquer.  — il  traduisit  en  vers  français  la  canzone  italienne  *. 
Telle  fut  lorig-ine,  entre  les  deux  poètes,  d'une  amitié  (jui  ne 
finit  qu'avec    la  mort  de   Joachim  *. 

En  dehors  de  Caro,  du  Bellay  fréquenta  la  société  des 
humanistes,  qui  se  pressaient  alors  à  Rome.  Dans  sa  précieuse 
étude  sur  Fulvio  Orsini  ',  M.  de  Nolhac  a  reconstitué  ce 
qu'était  ce  milieu  savant  vers  i555.  On  trouvait  là,  outre 
Fulvio  Orsini  ",  collectionneur  et  bibliophile,  Gulielmo  Sirleto 
et  Basilio  Zanchi.  ({u'un  contemporain  qualifie  «  reipublicae 
litterariae  sidéra  fiilgentissima  »  ;  Scipione  Tetti.  commentateur 
d'Apollodore  :  Lorenzo  Gambara .  le  futur  auteur  de  la 
Colombiade  '  :  Lelio  Capilupi.  qui  faisait  des  centons  de  Vir- 
gile :  d'autres  encore ,  aujourd'hui  plus  ou  moins  méconnus, 
Benedetto    Egio ,     Giovanni    Cesari ,    Gabriel    Faerno ,    Latino 

'  Louange    de  la   France  et  du  Roy    Treschrestien    Henry  II  (I,  2.01).  — 
Cette  pièce  ne  parut  qu'en  I06O,  après  la  mort  de  du  Bellaj'. 
-  Dans  les  Xenia  de  1339,  f"  14  r",  je  lis  cette  étrenne  à  Caro  : 
ANNIBAL  CARVS. 
Viribus  ingenii  superet  quod  culmina  Pindi, 

Annilialis  nomen  convcnit  Annibali. 
Ipsa  etiam  Cari  vox  est  aptissima  Caro, 

Quod  charus  Phoebo  sit  Charitumque  choro. 
'  La    bibliothèque   de    Fulvio    Orsini,  p.   6  7.    Paris,   Vieweg,  1887,   in-S", 
Bibl.  de  l'Éc.  des  H'«^  Et  ,  74'^  fascicule. 

*  De  Thou  parle  ainsi  d'Orsini  :  «  Fulvius  Ursinus  patria  l\omanus  vir 
graece  latineque  doctissimus  ac  purioris  antiquitatis  indagalor  diligentis- 
siraus.  ))  Edit.  de  Londres,  173'{,  t.  V,  p.  847. 

*  Poème  latin  sur  Christophe  Colomb  (Rome,  1381,  in-S"). 


344  JOACHIM    DU    BELLAY 

Latini,  Antonio  Possevino,  etc.  On  pout  y  joindre  Fausto 
Saheo,  conservateur  de  la  Bibliothèque  Vaticane,  qui  dédiait 
nombre  dY'pigrammes  au  roi  de  France,  ainsi  qu'aux  cardi- 
naux français,  —  notamment  au  cardinal  du  Bellay,  qu'il 
remerciait  de  ses  bienfaits,  et  dont  il  célébrait  les  vertus 
politiques   et  les   talents   littéraires  '. 

Dans  ce  groupe  savant,  la  poésie  latine  était  en  grand 
honneur.  Basilio  Zanchi  %  de  Bergame.  qui  composait  à  dix- 
sept  ans  un  recueil  d'épithètes  poéti(jues  \  passait  à  vingt 
pour  un  des  poètes  les  plus  distingués  de  Rome.  Ce  chanoine 
régulier  de  Lateran  s'adonnait  principalement  à  la  poésie 
religieuse  :  son  œuvre  capitale  est  un  poème  sacré  qui  chante 
en  beaux  vers  les  dogmes  chrétiens  {De  horto  Sop/iiae,  i54o). 
Mais  il  n'était  pas  moins  heureux  dans  les  sujets  profanes, 
et  mettait  beaucoup  d'élégance  dans  ses  églogues,  ses  élégies, 
ses  épigrammes  *.  Il  avait  pour  émule  et  ami  ^  Lorenzo 
Gambara  *,  de  Brescia,  qui  devait  plus  tard  offrir  en  holo- 
causte à  la  Muse  chrétienne  dix  mille  vers  païens  tout  rem- 
plis  des   faux    dieux,   mais   qui,  pour  l'instant,   auteur  d'idylles 

'  Epigrammatum  Fausti  Sahaei  Brixiani  ciistodis  Bihliolhecae  Vaticanae 
libri  V,  ad  Henricum  regem  Galliae.  Rome,  lolJG.  (Bibl.  Nat.  — Rés.  pYc.  987). 
—  Sur  Faiisto  Sabeo,  v.  le  card.  Querini,  Spécimen  Brixianae  Literatarae 
(1739),  t.  11,  p.  167-192.  (Bibl.  Nat.  —  K.  3780). 

-  Sur  Basilio  Zanchi,  v.  Tiraboschi,  t.  VII,  p.  1382  ;  Ginguené,  continué 
par  Salli,  t.  X,  p.  290. 

'  Dictionarium  poeticum  et  epitheta  vetenim  poetarum. 

'  Bas.  Zanchii  Poematum  libri  VII.  Rome,  Ant.  Bladus,  1553,  in-8°.  (Bibl. 
Nat.  —  Yc.  79o3).  —  Une  autre  édit.,  publiée  à  Bâle  en  1555,  contient  de 
plus  trois  livres  de  poésies  latines  de  L.  Gambara. 

'"  Cette  amicale  émulation  est  attestée  par  une  lettre  de  Paolo  Manuzio  à 
Lorenzo  Gambara,  que  cite  Tiraboschi,  p.  1383  :  «...  Vixistis  una  semper 
conjunctissimc  aller  altcri  egregie  charus,  et  fuit  utcrqUe  vcstrum  ad  poeti- 
cam  facultatem  natura  propcnsus,  ac  mire  factus,  ut  cum  ncmo  tam  bonus 
poeta  sit,  (juin  vobis  primas  in  componcndis  vcrsibus  parles  tribuat,  quam 
confessioncm  etiam  ab  invitis  exprimit  Poematum  comparatio ,  iiter 
tamen  utri  praestet,  nondum  satis  judicare  quisquam  possit.  » 

*  Sur  Lorenzo  Gambara,  v.  Querini,  t.  II,  p.  2(38  279  ;  Tiraboschi,  t.  VII, 
p.  14(54. 


LA   VIF    nr   JOACHIM   A    ROME  345 

champêtres  et  marines,  s'attachait  à  marcher  sur  les  pas  de 
Théoci'ite  et  de  Sannazar  '.  —  Du  Bellay  subit  fortement 
l'influence  de  ces  humanistes,  dont  tout  l'esprit  se  dépensait 
à  bien  tourner  les  vers  latins.  S'il  parla  si  souvent,  une  fois 
devenu  Romain,  la  langue  de  Virgile  et  d'Horace,  la  cause 
en  est  sans  aucun  doute  ([u'il  voulut  se  mettre  de  pair  avec 
les  lettrés  éminents  dont  il  faisait  sa  société.  Le  désir  de 
gagner  leurs  sufl'rages  et  l'ambition  bien  naturelle  de  ne  pas 
leur  paraître  inférieur  lui  firent  oublier  les  prescriptions 
patriotiques   de   la    Deffence. 

Différents  témoignages  nous  attestent  d'ailleurs  les  bonnes 
relations  que  Joachim  entretenait  avec  les  savants  de  ce 
groupe.  Les  Poemata  contiennent  d'iiyperboliques  compliments  à 
l'adresse  de  Zanchi  et  de  Gambara  ^  Deux  sonnets  des  Regrets 
sont  dédiés  à  Orsini  ^  Nous  savons  par  de  Thou  les  rapports 
d'amitié  qui  unissaient  notre  poète  à  Lelio  Gapilupi  '*,  Mais 
la  preuve  la  plus  curieuse  que  nous  ayons  de  la  place  qu'il 
occupait  dans  ce  milieu  romain,  c'est  à  coup  sûr  la  dédicace 
qu'une  bonne  fortune  a  fait  découvrir  à  M.  de  Nolhac  '.  Un 
jeune  érudit  de  vingt  ans.  Antonio  Possevino  %  de  Mantoue, 
publiant  à  Rome  les  Centons  virgiliens  de  son  compatriote 
Lelio  Gapilupi,  s'avisa  de  placer  cette  publication  sous  les 
auspices  de  du  Bellay,  qui,  sans  connaître  encore  Gapilupi 
lui-même,    admirait    beaucoup    ses    écrits.    Vu   l'importance   et 

'  Outre  l'édit.  de  looii,  voy.  Laurentii  Garnburae  Brixiani  Poemnln. 
Anvers,  Chr.  Plantin,  HifiO,  in-S".  (Bibl.  Nat.  —  Y<^.  78do). 

-  F"  17  v»  :  Ad  Basilium  Zanchium.  —  F°  18  V:  Ad  Laiirentium  Ganiharam. 

'  S.  100  et  112.  Du  Bellay  l'appelle  Ursin,  de  son  nom  latin  Ursiniis. 

*  De  Thou,  consignant  la  mort  de  Joacfiim,  ajoute  :  «  Joachinio  comitem 
addemus  tertio  post  euni  die  in  patria.  cura  LXIl  annos  exegisset,  mortuum 
Laelium  Capilupum  Mantuanum  artissima  cum  eo  necessitudine  conjunc- 
tum  :  qui  tanta  felicilate  Maronis  conterranei  sui  versibus  detorta  signili- 
catione  lusit.  »  Édit.  de  Londres,  1733,  t.  II.  p.  72. 

■'  Op.  cit.,  p.  7. 

"  Sur  Antonio  Possevino,  v.  Tiraboschi,  t.  Vil,  p.  1060  ;  Ginguené,  t.  VIII, 
p.  423. 


346  JOACHIM    [JU    BELLAY 

la  rareté  du  témoignage,  on  me  permettra  de  citer  presque 
entière  cette  dédicace,  dont  M.  de  Nolhac  n'a  donné  qu'un 
fragment  '  : 

lOACHIMO  BELAIO 

ANTONIVS  POSSKVINVS  MANTVANVS 

S.  P.  D. 

((  ...  Tu  enim  is  es.  qui  et  summa  virtute  praeditus,  et 
omnibus  literarum  studiis  ornatissimus  Laelii  Capilupi  scripta 
es  adeo  admiratus,  ut  cum  ne  illum  quidem  virum  de  facie 
cognosceres,  mirifice  tamen  amares  et  colères,  quod  cum 
illius  ingenio.  tum  tuae  humanitati  et  animo  ad  studia  pro- 
penso  ti'ibuitur.  Adeo  in  liumanis  animis  studia  paria  possunt. 
quae  ([uo  sunt  lil)eraliora.  eo  magis  liomines  inter  se  quibus- 
dam  vinc'ulis  <l('vinciunt  et  obstringunt.  Quibus  rationibus 
adductus  statui  liunc  librum  ad  te  mittere,  quod  scirem  apud 
neininem  in  loco  moliore  aut  honestiore  esse  posse.  Cum 
enim  seniper  otium  et  tempus  in  discendo  contriveris,  tum 
summo  illi  Cardinali  es  sanguine,  in  quo  non  facile  judices 
utrum  mores  a  disciplinis.  an  a  moribus  disciplinae  illus- 
Irentur  et  ornentur.  At  raeum  quidem  consilium  tibi  proba- 
tuin  iri  confido.  manusq.  hoc  te  qua  semper  consuevisti 
liumanitate  accepturum,  quod  certe  ab  animo  tui  observantis- 
simo  proficiscitur,  tibiq.  defcrtur.  lleiiquum  est  ut  nos  dili- 
gas.    Vale.  » 

Pareil  hommage;  était  flatteur  pour  du  Bellay.  Mais  s'il 
trouvait,  à  fréquenter  1<*  cercle  des  lettrés  romains,  des  satis- 
factions d'amour-propre,  y  trouvait-il  également  les  consolations 
(jue  cherchait  son  cœur  ?  Pour  guérir  certaines  blessures,  il 
faut  plus  que  la  société  des  savants  et  des  gens  d'esprit,  — 
les   doux    épanchements   des  amitiés   discrètes. 

'  I/i'dition  fit"  Possevino  restant  introuvable,  je  cite  d'après  la  réimpres- 
sion de  G.  Castifrlione,  Capiliipornm  Carrnina,  Rome,  lii'JO,  in-i»,  p.  155-157. 
(Bibl.  Nat.  —  Y^.  989). 


LA    VIE    DK   JOACHIM    A    ROMK  3't7 

III 

Que  peut  on   désirer   do   bon  heur   et   de   bien 
Plus  qu'un  amy  fidelle  et  qu'un  autre  soi  niesmes  ? 
Tous   les  honneurs  mondains  et  les  Indiques  gemmes. 
Au   pris  d'un  vrav   amy  j'estime   moins   que  rien. 

Ainsi  parle  Magny,  devançant  La  Fontaine  ' .  Ces  vers 
exquis,  Joaehini  eût  pu  les  écrire  :  ils  sont  dignes  de  lui.  Son 
cœur  sensible  et  tendre  était  ouvert  à  l'amitié.  C'est  d'abord 
aux  amis  de  Rome,  à  ceux  (jui  vivaient  de  sa  vie,  qui  par- 
tageaient ses  occupations  et  ses  tristesses,  qui  souffraient 
comme  lui  de  l'exil,  qu'il  confia  ses  chagrins  et  demanda  du 
réconfort.  Parmi  ceux-là.  nul  ne  fut  un  ami  plus  précieux 
qu'Olivier   de   Magny  ■. 

Une  singulière  conformité  de  destinée  rapprocha  ces  deux 
hommes,  déjà  frères  par  la  poésie.  Magny  commençait  à  se 
faii*e  un  nom  entre  les  favoris  des  Muses,  quand  d'Avanson  % 
qui  se  rendait  à  Rome,  lui  proposa  de  l'emmener  en  qualité 
de  secrétaire.  Le  poète  des  Gayetez  partit  avec  la  même 
ardeur  qu'autrefois  du  Rellay.  Le  bonheur  de  revoir  des  amis 
aux  bords  du  Tibre  était  pour  beaucoup  dans  cet  enthousiasme  : 

Je  m'en    vois.    Paschal,    loing   de   toy 

Avec   l'Ambassadeur   du   Roy, 

Mon   Avanson,    qu'il   me    fault   suyvre, 

En   cette   antique   cité    libre. 

Que   ceux  que  Cybelle   enfanta. 

Que   ceux   qu'une   louve  allaicta 

Bastirent  jadis   sur  le  Tybre. 

1  Sonspirs,  édit.  Courbet,  1874,  s.  61. 

2  Sur  Oliv.  de  Magny  (1529?  1561),  v.  un  article  de  Turquely  {Bulletin  du 
Bibliophile,  1860,  p.  16.37),  et  la  Itièse  de  M.  Favre  (1885). 

'  Sur  Jean  de  Saint-Marcel,  seigneur  d'Avanson,  cf.  Courbet,  notice  des 
Souspirs,  p.  X.  sqq.,  et  Favre,  op.  cit.,  p.  50  sqq. 


348  JOACHIM    DU    BELLAY 

Là  je  verray   les    raritez, 

Et   les   belles   antiquitez 

De   quoi   cette   ville   shonnore  : 

Et  là  je  pourray   veoir   encore 

Xostre   cher   Paageas   si   divin, 

Et   nostre   Bellay   Angevin 

Qui   plus   que   cela   la  décore  '. 

Une  fois  à  Rome,  Magny  connut  les  mêmes  déceptions  et 
les  mêmes  déboires  que  du  Bellay.  Pas  plus  que  lui,  il  ne 
lut  satisfait  de  son  métier  de  secrétaire  ^,  ni  séduit  par  les 
mœurs  romaines  \  De  ces  malheurs  communs,  de  ces  communes 
souffrances,  se  fortifia  leur  amitié.  Tous  les  deux  s'épanchèrent 
dans  le  sein  l'un  de  l'autre,  et.  s'encourageant  mutuellement, 
déversèrent  le  trop-plein  de  leur  cœur  en  des  sonnets  confi- 
dentiels :  de  là  les  Reg'rets,  de  là  les  Sonspirs  *.  Du  Bellay 
disait  à  Magny  quel  besoin  de  soulagement  lui  faisait  chanter 
ses  ennuis,  et  rendait  un  touchant  hommage  aux  mérites  de 
son  ami.  en  sollicitant  pour  lui  d'Avanson  '.  Magny  disait  à 
du  Bellay  quel  baume  apportait  à  son  mal  leur  communauté 
de  fortune,  et  rendait  à  son  comjjagnon  ce  témoignage  délicat 
d'être  un  «  parfait  amy  d'espreuve  »  \  Sur  ce  point,  ils  ne 
se   devaient   rien    l'un   à   l'autre. 

Auprès    d'eux,   il    convient    de    grouper    tous    les    amis   qui 


'  Odes,  écHt.  Courbet,  1870,  t.  I,  p.  114  :  Sur  son  parlement  de  France,  pour 
aller  en  Italye. 

-  Souspirs,  s.  i;$. 

•''  Souspirs,  s.  147. 

'  Les  Regrets  et  les  Soiisf)irs  présentent  souvent  d'étranges  rapports. 
Ainsi  R.  1  =  S.  176  ;  R.  11-14  =  S.  oO  :  11.  15  =  S.  13  :  R.  33  =  S.  148  ; 
R.  38  =  S.  34  :  R.  53  =  S.  67  ;  R.  64  =  S  48,  99,  141,  142  ;  R.  85  =  S.  138  ; 
R.  93  =  S  160  ;  R.  lOi)  =  S.  118,  143,  147  ;  R  116  =  S.  7  ;  R.  123-126  = 
S.  119,  125,  152.  —  V.  la  eomparaison  instituée  entre  les  deux  œuvres  par 
M.  Favre,  p.  69  sqq. 

s  Regrets,  s.  12  et  160.  —  Cf.  s.  67,  133,  164. 

•■  Souspirs,  s.  10  et  142.  -  Cf.  s.  74,  84,  94,  99,  118,  133. 


LA    VIE    DE   .lOACHlM    A    ROME  349 

recevaient  leurs  confidences  ,  et  dont  les  noms  se  lisent 
pi'esque  toujours  conjointement  tlans  les  Regrets  et  les 
Souspii's  :  Bailleul*,  Bizet  %  Boucher',  Daguut  \  Dilliers  % 
Gilbert  \  Gohorry  ',  Lestrange  \  Marault  \  Marseille  '\ 
Vineus  ".  —  Il  faut  y  joindre  Antoine  Caracciol ,  prince  de 
Melphe,  évêque  de  Troyes,  qui  vint  à  Rome  en  i555,  pour 
solliciter  de  Paul  IV,  son  parent,  le  chapeau  de  cardinal, 
sans  pouvoir  l'obtenir  '^    Ce   très  savant  prélat,   habile  à  com- 

'  Sur  Bailleul,  v.  ci-dessus,  2'  part,,  chap.  ii,  §  i,  p.  287, 
-  Regrets,  s.  64,  136,  143;  Souspirs,  s.  ii3,  132;  Odes  de  Magny,  t.  II,  p.  138. 
^  Regrets,  s.  14;  Souspirs,  s.  140. —  Etienne  Boucher,  abbé  de  Saint-Ferme, 
au  diocèse  de  Bazas,  abbaye  de  l'ordre  de  Saint-Benoît.  Il  s'occupa  longtemps 
des  procès  de  Catherine  de  Médicis  en  Italie,  et,  en  récompense  de  ces  ser- 
vices, devint  évèque  de  Quimper  en  lo60.  V.  Lettres  de  Catherine  de  Médicis. 
publiées  par  M.  H.  de  la  Perrière,  t.  I,  p.  107.  (Note  de  M.  deNolhac,  Lettres 
de  J.  du  Bellay,  p  44).  —  Cf.  Ribier,  II,  356-358. 

*  Regrets,  s.  57,  113, 115. 

5  Regrets,  s.  35,  50,  62,  77,  116,  129,  139  ;  Souspirs,  s.  40  ;  Odes  de  Magny, 
t.  II,  p.  107. 

'*  Regrets,  s.  106  ;  Souspirs,  s.  141,  160  ;  Odes  de  Magny,  t.  II,  p.  39.  — 
Pierre  Gilbert,  natif  de  Toulouse,  conseiller  au  Parlement  de  Grenoble, 
poète  latin,  dont  du  Bellay  a  traduit  deux  poèmes,  la  Courtisanne  repentie 
(II,  374)  et  la  Contre-repentie  (II,  378). 

'  Regrets,  s.  72  ;  Souspirs,  s.  51,  82,  132,  133.  —  Sur  Jacques  Gohorry,  cf. 
La  Croix  du  Maine,  I,  411,  et  du  Verdier,  II,  280. 

*  Regrets,  s.  63  ;  Souspirs,  s.  6.  —  Charles  de  Lestrange,  protonotaire  du 
cardinal  de  Guise,  abbé  de  la  Celle,  au  diocèse  de  Poitiers,  mort  en  1565.  Il 
faisait  des  vers  pour  une  beauté  qu'il  appelait  Chante.  Cf.  La  Croix  du 
Maine,  I,  161  ;  Tahureau,  Mignardises,  édit    Blanchemain,  p.  95. 

'  Regrets,  s.  54  —  Charles  Marault,  valet  de  chambre  du  cardinal  du 
Bellay. 

'"  Regrets,  s.  134  ;  Souspirs,  s.  132.  —  Sur  le  secrétaire  Marseille,  v.  les 
lettres  du  cardinal  d'Armagnac,  édit.  Tamizey  de  Larroque,  p.  60,  61,  65,  71. 

1'  Regrets,  s.  42,  43,  46,  47,  124,  132,  177.  —  Tout  ce  qu'on  sait  de  cet  ami 
de  du  Bellay,  c'est  qu'il  était  d'Urbin  (s.  132). 

•-  Il  était  lîls  de  Jean  Caracciol  (1480-1550),  prince  de  Melphe,  grand  séné- 
chal du  royaume  de  Naples  et  maréchal  de  France,  dont  Brantôme  a  conté 
la  vie.  Sur  ce  prélat,  qui  linit  protestant,  v.  La  Croix  du  Maine,  I,  30,  et  les 
notes  de  La  Monnoye  et  de  Falconet.  —  Son  voyage  à  Rome  est  bien  de  1555, 
non  de  1557,  coiume  le  disent  ses  biographes.  Ceci  résulte  nettement  d'une 
lettre  ovi  les  cardinaux  de  Lorraine  et  de  Tournon,  alors  à  Rome,  annoncent 
au  roi  de  France  (21  déc.  1555)  une  promotion  de  sept   cardinaux  faite   par 


3o0  JOACHIM    DU    BELLAV 

poser  en  latin,  en  toscan,  en  français,  fut  parmi  les  meilleurs 
amis  de  du  Bellay  '.  —  Le  cercle  intime  se  complétait  par 
Gordes  et  Panjas.  Gordcs  avait  certainement  une  place  privi- 
léj^iée  dans  le  cœur  du  poète,  si  l'on  en  juge  par  le  nombre 
de  pièces  qu'il  lui  consacre  *  et  par  les  termes  d'affection 
([uil  lui  prodigue  ''.  C'est  à  lui  (pi'il  dédia  ses  Amours  de 
Faustine.  Il  faut  dire,  il  est  vrai,  que  Gordes  aimait  Faus- 
tine  comme  une  sœur  :  Sic  amas,  propriam  ut  putes  sororem,. 
Quant  à  Panjas  *,  il  avait  ce  trait  de  commun  avec  du  Bellay 
et  Magny  d'entre  poète  lui  aussi,  d'être  attaché  comme  eux  à 
la  suite  d'un  grand  personnage,  peut-être  le  cardinal  de 
Lorraine,  cl,  comme   eux  encore,   de  mourir  d'ennui,   si  loin  de 


Paul  IV  :  «  . .  .Quant  à  Monsieur  de  Sainte  Croix,  il  n'y  a  eu  moyen  [qu'il 
devienne  cardinal],  pour  ce  que  nostre  saint  Père  ne  l'aime  pas;  et  s'il  ne  se 
rabille  avec  luy,  nous  ne  voyons  point  apparence  qu'il  y  puisse  aucunement 
parvenir,  ny  semblablement  de  Monsieur  de  Troyes,  qu'il  ne  veut  écouter  en 
aucune  façon,  de  sorte  que  nous  estimons  qu'il  sera  contraint  de  s'en  retour- 
ner en  France,  n  —  Ribier,  II,  623. 

'  Poemata,  f*  ^3  v»  et  24  r»  ;  Regrets,  s.  110  (v.  A.  de  Montaiglon,  Huit 
sonnets  de  1.  du  Bellay,  p.  12)  ;  Ode  au  Prince  de  Melphe  (II,  88).  Cette  der- 
nière pièce,  la  plus  importante  de  toutes,  fut  composée  pendant  un  séjour 
du  poète  chez  Caracciol,  à  Aiz-en-Olhe  (près  de  Troyes),  sans  doute  au  retour 
d'Italie  (?). 

-  Poemata,  f"  2t  r",  2G  r%  3o  v%  41  v"  ;  Regrets,  s.  53,  o7,  61,  73,  75,  89, 
92,  144.  —  Cf.  Souspirs,  s.  7,  139. 

•'  «  Gordes,  que  Dubellay  ajmc  plus  (jue  ses  yeux  »  (s.  75).  —  «  Te  plus 
oculis  meis  amatum  n  {{"  33  v»).  —  «  (lordi,  plus  oculis  amate  nobis  »  (f"  41  v). 

'  Regrets,  s.  15  ;  Souspirs,  s.  41,  45,  90,  133  ;  Odes  de  Magny,  t.  I,  p.  47, 
58,  89  ;  t.  II.  p.  122.  —  Jean  de  Pardeillan,  protonotaire  de  Panjas  ou  Pangeas, 
auteur  de  poésies  latines  et  françaises,  a  chanté  ses  amours  pour  Colombe. 
Ses  œuvres  ne  semblent  pas  avoir  été  publiées.  On  ne  connaît  de  lui  qu'un 
sonnet  en  tête  dos  Souspirs  (p.  4).  Panjas  a  passé  de  son  temps  pour  un  grand 
poète.  iJans  le  liocage  de  155i  (f»  40  r"),  Ronsard  lui  dédie  une  odelette, 
qui  est  deveime  la  23'  Elégie  (Blanchemain,  IV,  305).  On  lit  dans  les  Mignar- 
dises (le  Tahureau  ([).  47)  : 

Je  ne  voudroy  céder  à  mon  Ronsard. 

Haïf,  Panjas,  Bellay,  Tiard,  Jodelle 

N'esmailleroient  d'une  plume  si  belle 

Du  Paphien  le  doux  evolé  dard. 
Cf.  encore  p.  38  et  86.  La    Poësie  de   Loys   le  Garon  (1554)  fournit  le   même 
témoignage  (f"  47  V). 


LA    VIE    DK   JOACHIM    A    ROMK  3511 

la  Franco.  Un  sonnet  des  Regrets,  adressé,  ce  semble,  à 
Ronsard,  nous  peint  ces  trois  poètes,  c£ue  le  hasard  a  rapprochés, 
se   lamentant   sur  leur  exil  : 

Cependant  que   Magny  suit   son   graml    Avanson, 
Panjas   son   Cardinal,  et   moy   le   mien   encore. 
Et  que  l'espoir  flateur,   qui  noz  beaux   ans  dévore, 
Appaste  noz  désirs   d'un   friand   hamesson, 

Tu   courtises  les  Roys,   et   d'un   plus   heureux  son 
Chantant  l'heur  de  Henry,    qui    son   siècle   décore, 
Tu  t'honores  toy  mesme,    et   celuy   qui   honore 
L'honneur   que   tu   luy   fais   par   ta  docte   chanson. 

Las,  et  nous  ce  pendant  nous  consumons  nostre  aage 

Sur    le   bord   incogneu  d'un   estrange   rivage, 

Où  le   malheur  nous  fait  ces   tristes   vers  chanter  : 

Comme  on  voit  quelquefois,  quand  la  mort  les  appelle, 
Arrengez   liane   à   flanc   parmy   l'herbe   nouvelle, 
Bien   loing  sur  un   estang   trois   cygnes  lamenter  '. 


IV 


Après  l'intimité  de  ces  camarades  d'exil,  du  Bellay  n'eut 
pas  de  plus  douce  consolation  que  les  rapports  qu'il  entre- 
tenait avec  ses  vieux  amis  de  France.  Son  cœur  ne  les 
oubliait  pas.  Le  souvenir  de  leur  tendresse,  à  tout  moment, 
revenait  hanter  sa  pensée,  toujours  plus  poignant  et   plus  vif  : 

Je  me   pourmène   seul  sur   la   rive   Latine, 
La   France   regretant,    et  regretant   encor 
Mes   antiques   amis,   mon   plus   riche   trésor  ^ 

'  Regrets,  s.  16.  —  V.  le  commentaire  de  Sainte-Beuve,  qui  rapproche  ce 
sonnet  dun  passaoe  de  Chateaubriand  {Nouveaux  Lundis.  XIII.  335-337). 
-  Regrets,  s.  19. 


3o2.  JOACHIM    DU    BELLAY 

Il  correspondait  avec  eux,  prenant  plaisir  à  recevoir  de  leurs 
nouvelles,  plaisir  à  leur  donner  des  siennes.  Ce  commerce 
allectueux  était  une  part   de   sa   vie. 

Il  suivait  avec  émotion  les  progrès  que  faisait  la  gloire 
de  Ronsard.  Il  applaudissait  à  la  distinction  accordée  à  son 
grand  ami  par  l'Académie  des  Jeux  Floraux  de  Toulouse, 
qui,  jugeant  Téglantine  un  trop  petit  honneur  pour  un  poète 
comme  Ronsard,  lui  fiiisait  don,  sans  qu'il  eût  concouru,  d'une 
Pallas  d'argent  massif  (i554)'.  H  célébrait  la  nouveauté  des 
Hymnes  récemment  parus  (i555)  ^  Il  exhortait  le  chantre  de 
Gassandre  à  laisser  enfin  les  amours  pour  la  poésie  héroïque  \ 
et  stimulait  son  amour-propre  à  commencer  cette  Franciade, 
toujours  promise  et  toujours  différée  ".  Il  le  félicitait  d'enti'cr 
vivant  dans  l'immortalité  '.  Il  confiait  à  celui  qu'il  appelait 
((  la  moitié  d(!  son  âme  »  ses  mélancolies  et  ses  désespoirs  *. 
Il  lui  disait  les  écueils  de  la  mer  romaine  et  les  navrants 
spectacles  (ju'il  avait  sous  les  yeux  '.  Il  s'ouvrait  à  lui  de  tous 
ses  tracas  en  de  longues  épîtres  où  se  mêlait  un  sentiment 
d'admiration  et  de  tendresse  %  et,  sans  être  envieux  du  sort 
de  Ronsard,  qui  vivait  en  France  heureux  et  tranquille,  il 
opposait  pourtant  à  ce  bonheur  ses  propres  infortunes  et 
celles   de   ses   amis  : 

'  On  sait  que  Ronsard,  habile  courtisan,  l'offrit  au  roi.  V.  Marty-Laveaux, 
Notice  sur  Ronsard,  p.  xxxvi-xxxvii.  —  Du  Bellay  n'a  pas  consacré  moins 
de  six  pièces  latines  à  chanter  cet  événement  {Poemata,  f"  26  \"-28  t°). 

■  Regrets,  s.  60.  —  C'est  une  lidèle  analyse  du  premier  recueil  d'Hymnes 
de  Ronsard,  puhl.  chez  André  Wechel,  1553,  in-4".  (Bibl.  Nat.  —  Rés  Y^  489). 

^  Poemata,  f»  20  r"  :  Ad  P.  Ronsardum  ut  relictis  Amoribus  Heroica 
scribat. 

*  Regrets,  s.  :J2  et  23. 

■•  Regrets,  s.  20. 

«  Regrets,  s.  «,  10,  16,  19. 

'  Regrets,  s.  26  et  98. 

"*  Poemata,  f"  10  v»  :  Ad  P.  Ronsardum  lyrae  GalUcae  principem,  épître 
qu  il  a  lui-même  traduite  en  alexandrins  (11,  118)  ;  Hymne  de  la  Surdité 
(II,  399). 


l.A    VIK    DE   JOACHIM    A    ROME  353 

Nous  chetils  ce  pendant,   tius(iuels  le  ciel   l'ail  guei're, 
Fuyons  la  pauvreté   et  par  mer  et  par   tene  : 
Mais  l'importun  souci   qui  nous  suit  pas  à  pas, 
Et  par  terre  et   par  mer,   nous  ne    le  fuyons   pas. 

Et  t'aisanl  un  amer  retour  sur  le  passé  lointain,  il  soupirait, 
la  mort  dans  l'àme  : 

Heureux,    quand   les   douceurs  de  ma  terre  Angevine 
M'allaictoicnt    au  gyron   de  la  Muse  divine  !    (Il,  119). 

Il  aurait  eu  besoin,  dans  sa  détresse,  que  Ronsard  le  récon- 
fortât, le  soutint  de  son  amitié,  lui  fit  l'aumône  d'un  peu  de 
sympathie.  Mais  le  grand  chef  de  la  Pléiade,  tout  à  ses 
travaux,  tout  à  ses  honneurs,  paraissait  oublier  son  ancien 
compagnon  de  lutte.  Joachim  en  souffrait,  sans  vouloii*  se 
l'avouer  à  lui-même.  Il  s'en  plaignait  discrètement  dans  un 
aimable  badinage  : 

Musae,  deliciae  mei  sudalis, 

Qui   me  plus   oculis   suis  araabat, 

Quem   plus   ipse   oculis    meis    amabam, 

Aut  si  quicquam  oculis  mage  est  amaudum  : 

Quid   causae  esse   putem,    repente  quod   sic 

Totus   exciderim  meo  sodali, 

Ut   cui  tôt  modo  miserim  libellos, 

Is   ne   versiculum    quidem   remittat  ? 

Sic   nostri   memor   est   bonus    sodalis, 

Qui   me   plus  oculis   suis   amabat, 

Quem  plus   ipse    oculis  meis    amabam, 

Aut  si  quicquam  oculis  mage  est  amandum  ? 

Et  doucement  il  menaçait  son  vieil  ami  de  lui  adresser  des 
ianibes  au  lieu  d  '  hendécasyllabes,  s'il  persistait  dans  son 
silence  '.   Je   ne   vois   pas    que    Ronsard   ait    été    bien    sensible 

^  Poemata,  f»  23  v°  :  Ad  P.  Ronsardum. 
Univ.  de  Lille.  Tomk  Vlll.  A.  'là. 


354  JOACHIM    DU    BELLAY 

aux  réclamations  du  pauvre  exilé.  Dans  toute  son  œuvre,  je 
ne  trouve  que  deux  pièces  qu'il  ait  écrites  à  du  Bellay  absent  : 
une  ode  du  Bocage  de  i554  ',  un  sonnet  des  Amours  de 
Marie  *. 

Baïf  était  avec  Ronsard  un  vivant  souvenir  des  veilles 
laborieuses  du  Collège  de  Coqueret.  Aux  Amours  de  Francine, 
pour  lesquels  Bâïi"  réclamait  la  faveur  du  chantre  d'Olive 
(i555)  ",  du  Bellay  répondait  par  de  llatteurs  compliments  *. 
Voulant  donner  signe  de  vie  à  ses  meilleurs  amis  de  France, 
il  leur  adressait  tour  à  tour  quelque  sonnet  de  ses  Regrets. 
Chacun  d'eux  en  recevait,  Belleau  ',  Bouju  \  Denisot  ',  La 
Haye*,  Peletier  %  Saint-Gelays '",  Sibilet  ",  surtout  Paschal  ** 
et  Morel'\  Mais  ce  qui  montre  bien  le  culte  profond  et  fidèle 
dont  il  honorait  ses  amis,  c'est  la  façon  dont  il  pleura  la 
moi't  de  l'un  d'entre  eux.  Jacques  Tahureau  du  Mans  '\  jeune 
poète   qui  marchait   à   la  suite  de  Ronsard,    avait  fait  parvenir 

'  Bocage,  f°  39  r*.  C'est  aujourd'hui  l'ode  23  du  livre  II  (Blanchemain,  II, 
170). 

-  Amours,  s.  ii  du  second  livre  (Blanchemain,  I,  151). 

3  Édit.  .\Iarly-Laveaux,  1,  118-119. 

'  Poemata,  f'  19  V  :  In  Francinam  I.  A.  Baijii  ;  De  Melina   et  Francina 
ejusdem  Baifii.  —  Cf.  Regrets,  s.  24. 

■  S.  71. 

«  S.  90. 

'  S.  21. 

«  S.  28.      • 

»  S.  78. 
<«  S.  101. 
<'  S.  122. 
'-  S.  2,  (36,  81,  102.  —  Sur  Pasclial,  v.  plus  loin,  chap.  vin,  §  ii. 

''  S.  18,  33.  34,  36,  39,  8S,  lOo,  111.—  SurMorel,  v.  plus  loin,  chap.  vi,  §  ni. 
**  Sur  ce  poète,  v.  II.  Chardon,  La  vie  de  Tahureau,  Paris,  Picard,  188o, 
in-8\  —  Les  poésies  de  Tahureau  ont  paru  i)Our  la  première  fois  à  Poitiers, 
1554,  in-8*,  avec  un  privilège  daté  d'Escouan,  7  mars  1.547  (  n.  s.  1548).  On  a 
conclu  de  là  que  ces  poésies  étaient  antérieures  à  la  Pléiade,  et  l'on  a  fait 
de  Tahureau  un  précurseur.  Un  examen  minutieux  établit  que  ces  poésies,  — 
à  part  peut-être  quelques  épigrunimes,  qui  sentent  l'ancienne  école,  —  sont 
très  certainement  postérieures  à  1550  :  beaucoup  sont  adressées  à  des  poètes 
de  la  Pléiade  et  font  allusion  à  des  ouvrages  publiés  par  eux  ;  le  ton  géné- 
ral de  ces  poésies  est  d'un  disciple  de  du  Bellay  et  de  Ronsard.  Tahureau 
n'est  donc  pas,  comme  le  dit  .M.  Chardon,  à  lavant-garde  de  la  Pléiade,  mais 
à  la  suite. 


LA    VIE    DE    .lOACHI.M    A    HOME  'io'o 

à  l'exilé  romain  une  ode  très  émue  où,  drploraiit  lîi  longue 
abseuce  de  Joachim,  il  disait  les  regrets  de  sou  Anjou  natal 
et  le   deuil  de  la  France  entière  : 

Mais  maintenant  pour  ton  absence. 
Ta  terre  est  veuve  du  bonheui' 
Qui  la  tenoit  en  ta  présence, 
Orgueilleuse  de  ton  honneur. 
Et  non  ton  Anjou  seulement. 
Mais  toute  la  France  se  treuve, 
Pour  te  perdre  si  longuement, 
Presque  de  toutes  Muses  ve4ive, 

Vien  resjouyr  de  ta  venue 
Ta  France,  qui  pleine  d'émoy, 
Tousjours  en  dueil  entretenue. 
Ha  languy  pour  l'amour  de  toy. 
Vien  voir  tes  plus  cliers  compagnons, 
Vien,  mon  Bellay,  ne  les  refuse, 
Puis  qu'ils  sont  des  plus  chers  mignons 
Du  premier  rolle  de  la  Muse  '  ! 

Du  Bellay  fut  extrêmement  touché  de  ce  souvenir  et  de  cet 
appel  :  ainsi,  de  tous  ses  amis  de  là-bas,  Tahureau  était  le 
seul  qui  s'aperçût  de  son  absence  et  le  pressât  de  revenir, 
le  seul  qui  trouvât  dans  la  circonstance  des  mots  vraiment 
partis  du  cœur  !  Aussi,  lorsqu'il  apprit  à  peu  de  temps  de  là 
(i555)  la  mort  prématux'ée  de  ce  jeune  poète,  qui  donnait  de 
si  belles  espérances,  il  en  eut  un  profond  chagrin,  et  son  cœur, 
à   son  tour,    parla   dans  ce   sonnet   : 

N'estant  de  mes  ennuis  la  fortune  assouvie, 
A  fin  que  je  devinsse   à  moy  mesme  odieux, 
M'osta  de  mes. amis  celuy  que  j'aymois  mieux. 
Et  sans  qui  je  n'avois  de  vivre  nulle  envie. 

*  Miifnardises  de  Tahureau,  édit.  Blanchemain,  Genève,  Gav,  1868,  i).  100- 
103. 


356  JOACHIM    DU    BELLAY 

Donc   l'éternelle   nuict   a   ta   clarté   ravie, 
Et  je   ne   t'ay   suivy   parray   ces   obscurs   lieux  ? 
Toy,    qui   m'as  plus   aymé   que   ta   vie   et   tes   yeux, 
Toy.  que  j'ay    plus   aymé   que  mes   yeux   et  ma  vie. 

Hélas,    cher   compaignon,    que   ne   puis-je   estre   encor 

Le   frère   de   Pollux.   toy   celui    de   Castor, 

Puis   que   nostre   amitié   fut   plus   que    fraternelle  ? 

Reçoy   donques   ces   pleurs   pour   gage   de   ma   foy. 
Et  ces   vers   qui   rendront,    si  je   ne   me   deçoy, 
De   si   rare   amitié   la    mémoire   éternelle  '. 


Le  culte  des  amis  fut  pour  du  Bellay,  dans  ses  épreuves, 
une  hem-euse  consolation.  Il  en  eut  une  autre  :  le  culte  des 
Muses.  Accablé  de  soucis,  consumé  de  regrets,  il  .se  réfugia 
dans  la  poésie,  comme  auprès  d'une  amie  doucement  mater- 
nelle, qui  réconforte  et  qui  soulage.  Il  lui  dit  ses  chagrins, 
lui  dévoila  naïvement  sa  pauvre  âme  meurtrie,  en  fit  la 
confidente  de  ses  secrètes  pensées.  La  bienfaisante  magicienne 
eut  le  don  d'alléger  ses  souffrances  et.  comme  il  dit  lui- 
même,  d'  «  enchanter  ses  ennuis  »  .  Il  a  célébré  dans  plusieurs 
sonnets  *  ce  pouvoir  souverain  de  la  Muse,  mais  nulle  part 
avec  plus  de  bonheur  que  dans  la  dédicace  de  ses  Regrets  à 
d'Avanson  : 

La   Muse  ainsi   me   fait  sur  ce   rivage, 
Où  je   languis   banny  de  ma   maison. 
Passer   l'ennuy   de   la   triste  saison, 
Seule   compagne  à   mon   si  long  voyage. 

'  Regrets,  s.  41.  — Bien  que  le  sonnet  soit  sans  suscription,  M.  Chardon 
estime  (p.  71-72)  qu'il  se  rapporte  à  Tahureau.  Je  ne  vois  pas  à  quel  autre 
il  pourrait  mieux  convenir. 

-  Regrets,  s.  11-14. 


LA    VIK    DE   JOACHIM    A    ROME  »  357 

La  Muse   seule   au    milieu   des   alaruies 
Est   asseurée,    et   ne   pallist  de   peur  : 
La  Muse  seule  au  milieu  du  labeur 
Flatte  la  peine,  et  desseiche  les  larmes. 

D'elle  je  tiens  le  repos  et  la  vie, 
D'elle  j'apprens  à  n'estre  ambitieux  ; 
D'elle  je  tiens  les  saincts  présens  des  Dieux, 
Et  le  raespris  de  fortune  et  d'envie. 

Pour  ce  me  plaist  la  doulce   poésie. 
Et  le  doulx  traict  par  ([ui  je  fus  blessé  : 
Dès  le  berceau  la  Muse  m'a  laissé 
Cest  aiguillon  dedans  la  fantaisie. 

Touchant  hommage  à  la  divine  inspiratrice  qui  faisait 
jaillir  de  son  cœur,  ainsi  qu'une  source  de  mystérieux  apai- 
sement, tous  ses  meilleurs  vers  latins  et  français,  les  Poemata 
et  les   Resrrets  ! 


CHAPITRE     V 


LES    «  REGRETS  « 


I.  —  Les  «  Poemata  ».  —    Pourquoi   du  Bellay   écrit   en  latin. 

—  Valeur  de  ses  œuvres  latines. 

II.  —  Les  «  Regrets  ».  —   Époque  de  composition.  —  Caractère 
nouveau  du  recueil  :  la  poésie  intime  et  personnelle. 

III .  —  La  partie  élégiaque  des  «  Regrets  » .  —  Les  «  Tristes  »  d'Ovide. 

—  Les  douleurs  de  l'exil.  —  L'amour  du  foyer  et  du  sol 
natal. 

IV.  —  La  partie  satirique  des  «  Regrets  ».  —  Les  «  Satires  »   de 

l'Arioste.  —  Comment  du  Bellay  conçoit  la  satire.  —  La 
peinture  des  mœurs  romaines.  —  La  Rome  des  cardinaux. — 
La  Rome  des  courtisanes. 
V .  —  Valeur  des  «  Regrets  »  .  —  L'alliance  du  lyrisme  et  de  la 
satire.  —  Un  nouveau  genre  de  sonnet.  —  Le  style  naturel 
et  facile. 


Si  Ton  en  croit  Sainte-Marthe,  c'est  le  cardinal  du  Bellay 
qui  poussa  Joacliim  à  composer  dos  vers  latins  '.  J'ignore 
d'où    Sainte-Marthe     tenait     ce    détail  :   mais    je    le   juge    peu 

*  Elogia  (1598).  p.  40  :  «  Cum  Romara  profectus  hortante  lo.  Bcllaio  Car- 
dinale gcnlilc  suc  ad  Latina  se  convertissct,  certe  res  illi  paulo  minori  (sic) 
felicilale  successit  :  homini  videlicet  levioribus  as.sueto.  »  —  Cette  assertion 
est  reproduite  par  Colletet,  copie  mscr.,  f"  iJOv». 


LES    ((    REGRETS    ))  359 

vraisemblable.  Joachim  navait  pas  besoin,  pour  s'exercer 
aux  vers  latins,  des  conseils  de  son  oncle.  C'est  une  idée 
qui  devait  venir  naturellement  à  tout  humaniste  de  la  Renais- 
sance foulant  le  sol  de  l'Italie,  et  la  société  des  lettrés 
romains,  férus  de  poésie  latine,  et  dont  notre  auteur  briguait 
les  suffrages,  contribuait  encore  puissamment  à  l'engager 
dans  cette  voie.  Parler  latin  à  Rome  !  mais  c'était  le  tribut 
nécessaire   que    tout    savant    esprit   devait   à   la   cité   romaine  ! 

Hoc   Latium   poscit,    Romanae   haec   débita   linguae 
Est  opéra,    hue   Genius   compulit   ipse   loci  '. 

Et  puis,  les  vers  français  n'étaient  pas  compris  sur  les  bords 
du  Tibre.  Ce  doux  Angevin  en  exil  à  Rome  comparait  son 
sort  à  celui  d'Ovide  en  exil  au  pays  des  Gètes,  et,  comme 
l'auteur  des  Amours  en  était  réduit  à  parler  barbare  pour 
être  entendu  des  barbares,  l'ancien  défenseur  du  français, 
«  cloué  sur  l'Aventin  ainsi  qu'un  Prométhée  » ,  oubliait  sur 
la  rive  étrangère  sa  langue  maternelle,  et.  parmi  les  Latins, 
se  faisait  Latin  ■.  Il  en  vint  même,  l'infidèle,  à  trouver  dans 
la  Muse  du  Latium  ces  charmes  clandestins  et  ces  voluptés 
adultères   qui   font   préférer   la   maîtresse   à   l'épouse   légitime  : 

nia  quidem   bella   est.   sed   magis   ista   placet  '. 

Ces  poésies  latines,  composées  d' élégies,  d'  épi  g"  ranimes, 
d'amours  et  de  tombeaux  *,  ont  été  diversement  appréciées. 
De  Thou  les  estime  inférieures  aux  Regrets  et  aux  Jeux 
Rustiques  '.    Sainte-Marthe   est   du   même   avis,    mais   il   ajoute 

'  Poemata,  f  ■  13  r°, 

'  Poemata,  f"  3  r"  :  Cur  intermissis  Gallicis  Latine  scribat  ;  —  Regrets, 
s.  10. 

'  Poemata,  f"  16  v»  :  Ad  Lectorem.. 

*  loactiimi  Bellaii  Andini  Poematuin  Ubri  quatuor  :  quibus  continentur 
Eleffiae.  Varia  Epigr.  Aniores.  Tumuli.  Paris,  Federic  Morel.  1.158,  in-i°. 
Privilège  daté  de  Fontainebleau,  3  mars  1357  (n.  s.  1558). 

'  Lib.  XXyi.  ann.  1500  :  «  In  Latinis.  quae  itidem  Romae  fecit,  minus 
felix  fuit.  »  Édit.  de  Londres,  1733,  t.  II,  p.  72. 


3fi0  JOACHTM    DU    BELLAY 

un  correctif  et  se  ralli(>  à  l'opinion  de  ceux  qui  jugent  que, 
s'il  est  sans  égal  dans  la  poésie  française,  du  Bellay  dans  la 
latine  a  peu  de  supérieurs  *.  Colletet.  encore  plus  élogieux, 
déclare  qu'au  gré  des  connaisseurs,  ces  vers  latins  se  sen- 
tent «  du  doux  air  du  Tybre  »  que  Tauteur  respirait  à 
Rome  '.  Il  est  certain  qu'ils  ont  beaucoup  de  charme  et 
qu'on  y  peut  louer  la  finesse,  l'élégance  et  la  distinction. 
Telle  épigramme  n'est  pas  indigne  de  Catulle  ou  de  Martial  '  ; 
telle  élégie  pourrait  être  signée  d'Ovide  \  D'une  façon  géné- 
rale, je  ne  vois  pas  que  du  Bellay  tourne  moins  bien  le 
vers  que  son  maître  Dorât  ou  que  son  ami  L'Hospital.  PoiTr 
ces   habiles,    le   latin  n'avait   pas   de   secrets. 

Les  Poemata  sont  une  source  précieuse  pour  la  vie  du 
poète  :  j'en  ai  déjà  beaucoup  tiré,  j'aurai  l'occasion  d'y  pui- 
ser encore.  Il  ne  me  paraît  pas  utile,  néanmoins,  d'en  faire 
une  étude  d'ensemble  :  d'autant  qu'un  certain  nombre  de  ces 
poèmes  ont  été  reproduits  par  l'auteur  en  français,  et  que 
la  rédaction  française,  presque  toujours,  a  sur  l'original 
latin  l'avantage  d'être  plus  riche,  plus  étoffée  en  quelque 
sorte,  d'une  expression  aussi  plus  personnelle,  conséquemment 
plus   savoureuse  \    Maint   sonnet    des   Regretx.  et   non   pas  des 


'  Elogia  (1598),  p.  40  :  a  Quanquam  et  carmen  de  Veronide,  et  lusus  de 
jmellae  r.iptn,  et  arputa  ciim  primis  epijïraïuniata  suos  merito  laudatores 
invenere,  quorum  judicio  ut  vix  ullum  in  carminé  Gallieo  parem,  sic  paucos 
habet  lu  Lalino  superiores.  »  L'édit.  de  1606  modifie  paucos  en  paucissimos. 

-  Copie  mscr..  f»  "iO  v°. 

'  In  eum  qui  lihrum  inscripserat  Juvenilia  (f°  18  v'i  ;  In  titulum  cujusdam 
libri  (f»  49  r")  :  In  Didonem  dormientem  (f"  21  r';  ;  In  nimium  laudatorem 
if°  2H  V")  ;  Cujusdam  canis  tumulus  (f"  48  r°). 

*  In  vitae  quietioris  commendationem  ({"  9  v°)  ;  Patriae  desiderium 
(f°  12  r")  ;  Veronis  in  fontem  sui  nominis  (f»  13  v»). 

*  Voici  relevés  très  exactement  les  passages  des  Poemata  que  l'auteur  a 
repris  en  français  :  —  f*  10  v".  Ad  P.  Ronsarduni  lyrae  Gallicae  principeni, 
traduit  tout  au  long  en  alexandrins  (II,  118)  :  un  distique  de  cette  pièce, 
Heas  ubi  contemptus  forlunae  ...  a  fourni  le  début  du  s.  6  des  Regrets  \ 
—  1"  12  r°.  Patriae  desiderium,  coimuune  origine  des  s.  30,  31  et  7  ;  —  f'  17  r°, 


LES     ((    REGRETS    ))  3fil 

moins  beaux,  comme  le  sonnel  du  petit  Lire  ',  lut  conçu  tout 
d'abord  dans  la  langue  d'Horace,  avant  de  trouver  en  fran- 
çais  sa    forme   définitive. 


Il 


Les  Regrets  *  sont  le  chef-d'œuvre  de  Joachim  du  Bellay. 
C'est  un  recueil  de  191  sonnets  %  qu'il  commença  de  composer 
dans    la    troisième   année   de    son    séjour   à    Rome  *,  mais  qu'il 

Ad  Herricum  II  ...  =R.  |"jl  ;  —  f"  :d4  r,  Ad  eundetn  . . .  =  /J.  110  ;  —  f»  28  v», 
Ad  D.  Margaritam  ...  =  /?.  174  ;  —  f"  'M  v°,  Ad  lanum  Auratum  = 
R.  130;  —  f»  41  r',  liasia  Faiistinae  =  Jeux  Rust.,  Autre  bajser  (II,  347);  — 
f*  45  r»,  Romae  veteris  tumuliis  —A.  de  /{.  4  ;  —  f"  45  r",  Leonis  Strozzae  = 
Sur  la  mort  du  seigneur  Léon  Strozzi  (II,  155)  ;  —  f"  46  v°,  EJusdem  [Sylviae 
Mirandulae]^  Sur  la  mort  de  la  seign.  Syhna  Mirandola  (II,  lr6)  ;  —  f"  47 r", 
lulii  m  Pont.  Max.  =  R.  104  ;  —  f»  48  r°,  Eorumdem  ~  R.  109  ;  —  f "  48  r«, 
Ascanii  San^uinii  . . .  =  R.  103  ;  —  f"  59  r°,  EJusdem  [Bonyveti]  =  Epitaphe 
du  seigneur  Bonivel  (I,  206).  —  Ces  transpositions  du  latin  en  français  étaient 
familières  à  notre  poète,  qui  les  pratiqua  jusqu'à  sa  mort  :  nous  verrons 
plus  loin,  chap.  ix,  qu'il  lit  en  latin  et  français  le  Tombeau  d' Henri  II  (1559). 
Il  est  intéressant  de  saisir  sur  le  vif  ce  travail  de  transposition  dans  une 
lettre  de  du  Bellay  à  Morel,  récemment  retrouvée  par  M.  de  Noihac  et  publiée 
par  lui  dans  la  Rev.  d'hist.  litt.  de  la  France,  15  juill.  1899.  p.  3G0  :  «  Mon- 
sieur et  frère.  N'ayant  pour  ceste  heure  la  commodité  de  vous  aller  veoyr, 
pour  une  despesche  qui  me  tient  empesché  il  y  a  ja  troys  jours,  je  me  suys 
advisé  de  vous  saluer  de  ce  petit  mot  et  vous  envoyer  une  coppie  de  la  trans- 
formation de  la  nymphe  Veronis  en  la  fontaine  de  Veron,  que  je  vous  prye 
veoir  et,  si  la  trouvez  digne  de  sortir  dehors  de  nos  mains,  la  faire  mettre 
en  estampe  de  nostre  M'  Simon,  pour  puys  apprès  en  faire  ung  beau  petit 
présent  à  Mons"^  de  Nevers.  que  j'appelle  Jacques  Spifame,  m'estant  bien 
au  vray  informé  si  c'est  ou  Jehan  ou  Jacques  ou  quelque  autre  nom.  »  Il 
s'agit  d'ime  pièce  des  Poemata  (f"  13  v)  intitulée  Veronis  in  fontem  sui 
nominis,  Ad  lac.  Spiffamium  Episc.  Nivernens .  La  version  française  de  cette 
pièce  n'a  pas  été  recueillie  par  Aubert  et  semble  perdue  aujourd'hui. 

'V.  à  ce  propos  les  réflexions  de  Sainte-Beuve,  Nouveaux  Lundis, 
XIII,  343. 

2  Les  Regrets  et  autres  œuvres  poétiques  de  loach.  du.  Bellay  Ang.  Paris, 
Federic  Morel,  1558,  in-4o.  Privilège  daté  de  Paris,  17  janv.  1557  (n.  s.  1558). 

'  Du  moins  dans  l'édition  princeps  (Bibl.  Nat.  —  Rés.  Y'.  410),  reprod. 
par  Liseux  (1876).  Les  s.  105-112  manquent  dans  les  éditions  ordinaires.  V.la 
plaquette  d'Anatole  de  Montaiglon,  Huit  sonnets  de  loachim  du  Bellay, 
gentilhomme  angevin.  Paris.  Guiraudet  et  Jouaust,  mars  1849. 

'  Cela  résulte  des  s.  10,  27,  28,  .33,  36,  85,  9i. 


362  JOACHIM    DU    BELLAY 

n'acheva  pas  à  Rome.  Si  les  12-  premiers  sonnets  furent 
écrits  là-bas,  les  sonnets  1 28-188  le  furent  en  cours  de  route, 
pendant  qu'il  revenait  en  France  ;  le  reste  (s.  iSg-igi)  semble 
bien  n'être  éclos  qu'après  son  retour  à  Paris.  C'est  donc 
entre  i555  et  i558  c[ue  se  place  la  composition  des  Regrets. 
Dès  les  premières  strophes  de  sa  dédicace,  l'auteur  a  marqué 
le   caractère  nouveau  de   son   recueil  : 

Si  je   n'ay   plus  la   faveur   de   la   Muse, 
Et  si  mes  vers   se   trouvent   imparfaits, 
Le  lieu,  le  temps,  l'aage  où  je  les  ay  faits, 
Et   mes   ennuis  leur  serviront   d'excuse. 

J'estois  à   Rome   au   milieu   de   la   guerre. 
Sortant  desjà   de  l'aage   plus   dispos, 
A   mes   travaulx   cherchant   quelque   repos, 
Non  pour  louange  ou  pour  faveur  acquerre. 

Ainsi  voit-on  celuy  qui  sur   la   plaine 
Picque  le   bœuf,   ou   travaille   au   rampart, 
Se  resjouir.  et  d'un  vers  fait  sans  art 
S'esvertuer  au  travail  de  sa  peine. 

Il  revient  sur  ce  point  avec  plus  d'insistance  dans  les 
sonnets  qui  servent  à  son  livre  de  prélude  (s.  i-5).  Le 
premier  notamment  définit  avec  précision  la  nouvelle  manière 
du   poète    : 

Je  ne  veulx  point  fouiller  au  sein  de  la  nature, 
Je  ne  veulx  point  cherclier  l'esprit  de  l'univers, 
Je  ne  veulx  point  sonder  les  abysmes  couvers, 
Ny  desseigner  du  ciel  la  belle  architecture. 

Je  ne  peins  mes  tableaux  de  si  riche  peinture, 
Et  si  haults  arguments  ne  recherche  à  mes  vers  : 
Mais  suivant  de  ce  lieu  les  accidents  divers. 
Soit  de  bien,  soit  de  mal,  j'escris  à  l'adventure. 


LES    «    REGRETS    ))  303 

Je  me  plains  à  mes  vers,  si  j'iiy  quelque  regret, 
Je  me  ris  avec  eulx,  je  leur  dy  mon  secret. 
Comme  estans  de  mon  cœur  les  plus  seurs  secrétaires. 

Aussi  ne  veulx-je  tant  les  pij^ner  et  friser, 

Et  de  plus  braves  noms  ne  les  veulx  desguiser. 

Que  de  papiers  journaulx,  ou  bien  de  commentaires. 

Ainsi,  c'est  un  journal  intime,  que  l'auteur  écrit  pour  lui- 
même.  Un  plus  savant  ira  rêver  sur  le  Parnasse  ou  se 
plonger  dans  l'Hippocrène  :  lui  ne  veut  pas,  pour  polir  et 
limer  ses  vers,  se  consumer  l'esprit,  frapper  sur  sa  table  ou 
ronger   ses   ongles   :    il   veut   simplement   que   ce  qu'il  compose 

Soit  une  prose  en  ryme  ou  une  ryme  en  prose.       (S.  u). 

Adieu  l'imitation  des  Grecs  !  adieu  l'antique  et  folle  ambition 
d'être  un  Horace,  un  Pétrarque,  un  Ronsard  !  adieu  l'audace 
qui  sied  aux  poètes  aimés  de  Phébus  !  Assagi  désormais,  il 
a   de   moins   hautes   visées  : 

Je  me  contenteray   de   simplement   escrire 

Ce   que   la   passion   seulement   me   fait  dire, 

Sans  rechercher  ailleurs  plus  graves  arguments.     (S.  4)- 

C'était   l'entier  renoncement    aux    rêves    d'autrefois,  l'oubli 

voulu  des  prescriptions  de  la  Deffence,   l'abandon  de  la  poésie 

savante  :  mais  c'était  aussi  la  découverte  originale  de  la 
poésie  personnelle   et  sincère. 

J'escry   naïvement   tout   ce  qu'au   cœur  me  touche, 

s'écriait  du  Bellay  (s.  21).  A  lui  seul,  ce  vers  est  une 
poétique. 

D'un  bout  à  l'autre  des  Regrets,  on  sent  jaillir  du  cœur 
les  épanchements  et  les  confidences.  Tantôt  le  poète  gémit 
ses  tristesses  et  ses  déceptions,  la  ruine  de  ses  espérances 
et   les    chagrins    de    son   exil.     Tantôt    il    redit   le   dégoût  que 


^4  JOACHIM    DU    BELLAY 

provoque  en  son  àme  le  spectacle  écœurant  des  hontes 
italiennes  et  la  colère  qui  le  saisit  contre  des  mœurs  si 
dépravées.  Et  c'est  ainsi  que  tour  à  tour  s'expriment  dans 
ses  vers  la  douloureuse  mélancolie  d'un  élégiaque  et  la  mor- 
dante  causticité   d'un   satirique. 


III 


Éléj^iaque  '.  du  Bellay  le  fut  avec  une  profondeur  d'accent 
remarquable  :  mais  cette  inspiration  est  toute  renfermée  dans 
une  quarantaine  de  sonnets  (s.  6-49)-  II  est  vrai  qu'ils  sont 
de  tout   premier   ordre. 

On  y  saisit  ([uolques  souvenirs  d'Ovide  '.  Il  fallait  s'y 
attendre  :  on  ne  pouvait  raisonnablement  espérer  qu'un 
ancien  élève  de  Dorât  dépouillât  l'humanisme  au  point 
d'oublier  tout  à  fait  l'auteur  des  Tristes  et  des  Pontiques. 
Mais  ces  ([uelques  réminiscences  n'ôtent  rien  au  mérite  émi- 
nent  du  poète.  Même  lorsqu'il  imite  Ovide,  il  sait  rester 
original,  parce  qu'il  est  toujours  sincère.  Qu'on  lise  la  ir«  élégie 
du  IVe  livre  des  Tristes,  et  qu'on  relise  ensuite  la  dédicace 
à   d'Avanson  :    on   sera   convaincu   de   cette   vérité. 

En  racontant  la  vie  de  Joachim  à  Rome,  j'ai  déjà  dit  com- 
ment il  avait  noté  jour  par  jour  ses  ennuis,  ses  souffrances, 
les  sombres  amertumes  de  son  âme  désenchantée.  Nulle 
part  sa  désolation  ne  s'est  traduite  en  termes  plus  touchants 
que  dans  ce  beau  sonnet,  où  l'exilé,  meurtri  par  la  réalité 
des   choses,    se  rappelle   en   pleurant   «  ses   premières   émotions 


'  Sur  du  Bellay  poète  éléfiiaqne.  v.  la  conférence  de  M.  Alexis  Crosnier, 
Les  Regrets  de  Joachim  du  Hellaj,  piihl  dans  la  Rev.  des  Fac.  cath  de 
l'Ouest,  juin  189i,  p.  727. 

-  Ainsi  R.  10  -=  Trist.  HI,  xiv,  30,  el  IV,  i,  89  ;  —  A.  36  =  Trist.  V,  x,  1  ; 
—  R.  40  =  Trist.  I,  v.  .^7;  —  fl.  70  —  Trist.  I,  v,  19;  —  fi,  130  =  Pont.  I,  m,  33, 


LES     ((    R  KG  RETS    ))  36o 

poétiques,    le  premier   frisson  du   g«''nie  qu'il  portait  en   lui  '  ». 

Las,    où   est   maintenant   ce  mespris   de   Fortune  ? 
Où   est   ce  cœur  vainqueur   de    toute    adversité, 
Cest   honneste   désir   de   1" immortalité. 
Et  ceste   honneste   flamme   au   peuple   non   commune  ? 

Où  sont  ces  doulx  plaisirs,  qu'au  soir  sous  la  nuicl  brune 
Les   Muses   me   donnoient,    alors   qu'en    liberté 
Dessus   le   verd   tapy   d'un   rivage   escarté 
Je  les   raenois   danser   aux    rayons  de   la   Lune  ? 

Maintenant   la  Fortune   est  maistresse   de   moy, 
Et  mon   cœur   qui    souloit   estre   maistre   de   soy, 
Est   serf  de   mille    maulx   et   i-egrets   qui   m'ennuyeut. 

De   la   postérité  je   n'ay   plus   de   soucy  ; 

Ceste   divine   ardeur,   je   ne   l'ay   plus   aussi. 

Et  les  Muses  de  moy,  comme  estranges,  s'enfuyent.     (S.  6). 

Des  regrets,  il  en  avait  de  toute  sorte,  et  c'était  autant 
de  tortures.  Il  regrettait  la  Cour,  et  la  faveur  du  prince,  et 
le  sourire  de  Marguerite,  la  docte  et  gracieuse  patronne  des 
poètes  (s.  7  et  8).  Il  regrettait  l'espoir  flatteur  et  mensonger 
qui  l'avait  séduit  dès  l'abord,  et  1" humeur  vagabonde  qui 
l'avait  jeté  dans  les  aventures,  à  la  recherche  de  la  fortune, 
bien  loin  de  tout  ce  qu'il  aimait  (s.  25-3o).  11  regrettait 
l'indépendance  qu'il  avait  échangée  contre  la  servitude,  le 
bonheur  de  vivre  pour   soi,  content   du  peu  que  l'on   possède  : 

G'estoit   ores,    c'estoit   qu'à    moy  je   de  vois  vivre. 
Sans   vouloir   estre   plus,    que   cela   que  je   suis. 
Et   qu'heureux  je   devois  de   ce  peu  que  je   puis, 
Vivre   content   du  bien  de   la   plume   et   du   livre. 

Mais  il  n'a  pieu  aux  Dieux  me  permettre  de  suivre 
Ma  Jeune   liberté,    ny   faire    que  depuis 

'  Faguet,  Seizième  siècle,  p.  321. 


366  JOACHIM    DU    BELLAY 

Je   vesquisse   aussi   franc   de   travaux   et   d'ennuis, 
Gomme   d'ambition  j'estois   fi^anc   et  délivre. 

Il  ne   leur   a   pas   pieu  qu'en   ma   vieille  saison 
Je  seeusse  quel  bien  c'est  de  vivre   en   sa  maison, 
De   vivre   entre   les   siens   sans  crainte  et  sans  envie  : 

Il  leur  a   pieu  (hélas)   qu'à   ce   bord  estranger 

Je   veisse   ma    franchise   en   prison   se    changer. 

Et  la  Heur  de   mes  ans  en  l'hyver  de  ma   vie.     (S.  37). 

Il  regrettait  l'humble  foyer,  où  l'on  coule  son  âge  «  entre 
pareils   à   soy  », 

Sans   crainte,    sans   envie,  et   sans   ambition, 

libre  des  soins  fâcheux,  des  serves  affections  et  des  désirs 
malsains  (s.  38).  Il  regrettait  surtout,  d'un  regret  tendre  et 
caressant,  les  doux  horizons  du  pays  natal,  les  bois,  les 
champs,  les  vignes,  les  jardins  et  les  prés  traversés  par  la 
Loire, 

Et    le  plaisant   séjour   de  la  terre  Angevine.      (S.   19). 

Painii  les  dél>i'is  do  la  Rome  antique  et  les  splendeurs  de 
la  cité  des  papes,  il  évoquait  la  vision  du  manoir  paternel, 
debout  là-bas  au  bord  de  son  lleuve  gaulois.  Il  avait  le  mal 
du  pays,  et  son  cœur  angoissé  se  prenait  d'un  regret  immense 
pour  la  patrie  lointaine,  —  ou  plutôt  pour  ses  deux  patries, 
la    grande   et    la   petite  : 

La  France,  et  mon  Anjou  dont  le  désir  me  poingt  !    (S.  25). 

C'est  un  l'ail  remarquable  entre  tous  que  ce  culte  fervent 
pour  le  coin  de  province  où  l'on  a  vu  le  jour.  L'amour  du 
sol  natal  se  rencontre  assez  fréquemment  chez  les  poètes  du 
xvi«  siècle,  mais  chez  personne  plus  radical  et  plus  profond 
que    chez    ce    rêveur    Angevin.    Ronsard    lui-même,     lorsqu'il 


LES    ((    REGUETS    ))  .  307 

chante  son  Vendômois  ',  n'a  pas  do  noti^s  plus  émues  que 
du  Bellay  pleurant  l'Anjou.  On  m'en  voudi-ait,  dans  une 
étude  sur  du  Bellay,  de  ne  pas  rappeler  le  sonnet  immortel 
qui  fleurit  chaque  anthologie.  Citons-le  donc,  après  tant 
d'autres,  puisque  aussi  bien  c'est  une  exquise  volupté  de 
redire  les  jolies  choses  : 

Heureux   qui,   comme  Ulysse,    a   fait   un   beau   voyage, 
Ou  comme  cestuy   là  qui   conquit   la   toison, 
Et   puis  est  retourné,    plein   d'usage   et  raison, 
Vivre   entre   ses   parents   le   reste   de  son   aage  ! 

Quand  revoiray-je,   hélas,    de   mon   petit   village 
Fumer   la   cheminée,    et   en   quelle   saison 
Revoiray-je   le  clos   de  ma   pauvre   maison, 
Qui  m'est  une  province,  et  beaucoup  d'avantage  ? 

Plus  me  plaist  le  séjour  qu'ont  basty  mes  ayeux, 
Que   des   palais   Romains   le   front   audacieux. 
Plus  que  le  marbre  dur  me  plaist  l'ardoise  fine  : 

Plus  mon   Loyre   Gaulois,    que   le   Tybre   Latin, 

Plus   mon   petit  Lyre,   que   le   mont  Palatin, 

Et  plus   que   l'air  marin  la  doulceur  Angevine  '.    (S.  3i). 


»  Blanchemain,  II,  148,  154,  159,  246,  249,  259,  425,  432. 
^  Et  voici  maintenant  le  premier  jet,  en  vers  latins  : 

Foelix,  qui  mores  multorum  vidit  et  urbes, 

Sedibus  et  potuit  consenuisse  suis. 
Ortus  quaeque  sucs  cupiunt,  externa  placentque 

Pauca  diu,  repetunt  et  sua  lustra  ferae. 
Quando  erit,  ut  notae  lumantia  culmina  villae, 

Et  videam  regni  jugera  parva  mei  ? 
Non  septemgemini  tangunt  mea  pectora  Colles, 

Nec  retinct  sensus  Tybridis  unda  meos. 
Non  mihi  sunt  cordi  velerum  nionumenta  Quiritùm, 

Nec  statuac,  nec  me  picta  tabella  juvat  : 
Non  mihi  Laurentes  Nymphae,  sylvaeque  virentes, 

Nec  inihi,  quae  quondam,  (lorida  rura  placent. 
Poemala,  f»  13  r». 


368  JOACHIM    DU    BELLAY 

L'avouerai-je  pourtant  ?  Ulysse  et  Jason  me  gâtent  ce 
sonnet.  Ces  souvenirs  mythologiques  sont  la  marque  du  temps, 
je  le  sais,  et,  si  l'on  y  tient,  je  reconnaîtrai  que  l'œuvre 
n'aurait  pas  le  cachet  de  l'époque,  s'il  ne  s"y  trouvait  un  peu 
d'humanisme.  Je  lui  préfère  néanmoins  l'admirable  sanglot 
que,  dans  sa  détresse,  (hi  Bellay  laisse  échapper  vers  la 
France   maternelle  : 

France,    mère  des   arts,    des   armes,    et   des   loix. 
Tu   m'as  nourry   long   temps   du  laict   de   ta   mamelle  : 
Ores,   comme  un  aigneau  cpii  sa  nourrice   appelle, 
Je   remplis   de   ton  nom   les   antres  et   les   bois. 

Si   tu   m'as  poui'   enfant   advoué    quelquefois, 
Que   ne   me   respons-tu   maintenant,   ô   cruelle  ? 
France,    France,    respons   à    ma   triste   querelle    : 
Mais   nul.    sinon    Echo,    ne   respond  à    ma    voix. 

Entre   les  loups   cruels  j'erre   parmy   la  plaine, 
Je   sens  venir  Ihyver,    de   qui  la   froide  haleine 
D'une    tremblante   horreur    fait  hérisser   ma   peau. 

Las,    tes   autres  aigncaux   n'ont   faute   de  pasture. 
Us   ne   craignent   le   loup,    le   vent,    ny   la   froidure  : 
Si   ne  suis-je  pourtant   le   pire   du   troppeau.         (S.  9). 

Puissance  du  sentiment  et  beauté  des  images,  tout  dans  ce 
sonnet  est  en  harmonie  :  jamais  du  Bellay  ne  fit  preuve 
d'une  plus  poignante  émotion,  d'une  éloquence  plus  tragique. 
Cet  appel   désespéré   reste   à    mes   yeux   son  vrai  chef-d'oeuvre. 


IV 


Le  contre-coup  de  ces  souffrances  fut  un  amer  ressenti- 
ment contre  l'objet  qui  les  causait.  Rome  était  la  grande 
coupable,    et    du    Bellay  ne   lui    pardonnait  pas   les   déceptions 


LKS    «    HKGUETS    ))  369 

ot  les  chîiu^i'ins  qu'il  lui  devait.  Comme  il  avait  l'esprit 
mordant,  il  disposait  de  la  vengeance  :  la  colère  excita  sa 
verve,    et   de   l'élégiaque    fit   un    satirique. 

Une  moitié  des  Reg'rets  (s.  So-ra^)  est  consacrée  à  la  pein- 
ture des  mœurs  romaines,  et  cette  pai'tie  de  l'ouvrage  n'est 
assurément  pas  moins  oinginale  ([uc  l'autre.  Certes,  du  Bellay 
n'était  pas  le  premier  qui  prît  en  uiain  contre  ces  mœurs  le 
fouet  de  la  satire  :  d'autres  avant  lui  s'en  étaient  armés. 
L'Arioste  notamment,  dans  plusieurs  pièces  écrites  en  tercets 
sous  la  forme  d'épîtres  familières,  s'était  raillé  des  vices  et 
des  travers  de  la  société  de  son  temps,  en  particulier  du 
clergé  romain.  Je  ne  refei'ai  pas  après  M.  Vianey  '  la  com- 
paraison entre  les  Satires  de  l'Arioste  et  les  Regrets  de 
du  Bellay.  C'est  un  point  acquis  désormais  que,  si  le  poète 
angevin  a  subi  l'influence  de  son  pi'édécesseur.  c'est  d'une 
façon  toute  générale  :  on  saisit  bien  entre  eux  de  vagues 
ressemblances,  qui  s'expliquent  très  simplement,  si  l'on  réflé- 
chit qu'ils  furent  témoins  à  peu  près  des  mêmes  spectacles  : 
on  ne  surprend  chez  du  Bellay  aucune  imitation  précise, 
aucun  emprunt  déterminé.  M.  Pflanzel.  tout  récemment,  est 
revenu  sur  ce  sujet  ^  :  à  peine  a-t-il  pu  relever  un  vers  tra- 
duit du  satirique  de  Ferrai'e  par  l'auteur  des  Regrets  '  ! 
Du  Bellay  ne  doit  donc  à  la  satire  italienne  que  des  traits 
généraux  :  même  après  avoir  lu  l'Arioste,  il  est  resté  bien 
personnel. 

J'avais    un    instant    supposé     qu'il     devait    davantage     aux 


*  Mathurin  Régnier,  p.  39-65.  Thèse.  Paris,  Hachette,  1896,  in-8». 
^  Ueber  die  Sonette  des  Joachim  du  Bellay  (1898),  p.  (>7. 

^  ...   Il  giorno 

Pieno  di  stelle,  e  a  mezza  nolte  il  sole. 

Sat.  ±. 

La  lune  en  plein  midy,  à  minuict  le  soleil. 

Regr.  150. 


Univ.  de  Lille.  Tome  VIII    A.  24. 


370  JOACHIM    DU   BELLAY 

pasquils  '.  Deux  sonnets  des  Regrets  (42  et  r 08) ,  dont  l'un 
reproduit  assez  librement  un  de  ces  pasquils  %  m'avaient  fait 
présumer  qu'il  s'était  inspiré  maintes  fois  des  épigrammes 
sarcastiques.  que  des  mains  inconnues  placardaient,  dans  le 
mystère  de  la  nuit,  sur  la  statue  mutilée  de  Pasquin.  A-t-il 
mis  à  profit  quelques-uns  des  libelles,  aujourd'hui  disparus, 
qu'il  voyait  affichés  non  loin  de  la  place  d'Agone  ?  Il  se 
peut  bien  :  mais  ceux  que  nous  avons  encore  n'offrent  que 
des  rapports  lointains  avec  les  sonnets  de  notre  poète.  Ainsi, 
selon  toute  apparence,  la  satire  des  Regrets  est  pleinement 
originale. 

Gomment  l'auteur  l'a-t-il  conçue  ?  —   Il   s'est  plaint  quelque 
part   de   n'avoir   pas   ses   coudées   franches  : 

O  combien  est  heureux,  qui  n'est  contreint  de  feindre 
Ce  que   la   vérité   le   contreint  de  penser, 
Et  à   qui   le    respect   d'un   qu'on  nose  offenser, 
Ne   peult   la   liberté   de   sa   plume    contreindre  ! 

Et  déplorant  la  retenue  (pi'il  devait  s'imposer  à  lui-même,  il 
ajoutait  : 

Il   n'est  si   grand'   douleur,   qu'une   douleur  muette  ''. 

Je  ne  vois  cependant  pas  qu'il  se  soit  gêné  beaucoup.  A 
juger  de  la  hardiesse  de  certaines  de  ses  peintures,  je  me 
demande  ce  qu'il  se  fût  permis,  s'il  ne  s'était  contraint.  La  satire 


*  Pasquillorum  tomi  duo.  Eleutheropoli  [Bàle],  MDXLIIII,  in-S".  (Arsenal. 
—  B.  L.  :mS.  Kés.). 

-  Pasquillus  de  se  ipso  et  origine  sua.  V.  Anat.  de  Moiitaiglon,  op.  cit., 
p.  10. 

^  S.  48.  —  Cf.  s.  42  :  Plût  à  Dieu,  s'écrie  du  Bellay,  que  je  fusse  ou  Pasquin 
ou  Marphore   . . .   Ma  plume  serait  libre   . . .  Celui-là  seul  est  roi, 
A  qui  mesme  les  Rois  ne  peuvent  donner  loy. 
Et  qui  peult  d'un  chacun  à  son  plaisir  escrire. 
Cf.  encore  Poernata,  f"  21  v"  :  Satyram  periciilosiss.  esse  gerius  scribendi,  ad 
Marinutn. 


LES     ((    REGRETS    ))  371 

des  Regrets  se  donne  forte  libertés,  et  même  force  licences. 
Elle  n'a  rien  de  la  satire  impersonnelle  et  générale  du  bon 
Horace  *  :  elle  attaque  les  personnes  et  les  choses.  Elle  est 
malicieuse  et  piquante,  et  cela  jusqu'à  l'amertume  ;  mais  elle 
est  capable  aussi  d'enjouement  et  de  gaieté.  Du  fiel,  du  sel, 
du  miel  :  —  ainsi  la  juge,  en  vei'S  latins,  l'auteur  lui-même, 
et   la   caractéristique   est  des   plus  heureuses  : 

Quem,    Lector,   tibi   nunc    damus   libellum. 
Hic  Jellisque   simul,  simulque  melUs, 
Permixtumque  salis   refert  saporem  -. 

Certes,  du  Bellay  n'a  point  aimé  l'Italie.  Un  de  ses  son- 
nets '  maudit  Annibal,  a  le  borgne  de  Libye  »,  qui  le  premier,  en 
ouvrant  le  chemin  de  la  péninsule,  a  préparé  la  diffusion  de  tous 
les  vices  inhérents  à  l'àme  italienne.  C'est  qu'en  l'éprouvant 
de  plus  près,  par  un  contact  de  chaque  jour,  il  avait  reconnu 
que  cette  àme  était  Inen  inégale  à  l'idée  qu'il  s'en  était 
faite  à  travers  la  lecture  de  Pétrarque  et  des  anciens  Latins. 
Et  cette  amère  désillusion  s' ajoutant  à  ses  déboires  personnels, 
il  avait  conçu  contre  l'Italie  une  haine  vigoureuse ,  d'où 
procèdent  les   tableaux   satiriques  des   Regrets. 

Curieuse  galerie  que  celle  de  ces  tableaux  !  On  n'y  saurait 
mieux  pénétrer  qu'en  lisant  le  sonnet  où  du  Bellay  met  sous 
nos  yeux  comme  une  vue  d'ensemble  de  la  Rome  du 
xvp  siècle  : 

Si  je    monte   au  Palais,  je  n'y  trouve   qu'orgueil. 
Que   vice   desguisé,    qu'une   cérimonie, 


*  Toutefois,  le  s.  62  contient  une  curieuse  définition  de  la  satire  hora- 
tienne.  Les  s.  50-36  développent  une  série  d'idées  morales  tout  à  fait  dans 
le  golit  d'Horace. 

^  Ad  Lectorem,  en  tête  des  Regrets.  —  Cette  épigramme  est  reproduite 
dans  les  Poemata,  t"  18  v'  :  In  librum  Tristium,  authoris  opus  gallicum. 

'  S.  9o. 


372  JOACHIM    DU    BELLAY 

Qu'un  bruit  de  tabourins.  qu'une  estrange  armonie, 
Et  de  rouges   habits   un   superbe   appareil  : 

Si  je   descens   en  banque,    un   amas   et   recueil 
De   nouvelles  je  treuve.    une   usure   infinie. 
De  riches   Florentins   une   troppe   banie, 
Et   de   pauvres   Sienois   un   lamentable   dueil  : 

Si  je  vais   plus   avant,   quelque   part   ou  j'arrive, 
Je   treuve   de   Vénus  la   grand'  bande   lascive 
Dressant   de  tous  costez   mil   appas  amoureux  : 

Si  je  passe  plus  oultre,  et  de  la  Rome  neufve 
Entre  en  la  vieille  Rome,  adonques  je  ne  treuve 
Que  de  vieux  monuments  un  grand  monceau  pierreux.  (S.  80). 

La  Rome  antique,  nous  en  avons  déjà  foulé  le  sol  ;  nous 
avons  contemplé  ses  ruines  et  médité  sur  ses  débris  \  Nous 
suivions  le  poète  dans  son  pèlerinage  à  travers  la  plaine  pou- 
dreuse où  gisait  le  passé  de  Rome.  Suivons-le  maintenant 
dans   ses   promenades   à    travers   la  cité  moderne. 

Des  trois  villes,»  encloses  dans  la  même  muraille,  qu'il  a 
tour  à  tour  observées,  il  en  est  une  qui  tient  très  peu  de 
place  dans  les  Regrets,  et  c'est  dommage  :  c'est  la  ville  des 
banquiers.  Du  Bellay  pourtant  la  connaissait  bien  :  de  par 
ses  fonctions  d'intendant,  il  avait  eu  plus  d'une  fois  atïaire 
aux  riches  Florentins,  aux  Juifs  usuriers,  qui  prêtaient  à  son 
cardinal  l'argent  dont  il  avait  besoin  ;  plus  d'une  fois,  il 
avait  dû  les  ((  courtiser  »  .  pour  tâcher  d'obtenir  la  faveur 
d'un  nouvel  emprunt  ou  le  délai  d'une  échéance.  On  eût 
aimé  trouver  W  portrait  de  ces  gens  de  finance  sous  la 
plume  d'un  homme  ({ui  les  avait  tant  pratiqués.  A  défaut  de 
cette  peintui'e,  ce  qui  revit  dans  les  Regrets,  c'est  la  Rome 
des   cardinaux  et  la   Rome   des  courtisanes. 

'  V.  ci-dessus,   'l'  pari.,  chap.  11,  p.  283. 


LF.S     ((    REGRKTS    ))  373 

On  sait  ce  qu'était  au  xvi*'  siôclc  la  Cour  dos  papes ,  et 
l'éclat  mondain  dont  elle  brillait.  En  quel(|ues  traits  précis, 
l'auteur  des  Regrets  a  noté  le  caractère  céréinoni(;ux  de 
cette  Cour, 

De   ces    rouges   prélatz    la    pompeuse   apparence. 
Leurs  mules.    leurs   liahitz,    leur  longue   révérence  '. 

Il  a  décrit  aussi  les  distractions  et  les  plaisirs  que  présentait 
la  cité  catholique,  la  folle  ivresse  du  carnaval  et  des  fêtes 
romaines,  les  jeux  de  toute  espèce,  les  combats  de  taureaux, 
les  courses  aux  flambeaux,  les  mascarades  et  les  banquets  ^ 
—  Mais  sous  ces  dehors  si  brillants,  se  cachaient  bien  des 
vices.  Et  tout  d'abord,  l'hypocrisie  régnait  là  en  maîtresse. 
Dissimuler,  c'était  à  Rome  le  vrai  moyen  de  parvenir.  Du 
Bellay  le  savait  :  il  avait  vu  ces  intrigants  qui  se  poussaient 
en  Cour,  à  force  de  doucevir,  de  finesse  et  de  ruse.  Quelle 
ironie  dans   cette  esquisse  ! 

Marcher  d'un  grave  pas,  et  d'un  grave  sourci, 
Et  d'un  grave  soubriz  à  chacun  faire  feste. 
Balancer  tous  ses  mots,  respondre  de  la  teste. 
Avec  un  Messer  non,  ou  bien  un  Messer  si  : 

Entremesler  souvent  un  petit  È  cosi, 
Et  d'un  Son  seroitor'  '  contrefaire  l'honneste  : 
Et  comme  si  Ion  eust  sa  part  en  la  conqueste. 
Discourir  sur  Florence,  et  sur  Naples  aussi  : 

Seigneuriser  chacun  d'un  baisement  de  main, 
Et  suivant  la  façon  du  courtisan  Romain, 
Cacher  sa  pauvreté  d'une  brave  apparence  : 


'  S.  119. 

3  S.   120,  121,  122. 

'  On  imprime  généralement  «  son  Servitor'  ».  et  M.  Marty-Laveaux  (t.  II, 
p.  550,  n.  33)  voit  là  «  un  mélange  de  français  et  d'italien  ».  M.  Petit  de 
JuUeville  me  fait  observer  que  c'est  plutôt  la  traduction  de  l'italien  io  sono 
servitor'  (je  suis  serviteur).  Becq  de  Fouquières  a  donc  raison  d'imprimer 
les  deux  mots  en  italiques  (p.  227). 


374  JOACHIM   DU    BELLAY 

Voilà   de   ceste   Court   la    plus   grande    vertu, 

Dont   souvent  mal   monté,    mal   sain,   et  mal   vestu, 

Sans  barbe  et  sans  argent  on  s'en  retourne  en  France.  (S.  86). 

Et  c'était  aussi  l'ambition,  l'àpre  désir  de  la  faveur  et  du 
pouvoii-.  Dans  un  admirable  sonnet,  où  l'on  retrouve,  dit 
M.  Faguet  '.  ((  quelque  chose  de  la  puissance  pittoresque  de 
Ju vénal  ».  du  Bellay  nous  transporte  au  chevet  du  pape  ma- 
lade :  autour  du  vieillard  se  pressent  ses  courtisans  ;  ils  sont 
là.  pâles,  inquiets,  tremblants  à  chaque  accès  de  toux,  de 
xoir.  avec  la  vie  du  moribond,  s'évanouir  leur  fortune.  Je  ne 
sais  rien,  dans  l'œuvre  entière  de  Joachim.  de  plus  saisis- 
sant que  cette   eau-forte  : 

Quand  je  voy  ces  Messieurs,  desquelz   l'auctorité 
Se    voit   ores  icy   commander   en    son   rang. 
D'un   front  audacieux   cheminer   liane   à   flanc, 
Il   me  semble  de  voir  quelque   divinité. 

Mais   les   voyant   pallir   lors   que   sa   Saincteté 
Crache  dans    un   bassin,    et  d'un   visage   blanc 
Cautement   espier   s'il   y  a  point   de   sang, 
Puis   d'un  petit    soubriz   feindre   une   seureté  : 

O  combien  (di-je  alors)  la  grandeur  (jue  je  voy. 
Est  misérable  au  pris  de  la  grandeur  d'un  Roy  ! 
Malheureux   qui   si   cher  achète   tel   honneur. 

Vrayement  le   fer  meurtrier,    et  le  rocher  aussi 

Pendent   l)ien    sur    le  chef  de   ces  Seigneurs   icy. 

Puis  que  d'un  vieil  fdet  dépend  tout  leur  bonheur  -.  (S.  ii8). 

'  Seizième  siècle,  p.  305. 

-  «  En  dépil  des  faiblesses  et  des  néj^ligences  de  l'expression,  dit  M.  Le- 
nient,  ce  crachat,  qui  fait  la  joie  ou  la  terreur  de  tant  de  gens,  qui  peut 
demain  mettre  en  émoi  le  monde  entier,  est  plus  éloquent  encore  que  le 
grain  de  sable  égaré  dans  la  vessie  de  Cromwell.  »  La  Satire  en  France  au 
XVI*  siècle,  t.   I,  p.  \i'.i. 


LES     ((    REGRETS    »  375 

Si  l'on  en  croyait  du  Bellay,  la  Cour  do  Rome  aurait  été 
le  siège  des  sept  péchés  capitaux  '.  Et  môme  certains  vers 
de  lui  nous  font  entrevoir  des  crimes  monstrueux  perpétrés 
dans   r ombre  : 

Heureux   qui   peult   long^   temps   sans   danger  de   poison 
Jouir  d'un  chapeau  rouge,  ou  des  clefz  de  Sainct  Pierre  !  (S.  94). 

Icy   mille    foi'faitz  pullulent   à   l'oison, 

Icy   ne   se   punit   l'homicide   ou   poison.  (S.  127). 

J'incline  à  croire  que  le  satirique  a  quelque  peu  chargé 
sa  peinture  et  que.  dans  son  tableau  de  Rome,  il  a  fait 
entrer  plusieurs  traits  qui  seraient  plus  exacts  d'une  époque 
antérieure.  Il  faut  reconnaître  pourtant  que  le  clergé  romain, 
même  après  le  pontificat  de  Paul  III,  qui  avait  commencé 
la  réforme,  laissait  beaucoup  à  désirer  au  point  de  vue 
moral.  Il  demeurait  très  inférieur  au  clergé  français  ^  Le 
cardinal  de  Lorraine,  qui  n'était  cependant  pas  un  modèle 
de  vertu,  parlait  avec  indignation  de  certains  désordres  hon- 
teux que  Paul  lY  tolérait,  lui  si  rigide,  même  parmi  ses 
plus   proches   parents  ^ 

II  serait    hasardeux    d'insister    longuement  sur  les  sonnets 


»  S.  78,  79,  81,  82.  101-113,  127. 

-  «  Vostre  Eglise  Gallicane  est  celle  qui  aujourd'huy  est  des  plus  grandes, 
plus  entières  et  moins  contaminées  en  ce  qui  touche  la  foy  et  les  mœurs.  » 
Le  card.  du  Bellay  au  Roi,  lettre  datée  de  Rome,  14  sept.  1348.  (Ribier,  II,  164). 

'  Le  card.  de  Lorraine  à  M.  de  Selve,  17  janv.  1338.  (Ribier,  II,  721-722), 
Cf.  G.  Duruy,  Le  Cardinal  Carlo  Carafa.  p.  296  298.  Du  Bellay  fait  allusion 
à  ces  faits  scandaleux  dans  le  s.  103  des  Regrets  —  Bandcllo,  moine  domi- 
nicain, auteur  de  Nouvelles  (Lucques,  1334),  condamnait  en  ces  termes  les 
vices  du  clergé  romain  :  «  Tuttavia  se  mi  fosse  lecito  il  dire,  io  con  rive- 
renza  direi,  che  l'avarizia  e  l'ingordigia  de'  sacerdoti  sia  quella  che  in  gran 
parte  abbia  dato  grandissime  foiiiento  a  queste  diavolerie,  e  darà  via  mag- 
giore,  se  la  Chiesa  non  mette  mano  alla  emenda  de'  cherici  e  di  tutti  i 
cristiani    »  Cité  par  Ginguené,  Hist.  litt.  d'Italie,  VIII,  489. 


376  JOACHIM    DU    BELLAY 

OÙ  tlu  Bellay  nous  a  décrit  le  monde  des  courtisanes  '.  Le 
sujet  est  scabreux,  et  l'auteur  se  complaît  un  peu  trop  ici  à 
rivaliser  avec  l'Arétin.  Pour  peindre  ce  milieu  comme  il  Ta 
peint,  il  est  clair  qu'il  le  connaissait  mieux  qu'il  ne  prétend. 
S'il  était  d'abord  resté  sage,  il  avait  fini,  lui  aussi,  par  céder 
à  la  tentation  '.  et  la  chute  était  d'autant  plus  facile  que  les 
occasions  de  pécher,  certes,  ne  manquaient  point  '.  Les  cour- 
tisanes à  Rome  se  comptaient  par  milliers  *.  Depuis  la  fin 
du  xv  siècle,  elles  avaient  envahi  les  quartiers  les  plus 
opulents  de  la  ville  :  leurs  élégantes  ou  somptueuses 
demeures  se  voyaient  dans  la  via  Giulia.  sur  la  place 
Colonna.  près  du  palais  Carpi.  autour  des  ambassades,  et 
principalement  de  l'ambassade  de  France  '.  Elles  se  prome- 
naient par  les  rues,  montées  dans  des  carrosses,  étalant  aux 
yeux  leurs  riches  parures  et  leur  impudeur:  ou  bien  encore,  en 
habits   d'hommes,    elles   paradaient   à   cheval,    pompeusement  ^ 


'  S.  87-100.  —  Un  de  ces  sonnets,  le  s.  91,  est  traduit  à  peu  près  littérale- 
ment d'un  sonnet  de  Berni  sur  les  beautés  de  sa  maîtresse.  C'est  d'ailleurs 
la  seule  traduction  qu'on  relève  dans  les  Regrets.  Il  est  curieux  de  remar- 
quer que  Saint-Gelays  avait  déjà  traduit  le  sonnet  de  Berni  (édit.  Blanche- 
main,  I,  283). 

-  Voyez  dans  les  Poemata  (f°  49  r°,  Grassini  juvenis  tumulus),  la  triste 
hisloire  d'un  jeune  homme  qui,  resté  longtemps  chaste  à  Rome,  iinit  par 
succomber  à  l'amour. 

''  E.  Rodocanachi,  Courtisanes  et  Bouffons.  Étude  de  mœurs  romaines  au 
XVI*  siècle    Paris,  Flammarion,  1894. 

'  En  14!X),  sur  une   population   de   100.000  habitants,   il  y  avait  à  Rome 
6800  courtisanes  (Burckhardt,  t.  II,  p.  148| .  Au  temps  de  Sixte-Quint,  on  en 
fit  un  dénombrement  :  on  on  trouva  17.000  (Rodocanachi,  p.  21). 
■  Rodocanachi,  p.  22. 
"  S.  131  : 

Celuy  qui  par  la  rue  a  veu  publiquement 
La  courtisanne  en  coche,  ou  qui  pompeusement 
L'a  peu  voir  à  cheval  en  accoustrement  d'homme 
Superbe  se  monstrer  :  celuy  qui  de  plein  jour 
Aux  cardinaulx  en  cappe  a  veu  faire  l'amour. 
C'est  celuy  seul  (Morel)  qui  peult  juger  de  Rome. 
M.  'Vianey  (p.  64)  conteste  la  vérité  du  dernier  trait.  L'histoire  nous  apprend 
qu'on  vit  le  trop  fameux  cardinal  Monte,  l'ancien  protégé  de  Jules  III,  pro- 


LES     ((    REGRETS    »  377 

Pour  donner  une  idée  du  talent  descriptif  de  mon  poète 
dans  cette  partie  de  son  œuvre,  je  citerai,  encoi-e  que  la 
peinture  en  soit  un  peu  vive,  le  sonnet  qu'il  consacre  aux 
((  jeux  ))    des  courtisanes    : 

En  mille  crespillons  les  cheveux  se  trizer, 
Se  pincer  les  sourcilz,  et  d'une  odeur  choisie 
Parfumer  hault  et  bas  sa  charnure  moisie, 
Et  de  blanc  et  vermeil  sa  face  desguiser  : 

Aller  de  nuict  en  masque,  en  masque  deviser, 
Se  feindre  à  tous  propos  estre  d'amour  saisie, 
Siffler  toute  la  nuict  par  une  jalousie. 
Et  par  martel  de  l'un,  l'autre  favoriser  : 

Baller.  chanter,  sonner,  folastrer  dans  la  couche, 
Avoir  le  plus  souvent  deux  langues  en  la  bouche. 
Des  courtisannes  sont  les  ordinaires  jeux. 

Mais  quel  besoing  est- il  que  je  te  les  enseigne  ? 

Si  tu  les  veuls  sçavoir  (Gordes)  et  si  tu  veuls 

En  sçavoir  plus  encor',  demande  à  la  Chassaigne.  (S.  92). 


Dans  les  Regrets,  du  Bellay  s'est  mis  tout  entier.  11  nous 
a  donné  là  le  meilleur  de  lui-même,  tout  son  esprit  et  tout 
son  cœur.  C'est  avec  son  esprit  qu'il  a  raillé  les  mœurs  romai- 
nes,   avec   son    cœur  ([u'il    a    pleuré    son    cher    Anjou.    On    ne 

mener  dans  son  carrosse,  durant  tout  le  carnaval,  Camilla  di  Pitiliano,  et 
se  gaudir  très  ostensiblement  en  sa  compagnie.  (Rodocanachi,  p.  78).  —  Je 
ne  voudrais  pas  en  trop  dire  :  il  est  certain  pourtant  que  du  Bellay  fut  le 
témoin  de  maint  fait  scandaleux,  ne  serait-ce  que  celui-ci  :  le  cardinal  Caraffa 
retint  le  duc  de  Guise  un  mois  entier  à  Rome  (1357),  «  l'entretenant  de  toutes 
délices,  festins,  courtisannes,  vierges  et  femmes  mariées,  dont  ce  gouffre 
d'abomination  a  accoustumé  de  fournir.  »  (Vieilleville.  cité  par  Forneron, 
Les  ducs  de  Guise  et  leur  époque,  Paris.  Pion,   1877.  t.  I.  p.  203 1. 


378  JOACHIM    DU    BELLAY 

saurait  trop  admirer  la  réunion  chez  le  même  homme  de  ces 
deux  facultés  qui  très  souvent  s'excluent.  Il  les  a  possédées 
l'une  et  l'autre,  et  chacune  éminemment.  En  lui  se  fait,  pour 
la  première  fois  peut-être  dans  notre  littérature,  l'alliance 
originale  de  la  satire  et  du  lyrisme.  Il  eut  d'ailleurs  le  sen- 
timent très  net  de  cette  nouveauté,  dont  il  crut  devoir  s'ex- 
cuser : 

Mais   tu  diras  que   mal  je   nomme   ces  regretz, 
Veu   que   le   plus   souvent  juse   de   mots  pour  rire. 
Et  je   dy   que  la    mer  ne   bruit   tousjours   son   ire, 
Et  que    tousjours   Phœbus  ne   sagette  les   Grecz. 

Si   tu   rencontre   donc  icy  quelque   risée. 
Ne  baptise    pourtant  de   plainte   desguisée 
Les  vers   que  je   souspire   au  bord  Ausonien. 

La   plainte   que  je   fais  (Dilliers)   est   véritable  : 

Si  je    ry.    c'est  ainsi  qu'on  se  rid   à  la    table  : 

Car  je   ry.  comme   on  dit.    d'un  riz   Sardonien'.   (S.  77). 

L'introduction     de    la    satire    dans    le    sonnet    est    un    fait 
littéraire  de  première  importance.    Jusqu'alors,  je  l'ai  dit  ",  la 


'  Cf.  dédicace  à  d'Avanson  : 

Quelqu'un  dira  :  De  quoy  servent  ces  plainctes' 
Comme  de  l'arbre  on  voit  naistre  le  fruict, 
Ainsi  les  fruicts  que  la  douleur  produict, 
Sont  les  souspirs  et  les  larmes  non  feinctes. 

De  quelque  mal  tin  chacun  se  lamente, 
Mais  les  moiens  de  plaindre  sont  divers: 
J'ay,  quant  à  moy,  choisi  celuy  des  vers 
Pour  desaigrir  l'ennuy  qui  me  tormente. 

Et  c'est  pourquoy  d'une  doulce  satyre 
Entremeslant  les  espines  aux  fleurs, 
Pour  ne  fascher  le  monde  de  mes  pleurs, 
.j'appresle  icy  le  plus  souvent  à  rire. 

'  V.  ci-dessus,  I"  part.,  chap.  vi,  §  11,  p,  17.3. 


LES    ((    REGRETS    ))  379 

formo  (lu  sonnet,  au  ju^oniont  Je  nos  poètes,  n'avait  point 
paru  susceptible  d'exprimer  autre  chose  que  des  émotions 
graves,  et  surtout  les  passions  de  l'amour.  Déjà,  dans  ses 
Antiquitez  de  Rome,  du  Bellay,  tout  en  conservant  au 
sonnet  son  caractère  élégiaque,  en  avait  agrandi  le  cadre,  au 
point  de  lui  confier  la  traduction  des  rêveries  historico-pliilo- 
sophiques.  Mais  cette  fois,  la  transformation  était  radicale  : 
du  Bellay  innovait  le  sonnet  satirique  et.  dans  l'espace  de 
quatorze  vers,  faisait  tenir  tout  un  portrait  humoristique,  tout 
un  tableau  de  mœurs  '.  Ainsi,  l'humble  poème  qui  semblait 
limité  dans  son  inspiration  autant  que  dans  sa  forme,  appa- 
raissait comme  capable  de  s'élargir  indéfiniment,  de  se  plier 
tous  les  caprices  de  la  pensée,  de  rendre  au  gré  de  l'artisan 
les  choses  plaisantes  et  les  choses  tristes ,  —  en  un  mot , 
d'embrasser  le   domaine   entier   de  la  poésie. 

Et  maintenant,  faut-il  parler  du  style  des  Regi^ets  ?  11  a 
toutes  les  qualités,  mais  celle-ci  surtout  d'être  extraordinai- 
rement  naturel  et  facile.  A  lire  ces  sonnets  d'un  tour  si  vif, 
d'une  langue  si  aisée  et  si  souple,  il  semble,  en  vérité,  qu'ils 
soient  venus  sans  peine  à  l'esprit  de  l'auteur,  et,  pour  tout 
dire,  qu'ils  aient  coulé  de  source.  Qu'on  ne  s'y  trompe  pas 
pourtant  :  ce  naturel  nous  cache  un  art  profond,  et  ne 
l'atteindrait  pas  qui  veut.  Du  Bellay  le  laissait  entendre  avec 
un   sourire   ironique    : 


*  Vauquelin  de  la  Fresiiaye,  dans  son  Art  Poétique,  observe  tinenienl  que 
du  Bellay  le  premier  aiguisa  le  sonnet,  en  le  rendant  capable  de  satire  : 
Et  du  Bellay  quitant  cette  amoureuse  flame, 
Premier  list  le  Sonnet  sentir  son  epigrame  : 
Capable  le  rendant,  comme  on  void,  de  pouvoir 
Tout  plaisant  argument  en  ses  vers  recevoir. 

Édit.  G.  Pellissier,  p.  35 
CoUetet  dit  aussi  {Traité  du  Sonnet,  1G58,  p.  32)  :  «  Du  Bellay  fut  le  premier 
de  tous  nos  poètes  qui  enrichit  la  lin  du  Sonnet  de  quelque  pointe  d'esprit.  » 
Cf.  Pflànzel,  op.  cit.,  p.  73-75  :   il   établit   qu'en  fait   de   pointe,  Mellin  de 
Saint-Gelays  avait  un  peu  frayé  la  voie  à  du  Bellay. 


380  JOACHIM    DU    BELLAY 

Et  peult  estre  que  tel  se  pense  bien  habile, 
Qui  trouvant  de  mes  vers  la  ryme  si  facile, 
En  vain  travaillera,  me  voulant  imiter.       (S.  2). 

Faire  difficilement  quelque  chose  de  facile,  c'est,  dit-on,  le 
secret  du  génie.  Pour  une  fois,  Joachim  du  Bellay  s'est  avisé 
de   ce   secret   :    il   y   a   gagné   de   produire   un   chef-d'œuvre. 


CHAPITRE    VI 


RETOUR  EN  FRANCE 

1557-1558 


I.  —  La  passion  de  Joachim  pour  Faustine  (1557). 
II.  —  Départ  de  Rome  (août  1557).  —   Itinéraire.  —  Retour  â 
Paris.  —  Une  pièce  de  Dorât. 

III.  —  La  maison  de  Jean  de  Morel.   —  Intimité   de  du   Bellay  et 

de  Morel. 

IV.  —  Les    tracas    domestiques    du    retour.    —    Publication    des 

recueils  composés  en  Italie  (1558). 


Du  Bellay  était  depuis  quatre  ans  aux  bords  du  Tibre,  et 
jusqu'alors  il  avait  bravé  fièrement  le  coup  d'œil  des  beautés 
romaines,  lorsqu'un  jour,  nous  dit-il.  Gupidon  le  frappa 
d'une   flèche  :    il   devint   amoureux   de   Faustine  *. 

Qu'était-ce    que   cette  femme,  qui  allait  captiver  les   sens   et 

^  Poemata,  f°  34  v»  :  Faustinam  primam  fuisse  quant  Romae  adamaverit. 


382  JOACHIM    DL    BELLAY 

le  cœur  du  poète  durant  les  derniers  mois  de  son  séjour  à 
Rome  ?  Était-ce  la  Faustine  qu'un  sonnet  de  Magny  *  place 
en  bon  rang  parmi  les  courtisanes  que  fréquentaient  ses 
compagnons  ?  N'était-ce  pas  plutôt  quelque  noble  Romaine  ? 
On  peut  tout  supposer.  Du  Bellay  nous  tait  son  nom  de 
famille  :  il  la  surnomme  Columba  "".  surnom  charmant  \  dont 
il   a    soin   de  nous   indiquer  l'origine  : 

Tu  tenero   morsus   figebas   dente   proterva, 
Alque  coliimbatini  basia   longa  dabas. 

Ce  que  nous  savons,  c'est  qu'elle  était  belle  :  elle  avait  les 
yeux  et  les  cheveux  noirs,  un  large  front  blanc  comme  neige, 
des  joues  rosées,  des  lèvres  roses  ".  Telle  était  sa  beauté 
qu'elle  mil   aux    prises  des   cardinaux   '. 

Cette  femme  si  séduisante,  du  Bellay  l'aima  vraiment,  non 
plus  de  tête,  comme  il  avait  aimé  Olive,  mais  avec  son 
cœur  et  sa  chaii'.  d'une  passion  ardente,  fougueuse,  tourmentée. 
Soit  qu'il  ait  été  retenu  par  un  sentiment  de  pudeur,  soit 
qu'il  ait  jugé  le    français  impuissant  à  traduire  la  violence   de 

'  Souspirs,  s.  82. 

-  l'oernata,  t"  'M  \<>  :  Cognomen  Faustinae . 

'  Il  le  rend  en  français  par  le  joli  diminutif  «  Columbelle  »  (Jeux  Rusti- 
ques, II,  34;i). 


*  Foemata,  ï"  39  v" 


Sive  nigrantes  oculos,  comasque, 
Fronlis  aut  lalae  niveum  nitorem, 
Seu  gênas  spectes  roseas,  rosisque 
Picta  labella. 


=•  Poemata,  f^  38  r» 


Non  Sophiae  studium  doctes,  non  purpura  Patres, 
Nec  clypeus  lexil  fortia  corda  Ducum. 

Inter  se  poluit  sanctos  committere  Paires 
Faustina.  usque  adco  forma  superba  fuit. 


RKTOUR    i-:n   fhanck  .'3X3 

sa  passion,  c'est  en  laliu  qu'il  la  clianta  '.  Lcsbio,  Délie, 
Cyntliie,  Corinne,  hantaient  d'ailleurs  sa  voluptueuse  imagi- 
nation, et,  suivant  la  fine  remarque  de  M.  Faguet  %  c'était 
en  quelque  sorte  redevenir  Catulle  et  réaliser  pleinement  un 
rêve  d'humaniste,  qu'aimer  à  Rome  une  Romaine,  en  vers 
latins,  avec   une   àme   toute   latine. 

Les  biographes  du  poète  se  sont  étendus  à  plaisir  sur  cet 
épisode  de  sa  vie  \  Du  Bellay  goûta  quelque  temps  la  suprême 
félicité  ".  «  Toutefois  son  bonheur  dura  peu.  Il  avait  si 
bien  oublié  que  Faustine  fût  mariée,  qu'il  n'avait  pas  même 
songé  à  nous  le  dire  ;  mais  tout  à  coup,  quoiqu'un  peu  tard, 
survient  un  vilain  époux,  glacé  par  l'âge  ;  le  cruel  enlève 
Faustine  du  sein  de  sa  mère,  sans  qu'elle  ait  rien  mérité  de 
tel,  dit  naïvement  du  Bellay,  qui  se  repent  de  ne  pas  s'être 
trouvé  là  pour  voler  au  trépas,  comme  Corœbus  quand  Ajax 
entraine  Cassandi'e  %  et  déplore  que  ce  maudit  mari  n'ait 
pas  usé  envers  sa  Faustine  et  lui  du  stratagème  employé  par 
Vulcain  à  l'égard  de  Mars  et  de  Vénus  ''.  Privé  d'une  telle 
consolation,  il  erre,  dévoré  de  jalousie,  devant  la  porte  de 
la    maison   où   Faustine   est   enfermée   avec   son   vieil   époux  '  ; 


'  Poemata,  f"*  34  r'^-42  r».  —  Il  n'est  question  de  rien  dans  les  Regrets  :  à 
peine  saisit-on  (s.  87)  une  vague  allusion  à  quelque  mystérieux  amour  qui 
le  tiendrait  enraciné. 

-  Seizième  siècle,  p.  320,  et  Revue  des  Deux-Mondes,  1"  mai  1894,  p.  137, 
article  sur  l'Alexandrinisme. 

3  Sainte-Beuve,   Notice  sur  J.  du  Bellay,  p.  343-345;  —  Marty-Laveaux, 
Notice,  p.  xxi-xxm  ;  —  Séché,  Notice,  p.  29-32  ;  —  Faguet,  Seizième  siècle, 
p.  317-320;  —  Ballu,  Notice,  p.   lxx-lxxix. 
*  Poemata,  f"  35  r"  : 

Venit  in  amplexus  terque  quaterque  meos. 
Cf.  les  lascives  descriptions  de  la  pièce  Ad  Polydorum,  î"  39  v"  : 
Quaeque  non  una  tulimus  beati 
Gaudia  nocte. 
^  Poemata,  f»  38  r"  :  Quomodo  rapta  fuerit  Faustina. 
^  Poemata,  f"  35  V  ;  De  Vulcano  et  marito  Faustinae. 
'  Poemata,  f"  35  r"  :  Ad  januam  Faustinae. 


384  JOACHIM  nu  bkllay 

et  pendant  dix  jours  il  se  traîne,  brûlant  de  fièvre,  épuisé 
par  la  toux,  et,  il  faut  bien  le  dire,  par  un  rhume  de  cerveau, 
et   buvant   au   lieu   de   vin   des   tisanes   adoucissantes  '.  » 

Ce  qui  frappe  dans  cet  amour,  c'est  son  caractère  païen. 
Le  mari  de  Faustine.  las  de  son  rôle  de  Cerbère,  l'avait, 
pour  plus  de  sûreté,  mise  au  couvent  -.  Veut-on  savoir  quelles 
pensées  cela  suscite  en  du  Bellay  ?  C'était  l'époque  où  les 
Français  traversaient  Rome  pour  aller  conquérir  le  royaume 
de  Naples.  L'expédition  est  sans  attrait  pour  ce  fier  gentil- 
homme. 11  s'agit  bien  d" aller  se  battre  et  de  venger  l'antique 
égorgement  des  vêpres  siciliennes  !  Soldat  de  Vénus,  il  rêve 
d'une  autre  conquête  :  délivrer  sa  maîtresse  captive  au  fond 
du   cloître,    voilà  sa   guerre   à   lui  ! 

Ast  ego   qui   Veneris   miles.    Martemque   perosus 
Haud   anirao   tantura  concipio   facinus, 

Solvere    tentabo   captivae   vincla  puellae, 

Quae   mihi   longe    ipsis   charior  est   oculis. 

Haec  repetenda   mihi    tellus   est   vindice    dextra. 

Hoc  bellum.   haec    virtus.    haec    mea   Parthenope  '\ 

11   y  a    plus  :  ce    catholique,    secrétaire    d'un    cardinal,    ancien 


*  Poemata,  f"  39  r»  :  Ad  Polydoram  de  Faustina  : 

Me  Huens  hunior  cerebro  malignus, 
Febris  atque  ardens,  et  anhela  tussis 
Jam  decem  lotis  relinet  diebus 

Membra  Irahcntem. 
Non  mihi  dulcis  latices  Lyaei, 
Sed  sitim  sedant  medicata  nostram 
Focula,  atque  imas  pcnitus  perurit 
Fiaiuma  meduUas. 
—  Marly-Laveaux,  Notice  sur  J.  du  Uellaj,  p.  xxii-xxiii. 
-  Poemata,  {"  34  v  : 

Nec  salis  hoc  :  Iradit  formosam  in  vincla  puellam, 
Et  sacrae  cogil  claustra  subirc  domus. 

'  Poemata,  {'  38  v»  :  Ad  milites  Galles,  cum  ad  bellum  Neapolitanum  pro- 
Jiciscerentur . 


RRTOUR     EN     FRANCE  385 

chanoine  de  Paris  ',  na  point  le  respect  des  couvents.  Dans 
les  nonnes  il  voit  des  vestales  ;  le  saint  amour  qui  les 
embrase,  c'est  le  feu  perpétuel  de  Vesta.  Fassent  les  Dieux, 
s'écrie  du  Bellay,  qu'à  leur  contact  redouble  la  flamme  de 
Faustine  ■  !  Ajouterai-je  qu'il  foi*me  le  vœu  très  profane  de 
se  voir  enfermé  avec  elle  '  ?  Oh  !  s'il  pouvait  imiter  Jupiter, 
se  métamorphosant  jadis  en  la  chaste  Diane  !  De  jour,  sous 
le  couvert  du  voile  virginal,  comme  il  observerait  les  rites 
sévères  du  saint  lieu  !  comme  il  rendrait  aux  Dieux  les 
devoirs  consacrés  !  Mais  une  fois  la  nuit  tombée ...  il  rede- 
viendrait Jupiter  : 

Sic  gratis   vicibus,    Vestae   Venerisque   sacerdos, 
Nocte   parum  castus,    luce  pudica   forem. 

Vénus  est  bonne  aux  amoureux.  Du  Bellay  la  priait,  pour 
obtenir  la  délivrance  de  son  amie  :  il  vouait  à  la  déesse  des 
fleurs  pourprées ,  des  violettes .  des  roses ,  un  couple  de 
colombes  *.  La  déesse  attendrie  rendit  Faustine  à  ses  caresses. 
C'est  du  moins  ce  qu'on  peut  conclure  d'un  petit  poème 
enthousiaste,  «  le  plus  joli  des  poèmes  latins  de  du  Bellay  », 
au  dire  de  M.   Faguet  ^  : 

Jani   mihi  mea   reddita  est  Golumba. 
Vos   tristes  elegi  valete   longum- 
At  vos  molliculi  venite  versus, 
Dum   cano  reditum   meae    Golumbae, 
Quam  plus   ipse    oculis  meis  amabam, 
Cujus   basia,  blandulumque  murmur. 
Lusus,    nequitiae   proterviores. 
Et  morsus   poterant,    micante  rostro. 

'  V.  plus  loin,  chap.  x,  §  i. 

-  Poemata,  f°  36  V  :  Cur  Vestalibus  innati  sint  velut  quidam  amoris 
igniculi. 

^  Poemata,   f"  36  r"  :    Optât   se  inchisnm   cum  Faustina. 
*  Poemata,   f"  40  r'  :    Votiim  ad   Venerem. 
'  Seizième  siècle,  p.  319. 

Univ.  de  Lille.  Tome  VIll.  A.  25. 


386  JOACHIM    DU    BELLAY 

Ipsum   vincere  passerem   Catulli. 
Nam    mellita  fuit,   venusta.    bella, 
Pulchra.    candidula,    atque   délicate, 
Nil  mage   ut   queat  esse  delieatum, 
Mellitum   magis,    aut   magis  venustum. 

At   vos,  hendecasyllabi  fréquentes, 
Versus  raollieuli   venustulique, 
Adesle  hue,  precor  :    et   quot   estis  oranes, 
Formosae  Yeneri   bonisque   Divis 
Yotum   solvite  pro   mca   Golumba  '. 

A  voir  ce  que  ces  vers  contiennent  de  tendresse  et  de 
volupté  '\  qui  pourrait  douter  un  instant  de  Taction  exercée 
sur  le  cœur  du  poète   par  ce   profond   et  très  réel   amour  ? 


II 


Le  doyen  du  Sacré-Collège  eut-il  vent  de  cette  liaison  ? 
Toujours  est-il  que  c'est  fort  peu  de  temps  après  cette  aven- 
ture qu'il  renvoya  son  secrétaire,  en  le  chargeant  d'une 
mission  de  confiance  '  sur  laquelle  nous  reviendrons  *. 
Du  Bellay  quitta  Rome,  suivant  toute  apparence,  à  la  fin  du 
mois  d'août   loS^   '.   Le   sonnet   128  des   Regrets  indique  nette- 


'  Poemata,  f°  40  v°  :  Voti  solutio. 

-  V.  encore  la  pièce  Jiasia  Faustinae,  f»  41  r". 

•■'  Elégie  à  Morel  : 

Tum  dciuuia  in  p.Ttriani  (sic  ras  tune  poscere  visa  est) 

Diinissos  Uoma  nos  remeare  jubet, 
El  sua  coniniillit  curanda  négocia  nobis, 

Experlus  nostrani  scilicet  aute  lideni. 

^  V.  plus  loin,    ehap.  x,  §1. 

'-  Gerlainemenl,  il  était  encore  à  Rome  le  10  août  1557,  puisqu'il  fit  en 
vers  latins  {Poemata,  f"  50  r")  l'épitaphe  du  cardinal  Mignanelli,  mort  ce 
jour-là  (Ciaconius,  Uistoriae  Pontijicum  . . .  ,  t.  III,  col.  777-778).  —  Le  début 


RETOUR     EN    FRANCE  387 

ment  qu'il  dut  prendre  la  voie  de  mer  *.  C'est  qu'à  cette 
époque,  en  effet,  le  duc  d'Albe  n'était  plus  qu'à  une  quinzaine 
de  milles  de  la  grande  cité  '  :  la  campagne  n'était  pas  sûre. 
J'incline  à  croire  qu'après  une  navigation  passablement  hou- 
leuse, il  débarqua  dans  quelque  port,  —  peut-être  à  Givita- 
Vecchia,  —  pour  reprendre  la  voie  de  terre  à  travers  les 
États  de  l'Église.  A  partir  de  ce  moment-là,  nous  avons  son 
itinéraire  :  sept  sonnets  des  Regi^ets  (i32-i38)  nous  permettent 
de  le  suivre  dans  son  voyage  de  retour.  11  y  note  avec 
précision,  en  même  temps  que  ses  étapes,  les  impressions 
qu'il  a  reçues  en  cours  de  route.  Plusieurs  de  ces  petits 
poèmes  sont  des  modèles  de  description  humoristique  et 
pittoresque. 

Si  dans  Ihospitalière  cité  d'Urbin,  patrie  de  son  ami 
Vineus,  il  trouva  le  meilleur  accueil,  dans  les  États  du  Pape 
il   souffrit  de   faim   et  de    soif  : 

C'est  pitié,    comme  là   le   peuple   est   inhumain, 

Comme  tout  y  est  cher,  et  comme  Ion  y  pinse.     (S.  i32). 

» 
Ce    fut    bien    pis    au    duché  de  Ferrare,  —  un  «  enfer  »,   nous 

dit-il.  Il   passa  par  Venise,  dont  il  a  tracé  un  vivant  tableau  ', 

de  la  i)ièce  In  eos  qui  bello  Quintiniano  occiibuerunt  Lacrymae  {Poeniata, 
{"  52  r")  semble  bien  indiquer  que  son  départ  de  Rome  suivit  de  fort  près 
la  nouvelle  du  désastre  de  Saint-Quentin.  Or,  c'est  le  2.3  août  qu'on  apprit 
à  Home  cette  terrible  délaite  (G.  Duruy,  Le  Cardinal  Carlo  Carafa,  p.  230). 

'  Cf.  Poemata,  P  .31  v"  : 

Sed  (o  spes  hominum  levés  !  )  reversum 
Per  tôt  heu  pelagi  aestuantis  undas  . . . 
et  f»  o2  1»  : 

Per  saxa  et  scopulos,  ventosa  per  aequora  vecti, 

Dura  pulchrae  cainpos  linquimus  Hesperiae  . . . 

-  G.  Duruy,  op.  cit.,  p.  238. 

'  Il  ne  sera  pas  sans  intérêt  de  rapprocher  de  ce  tableau  la  description 
que  fait  Marot,  dans  son  Epistre  envoyée  de  Venise  à  Madame  la  Duchesse 
de  Ferrare    (Edit.  Voizard,  p.  132). 


388  JOACHIM    DU    BELLAY 

que  termine  un  trait  de  satire  à  l'adresse  des  doges,  ((  ces 
vieux   coquz   »,    qui   solennellement 

vont   espouser  la  mer, 
Dont   ilz   sont  les  maris,    et  le  Turc   l'adultère.  (S.  [33). 

Puis  il  traversa  les  Grisous,  ce  qui  lui  parut  un  supplice  digne 
des  plus  grands  criminels  (s.  i34).  De  Coire  à  Genève,  il  eut 
le  temps  de  bien  examiner  la  Suisse.  Il  consigna  dans  un 
curieux    sonnet   le  résultat  de  ses  observations  : 

La   terre  y   est  fertile,   amples   les   édifices, 
Les  poelles  bigarrez,   et  les   chambres   de  bois, 
La   police   immuable,    immuables   les   loix. 
Et   le   peuple   ennemy   de   forfaitz  et   de   vices. 

Hz   boivent   nuict  et  jour  en  Bretons  et   Suysses, 
Hz  sont  gras  et  refaits,  et  mangent  plus  que  trois  : 
Voilà  les  compagnons  et  correcteurs   des   Roys, 
Que  le  bon  Rabelais   a   surnommez   Saulcisses. 

Hz  n'ont  jamais   changé   leurs   habitz  et  laçons, 
Hz  hurlent  comme  chiens  leurs  barbares  chansons, 
Hz  comptent  à  leur  mode,  et  de  tout  se  font  croire  : 

Hz  ont  force  beaux  lacz  et  force  sources  deau, 
Force  prez,  force  bois.  J'ay  du  reste  (Belleau) 
Perdu  le   souvenir,   tant  ils  me   firent  boire.     (S.  i35). 

Genève,  la  cité  protestante,  lui  déplut  par  son  aspect  maus- 
sade et  par  un  rigorisme  qu'il  jugea  hypocrite  (s.  i36).  Enfin, 
il  mit  le  pied  dans  Lyon.  Quel  soupir  de  soulagement  !  «  Ce 
beau  Lyon  »,  c'était  la  France  !  La  patrie  de  Maurice  Scève 
le  ravit,  avec  son  peuple  d'artisans,  de  marchands,  de  ban- 
quiers, d'armuriers,  d'imprimeurs  (s.  i^j).  De  Lyon,  il  gagna 
Paris  :    comme   tous    les    Français   qui    reviennent    de    loin,    il 


RETOUR     EN    FRANCK  389 

en   découvrit  les   merveilles  :    il    en   fut   ('bloui  '.    Toiilclbis,    ce 
qui   ne   put  lui   plaire, 

Ce   fut  l'estonnement   du   badaud   populaire, 

La  presse  des  chartiers,  les  procez,  et  les  fanges.  (S.  i38). 

En  rentrant  à  Paris,  du  Bellay  se  faisait  un  bonheur  de 
retrouver  ses  vieux  amis,  Ronsard.  Morel,  Dorât,  La  Haye, 
Paschal  :  il  les  voyait  de  loin  tendant  les  bras  vers  lui,  le 
cœur  en  fête  ^  Il  semble  que  Ronsard  eût  pu,  dans  cette 
circonstance,  improviser  quelques  vers  bien  sentis  en  l'honneur 
du  compagnon  qui  revenait  parmi  les  siens  après  quatre 
ans  d'exil.  Il  garda  le  silence.  Dorât  seul  éleva  la  voix,  et 
puisa  dans  son  âme,  pour  chanter  le  retour  de  son  ancien 
disciple,   quelques   accents   sincères  ^  : 

Nunc   vos   errouem   Bellaium   admittite   vestrum, 

Sequanides   nymphae   Parisiique   chori. 
Ille   dabit   numéros   vestris,   velut   ante.    choreis  : 

Illius   ad  solitos   niembra   movete   modos. 
Non   quia   cum  veteris    Romae   contendit  honore, 

Peligno  certans   versibus   ingenio. 
Idcirco   patria   est  oblitus   carmina    voce 

Gantare,    emeritus  qualia   cantat  olor. 
Vos   ea   nunc   etiam,    mihi  crédite,    plectra  juvabunt, 

Quae   tam  juverunt,   hoc   modulante    prius  '. 
Nunc  quoque  Bellaii  discentes  carmina,  Galli 

Hune  aliquid  dicent  addidicisse  novi. 


'  Cf.  un  sonnet  de  Baïf  (Martj^-Laveaux,  I,  189). 

'  Regrets,  s.  129. 

^  Ad  loachimum  Bellamm,  de  ejns  reditu  ab  Italia.  Recueil  de  1586, 
Poem.  lib.  I,  p.  39. 

*  Je  corrige  ainsi  le  texte  fautif  de  l'original  :  Quae  tam  juvabunt  hoc 
tam  modulante  prius. 


300  JOACHIM    DU    BELLAY 


in 


C'est  à  la  fin  de  iSS^  que  du  Bellay  redevint  Parisien, 
Je  pense  qu'il  logea  dans  une  maison  que  possédait  Morel 
au  cloître  Notre-Dame  '.  La  place  énorme  qu'a  tenue  cet  ami 
dans  la  vie  de  notre  poète  nous  fait  un  devoir  de  lui  consa- 
crer quelques  minutes  d'attention. 

Jean  de  Morel  %  natif  d'Embrun  (i5ii-i58i).  seigneur  de 
Grigny  et  de  Plessis-le-Gomte,  maître  d'hôtel  du  roi.  maréchal 
des  logis  de  Marguerite  de  France,  duchesse  de  Berry, 
jouissait  parmi  les  savants  d'une  grande  réputation  :  hoino 
sermonis  et  moriim  elegantia  non  minus  qiiam  doctrinae 
nomine  spectahilia,  écrit  de  lui  Sainte-Marthe.  Il  avait  été 
l'élève  d'Erasme,  dont  il  ferma  les  yeux  à  Bàle  en  i536. 
Après  d'assez  nombreux  voyages,  il  s'était  fixé  à  Paris.  Il 
avait  épousé  la  veuve  de  Lubin  Dallier,  avocat  au  Parlement, 
une  femme  supérieure,  versée  dans  les  langues  anciennes  et 
dans  la  poésie  française,  Antoinette  de  Loynes  \  De  ce  mariage 
étaient  issues  trois  filles,  Camille,  Lucrèce  et  Diane  *,  dont 
Morel  avait  confié  l'éducation  à  Charles  Utenhove,  un  très 
docte  Gantois,  d'origine  patricienne,  qui  connaissait  au  moins 
sept  langues  \  Les   trois   sœurs  devaient  un  jour  faire  honneur 

'  C'est  du  moins  ce  qu'on  peut  conclure  d'une  lettre  de  du  Bellay  à  Morel, 
qui  se  termine  ainsi  :  «  De  vostre  maison  au  cloistre  Nostre  Dame  »  (édit.  P. 
de  Nolhae,  p.  4r)).  La  même  expression  se  rencontre  à  la  fin  de  la  lettre 
récemment  retrouvée  par  M.  de  Noltiac,  et  dont  j'ai  cité  le  principal  fragment 
dans  une  note  ci-dessus,  p.  3()1. 

-  Sur  J.  de  Morel,  consulter  son  Tombeau  {loannis  Morelli  tumuliis.  1583), 
publié  par  les  soins  de  sa  fille  Camille  ;  —  Sainte-Marthe,  Elogia  (l(j06). 
p.  1:ir>,  et  Poemata  (1006).  p.  227,  loannis  Morelli  Epicedium  ;  —  Gny  XUarâ, 
Dictionn.  du  Dauphiné.  Grenoble,  1864,  t.  II,  col.  1H6  ;  —  Dupré-Lasale, 
Michel  de  L'Hospital,  ISTo.  p.  97,  et  Bulletin  du  Bibliophile.  1880,  p.  375  ;  — 
P.  de  Nolhae,  Rcv.  d'hist.  liit.  de  la  France,  15  Juill.  1891),  p.  3:)1. 

^  Elle  collabora  notamment  au  Tombeau  de  Marguerite  de  Navarre  (1551). 
V.  La  Croix  du  Maine,  I,  55,  et  la  note  de  La  Monnoye. 

'  La  Croix  du  Maine,  I,  26,  99,  166,  et  II,  68:  —  du  Verdier,  I,  283. 

^  La  Croix  du  Maine,  I,  119  ;  —  du  Verdier,  1,  310  ;  —  Colletet,  notice 
inédite,  mscr.  Durand  de  Lançon,  f"  489  r°.  (Bibl.  Nat.  —  Nouv.  Acq.  Fr.  3073). 


RETOUR     EN    FllANCE  391 

à    leui"  maître,    et    déjà    l'aînée   s'annonçait  comme   un   prodige. 
Elle  était,   nous  dit  du  Bellay,  le  vivant  portrait  de  son  père  : 

Morello  similis   suo   Camilla 

Sic  est,  tam  simile  haud  sit  ovum  ut  ovo. 

A   dix  ans,    elle    parlait    le    i^frec,    écrivait    l'hébreu,    composait 
des  vers   latins  et   français  \ 

Morel,  qui  par  lui-même  produisait  peu  %  s'entourait  vo- 
lontiers de  beaux-esprits  et  de  savants.  Sa  maison  de  la  rue 
Pavée,  près  l'église  Saint- André-des-Arcs,  était  le  rendez-vous 
de  tous  les  amis  des  lettres  et  comme  le  temple  des 
Muses,  tanqiiam  sacra  Mnsariim  aedes,  dit  Sainte-Marthe, 
qui  la  fréquenta  dans  sa  jeunesse.  Là  venaient  Jean  Mercier, 
le  beau-fils  de  Morel,  successeur  de  Yatable  dans  la  chaire 
d'hébreu  au  Collège  Royal  ;  Michel  de  L'Hospital  \  qui  lisait 
dans  l'intimité  ses  élégantes  poésies  latines  "  ;  Salraon  Macrin, 
alors  au  faîte  de  la  gloire  ;  Dorât,  avec  ses  deux  fidèles, 
Ronsard  '  et  Baif  "  ;  Lancelot  Caries,  évéque  de  Riez  ;  Jérôme 
de   la    Rovère,   évêque  de   Toulon  '  ;  beaucoup   d'autres   encore. 

*  Poemata.  f"  32  r°  :  De  Camilla  lani  Morelli  F.  —  L'éloge  de  du  Bellay 
contient  quelque  exagération.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  Camille  de 
Morel  fut  une  des  femmes  les  plus  savantes  de  son  époque.  Ses  œuvres, 
disséminées  un  peu  partout,  n'ont  jamais  été  recueillies.  On  trouvera  des 
spécimens  de  ses  vers  grecs,  latins  et  français  dans  le  Morelli  tumnlns. 
(Bibl.  Nat.  —  Rés.  mY'.  811). 

-  Ses  œuvres,  elles  aussi,  sont  éparses.  V.  à  ce  sujet  Dupré-Lasale,  Balle- 
tin  du  Bibliophile,  1880,  p.  373. 

'  La  maison  de  L'Hospital  était  voisine  de  celle  de  Morel,  sur  la  paroisse 
Saint-André-des-Arcs.  Sa  femme.  Marie  Morin,  fut  marraine  de  Lucrèce  de 
Morel,  le  mercredi  Ifi  janA'ier  1,548.  (Ilegist.  de  Saint-André-des-Arcs,  cité 
par  Dupré-Lasale,  Michel  de  L'Hospital,  p.  99,  n.  1). 

*  V.  la  thèse  latine  de  M.  Schrœder,  Quid  de  moribus,  stiidiis  et 
latine  scribendi  génère  Michaelis  Hospitalis  ex  ejusdem  carminibus  con- 
cliidi  possit.  Paris,  llaciiette,  1899,   in-8'. 

5  Ronsard  a  souvent  loué  Morel  (Blanchemain,  11,  93  ;  111,  412  ;  IV,  80  ; 
V,  138  ;  VI,  230). 

"  Marty-Laveaux,  11,  352. 

'  P.  de  Nolhac,  Lettres  de  J.  du  Bellay,  p.  28,  n.  1. 


392  JOACBIM    DU   BELLAY 

Cette  maison  hospitalière,  du  Bellay  la  connaissait  bien. 
Que  de  fois  jadis,  avant  son  départ,  il  y  avait  trouvé  le  plus 
cordial  accueil  *  !  Que  de  fois,  à  Rome,  il  l'avait  regrettée  '  ! 
Il  n'est  pas  douteux  qu'après  son  retour  il  n'en  ait  été  l'un 
des   hôtes   les  plus  assidus. 

Jusqu'à  sa  mort,  du  Bellay  nourrit  pour  Morel  une  afiec- 
tion  toujours  plus  vive,  et  le  gentilhomme  d'Embrun  devint, 
aux  dépens  de  Ronsard,  son  véritable  ami  de  cœur.  Les 
lettres  du  poète  en  disent  long  sur  le  caractère  tout  à  fait 
intime  de  cette  amitié.  Lorsqu'il  parle  à  Morel,  du  Bellay  le 
nomme  son  «  frère  ».  Il  lui  demande  anxieusement  des  nou- 
velles de  sa  santé,  de  celle  de  sa  femme  et  de  sa  fille 
Camille,  a  nostre  Camille  » ,  comme  il  l'appelle  \  En  même 
temps,  il  le  tient  au  courant  de  ses  travaux,  et  le  consulte 
comme  on  consulte  un  liomme  de  goût  ".  Il  use  de  son 
entremise  pour  présenter  ses  œuvres  aux  grands  dont  il 
recherche  la  protection  ^  Lorsqu'il  est  souffrant  ou  pressé  de 
besogne,  il  le  mande  chez  lui  pour  lui  communiquer  ce  qu'il 
a  d'important  :  «  Vous  sçavez,  lui  dit-il.  qu'en  tous  mes 
petiz  affaires  j'ay  tousjours  recours  à  vous  comme  ad  sacram 
anchorarn  ".  »  Enfin,  quelque  temps  avant  de  mourir,  c'est  à 
ce  fidèle  Pylade  (Pyladem  suiim)  qu'il  confia  ses  pensées 
dernières  et  les  douloureux  secrets  de  son  cœur,  dans  cette 
plaintive  élégie   qui   fut   comme  son   testament. 


'  V.  la  dédicace  à  Morel  du  recueil  de  lao2,  et  surtout  la  lin  de  cette 
dédicace  (II,  338).  Cf.  le  sonnet  A  Monsieur  de  Morel  (II,  139). 

-  Outre  les  sonnets  des  Heffrets  dédiés  à  Morel,  v  Poemala,  f»  'J  v"  :  In 
vitae  quietioris  conimendationeni  ad  I.  Morelluni. 

•''  Lettres,  p.  24. 

*  Lettres,  p.  25-26  et  29-30. 

*  Lettres,  p.  31,  35,  45. 
«  Lettres,  p.  32-33. 


RETOUR     EN     FRANCE  393 


IV 


L'amitié  de  Morel  fut  d'autant  plus  précieuse  à  du  Bellay 
que,  pendant  les  deux  ans  qu'il  vécut  encore,  il  eut  à 
subir  mainte  épreuve.  Il  s'imaginait  bonnement  avoir  laissé 
tous  les  tracas  à  Rome.  A  peine  fut-il  de  retour  qu'il  en 
trouva  d'aussi  pesants  à  son  foyer.  Que  s'était-il  passé  durant 
son  absence  ?  Et  quels  ennemis  abritait  son  manoir  solitaire  ? 
Il  ne  le  dit  pas  avec  précision  '.  Mais  un  beau  sonnet  à 
Dorât,  en  réponse  à  sa  pièce  de  bienvenue,  nous  le  montre 
accablé   de    tourments   au   point  de  regretter  l'Italie  : 

Et  je   pensois  aussi  ce  que  pensoit   Ulysse, 
Quil  n'estoit  rien  plus  doulx  que  voir  encor'  un  jour 
Fumer  sa  cheminée,    et    après  long  séjour 
Se   retrouver  au   sein  de   sa  terre  nourrice  '. 

Je   me  resjouissois  d'estre  eschappé   au  vice, 
Aux  Circes   d'Italie,    aux  Sirènes  d'amour, 
Et    d'avoir  rapporté   en   France   à  mon   retour 
L'honneur   que   l'on   s'acquiert   d'un   fidèle    service. 

Las.    mais  après  l'ennuy  de  si   longue   saison. 
Mille   souciz  mordans  je   trouve   en   ma  maison. 
Qui    me   rongent  le  cœur   sans  espoir   d'allégence. 


'  Peut-être  faut-il  voir  une  vague  allusion  à  ces  faits  très  obscurs  dans 
le  sonnet  liminaire  des  Regrets  :  Si  quelque  envieux  te  pince,  dit  l'auteur 
à  son  livre,  souhaite-lui  les  maux  que  j'ai  soufferts. 

Et  qu'on  mange  son  bien  pendant  qu'il  est   absent. 

*  Ce  début  est  repris  de  ces  vers  de  Dorât,  dans  la  pièce  indiquée  plus 
haut,  §  II,  p.  389. 

Tu  quoque  dulce  puta,  quod  et  ipse  putabat  Ulysses, 
Fumantes  patriae  posse  videre  focos  . . . 

etc. 


30't  .lOACHIM    DU    BELLAY 

Adieu  donques  (Dorât)  je   suis  encor'^  Romain, 

Si  Tare  que  les   neuf  sœurs    te  misrent  en  la   main 

Tu   ne  me  preste   icy.    pour   faire   ma   vangence  '. 

Des  tracas  domestiques  et  de  nouveaux  procès  attendaient  ce 
second  Ulysse.  Il  n'en  fut  pas  quitte  de  si  tôt  :  les  affaires 
étaient  compliquées  :  au  mois  de  juillet  i559,  le  malheureux 
s'y   débattait   encore  ■. 

Toutefois,  ces  ennuis  ne  l'empêchèrent  point  de  songer  à 
sa  renommée.  Depuis  quatre  ans  qu'il  était  hors  de  France, 
ou  avait  eu  le  temps  de  l'cublier.  Il  était  impatient  de 
reprendre  sa  place  dans  le  chœur  des  poètes,  à  côté  de 
Ronsard,  en  tête  de  la  jeune  école.  Il  se  mit  donc  en  mesure 
de  donner  au  public  les  divers  recueils  qu'il  avait  composés 
à  Rome.  Il  se  hâta  de  prendi'e  les  privilèges  nécessaires  % 
et  la  même  année  1558  vit  paraître  coup  sur  coup  les  Anti- 
qiiitez  de  Rome ,  les  Poemata ,  les  Regrets  et  les  Jeux 
Rustiques. 

'  Regrets,  s.  130.  Ce  sonnet  est  la  réduction  d'une  pièce  des  Poemata, 
f  '  31  V  :  Ad  lanum  Auratnm.  La  pièce  latine  n'est  guère  plus  précise  que 
le  sonnet.  On  y  lit  cependant  : 

Edunt  mille  proci  :  procos  vocare 

Si  curas  liceat,  malasque  lites, 

Quae  nostrum  maie  coreulum  perurunt, 

Quae  nostras  penitus  vorant  meduUas. 
Du  Bellay,  (jui  compare  son  sort  à  celui  d'Ulysse,  ajoute  mélanei)li(|uement  • 

Saltem,  si  qua  milii  domi  pudiea 

Foret  Pénélope,  piusque  natus, 

Longaevus  «^euitor.  satraxque  nutrix. 

Qui  lacti  exeiperent,  piisque  fessum 

Koverent  manibus  !  Nihil  sed  horum 

llepertum  mihi  :  ne  vêtus  quidem  me 

Agnovit  domiaum  canis. 

■'  Lettre  au  cardinal  du   Bellay  (31  juillet   i;5b9)  :  «   Monseigneur,  si  mon 

indisposition  et  les  affaires,  qui  me  tiennent  par  deçà  pour  la  conservation 

de  ma  maison,  m'eussent  permis  de  vous  aller  trouver...   «  Lettres,  p.  41. 

'  Le    17  janvier  i'.).)!  (n.  s.  lo38)  pour  les  Regrets  et  les  Jeux   Rustiques, 

le  3  mars  pour  les  Antiquitez  de  Rome  et  les  Poemata. 


CHAPITRE    VII 


LES    «  JEUX  RUSTIQUES 


I.  —  Caractère  des  «  Jeux  Rustiques  »  .  —  Division  du  recueil.  — 
L'inspiration    élégiaque.    —   Fâcheux    retour    au    pétrar- 
quisme.  —  Les  deux  «  Baisers  ». 
II.  —  L'inspiration  satirique.—  Formes  diverses  qu'elle  affecte.— 

L'esprit  de  du  Bellay. 
III.  —  L'inspiration   rustique.  —  Les  u  Vœuz  rustiques  »  de  Nau- 
gerius.  —  Valeur  du  recueil. 


Les  Jeux  Rustiques  sont  le  dernier  recueil  rapporté  d'Italie 
par  du  Bellay  '.  L'auteur  nous  avertit  lui-même  qu'il  l'a  fait 
comme  en  se  jouant,  aux  heures  de  loisir  et  de  récréation. 
Il  ne  faut  donc  pas  y  chercher  une  œuvre  savamment  tra- 
vaillée   :    ((    Geulx     qui    sont    ou   si    sévères,    que   rien   ne   leur 


*  Divers  Jeux  rustiques  et  autres  œuvres  poétiques  de  loachiin  du  Bellay 
Angevin.  Paris,  Federic  Morel,  loj8,  in-4''.  Privilège  daté  de  Paris,  17  janv. 
1557  (n.  s.  1538).  —  L'édition  originale  se  compose  de  39  pièces,  y  compris  la 
dédicace  à  Duthier  (Marty-Laveaux,  II,  289-406).  Cinq  autres  pièces  ont  été 
jointes  au  recueil  dans  les  éditions  postérieures  (Marty-Laveaux,  11,  406  419). 
—  Dans  ce  chapitre,  je  citerai  d'ajirès  l'édition  I.  Liseux  (Paris.  1875,  in-32), 
qui  reproduit  fidèlement  l'édition  originale. 


39G  JOACHIM    DU   BELLAY 

plaist  s'il  n'est  plein  de  doctrine  et  antique  érudition,  ou  si 
délicatz.  que  leurs  oreilles  rejectent  toutes  choses,  si  elles  ne 
sont  élabourées  en  perfection,  le  tiltre  du  livre  les  admoneste 
de  ne  passer  plus  avant.  »  (Au  Lecteur).  —  Avec  la  spon- 
tanéité, le  caractère  le  plus  saillant  de  ce  recueil,  c'est  son 
extrême  variété.  On  y  rencontre  un  peu  de  tout,  comme  si 
l'auteur  avait  voulu  résumer  dans  cette  œuvre  ses  divers 
talents  poétiques.  On  peut  cependant  grouper  sous  trois  chefs 
les  pièces  qui  la  constituent,  suivant  qu'on  y  retrouve  l'in- 
spiration élégiaque ,  l'inspiration  satirique  ou  l'inspiration 
rustique  '. 

Des  pièces  élégiaques,  je  dirai  peu  de  chose  :  c'est  la 
partie  la  moins  nouvelle,  partant  la  moins  intéressante.  Du 
Bellay  se  souvient  qu'il  a  jadis  écrit  Y  Olive  :  il  fait  un 
retour   vers   le  pétrarquismc. 

Chant  de  V Amour  et  du  Primtemps  (p.  3o),  Chant  de 
V Amour  et  de  V  Hjyver  (p.  39),  voilà  des  titres  éloquents  : 
l'imagination  se  plaît  à  rêver  quelque  hymne  gracieux  ou 
mélancolique.  Mais  le  rêve  est  trompeur  :  le  poète  n'a  rien 
tiré  de  cette  alliance   de   la   nature   et  de   l'amour. 

La  nature  l'a  mieux  inspiré  dans  la  Métamorphose  d'une 
rose  (p.  i53),  en  lui  fournissant  quelques  fraîches  images.  Il 
s'agit   d'une   veuve   dont   le   destin   a   fait   une  rose  : 

Je   suis,    comme  j'estois,    dodeur   naïve   et    franche, 
Mes   bras  sont  transformez   en   épineuse   branche, 
Mes  piedz   en   tige   verd,    et   tout   le   demeurant 
De   mon   coi'ps   est   changé  en  rosier   bien   fleurant. 


'  Je  laisse  de  côté  le  Combat  d'Hercule  et  d'Acheloys  (p.  2:i),  médiocre 
paraphrase  d'Ovide,  Métam.,  IX,  1-10(J,  —  et  la  navrante  Épitaphe  d'unjlam- 
beau  (p.  107). 


LES     ((    JEUX    RUSTIQUES    ))  397 

Les   grâces,    dont  le  ciel  in'avoit  favorisée, 
Or'    que   rose  je   suis,    me   servent   de    rosée  : 
Et  l'honneur  qui  en   moy  a   fleury  si  long   temps, 
S'y  garde   encor'   entier    d'un    éternel   printemps. 

La   plus   longue  frescheur   des   roses   est  bornée 
Par  le   cours  naturel  d'une   seule  journée  : 
Mais   ceste  gayeté   qu'on   voit   en    moy   fleurir. 
Par    l'injure    du   temps  ne   pourra   dépérir. 

Les  poésies  intitulées  De  sa  peine  et  des  heautez  de  sa 
dame  '  (p.  4").  Élégie  d'amour  (p.  69),  Chanson  (p.  jS),  Élégie 
amoureuse  (p.  117),  ne  sont  le  plus  souvent  que  de  subtiles 
discussions  de  galante  casuistique.  Je  ne  vois  guère  à  déta- 
cher que  le  passage  où  du  Bellay,  cherchant  à  expliquer  la 
naissance  de  l'amour,  formule  la  théorie  du  Je  ne  sais  quoi 
(P-  71)  : 

J'ay   plusieurs  poincts,  que  je  pourois  induire 
A  ce  propos,  si  je   voulois   déduire 
Ce   faict   au   long,    et  démonstrer  comment 
L'amour   s'engendre    en    nous   premièrement, 
Quelle  est   sa  fin,    son  essence,   et  nature, 
D'où  vient    souvent   qu'on   ayme  à   l'aventure 
Un   incogneu,    et  ne    sçait   on   pourquoy, 
Fors  que    Ion  trouve    en  luy  je  ne   sçay   quoy, 
Qui   à   l'aymer  par   force  nous    incite, 
Gomme   le   fer,   qui    suyt   la   calamité. 

Le  reste  est  pur  galimatias.  Ce  qui  manque  à  ces  poésies 
soi-disant  amoureuses,  c'est  la  sincérité.  L'auteur  exprime  à 
quelque  Iris  en  l'air,  aussi  peu  réelle  qu'(31ive.  une  passion 
qu'il  ne   sent  point  :    il   n'y   a  là   rien   de   vécu  : 

*  A    remarquer    dans    chaque    strophe  le   développement   quinaire  des 
idées. 


398  JOACHI.M    DC    BELLAY 

Mal  volun tiers   chante   la   bouche 
De   l'amour    qui   au   cueur  ne   touche, 
comme   il   l'avoue  lui-même    à   son   ami  Magny. 

Ce  dernier  lui  ayant  dédié  une  ode  Des  grâces  et  perfec- 
tions de  s'am/e  *,  du  Bellay  lui  répondit  par  une  ode  du 
même  genre  Sur  les  perfections  de  sa  dame  (p.  5o).  Sa  pièce 
est  évidemuient  très  supérieure  à  celle  de  Magny.  Ce  qui 
nVen  plaît  surtout,  c'est  que  le  poète  entrouvre  son  àme  et 
s'abandonne  aux  confidences.  Du  temps  que  j'étais  amoureux, 
nous  dit-il.  je  n" aimais  que  laniom*,  je  ne  songeais  qu'à  lui, 
je  ne   savais   chanter  ({ue  lui  :   je   vivais  dans  un   rêve. 

Mais  depuis  que  Tàge,  et  le  soing, 
Me  faisant  regarder  plus  loing, 
M'osta  ce  voyle,  et  que  les  choses 
Véritables  se  sont  décloses, 

J'ay  rougy  de  me  voir  déceu. 
Et  depuis  ma  lyre  n'a  sceu 
Chanter  l'amour,  et  rien  ma  Muse 
Rien  tant  que  l'amour  ne  refuse. 

Il  se  trompait  :  il  était  encore  capable  de  bien  chanter 
l'amour,  mais  à  la  condition  de  renoncer  au  pétrarquisme.  Je 
n'en  veux  pour  pi'euve  que  ces  deux  baisers  où  respire  la 
plus  ardente  volupté.  Tous  deux  s'adressent  à  Faustine  :  c'est 
tout  dire.  Le  premier  (p.  78)  la  célèbre  sous  le  doux  nom  de 
Coluinhelle  : 

Sus.  ma  petite  Columbelle, 

Ma  petite  belle  rebelle, 

Qu'on  me  paye  ce  qu'on  me  doit  : 

Qu'autant  de  baysers  on  me  donne. 

Que  le  poète  de  Véronne 

A  sa  Lesbie  en  demandoit. 

'  Magny,  Odes.  édit.  Courbet  (1876),  t.  H,  p.  IH. 


LES     ((    JKUX    RUSTIQUES    ))  399 

Mais  pourquoy  te  fay-je  demande 
De  si  peu  de  baysers,  friande, 
Si  Catulle  en  demande  peu  ? 
Peu  vrayment  Catulle  en  désire, 
Et  peu  se  peuvent-ilz  bien  dire, 
Puis  que  compter  il  les  a  peu. 

De  mille  ileurs  la  belle  Blore 
Les  verdes  rives  ne  colore, 
Cérès  de  mille  espicz   nouveaux 
Ne  rend  la  campagne  fertile, 
Et   de  mille  raisins,  et  mille 
Bacchus   n'emplist  pas  ses   tonneaux. 

Autant   donc   que   de   fleurs  fleurissent, 
D'espicz   et   de   raisins  meurissent, 
Autant   de   baysers   donne   moy  : 
Autant  je   t'en  rendray   sur  l'heure, 
Afin   qu'ingrat  je    ne   demeure 
De  tant  de  baysers   envers   toy. 

Mais   sçais-tu  quelz  baysers,   mignonne  ? 
Je  ne  veulx   pas   qu'on  les   me   donne 
A  la  Françoise,    et   ne  les   veulx 
Tels   que  la  Vierge  chasseresse 
Venant  de  la  chasse  les   laisse 
Prendre  à  son  frère  aux  blonds  cheveux  : 

Je  les  veulx  à   l'Italienne, 

Et  telz  que  l'Acidalienne 

Les   donne   à   Mars  son  amoureux  : 

Lors  sera   contente  ma  vie. 

Et  n'auray  sur  les  Dieux  envie, 

Ny  sur  leur   nectar  savoureux. 

Que  de  grâce  câline  en  ces  jolis  vers,  tout  à  fait  dignes  de  Catulle  *  ! 
1  Cf.  Catulle,  Cann.  V  et  VII. 


4(X)  JOACHIM    DU   BELLAY 

—  Je    ne    trouve    pas    moins    exquis    l'autre    baiser  *   (p.  80)   : 

Quand  ton   col   de   couleur   de   rose . . . 
Mais  je   ne  puis   songer  à   tout  citer. 

On  sait  si  la  poésie  du  xvi^  siècle  fut  féconde  en  baisers  : 
on  en  pourrait  faire  un  volume.  Ronsard,  Baïf,  Belleau, 
Magny,  Tahureau,  Grévin,  en  composèrent  tour  à  tour  ; 
c'était  à  (jui  ferait  revivre  Catulle  et  Jean  Second.  Notre 
poète  n'en  a  que  deux  sur  la  conscience  :  ils  ont  tant  de 
saveur  qu'il  faut  fermer  les  yeux  sur  ce  qu'ils  ont  d'un  peu 
lascif. 


II 


La  satire  tient  une  grande  place  dans  le  recueil  des 
Jeux  Rustiques,    et   cela    sous   toutes    ses   formes. 

La  satire  littéraire  est  finement  représentée  par  le  spiri- 
tuel pamphlet  Contre  les  Pétrarquistes  (p.  61).  La  pièce  avait 
déjà  paru  sous  le  titre  A  une  Dame,  en  i553.  Du  Bellay  l'a 
reprise  et  remaniée  heureusement.  Puisque  j'en  ai  fait  l'analyse 
ailleurs  *,  inutile  d'y  revenir.  Peut-être  s'étonnera-t-on  de 
trouver  cette  pièce  au  milieu  d'un  recueil  qui  contient  plu- 
sieurs poésies  pétrar([uistes  ;  mais  nous  n'en  sommes  plus  à 
compter  les   contradictions   de   Joachim. 

A  la  satire  morale  il  faut  rattacher,  —  outre  une  médiocre 
invective  Contre  une  vieille  '  (p.  112),  où  du  Bellay  refait 
VAntérotique,  —  trois  pièces  réalistes  qui  mettent  sous  nos 
yeux  la  vie  des  courtisanes  à  Rome.  Deux  d'entre  elles, 
la  Courtisanne  repentie  (p.  120)  et  la  Contre-repentie  (p.  i25), 
sont  traduites  du  latin  de  Pierre  Gilbert,  un  poète  de  Tou- 
louse  que   du   Bellay  connut    à    Rome,    mais   dont  les   vers   ne 

'  Il  est  repris  dune  pièce  latine  (Poeinata,  f»  il  r"  :  Basia  Faiistinae). 
*  V.  ci-dessus,  1"  part.,  chap.  vi,  §  vu,  p.  195  sqq. 
'  Du  Bellay  s'inspire  d'Ovide,  Amor.  I,  viii. 


LES     «    JliUX    RUSTIQUES    ))  'iUl 

sont  pas  venus  jiisquà  nous  '.  Lu  Iroisiènie,  lii  ViciUe  Coiiv- 
lisanne  (p.  i3i),  loiil  en  s'inspirant  par  endroits  des  Dialo- 
gues de  l'Arétin,  a  vraiment  la  valeur  d'une  œuvre  originale  : 
c'est  un  tableau  de  nuieurs  <[ui  préeise  et  eonipIMe  certaines 
peintures  des  liegi-ets.  Dans  ce  curieux  poème,  nous  rece- 
vons les  eonlidences  d'une  ancienne  courtisane  qui,  parvenue 
à  la  vieillesse,  nous  raconte  en  détail  l'histoire  de  sa  vie  : 
sa  chute  première  avec  un  sert'  ;  ses  liaisons  successives 
avec  des  gentilshommes,  puis  avec  un  prélat  qui  l'achète 
((  comme  pucelle  »  .  la  l'ait  instruire,  lui  donne  maison  et 
valets,  satisfait  à  tous  ses  caprices,  et  quelle  trompe  par 
amour  de  la  liberté  ;  son  mariage  avec  un  jeune  homme  qui 
la  rudoie,  la  ruine  et  l'abandonne  ;  les  métiers  inavouables , 
conséquence  de  cet  abandon  ;  l'àpre  chasse  à  l'argent  ;  le 
repentir  momentané  qui  la  jette  au  couvent,  pendant  une 
semaine  sainte  ;  la  joie  de  vivre,  qui  l'en  fait  bientôt  ressortir; 
ses  folles  débauches  ;  sa  passion  véritable  pour  u  un  jeune 
audacieux  »  qui  ne  la  paie  point  de  retour  ;  finalement,  le 
déclin  de  ses  chai'mes,  les  maladies,  l'allreuse  pauvreté,  le 
travail  mercenaire  pour  nourrir  une  tille  en  bas  âge,  les  risées 
de  la  foule,  les  regrets  et  les  larmes,  en  attendant  la  mort 
prochaine,  La  vie  entière  des  courtisanes,  avec  leurs  plaisirs 
et  leurs  jeux,  leur  manière  de  s'attifer,  leur  éducation  artis- 
tique, et  jusqu'à  leur  science  de  la  magie,  tout  cela  j)asse 
devant  nous  dans  un  récit  vivant,  mouvementé,  d'une  langue 
facile  et  riche  et  colorée  ".  La  Vieille  Coiivtisanne  est  une  des 
œuvres  les   mieux  écrites  de    du  Bellay. 

On  trouve    dans  les  Jeux  Rustiques   divers  échantillons  de 

'  A  l'exception  d'un  seul  sonnet  qui  répond  au  s.  IGO  des  Soiispirs  de 
Magny,  édiU  Courbet,  p.  V\i.  —  Cf.  ci-dessus,  p.  34lt,  n.  G. 

-  M.  Marty-Laveaux  remarque  avec  raison  qu'il  n'est  pas  d'oeuvre  où 
du  Bellay  ait  introduit  avec  plus  de  bonheur  les  termes  étrangers  dont  il 
avait  besoin  pour  nous  donner  une  exacte  peinture  des  mœurs  romaines. 
[Langue  de  la  Pléiade,  I,  180). 

Univ.  de  Lille.  Tomr  VIII    \.  2(5. 


402  JOACHIM    DU    BELLAY 

satire  plaisante  et  badine.  La  pièce  A  Bertran  Bergier,  poëte 
dithjyramhir/ue  (p.  io3),  dans  sa  raillerie  légère,  est  moins 
curieuse  par  les  détails  qu'elle  contient  sur  l'œuvre  singulière 
du  camarade  de  Joachim.  que  par  la  profession  de  foi  qu'on 
s'étonne  d'y  rencontrer.  Hésiode,  s'écrie  notre  auteur,  Hésiode, 
ancien  bouvier  devenu  poète  soudain  pour  avoir  Jm  ù 
l'Hippocrène, 

Montra  que  la  seule  nature 

Sans  art,   sans   travail,  et  sans   cure. 

Fait  naistre  le  poëte,  avant 

Qu'il  ayt  songé  d'estre  sçavanl. 

Et  voilà  du  Bellay  cjui  plaide  la  cause  de  la  nalure  contre 
l'ai-t    : 

Aussi  les  vers  du  temps  d'Orphée, 

D'Homère,  Hésiode,  et  Musée, 

Ne  venoient  d'art,  mais  seulement 

D'un  franc  naturel  mouvemcnl. 

Les  bcrgiei's,  avec  leurs  musettes, 
Gardans  leurs  brebis  camnsettes, 
Premiers   inventèrent    les   sons 
De  ces   poëliiiues  cliansons. 

Depuis  geinant   tel  exercice 
Soidjs    un    misérable  artifice, 
(^e  qu'avoient   de    bon   les   premiers. 
Fui    corrompu    ])ar   les  derniers. 

De    là    vindrcnl    ces  Enéïdes. 

El   ces  fascheus(>s   Thébaïdes, 

Où   n'y   a    vers   sur   (pii    ses   doigls 

On    n'ayl   rongé    plus    de    cent    fois. 

l'oi'l   bien:  mais  ([uc  sonl  devenus  les  principes  de  hi  Deffence'l 
h'hj^ninc   de   la  Surdité  (p.  i5(j)     appartient    au    genre   ber- 


LES     ((    JEUX    HL'STigUES    ))  403 

nesquo.  C'est  eu  lisant  les  Italiens  que  du  Bellay  s'avisa 
(le  eette  œuvre  :  il  voulut  transporter  chez  nous  les  spirituels 
capitoli  de  Berni  et  de  son  école,  (t  Disant  sérieusement  des 
choses  boulTonnes  ou  Iblàtreuient  des  choses  graves...  le  poète 
bernesque  plaisante  pour  plaisanter,  uniquement  docile  aux 
caprices  de  sa  verve  joyeuse  '.  »  Cet  HjTnne  de  la  Surdité, 
que  l'auteur  dédie  à  Ronsard,  est  un  pur  badinage,  ou,  si 
l'on  veut,  un  paradoxe.  Pourtant  du  Bellay  se  détend  de 
toute   idée   paradoxale  : 

Je   ne   suis   pas   de  ceux,    qui  d'un   vers   triompliant 
Déguisent   une   mouche   en   forme  d'éléphant. 
Et   qui  de  leurs  cerveaux    couchent   à   toute   reste. 
Pour  louer   la   folie,    ou  pour   louer   la   peste  *. 

Mais  c'est  là  justement  le  piquant  :  du  ton  le  {)lus  sérieux,  il 
va  faire  l'éloge  d'une  infirmité  ([ui  n'a.  suivant  lui.  ipie  des 
avantages  : 

Je  diray  qu'estre  sourd  (à  (jui  la  différence 

Sçait  du  bien  et  du  nuil)  nest  mal  qu'en  apparence. 

En  effet,  ceux  ([ui  sont  nés  sourds  ne  sont  pas  malheureux, 
puisque,  ignorants  du  bien  (jui  leur  manque,  ils  ne  peuvent 
le  regretter.  Et  quant  à  ceux  qui  le  deviennent,  ô  combien 
leur  sort   est  enviable  !    Le    sourd   par  accident   se   voit 

Privé  d'un  peu  de  bien,  et  de  beaucoup  de  mal. 

S'il  ne  perçoit  plus  les  ((  doux  sons  ))  ni  les  ((  plaisants 
propos    »  ,    en   revanche   il  n'a   plus   à    souffrir 

L'ennuy  d'un  faulx  accord,  une  mauvaise  voix, 


'  J'emprunte  cette  définition  à  M.  Yianey,  Mathurin  Régnier,  p.  34. 
M.  Yianey,  qui  marque  nettement  (p.  60-61)  le  caractère  particulier  de 
l'Hymne  de  la  Surdité,  me  semble  un  peu  sévère  pour  du  Bellay. 

-  Berni  a  fait  un  éloge  de  la  peste,  le  Lasca  un  éloge  de  la  folie. 


404  JOACHIM    Dr    BELLAY 

Un  fascheux  instrument,  un  bruit,  une  tempeste, 
Une  cloelie,  une  forjïe,  un  l'ompement  de  teste, 
Le  bruit  d'une  cbarrette.  et  la  doulce  chanson 
D  un  asne.  ({ui  se  plaingt  en  effroyable  son. 

11  n'est  plus  exposé 

à  l'importun  caquet 
D'un  indocte  prescheur,  ou  d'un  fascheux  parquet, 
Au  babil  d'une  femme,  au  long  prosne  d'un  prestre, 
Au  gronder  d'un  vallet,  aux  injures  d'un  maistre, 
Au  causer  d'un  boullon,  aux  broquars  d'une  court, 
Qui  font  cent  l'ois  le  jour  désirer  d'estre  sourd. 

Et  du  Bellay  poursuit  son  énumération  des  bienfaits  de  la 
surdité.  Il  trouve  heureux  Ronsard,  qui  lui  doit  ce  <|u'il  est, 
et  regrette  pour  son  compte  de  n'être  plus  aussi  sourd  qu'au- 
trefois :  que  de  tracas  lui  seraient  épargnés  à  Rome  !  —  La 
conclusion    est   celle    d'un    hymne  ^    : 

Je  te  salue,  ô  saiucte  et  aime  Surdité  ! 

C'est  encore  des  badinages,  mais  non  plus  du  genre 
bernesque,  que  les  deux  Epitaphes  du  chien  Peloton  (p.  85) 
et  du  chat  Belaiid  (p.  89).  Il  faut  lire  d'un  bout  à  l'autre  ces 
deux  jolies  bluettes,  si  l'on  veut  avoir  une  idée  de  tout 
l'esprit  de  du  Bellay,  et  de  ce  qu'il  a  de  délicatesse  et  de 
grâce  légère.  C'est  du  meilleur  Marot.  Du  Marol?  Oui  vraiment, 
et  l'on  ne  voit  pas  sans  surprise  l'ancien  héraut  de  la  Deffence 
reprendre  un(;  ti'adition  qu'il  avait  condamnée  avec  tant  de 
superbe.  Qu'on  relise  l'épigramme  de  Marot,  De  la  chienne  de 
la  Roj'ne  Eleonor^.  ou  la  pièce  de  Sainl-delays,  Epitaphe  de 
la  heh'tlc  d'une  damoiselle  '\   et  l'on   verra  si  du  Bellay,  chan- 

'  Cf.  la  lin  de  la  plupart  des  Hymnes  de  Ronsard. 
-  Édit.  P.  Jannct,  III.  87. 
■'  Édit.  Blanchemain,  I,  ;)3. 


LES     «    JKUX    RUSTIQUES    ))  40o 

tant    Peloton   ou    Belaud,   l'ail    autre    choso  que   continuer,    avec 
infiniment  d'esprit,    l'œuvre  de  ses   prédécesseurs  '. 

Le  elief-d'œuvre  de  cette  partie  du  recueil,  c'est  évidenini<;nt 
YEpitaphe  de  Vabbé  Bonnet  (p.  97).  Pourtant,  ici  encore,  je 
ne  puis  m'empêcher  de  noter  que  Joachiui  suit  de  bien  près 
Marot,  en  s'essayant  au  g<;iire  de  l'épitaphe  Innuoi-istique  \ 
Est-il  besoin  de  dire  que  cet  abbé  Bonnet,  suivant  toute 
apparence,  n'a  jamais  existé  ?  Mais  le  poète  en  trace  un 
portrait  si  précis,  que  l'imaginaire  personnage  prend  à  nos 
yeux   la  consistance    d'un  être   réel  et   vivant  : 

Gy  gist  Bonnet,  qui  tout  sçavoit. 
Bonnet,  qui  la  prattique  avoit 
De  tous  les  secrets  de  nature. 
Dont  il  parloit  à  l'aventure, 
Car  il  eut  si  subtil  esprit, 
Qu'onq'  il  n'en  leut  un  seul  escripl. 
Bonnet  ne  leut  onq'  en  sa  vie 
Un  seul  mot  de  philosophie. 
Et  si  en  sçavoit.  ce  dit-on, 
Plus   qu'Aristote.    ny   Platon. 
Bonnet   fut   un   Docteur   sans  tiltre, 
Sans   loy,    paragraphe,    et   chapitre. 
Bonnet   avoit  leu  tous   autheurs, 
Fors   poètes   et   orateurs  : 


'  Pour  tout  concilier,  disons  que  les  deux  écoles  se  rejoignent  dans  l'An- 
tiquité :  l'Anthologie,  Catulle,  Ovide,  Stace,  Martial,  consacrent  de  gracieux 
souvenirs  à  des  animaux  aimés.  —  Après  du  Bellay,  la  Pléiade  s'est  plu- 
sieurs fois  exercée  dans  le  même  genre.  Cf.  Ronsard,  Epitaphe  de  Courte, 
chienne  du  Roy  Charles  IX;  Epitaphe  de  la  barbiche  de  Madame  de  Villeroy 
(Blanchemain,  VII,  250  et  237)  ;  — Baïf,  Epitaphe  d'un  petit  chien  'Marty- 
Laveaux,  IV,  239)  ;  —  Belleau,  Epitaphe  du  cliien  Travail  (Marty-Laveaux, 
II,  112)  ;  —  Magny,  Epitaphe  du  chien  Ploton  [Odes,  Courbet,  II,  79).  Celte 
dernière  pièce  offre  les  plus  grands  rapports  avec  celle  de  du  Bellay.  V.  à 
ce  sujet  la  thèse  de  M.  Favre,  p.  299-303. 

-  V.  notamment  dans  Marot  VEpitaphe  de  Jean  Serre,  excellent  joueur 
de  farces,  édit.   P.  Jannet,  II,  21o. 


40fi  JOACHIAf    DL'    BELLAY 

D'histoires,  ot   raathématiqiK^s. 
Et  telles   sciences  antiques, 
Ils  s'en  moccpioit  :   au  demeurant 
De   rien   il    nestoit   ignorant. 

Je  ne  cite  (pie  le  début  :  le  reste  est  dans  le  nièiue  ton. 
Nulle  part  du  Bellay  n*a  montré  ])lus  de  verve.  Ce  n'est 
plus  la  raillerie  sardonique  des  Regretfi  :  la  satire  ici  n'a 
plus  rien  d'amer.  Le  poète  se  laisse  aller,  sans  âpre  arrière- 
pensée,  à  la  fantaisie  d'un  badinage  ([ui  l'amuse  autant  pour 
1(^    moins   qu'il    amusera    son    lecteur  '. 


III 


Cette  humeur  facétieuse  fait  contraste  avec  la  grande 
siuqdicité,  j'allais  dire  la  nudité,  qui  caractérise  les  pièces 
cliampètres.  les  dernières  dont  j'aie  à  parler,  les  plus  neuves 
à  coup  sur.  et  d'où  vient  son  titre  au  recueil.  Poète  rus- 
tique, du  Bellay  le  fut  avec  distinction.  «  Il  y  était  naturel- 
lement préparé  par  toute  son  enfance  de  petit  campagnard  . 
dans  la  molle  et  tlouce  terre  d'Anjou  *.  »  Toutefois,  et  la  chose 
est  curieuse,  ce  n'est  pas  de  lui-même  qu'il  est  allé  vers  la 
campagne  :  il  l'a  retrouvée  à  travers  des  modèles.  Il  est  vrai 
qu'il  a  su  la  sentir  dans  ces  modèles  mêmes,  qu'il  l'a  peinte 
ensuite  à  sa  façon,  dune  manièi'e  toute  charmante  et,  dans 
certains    cas,    voisine   de  la    perfection. 

'  11  faudrait  rattacher  à  ces  poésies  satiriques  les  pièces  postérieures  à 
l'édition  originale.  l'Epitaphe  du  passereau  de  Madame  Marguerite  (II,  40(î), 
est  sans  valeur.  Le  Sonnet  à  Baïf  (II,  419)  sur  les  comparatifs  et  les  super- 
latifs est  trop  connu  pour  insister.  Quant  à  la  Satyre  de  Maistre  Pierre  du 
f'uiffnet  (II.  40S),  elle  se  rapporte  à  la  mémorable  querelle  de  Ramus  et  de 
Galland  :  la  (jnestion  est  traitée  tout  au  long  par  Watldington,  Ramus,  sa 
vie,  ses  écrits  et  ses  opinions,  18So,  p.  S9-97.  cl  par  Lenient,  La  Satire  en 
France  au  xvi'  siècle,   1877.  t.  II.  p.  2t9-:i23. 

-  Faguet,  Seizième  siècle,  p.  312. 


LES     ((    JEUX    RUSTIQUES    ))  407 

Virgilo  lui  l'ut  un  inuidi^  oxcollont.  Srduit  d'abord  pai-  ce 
poème  savoureux  qui  s'a]){)olle  le  Moretuni,  il  le  (it  passer  en 
français  (p.  4)-  mais  il  eut  soin,  au  lieu  de  le  traduire,  de 
le  transposer  librement,  remplaçant  le  paysan  Simylus  par  le 
paysan  Marsault,  et  sa  servante,  l'africaine  Scybale,  par  la 
limousine  Gatou  '. 

Deux  pièces  empruntées  à  Bend:>o  ^ .  Complainte  des 
Satyres  aux  Nymphes  (p.  82)  et  Sur  un  chappelet  de  roses 
(p.  84) .  nous  permettraient  ég'alement  de  constater ,  —  la 
seconde  surtout,  —  que  du  Bellay,  lorsqu'il  imite,  sait  con- 
server  une   certaine   indépendance. 

Mais  j'ai  hâte  d'arriver  aux  Vœuz  rustiques  du  latin  de 
Naugerius  (p.  10-21).  Un  noble  Vénitien,  André  Navagero 
(i483-i529),  qui  se  distingua  comme  ambassadeur  de  la  Répu- 
blique auprès  de  Charles-Quint  et  de  François  I".  s'était  fait 
un  nom,  parmi  les  lettrés  de  la  Renaissance,  comme  orateur 
et  comme  poète  \  Il  avait  h^  goût  si  classique,  que  chaque 
année  il  brûlait  un  exemplaire  de  Martial  en  l'honneur  de 
Catulle.  Sous  le  nom  de  Naug-erivs.  il  avait  publié  des  poé- 
sies latines,  d'une  grande  pureté  de  diction  \  Elles  étaient 
dans  toutes  les  mains,  quand  du  Bellay  fit  le  voyage  d'Italie. 
Notre  auteur  les  connut  ;  il  en  goûta  la  grâce  et  la  simpli- 
cité ;    puis   l'idée  lui  vint    de    les    reproduire.   C'est   ainsi  que 


'  Goujet,  Bibl.  franc.,  V,  212  :  «  C'est  peut-être  ce  que  Joachim  du  Bellay 
a  fait  de  meilleur  en  traduction.  Il  a  rendu  cette  pièce  avec  une  naïveté  qui 
plaît  encore.  » 

^  Ces  deux  pièces,  intitulées  Fauniis  ad  IVymphas  et  lolas  ad  Faunuin, 
se  trouvent  p.  7-8  du  petit  volume  Pétri  Bembi  carminum  libellus,  Venise, 
loo2.  (Bibl.  Nat  —  Y" .  7629).  Elles  ont  pris  place  dans  les  Deliciae  Poetariim 
Italorum,  t.  I,  p.  346-347. 

^  Sur  Navagero^  consulter  Niceron,  t.  XIII,  p.  361,  et  t.  XX,  p.  68. 

*  On  les  lira  dans  la  belle  édition  donnée  par  Comino  (Padoue,  171  S)  : 
Andreae  Naugerii,  patricii  veneti,  oratoris et  poetae  clarissimi  opéra  omnia. 
(Bibl.  Nat.  —  Z.  3879). 


408  JOACHIM   DU   BELLAY 

(les    liisiis    du  poète    vénitien    il    tira    douze   pièces,    ou   plutôt 
douze   bagatelles,    qui  sont  vraiment   d(»s  Jeux  rustiques  \ 

La  valeur  de  ces  pièces  est  assez  inégale.  La  pi*emière  A 
Gérés  (p.  lo),  est  une  pure  traduction  :  on  en  peut  dire 
presque  autant  de  la  dernière,  Estrene  d'un  tableau  (p.  20). 
Mais  dans  les  autres  éclate  une  réelle  oi'iginalité.  Comment 
du  Bellay  lobtient-il  ?  Tout  d'abord  il  francise  les  sujets. 
Il  donne  aux  personnages  des  noms  bien  campagnards  : 
Lycon,  Grocalis,  lolas,  Damis,  Hylax,  Amyntas,  Hyella, 
deviennent  dans  ses  vers  Robin,  Jannette,  Robinet,  Thenot, 
Hurauld,  Jacquet,  Isabeau.  Il  situe  la  scène  en  Anjou  (p,  14, 
16,  18,  20),  ce  qui  donne  à  ses  poésies  un  goût  prononcé  de 
teri'oii-.  Il  est  aussi,  dans  certains  cas,  plus  di^amatique  : 
tandis  que  c'est  Naugerius  qui  parle  pour  Idmon,  du  Bellay 
s'efface  pour  laisser  la  pai'ole  à  son  vanneur  de  blé  :  l'humble 
vanneur  revit  dans  la  prière  qu'il  jette  aux  vents.  Au  surplus, 
si  l'on  veut  ]nvn  saisir  comment  du  Bellay,  tout  en  traduisant, 
se  iiiontn^  ci'éateui'.  il  importe  de  rapprocher  l'imitation  et  le 
modèle.  Je  \o  ferais,  si  Sainte-Beuve  ^  ne  l'avait  déjà  fait 
pour  deux  de  ces  pièces  et  les  deux  meilleures,  la  chanson 
du  vanneiu"  et  l'offrande  à  Vénus,  et  s'il  n'avait  marqué  par 
d'heureuses  images  les  dons  propres  à  du  Bellay.  Passons 
donc  sur  ce  point,  et  disons  une  fois  de  plus  les  strophes 
chantantes   du   Vanneur  de   blé  (p.   12)  : 


'  M.  Marly-Lavcaux  ayant  commis  quelques  erreurs  (l.  II,  p.  555,  n.  62), 
j'indique  plus  cxaclcment,  d'après  l'édit.  de  17IS,  les  titres  des  pières  imitées 
par  du  Bellay  :  —  1»  Vota  Cereri  pro  terme  fruf^ihus  fp.  185);  —  2»  Vota  ad 
Auras  (p.  186)  ;  —  3"  et  4»  Vota  Thelesonis  Cereri,  Baccho  et  Pâli  dene  (p.  189)  ; 

—  5"  Lyconis  vota  Pani  deo  (p.  187)  ;  —  6»  Vota  lolae  Parti  agresti  deo 
(p.  186)  :  —  7»  Vota  Damidis  ad  Bacchum  pro  vite  (p.  186);  —  8"  Vota  Veneri 
ut  amantihus  faveat  (p     190)  ;  —  9*   Vota  Niconoës  ad  Dianam  (p.    190)  :  — 

—  10»  De  obitu  Hylacis  canis  pastorii  (p.  188)  :  11"  Thjrsidis  vota  Veneri 
(p.  187)  ;  —  12"  Imaginem  sui  Hjellae  niittit  (p.  207). 

-  Notice  surJ.  du  Bellay,  p.  350-352. 


LES     «    JKUX    RUSTIQUES    »  409 

A  VOUS,    troppc   légère, 
Qui  d'aile  piissagère 
Par   le    monde    volez, 
Et  d'un  sifflant  murmure 
L'ombrageuse  verdure 
Doulcement  esbranlez, 

J'offre  ces  violettes, 
Ces  lis,  et  ces  fleurettes, 
Et  ces  roses  icy, 
Ces    vermeillettes    roses, 
Tout  freschement  écloses, 
Et  ces  œilletz  aussi. 

De  vostre  doulce  halaine, 
Eventez  ceste  plaine. 
Eventez  ce  séjour  : 
Ce  pendant  que  j'ahanne, 
A  mon  blé,  que  je  vanne 
A  la   chaleur   du  jour. 

Le  petit  poème  A  Vénus  (p.  19),  tant  admiré  de  Sainte- 
Beuve  et  de  M.  Faguet,  est  plus  exquis  encore.  Je  ne  sais 
rien   de  plus   charmant  que  ce  début  : 

Ayant  après   long   désir 
Pris  de  ma  doulce   ennemie 
Quelques   arres   du   plaisir 
Que   sa  rigueur   me  dénie. 

Je   t'offre   ces   beaux    œillets, 
Vénus,  je  t'offre  ces  roses. 
Dont  les   boutons  vermeillets 
Imitent   les  lèvres  closes, 

Que  j'ay   baisé  i)ar  trois  fois, 
Marchant  tout  beau   dessoubs  l'ombre 
De   ce   buisson,    que  tu  vois  : 
Et  n'ay   sceu   passer  ce   nombre, 


41(J  JOACHIM    DU    BELLAY 

Pour  ce   que   la  mère  estoit 
Auprès  de   là.  ce  me  semble, 
Laquelle  nous  aguettoit  : 
De  peur   encores  j'en  tremble. 

A  cette  même  insjjiration  amoureuse  et  rustique ,  qui 
mêle  avec  tant  de  bonheur  le  naturel  de  Théocrite  et  la 
grâce  d'Anacréon ,  se  rattache  une  Villanelle  (p.  21).  La 
pièce  est  unique  en  son  genre  dans  l'œuvre  de  notre  poète, 
et  l'on  peut  le  regretter,  tant  celle-ci  vraiment  a  de  charme  ! 
Ici  du  Bellay  ne  doit  plus  rien  à  Naugerius  :  fond  et  forme, 
il    a  tiré    tout   de   lui-même  : 

En   ce  moys   délicieux, 
Qu'amour   toute   chose   incite, 
Un   chacun  à  ({ui  mieulx  mieulx 
La   doulceur  du   temps  imite, 
Mais   une   rigueur  despite 
Me  faict  pleurer   mon  malheur. 
Belle   et   franche  Marguerite. 
Pour   vous  j'ay  ceste   douleur. 

Dedans   vostre   œil   gracieux 
Toute   doulceur   est   escritte. 
Mais  la    doulceui-   de   voz   yeux 
En   amertume   est  confite. 
Souvent  la   couleuvre  habite 
Dessoubs    une  belle    fleur. 
Belle   et   franche   Marguerite, 
Poui"    vous    j'ay   ceste   douleur. 

Oi-  puis   ((ue  je   deviens   vieux, 
Et  que   rien   ne   me   profite, 
Désespéré   d'avoir  mieulx, 
Je  m'en   iray   rendre   hermite. 


LES     «    JEUX    RUSTIQUES    ))  411 

Je   m'en   iray    rendre    hormite, 
Pour   niioulx    ploiiiTi'   mou    malheur. 
Belle    et   l'ranclie    Margiiei-ite, 
Pour    vous  j'ay    ceste   douleur. 

Mais  si  la  laveur  ties  Dieux 
Au  bois  vous  avoit  couduittc, 
Où.   despéré  d'avoir  uiieulx, 
Je  m'en  iray  rendre  hermitc, 
Peult  estre  que  ma  j)oui'suite 
Vous  feroit  changer  couleur. 
Belle  et  Iranche  Marguerite, 
Pour  vous  j'ay  ceste  douleur  '. 

Considérés  dans  leui*  ensend)le.  les  Jeux  Rustiques  sont 
inférieurs  aux  Regrets.  L'œuvre  est  inégale  et  mêlée  : 
certains  uiorceaux  n'ont  rien  ([ui  les  distingue  des  poésies 
les  plus  médiocres  de  la  pi-emière  uianière.  Mais  des  pièces 
comme  le  Moretuin,  les  Vœuz  /'astiques,  les  Baisers,  les 
Epitaphes,  la  Vieille  Courtisanne,  sont  hors  de  pair  et  nous 
font  voir  avec  quelle  souplesse  le  talent  de  Joachiui  savait 
se  renouveler. 


'  Pour  être  complet  sur  les  vœux  rustiques,  je  dois  ajouter  qu'avant  du 
Bellay,  lionsard,  s'inspirant  de  VAnlholoi^ie  dans  le  Bocage  de  too4,  avait 
déjà  rimé  des  vœux  (Blancheniain,  VI,  410-411  ;  Martj-Laveaux,  VI,  3tj2-36;i). 
Après  du  Bellay,  le  vœu  devint,  pour  ainsi  dire,  un  genre  littéraire.  V.  les 
Odes  de  Magny  (Courbet,  II,  o9-63)  et  les  Passetems  de  Baïf  (Marty-Laveaux, 
IV,  233,  246,  289,  292,  293,  309.  335,  362,  364,  413,  414}. 


CHAPITRE    VIII 


LE  «  POETE  COURTISAN  '  » 

1559 


I.  —  La  plaquette  d'  I.  Quintil   du  Tronssay.   —    Son    caractère 

d'authenticité.  —  Problème  qu'elle  soulève. 
II.  —  La  «  Nouvelle  manière  de  faire  son  profit  des  lettres  ».  — 
Pierre  de  Paschal. 

III.  —  Le  «  Poète  Courtisan  ».  —  Analyse.  —  Confirmation   de  la 

«  Defience  ». 

IV.  —  Origine  et  portée  du  «  Poète  Courtisan  ».—  Saint-Gelays  et 

du  Bellay. 
V.  —  Valeur  du  «  Poète  Courtisan  »  :  la  première  satire  française. 


En  1559,  parut  à  Poitiers,  on  ne  sait  chez  quel  éditeur, 
une   plaquette  de   huit   feuillets   in-S**,    sous    le   titre    suivant  : 

'  Celte  étude  était  achevée  et  même  avait  obtenu  le  visa  de  la  Sorbonne, 
quand  j'ai  pris  connaissance  de  la  thèse  latine  de  M.  Clément  sur  Adrien 
Turncbe  (Paris,  Picard,  1899,  in-S").  Si  donc  je  me  suis  rencontré  sur  plu- 
sieurs points  avec  M.  Clément  (et  pour  ma  i)art  j'en  suis  heureux),  la  ren- 
contre est  toute  fortuite.  Dans  ces  conditions,  je  n'ai  pas  cru  devoir  rien 
changer  à  mon  texte.  Je  me  suis  contenté  d'ajouter  quelques  notes.  —  Pour 
être  sincère  jusqu'au  bout,  je  dirai  que  c'est  par  M.  Clément  que  jai  su 
l'existence  d'un  travail  qui  m'avait  échapi)é,  l'opuscule  de  M.  Bonnefon  sur 
Pierre  de  Paschal,  historiograpJie  dii  roi  \i522- 1565).  Paris,  Techener,  1883, 
in-4" . 


LE     «    POKTK   COURTISAN    »  413 

La  nouvelle  manière  de  faire  son  profit  des  lettren  :  tradnitte 
de  Latin  en  François  par  I.  Qaintil  du  Tronssay  en  Poic- 
tou.  Ensemble  le  Poëte  Courtisan  '.  —  En  i56o,  rimpriineui* 
Federic  Morel,  publiant  à  Paris  la  Monomachie  de  David  et 
de  Goliath,  ensemble  plusieurs  autres  œuvres  poétiques  de 
loachim  du  Bellay  Angevin  ',  l'cproduisait  dans  co  recueil 
la  plaquette  de  Poitiers.  —  En  1569,  Guillaume  Aubert  l'in- 
sérait à  son  tour  dans  son  édition  générale  des  écrits  de 
notre  poète,  et  depuis  loi-s,  les  deux  opuscules  de  i559  n'ont 
cessé  de   figurer  parmi  les  œuvres   de   du  Bellay. 

On  ne  saurait  mettre  en  doute  qu'ils  soient  bien  de  lui. 
Le  nom  d'Aubert,  ancien  ami  de  Joachim,  et  précisément 
natif  de  Poitiers,  nous  est  un  sûr  garant  de  leur  authenticité  : 
comment  croire  en  effet  qu'Auljert,  qui  devait  à  ce  double 
titre  savoir  nettement  à  quoi  s'en  tenir  sur  la  plaquette 
originale,  eût  fait  entrer  dans  son  édition  ces  deux  opus- 
cules, si  l'on  avait  pu  suspecter  un  seul  instant  leur  origine  ? 
J'ajoute  qu'il  suffit  de  les  lire  pour  avoir  l'impression  qu'ils 
ne  sont  pas  d'une  autre  main  que  les  Regrets  :  c'est  la  même 
finesse  de  raillerie,  la  même  fermeté  de  langue.  Parmi  les 
écrivains  du  temps,  je  ne  vois  personne  vraiment,  non  pas 
même   Ronsard,  à   qui   l'on    puisse   en   faire  honneur. 

Mais  une  fois  reconnue  cette  authenticité,  d'autres  ques- 
tions se  posent  :  pourquoi  du  Bellay,  qui  a  toujours  publié 
ses   œuvres    à     Paris,     a-t-il   publié     celle-là    à    Poitiers  ^  ?    et 


'  Celte  plaquette  est  rarissime.  11  en  existe  un  exemplaire  à  la  Bibl.  Nat. 
(Rés.  Y=.  1710).  Éd.  Fournier  l'a  reproduite  (1863)  dans  les  Variétés  histori- 
ques et  littéraires  de  la  Bibliothèque  elzévirienne,  t.  X,  p.  131-130.  Les  deux 
pièces  dont  elle  se  compose  se  trouvent  séparées  dans  l'édit.  Marty-Laveaux 
(I,  468;  II,  67). 

^  ln-4'>  de  50  ff .  chiflFrés . 

'  M.  Clément  (p  57,  n.  2)  estime  qu'on  est  en  présence  d'une  supercherie 
et  que  la  plaquette  fut  imprimée  à  Paris  même,  par  Federic  Moral.  Celte 
hypothèse  a  toutes  les  chances  d'être  la  vérité. 


414  JOACHIM    DU    BELLAY 

pourquoi  s'est-il  abrité  derrière  ce  pseudonyme,  7.  Qnintil 
du  Tronssaj-,  qui  rappelle,  sans  doute  à  dessein,  l'ancien 
factum  de  Barth.  Aneau  '  ?  Problème  délicat,  et  qui  reste  un 
des  plus   obscurs   que    présente   son   histoire. 


II 

La  plaquette  de  Poitiers  contient  d'abord  la  Nouvelle 
manière  de  faire  son  profit  des  lettres  (I,  468).  C'est  la  tra- 
duction d'une  épîti'e  latine,  dont  l'auteur  est  nonnné  par 
Aubert  à  la  table  des  matières  de  son  recueil  :  Monsieur 
Tornebus.  Adrien  Turnèbe  avait  publié  son  épître  sous  le 
vcjile  (le  l'anonj^me,  lan  io.^q  -  :  la  même  année,  du  Bellay  la 
mit  en    l'rançais. 

L'épitre  à  Léoquerne  '  est  une  mordante  satire.  Le  moyen 
(le  faii-e  son  profit  de  l'étude  des  lettres ,  dit  Turnèbe  en 
substance,  c'est  de  suivre  Mercure  en  même  temps  qu'Apollon: 
que  sei'l  d'être  savant,  si  l'on  ne  sait  pas  se  faire  valoir, 
se  pousser  en  Cour  et  piper  les  liommes?  Pour  cela,  que 
l'aiil-il  ?    11    iaut   d'aboi-d    avoir    vu    l'ilalie    : 

Car  c'est    de   là  que   xicnt    la   fine     niaichandise. 
Qu'en   bëant  on  admire,    et  cpie    si   hault   on  prise. 

Remarquons  au   passage  —  la   chose   est  d'importance  —  cette 
censure    de    l'italianisme  :    Turnèbe    se     montre     dès    i559    le 

*  Si  dans  ce  rappel  du  nom  de  Quintil  on  peut  voir  une  intention  satirique, 
le  reste  est  plus  embarrassant  :  l'initiale  /.  désigne  peut-être  le  prénom 
loachim  ;  quant  au  nom  du  Tronssaj,  Je  n'ai  pu  l'éclaircir. 

-  De  nova  captandae  utilitatis  e  literis  ratione  epistola,  ad  Leoquernum. 
Parisiis.  Apud  vlduaniP.  Attaignant,  i53g.  (Bibl.  Nat.  —  Y<;.  8716). —  L'épître 
de  Turnt'be  se  trouve  encore  à  la  p.  47  du  recueil  de  ses  poésies  publié  par 
Th.  Guarinus,  Bâle,  1368  (Bibl.  Nat.  —  Yc.  9599),  et  dans  les  Deliciae  Poetarum 
Galloruni.  t.  III,  p.  1037. 

'  Léoquerne  n'est  autre  que  Léger  du  Chesne,  un  ami  de  Turnèbe  et  de 
notre  poète  (Clément,  p.  ii7,  n.  1). 


LE     ((    POETE   COURTIPAN    ))  415 

préoui'sour  d'I^MU'i  Mslicnnc.  —  D'Ilalir  on  l'iippoi'tei'ti  le 
renom  do  «  grand  elerc  »  et  de  «  saige-sravant  »  .  C'est  la 
première  condition.  j)()ur  réussir  près  des  Franc^-ais,  de 
dépouiller    son   naturel,    de   se    l'aire    loul   Italien 

De  gestes   et   d'habits,   de   jjort  et  de   langage. 

Il  sera  bon  aussi  de  ((  se  faire  advoiier  de  quelque  cardinal  », 
de  quêter,  en  les  louant  eux-mêmes,  les  louanges  des  savants 
ou  de  ceux  que  la  Cour  décore  de  ce  nom,  surtout  de  gagner 
la  faveur  des    dames  ((  qui    ont   bruit   de    sçavoir  »   : 

c'est  le  chemin  plus  court  ; 
Car  si  tu  es  un  coup  aux  dames  agréable, 
Tu  seras  tout  soubdain  aux  plus  grands  admirable. 

Cela  ne  suflit  pas  encore  :  il  faudra  quelquefois,  pour  les 
dames  et  les   seigneurs, 

soit  en  vers,  soit  en  prose, 
Escrire  finement  quelque  petite  chose, 

mais  ne  rien  imprimer  ;  critiquer  ce  qu'impriment  les  autres, 
alîn  de  passer  poui-  un  connaisseur  ;  si  l'on  publie  soi-même, 
conserver  l'anonyme,  et  ne  revendiquer  son  œuvre  que  si 
le  succès  la  couronne  ;  enfin,  faire  sonner  très  haut  de 
grands  ouvrages  entrepris...  qu'on  se  garde  bien  de  jamais 
montrer. 

Pour  quelle  raison  du  Bellay  a-t-il  traduit  cette  satire  ? 
Est-ce  tout  simplement  par  admiration  pour  Turnèbe  '  ?  Est-ce 
à  cause  de  l'attaque  contre  l'Italie,  qui  cadrait  si  bien  avec 
ses  rancunes  ?  Ou  ne  serait-ce  pas  plutôt  à  cause  de  certain 
portrait   qui  termine   le   morceau  *  ? 

'  L'admiration  du  poète  pour  Turnèbe  est  attestée  par  une  pièce  des 
Xenia,  f°  12  v»  :  Adrianus  Tornebiis  Professer  Regius.  —  Cf.  une  autre  pièce 
publiée  dans  le  Turnebi  tumulus  (1o6d)  et  signalée  par  M.  Clément,  p.  77. 

-  M .  Clément  a  démontré  d'une  façon  irréfutable  (p.  57-69)  que  ce  n'est 
pas  ce  portrait  seul,  mais  la  pièce  tout  entière  qui  s'applique  à  Paschal. 


416  .lOACHIM    DU    BELLAY 

Quelque   autre   dit   avoir   enti-epris   un   ouvrage 

Des  plus  illustres  noms  qu'on  lise   de   nostre   âge,    . 

Et  ja  douze   ou  quinze  ans   nous  déçoit   par   cet   art  : 

Mais   il   aceouiplira   sa    promesse    plus   tard 

Que    l'an    du  jugement.    Toutefois    par   sa    ruse 

Des   plus    audjitieux    l'espérance    il    abuse. 

Car  ceulx    là   qui    sont   plus   de   la   gloire   envieux, 

Le    llattent  à    l'envy,    et  tachent   curieux 

De   gaigner  quehpie   place   en  ce  tant  docte   livre. 

Qui    ])eiit  à  tout  jamais  leur   beau   noui  l'aire   vivre...  etc. 

(I,  472-473). 
Qui  donc  est  désigné  {)ar  là  ?  —  Des  témoignages  contem- 
porains nous  l'apprennent  '  :  il  s'agit  de  Paschal,  un  lettré 
dont  le  uouj  est  oi)scui'  aujourd'hui,  mais  qui  brillait  alors 
au  |)remier  rang.  Pierre  de  Paschal  (i522-i5G5),  gentilhonnne 
du  bas  pays  de  Languedoc,  avait  gagné  l'illustration  à  peu 
de  Irais.  Après  avoir  suivi  à  Rome  le  cardinal  d'Armagnac, 
il  était  à  Padoue  en  1047,  quand  l'archidiacre  Jean  de 
Mauléon  y  l'ut  assassiné.  Chargé  de  dénoncer  le  crime  au 
sénat  de  Venise,  il  trouva,  jjarait-il.  pour  flétrir  les  ineur- 
Iriei-s,  de  tels  accents  qu'il  conquit  l'assemblée  entière.  Ce 
succès  lui  valut  le  renom  d'oi-ateur.  Il  ambitionnait  celui 
d'écrivain  :  il  l'obtint  rien  qu'à  fréquenter  les  poètes  de  la 
jeune  école.  Il  s<;  poussa  si  bien,  grâce  à  leur  amitié, 
qu'Henri  II,  sur  la  f<n  des  éloges  enthousiastes  qui  vantaient 
son  méi'ite,  le  ncunnui  son  historiographe  :  c'est  ainsi  que 
Paschal  se  vit  servir  annuellement  une  pension  de  1200 
livi'cs    [)our   \nie    histoire   d(!  France    <|u'il    promettait    toujours 


'  Seconde  response  de  F.  de  la  Jiaronie  [l^lorenl  Ctireslien]  à  Messire  Pierre 
de  Ronsard,  VMi,  t»  lii  v"  (Bibl.  Nat.  —  liés.  Y^  1027)  ;  —  Pasquier,  Lettres, 
I,  1t'>,  à  Ronsard,  et  IX,  9,  à  La  Croix  du  Maine  ;  —  La  Croix  du  Maine,  Dis- 
cours au  vicomte  de  Fauirny,  II,  lxxxviii,  et  Bibliothèque,  II,  303  ;  —  du 
Verdier,  III,  309  ;  —  Brantôme,  édit.  Lalanne,  III,  283-28j.  —  Cf.  Marty- 
Laveaux,  Notice  sur  Ronsard,  p.  ni-v,  et  P.  Bonnefon,  op.  cit. 


LR     ((    POi';iK    COURTISAN    ))  417 

(^l  ne  donna  jamais.  Il  avail  |»i'()niis  de  nirnic  aux  poètes 
SOS  amis,  s'ils  le  ((  (l'ompclaicnt  »  dans  leurs  vers,  comme 
dit  Pasc[uiei',  d(^  les  rendre  innnorlels  à  son  toiii'  dans  un 
ouvrage  à  la  manièi'e  de  Paul  Jove.  Aussitôt  chacun  s'était 
empresse  de  célchrer  sui-  Ions  les  Ions  le  futur  panégyriste  '  : 
dans  une  ode  enllannnée,  Olivier  de  Mugiiy  le  mit  en  paral- 
lèle  avec    le  grand  Ronsai'd  ". 

Mais  Pasehal  se  mocpiail  du  monde,  et  Paul  Jove  n'eut 
point  d'émulé.  Quand  on  connut  la  fourberie,  ce  tut  une 
grande  colère.  Turnèhe,  ((  personnage  aussi  aigu  et  violent  en 
satyres  contre  ceux  qui  le  nieritoient,  connne  doux  en  mœurs 
et  conversation  avectpies  les  gens  d'honneur  et  de  lettres  '  »  , 
persifla  le  })remier  un  homme  cpii  touchait  comme  historio- 
graphe trois  fois  ce  qu'il  touchait  lui-même  comme  professeur 
royal  *.  Ronsard,  qui  lui  avait  dédié  le  Bocage  de  i554  dans 
une  ode  des  plus  flatteuses  ',  ellaça  son  nom  de  ses  œuvres 
à  partir  de  i5<)0  ''.  et  lit  en  latin  contre  lui  une  pièce 
aujoui'd'hui  perdiu\  ([ue  Pasquier  jugeait  admirable  et  (pi'il 
traduisit  en    français  '. 

Jusqu'en  i559,  du  Bellay  n'eut  avec  Pasehal  que  les  rap- 
ports les  plus  cordiaux  :  il  l'aimait  tendrement,  et  les  Regrets 
nous   montrent   qu'après    Ronsard   et  Morel,    Pasehal   fut    celui 

'  Piisclial  revient  à  cliaquc  instaiil  dans  les  écrits  du  xvi*  siècle.  V.  à  titre 
d'échantillon  Ronsard  (Blancheuiain.  I,  :i93  :  II,  123;  VII,  70)  ;  —  Baïf  (Marty- 
Laveaux,  I,  184)  ;  —  Tahureau,  Premières  Poésies  (Blanchemain,  p.  37)  ;  — 
Magny,  Odes  (Courbet,  I,  Wi). 

-  Odes,  I,  44  :  A  Pierre  de  Ronsard  et  Pierre  de  Pasehal. 

'  Pasquier,  Lettres,  IX,  !>. 

*  Du  Verdier,  loc.  cit. 

^  Marty-Laveaux,  VI,  339.  —  Celte  importante  dédicace  manque  à  l'édit. 
Blanchemain. 

"  Ainsi  Ronsard  avait  adressé  à  Pasclial  son  épître  autobiographique 
(1334)  et  son  Hymne  de  la  Mort  (13r^3)  :  à  ])artir  de  1360,  il  dédia  Tune  à  Rémy 
Belleau,  l'autre  à  Louis  des  Masures.  (Blanchemain,  IV,  296.  et  V,  239). 

'  Pasquier,  Lettres,  I,  16.  —  Nous  n'avons  pas  plus  la  traduction  de 
Pasquier  que  le  texte  de  Ronsard. 

Univ.  de  Lille.  Tome  VIII.  A.  27. 


418  JOACHIM    DU    BELLAY 

de  ses  amis  de  France  dont  il  soullrit  le  plus  d'être  privé  ^ 
Lorsqu'il  reconnut  en  Pasclial,  suivant  le  mot  de  du  Verdier, 
((  un  pur  abuseur  du  monde  »,  du  Bellay,  toujours  impatient, 
se  fît  vidonliers  le  porte-parole  de  ses  camarades  trompés,  en 
Iradiiisant  pour  le  public  la  satire  où  ïurnèbe  démasquait 
l'iiiipostciii-.  Je  remar({ue  j)Murlant,  sans  bien  me  l'expliquer, 
qu'une  réconciliation  dut  survenir  bientôt  après  :  sinon, 
comment  peut-il  se  faire  que  du  Bellay,  dans  sa  dernière 
œuvre,  ait  consacré  à  Paschal  la  plus  louang^euse  étrenne  % 
et  qu'à  la  mort  de  _Joachim ,  ce  soit  Paschal  cpii  ait  tracé 
son  épitaphe,    Paschal,    a  son  vieil   et  véritable   ami  »  ^  ? 


111 


Le  Poêle  Courtisan  (II,  67)  offre  trop  de  rapports  avec 
l'épitre  à  LéoqueiMie  pour  (ju'on  ne  voie  pas  dans  cette  épître 
comme  un  modèle  inspirateur  qui  mit  du  Bellay  sur  la 
voie  de  sa  spirituelle  salire.  Mais  il  Tant  reconnaître  que  si 
l'ouvrage  de  Turnèbe  lui  révéla,  pour  ainsi  dire,  la  forme 
qu'il  fallait  donner  à  son  idée,  —  Vidée  du  moins,  du  Bellay 
n'avait  pas  altcmlii  pour  lavoir.  Dès  le  début,  en  i549,  il 
s'en  pi-ciiail  à  ces  ((  poêles  courtizans,  qui  boy  vent,  mangent 
et  doi'inent  à  leur  oyse  »  \  tandis  que  les  autres,  ceux  qui  ont 
souci  de  la  gloire,  endurent  la  faim,  la  soif  et  les  longues  veilles. 
Aux     médiocres     rimeurs    (pii     souillaient     notre     langue,      il 

'  Outre  un  sonnet  (II,  141),  v.  Regrets,  s.  2,  66,  81,  102,  129,  188. 

^  Xenia,  f»  11  v»  :  Petrus  Paschalius  Regius  Historiographus . 

'  Petrus  Paschalius  et  vêtus  et  verus  amicus  amico  incomparabili  dolens 
posait.  (Marly-Laveaux,  Appendice  de  la  Pléiade,  II,  38o).  —  M.  Clément 
(l).  76)  ne  croit  pas  à  la  réconciliation  :  il  estime  que  Paschal,  blessé  au  vif, 
mais  ne  voulant  pas  le  paraître,  jugea  sage  «le  ne  rien  dire  et  dissimula  son 
ressentiment.  Faut-il  admettre  que  du  Bellaj'  dissimulait  de  son  côté  dans 
l'étrenne  des  Xenia  ? 

*  Deffence,  p.  111. 


LE     «    POËTii   COURTISAN    »  419 

envoyait  cette  apostrophe  :  ((  Je  suis  d'opinion,  (jue  vous 
retiriez  au  hagaige  avccques  les  paiges  et  la([uais,  ou  bien 
(car  j'ay  pitié  de  vous)  soubz  les  frais  umbraiges,  aux 
suuiptueux  palaiz  des  grands  seigneurs,  et  cours  magnifiques 
des  princes,  entre  les  dames  et  damoizelles,  ou  votz  beaux  et 
mignons  ecriz,  non  de  i)lus  longue  durée  que  vostre  vie, 
seront  receuz,  admirés,  et  adorés  :  non  point  aux  doctes 
études,  et  riches  byblyotheques  des  scavans  '.  »  Un  an  après, 
il  raillait  encore  ces  poètes  barbares  «  qui  abusent  de  la 
pacience  des  princes  et  grands  seigneurs ,  par  la  lecture  de 
leurs  ineptes  œuvres  »  ".  C'était  là  les  traits  épars  d'une 
esquisse  :  le  poème   de   iSog   est  le   tableau   achevé. 

Il  est  d'une  rare  vigueui-.  Du  Bellay  ne  nous  donne  point 
le  portrait  idéal  du  poète,  selon  Aristote,  Horace  ou  Vida. 
Ce  qu'il  veut  mettre  sous  nos  yeux,  c'est,  dit-il,  (c  l'Apollon 
Courtisan    »  : 

La  court  est  mon  autheur,  mon  exemple  et  ma  guide. 

Il  va  donc  nous  apprendre  le  moyen  de  devenir  un  poète 
de  cour  et  nous  dévoiler  les  secrets  de  cette  science  ingé- 
nieuse. 

Par-dessus  tout,  il  l'aut  commencer  jeune  ;  pour  réussir  en 
ce  ((  gentil  mestier  »,  il  l'aul  se  dresser  de  bonne  heure 
((  aux  ruses  et  façons  de  la  court  »  .  Mais  l'apprentissage  n'a 
rien  de  pénible,  et  la  marche  à  suivre  est  bien  simple  :  il 
sutïit  de  garder  intactes  sa  belle  humeur  et  sa  santé.  Foin 
du   travail,    qui  consume  et   qui   mine  ! 

Je   ne  veulx  que   long  tenqjs   à  lestude  il   pallisse, 
Je   ne   veulx  que  resveur   sur   le   livre  il   vieillisse. 
Feuilletant   studieux   tous  les   soirs   et   matins 
Les  exemplaires  Grecs,    et   les   autheurs   Latins. 

*  Deffenee,  p.  148. 

-  2«  préf.  de  l'Olive  (I,  74). 


420  JOACHIM    DU    BELLAY 

Ces  exercices-la  loiit    l'hommo   peu   habile, 
Le    rendent   catarreux,    maladif,    et  débile, 
Solitaire,    fâcheux,    taciturne   et   songeard. 
Mais   nostre  courtisan   (;st   beaucoup   plus  gaillard. 
Poui'   un  vers  allonger  ses   ongles   il   ne   ronge, 
Il   ne    frapj)e  sa    lablc,    il   ne  resve,   il    ne  songe, 
Se  ])rouillant  le   cerveau  de  pensemens  divers, 
Pour   tirer   de  sa   teste   un  misérable  vers, 
Qui  ne  rapporte,  ingrat,  qu'une  longue   risée 
Par  loul   ou    l'ignorance  est  plus    authorisée. 

Un  poète  de  cour  n'a  pas  besoin  de  tant  étudier  :  qu'il 
s'abandonne    au    simple    naturel   : 

Je  veulx  en  premier  lieu,  que  sans  suivre  la  trace 
(Gomme  font  ([uelques  uns)  d'un  Pindare  et  Horace, 
Et  sans   vouloir,  comme   eux,  voler  si  haultement, 
Ton   simple   naturel   tu   suives  seulement. 
Ce   procès   tant    mené,   et   (pii    encore  dure. 
Lequel  des  deux  vault  mieulx,  ou  l'arl,  ou  la  nature. 
En  matière   de   vei's.    à   la   court   est    vuidé  : 
Car   il    suffit   icy  que   tu    soyës    guidé 
Par    le    seul    naturel,    sans   art    et    sans    doctrine, 
Fors   cest   art   fjui  ai)])rend   à   faire  bonne   mine. 

Il  va  de  soi  qu'il  cultivera  les  petits  genres,  sonnet,  dizain, 
chanson,  l'ondeau.  ballade  :  qu'il  fei-a  de  la  (^our  son  unique 
niodMc. 

Puis  (]u'elle  est  (connue  on  dit)  des  bons  espi'its  la  mère  ; 

qu'il  écrii'a  des  poésies  de  circonstance,  célébrant  les  victoires, 
i('s  noces  et  les  festins,  les  mascarades  et  les  tournois  :  et 
cela  dans  un  style  aisé,  facile,  exempt  d'effort,  sans  mots 
((  durs   ou    nouveaux  »,    capables   d'arrêter   le  lecteur  : 

Car    le    vers    |)lus    coulant    est   le  vers    plus    parfaict. 

Le   poêle  en   faveur  peut  toujours  craindre  des  rivaux  :   quelle 


LK     ((    POKTE   COURTISAN    »  421 

conduite  tiendi'a-t-il  envers  eux  ?  C'est  là  (|u'il  faul  de  la 
prudence  et  de  l'adresse.  Si  le  rival  ([ui  se  présente  est 
ignorant,  il  sera  politi([ue  de  se  l'aii'e  soi  même  son  introduc- 
teur  et  de   le    promener   comme    une  bête   curieuse  : 

Car  s'il  est  ignorant,  tu  sçauras  bien  choisir 
Lieu  et  temps  à  propos,  pour  en  donner  plaisir: 
Tu  produiras  pai'  tout  ceste  beste,  et,  en  sonnne, 
Aux  despens  d'un  tel  sot,  tu  seras  gallaud  homme. 

S'il  est  ((  homme  sçavant  »,  et  partant  dangereux,  il  est  plus 
nécessaire  encore  de  prendre  les  devants,  de  l'accabler  de 
marques  d'amitié,  de  faire  très  haut  son  éloge  auprès  des 
seigneurs  et  du  roi.  pour  le  ranger  sous  sa  tutelle  et  ((  le 
mener   par   le   nez  ))    : 

Ainsi  tenant  tousjours  ce  povre  homme  soubs  bride, 
Tu  te  feras  valoir,  en  luy  servant  de  guide  : 
Et  combien  cpie  tu  soys  d'envie  epoinçonné. 
Tu  ne  seras  pour  tel  toutefois  soubsonné. 

Ce  n'est  pas  tout.  Le  poète  courtisan  devra  ne  pas  oublier 
(pie  la  table  est  l'  «  eschole  »  de  la  Cour,  et  que  c'est  tout  un 
art  de  se  tenir  à  table,  qu'il  faut  «  avoir  tousjours  le  petit 
mot    pour    rire    »,  tirer    de    sa    mémoire   des  lieux   communs, 

Passer  ce  qu'on  ne  sçait,  et  se  monstrer  sçavant 
En  ce  que  Ion  a  leu  deux  ou  trois  soirs  devant  ; 

ne  pas  toujours  deviser  de  lettres,  mais  avoir  soin  de  varier 
ses  propos  selon  les  personnes  et  les  circonstances,  d'être 
souple  en  un  mot,  de  se  faire  savant  parmi  les  courtisans, 
courtisan  parmi  les  savants.  Entin.  il  sera  très  habile  de 
produire  peu  :  un  petit  poème  de  temps  en  temps,  qu'on  ne 
lâche   qu*   «   à    grand  regret   »,    c'est    de    la    bonne    politique    : 

Encores  pourras  tu  faire  courir  le  bruit, 

Que  si  tu  n'en  avois  commandement  du  Prince, 

Tu  ne  l'exposerois  aux  yeux  de  ta  province. 


422  JOACHIM    DU    BELLAY 

Le  comble  de  l'adresse  pour  le  poète  courtisan  serait  même 
de   ne   rien   produire   du  tout    : 

Et  à  la  vei'ité,  la  ruse  coustumiere, 

Et  la  meilleure,  c'est,  rien  ne  mettre  en  lumière. 

Observer  ce  ])rogramme  est  le  meilleur  moyen  de  s'avancer 
dans  l'afl'ection  des  j^rands  seigneurs,  d'obtenir  honneurs  et 
fortune,  d'éviter  l'héritage  ordinaire  des  Muses,  à  savoir  cette 
pauvreté, 

Laquelle  est  à  ceux-là  réservée  en  partage, 

Qui  dédaignant  la  court,  fâcheux  et  malplaisans, 

Pour  allonger  leur  gloire,  accourcissent   leurs   ans. 

Le  Poëte  Courtisan,  ainsi  qu'il  ressort  de  cette  analyse, 
est  tout  à  fait  le  contre-pied  de  la  Deffence.  Le  manifeste  de 
la  Pléiade  prescrivait  le  travail,  l'étude  des  anciens,  l'impé- 
l'ieuse  nécessité  d'ajoutci'  l'art  à  la  nature,  l'intronisation  des 
grands  sujets  et  des  grands  genres,  le  style  laborieux  et  sa- 
vant, l'indépendance  morale  de  l'écrivain.  Le  poème  de  iSÔQ 
prescrit  tout  le  contraire  :  mais  comme  il  le  prescrit  sous 
la  forme  ironicpie ,  il  confirme  le  manifeste.  C'est  ainsi  qu'à 
dix  ans  d'intervalle,  et  ([uoique  en  plus  d'une  occasion  il  l'eût 
lui-même  déserté,  du  Bellay  l'eprenait  en  main  le  drapeau  de 
la  Pléiade,  et  le  portait  de  nouveau  contre  des  adversaires 
([ui   n'avaient   pas  désarmé. 


IV 


On  l'a  dit  justement  :  le  Poëte  Courtisan  est  «  une  satire 
de   combat  »  '.    Mais   cpii  donc   y  est   visé  ? 

C'est  une  opinion  très  accréditée  que  cette  satire  est  con- 
temporaine^ de  la  Deffence,  et  (pielle  attaque  Mellin  de   Saint- 

'  Bourcicz,  Les  mœurs  polies  . . .  ,  p.  30:!, 


LE     ((    POKTK   COURTISAN    ))  423 

Geluys  '.  En  ce  qui  touche  la  date,  l'erreur  est  manifeste. 
Si  l'œuvre  était  vraiment  contemporaine  de  la  Dejfence ,  il 
est  certain  que  son  auteur  l'eût  publiée  :  celait  son  intérêt  et 
celui  de  tous  ses  amis,  et,  dans  la  bataille  engagée,  l'arme 
était  trop  précieuse  pour  qu'on  n'en  fît  aucun  usage.  Or, 
c'est  un  fait  que  le  Poëte  Courtisan  n'a  paru  qu'eu  1.559.  Je 
vais  plus  loin  et  dis  qu'il  ne  fut  pas  écrit  bien  longtemps 
avant  cette  époque.  //  ne  pouvait  pas  l'être  :  la  forme  exté- 
rieure de  l'œuvre,  l'emploi  du  vers  alexandrin,  l'alternance 
régulière  des  rimes,  les  rares  qualités  du  stjle,  la  précision 
et  la  vigueur  de  la  pensée,  tout  démontre  à  la  fois  que  ce 
poème   fut   écrit   certainement   après  le   retour   d'Italie. 

Maintenant,  est-ce  bien  contre  Saint-Gelays  que  la  satire 
est  dirigée  ?  —  On  ne  peut  contester  que  la  plupart  des  traits 
s'appliquent  à  Mellin  avec  une  étonnante  justesse,  et  même 
qu'un  passage   semble   le  viser  nettement  : 

Tel   estait  de   son  temps   le   premier   estimé. 

Duquel    si   on  eust   leu   quelque   ouvrage  imprimé. 

Il  eust   renouvelé,   peut  estre,    la  risée 

De  la  montaigne  enceinte  :    et  sa   Muse  prisée 

Si   liault   au  paravant,   eust  perdu   (comme   on   dit) 

La   réputation   qu'on   luy   donne   à   crédit. 

Mais  le  ton  du  passage  indique  clairement  que  c'est  d'un 
mort  qu'on  parle.  Et  de  fait,  Saint-Gelays  était  mort  au 
mois  d'octobre  i558  ^  Si  donc  le  Poëte  Courtisan  est  une 
satiiip   de  Saint-Gelays.    c'est  une   vengeance  posthume. 

Mais  peut-on  certifier  que  ce  soit  une  vengeance  ?  Je 
remarque    en    effet    qu'à    part    une  légère    attaque,    et    encore 

*  Bourciez,  op.  cit.,  p.  307  :  «  La  satire  de  du  Bellay  fut  probablement 
écrite  entre  1330  et  1552,  au  moment  où  s'envenima  la  fameuse  querelle  entre 
Saint-Gelais  et  Ronsard.  »  —  Cf.  Faguet,  Seizième  siècle,  p.  308-309.  L'émi- 
nent  critique  place  la  satire  «  l'année  même  de  la  Deffence  ». 

-  Blînchemain,  Notice  sur  Mellin  de  Saint-Gelays,  p.  28. 


424  JOACHIM    DU    BELLAY 

indirecte,  clans  une  phrase  de  la  Deffence  ',  du  Bellay  n"a 
jamais  donné  ([ue  des  éloges  à  Saint-Gelays.  J'ai  déjà  parlé  * 
de  Tode  flatteuse  qu'il  lui  dédiait,  quelques  mois  après  la 
Deffence.  dans  le  Recueil  de  Poésie  (i549),  pour  lui  repro- 
cher amicalement  sa  paresse  à  produire.  Il  ne  cessa  depuis 
de  le  couvrir  de  fleurs  et  resta  neutre,  semble-t-il,  dans  la 
({uerelle   du    vieux  poète  avec   Ronsard  '. 

Dira-t-on  que  Mellin  ne  répondit  jamais  à  toutes  ces  avances, 
et  qu'on  ne  trouve  dans  ses  œuvres  aucune  pièce  qui  soit 
dédiée  à  Joachim  ?  —  Il  est  vrai,  et  l'on  peut  en  conclure 
(|ii"il  n'aimait  ^-uère  son  jeune  rival.  Mais  si  du  Bellay,  en 
h)iiant  Saint-Gelays.  n'ai^i'issait  ([ue  par  politique  et  pour  se 
concilier  les  grâces  d'un  lionime  influent  à  la  Cour,  qui 
le  forçait  de  chanter  encore  ce  poète  après  sa  mort  ?  Ne 
pouvait-il  donc  garder  le  silence  ?  Or.  c'est  à  peine  si  Saint- 
Gelays  était  descendu  <hius  la  tombe  (i558),  ([ue  du  Bellay  lui 
consacrait  une  très  louangeuse  épitaphe  *.  C'était  peu,  à  son  gré  : 
l'année^  suivante,  publiant  en  latin  le  Tombeau  d'Henri  II  '\  il 
y  joignait  \\w  Tombeau  de  Saint- Gelaj's,  et  il  en  donnait  la 
raison  dans  un  court  avis  au  lecteur  (Lectori),  dont  je 
détache  ces  deux  phrases  :   «  Visum   est  tumulo  Henrici  Régis 


'  Deffence,  p.  ll.S. 

-  V.  ci-dessus,  1"  part.,  chap.  vin,  S^  iv,  p.  226-228. 

'  Le  difrérend  de  Saint-Gelays  et  de  Ronsard  surgit  en  IodO,  après  l'appa- 
rition (les  Odes.  Or,  cette  même  année,  non-seulemenl  du  Bellay  saluait  en 
Mellin  l'introducteur  du  sonnet  en  France  (I,  72),  mais  il  s'écriait  dans  la 
Miisagnœomachie  (I,  lia)  : 

Carie',  Heroët,  Saint  Gelais, 
Les  trois  favoriz  des  Grâces. 
V.  aussi  le  s.  62  de  V Olive.  —  Les  Regrets  contiennent  encore  deux  sonnets 
(101  et  178)  adressés  à  Mellin. 

'  Poemata,  f°  5!t  v  :  Mellini  Sangelasii  tumiiliis  : 

Piérides,  Pai)liiaequp  siinul  lugele  puellae, 
Et  si  quod  priscis  numen  Amoris  erat... 
■'   Tumulus  Ilenrici  secundi  Gallornni  régis  christianiss.  per  loach.  Bel- 
laiurn.    .  Paris,  Federic  Morel,  1359,  in-4°.  (Bibl.  Nat.  —  Rés.  mYc.  113). 


LE     «    POKTE   COURTISAN    ))  425 

fortissiiiii  tmniiluiii  addcre  Mellini  Sangelasii  poetac  mellitis- 
simi  :  seilicet  ut  Marti  Mxisac,  et  optinio  Principi  optinms 
poeta  JTini;orotur.  Nequo  voro  ((lUMiquaiii  a(M|uioi'is  judicii,  (pii 
literas  tautuin  atti^erit,  hoc  iiiipi-ohaturum  arbitroi",  cuiu  sciai 
Ennium  poetam  votustissiinmu  iii  Scipionis  illius  Aphricani 
tuinulo,  autliore  Cicérone,  fuisse  coudituni.  »  La  publication 
étant  peu  connue,  je  crois  devoir  y  insister.  Le  Tombeau  de 
Saint-Gelqys  comprenait  d'abord  trois  pièces  latines,  (pie  je 
reproduis   pour   leur  rareté  : 

I 

TVMVLVS  MELLIiNI   SANGELASII 

Sepultus,    hospes,    hic  jacet  Gelasius, 
Pater  leporis,  et  joci,    Gelasius, 
Simukpie  g^rande  seculi  decus   sui. 
Ab  ore  cui   fluebat   Atticum   melos. 
Disertus  idem,  et  elo(piens,  prcjbus,  pins, 
Ciere  doctus  aureae  sonos  chelys  : 
Notare  cautus  ignei  faceis  poli   : 
Juvaret  ul  bonos^   b(jnus  paruin  sibi. 
Quid  amplius,  mororve  quid  diutius  ? 
Sepultus,  hospes,  hic  jacet  Gelasiur., 
Pater  leporis,  et  joci,  Gelasius, 
Simulque  grande  seculi  decus  sui. 

II 

MELLINI    SANG.    ETYMON  K 

Qui  nomen  tibi.  culte  Sangelasi, 
Mellini  imposuit,  Gelasiique, 
Mores  ille  tuos.  tuos  lepores 
Ipso  tam  bene  nomine  indicavit, 
Pictae  ut  nil  melius  queant  tabellae. 

'  Cette  pièce  se  retrouve  dans  les  Xenia  (15G9),  f»  10  r». 


426  JOACHIM    DU    BELLAY 

Mellitos  oculos  vocat  Gatullus, 
Tener.  molliculus  tuus  Gatullus. 
Mellitos  quoque  saepe  sic  vocamus 
Dulces  vei'siculos,  venustulosque, 
Et  quales  tibi  Musa  dictitabat. 
At  Flaccus  Lyricae  potens  Gamoenae, 
Graocos  dum  sequitur  disertiores, 
Ridenteni  vocat  auream  Dionem. 

III 

IN    EIVSD.    CARMINA. 

Olim  inulta  sibi,  suisque  Musis 
Lusit  carmina  Sangelasianus  : 
Quorum  pars  tenebris  jacet  sepulta. 
Pars  descripta  manu  hue  et  hue  vagatur 
Per  manus  hominum  venustiorum. 
Supprcsso  titulo.    Hune   tamen  poetam 
Gunctis   Gallia   praetulit   poetis, 
Quorum  carmina   docta   perleguntur 
Typis  édita   tôt  laboriosis. 
Sic   quod   ipse   sibi,    et   suis   negabat 
Nomen   versibus  invidus   poeta, 
Ultro   scilicct  id   hcnigna  fama 
Illi   detulit,    et  quidem    merenti. 
Quid,    si   quae   latuere   nocte   longa 
Gum  blattis,  tinois({ue,  muribusque, 
Dias  luniinis  excant  in  oras  ? 

Puis  venait  une  courte  épigramme  de  Saint-Gelays,  six 
vers  latins,  les  derniers  (ju'il  eût  composés  {Mellini  ipsius 
cum  animain  cxhalaret).  Gette  épigramme  était  suivie  irune 
autre  en  huit  vers  où  du  Bellay,  s' inspirant  du  sizain  chanté 
par  le  «  cygne  mourant  »,  niorihundiis  olor ,  décernait  à 
Mellin     les    pln>     llaU(Mir>     t'-loges     {Bcllaii     in     eand.    senten- 


LE     ((    POÈTE   COURTISAN    »  427 

tîani)  '.  Enfin,  le  recueil  se  IVnnail  j)ar  des  hcndécasyllabes 
de  notre  poète  {In  riifum  quendam  ex  gallico  Mel.  Sange- 
lasii),  éléc^ante  traduction  d'un  hadinage  de  Saint-Gelays 
{Du  roiisseaii  et  de  la  rousse)  ^  —  Ainsi,  un  an  après  la 
mort  du  vieux  rimeur,  du  Bellay  lui  dressait  un  tombeau 
magnifique,  et  non  content  de  célébrer  en  vers  latins  la 
grâce  de  ses  poésies,  il  se  faisait  son  interprète,  et  comme 
l'apôtre  de   sa   gloire  '\ 

On  voit  maintenant  la  difficulté.  Je  la  résume  ainsi  :  la 
satire  du  Poëte  Courtisan,  quon  applique  à  Saint-Gelays, 
et  f[ui  semble  en  effet  s'appliquer  à  lui  trait  pour  trait, 
n'a  vu  le  jour  qu'après  sa  mort,  et  d'ailleurs  contredit  ce 
que  nous  savons  des  rapports  de  Joachim  et  de  Mellin,  prin- 
cipalement cet  honniiage  posthume  qui  s'appelle  le  Tombeau 
de  Saint-Gelays.  Dans  ces  conditions,  comment  expliquer  le 
Poëte  Courtisan  ?  Deux  hypothèses  se  présentent  :  i»  ou  bien 
cette  satire  ne  vise  nullement  Saint-Gelays,  —  et  alors  elle 
fut  écrite  dans  des  circonstances  qui  nous  échappent  encore  ; 
2°  ou  bien  elle  s'en  prend  à  lui  réellement,  —  et  alors,  il  fau- 
drait y  voir  une  espèce  de  revanche,  et  comme  la  rançon, 
secrète   et   posthume,    d'éloges   hyperbolicpies   et   peu   sincères. 

Pour  ma   part,  je   croirais  volontiers  ceci.  Lorsque  Madame 

*  Il  est  curieux  de  constater  que  du  Bellay,  non  content  d'imiter  en  latin 
les  derniers  vers  de  Saint-Gelays,  les  a  encore  paraphrasés  dans  un  sonnet 
(A  son  Luth,  1,  331).  On  trouvera  la  pièce  de  Saint-Gelays  et  les  deux  imi- 
tations de  Joachim  dans  les  oeuvres  de  Mellin,  édit.  elzév.,  II,  2oo-2of). 

-  Edit.  elzév.,  I,  208-209.  —  Voici  ce  que  dit  du  Bellay  au  sujet  de  sa  tra- 
duction, dans  sa  préface  Lectori  :  «  Addidimus. . . .  et  ejusdcm  quoque 
Mellini  Epigramma.  quod  ab  eo  ipso  paulo  antequam  excederet,  Gallicis 
versibus  perquam  lepide  (ut  omnia)  conscriptura,  quo  magis  venustissimi 
illius  poetae  ingenium  Latino  etiaru  lectori  perspectum  esset,  totidem  hen- 
decasyllabis  expressimus.  »  Le  mot  totidem  n'est  pas  tout  à  fait  juste  :  le 
français  a  24  vers,  le  latin  23. 

^  On  ne  peut  mettre  en  doute  l'authenticité  du  Tombeau  de  Saint  Gelays  : 
dès  1560,  il  est  reproduit,  comme  étant  de  J.  du  Bellay,  par  son  anù  Léger 
du  Chcsne  [Leodegarius  a  Ouercu],  dans  son  recueil  Farrago  poematum, 
f-  333ro-334  v»,  Paris,  1360.  (Bibl.  Nal.  —  Rés.  pY".  iill). 


428  JOACHIM    DU    BELLAY 

Marguerite  et  son  chancelier  L'Hospital  eurent  plaidé  près 
(l'Henri  II,  contre  l'envieux  Saint-Gelays,  la  cause  de  Ron- 
sard et  de  la  jeune  école,  le  roi  ne  put  l'aire  autrement  que 
de  se  déclarer  pour  les  nouveaux  poètes  '.  Il  les  assura  de 
sa  protection.  Toutefois,  comme  il  était  médiocrement  intelli- 
gent, et,  somme  toute,  «  assez  peu  sensible  à  la  poésie  d'où 
quelle  vînt  »  ".  il  garda  au  fond  de  son  cœur  une  secrète 
préférence  pour  le  spirituel  courtisan  qui  savait  si  bien  rédiger 
les  devises  de  ses  mascarades  et  les  cartels  de  ses  tournois. 
Il  honora  donc  de  sa  l)ienveillancc  les  poètes  chers  à  sa  sœur, 
mais  il  ne  les  «  avança  »  guère  :  Ronsard  '  et  du  Bellay  *  se 
sont  plaints  tous  les  deux  de  n'avoir  pas  eu  part  à  ses  lar- 
gesses. Tous  les  deux,  se  heiirtant  au  crédit  de  Mellin,  ju- 
gèrent de  leur  intérêt  de  vivre  avec  lui  dans  les  meilleurs 
termes  :  et  de  là  les  éloges  qu'ils  lui  prodiguèrent.  Lorsque 
Mellin  mourut,  i)ientôt  suivi  par  Henri  II,  du  Bellay  fit  au 
prince  ainsi  qu'à  son  poète  de  glorieuses  funérailles.  Mais 
un  nouveau  règne  commençait.  Il  importait  d'en  assurer  le 
béni'fice    à    ceux-là    seuls   qui,    par   leur   science   et   leur   génie, 

'  Sur  ce  point,  v.  Bourciez,  op.  cit.,  p.  207  sqq. 

-  Bourciez,  op.  cit.,  p.  208. 

^  Ronsard  écrit  dans  une  pièce  à  Charles  IX  (lo7b)  : 

On  doibt  sçavoir  que  ce  grand  roy  Henry 
M'a  honoré,  estimé  et  chery, 
Non  advancé,  bien  qu'il  en  eust  envie, 
(Car  le  malheur  luy  desroba  la  vie). 

(Blanchemain.  III,  316). 
Il  sest  plaint  maintes  fois  do  l'indifTérence  d'Henri  II,  à    laquelle  il  attribue 
tous  les  retards  de  la  Franciade  (II,  21-22.  40,  172,  273;   III,   ,377:   VI,  287; 
YII,  1.38). 

'  Du  Bellay  écrit  à  Morel,  le  3  oct.  1530  :  «  J'avois  (et  peult  estrc  non  sans 
(«casion)  conccii  quelque  espérance  de  recevoir  quelque  bien  et  advance- 
uient  du  feu  Roy  plus  par  la  faveur  de  madicte  Dame  [Marguerite]  que  pour 
aultre  mérite  qui  fust  en  moy.  Or  Dieu  a  voulu  que  je  sentisse  ma  part  de 
ceste  perte  commune,  m'ayant  la  fortune  par  le  triste  et  inopiné  accident  de 
ceste  douloureuse  mort,  retranché  tout  à  unp  coup,  comme  à  beaucoup 
d'auUres,  toutes  mes  espérances.  »  {Lettres.,  p.  37).  Du  Bellay  n'avait  donc 
janiiiis  rien  obtenu  d'Henri  II. 


LE     ((    POKTK   COURTISAN    »  429 

étaient  vraiment  dignes  (Ihouncui',  et  d'écarter  de  la  favenr 
royale  tous  les  petits  l'inieurs  de  cour.  C'est  aloi's  que  du 
Bellay,  pour  réserv(M'  à  la  Pléiade  les  bonnes  grâces  du  nou- 
veau roi,  s'avisa  d'une  satire  à  l'adresse  de  ([uiconque  j)i'é- 
tendrait  recueillir  l'héritage  de  Saint-Clelays  sans  avoir  plus 
de  titres  que  lui.  Mais  pour  éviter  le  scandale  d'une  publi- 
cation avouée  et  les  accusations  d'envie  qu'on  lui  jetterait  à 
la  tète,  il  la  fit  paraître  à  Poitiers,  sous  le  voile  d'un 
pseudonyme. 

En  émettant  cette  hypothèse,  je  n'ai  pas  la  prétention 
d'avoir  résolu  l'énigme  '.  Même  à  défaut  de  solution  satis- 
faisante, on  )ue  saura  v;vé  peut-être  d'avoir  établi  qu'il  existe 
là  un  problème,  que  personne  encore,  à  ma  connaissance, 
n'avait  indiqué  ^ 


V 


Pris  en  lui-même,  abstraclion  laite  des  circonstances  et 
des  motifs  qui  ont  pu  lui  donner  naissance,  le  Poëte  Cour- 
tisan est  une  œuvre  très  remarquable.  Le  fond  en  est  solide, 
la  langue  est  nette  et  ferme,  l'ironie  maniée  avec  une  réelle 
maîtrise. 

Je  ne  sais  s'il  est  bien  nécessaire  d'en  chercher  le  point 
de  départ,  avec  M.  Vianey  *.  dans  les  capitoli  des  poètes 
bernesques.  L'épître  à  Léoquerne  avait  déjà  montré  cet  ((  art 
de    dire    une    chose    poui*    faire    entendre    exactement   le  con- 

'  11  nous  manque  en  eflel  une  donnée  précieuse  :  la  date  exacte  de  la 
publication  de  la  satire.  A  t  elle  paru  sous  Henri  II  ou  sous  François  11?  La 
plaquette  de  Poitiers  porte  bien  1559,  mais  elle  n'a  ni  privilège,  ni  achevé 
d'imprimer. 

-  Ceci  n'est  pas  tout  à  fait  juste,  puisque  M.  Clément  (p.  76)  a  les  mêmes 
doutes  que  moi  sur  l'application  de  la  satire  du  Poëte  Courtisan  à  Mellin 
de  Saint  Gelays. 

^  Mathurin  Régnier,  p.  iiu  et  61. 


430  JOAGHI.M    DU    BELLAY 

traire  »  ;  et  quand  même  il  ne  se  fût  pas  inspiré  de  Turnèbe. 
du  Bellay  n'avait-il  point  assez  d'esprit  naturel  pour  tirer  de 
son  propre  fond  cette  finesse  d'ironie  ?  Quoi  qu'il  en  soit,  le 
Poëte  Courtisan  est  vraiment  la  première  en  date  des  satires 
françaises.  11  dut  IrappiM",  et  frappa  en  elfet  :  l'année  même 
de  sa  publication,  paraissait,  anonyme,  chez  un  libraire  de 
Paris,  une  satire  intitulée  le  Médecin  Coiirtizan  ',  où  l'on 
relève  d'évidentes  imitations  de  la  satire  imprimée  à  Poitiers  ^ 
Plus  tard.  Jean  de  la  Taille  écrivit,  toujours  dans  le  même 
oi'dre  d'idées,  son  Courtisan  retiré.  Et  puis,  ce  fut  le  tour 
de  Vauquelin  et  de  Régnier,  qui  s'illustrèrent,  surtout  le 
second,  presque  exclusivement  par  des  satires.  Un  genre 
nouveau,  latin  d'origine  ',  avait  enrichi  notre  poésie,  —  un 
genre  très  particulier,  qui.  sous  une  forme  familière,  enseigne 
et  raille  tout  à  la  fois.  Ce  genre-là.  c'est  du  Bellay  qui  l'a 
cultivé  d'abord  :  il  k^w  a  dcjnné  le  premier  modèle,  et  ce 
modèle  n'est   pas  loin  d'être   un   chef-d'œuvre. 


'  Le  Médecin  Coiirllzan,  ou  la  nouvelle  et  plu^  courte  manière  de  parve- 
nir à  la  vraye  et  solide  médecine.  A  Messere  Dorbuno.  A  Paris,  pour  Guil- 
laume Barbé,  i55g.  —  Celte  rarissime  plaquette  a  été  re[)rodiiite  par 
MM.  A.  (le  Monlaiglon  et  .1.  de  Uotliseliild,  dans  Je  Recueil  de  poésies  fran- 
çaises des  XV'  et  XVI'  siècles,  édit.  olzcv.,  Paris,  DalUs,  1875,  t.  X,  p  !)lj-109. 

-  Ce  n'est  pas  une  raison  cependant  pour  atlriijuer,  avec  M.  de  Monlai- 
glon  (p.  97),  le  Médecin  Courtizan  h  du  Bellay  lui  inêmc. 

'  Faut-il  rappeler  le  mot  de  Quintilien  :   Salira  quidem  iota  nostra  est  ? 


CHAPITRE    IX 


DV  BELLAY  POÈTE  COURTISAN 

1558-1559 


I.  —  Du  Bellay  courtisan.  —  La   dernière  partie  des  «  Regrets  » 
et  le  «  Discours  au  Roy  sur  la  Poésie  »  .  —  Rôle  du  poète 
parmi  les  grands. 
II.  —  Du  Bellay   et   Henri   II.   —   Médiocrité   des   poésies   de   cir- 
constance. —  Le  sentiment  patriotique  chez  du  Bellay  : 
r  «  Hymne  au  Roy  sur  la  prinse  de  Callais  ». 
III .  —  Du  Bellay  et  François  II  —  Les  deux  «  Discours  au  Roy  » . 
IV  .  —  Du  Bellay  et  les  grands  de  la  Cour  :  Catherine  de  Médicis, 
Diane   de   Poitiers,    Jeanne    d'Albret,    Marie    Stuart,   les 
Guises,  Montmorency,  etc. 
V.  —  Du  Bellay  et  Madame  Marguerite. 


La  contradiction  est  piquante  de  voir  Joachim  du  Bellay 
railler  le  poète  courtisan  et  s'efforcer  lui-même  de  mériter  ce 
titre.  Dès  i549,  encouragé  par  la  sœur  d'Henri  II,  Madame 
Marguerite,  il  avait  essayé  de  se  pousser  en  Cour,  et,  dans 
cet     ambitieux     dessein,     il     avait    improvisé     le     Recueil    de 


432  JOACHIM    DU    BELLAV 

Poésie  '.  Mais  la  faveur  de  Saint-Gelays,  toujours  puissant  et 
redoutable,  avait  empêché  son  ((  avancement  »  ,  et  ne  trouvant 
pas  à  la  Cour  la  fortune  qu'il  espérait,  il  l'avait  cherchée 
à  hi  suite  de  son  parent  le  cardinal.  Lorsqu'il  fut  revenu 
d'Italie,  il  s'empi-essa  de  rcMioiiveler  sa  tentative.  Saint-Gelays 
toucliait  à  sa  fin.  Depuis  longtemps,  Ronsard  travaillait  à  le 
remplacer  dans  les  bonnes  grâces  du  roi.  Notre  poète ,  qui 
s'était  toujours  montré  si  zélé  pour  l'illustration  des  lettres 
françaises,  avait-il  à  ces  bonnes  grâces  moins  de  droits  que 
Uonsard  ? 

Le  désir  de  s'imposer  à  l'attention  (U*  la  Cour  lui  suggéra 
visiblement  la  dernière  partie  des  Regrets,  une  cinquantaine 
de  sonnets  écrits  dès  son  retour  en  France  ^  Beaucoup  de 
ces  sonnets  sont  des  lionnnages  adressés  par  l'auteur  aux 
puissants  de  la  Cour  dont  la  protection  devait  lui  permettre 
d'obtenir  ce  (ju'il  désirait.  Mais  si  soucieux  ([uil  fût  de 
((  s'avancer  »  dans  la  faveur  des  princes,  du  Bellay  n'était 
pas  lellenunil  aveugle  aux  intrigues  de  ce  milieu  qu'il  n'en 
vit  point  les  mes({uineries  et  les  petitesses.  Du  même  trait 
satiri(jue  dont  il  avait  noté  naguère  les  mœurs  de  Ronuî ,  il 
nota  les  mœurs  de  la  Cour  de  France.  Avec  une  ironie  pro- 
fonde, il  in(li(|ua.  dans  une  série;  de  sonnets  ',  la  vraie  méthode 
poui"  ((  vi\r('  (Ml  (]ourt  ».  s'y  faire  ])ris(M-  et  s'y  maintenir. 
Personnellement,  il  était  trop  lier  pour  s'élever  par  de  pareils 
moy<'ns.  Il  avait  une  juste  conscience  de  sa  dignité  de  poète 
et  n'entendait  j)as  s'avilir.  Rien  ne  montre  mieux  en  quel 
respect  il  tenait  son  art,  (|ii<'  la  laron  superbe  et  dédaigneuse 
dont  il  renvoie  aux  courtisans  le  reproche  de  folie  qu'ils 
lantaicnl    aux    poèliîs   : 


'  V.  ci-dessus,  1"  i>art.,  cliap.  viii,  §  ii,  p.  2:J2-224. 

î  S.  139  191. 

•'  V.   notîinimciil  s.  llîi»,  140,  141,  142,  144,  14-i,  150. 


DU   BF.LLAY    POÈTE   COURTISAN  i3.'J 

Vous  dictes   (Courtisans)   les  Poètes   sont  louis, 
Et   dictes   vérité  :   mais   aussi   dire  j'ose. 
Que    telz  que  vous  soicz,    vous  tenez  quelque   chose 
De   ceste  doulce  hunieui'   ((ui  est  commune   à   tous. 

Mais   celle-là  (Messieui's)   ({ui  domine  sui-  vous, 
En    autres  actions   diversement  s'expose  : 
Nous  sommes  louis  en  rime,  et  vous  Testes  en  prose  : 
C'est   le  seul  dillcrent  qu'est  entre    vous   et  nous. 

Vray  est  que    vous  avez  la   Court  plus   l'avorable. 
Mais   aussi  n'avez  vous  un  renom    si  durable  : 
Vous  avez  plus  d'honneurs,  et  nous  moins  de  souci. 

Si  vous   riez  de   nous,    nous   faisons  la  pareille  : 

Mais   cela  qui   se  dit  s'en  vole  par  l'oreille, 

Et  cela  qui   s'escript   ne  se  perd  pas   ainsi.      (S.  i49)- 

Verba  volant,  scripta  nianent.  Cette  même  pensée  de  l'éter- 
nité des  écrits  et  de  la  gloire  qu'ils  procurent  fait  tout  le 
fond  du  Discours  au  lloj-  sur  la  Poésie  '.  S'inspiranl  du  Pro 
Archia,  du  Bellay  développe  cette  idée,  familière  à  la  Renais- 
sance, que  ce  qui  soutient  Ihonnue,  dans  sa  vie  si  brève  et  si 
rude,   c'est   le  désir 

D'allonger  par  vertu  le  cours   de  sa   mémoire, 
Et   gaigner   par   sa    mort  une  immortelle  gloire. 

Mus  par  ce  désir  d'innnortalité,  les  rois  et  les  princes  élèvent 
de  beaux  monuments  destinés  à  transmettre  aux  lointaines 
générations  le  souvenir  de  leurs  exploits  ;  mais  les  plus  sages, 
voulant  une  œuvre  qui  résiste  aux  injures  du  temps,  préfèrent 
emprunter  les  mains 

Et  l'immortel  labeur  des  doctes  escrivains  : 


*  Marty-Laveaux,  I,  2ii3-216.  —  Ce  Discours  n'a  paru  qu'en  1500,  après  la 
mort  de  du  Bellay,  mais  il  date  de  1558  ou  looU. 


Univ.  de  Lille.  Tome  VIll.  A.  28. 


434  JOACHIM    DU    BELLAY 

Par  le  moyen  desquelz,    plus  vivans   ilz   sont  ores, 
Que  du  temps  qu'ilz  vivoient,  et  leurs  beaux  faictz  encores 
Plus  récents   que   eeux-la,    qu'on   voit  présentement  : 
Tant  (le   force  a  l'histoire   escrite  doctement. 

Parler  ainsi  de  lliistorien.  continue  du  Bellay,  c'est  aussi 
parler  du  poète  :  car  tous  les  deux,  par  des  moyens  divers, 
prétendent  au  même  but  :  immortaliser  les  héros.  Donc, 
conclut-il  en  s'adressant  à   Henri  II  : 

. . .  Pour  une  gloire   entière 
Bastir  à    vostre    nom,    dire  j'oseray  bien, 
Que   le    poëte    il   l'ault  joindi'e   à   l'historien. 

Qu'on  ne  s'y  trompe  pas  :  en  proclamant  de  la  sorte  l'utilité 
du  poète  pour  la  renommée  d'un  prince,  du  Bellay  demandait 
adroitement  au  roi  de  le  traiter  lui-même  comme  il  traitait 
Paschal.  .Mais  s'il  sollicitait,  il  ne  s'abaissait  point.  Il  était 
convaincu  (|ii'uii  homme  sacré  par  les  Muses  a  droit  à  l'atten- 
tion des  grands,  et  ({u'il  peut  acceptei",  le  front  haut,  de  ceux 
auxquels   il   décerne    la    gloire. 


II 


Dans  son  Elégie  à  Morel,  du  Bellay  résume  ainsi  ses 
rapports  avec  la   Cour  : 

Notus  eram  Henrico  Régi  Regisque   Sorori, 

Nec  modo  notus  eram,  sed  quoque  charus  eram. 

Francisco    ignotus,  sed   non   ignotus  et   hospes 
Seu  Catharina  tibi,  seu  Lotarene  tibi. 

J'ai  déjà  dit  qu'il  n'eut  pas  beaucoup  à  se  louer  d'Henri  II  : 
s'il  est  vrai  que  le  roi  lui  témoigna  quelque  amitié,  du 
moins  cette  amitié  ne  se  traduisit  pas  par  une  protection 
efficace    et    solide.     Henri  II,    prince    d'esprit    borné,    «  qui   ne 


DU  BELLAY  POÈTE  COURTISAN  4.35 

pensait  point,  parlait  jxhi  et  ne  lisait  pas  '  »  ,  goûtait  médio- 
crement la  docte  poésie  d'un  Ronsard  ou  d'un  du  Bellay  : 
il  aimait  mieux  le  jeu  de  paume  et  les  tournois.  Mais  il 
était  le  Roi  ;  il  avait  l'humeur  débonnaire,  l'abord  facile  ;  il 
était  valeureux  et  martial,  comme  un  chevalier  d'autrefois  : 
il  était  fils  enfin  du  grand  François,  dont  la  mémoire  était 
si  chère  à  tous  les  amis  des  lettres  :  c'était  assez  pour  qu'on 
chantât  sur  tous  les  tons  son  héroïsme  et  ses  vertus.  Du 
Bellay  ne  s'en  fit  pas  faute.  Il  serait  fastidieux  de  relever 
tous  les  endroits  où  se  renouvelle  ce  panégyrique  :  un  choix 
s'impose.  Voici  par  exemple  un  sonnet,  qui  peut  passer  pour 
un  modèle   du    genre  : 

Puis  qu'Alexandre,  et  ce  grand  Empereur  % 
Dont   vos  vertus   ont  mérité  la   gloire, 
Daignèrent  bien  des  filles   de  Mémoire 
Favoriser  la  tant  douce  fureur  : 

Puis   que   de  Mars   l'audace   et   la   terreur 
Ne    sulliroient   à  vous  rendre   notoire. 
Si  les  beaux    vers    n'arrachoient  la  victoire 
Du    plus   profond   de   l'éternelle    horreur  : 

Puis  que  le  ciel  d'un  père  vous  fit  naistre 
Qui.  par  les  arts,  de  la  mort  s'est  fait  maistre, 
Je    ne  crains   point    qu'après  Gesar  '  donté, 

Yostre   faveur  dédaigne  de  s'estendre 

Sur   ce    qui   peult  à  jamais   faire   entendre. 

Que   vous   l'aurez   cpielquefois   surmonté.        (I.  280). 

On   le   voit   :    du    Bellay  ne   se    borne   pas   à   louer   le  roi  : 


'  Miolielet,   Histoire  de  Frwce,  t.  XI,  chap.   m,  p.  35,  édit.   Marpon   et 
Flammarion. 

-  Auguste. 

'  Charles-Quint. 


436  JOACIHM    Di;    BF.LLAV 

il  lui  rappelle  encore  la  mission  des  poètes  et  les  devoirs  qui 
lui  ineoinl)ont  envers  les  h('>rîiuts  de  sa  gloire.  C'est  l'idée  qui 
revient  dans  la  plupart  de  ses  poésies  de  cour.  —  Dans  un 
autre  sonnet,  le  dernier  des  Regrets  (s.  191),  du  Bellay 
développe  cette  pensée  que  ((  rien  n'est,  après  Dieu,  si  grand 
qu'un    Roy  de  France  ».   Et  il   ajoute  : 

Puis  iXonv  que  Dieu  pcult  tout,  et  ne  se  trouve  lieu 
Lequel  ne  soit  encloz  sous  le  pouvoir  de  Dieu, 
Vous,  de  ([ui  la  grantleur  de  Dieu  seul  est  enclose, 

Élargissez   encor  sur  nioy  vostre  pouvoir, 

Sur  nioy.  qui  ne  suis  rien  :    à  fin  de  l'aire  voir 

Que  de  rien  un  grand  Uoy  peult  l'aire  quelque  chose. 

En  dépit  de  l'hyperbole,  la  sollicitation  ne  manque  pas 
d'esprit.  —  Ailleurs  encore,  dans  un  sonnet  de  i559,  du  Bellay 
supplie  Henri  II ,  dont  le  pouvoir  est  «  souverain  )) ,  de 
prendre  en  i)itié  les  poètes,   de  les  abriter  contre  le  malheur  : 

Puis   qu'un   grand  U(jy    seul   peult  sullire  à  tous, 

Syre,    chassez  la  povrelé    de  nous. 

Vous  ferez  [)lus  ([ue  les  Dieux  ny  les  Astres.  (II,  463). 

Les  précédentes  citations  sullisent  à  montrer  comment 
du  Bellay,  lorsqu'il  s'adresse  au  roi,  allie  l'éloge  et  la 
re<jucte.  Mais  le  rôle  d'un  poète  courtisan  ne  consiste  pas 
seulement  à  briguer  des  faveurs  :  pour  les  mériter,  il  lui 
faut  encore  célébrer  les  actes  fameux  dont  il  est  le  témoin. 
A  cet  égai'd.  du  Bellay  n'a  laissé  dans  l'ombre  pour  ainsi 
dire  aucun  fait  iin[)orlant  du  règne  d'Henri  II.  Il  a  chanté, 
soit  en  français,  soit  en  latin,  l'entrées  du  monarque  à  Paris, 
le  voyage  de  Boulogne,  le  siège  de  Metz,  la  trêve  de 
Vaucelles,   le  désastre   de   Saint-Quentin  '.    Il   était   depuis   peu 

*  Prosphonematique  (I.  222);  —  Chant  triumphal  sur  le  voyage  de  Hou- 
longne  (I,  :i'2^);  —  Traduction  d'une  ode  latine  de  Ihiccanan  (I,  440)  ;  —  Discours 
au  Roy  sur  la  Irefve  de  l'an  M.D.LV  (I,  302);  —  In  eos  qui  belLo  Quinliniano 
occuhuerunt  I.acrymae  {Poeniata,  f"  i)2  r"). 


DU  BELLAY  POKTK  COURTISAN  437 

revenu  d'Italie,  lors({ue  lo  duc  Fraurois  de  (iiiise,  le  8  jan\  ifi- 
i558,  s'empara  de  Calais,  (|ui  depuis  plus  de  deux  eeuls  ans 
portait  le  joug  de  l'Angleterre.  Ce  fut  un  grand  triomphe 
national ,  que  redirent  avec  enthousiasme  tous  les  poètes  de 
l'époque.  Du  Bellay  le  elianta  des  premiers,  en  (U)uq)i)sant  son 
H)~niiie  au  Roj'  sur  la  prinsc  de  Callais  '.  Et  |)uis  eut  liiui, 
le  a4  avril,  le  mariage  du  Dauphin  avec  Marie  Stuart,  reine 
d'Ecosse  :  toujours  pressé,  notre  poète  avait  célébré  par  avance 
le  bonheur  de  cette  union  \  Plus  tard,  ce  fut  la  paix  de  Cateau- 
Cambrésis  et  les  fêtes  qui  la  marquèrent  '  :  enfin,  la  mort 
tragique  d'Henri  II ,  qui  plongea  du  Bellay  dans  la  conster- 
nation et  lui  dicta,  au  sortir  des  cartels  et  des  épithalames, 
les  vers   désolés   d'un    tombeau  *. 

Il  faut  le  reconnaître  :  ces  poésies  de  circonstance  sont  de 
très  médiocre  valeur.  Ni  VEntreprise  du  Rqy-Daulphin  ni  le 
Tumheau  du  Treschrestien  Roy  Henry  II  ne  supportent  au- 
jourd'hui la  lecture  :  de  ])areilles  élucubrations  sont  tout  juste 
à  la   hauteur  de   celles    de    Saint-Gelays  '.    Du    Bellay    réussit 


•  Paris,  Federic  Morel,  1538,  G  flf.  in-4".  —  Marty-Laveaux.  I,  310-316.— 
Le  privilège  étant  du  17  janv.  1537  (n.  s.  1358),  du  Bellay  s'est  mis  à  l'œuvre 
aussitôt  connue  la  victoire.  —  Cf.  cinq  pièces  des  Poemata,  f°*  30  r"-31  r". 

-  Hoemata,  f"  30  r»  :  In  futuras  niiptias  Francisci  Gall.  Delphini,  et 
Mariae  Stiiartae  Scotorum  Reginae. 

^  Entreprise  du  Roy-Daulphiii  pour  le  tournoy  sonbz  le  nom  des  ctievaliers 
advanteureux .  A  la  Royne ,  et  aux  Dames.  Par  loach.du  Bellay  Ang.  Paris, 
Federic  Morel,  1339,  14  fî.  in-4".  —  Marty-Laveaux,  II,  441-464. 

^  Tumulus  Henrici  Secnndi  GaUorum  régis  Christianiss.  per  loacti.  Bel- 
laium.  Idem  gallice  totidem  versibus  expressum  per  eumdem....  Paris, 
Federic  Moi-el,  1539,  14  ff.  in-4'i.  —  Marty-Laveaux  n'a  reproduit  que  la  partie 
française.  II,  463-473. 

5  II  est  curieux  de  constater  que  Vauqueiin  de  la  Fresnaye  voit  dans 
VEntreprise  du  Roy-Daulphin  le  modèle  accompli  des  cartels  et  des  masca- 
rades {Art  Poétique,  édit.  G.  Pellissier,  p.  146).  —  Le  Tombeau  d'Henri  II  ne 
me  paraît  pas  mériter  tous  les  éloges  de  Goujet  {Bibl  franc..  VII,  143).  Sur 
la  manière  dont  le  poète  jugeait  son  œuvre,  v.  sa  Lettre  à  Morel  sur  la  mort 
du  feu  Roy  (Marty-Laveaux.  II,  472  473  ;  P.  de  Nolliac,  p.  33-37).  II  voulait 
faire  simple^  nous  dit-il  en  substance  :  il  a  surtout  fait  plat.  Je  parle  de  sa 
version  française  :  le  lalin  est  meilleur. 


438  JOACHIM    DU    BELLAY 

mieux  lorsqu'il  est  porté  par  les  faits  et  qu'il  a,  pour  le 
soutenir,  une  pensée  patriotique.  C'est  ainsi,  par  exemple, 
que  YHymne  au  Rojy  sur  la  prinse  de  Callais,  composé,  dit 
l'auteur,  a  parmy  le  bruit  et  publique  allégresse  du  peuple  », 
respire  une  mâle  fierté.  Le  cœur  du  poète  a  vibré  de  joie, 
comme  tout  le  royaume,  à  cette  victoire  glorieuse,  inattendue, 
qui  délogeait  enfin  l'Anglais,  l'ennemi  national,  de  son  dernier 
refuge  sur  la  terre  de  France  ;  et,  pour  traduire  la  commune 
allégresse,    sa   muse   a  trouvé   quelques  beaux   accents  : 

Vous   avez   prins   Callais,    deux   cens   ans   imprenable, 
Montrant   qu'à   la   vertu   rien   n'est   inexpugnable, 
Lors  cpi'ellc   est  irritée,  et   que   la   passion 
Luy   l'aict   imiter   l'ire   et   le   cœur   du   lyon.      (I,  3ii). 

Je   diray   seulement   que  de   ccste   victoire 

Il  semble   que   le  Ciel    vous    reservoit   la   gloire 

Pour   estrc   celuy  seul,    qui   devoit   quelque   fois 

Sur   Philippe    vanger  Philippe   de    Valloys. 

Aussi   ne   failloit  il   qu'un   moindre  que   vous,   Sire, 

Nous   rendist  un   Callais  duquel   vous  pouvez   dire. 

Que   l'ayant   regaingné,    vous   n'avez   pas   moins   faict. 

Que   si   vous   eussiez  mesme   en   bataille   deffaict 

Les   forces  de   l'Anglois,    qui   du   sceptre   de   France, 

En   perdant   son   Callais.    a   perdu   l'espérance. 

Icy  je   vous   supply   mettre   devant   voz  yeulx, 

Tous   ces  vieux   Roys   François,    voz  antiques  ayeulx, 

Ce  grand   Françoys   sur  tous,   dont   l'umbre   vénérable 

Entre    les   umbres   tient   lieu   plus   honnorable  '   : 

Quel  ayse   pensez   vous  qu'ont   senty  ces  esprits, 

Oyant  bruire   la-bas,    que   Callais  estoit   pris  ?     (I.  3i3). 

Voilà  des  vers  pleins  de  vigueur  dans  leur  simplicité,  des 
vers   sincèrement   émus,    où   passe   un   souffle  déloquence. 

'  Sic. 


DU    BELLAY    POÈTK   COURTISAN  439 


III 


Lorsque  François  II  monta  sur  le  trône,  il  avait  quinze 
ans  (iSSg).  Ce  n'était  guère  qu'un  enfant,  faible  de  corps, 
faible  d'esprit.  Il  ignorait  le  chantre  des  Regrets  :  du  moins, 
notre  auteur  le  prétend,  Francisco  ignotus.  Du  Bellay  cher- 
cha l'occasion   de   se   faire   connaître. 

Précisément,  un  de  ses  amis  les  plus  chers,  Michel  de 
L'Hospital,  premier  président  de  la  Chambre  des  Comptes, 
et  conseiller  du  roi  en  son  privé  Conseil,  adressait  au  car- 
dinal de  Lorraine  une  longue  épitre  latine,  qu'il  avait  pré- 
sentée au  jeune  François  II  très  peu  de  temps  après  son 
sacre  ',  et  qui  n'était  pas  autre  chose  qu'une  instruction 
sur  l'art  de  bien  régner  \  Du  Bellay  s'attela  promptement 
à  la  tâche  et  mit  l'épitre  en  vers  français  ".  Son  œuvre  est 
assez  bien  avenue.  Goujet  écrit  avec  raison  :  «  Cette  traduction 
n'est  presque  qu'une  version  littérale  :  elle  est  exacte  et 
fidèle,  et  ne  manque  point  d'élégance  pour  le  temps  où  elle 
a  été   faite  :   si  l'on   n'y   voit   pas   tout   le  goût,    tout  le    génie 


•  Ce  sacre  eut  lieu  le  18  septembre  1359. 

-  De  sacra  Fraiicisci  II  Galliarum  régis  initiatione,  regnique  ipsius  admi- 
nistrandi  providentia  sermo.  On  trouvera  cette  instruction  dans  les  poésies 
latines  de  L'Hospital.  édit.  Duféy  de  l'Yonne,  t.  111  des  Œuvres  complètes, 
p.  333. 

^  Discours  au  Roy  contenant  une  brefve  et  salutaire  instruction  pour 
bien  et  heureusement  régner. .. .  (Marty-Laveaux,  II,  477-489).  —  Du  Bellay, 
parlant  de  sa  traduction,  écrit  à  Morel  :  «  J'ay  traliy  ou  traduict  beaucoup 
plus  de  la  moitié  de  nostre  besongne,  mays  en  vers  alexandrins,  car  les 
aultres  ne  me  satisfont  en  si  jjrave  matière,  et  m'eust  fallu  user  d'une  inli- 
nité  de  périphrases,  dont  je  me  feusse  beaucoup  eslongné  de  la  nayfveté  de 
mon  autheur,  que  je  mesforce  de  représenter  le  plus  au  naturel  qu'il  m'est 
possible.  »  {Lettres,  p.  29-30).  —  Le  Discours  au  Roy  ne  fut  publié  qu'après 
la  mort  de  du  Bellay;  mais  nous  voyons,  par  une  autre  lettre  à  Morel,  que 
le  poète  avait  grand  soin  d'en  faire  distribuer  des  copies  manuscrites  à 
tous  ses  protecteurs  [Lettres,  p.  30-32).  Il  ménageait  ses  intérêts. 


440  JOACHIM    DU   BFXLAY 

de  l'auteur  original,    on   y    retrouve    toutes   ses   pensées   expri- 
mées avec  naïveté  et  simplicité  '.  » 

A  quelque  temps  do  là,  L'Hospilal  ayant  écrit  pour  son 
prince  une  seconde  Instruction  politique  et  morale,  du  Bellay 
—  c'était  ((  peu  de  jours  avant  son  trespas  »  —  fit  passer  en 
français  ce  nouveau  catéchisme,  mais  cette  fois  plus  librement, 
en  développant  pour  son  compte  les  préceptes  do  son  ami  : 
ce  fut  VAniple  discours  an  Roy  sur  le  faict  des  quatre 
Estais  du  royaume  de  France  '.  Le  texte  de  L'Hospital  étant 
aujourd'hui  perdu,  on  ne  peut  dire  ce  qui,  dans  ce  Discours, 
revient  en  propre  à  l'interprète,  et  c'est  dommage  :  car  l'œuvre 
est  boUe.  noblement  pensée,  fermement  écrite.  L'auteur  expose 
au  roi  le  vaste  ensemble  de  ses  devoirs ,  et  comme  il  lui 
faudra  veiller  à  faire  régner  l'harmonie  entre  les  quatre  états 
qui  soutiennent  sa  couronne,  le  Peuple,  la  Noblesse,  la  Justice 
et  l'Église.  Il  s'étend  avec  émotion  sur  les  maux  dont  souffre 
le   peuple   et  sur   les   services   (ju'il  rend    : 

Sire,    vous  aurez  donq'    du   pauvre  peuple    soing. 
Qui    d'estre  soulagé    a   le   plus   de  besoing.  . . 

Sans   luy  rien  ne    soroit   de    plaisant   et  d'aimable. 

Sans   luy  des   Roys   seroit  la   vie  misérable, 

Sans   luy  la   terre   more   infertile  seroit, 

Et   maraslro   à  ses    fils,   rien   ne   leur  produiroit 

Que   ronces,    et  chardons,   avec   le   gland   sauvage, 

Et  l'eau   pure  seroit   nostre   plus  doux   bruvage.  (II,  492)- 

'  Goujet  rapproclic  chnix  autres  traciuelions  faites  au  xvii'  siècle 
par  Claude  Joly,  chanoine  de  l'Eglise  de  Paris,  et  par  Charles  Perrault. 
V.  Bibl.  franc  ,  t.  VII,  p.  lOiJ  sqq. 

-  Le  titre  ajoute  :  Composé  par  I.  du  Bellay.  Gentil-homme  Angevin,  peu 
de  iours  avant  son  trespas,  à  Vimitation  d'un  autre  plus  succinct,  au  para- 
vant  faict  en  vers  Latins  par  Messire  Michel  de  L'Hospital. . . .  (Marty- 
Laveaux,  II,  489  511).  —  Sur  les  diverses  éditions  de  ce  Discours,  dont  une, 
la  j)lus  correcte,  parut  à  Lyon  en  loGT,  par  les  soins  de  Philibert  Buojnyon, 
V.  dans  la  Rev.  de  philol.  franc,  et  prov.,  t.  VIII,  1894,  p.  89,  un  article  de 
M.  Bruno  t. 


DU  BELLAY  POÈTE  COUHTISAN  441 

Il  éniimère  longuoment  les  bien  laits  de  ra^riculture,  cette 
nobl(^  chose,  utile,  iiidis])onsal)le  à  tous,  et  réclame  avec 
éneracie  un  juste  traitonient  pour  les  travailleurs  qui  la  font 
fleurir    : 

Ainsi  de  son   labeur  le   ])eu[)le  nous   nourrit, 

Et   pour   nous   enrichir   luy-mesme   s'appauvrit. 

Comme   l'abeille   donc(j'    vous   le   traittorez.    Sire, 

No   luy   ostant   du   tout  et   le  miel  et  la  cire, 

Mais   pour   l'entretenir   tousjours  en  ce  bon   cœur, 

Luy   ferez   quoique  part  du  fi'uict   de  son   labeur    : 

Vous   souvenant   qu'Homère   en  l'Iliade   belle. 

Le  grand   Agamemnon   pasteur  du   peuple  appelle  ; 

Et  que   le   bon    pasteur,    qui    aime    son   troupeau. 

En  doit  prendre  la  laine,  et  luy  laisser  la  peau.     (11.  494)- 

Pour  alléger  les  charges  qui  pèsent  sur  le  peuple,  il  demande 
le  maintien  de  la  paix,  la  refonte  des  impôts,  de  sévères 
économies  dans  les  dépenses  royales.  —  Je  ne  suivrai  pas 
du  Bellay  dans  ses  dévoloppoments  sur  la  noblesse  et  la  jus- 
tice, encore  qu'on  y  pût  cueillir  de  bons  conseils  et  de  beaux 
vers.  Mais  il  faut  s'arrêter  un  instant  aux  vues  très  hardies 
qu'il  a  sur  l'Église.  Il  demande,  bien  entendu,  la  suppres- 
sion de  l'hérésie  :  mais  il  demande  aussi,  et  la  chose  est 
notable,  une  réforme  ecclésiastique.  Il  no  se  fait  pas  d'illu- 
sion   sur   le   clergé   de    son    époque  : 

Du   temps   de   la   vertu   que   l'Eglise   ancienne 

Saincte  ne   dodaignoit   la   povreté   Chrestienne. 

Elle   estoit   le   miroir   de   toute  purité. 

De   toutes   bonnes    meurs,    de   toute   humilité  : 

Maintenant  au  contraire,  on  voit  qu'elle  est  l'exemple 

Ou   toute  volupté   protraicte   se  contemple....        (II,  5o3). 

Il  fait  une  vive  peinture  des  prélats  de  son  temps,  dont  le 
dernier  des  soins  est  de  s'occuper  du  troupeau  commis  à 
leur  garde  : 


442  JOACHIM    DU    BELLAY 

Jadis  les  bons  Prélats,  qui  du  troupeau  de  Dieu 
Estoient  les  vrays  pasteurs,  residoient  sur  le  lieu, 
Cosrnoissoient  leurs  brebis,  en  faisoient  la  reveuë. 
Et  soigneux  les  gardoient,  sans  les  perdre  de  veuë. 
Maintenant  leur  demeure  est  à  la  court  des  Roys, 
Où  ils  ont  plus  de  train,  de  chevaux,  et  charrois, 
Que  les  plus  grands  Seigneurs,  et  leurs  tables  friandes 
Surmontent   l'appareil  des   Persiques   viandes.  (II.  5o4). 

Il  réclame  la  résidence  de  tous  ceux  des  prélats  qu'une  fonc- 
tion de  conseiller  n'attache  pas  auprès  du  prince  ;  il 
réclame  aussi  l'amélioration  du  sort  des  curés.  —  Dans 
l'idéale  monarchie  que  du  Bellay  propose  à  François  II,  il 
serait  surprenant  que  les  poètes  et  les  artistes  lussent  oubliés. 
Il  n'en  est  rien  :  eux  aussi  contribuent  à  la  vie  du  royaume  : 
le  prince  a  des  devoirs  à  remplir  envers  eux.  Du  Bellay 
rappelle  à  son  roi  tout  ce  qu'ont  fait  pour  les  études 
Charlemagne  et  François  I»'  :  nobles  exemples,  qu'on  ne  sau- 
l'ait   trop   suivi'e  : 

Sire,    il  vous  plaira  doncq.  imitant  voz  aveux, 
F'avoriser    les  arts,  qui  voz  faicts  glorieux 
Peuvent  porpetuer  mieux  qu'en  marbre,  ou  en  cuyvre. 
Et  qui  vous  peuvent  faire  à  vous  mesmes  survivre.  (II,5o9). 

J'ai  cru  devoir  insister  quelque  peu  sur  ce  remarquable 
poème  dont,  je  ne  sais  pourquoi,  on  ne  parle  jamais.  C'est 
pourtant  là,  il  me  semble,  quelque  chose  d'assez  nouveau,  un 
curieux  spécimen  de  ces  sermons  en  vers,  (jui  plairont  tou- 
jours aux  Français,  ce  peuple  d'orateurs  '.  On  admire  ])eaucoup 
les  Discours  âo  Ronsard,  et  certes  on  a  raison.  Mais  je 
m'étonne  que  l'on  n'ait  pas  rendu  justice  à  du  Bellay,  en  lui 
reconnaissant    l'honneur   d'avoir  sur   ce   point  devancé   le  chef 

'  Cf.  Faguct,  Seizième  siècle,  p.  2b4. 


DU  BELLAY  POÈTF.  COURTISAN  443 

i\o  la  Pléiade.  Lorsqu'on  <i  lu  V Ample  discours  au  Roy  sur 
le  faict  de  ses  quatre  Estais,  on  trouve  moins  orii^inales  la 
Remonstrance  au  peuple  de  France  et  VInslilution  pour 
l'adolescence  du  Roy   Charles  IX. 

Vers  la  fin  de  sa  longue  harangue,  du  Bellay  s'exprimait 
de   la   sorte  : 

Sire,    bien  que  je  sois,    comme  nouveau-venu, 

De  vostre  Majesté  encore  peu   cogneu. 

Bien   cogneu  toutefois  du  feu   Roy  vostre   père. 

Et  bien  cogneu  encor'  de    vostre   tante,   et  mère, 

Jay  des   premiers  de  ceux  du   mestier   dont  je  suis. 

Osé   vous   estrener   de    ce  peu  que  je   puis. 

Peu,   si   vous   regardez   la  valeur   de  la  chose, 

Et  Testât  de  celuy,  qui  présenter  vous  l'ose  : 

Mais  beaucoup,  s'il  vous  plaist  par  vostre  grand'  bonté 

Estimer   mon   présent   selon    ma   volonté, 

Puis   qu'en   le   vous    donnant,    avecques  la  personne, 

De   ce   qui  est  en   moy   le  meilleur  je   vous  donne. 

Et  que  peult-on  donner  ny  meilleur,  ny  plus  beau. 

Que  ce  qui  peult  un  nom  arracher  du  tumbeau  ?    (II.  5io). 

Si  l'on  en  croit  Aubert,  le  jeune  François  II.  en  témoi- 
gnage de  reconnaissance,  coucha  son  docte  conseiller  sur  la 
liste  des  pensions  *.  Mais  le  bienfait  venait  trop  tard,  et 
du   Bellay   n'eut  pas  le   temps   d'en  jouir. 


IV 


Les  rois  devaient  passer  d'abord.  Mais  du  Bellay  n'a 
négligé  aucun  des  puissants  de  la  Cour.  Il  voulait  s'assurer 
toutes   les   protections. 

'  Elégie  sur  le  trespas  de  M.  loachim  du  Bellay  (1560)  : 

Puis  nostre  nouveau  Roy  luj-  lit  pour  le  guerdon 

De  sa  divine  Muse,  un  magnilique  don, 

Qu'il  devoit  chacun  an  sur  son  esi^argne  prendre  .... 


444     ^  JOACHIM    DU    BELLAY 

Tant  que  vécut  son  royal  époux,  la  reine  Catherine  ne 
compta  j2^uère.  Elle-même  tâchait  à  se  (aire  oublier.  A  court 
d'idées,  les  poètes  de  l'époque,  après  avoir  redit  la  vertu  de 
«  Junon  »,  n'avaient  d'autre  ressource  que  de  louer  sa  fécon- 
dité. Du  Bellay  partagea  l'embarras  général  et  s'en  tira  de  la 
même   manière  '. 

La  véritable  reine  était  la  favorite,  Diane  de  Poitiers.  Il 
ne  faut  donc  point  s'étonner  que  le  poète  l'ait  chantée  plus 
souvent  que  l'épouse  légitime.  On  ne  trouve  pas  dans  ses 
œuvres  moins  de  sept  pièces  dédiées  à  Madame  de  Valen- 
tinois  \  Je  regrette  pour  du  Bellay  (ju'il  se  soit  montré 
si  prodigue  envers  une  femme  (|ui  l'était  si  peu.  Sauf  un 
sonnet,  qui  peint  les  beautés  du  château  d'Anet  %  tous  ces 
hommages,  il  faut  l'avouer,  sont  indignes  de  son  talent. 
L'auteur  se  donne  bien  du  mal  pour  exprimer  des  sentiments 
dont  le  factice  éclate.  On  sourit ,  quand  il  loue  chez  le  roi 
la  constance  d'un  amour  Ibndé  sur  la  vertu  de  Diane,  chez 
Diane,  la  fidélité  conjugale  qu'atteste  hautement  son  veuvage 
éternel  (II.  io5  et  io8).  Et  lorsqu'on  sait  l'histoire,  que  penser 
d'assertions  dans   le   genre   de   celle-ci    : 

La   bienheureuse  France 

Jouissante   du   bien 

De   sa   longue   espérance. 

Ne   souhaite   plus   rien   : 

Voyant  tous  ses   souhaits 

En    voz    grâces  parfaits.         {II,  97). 

Avec  Jeanne  d'Albret,  reine  de  Navarre,  du  Bellay  n'avait 
qu'à    renouer   les   bonnes   relations   d'autrefois  *.  Étant  à  Rome, 

'  Marly-Lavcaux.  I,  ^3;)  ;  II.  288ft4:il. 
-  Marly-Lavcaux,  II,  9(j-l Ri,  et /ie^Tc/s,  s.  159. 

^  Cf.  Miciiolcl,  Histoire  de  France,  t.  XI,  cliai).  m.  p    3osqq.  ;  Guiffrey, 
Lettres  inédites  de  Dianne  de  Poitiers,  1866,    p.  lxv  sqq. 
'  V.  ci- dessus,  1"  part.,  chap.  ix,   §  11,  p.  24a. 


DU    BELLAY    POÈTE   COURTISAN  445 

il  avait  chanté  dans  une  ode  la  naissance  du  petit  duc  de 
Beaumont,  le  futur  Henri  IV  '.  Une  fois  de  retour,  il  ne 
pouvait  manquer  d'être  bien  accueilli.  Un  sonnet  des  Regrets 
(s.  l'j'y)  célèbre  —  d'une  manière  hyperbolique  —  «  les 
escripts  Navarrois  o  ,  ceux  de  la  reine  et  de  sa  mère,  la 
première  Marguerite.  Il  y  a  plus  :  du  Bellay  ayant  composé, 
sans  doute  à  l'occasion  d'une  fête  à  la  Cour,  une  chanson 
pour  Mme  la  Maréchale  de  Saint-André,  eut  le  plaisir  de 
voir  Jeanne  d'Albret  lui  faire  elle-même  une  réponse  ".  Gomme 
jadis,    reine   et  poète   échangeaient  des   vers. 

A  la  Cour  des  Valois,  Marie  Stuart.  dans  la  fraîcheur  de 
son  printemps,  mettait  l'éclat  de  son  esprit  et  de  sa  grâce. 
Elle  aimait  les  poètes,  et  les  poètes  allaient  vers  elle  '.  Du 
Bellay,  qu'elle  honorait  d'une  affection  particulière,  fut  pris 
au  charme   et  la   salua   de   ce  joli   sonnet  : 

Ce   n'est   pas   sans  propoz   qu'en   vous    le   ciel   a  mis 
Tant   de   beautez  d'esprit,    et   de  beautez   de   face. 
Tant   de  royal   honneur,    et  de  royale  grâce. 
Et  que   plus  que  cela   vous  est   encor'  promis. 

Ce  n'est  pas   sans   propoz   que   les  Destins  amis. 
Pour  rabaisser  l'orgueil   de   l'Espagnole   audace. 
Soit  par  droit   d'alliance,    ou   soit   par   droit    de    race, 
Vous  ont  par  leurs  arrestz  trois  grans  peuples  soubmis. 

Hz   veulent   que    par   vous   la  France   et  l'Angleterre 
Changent   en   longue   paix   l'héréditaire   guerre, 
Qui   a  de  père   en  fîlz   si   longuement   duré  : 

*  Marty-Laveaux,  I,  284-294.  —  Cette  Ode  ne  parut  qu'en  1561,  mais  elle 
dut  être  écrite  au  début  de  loo4  :  on  sait  qu'Henri  IV  est  né  le  14  déc.   1551}. 

-  Marty-Laveaux.  Il,  116-117. 

■■'  ((  Tant  qu'elle  a  esté  en  France,  elle  se  réservoit  tousjours  deux  heures 
du  jour  pour  estudier  et  lire  :  aussi  il  n'y  avoit  guières  de  sciences  humaines 
qu'elle  n'en  discourût  bien.  Surtout  elle  aimoit  la  poésie  et  les  poètes,  mais 
sur  tous  M.  de  Ronsard,  M.  du  Belay  et  M.  de  Maisontleur,  qui  ont  faict  de 
belles  poésies  et  élégies  pour  elle.  »  Brantôme,  édit.  Lalanne,  Vil,  406.  — 
Sur  II.  L'Huillier,  seigneur  de  Maisonfleur,  v.  Ronsard,  édit.  Blancliemain, 
VI,  21. 


446  JOACHIM    DU    BELLAY 

Hz   veulent  que  par  vous   la   belle   vierge  Astrée 

En   ce   siècle   de   fer   reface   encor'   entrée, 

Et  qu'on   revoye  encor'  le  beau   siècle   doré  '. 

Par  un  lien  naturel,  Marie  Stuart  nous  amène  aux  Guises. 
On  sait  le  rôle  énorme  qu'ils  jouaient  à  la  Cour,  le  crédit 
dont  ils  disposaient.  Comment  du  Bellay  n'eùt-il  pas  tenté  de 
se  concilier  leur  faveur  ?  Il  a  loué  maintes  fois  le  duc 
François  de  Guise,  l'héroïque  vainqueur  de  Metz  et  de 
Calais  ■.  Mais  il  a  surtout  loué  son  frère,  le  cardinal  Charles 
de  Lorraine  \  C'est  que  ce  prélat  de  trente  ans  se  posait 
volontiers  en  protecteur  des  Muses  ;  au  château  de  Meudon, 
il  s'entourait  de  poètes  et  d'artistes  ;  il  prodiguait  fastueuse- 
ment  les  récompenses  et  les  pensions.  Il  faut  voir,  dans  une 
lettre  à  Morel,  avec  quel  soin  jaloux  du  Bellay  veillait  à  lui 
faire  tenir  ses  œuvres  manuscrites  :  ((  Monsieur,  depuis  le 
partement  d'Horace,  je  me  suys  ad  visé  qu'il  seroit  bon  et 
presque  nécessaire  d'envoyer  une  coppie  de  la  translation 
de  l'épistre  de  Mons'  de  l'Hospital  à  Monseig"^  le  Card°'  de 
Lorraine,    ne  videatur  sibi  neglectus  fuisse  \  » 


'  Regrets,  s.  17U.  Ce  sonnet  se  retrouve  h  la  lin  de  la  plaquette  qui  débute 
par  VHymne  au  Roy  sur  la  prinse  de  CaLlais  (Marty-Laveaux,  I,  316).  — 
V.  d'autres  éloges  de  Marie  Stuart,  11,  4!)4,  4(i3,  507  ;  et  cf.  les  Foëmes  de 
Ronsard  (IMancheniain,  VI,  9  27). 

2  Marty-Laveaux,  I,  282,  312,  441;  II,  o06;  Poemata,  f"  30  r»-3I  r". 

■>  Marty-Laveaux,  II,  477,   489,  iJOa,   507,  509;  Poemata,  t"  33  r";   Regrets, 
s.  168.   Il  existe  de  ce  sonnet  une  première  rédaction  en  vers  décasyllabes, 
négligée  par  Aubert,   et  que   j'ai   signalée   naguère    à    M.  Marty-Laveaux 
\Afipendice   de  la  Pléiade,   II,  393).   —  Au.x   pièces  précédentes  il  convient 
d'ajouter  une  importante  élégie  latine,  non  réimprimée,  qui  se  trouve  à  la 
suite   du  Turnulus  llenrici  Secuiidi  il559),  sous  ce  titre:  Ad  illustriss.  prin- 
cipein  Carolurn  card.  Lotharingum  loacli.  Rellaii  elegia.  (Bibl.  Nat.  —  Rés. 
mY"^.  113).    C'est   une   demande   de    protection.   —  Cf.  Ronsard,  Hymne  de 
Charles,  cardinal  de  Lorraine,  1559  (Blanchemain,  V,  83).  On  y  lit  ces  vers  : 
El  si  tost  qu'il  te  pleut  prendre  dedans  ta  main 
Du  Rellay  que  la  Muse  a  nourri  dans  son  sein, 
Kl  qui  par  ses  chansons  la  grâce  nous  rameine...      (p.  104). 

*  Lettres,  p.  30-31. 


DU    BELLAY    POÈTE   COURTISAN  447 

Tout  en  recherchant  la  l'avcui'  des  Guises,  il  ne  négligea 
pas  non  plus  leur  l'ival  d'iniluence,  Montmorency.  Il  eut  des 
éloges  pour  le  connétable  '  ;  pour  son  fils  François,  le  gendre 
du  roi  ^  ;  pour  son  neveu .  le  cardinal  de  Chàtillon  ^  ;  pour 
sa   nièce,   l'abbesse  de    Caen  '*. 

Enfin,  il  lit  des  dédicaces  ou  des  sonnets  pour  tous  les 
personnages  importants  de  la  Cour  dont  il  voulait  avoir  l'appui 
ou  qu'il  remerciait  de  leur  protection  :  le  garde  des  sceaux 
Jean  Bertrand  *  ;  François  Olivier,  l'ancien  chancelier,  rappelé 
par  François  II  au  pouvoir  ''  ;  d'Avanson,  l'ancien  ambassadeur 
à  Rome  '  ;  Duthier,  conseiller  du  roi  et  secrétaire  d'Etat  *  ; 
Poulin,  baron  de  la  Garde,  amiral  d'Henri  II  '  ;  le  toujours 
dévoué   Michel  de  L'Hospital  "'. 


V 


Mais  jamais  il  ne  ressentit  plus  de  sincère  admiration  et 
de  réel  attachement  que  pour  Madame  Marguerite.  Tous  les 
écrivains  de  l'époque  ont  chanté  à  l'envi  cette  princesse 
aimable  et  bonne,  vertueuse  sans  atlectation  et  savante  sans 
pédantisme  "  :  c'est  que,  suivant  la  belle  expression  de  Ronsard, 

Elle   portoit   une    ame    hostelliere   des   Muses  '^ 

*  Marty-Laveaux,  I,  283. 

^  Poemata,  f"  28  r"  :  In  nupiias  I.  Mommorantii  et  Dianae  Herrici  Gallo- 
rum  Régis  Jiliae . 

=•  Marty-Laveaux,  I,  244;  Regrets,  s.  169. 

^  Marty-Laveaux,  U,  157-138. 

'■  Regrets,  s.  161. 

°  Regrets,  s.  162;  Marty-Laveaux,  II,  507. 

'  Regrets,  dédicace  et  s.  160,  164,  165. 

"  Regrets,  s.  163;  dédicace  des  Jeux  Rustiques. 

»  Regrets,  s.  166, 

1"  Regrets,  s.  167;  Marty-Laveaux,  II,  135  et  140. 
"  Cf.  Bourciez,  Les  mœurs  polies...,  p.  150-152  et  190-193. 
'^  Blanchemain,  YIl,  189. 


448  JO.\CHIM    DU    BELLAY 

Mais  personne,  à  coup  sûr,  ne  montra  dans  ses  hymnes,  avec 
plus  de  respect,  plus  de  ferveur  et  de  tendresse  que  du 
Bellay.  Depuis  le  jour  où  la  sœur  d'Henri  II.  avec  un  bien- 
veillant sourire,  avait  accepté  ses  «  petitz  labeurs  »  et  l'avait 
engagé  à  poursuivre  ',  son  culte  pour  elle  n'avait  cessé  de 
grandir  '.  A  Rome,  un  des  tourments  dont  l'exilé  soulfrait  le 
plus,  c'était  la  privation  de  cette  Marguerite,  source  vénérée 
de   son   enthousiasme.    Loin   d'elle,    il    restait   muet,    dit-il, 

. . .  comme   on   voit  la   Prophète 
Ne   sentant   plus   le   Dieu,    qui   la  tenoit  sugette. 
Perdre   soudainement  la   fureur  et   la  voix  ^ 

Aussi,  lorsqu'il  revint  en  France,  quel  soupir  de  bonheur  ! 
quelle  ivresse  !  Il  échappait  donc  à  ce  sombre  enfer  où  il 
avait  langui  ((  quatre  ans  et  davantage  »  *  !  Il  allait  revoir 
sa  divinité  !  Dans  l'ardeur  de  sa  joie,  il  lui  dédia  dévote- 
ment   toutes   ses   poésies   latines  : 

llae  til)i   si  placeant   incultae.    Diva,    Camoenae, 
Crediderim   summis   me  placuisse   Deis  \ 

Il  suspendit  à  son  autel  une  guirlande  de  sonnets  ^  De  ces 
Heurs  idéales,  se  dégageait  comme  un  parfum  de  pur  amour  et 
de  mystique  adoration.  Marguerite  était  l'esprit  de  lumière, 
inspirateur  des  hauts  pensers  et  des  vertus  sublimes  ', 
un  ange  de  b(jnté  descendu  sur  la  terre,  et  dont  on  n'appré- 
ciait toutes  les  perfections  qu'après  avoir  fait  l'expérience  'de 
la    perversité  des  «  grands   dieux  »  de   ce   monde  : 

'   V.  ci-tlcssus,  1"  pari.,  chap.  viii,  i^  ii,  p.  222. 

-  Maity-Laveaux,  1,  70,  168,  219,  233,  23i,  237,  240,  234,  281,335;  11,41,  13d. 
^  Regrets,  s.  7. 

*  Regrets,  s.  174;  Poemata,  f»  2S  v". 

'"  Poemata,  l"  2  v°.  —  Cf.  la  pièce  Ciir  intermissis  GalUcis  Latine  scribat, 
fo  3  v. 

•^  Regrets,  s.  174-lfXJ 

'  Regrets,  s.  170  et  177. 


DC    BKLLAY    l'OÈTK    COURTISAN  449 

Quand  ceste   belle   Heur   premièrement  je  vy, 
Qui  nostre   aage  de   fer  de    ses  vertuz  redore, 
Bien  que  sa  grand'valeur  je  ne  cogneusse  encore. 
Si    l'iis-je   eu    la   voyant  de    merveille  ravy. 

Depuis  ayant  le    cours   de   fortune  suivy 

Où  le  Tybre   tortu  de  jaune  se  colore, 

Et  voyant  ces  grands  dieux  que  Fignorance  adore, 

Ignorans,    vicieux,   et  mescliaus  à  Tenvy  : 

Alors  (Forgef)   alors   ceste   erreur   ancienne, 
Qui  n'avoit  bien  cogneu  ta  Princesse  et  la  mienne, 
La  venant   à  revoir,  se   dessilla  les   yeux  : 

Alors  je  m'apperceu   qu'ignorant  son   mérite, 
J'avois,   sans  la  cognoistre,    admiré  Marguerite, 
Comme,  sans  les  cognoistre,  on  admire  les  cieux  \ 

Lorsqu'en  i559,  à  Tàge  de  trente-six  ans.  Madame 
Marguerite  épousa  Philibert-Emmanuel,  duc  de  Savoie,  dans 
le  concert  d'acclamations  qui  sortit  de  la  bouche  des  poètes, 
du  Bellay  se  distingua  par  l'ardeur  de  son  enthousiasme.  Il 
écrivit  pour  la  princesse  un  solennel  Épithalame  \  C'était 
un  chant  dialogué,  dont  les  personnages  étaient  la  Musique, 
le  Poëte,  Antoinette  de  Loynes.  femme  de  Morel,  et  ses  trois 
filles,  Diane,  Lucrèce  et  Camille,  enfin  Mercm-e.  Il  devait 
être  récité,  parait-il,  au  festin  nuptial.  M.  de  Nolhac  a  trouvé 
dans  un  manuscrit  *  quelques  indications  concernant  1'  ((  ordon- 
nance »  de  cet  Epithalame,  ordonnance  qu'il  attribue  à 
du   Bellay   lui-même.    Camille   devait   être  habillée  «  en    Ama- 

*  Secrétaire  de  Madame  Marguerite.  —  Cf.  Lettres  de  J.  du  Bellay,  p.  25. 

-  Regrets,  s.  185. 

^  Epithalame  sur  le  mariage  de  tresillustre  prince  Philibert  Emanuel, 
duc  de  Savoye,  et  tresillustre  princesse  Marguerite  de  France,  sœur  unique 
du  Roy  et  duchesse  de  Berry.  Par  loach.  du  Bellay  Angevin.  Paris,  Federic 
Morel,  1559,  14  11",  in-4".  —  Marty-Laveaux,  II,  421-439. 

'  Bibl.  Nat..  fonds  français,  4600,  f.  302. 

Unii>.  de  Lille.  Tome  YIII.  A.  29. 


4oO  JOACUIM    DU    BELLAY 

zone  (ju  on  liubit  de  Pallas,  l'armet  en  teste,  la  Gorgonne  en 
son  bras  gauche  »,  Lucrèce  a  en  gentildone  romaine  »,  et 
Diane  «  en  Nymphe  et  Déesse,  son  arc  et  flesche  au  poing  ». 
Quant  au  Poêle,  il  aurait  été  figuré  par  leur  jeune  frère 
Isaac,  ((  hal)illé  en  Orphée  à  l'antique,  couronné  de  laurier, 
une  harpe  à  la  main  »  '.  On  sait  quel  tragique  accident  vint 
arrêter  toutes  les  l'êtes,  et  connnent  à  minuit,  le  9  juillet  iSôg, 
sous  les  yeux  de  son  frère  mourant,  Madame  Marguerite 
épousa  le  duc  de  Savoie  :  lamentable  cérémonie,  qui  tenait 
plus   d'un   enterrement  que   d'un   mariage  ■. 

Trois  mois  plus  tard,  la  bonne  et  regrettée  duchesse 
prenait  enfin  la  route  de  son  nouveau  pays.  Du  Bellay,  que 
la  maladie  retenait  depuis  quelque  temps  à  la  chambre,  eut  le 
chagrin  de  ne  pouvoir,  avant  son  départ,  lui  ((  faire  la 
révérence  »  et  lui  ((  baiser  les  mains  »  .  Il  chargea  son  ami 
Morel  ^  de  s'en  acquitter  à  sa  place  et  de  présenter  de  sa 
part  à  Madame  de  Savoie,  comme  un  cadeau  d'adieu,  le 
Tombeau  d  Henri  II  qu'il  venait  d'achever.  En  même  temps, 
il  lui  confiait  les  douleurs  de  son  àme,  le  désespoir  qu'il 
éprouvait  de  ce  départ  s'ajoutant  à  la  mort  du  roi.  «  Ce 
désastre,  lui  disait-il,  av(;c  le  partement  de  madicte  Dame, 
qui  (à  ce  ([ue  j'entends)  est  pour  s'en  aller  bien  tost  es 
pays  de  Monseign^  le  duc  son  mary,  m'a  tellement  estonné  et 
faict  perdre  le  comr,  que  je  suis  délibéré  de  jamais  plus  ne 
i-etenter  la  l'ortune,  m'ayant,  nescio  quo  fato.  esté  jusques  icy 
toujours  si   marastre    et    cruele,    mais   ahdere    me    in    secessum 


'  Lettres  de  J.  du  Bellay,  p.  'M),  note. 

-  Mémoires  de  Vieilleville,  liv.  VU,  chap.  28.  —  Collection  Petitot,  XXVII, 
417. 

'  Lettres,  p.  3ij.  —  Celle  lettre,  dalée  du  3  octobre  15iJ9  et  publiée  par 
M.  de  Nolhae,  d'après  une  copie  manuserilc,  diffère  un  peu,  quant  au  texte, 
de  la  Lettre  d  un  sien  aniy,  imprimée  à  la  suite  du  Tombeau  (Marty-Laveaux, 
II,  472),  et  qui  n'est  datée  que  du  5. 


DL'  BELLAY  POÈTE  COUKTISAN  451 

nliquem,  avec  ceste  brave  devise  ptmr  toute  consolation.  Spes 
et  fortuna  valete.  Et  qui  seroit  si  loi  de  ce  vouloir  doresna- 
vant  travailler  l'esprit  pour  faire  quelque  chose  de  bon,  ayant 
perdu  la  laveur  d'ung  si  bon  prince,  et  la  présence  d'une 
telle  princesse,  qui  de] mis  la  mort  de  ce  grand  Roy  François, 
père  et  iustaurateur  des  bonnes  lectres,  estoit  demourée 
l'unique  suport  et  refuge  de  la  vertu  et  de  cculx  qui  en  font 
profession  ?  Je  ne  puis  continuer  plus  longuement  ce  propoz 
sans  larmes,  je  dy  les  plus  vray<'s  larmes  que  je  pleuray 
jamais  *.  »  Un  peu  plus  loin,  il  écrivait,  le  cœur  saignant  : 
((  Quand  à  moy  {et  hoc  mihi  apiid  amicuin  liceat),  encores 
que  jusques  icy  j'aye  enduré  des  indignitez  de  la  fortune 
aultant  que  pauvre  gentilhomme  en  peult  endurer,  si  est-ce 
que  pour  perte  de  biens,  d'amis  et  de  santé,  et  si  quelque 
aultre  chose  nous  est  plus  chère  en  ce  monde, ^  je  nay  jamais 
esprouvé  si  grand  ennuy  que  celuy  que  j'ay  receu  de  la  mort 
du  feu  Roy.  et  du  prochain  département  de  madicte  Dame, 
qui  étoit  le  seul  appuy  et  columne  de  toutes  mes  espérances  ^  » 
Puisqu'il  ne  pouvait  accompagner  sa  bienfaitrice  dans  son 
voyage,  il  la  suivrait  du  moins  de  ses  prières  et  de  ses 
vœux  ((  pour  sa  bonne  prospérité  et  santé  »  .  avec  «  cette 
humble  allection,  révérence,  et  dévotion  »  (juil  lui  devait.  Et 
le  malheureux  ajoutait  :  ((  Ce  qui  me  reste  de  consolation, 
c'est  une  conscience  de  bonne,  pure  et  sincère  volunté  envers 
Dieu  et  envers  les  hommes,  avecques  ung  contentement,  ou 
(s'il  fault  dire  ainsy)  ceste  gloyre.  qu'ayant  en  la  profession 
où  j'ay  esté  poussé,  plustot  par  nécessité  que  par  élection, 
rencontré  tant  d'heur  que  de  plaire  à  madicte  Dame,  je  me 
puis  vanter  d'avoir  esté  agréal^le  à  la  plus  saige.  vertueuse  et 
humaine  Princesse  ({iii    ait  été  de  son  temps  ^  )) 

1  Lettres,  p.  37-38. 
-  Lettres,  p.  38-39. 
=*  Lettres,  p.  39-40. 


452  JOACHI.M    DU    BELLAY 

Si  j'ai  cité  la  plus  grande  partie  de  cette  lettre,  c'est  qu'on 
y  surprend  sur  le  vif,  dans  leur  saisissante  amertume,  les 
déceptions  et  les  angoisses  dont  souH'rait  l'ami  de  Morel. 
L'infortuné  s'abandonnait,  perdu,  désemparé.  Le  départ  de  sa 
protectrice,  ce  n'était  pas  seuleinent  la  ruine  de  ses  espérances 
et  la  destruction  de  son  rêve  :  c'était  aussi  la  fin  brutale  de 
son  affection  la  plus  sainte,  le  brisement  de  sa  tendresse,  un 
coup  porté  droit  à  son  cœur.  Et  cela,  dans  un  temps  où  plus 
que  jamais  il  eût  eu  besoin  de  consolation  et  de  réconfort, 
accablé  qu'il  était  par  la  douleur  physique,  par  le  chagrin 
d'une  disgrâce,  par  toutes  les  épreuves  que  lui  infligeait  la 
vie. 


CHAPITRE   X 


LES  DERNIERS  TEMPS 

1559-1560 


I.  —  Les  «  Lettres  »  de  J.  du  Bellay  :  leur  intérêt  documentaire.  — 

La  mission  du  poète  â  Paris.  —  Du  Bellay  fut-il  prêtre? 

II.  —  Ses   démêlés   avec  l'évêque   et  sa  famille.  —   L'affaire   des 

«  Regrets  ».  —  L'affaire  des  collations.  —  Du   Bellay  et 

le  cardinal  :  les  bénéfices  ecclésiastiques  de  JoacMm. 

III.  —  La  santé   du  poète.  —  État  physique  :   les  progrés   de  la 

surdité.  —  État  moral  :  la  ruine  des  illusions. 

IV.  —  Consolations  poétiques.  —  Les  dernières  œuvres  de  du  Bellay. 

—  Les  «  Xenia  ». 
V.  —  Mort  de   J.  du  Bellay  (1"  janvier  1S60).  —  Sa  sépulture  ; 
son  épitaphe. 


Lorsque  le  doyen  du  Sacré-Collège  avait  renvoyé  Joachim 
en  France,  il  était  si  content  de  ses  loyaux  services  que, 
pour  lui  prouver  sa  satisfaction,  il  l'avait  chargé  de  veiller 
là-bas   à  ses  intérêts    : 

Et  sua  coinmittit   curanda  négocia   nobis. 
Expertus  nostram   scilicet  ante  fidem. 

Si  nous   n'avions  que    ce   distique   pour    définir   exactement  la 


454  JOACHIM    DU   BELLAY 

nature  de  la  mission  que  le  poète  avait  i'e(^-ue  du  cardinal, 
nous  serions  fort  embarrassés.  Mais  par  bonheur,  nous  possé- 
dons des  indications  plus  précises.  En  1867.  M.  Revillout  a 
retrouvé,  dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  l'Ecole  de 
Médecine  de  Montpellier,  la  copie  d'un  certain  nombre  de 
lettres  écrites  par  du  Bellay  et  par  divers  membres  de  sa 
famille,  copie  qu'avait  exécutée  un  siècle  auparavant  le 
président  Bouhier'.  M.  de  Nolhac.  à  son  tour,  ayant  découvert 
à  la  Nationale  les  autographes  des  mêmes  lettres,  en  a  donné 
une  édition  aussi  correcte  qu'élégante  -.  Si  incomplète  que 
soit  cette  correspondance  ^  elle  a  beaucoup  de  prix,  puisqu'en 
nous  renseignant  sur  les  fonctions  dont  était  chargé  le  poète, 
elle  nous    livre  le  secret  des  ennuis   de   ses   derniers   temps. 

Le  cardinal  du  Bellay,  nous  l'avons  vu  \  disposait  — 
comme  d'ailleurs  à  cette  époque  la  plupart  des  prélats  de 
France  —  d'un  grand  nombre  de  bénéfices.  11  s'était  fait 
donner  plusieurs  sièges  épiscopaux,  Paris,  Limoges,  Bordeaux, 
Le  Mans,  et  tenait  en  commende  beaucoup  dabbayes  et  de 
prieurés,  dont  les  revenus  lui  permettaient  de  mener  à 
Home     un     grand    train     de     vie.     Un     déci*et    du    concile    de 


'  M.  Revillout  a  tiré  de  ces  lettres  un  substantiel  mémoire  intitulé  :  Les 
derniers  mois  du  poëte  Joachim  du  Bellay,  qui  ligure  dans  les  Mémoires  lus 
à  la  Sorbonne  en  iS6y,  p.  375-408.  Inipr.  Impér.,  1868.  —  V.  dans  la  Corres- 
pondance de  Sainte-Beuve,  édit.  C.  Lévy,  1878,  t.  il,  p.  247.  une  lettre  du 
célèbre  critique  à  M.  Revillout,  à  propos  de  son  mémoire. 

-  Lettres  de  Joachim  du  Bellay  publiées  pour  la  première  fois  d'après  les 
originaux.  Paris,  Charavay,  1883.  —  Depuis  son  édition,  M.  de  Nolhac  a 
retrouvé  deux  nouvelles  lettres  de  J.  du  Rellay,  qu'il  a  publiées  dans  la  Rev. 
d'hist.  litt.  de  la  France,  1894,  p.  49,  et  1899,  p.  360.  Espérons  qu'il  n'est  pas 
au  bout  de  ses  bonnes  fortunes. 

^  Elle  ne  comprend  que  des  lettres  de  la  seconde  moitié  de  1559.  Encore 
sommes-nous  loin  de  les  posséder  toutes  :  c'est  ainsi  que  nous  n'avons  plus 
une  lettre  de  Joachim  à  l'évèque  de  Paris  en  date  du  16  septembre  (v  Lettres, 
p.  75-76).  Quant  aux  réponses  du  cardinal,  (jui  seraient  si  précieuses,  elles 
manquent  à  la  collection. 

*  V.  ci-dessus,  2'"  part.,  chap.  i,  §  i,  p.  272. 


LES   DERNIERS   TEMPS  4o5 

Trente  '  ayant  interdit  ce  cumul,  si  contraire  à  l'esprit  de 
rÉgiise,  il  s'était  vu  dans  l'obligation  d "y  renoncer.  En  i55o, 
il  avait  résisrné  l'évèché  de  Paris  à  l'un  de  ses  cousins, 
Eustache  du  Bellay,  conseiller-clerc  au  Parlement  '■.  En  i553, 
il  s'était  démis  de  l'archevèclié  de  Bordeaux  en  faveur  de 
François  de  Mauny  •'.  Enfin,  en  i556,  il  avait  cédé  l'évèché 
du  Mans  à  Charles  d'Angennes  *.  Mais  en  se  dépouillant  de 
la  sorte  au  profit  de  parents  ou  d'amis,  il  s'était  cependant, 
par  une  ingénieuse  tactique,  réservé  certains  droits  dans 
l'administration  de  ses  anciens  diocèses.  Pour  l'évèché  de 
Paris  notamment,  il  gardait  en  partie  la  collation  des  béné- 
fices et  prélevait  une  part  des  revenus,  si  bien  qu'Eustache 
du  Bellay,  l'évcque  titulaire,  n'avait  guère  en  réalité  que  la 
situation  d'un  custodi-nos. 

Pour  surveiller  des  intéi'èts  si  compliqués  et  si  précieux, 
le  cardinal  avait  besoin  de  mandataires  d'une  absolue  fidélité. 
Pendant  quatre  années,  il  avait  pu  voir  Joachim  à  l'œuvre  ; 
il  connaissait  par  expérience  son  intelligence  et  son  dévoue- 
ment. C'est  là  sans  doute  ce  qui  lui  fit  choisir,  pour  cette 
mission  délicate,  l'intendant  éprouvé  de  son  palais  de  Rome. 
Ainsi  notre  poète,  en  France  comme  en  Italie,  eut  d'abord 
à  remplir  des  fonctions  financières.  Ses  lettres  en  témoignent  : 
nous  le  voyons  en  rapports  avec  Didato  et  Combraglia,  deux 
banquiers  italiens  qui  faisaient  à  Paris  les  affaires  de  son 
maître  ;  il  s'occupe  du  paiement  de  ses  dettes  et  du  recou- 
vrement de  ses  créances  :  il  lui  envoie  des  lettres  de  change 
de   douze    cents    écus.   son    ((  ordinaire  ^)   de    chaque    mois  '.    Il 

*  6=  session,  13  janvier  io47.  De  Reformatione,  c.  I. 
-  Gallia  Christiana,  t.  VII,  col.  iti2,  û. 

'  Gallia  Cliristiana,  t.  Il,  col  849,  A. 

*  Gallia  Christiana,  t.  XIV,  col.  414,  D. 

'"  V  toute  la  lettre  du  7  octobre,  p.  61.  —  Une  lettre  d'Eustache  du  Bellay, 
p  85,  conlirme  nettement  que  l'évèché  de  Paris  rapportait  au  cardinal  1200 
écus  par  mois. 


45fi  JOACHIM    DU    BELLAY 

s'acquitta  de  son  office  avec  un  zèle  scrupuleux  :  ((  Je  ne  veulx 
prescher  mes   mérites,    écrivait-il    au   cardinal,    mays   s'il    vous 
plaist  de  le   réduyre  à  mémoyre,  vous  trouverez.  Monseigneur, 
qu'en  moins    d'un   an   et  demy    vous   avez  disposé   de   plus   de 
troys  mil  livres  de  rante  ce  pendant  que  je  m'en  suys  meslé'.  » 
Mais    là    ne     s'arrêtait  pas    la    mission    de    du    Bellay.  La 
nature  même   de   ses  fonctions,  en  l'obligeant  à  surveiller  tout 
ce    qui    était    pour    son    maître     une    source    de    revenus,     le 
mêlait    forcément   aux   questions    d'administration    et   le  faisait 
participer,     dans    une     certaine     mesure,     à    la    direction     du 
diocèse   de  Paris.   Il    s'occupait    avec    l'évêque   de    l'attribution 
des  prébendes  et   présentait  au   cardinal  les    requêtes  des  pos- 
tulants.   Les  solliciteurs  allaient  le  trouver,  soit  pour  demander 
un  bénéfice  vacant,    soit  pour  obtenir,   souvent  à  beaux  deniers 
comptants,  l'appui  du  doyen  du  Sacré-Collège  dans  des  affaires 
pendantes    en    Cour     de     Rome.     Ainsi    M.     d'Ivry     (Philibert 
Delorme),     abbé    nommé    de    Saint-Serge   d'Angers,    venait    le 
voir  un   matin,     lui    parlait    ((   plus    particulièrement  ».    et    lui 
promettait,  si  le  cardinal   lui  faisait   promptement   expédier  ses 
bulles,   de    «  ne  plaindre  V   cens  escutz   pour    la    dilligence   du 
convoyeur  ».   La  reine  elle-même  lui  écrivait  pour  des  prél)endes 
vacantes  \  Enfin.  —  et  c'est  un   point  foiM  important,  puisqu'un 
conflit   devait  un  jour   sortir  de   là,  —  le  cardinal  avait  chargé 
son  intendant  de  conférer,   en  Vahsence  de   Vévêque  de  Paris, 
les  prébendes    que   ce    dernier   conférait   en  temps  ordinaire  ^ 

'   Lettres,  p.  ;j8.  —  Cî.  Élégie  à  Morel: 

Hic  quoi  pertulerim  noctesque  diesque  labores, 

Munere  dum  fungor  sedulus  ipse  meo, 
Teslis,  qui  obsequiuni  nostruni  menlcmque  probavit, 
Paupcrtas  Icslis  noslraquc  sempcr  erit. 
=  Pour  les  détails,  v.  Lettres,  p.  ;i6,  îiO,  60,  63,  64. 

^  C'est  ce  qui  ressort  clairement  de  plusieurs  passages  des  Lettres  :  — 
1°  Lettre  de  Joachim  au  Cardinal,  datée  du  l"'  septembre  :  «  Ce  jourd'huy  est 
vacqué  une  prébende  de  vostre  eglize  de  Nostre  Dame,  que  Mons'  le  thésau- 
rycr  de  Heauvoys  a  conférée  au  lilz  de  Mons'  de  Saveuse,  encore  que  je  luy 


LES    DEIINIERS    TEMPS  4f)7 

Il  est  d'ailleurs  bien  entendu  qu'il  s'agit  simplement  de 
celles  des  prébendes  réservées  aux  laïques  :  notre  auteur 
n'avait  aucun  droit  à  en  conférer  d'autres.  Nulle  part,  les 
Lettres  ne  le  montrent  à  nous  investi  de  pouvoirs  spirituels  ; 
et  c'est  bien  à  tort,  à  mon  sens,  que  l'on  soulève  ici  la 
question  de  savoir  si  du  Bellay  fut  prêtre  ou  non.  Il  était 
clerc  ',  comme  tant  d'autres  en  ce  temps-là  :  mais  rien  ne 
prouve  qu'il  eiit  reçu  les  ordres.  En  aucun  endroit  de  ses 
œuvres,  je  n'y  vois  la  moindre  allusion.  Au  moment  de 
partir   pour   Rome,    il   s'écriait    : 

J'apprendray   les   secrets   de   la   théologie  % 

ce  qui  semble  indiquer  qu'il  n'avait  pas  poussé  très  loin 
l'étude  de  la  science  divine.  La  Croix  du  Maine  est  le 
premier  qui  fasse  de  notre  poète  un  archidiacre  de  Paris  ^ 
Scévole  de  Sainte-Marthe,  autant  qu'on  peut  l'induire  d'un 
texte   sans  clarté,    réédite  la  même  affirmation  *.    Mais  ce   n'est 


eusse  faict  remonstrer  de  ne  me  faire  ce  tort  qu'en  l'absence  de  Mons^ 
de  Paris  je  ne  feisse  la  charge  qu'il  vous  a  pieu  nie  donner....  »  {Lettres, 
p.  o6-o7).  —  2'  Lettre  de  Joachim  à  l'évèque  de  Paris,  datée  du  .31  août  : 
«  Ce  me  seroit  une  grand'  veroongne  ....  qu'en  vostre  absence  ung  aultre 
usurpast  sur  moy  la  charge  qu'il  a  pieu  à  Monseigneur  le  Cardinal  me  don- 
ner. ...  »  Et  plus  loin  :  «  Si  vous  trouvez  bon,  sans  exprès  commandement 
de  mondit  seigneur  le  Cardinal,  de  préférer  des  étrangers  a  moy  ....  je  vous 
supplie.  Monsieur,  de  le  me  faire  entendre,  a  fin  que  je  m'en  descharge 
envers  mondict  seigneur  le  Cardinal  et  qu'il  n'ayt  occasion  de  penser  qu'en 
vostre  absence  j'aye  desdaigné  de  faire  la  charge  qui  iuy  a  pieu  me  donner.  » 
{Rev.  d'hist.  litt.  de  la  France.  189i,  p.  ^iO-ol). 

'  Clericus  Xannetensis  Dioecesis,  disent  les  registres  de  l'Eglise  de  Paris  : 
Lire,  sa  paroisse,  relevait  du  diocèse  de  Nantes. 

*  Resrrets,  s.  32. 

*  Bibl.  franc.,  II.  1  :  «  Joachim  du  Bellay.  Gentilhomme  Angevin,  sieur 
de  Gonnor  en  Anjou,  Arcliidiacre  en  l'Eglise  de  Notre-Dame  de  Paris    » 

'  Elogia  (loDS),  p  40  :  «  In  D.  Virginis  aede,  in  qxia  sacerdotiiim  praeci 
piiae  dii^nitatis  obtinebat,  honorilîeo  funeris  apparatu  sepultus  est.  »  Dans 
ledit,  de  1606,  p.  61,  le  texte  est  ainsi  modifie  :  «  In  B.  Virginis,  nbi  sacer- 
dotium  possidebat,  sepultus.  »  (Traduction  de  CoUetet  :  «  Il  fut  enterré  dans 
l'Eglise  de  Nostre-Dame.  où  il  estait  Archidiacre  »  ).  —  Je  note  encore  dans 
l'édit.  de  1606  un  passage  qui  n'est  pas  dans  celle  de  lo98.  Sainte-Marthe 
vient  de  parler  des  Antiquitez  de  Rome  et  des  Regrets;  il  ajoute  :  «  Hune 
tamen  liberi  et  faccti  ingenii  fervorem  remitlerc  paulatim  coeperat,  gravio- 
raque  deinceps  et  sacrato  homine  digniora  meditari.  »  Il  ressort  de  ces 
textes  cjue  Sainte-Marthe  a  cru  à  la  prêtrise  de  du  Bellay. 


4o8  JOACHIM    DU    BKLLAY 

là  qu'une  légende,  que  Ménage  a  ruinée  en  compulsant  les 
registres  de  TP^glise  de  Paris  *.  Il  est  vrai  que,  si  du  Bellay 
ne  figure  point  sur  les  registres  capitulaires  comme  archi- 
diacre, il  y  figure  comme  chanoine  :  c'est  Ménage  qui  nous 
rapprend  ^  Le  19  juin  i555,  —  il  était  alors  à  Rome,  —  il 
obtint  le  canonicat  laissé  vacant  par  le  décès  de  maître  Jean 
Toussepain,  et  s'en  démit  un  an  après,  le  12  juin  i556,  pour 
un  motif  cpie  Ton  ignore  '\  Mais  comme,  à  cette  époque,  il 
arrivait  encore  que  l'on  conférât  de  semblables  charges  à  de 
simples  laïques ,  on  ne  saurait  conclure  de  ce  canonicat  que 
son  possesseur  était  sûrement  dans  les  ordres.  Je  sais  bien 
qu'on  allègue  à  l'appui  de  la  thèse  que  du  Bellay,  lorsqu'il 
mourut,  allait  recevoir  du  cardinal  l'archevêché  de  Bordeaux  *, 
ce  qui  serait  invraisemblable  s'il  n'eût  eu  la  prêtrise.  Mais 
Scévole  est  le  seul,  ou  du  moins  le  premier,  qui  parle  de  la 
chose  %  et  Scévole  est  sujet  à  caution  *,  Si  vraiment  le  cardinal 
avait  désigné  son  neveu   pour  un   archevêché,  n'est-il   pas   sin- 

'  Anti-Baillet,  ôdil.  de  1730,  chap.  xlv,  p.  93  :  «  J'ai  cru  autrefois  sur  le 
témoijjnage  de  La  Croix  du  Maine,  et  sur  celui  de  Jean  le  Clerc,  qu'il  avoit 
été  Archidiacre  de  Paris.  Mais  j'ai  vérifié  sur  les  Registres  de  l'Eglise  de 
Paris  qu'il  ne  l'avoit  point  été.  » 

-  Joachimus  du  Bellay,  Clerlcus  Nannetensis  Dioecesis,  fuit  receptus  ad 
Canonicatum  et  Praehendam,  vacantes  per  obitum  Magistri  Johannis  Tous- 
sepain, Canonici  Parisiensis  et  Archidiaconi.  Cité  par  Ménage,  Anti-Baillet, 
chap.  XXXV,  p.  (J5-G6.  —  Nicerou  explique  assez  bien,  t.  XVI,  p.  392,  com- 
ment a  pu  naître  l'erreur  concernant  du  Bellay  archidiacre  :  «  Cette  luéprise 
peut  venir  de  ce  que  Joachim  du  Bellay  succéda  dans  le  Canonicat  de 
Paris  à  Jean  Toussepain,  qui  étoit  en  même  temps  Chanoine  et  Archidiacre, 
et  de  ce  qu'on  a  cru  que  ces  deux  dignitez  étoient  passées  conjointement  à 
lui  ;  ce  qui  n'est  pas.  » 

•■'  Anti-Baillet,  chap.  xlv,  p.  93.  —  Cf.  Marty-Laveaux,  Notice  sur  J.  du 
Bellay,  p.  xxix. 

*  A  la  mort  de  François  de  Mauny  (1558),  le  cardinal  avait  repris  son  titre 
d'archevêque  de  Bordeaux,  via  regressus. 

■'  Encore  n'en  parle  t-il  que  dans  Tédit.  de  lOOG,  p.  fil  :  «  Cum  Burdigalae 
Antistes  ab  illo  suo  Cardinale  jam  designaretur  ...» 

"  Cél.  Port,  Dictionn.  de  Maine-et-Loire,  art.  Dubellaj,  t.  II,  p.  67  : 
<<CVst  pur  rêve  que  de  lui  prêter,  comme  on  le  fait,  le  succession  anticipée 
du  cardinal  Jean  à  rarclievcché  de^Bordeaux.  » 


LES    DEHMEIIS    TEMPS  4o"J 

gulier  que  nul  contemporain  n'ait  mentionné  dans  ses  éloges 
un  fait  si  glorieux  pour  notre  poète  ?  —  Donc,  le  doute  est  ici 
de  rigueur.  On  a  j)U  démontrer,  d'une  façon  presque  certaine, 
que  Ronsard  était  prêtre  '  :  on  ne  le  peut  pour  du  lîellay. 
«  Rien  ne  m'assure,  écrivait  Sainte-Beuve  \  que  du  Bellay 
ait  jamais  dit  la  messe.  »  S'il  faut  exprimer  toute  ma  pensée, 
j'ai  pour  ma  part  l'intime  conviction  qu'il  n'exerça  jamais  le 
sacerdoce. 

Mais  qu'il  fût  prêtre  ou  non,  il  avait  un  rôle  assez  impor- 
tant à  l'évèché  de  Paris,  et  sa  situation  allait  lui  valoir,  du 
fait   même   de    sa   famille,   de    bien  cruels  mécomptes. 


II 


Eustache  du  Bellay,  l'évêque  de  Paris,  était  le  cousin 
germain  du  poète  '.  Si  conciliant  qu'il  fût  de  caractère,  si 
respectueux  des  volontés  du  cardinal,  il  navait  pu  voir  sans 
quelque  dépit  ce  retour  dun  parent,  dont  il  savait  et  jalousait 
les  bons  offices,  et  qu'il  redoutait,  maintenant  surtout,  comme 
un  obstacle  à  son  autorité.  Ainsi  que  l'a  dit  M.  Revillout, 
((  Joachim  ne  venait-il  pas,  sinon  pour  contrôler  l'évêque  de 
Paris,  au  moins  pour  partager  avec  lui  la  gestion  d'atlaires 
dont  Eustache  avait  été  jusque-là  chargé  seul  ?  C'était  donc 
une  guerre  de  famille  qui  s'ouvrait,  et  l'objet  du  débat, 
c'était  la  faveur  d'un  parent  puissant,  dont  les  deux  rivaux 
attendaient  tout,  et  qu'ils  étaient  habitués  à  vénérer  comme 
un   dieu  \  » 

'  Abbé   L.  Froger,   Ronsard    ecclésiastique,  Mamers,  1882  ;  P.   Bonnefon, 
Ronsard  ecclésiastique,  dans  la  Rev.  d'hist.  tilt,  de  la  France.   1895,  p.  2i4. 
-  Notice  sur  J.  du  Bellay,  p.3oo,  n.  1. 

'  V.  le  tableau  généalogique  de  la  famille  du  Bellay,  dans  IVdit.  Séché. 
'  Revillout,  p.  382. 


460  JOACHIM    DU    BELLAY 

Ce  qui  devait  encore  aviver  le  conflit,  c'est  que  l'évêque 
subissait  l'influence  de  son  frère  Jacques,  baron  de  Thouarcé  *, 
lequel  était  assez  violent  et  détestait  fort  Joachim.  Le 
poète,  de  son  côté,  n'était  pas  exempt  de  défauts.  «  Ses  amis 
vantent,  il  est  vrai,  la  bonté  de  son  naturel,  l'amabilité  de 
son  caractère,  l'agrément  de  son  commerce  et  la  droiture  de 
son  àme  ;  ils  le  dépeignent  à  plaisir  liumble,  bénin,  n'ofien- 
sant  personne  et  constant  à  tenir  sa  parole  ;  mais,  comme  dit 
lun  d'entre  eux, 

Il    couvroit   néanmoins,    sous   son   courtois   langage, 
Un   magnanime   cœur,  tesmoing  de  son  lignage  *. 

C'est  dire  qu'il  ne  tolérait  pas  facilement  l'injure,  et  qu'il 
était  fort  chatouilleux  sur  le  point  d'honneur.  Et  comme  nous 
savons  par  un  autre  aveu  de  ses  amis  qu'il  était  «  prévoyant 
aux  choses  soup(;onneuses  »,  on  peut  deviner  qu'il  était  non- 
seulement  ii'i'itable.  mais  encore  méfiant  dans  les  aflaires  ^  » 
Dès  lors,  on  coiiroil  (juc  la  bonne  entente  n'ait  pas  été  bien 
longue  entre  le  poète   et  ses  deux    cousins. 

Que  se  passa-t-il  la  première  année  ?  Nous  l'ignorons  abso- 
lument. Mais  en  i559,  —  les  Lettres  en  font  foi,  —  leurs  rapports 
étaient  très  tendus.  Déjà,  des  dissensions  avaient  éclaté,  sui- 
vies de  mots  amers,  (h-  |);u"<)h's  (h-  menaces  *.  Un  jour,  du 
Bellay  reçut  d'un  ami.  Jérôme  de  la  Rovère,  évêque  de 
Toulon    '\   une    communication    aussi   fâcheuse    qu'inattendue  : 

*  Chef-lieu  de  canton  de  l'arrondissement  d'Angers. 

-  Cf.    Aubert,   Elégie    sur   le  trespas  de  M.   loachim  du  Bellay.   Cf.  son 
Epistre  au  lioy  (Marly-Laveaux,  Appendice  de  la  Aotice,  p.  xxxviii.) 
'■>  Ucvillout,  p.  382. 

*  Lettres,  p.  o3. 

'  Du  Bellay  l'avait  connu  chez  Morel.  Son  amitié  pour  ce  prélat  est  attestée 
par  deux  pièces  (une  épi^^ranime  latine  suivie  d'un  sonnet),  qui  se  trouvent 
en  tèlc  de  la  phiquellc  intitulée  :  Les  deux  Sermons  funèbres  es  obsèques  et 
enterrement   du  feu  Roy   Treschrestien  Henry  deuxième  de  ce  nom,  faicts  et 

prononcez  par  Messire  lerome  de   la  liovere,  esleu  Evesque  de    Thuton   

Paris,  Rob.  Estienne.  i:;;5!t,  in-i".  (Bibl.  Nat.  —  L!).3M04).  —  Sur  Jérôme  de  la 
Kovére,  v.  la  note  de  M.  de  Nolliac,  Lettres,  p.  28. 


LES   DERNIERS   TEMPS  4G1 

c'était  des  lettres,  envoyées  de  Ruine  à  Tévèque,  où  le  car- 
dinal témoignait  contre  son  intendant  la  plus  vive  colère'. 
Une  main  mystérieuse  avait  fait  parvenir  les  Regrets  au  doyen 
du  Sacré-Collège,  et  le  prélat,  malgré  son  amour  pour  la 
poésie,    avait  été  scandalisé. 

Ce  fut  pour  Joachim  comme  un  coup  de  tonnerre.  A  l'instant 
il  se  vit  perdu.  11  n'avait  pas  besoin  de  longtemps  réllécliir 
pour  deviner  que  l'envoi  des  Regrets  avait  dû  être  accom- 
pagné d'insinuations  désobligeantes  et  de  perfides  commen- 
taires ^  Mais,  comme  il  était  gentilhomme  et  qu'il  avait  pour 
lui  le  témoignage  de  sa  conscience,  il  ne  voulut  pas  rester 
sous  l'injure.  Donc,  le  3i  juillet,  il  écrivit  au  cardinal  une 
longue  lettre  apologétique  '  où,  tout  en  conservant  la  défé- 
rence et  le  respect  qu'il  devait  à  son  protecteur,  il  n'abdi- 
quait rien  de  sa  dignité.  Il  débutait  en  protestant  contre  les 
calomnies  dont  on  l'avait  noirci ,  et,  rappelant  discrètement 
les  humbles  services  rendus,  il  suppliait  le  cardinal  d'écouter 
sa  défense.  Il  faisait  appel  à  ses  sentiments  de  justice  comme 
à  sa  bonté  naturelle,  et,  non  sans  adresse,  lui  remémorait  ce 
que  lui-même  avait  souffert  :  u  Vous  mesmes.  Monseigneur, 
avez  souvent  esprouvé  et  esprouvez  encore  tous  les  jours  les 
traicts  de  la  calumnie,  à  vostre  grand  honneur  et  à  la  con- 
fusion de  voz  ennemys.  »  Il  lui  disait  alors  comment  il 
avait  écrit  les  Regrets.  C'était  de  sa  part  une  distraction,  rien 
de    plus.    Étant    à    Rome,     il    passait    quelquefois    le   temps   à 

*  Lettres,  p.  41-42, 
-  Elégie  à  Morel  : 

Iratum  insonti  nostrae  fecere  camoenae, 
Iratuni  maliru  qui  vel  habere  Jovem. 
Hei  mihi  Peligni  crudelia  fata  Poetae, 

Hic  etiam  fatis  sunt  renovata  meis. 
Etieu  sola  mihi  nocuit  maie  grata  camoena, 

Artilici  nocet  hic  ars  quoque  sola  suo. 
Sed  non  sola  nocet  :  gravius  nocet  invida  lingua, 
Quae  nostri  caput  est,  fons  et  origo  mali. 

^  Lettres,  p.  41-52. 


462  .TOACHIM    DU    BELLAY 

composer  des  vers,  qu'il  lisait  aux  intimes,  mais  sans  inten- 
tion de  les  publier.  Par  malheur,  un  d'entre  eux,  le  secrétaire 
Le  Breton,  en  faisait  des  copies  clandestines,  qu'il  vendait 
aux  gentilshommes  français  de  passage  dans  cette  ville. 
Il  avait  été  stupéfait  lui-même,  à  son  retour  en  France, 
d'en  trouver  des  copies  imprimées  tant  à  Lyon  qu'à 
Paris,  et ,  le  mal  étant  sans  remède ,  il  avait  publié 
le  recueil  de  ses  vers,  sans  même  les  revoir,  «  ne  pensant 
qu'il  y  eust  chose  qui  deust  offencer  personne  ».  Il  se  croyait 
d'autant  plus  à  l'ubri  de  tout  reproche  qu'il  avait  agi  sur 
l'ordre  du  roi  ,  et  que  son  œuvre  avait  obtenu  les  suffrages 
((  des  plus  notables  et  signalez  personnaiges  du  Royaulme  », 
du  chancelier  Olivier  par  exemple  '.  Il  était  donc  très  étonné 
qu'on  eût  tiré  de  là  des  armes  contre  lui,  pour  le  desservir 
près  du  cardinal.  Jamais  il  n'avait  voulu  porter  atteinte 
à  l'honneur  de  son  maître  :  au  contraire,  il  l'avait  défendu 
dans  un  sonnet  qu'il  joignait  à  sa  lettre  "".  Jamais  il  n'avait 
songé  à  se  plaindre  de  lui,  mais  seulement  de  la  fortune,  et 
des  ingrats  (|ui  payaient  si  mal  le  prélat  de  ses  faveurs.  Si 
d'ailleurs  on  voulait  prendre  pour  des  plaintes  quelques 
paroles  de  regret  échappées  à  son  cœur,  il  en  faisait  l'aveu 
loyal  :  il  n'avait  pu  voir  sans  tristesse  «  recevoir  tant  de 
bien  et  d'honneur  »  beaucoup  de  gens  (jui,  moins  proches 
parents  et  moins  bons  serviteurs,  en  étaient  moins  dignes 
que  lui.  Mais  la  continuation  même  de  ses  services  prouvait 
assez  «  (juo  telles  plainctes  ne  procédoient  de  mauvoise 
voulonté  ».  Puis  il  se  comparait  à  Job,  ayant  contre  lui  ses 
«cousins»,  mais  Dieu  pour  lui.  Dieu  qui  linalemenl  a  approuve 
la  cause  dudict  Job  et  condenpne  celle  de  ses  cousins  », 
(et   par   cette  Une   allusion,    il   laissait  clairement   entendre    au 

'  V.  r('i)Urc   lalino   d'Olivier  à  Morel,  en   lète   des   Poemata,  f"  2   t".   — 
Cf.  l'orijjinal  publié  par  M.  de  NoUiac,  Lettres,  p.  63, 
^  Le  s.  49  des  Regrets. 


LES   DERNIERS   TEMPS  4G3 

cardinal  ([u'il  n'ignorait  {»as  la  source  des  calomnies  dont  il 
était  victime).  Enfin,  il  tenait  à  se  justifier  de  ses  attaques 
contre  la  Cour  romaine.  On  le  menac^-ait  de  l'Inquisition  ; 
mais  il  n'avait  pas  peur,  étant  hoii  (■allioli([ue.  S'il  avait 
quelque  part  raillé  les  Caralla,  c'est  (piils  s'étaient  conduits 
envers  le  cardinal  d'une  façon  indigne,  et  qu'il  n'avait  pu 
refréner  une  légitime  colère.  ((  Tout  le  reste,  ajoutait-il, 
ne  sont  que  risées  et  choses  l'rivoles,  dont  personne  (ce 
me  semble)  ne  se  doibt  scandalizer  s'il  n'a  les  oreilles  bien 
chatouilleuses.  ))  Il  concluait,  non  sans  fierté  :  a  Voilà,  Mon- 
seigneur, la  grande  mesclianceté  que  j'ay  commise  en  vostrc 
endroit,  vous  suppliant  très  humblement  au  reste  de  prendre 
en  bonne  part  ce  qu'en  une  si  juste  deffencc  que  celle  de 
mon  honneur,  j'ay  respondu  non  à  voz  lectres.  mais  aux 
calumnies  de  ceulx  qui  m'ont  déféré  envers  vous  sans  les 
avoir  jamais,  que  je  sache,  oll'encées  ny  de  faict  ny  de  paroUe. 
Dieu  le  leur  pardoint,  car  quant  à  moy  toute  la  vengeance 
que  j'en  désire,  c'est  qu'il  me  donne  la  grâce  de  prendre 
ceste  persécution  en  patience,  et  à  eulx  de  recongnoistre  le 
tort   qu'ilz    m'ont   faict.  » 

Que  répondit  le  cardinal  à  cette  franche  apologie  ?  Y  lit-il 
même  une  réponse  ?  On  peut  en  douter  :  car,  un  mois  après, 
le  3i  août,  le  pauvre  du  Bellay,  qui  n'avait  rien  reçu  de 
Rome  et  qui  perdait  patience,  revenait  à  la  charge  dans  une 
seconde  épitre  *,  plus  courte  et  non  moins  fîère  :  «  Monsei- 
gneur, je  croy  que  vous  aurez  receu  de  ceste  heure  ce  que 
je  vous  ay  dernièrement  escript  pour  ma  justification,  qui 
me  gardera  d'user  de  redictes,  fors  de  ce  mot  seulement, 
c'est  que  si,  en  cela  ny  aultre  chose,  je  sentois  ma  con- 
science coulpable  en  vostre  endroict,  il  ne  me  fauldroit  point 
d'aultre  bourreau  que  moy  mesnies.  »  Sans  nommer  ses 
ennemis,   il  désignait  suflisamment  ceux   d'où   venait  le   coup  : 

*  Lettres,  p.  32-55. 


464  JOACHIM    DU    BELLAY 

((  Les  menasses  précédentes  et  l'eUect  qui  s'en  est  ensuyvy 
incontinent  apprès  me  font  assez  foy  de  ceulx  à  qui  j'en  suys 
tenu.  S'ilz  ont  bien  ou  mal  iaict.  je  m'en  rapporte  à  leur 
propre  conscience  et  à  vous.  Monseigneur,  qui  sçavez  mieulx 
que  personne  de  ce  monde  si  je  leur  en  ay  donné  occasion.  » 
Et.  après  avoir  de  nouveau  protesté  de  son  innocence,  il 
terminait  par  ces  belles  paroles  :  a  Ce  pendant  je  prendray 
patience  le  mieulx  (|u  il  me  sera  possible,  et  avec  les  Stoïciens 
essayray  à  nu*  persuader  que  l'homme  n'est  point  malheu- 
l'cux  pour  la  perte  des  choses  externes,  mays  seulement  pour 
avoyr  commis  ([uelque  acte  meschand.  dont  je  sens  nui  con- 
science necte.    Dieu   mercy.  » 

Ces  pensées  stoïciennes,  où  du  liellay  cherchait  une  conso- 
lation, je  les  retrouve  dans  son  Elégie  à  Morel,  écrite  à 
peu  près  vers  la  même  épocpie'.  L'ami  dévoué  qu'était  Morel 
n'avait  pas  manqué  d'apporter  au  poète,  dans  la  disgrâce  qui 
le  frap[)ait,  le  baume  de  son  allection.  Le  poète  ému  lui 
disait  :  ((  Tu  soullrcs  de  me  voir  payé  d'ingratitude  ;  tu 
compatis  à  nu'S  revers  ;  tu  pleures  avec  moi.  Je  te  reconnais 
bien  là.  Mais  ton  amour  te  trompe,  si  tu  m'estimes  malheu- 
reux. Ceux-là  sont  malheureux,  oui,  ([ui  sont  envieux,  cupides, 
impies,  parjiu'es.  Moi  non  pas.  J'ai  la  conscience  en  paix, 
pure  de  toute  faute.  Quand  la  faute  est  d'autrui,  comnu'ut 
serait-on    malheureux  ^  ?  »    —  Mais    plus    à    l'aise    avec    Morel 

'  Neminem  aliéna  injuria  iniserum  esse.  Ad  laniirn  Morelliim  Ebred. 
Pyladem  suiini.  {'.i'.V2  vers). 

-  Quod  milii  pro  lantis  merilis  lot  damna  rependal 

Pocloris  ingrati  pcrlidiosa  fides, 
Jane,  doles,  sortisque  j)iiis  niisereseis  iniquae, 
Et  nostris  misées  fUlibus  ipse  luos. 

Agnoseo 

Sed  lua  le  pietas  fallit,  dulcissiiue  Jane, 
Si  niiserum,  si  me  forte  dolere  putas. 

lli  polius  misei'i 

Sed  sumus  insonles,  nec  eulpam  agnoseimus  ullara, 
;  Nos  ij,nlur  iniseros  dicere  nemo  potest. 

lu  nohis  situ  sunl,  possunl  (juae  noslra  voeari, 
Née  quemquam  miserum  culpa  aliéna  facit. 


LES   DERNIERS   TKMPS  4G3 

qu'avec  son  auguste  patron,  du  Bellay  s'é;)ancluiit  tout  entier, 
vidait  son  cœur,  mentirait  à  son  <(  Pylade  »  la  blessure  inté- 
rieure qui  saignait  sous  ce  stoïcisiu<\  Il  lui  confiait  les 
plaintes  désolées  qu'il  avait  redites  en  lui-même  ',  en  se 
voyant  trahi  par  ceux  <|ui  lui  juraient  naguère  amitié  frater- 
nelle *  ;  le  violent  accès  de  misanthropie  (ju'il  avait  éprouvé 
devant  un  tel  manque  de  foi  '  ;  le  souhait  de  mourir  qu'avait 
formé  son  désespoir  *.  Il  lui  disait  aussi  ce  qui,  dans  son 
malheur,  le  consolait,  l'encourageait.  Sans  doute,  la  calomnie 
le  privait  d'un  patron,  mais  non  de  sa  gloire  et  de  son 
honneur,  les  seuls  biens  vraiment  personnels  \  D'ailleurs,  qui 
donc  la  calomnie  épargnait-elle  ?  Le  cardinal  tout  le  premier 
n'avait-il  pas  subi  ses  outrages  ?  Calomnié  lui-même,  il  serait 
juste   et  bon   pour   un   serviteur   calomnié  \ 

Je   passe   sans   insister   sur   la  fin  de  l'élégie,    où  du  Bellay 
nous    montre    en    ses    ditîamateurs    des    gens    ennemis    de    la 

'  V.  tout  le  passage  : 

Ergo  ego  (nam  tacilus  niecum  sic  ipse  loquebar) 
Hoc  inerui  infoelix  sedulitate  mea?... 

-  At  non  hoc  prclium  nuper  sperare  jubebat, 

Tarn  maie  pro  rébus  qui  mihi  verba  dédit, 
Qui  sibi  me,  fallax,  charum  magis  omnibus  unum 
Jurabat,  cliari  fratris  et  esse  loco. 

*  Credcre  jam  nulli,  nulli  jam  fidere  certum  est. 

Non,  mihi  si  aslringat  Juppiter  ipse  lidem. 
Sed  saevi  mihi  dira  plucet  jam  vita  Timonis, 

Atque  odisse  hominum  jam  libet  omne  genus. 

*  Haec  mecum  assiduis  solitus  jactare  querelis, 

Optabam  vitae  rumpere  lila  meae. 
Jane  (fatebor  enim)  talem  tune  mente  dolorem 
Goncepi,  ut  mirer  non  potuisse  mori. 

"  nia  quidem  eripuit  charum  mihi  forte  patronum, 

Hoc  grave,  sed  mihi  me  non  tamen  eripuit  : 
Non  tamen  eripuit  famam  nomenque  decusque, 
Nec  quicquid  possim  dicere  jure  meum. 

®  111e  adeo,  nostra  hic  agitur  quo  judice  causa, 

Invidiam  fortis  pertulit  ac  domuit. 
Quo  magis  hic  nobis  aequusque  bonusque  favebit, 
Invidiae  nostrum  nec  dabit  ille  caput. 

Univ.  de  Lille.  Tome  Vlli.  A.  30. 


466  JOACHIM    DU    BELLAV 

Muse,  et  ([ui  n'ont  de  souci  que  leurs  seuls  intérêts,  qui 
nihili  diicunt  omnia  praeter  opes.  Je  retiens  seulement  que 
partout  dans  cette  élégie  perce  un  sentiment  de  vénération 
pour  le  cardinal,  et  la  plus  entière  confiance  en  sa  justice 
et   sa   bonté. 

Les  graves  ennuis  créés  au  poète  par  la  haineuse  dénon- 
ciation de  ses  cousins  n'étaient  pas  terminés  encore,  quuu 
autre  incident  surgissait,  un  âpre  conflit,  d'autant  plus 
violent  qu'il  s"  agissait  d'une  question  d'administration 
diocésaine. 

Au  mois  d'août  iSog,  Eustache  du  Bellay  avait  i[uitté  Paris, 
pour  va([U('r  à  ses  affaires  dans  le  Perche  en  même  temps 
(jue  pour  changer  d'air  '.  Il  s'était  mis  en  route  avec  son 
frère,  pour  aller  à  Glatigny,  Tiron  et  Montigny.  Au  cours  de 
son  voyage,  il  avait,  dans  la  terre  de  Glatigny.  marié  son 
neveu.  René  du  Bellay,  baron  de  la  Lande,  avec  la  fille 
aînée  de  Martin  du  Bellay,  la  propre  nièce  du  cardinal, 
Marie,  princesse  d'Yvetot  et  dame  de  Langey  ".  Puis  il  avait 
(Mnmené  le  jeune  cimple  dans  son  douiaine  seigneurial,  à 
Gizeux  en   Anjou  '. 

Avant  son  départ  de  Paris,  il  avait  (h'iégué.  durant  son 
absence,  dans  la  charge  de  collateui-.  .M.  le  trésorier  de 
B(>auvais,  ou,  à  son  défaut.  M.  l'ollicial  \  Joacliim.  (|ui  avait 
l'ordre  de    son   maître   de   remplir   cette    charge   «    en    l'absence 

'  Lettre  d'Eustaclie  au  Cardinal,  datée  du  20  septembre  :  «  Je  vous  supply, 
Monseigneur,  ne  Iroulver  mauvays  si  je  me  sujs  wng  peu  absenté  de  Paris, 
tant  pour  le  maulvays  aer  qui  y  est,  que  pour  mes  aultres  affaires.  Je  eroy 
que  si  j'estoj^s  à  Paris,  je  seroys  malade  pour  la  puantisse  de  la  rivière.  » 
{Lettres,  p.  72). 

-  Martin  du  Bellay  était  mort  le  9  mars  loo9.  Le  mariage  de  sa  lille  avec 
le  neveu  de  l'évèque  augmentait  le  crédit  des  ennemis  de  Joachim  auprès  du 
cardinal.  Marie  du  Bellay  devait  être  en  llinO  l'unique  héritière  du  prélat. 
Y.  l'abbé  Cli.  Pointeau,  L'héritage  et  les  héritiers  des  du  Bellay,  Laxaï,  1883, 
in-8". 

'  Lettres,  p.  70. 

*  lîev.  d'hist.  litt.  de  la  France,  1894,  p.  :;0. 


LLS  di:rnieus  temps  467 

de  M.  de  Paris  »  ,  el  <jui,  depuis  l'hisloii-e  des  Regrets, 
gardait  raneune  à  ses  cousins,  vit  dans  cette  mesure  une 
atteinte  à  ses  droits.  Il  en  conçut  un  vif  dépit.  Une  prébende 
étant  venue  à  vaquer,  et  le  trésorier  de  Beauvais  en  ayant 
l'ait  la  collation  au  lils  de  M.  de  Saveuse,  Joacliini,  ([ui 
n'avait  pas,  malgré  ses  remontrances,  obtenu  ilu  Irésoriei' 
qu'il  reconnût  ses  droits  à  conférer',  entra  dans  une  grande 
colère.  Devant  le  scelleur  de  M.  de  Paris,  il  s'emporta  contre 
les  vicaires  de  l'évèque  ".  Le  scelleur  avisa  le  baron  de 
ïhouarcé,  qui  répondit  à  Joacliini  par  une  lettie  furibonde  : 
((  Mon  cousin,  je  receu  à  ce  matin  ung  lectre  du  selleur  de 
Monsi  de  Parys,  la  quelle  je  nay  voulu  monslrer  à  niondict 
s'  de  Parys,  sçacliant  bien  qu'il  ne  se  pouroyt  conlenyr,  luy 
voulant  fayre  telle  injure  que,  en  Faage  où  il  est  el  estre  ce 
qu'il  est,  luy  vouloyr  bailler  la  loy,  chouse  que  je  m'asseure 
qu'il  ne  l'endurera  d'homme  du  inonde  que  de  Monseygneur 
le  cardynal.  Ledict  seelleur  m'a  mandé  que  luy  avés  dict  que 
vous  révoqueryés  les  vycayi'es  que  Mons^  de  Parys  a  créez, 
après  que  Monseigneur  l«s  a  premyerement  créez ,  chouse 
que  je  m'assure  que  ne  sçaryez  t'ayre.  Et  quant  vous  vouldrez 
meptre  cela  à  exécution,  je  suys  certain  que  Monseigneur  le 
cardynal  vous  fera  entendre  que  ce  n'est  en  l'endroyt  de 
Mons'  de  Parys  là  où  doybvés  entreprendre  telle  chouse.  Si 
vous  le  faictes,  j'en  seré  niary  et  vous  ausy,  et  m'en  asseure 
bien,  et  quant  je  debveroys  passer  les  montaygnes,  j'en  par- 
leré  a  Monseygneur  le  cardynal,  et  croy  qu'il  ne  vouldra  fayi-e 
ceste   lionnte  à  Mons""   de  Parys  '\  » 

Cette  lettre  insolente,  que  Jacques  du  Bellay  signait  efû'onté- 
ment  «  vostre  bon  cousin  et  aniy  w,  était  datée  du  28  août. 
Joacliini.     profondément    blessé    par    tant     d'impertinence,     ne 

'  Lettres,  p.  o6-57. 

-  C'est-à-dire  le  trésorier  et  l'ollicial. 

3  Lettres,  p.  6S-G9. 


468  JOACHIM   DU   BELLAY 

répondit  pas  au  baron.  Mais  dès  le  3i,  il  s'adressait  à  l'évêque 
lui-niènie  '  :  «  Monsieui-,  J'ay  ces  jours  passez  reeeu  une  lettre 
de  Monsieur  du  Bellay  vostre  frère,  pleine  de  choleres  et  de 
menasses,  ausquelles  je  ne  fais  response  pour  avoir  jusques 
icy  assez  esprouvé  Monsieur  du  Bellay  si  peu  favorable  en 
tout  ce  qui  nie  touche  que  je  n'ay  occasion  espérer  de  luy, 
sinon  toute  rigueur,  si  Dieu  par  vostre  moyen  ne  luy  fait 
changer  de  voulunté  en  mon  endroit.  »  Après  ce  début  très 
net  et  très  digne,  pour  que  l'évêque  fût  exactement  au  courant 
de  tout,  il  lui  rapportait  les  propos  qu'il  avait  tenus  au 
scelleur,  et  que  ce  dernier  avait  travestis  dans  sa  lettre  au 
baron  de  Thouarcé.  Il  avait  proposé,  disait-il,  un  moyen  de 
tout  arranger  en  conciliant  les  instructions  du  cardinal  avec 
les  désirs  de  l'évêque  :  il  s'engageait  à  conférer  à  ceux  que 
le  scelleur  lui  nommerait,  pourvu  qu'il  conférât  liii-inèine.  Il 
espérait  que  les  vicaires  auraient  égard  à  sa  personne  et 
n'empêcheraient  pas  «  ung  parent  et  serviteur  de  Monseigneur 
le  Cardinal  (iiii  ne  les  avoit  en  rien  offensez  »  d'accomplir 
sa  mission.  Sans  doute,  il  avait  ajouté  que,  s'ils  en  voulaient 
user  autrement,  il  serait  contraint  lui  aussi  «  d'user  de  la 
puissance  que  Monseigneur  lui  avoit  donnée  »  ,  mais  sans 
parler  le  moins  du  monde  de  «  révocation  ».  Il  terminait 
ainsi  sa  lettre  :  «  Voyla,  Monsieur,  le  grand  crime  de  lèse 
majesté  que  Ton  m'accuse  d'avoir  commis  en  vostre  endroit 
et  dont  Monsieui"  du  Bellay  me  menasse  de  passer  les  mon- 
taignes  pour  en  parler  a  mon  dict  seigneur  le  Cardinal.  Mais 
il  n'est  ja  besoing  qu'il  j)reigne  ceste  peine  pour  me  mectre 
davantage    en    disgrâce,    car    je    y    suis   assez    (Dieu  mercy  et 

mes   bons  amys) Pour  conclusion,    si    vous   trouvez  bon^ 

sans    exprès    conuiiandement   de   mondit  seigneur   le   Cardinal, 
de    préférer    des   étrangers    a    moy,   en  une   chose   ou  vous   ne 

'  Rev.  d'hist.  litl.  de  la  France,  1894,  p.  50-51, 


LES    DERNIERS    TEMPS  469 

pouvez  avoir  aucun  interest,  veu  que  je  ne  veulx  (comme 
j'ay  cy  devant  dict)  rien  faire  sinon  ex  prcscripto  de  vostre 
seelleur,  je  vous  supplie.  Monsieur,  de  le  me  l'aire  entendre, 
a  fin  que  je  m'en  descharge  envers  mondict  seigneur  le  Car- 
dinal et  fpi'il  n'ayt  occasion  de  penser  qu'en  vostre  absence 
j'aye  desdaigné  de  faire  la  cliarge  qui  luy  a  pieu  me  donner.  » 

Non  content  d'écrire  à  l'évêque,  Joachim  s'empressa  de 
porter  la  question  tievant  le  cardinal.  Le  lendemain  le^  sep- 
tembre, il  envoya  donc  au  prélat  la  lettre  de  Jacques  du 
Bellay,  avec  une  copie  de  sa  réponse  à  M,  de  Paris  *.  11  y 
joignit  un  exposé  de  ses  griefs,  faisant  bien  ressortir  que  sa 
conduite  en  cette  affaire  avait  été  dictée  par  le  souci  constant 
de  respecter  les  instructions  du  cardinal  :  ((  Je  vous  supplye 
très  humblement,  mon  seigneur,  de  ne  m'estimer  si  ambitieux 
que  je  recherche  tel  souvenir  si  non  aultant  ({ue  c'est  pour 
vostre  service,  en  quoy  je  ne  céderay  jamays  à  personne.  Ce 
qui  me  donne  plus  d'ennuy,  c'est  l'injure  que  l'on  me  faict 
de  me  vouloyr  oster  sans  révocation  ny  aultre  exprès  com- 
mendement  de  vous  ce  qu'il  vous  a  pieu  me  donner.  ))  Et 
rappelant  ses  bons  services,  il  concluait  :  «  Je  seray  bien 
ayse  que  les  aultres  facent  mieulx,  mays  je  m'asseure  bien 
qu'ils   ne   s'en   sçauroient   acquicter  plus  fidèlement  ^   » 

Il  serait  fort  intéressant  d'avoir  les  lettres  que  le  cardinal 
dut  échanger  à  cette  occasion  avec  Eustache  et  Joachim.  Par 
c[uels  moyens  essaya-t-il  de  rétablir  l'accord  entre  eux?  C'est 
là  ce  que  nous  ignorons.  Toujours  est-il  que  le  29  septembre, 
l'évêque  de  Paris  envoyait  du  Plessis  à  M.  de  Lire  '  une  lettre 
très  importante  au  point  de  vue  de  leurs  rapports.  Le  début 
en  était  rédigé  sur  un  ton  un  peu  haut,  comme  il  convenait 
de   la    part   d  un   homme   qu'on    avait    blessé    dans    sa   dignité  : 


'  Lettres,  p.  06. 
-'  Lettres,  p.  08. 
'  C'est  par  ce  nom  que  les  cousins  du  poète  le  désignent  sans  cesse. 


470  JOACHIM    DU   BELLAY 

«  Monsieur  mon  cousin,  j'ay  roceu  deux  do  voz  loctres.  l'une 
du  dernier  d'aoust.  Taultre  du  wi^  de  ce  moys.  Quant  à  la 
première  où  m'escripvez  des  colères  de  mons""  du  Bellay,  à 
tous  le  moings  que  vous  les  baptizés  telles,  je  ne  vous  y  fays 
response.  Si  voxis  pansez  y  gano^ner  quelque  chose .  adressez 
vous  à  luy.  Il  a  esté  par  le  monde  pour  vous  sçavoir  res- 
pondre.  Quant  au  second  article  de  vostre  dicte  lectre.  vous 
n'aurez  aultre  chose  de  moy  sinon  que  fay  les  cheveulx  gris. 
Je  n'aprandrc  de  plus  jeunes  que  moy.  et  qui  n'entendent  si 
bien  mon  estât  et  ce  que  je  doibs.  à  me  gouverner  par  leur 
oppinion.  Quant  celluy  qui  a  toute  puissance  de  me  commander 
me  aura  baillé  la  loy.  je  luy  obéyray  et  non  à  aultre  V  »  Mais 
la  fin  de  l'épître  était  plus  conciliante  :  «  Quant  à  vostre 
seconde  lectre  du  xvi«  de  ce  moys.  par  laquelle  me  mandés 
qu'avés  communicqué  à  mon  scelleur  une  lectre  de  monsei- 
gneur le  Cardinal,  puis  me  parlés  des  bénéfices  Aacqués 
et  prestz  à  vacquer.  je  suys  d'un  lieu  duquel  vous  estes  sorty, 
là  oii  les  gens  ne  se  veullent  avoir  ])ar  audace  et  auctho- 
rité,  mais  par  amylié  ne  i-efusant  jamays  à  faire  plésir.  Les 
vaccations  advenuees  dont  m'escripvés.  moy  estant  à  Paris  de 
retour,  nous  en  ferons  bien  ensemble  au  contentement  de 
monseigneui"  le  Cardinal  et  de  a'ous  et  de  moy.  Ce  sera  au 
plustost  que  je  pouray.  acheminant  mes  affaires  pour  ceste 
effect  chascung  jour  *.  »  Et  l'évêrpie  terminait  en  se  recom- 
mandant à  la  «  bonne  grâce  »  de  son  parent,  et  signait  avec 
intention  :  «  Vostre  meilleur  cousin  et  amy  a  vous  faire  à 
jamays    plésir.   » 

S'il  y  mettait  cet  esprit  conciliant,  c'est  que  dans  l'inter- 
valle, le  i6  septembre,  —  on  le  voit  par  ce  qui  précède.  — 
son    cousin    Joachim    lui    avait    écrit    une    lettre,    aujourd'hui 

'  Lettres,  p.  75-76. 
'  Lettres,  p.  76-77. 


LES    DERMKRS   TEMPS  471 

perdue,  dans  lac[iielle,  selon  toute  apparence,  il  sollicitait  son 
appui  pour  un  bénéfice  vacant,  et  le  prélat  saisissait  avec 
joie  ce  moyen  de  clore  un  conilit  ([ui  devait  déplaire  au 
cardinal. 

En  même  temps  cpie  par  du  Bellay,  la  prébende  de 
Notre-Dame  était  demandée  par  M.  Nicquet,  et  l'évcque, 
pour  ne  pas  avoir  à  choisir,  l'avait  mise  par  provision  entre 
les  mains  d'un  comiuendataire  '.  11  pressait  le  cardinal  de 
prononcer  lui-même  :  ((  Je  vous  supply,  monseigneur,  me 
nuinder  à  qui  je  la  hailleray  allin  que  ne  l'ung  ne  l'aultre 
s'en   prène  à  moy  ■.  » 

Au  mois  de  décembre,  le  cardinal  n'avait  encore  rien 
décidé  ^  C'est  Eustache  qui  nous  l'apprend,  dans  une  lettre 
où  se  dévoilent  ses  sentiments  sur  le  compte  du  poète.  Sans 
doute  le  cardinal  avait  écrit  à  l'évêque,  afin  de  remettre  un 
peu  d'harmonie  entre  les  cousins.  Eustache  lui  répond  : 
((  Monseigneur,  quant  à  Mous'  de  Lyre,  si  j'ay  pansé  qu'il 
ayt  esté  cause  de  me  mettre  en  vostre  malle  grâce,  ce  n'a 
esté  sans  démonstration  que  luy  mesmes  en  a  faict  de  la 
faire  cognoistre  :  vous  supplyant,  Monseigneur,  ne  trouver 
maulvays  si  je  ne  me  puys  tant  commander  de  faire  bon 
visage  à  ceulx  qui  ne  *  veullent  faire  tel  tort  sans  que  j'aye 
jamays  songé  de  le  mériter.  Mais  pour  cela  il  ne  sçauroyt 
dire  que  j'aye   prins   l'esprit   de   vengence   contre   luy,    et   pour 


*  Lettre  d'Eustache  au  Cardinal,  datée  du  10  novembre  :  «  L'aultre  [pré- 
bende], elle  est  en  main  seure,  i)our  en  disposer  ainsin  qu'il  vous  plaira 
commander,  soyt  pour  mons'  de  Nicquel  qui  m'en  a  escript  à  ceste  fin  du 
XVI'  du  passé,  soj-t  à  mons>-  de  Ljraj  qui  la  demande.  »  (Lettres,  p.  78). 

-  Lettres,  p.  79. 

'  Lettre  d'Eustache  au  Cardinal,  datée  du  28  décembre  :  «  Davantaige, 
Monseigneur,  vous  avez  ceste  tierce  prébende  de  Paris,  s'il  ne  vous  plaist  la 
bailler  à  l'ung  des  deulx  de  mess"  de  Lyray  et  Nicquet,  dont  j'attens  vostre 
commandement  pour  n'estre  en  malle  grâce  ni  de  l'ung  ni  de  l'aultre.  » 
{Lettres,  p.  82). 

*  Le  texte  porte  ne,  mais  il  faut  lire  me. 


472  JOACHIM    DU    BELLAY 

avoir  employé  ceulx  quavés  esleuz  à  votre  service  (comme 
Mons""  le  Trésaurier  de  ïliou').  ce  nest  pas  commettre  voz 
affaires  à  mes  varletz  ' .  »  Rien  ne  prouve  que  Joachim  eût 
traite  de  valets  les  vicaires  de  l'évèque.  Mais  celui-ci  n'était 
peut-être  pas  fàclié  datténuer  ses  torts  à  lui-même  en  exagé- 
rant ceux  de  son  cousin.  Il  laissait  clairement  entendre  que 
sa  santé  rendait  Joachim  incapable  de  s'acquitter  de  ses 
fonctions.  Pourtant,  il  ajoutait  avec  un  air  de  bienveillance  : 
((  Quant  aulx  trois  mille  livres  de  bénéfices  que  luy  avés 
donnés,  ce  n'est  à  moy.  Monseigneur,  de  retrancher  vos 
bienilaictz  en  son  endroict,  mais  plustost  je  les  vouldroys 
alonger,  si  j'avovs  le  moven  et  d'ellét  et  d'affection.  Luv 
mesmes  sera  tesmoing  combien  et  quantesfoys  j'ai  escript  à 
Mons''  de  Sainctc  Croix  ^  pour  le  prieuré  de  Bardenay  près 
Bourdeaulx  que  luy  avez  donné,  et  y  fays  tout  ce  que  je 
puys  *.  » 

Ce  passage  a  la  valeur  dun  document  :  il  nous  montre 
que  du  Bellay,  qui  demandait  une  prébende  à  Notre-Dame 
de  Paris,  n'avait  pourtant  pas  à  se  plaindre  de  la  fortune, 
et  qu'il  était  dans  une  honnête  aisance.  D'ailleurs,  outre  le 
piieuré  de  Bardenay  près  Bordeaux,  nous  savons  qu'il  avait 
encore  une  prébende  en  léglise  Saint-Julien  du  Mans  .  Ainsi, 
sa  vie  était  largement  assurée,  et,  s'il  avait  connu  la  colère 
du  cardinal  au  point  d'encourir  un  instant  sa  disgrâce,  du 
moins    n'avait-il    pas    le    droit    de    le    taxer    d'ingratitude  :   en 

'  Il  s'ajfil  du  trésorier  de  Beauvais.  V.  Lettres,  p.  56,  n.  3. 

*  Lettres,  p.  83. 

^  L'abbé  de  Sainte-Croix,  à  Bordeaux,  était  alors  Auo^er  Hunaut  de  Lauta. 
qui  occupa  ces  fonctions  de  1553  à  1565  {Gallia  Chrlstiana,  t.  II,  col.  865,  C). 

*  Lettres,  p.  84. 

*  Le  16  juin  1360,  fut  conférée  à  Ronsard  une  prébende  de  l'église  Saint- 
Julien  du  Mans,  devenue  vacante  par  suite  du  décès  de  Joachim  du  Bellay. 
M.  l'abbé  Froger,  qui  rapporte  ce  fait  (Ronsard  ecclésiastique,  p.  21),  ignore 
à  quelle  époque  Joachim  avait  obtenu  ce  bénéfice,  o  dont  il  était  redevable 
sans  doute  à  son  protecteur,  Jean  du  Bellay  ». 


LES   DERNIERS   TEMPS  473 

recevant   de   son   patron   ces  trois   mille   livres   de   bénéfices,    il 
avait  obtenu   ((  le   loyer   de   sa   peine  ». 


III 


Le  récit  précédent  fait  assez  voir  que.  dans  les  l'àcheux 
démêlés  du  poète  avec  sa  famille,  tous  les  torts  n'étaient  pas 
du  côté  de  Tévéque.  Mais  si,  dans  ses  fonctions,  du  Bellay  se 
montra  susceptible,  irritable,  violent  peut-être,  en  une  certaine 
mesure  la  maladie  peut  lui  servir  d'excuse.  Sa  santé,  je  l'ai 
dit,  n'avait  jamais  été  brillante.  Il  était  né  cliétif.  Un  mal 
cruel,  nous  l'avons  vu  ',  l'avait  cloué  deux  ans  sur  un  lit 
de  douleur  ;  et  c'est  alors  qu'il  avait  ressenti  les  premières 
atteintes  de  la  surdité  ^  Comment  a-t-on  bien  pu  prétendre 
que  cette  surdité  n'était  qu'une  affection  imaginaire,  inventée 
à  plaisir  pour  imiter  Ronsard  '  ?  Elle  était,  hélas  !  trop  réelle. 
Dès    i552,    il    en    souffrait    assez    pour    s'écrier    lugubrement  : 

Les  flotz   courroussez,    cpii  baignent 
Leurs  rivages   qui  se   plaignent. 
Ne   sont   plus  sourds   que  je   suis   : 
Ny  ce  peuple   qui  habite. 
Ou   le   Nil   se   précipite 
Dedans   la   mer  par   sept  huys. 


*  V.  ci-dessus,  1"  part.,  chap.  ix,  §  i,  p.  234-237. 

-  Sainte-Marthe,  toujours  mal  informé,  prétend  qu'il  avait  rapporté  cette 
surdité  d'Italie  :  «  Impediebat  surdae  auris  vitiura,  quod  in  Italica  peregri- 
natione  colleoerat  ...»  (Etogia,  lo98,  p.  40).  Cette  assertion  est  démentie 
par  la  Complainte  du  Désespéré . 

'  Jacques  Veillard  de  Cliartres.  Pétri  Ronsardi  laiidatio  funebris  [1586), 
f"  18  :  «  Ut  natura  cupide  referiraus  ea,  quae  niagnis  auctoribus  subeunt 
animos  :  Platonis  intimi  giJjbosam  illius  hunierùm  latitudinem,  Arislotelis 
discipuli  haesitantiam  ejus  linguae.  Alexandri  familiares  incurvas  et  leviter 
ad  laevani  inflexas  ejus  cervices  imitari  et  effîngere  studebant  :  eodem 
plane  modo  hic  Bellaius  prae  amore  P.  Ronsardi  pro  surdastro  multis  pro- 
babat,  et  constanti  omnium  opinione  surdaster  obiit.  »  (Bibl.  ISat.  —  Ln-". 
17.840). 


474  JOACHIM    DU   BELLAY 

Et   tout  cela,   (jue  Ion   nomme 
Les   bienheuretez   de   l'homme, 
Ne   me   scauroit   esjouyr. 
Privé   de  l'aise,  qu'aporte 
A   la  vie  demy-morte 
Le  doulx    plaisir   de  l'ouyr  '. 

Pourtant,  il  s'était  remis  à  la  longue,  —  ou  du  moins,  si  le 
uial  n'avait  pas  disparu  tout  à  fait,  il  avait  diminué  :  en 
Italie,  notre  auteur  entendait  assez  clair  pour  percevoir  les 
mille  bruits  de  Rome,  et  pour  regretter  plaisamment  de  n'être 
plus  aussi    sourd  qu'autrefois  -. 

Lorsqu'il  fut  de  retour  en  France,  il  ne  tarda  pas,  sem- 
blc-l-il.  à  être  repris  de  son  affection.  Et  dès  lors,  il  passa  par 
des  alternatives  d'amélioration  et  d'empirement.  Au  début  de 
1559,  il  allait  mieux  et  se  voyait  bientôt  guéri.  Le  i*""  mars, 
il  écrivait  à  son  ami  Charles  Utenhove  :  «  Jam  tandem  saxum 
et  truncus  esse  desii,  mi  Garole  ;  factus  suui  enim  ex  surdo 
surdaster  :  speroque  brevi,  Deo  juvante,  melius  me  habitu- 
rum  '.  »  Mais  l'ail'aire  des  Regrets  vint  lui  porter  un  coup 
fatal.  Les  calonmies  de  ses  cousins  et  la  disgrâce  momentanée 
qui  s'ensuivit  n'eurent  pas  seulement  pour  etfet  d'ébranler  son 
moral  :  le  physique  aussi  fut  atteint.  Le  mal,  presque  vaincu, 
reparut  plus  violent,    cette   fois   incurable  : 

Certe   cum  medicis  luctatus  tempore  longo, 
Viribus   amissis,    qui   prope  victus   erat, 

Saevior  hinc   iterum  morbus  graviorque  recurrit, 
Jamque  ferox   renuit  ferre  medentis   opem  *. 

A  partir  de  ce  moment-là.  la  santé  du  malheureux  ne 
cessa   de   décliner  et  sa  surdilé    de  s'accroître.   Quelquelbis  il  en 

'   Complainte  du  Désespéré  (II,  6  et  9). 

-  Hymne  de  la  Surdité  (II,  404). 

•''  Marly-Laveaux,  Appendice  de  la  Notice,  p.  xxxvii. 

*  Elégie  â  Morel. 


LES    DERNIRRS   TEMPS  */0 

plaisantait,  t'-crivant  à  ^lorel  :  «  INIonsicur  et  fi'ère.  à  cestc  heure 
congnoys-je  véritablement  que  je  suys  sourd,  pays  que  je 
demeure  si  longuement  sans  entendre  ung  seul  mot  de  votz 
nouvelles  '  »  ;  ou  bien  lançant  «  contre  un  Zoïle  »  cette  épi- 
gramme  : 

Invide,    quid   nobis   surdas  sic   objicis    aureis  ? 

Qui   maie   non    audit,   non    mihi  surdus  hic    est  '. 

Au  fond,  il  en  soutirait  et  très  cruellement.  On  sait  (|uel 
désespoir  il  éprouva  de  ne  pouvoir  saluer,  aA^ant  son  départ, 
Madame  Marguerite  (octobre  loSg) .  retenu  qu'il  était  à  la 
chambre  par  la  terrible  maladie  ^  Si  forte  était  sa  surdité  qu'il 
en  était  réduit  à  n'avoir  plus  de  relations  avec  les  autres  que 
par  écrit.  Le  28  décembre,  Eustache  du  Bellay,  qui  trouvait 
incommode  cette  manière  de  commerce,  mandait  au  cardinal  : 
«  Et  fault,  Monseigneur,  que  je  vous  die  que.  davant  mon 
partement  de  Paris,  il  estoyt  du  tout  sourd,  comme  il  est  de 
ceste  heure,  sans  quasi  aulcune  espérance  de  guérison.  Scripto 
est  agendum  et  loquendiim  cuin  illo.  Et.  au  temps  qui  court, 
il  est  besoing  avoir  gens  cler  voyant  et  oyant  mesmes  pour 
le  faict  de  la  religion,  et  en  Testât  qu'il  est,  ce  luy  est  chose 
impossible  d'y  vacquer  *.  »  x\insi  séparé  du  reste  du  monde, 
quoi  d'étonnant  que  du  Bellay  fût  devenu  chagrin,  maussade, 
aigre   d'humeur  ? 

Il  avait  vieilli  vite.  A  trente-cinq  ans,  à  l'âge  où  l'homme 
est   dans   toute     sa   force,    il    avait,   lui,    des    cheveux    blancs   : 

'   Lettres,  \\.  23. 

-  Ad  Zoïlum.  —  Cette  épif^ramme  se  trouve  au  dernier  feuillet  du  Tumu- 
lus  Henrici  Secundi. 

'  Lettres,  p   39. 

"  Lettres,  p.  83-84.  —  Cf.  YÉpitaphe  de  J.  du  Bellay  par  P.  de  Paschal  : 
. .  .Cum  omnibus  ipse  ita  se  ohsurduisse  videret  ut  oculis  ipsi  sibi  audiendum 
et  amicis  et  familiaribus  manu  loqnendum  esset  . . .  (Marty-Laveaux,  Appen- 
dice de  la  Pléiade,  II,  385).  —  Le  poète  a  parlé  lui-même  de  sa  complète 
surdité  dans  plusieurs  sonnets  des  Amours,  composés,  comme  on  sait,  en 
1559.  (V.  les  s.  24-29,  Marty-Laveaux,  II,  132-134). 


47G  JOACHIM    DU    BELLAY 

Jam    mea    Gygnaeis  sparguntur    tempoi'a   plumis, 
Inficit  et  flavas  cana  senecta  comas. 

Sic   nobis   périt  an  te  diem    decus   omne  juventae, 
Et   faciunt   septein  lustra   peracta  senem  '. 

Les  tracas,  les  souflrances  l'avaient  usé  rapidement,  et  sans 
doute  aussi  l'abus  des  plaisirs.  Accablé  d'ennuis  et  d'infir- 
mités, il  mourait  chaque  jour  davantage,  victime  précoce  de 
la  vie,  aux  illusions,  aux  espérances.  Une  sombre  mélancolie 
avait  pris  possession  de  son  àme.  Celui  qui  s'était  embarqué 
pour  l'avenir,  plein  de  confiance  et  tout  radieux,  en  criant 
fièrement  Caelo  Musa  beat  ',  n'avait  plus  sur  les  lèvres  que 
cet  adieu  désenchanté  :  Spes  et  fortuna  valete  '.  Je  ne  sais 
rien  de  plus  navrant  que  le  sonnet  qu'il  adressait,  quelque 
temps  avant  de  mourir,  à  Jacques  Grévin  *,  un  nouveau  venu 
qui   chantait  ses  amours  ^  : 

Comme   celuy   qui   a   de   la   Course   poudreuse 
Ou  de  la   Luyte   huylée,    ou   du   Disque   eslancé. 
Ou   du  Geste   plombé   de   cuir   entrelacé 
Rapporté  mainte  palme   en   sa  jeunesse   heureuse, 

Regarde,    en   regrettant   sa   force  vigoureuse, 
Les  jeunes  s'exercer,  et  ja  vieil   et   cassé 
Par  un  doux   souvenir  qu'il  ha   du   temps   passé, 
Resveille   dans  son  cueur  sa  vertu  généreuse  : 

*  Poemata,  f»  24  r"  :  Ad  Gordium,  ut  laetus  vivat. 

*  Horace,  Carm.  IV,  viii,  29.  —  C'est  la  devise  de  du  Bellay  dans  ses  pre- 
miers ouvrages. 

'  Lettres,  p.  3S.  —  Cf.  ce  que  dit  Paschal  dans  son  Épitaphe  :  . . .  Camq. 
veL  hoc  ipsurn  ob  incommodum  hinnana  haec  omnia  ut  fragilia  et  caduca 
vehementer  despiceret. .  .  (Martj'-La veaux,  Appendice  de  la  Pléiade,  IF,  :JP5). 

*  Sur  .lacquos  Gn'vin  (lo38-1570),  consulter  la  thèse  de  M.  Pinvert. 

^  L'Olimpe  de  Jaques  Grevin  de  Clermont  en  Beauvaisis.  Ensemble  les 
autres  œuvres  poétiques  dudict  Auteur.  Paris,  Rob  Estienne,  1560,  in-8°.  Le 
permis  d'imprimer  est  du  23  nov.  liJoO.  —  Le  sonnet  de  du  Bellay  se  trouve 
en  tète  de  VOlimpe,  avec  un  sonnet  de  Belleau. 


LES   DERNIEHS   TEMPS  477 

Ainsi   voyant  (Grévin)   prochain   de    ma   vieillesse 
Au  pied  de   ton    Olinipe   exercer   ta  jeunesse. 
Je    souspire   le   temps   que   d'un   pareil   esmoy 

Je   chantay   mon   Olive,    et  resens   en    mon  ame 

Je   ne  scay   quelle   ardeur  de  ma  première  llâme 

Qui   me    fait  souhaiter   destre   tel    comme  toy.     (II,  53o). 

Triste  retour  sur  le  passé  !  Qu'il  était  loin  <léjà.  ce  temps 
où  du  Bellay  chantait  la  belle  Olive  !  Au  contact  douloureux 
de  la  vie.  il  avait  vu  s'évanouir  ses  rêves  de  jeunesse.  Il 
était   vieux.    Et  pour  opérer   ce   ravage,    dix    ans  avaient   suHi  ! 


IV 


Dans  ce  lamentable  déclin  de  tout  son  être,  du  Bellay 
n'avait  pour  le  soutenir  .  avec  la  tendi^e  sympathie  de 
quelques  amis  dévoués .  que  les  consolations  très  douces  de 
la  Muse.  Plus  que  jamais,  il  cultivait  la  poésie  :  le  Tombeau 
d'Henri  II.  les  deux  Discours  au  Roy.  les  vingt-neuf 
sonnets  des  Amours  datent  de  cette  époque.  Le  t2  décembre 
1559.  le  président  Minard  ayant  été  tué  d'un  coup  de  pistolet 
comme  il  revenait  du  palais,  du  Bellay  lit  son  tombeau, 
suivant  une  habitude  qu'il  aimait  assez,  et  en  latin  et  en 
français  '.  Il  voulait  terminer  pour  le  i-^r  janvier  un  recueil 
à'étrennes  latines,  pour  la  composition  duquel  il  s'aidait  de 
l'érudition  de  son  ami   Charles   Utenhove. 


'    Le    Tombeau  de    Minard  (Marty-Laveaux,  II,  47.^-476),  composé    de   26 
vers  latins  et  de  26  vers  français,  parut  en  1361,  dans  la  2'  édit.  du  Tumulus 
Henrici  Secundi.  —  G,  Aubert  dit  dans  son  Elégie  (1360)  : 
Ainsi  ces  jours  passez,  il  sauva  par  son  art 
De  l'oublieux  tombeau  le  Président  .Minard, 
Et  du  juste  Minos  il  luy  donna  en  change 
Le  nom  et  le  renom,  l'honneiir  et  la  louange. 


478  JOACHIM    DU    BELLAY 

C'est  dans  la  maison  de  Morel  '  quil  avait  rencontré  ce 
docte  personnage,  que  distinguait  sa  science  des  langues.  Une 
intime  amitié  ne  tarda  pas  à  les  unir.  Entre  autres  témoi- 
gnages qu'on  en  pourrait  donner  -,  il  en  est  un,  assez 
curieux  et,  si  je  ne  me  trompe,  à  peu  près  inconnu.  C'est 
une  pièce  oii  du  Bellay,  malade,  ajant  reçu  des  vers  de  son 
ami,  lui  conte  le  soulagement  presque  miraculeux  qu'il  en  a 
retiré  : 

Aeger   eram,    morbusque   meos   l'oedaverat   artus, 

In  l'acie  pallor,  corpore  languor  erat  : 
Cum   mihi  Carolidae  sunt   reddila   carmina   vatis,    • 

Cariiiina  quae  Clarii  dixeris  esse  Dei. 
Morhus   abit,    totoque   t'ugit   de  corpore   languor, 

Et  vestit  niveas  purpura  prima  gênas. 
At   rcdcat   morbus.    redeat   pallorque   fugatus, 

Saepius   Utenbovî    (himinodo    scripta   legam   '. 

Encouragé  par  Utenliovc,  qui  sans  doute  avait  eu  l'idée, 
s'il  n'avait  fourni  les  premiers  modèles,  notre  auteur  avait 
entrepris  dans  une  série  dépigrammes  —  en  vers  latins,  bien 
entendu  *  —  de  jouer  sur  les  noms  de  ses  contemporains  les 
plus  célèbres  (illiisfriufii  quornindom  nominiim  allusiones)  , 
en  y  clicrcliant  coiiiiiic  un  syml)()lc  jn'opbètique  de  leur 
cai'actère  ou  de  Icnc  talent.  11  s'était  mis  à  l'œuvre  au  début 
de    i5rM)  :    mais    cela   n'allait    pas   tout    seul,    comme   on   le   voit 

'   V.  ci  dessus,  i«  pari.,  clia]).  vi.  §  m,  p.  ;W0. 

-  Dans  une  pièce  des  Xenia,  1"  14  v°,  du  Bellay  vante  les  travaux 
d'Ulenhove  sur  les  Dionysiaques  de  Nonnos.  Quant  à  Cli.  Utenhove,  il  a 
souvent  célébré  du  Bellay.  Voyez:  —  1"  à  la  lin  îles  Poemata  de  notre  auteur, 
fo'^  60  v"-62  r",  trois  pièces,  deux  grecques,  une  latine  ;  —  2'  à  la  lin  des 
Xenia,  f»  lo  v",  Vallusio  de  du  Bellay;  —  3  surtout,  à  la  suite  de  VEpitapliiuni 
in  rnorteni  Herrici  Gallorum  re^is  christianissiini  . .  per  Car.  Utenhoviiun, 
Baris,  llob.  Esticnnc,  liJGO.  in-i°,  les  Epitaphes  sur  le  trespas  de  loachirn 
du  lieilay,  dont  il  sera  question  dans  le  chapitre  suivant. 

'  Cette  pièce  ne  se  trouve  que  dans  les  Xenia  de  Ch.  Utenhove,  p.  81  de 
l'édil.  de  136S,  publiée  à  Bàle  chez  Th.  Guarinus.  (Bibl.  Nat.  —  Y»-.  9600). 
'  ce.  les  Xenia  de  .Martial. 


LES    DEHNIERS   TEMPS  479 

par  un  billet  qu'il  adressait  le  i*^'  mars  à  son  savant  inspi- 
rateur :  «...  Si  lubet  et  vacat,  velleni  te  paucis.  Januluduui, 
ut  seis,  parturio  illas  meas,  vel  potius  tuas  allusioncs  :  sed 
vide  ut  ([uod  coepisti  perficias  :  nani  nisi  hic  iiiilii  obstetriccm 
praestes,  vel  Lucinain  potius,  eitius  Elephanti  parient. . .  '  » 
Il  était   encore  à    la   tâche   à   la   (in   de    Tannée. 

Bien  que  les  Xenia  n'aient  paru  que  dix  ans  plus  tard 
(1569)  %  c'est  ici  l'occasion  d'en  dire  quelques  mots.  On 
peut    définir    ces    petites  pièces    des   badinages    étymologiques. 

'  Marty  Laveaux,  Appendice  de  la  Notice,  p.  xxxvii. 

-  loachimi  Bellaii  Andini  poelae  clurissimi  Xenia,  seii  illustriuni  qiioriin- 
dani  nominum  Alliisiones.  Paris,  Federio  More],  lot'.9,  in-4".  Privilège  daté  de 
Paris,  1"  mai  ly(î8.  (Bibl.  Nat.  —  Y^.  12:J3).  —  On  est  surpris  que  ce  recueil 
ait  été  publié  si  tard  après  la  mort  de  du  Bellay.  L'histoire  exacte  de  cette 
tardive  publication  est  curieuse  à  connaître.  Dès  loOO,  Ch.  Utenhove,  qui 
tenait  à  son  droit  d'inventeur,  avait  donné,  à  la  suite  de  VEpilapIduin  in 
niortem  Herrici  Gailoruni  régis,  un  certain  nombre  de  ses  propres  Xenia. 
Dans  une  préface  au  lecteur,  que  je  ne  puis  songer  à  reproduire,  il  ilisait 
que  les  Allusions  de  du  Bellay  allaient  paraître  au  premier  jour  {Bellaii 
nuper  admodum  vita  defuncti  Allusiones  primo  qiwque  die  typis,  ni  J allô r, 
excudendas).  et  que,  s'il  prenait  les  devants,  c'est  que  dans  ce  genre,  où  tous 
deux  s'étaient  exercés  de  concert,  mais  de  manière  diilérente,  ce  n'était  pas 
lui  l'emprunteur.  Il  le  prouvait  en  publiant  la  lettre  du  1"  mars,  où  son  ami 
lui-même  lui  rendait  cette  justice  (qna  me,  vel  ipso  teste,  id  argumenti 
geniis  ab  eo  minime  miiluatum  fuisse,  non  obscure  perspicies).  Les  Xenia  de 
du  Bellay  ne  virent  pas  le  jour,  comme  l'annonçait  Utenhove.  11  se  peut  que 
Morel,  détenteur  des  papiers  du  poète,  ait  renoncé  à  les  faire  paraître,  en 
présence  d'une  publication  qui  d'avance  leur  nuisait.  Toujours  est- il  que  le 
1"  mai  1502,  Utenhove  demandait  à  Morel  le  manuscrit  des  Allusions  de 
du  Bellay  dans  une  lettre  conservée  à  Munich  (Collection  Camerarius,  33, 
fo  263),  et  dont  je  dois  la  communication  à  l'obligeance  de  M.  de  rs'olhac  : 
«  Janidudum  vero  Joach.  Bellaii  Allusionum  libellum  a  te  mihi  mittendum 
dualms  de  causis  expecto,  Ael  quod  me  pridie  quam  moreretur  earum 
obstetriccm  seu  Lucinam  potius  delegerit,  vel  quia  etiam  in  his,  o-jtw;  èo^iv 
r,  cpjai;  çiXoTï/.vbç,  nonnuUa,  ut  ipse  nosti,  pro  meis  agnoscam.  'E[jLoi  '(o\)v 
è7ri-ïp£7rT£ov  èÇîTii^îiv  -à  kV.yova-  Tac  7tt6r|y.o-jç  çaaîv,  ÈTtetôàv  xr/.wa-iv,  ôiaTrep  àYàX[j.a<Tiv 
èvaTcvi^Etv  Toï;  ^p£q;£(Tiv  àyafiivaç  toC  ■/.j.u.ry^;.  Ego  illum,  ubi  semel  et  iterum 
pellegero  magnaque  accessione  locuplelavero,  vel  tibi  vel  cui  tu  voles, 
dicabo. . .  Calend.  maii  1562.  o  Comme  on  le  voit  par  ce  fragment,  il  paraissait 
surtout  préoccupé  de  reprendre  dans  le  manuscrit  ce  qui  pouvait  lui  appar- 
tenir. En  1568,  Utenhove  publia  de  nouveau  ses  Xenia  (Bàle,  Th.  Guarinus, 
in-8"),  en  y  entremêlant  quelques-unes  des  pièces  de  du  IJellay  sur  les 
mêmes  sujets.  Eniin,  en  1569,  paraissait  le  volume  des  Allusions  de  notre 
auteur.  —  11  serait  d'un  mince  intérêt  de  rapprocher  les  Xenia  des  deux 
poètes  :  Utenhove  est  en  général  plus  condensé  que  du  Bellay. 


480  JOACHIM    DL'    BELLAY 

Gomme  Platon  dans  le  Cratj'le  et  Gicéron  dans  les  Verrines, 
—  c'est  du  Bellay  qui  se  réclame  de  ces  modèles  \  —  notre 
auteur  joue  sur  les  noms  propres,  qu'il  rapporte  tant  bien 
que  mal  à  des  orig^ines  liébraïques,  grecques,  latines  et  ger- 
maniques. Quelques  exemples  montreront  le  système.  En 
Catherine  de  Médicis ,  l'ingénieux  étymologiste  trouve  le 
moyen  de  saluer  la  pure  (xaôaoo;)  vertu  d'une  princesse,  (|ui 
procure  le  remède  à  nos  maux  («  unica  quod  nostris  sis  medicina 
malis  ))).  Michel  de  L'Hospital  est  l'hospice  des  Muses.  Olivier 
de  Magny,  petit  corps,  grand  esprit  {inagniis  ingenio),  attire 
à  lui  les  cœurs  les  moins  sensibles,  comme  l'aimant  (magnes) 
attire  le  fer.  Jacques  Amyot  n'a-t-il  pas  bien  mérité  son  nom, 
lui  qui  sut  colorer  Plutarque  avec  tant  de  bonheur  et  lui 
mettre  du  rouge  a[jL[X'.ov)  ?  Gitons  complètement  au  moins  un 
de  ces  badinages.  Voici  celui  sur  Antoine  Héroët .  ce  pur 
chanteur   non   des   héros,    mais   bien  du    dieu   Éros  : 

Non.    tua   sit   quamvis  Gallis  Heroïca   Musa, 
Heroïs   nomen    Musa   tibi   imposuit. 

Tam   bene   quod    nobis   verum   describis   sGcoxa. 
Imposuit   Gi'aio   nomine   nomen    ipcjç  ". 

A  quoi  bon  insister  davantage  sur  ces  jeux  d'érudit  ?  Sainte- 
Beuve  a  raison  :  a  Tout  cela  nous  semble  aujourd'hui  assez 
puéril   et   bien   tiré    par   les   cheveux  '\   » 


Le    I"  janvier    i5Go,   du   Bellay    passait    la    soirée   chez   un 
de   ses   compatriotes,    Glaude   de   Bize,    clerc   du  diocèse    d'An- 


'  V.  sa  préface  loach.  Bellaius  candido  lectovi. 

-  Xenia,  f»  8  v°. 

'  Nouveaux  Lundis,  XIII,  3u2. 


LKS    DKRNIKHS   TEMPS  481 

gei's,  eliautiH*  on  l'église  Notrc-Daiiu!  '.  H  y  soupa  joyouscMnciil. 
Au  sortir  de  table,  malgré  l'heure  avancée,  il  se  mil  au 
travail,  composant  des  vers  dans  le  silence  de  la  nuil.  Dans 
ce  colloque  avec  les  Muses,  il  fut  frappe  d'apoplexie  \ 
C'est  ainsi  qu'il  mourut,  dans  la  maison  du  chantre  ^  Il  avait 
trente-sept  ans  '*. 

Le  mercredi  3  janvier,  à  la  requête  des  parents  et  des  amis 
du  défunt,  et  notamment  de  ((  noble  damoiselle  de  Villeneuve, 
sœur  du  très  révérend  cardinal  du  Bellay  °  »,  le  chapitre 
de   Notre-Dame,    assemblé  durant    la   grand'messe,   décida   que. 


'  Ballu,  Notice  sur  J.  du  Bellay,  p.  en. 

-  Tous  ces  détails  sont  bien  connus.  Paschal  dit  dans  son  Épitaphe  : 
Cal.  Jan.  hilare  adrnudum  coenalus,Jocosa  quaedani  scribens  carrnina,  dum 
amplius  cranion  cerebruni  continere  non  posset,  multa  liuinoris  in  fauces 
stillante  fluxione  modico  temporis  intervaUo  magno  omnium  suorum  moerore 
sujjocatur.  (Marty-Laveaux,  Appendice  de  La  Pléiade,  II,  3Sa).  —  Cf.  diverses 
pièces  du  Tombeau  de  J.  du  Bellay,  notamment  celle  de  Claude  d'Espence  : 

Dum  vigil  ad  multam  modulatur  carrnina  noctem... 
et  celle  de  Robert  de  La  Haye  : 

Hic  dum  mellifluos  silente  nocte 

Versus  sciiberet.  et  novem  Sororum 

Dulci  coUoquio  patrisque  Piioebi 

Intentus  foveretur,  ut  solebat  : 

Extra  se  rapitur  . . . 
Il  est  curieux  de  rapporter  Tcxplication  que  donne  de  cette  apoplexie  un 
compatriote  du  poète,  Jean  Bodin,  dans  son  Universue  Naturae  Theatrum, 
édit.  de  Lyon,  J.  Uoussin,  lo9(J,  p.  612  :  «  Cur  Luna  Soli  opposita  veiiemen- 
tius  insaniunt  furiosi  ?  —  Quia  tune  abundantibus  humoribus  cerebrum  ad 
cranium  usque  intumescit,  quod  in  Lunae  coitu  a  cranio  duobus  digitis 
saepe  distat  :  qui  autem  enceplialosi  laborant,  prae  nimia  cerebri  copia  in 
Lunae  opjjositu  suti'ocantur  e  cerebro  :  lune  enim  spiritus  exultantes  lortius 
erumpunt  :  ut  Joachimo  Bellaio  poetae  populari  ineo  contigit  a  coena 
redeunti.  »  (Bibl.  Nat.  —  R.  29.36dj. 

'  Registres  capitulaires  de  Notre-Dame,  cités  par  Marty-Laveaux,  Appen- 
dice de  la  Pléiade,  11.  386  :  . . .  Dejuncti  domini  de  Gonnor,  in  domo  claus- 
trali  domini  Cantoris,  liac  nocte,  proul  liic  relatum,  decessi. 

'  Vixit  annos  xxxvii,  dit  Paschal.  —  Cf.  de  Tliou,  lib.  XXVI,  ann.  156U  : 
((  Kal.  Januar.  ejusdem  anni  annum  ugens  xxxvii,  ex  subita  nervorum 
resolulione  Lutetiae  decessit.  »  Edit.  de  Londres,  1733,  t.  II,  p.  72. 

'■>  Louise  du  Bellay,  femme  de  Charles  d'Aunay,  sieur  de  Villeneuve-la- 
Guyard.  Il  est  question  d'elle  dans  une  lettre  d'Eustache  au  Cardinal  (Lettres, 
p.  85). 

Univ.  de  Lille.  Tome  VIH    A.  31. 


482  JOACHIM    DU    BELLAY 

par  considération  pour  son  illustre  famille,  contemplatione 
nominis  et  domus  dicti  defuncti,  l'ancien  intendant  du  prélat 
romain  serait  inhumé  comme  un  chanoine,  ad  instar  canonici 
defuncti,  bien  qu'il  ne  le  fût  plus  depuis  i556  '.  L'inhumation 
eut  lieu  le  lendemain  après  vêpres.  Joachim  du  Bellay  fut 
enterré  à  Notre-Dame,  en  la  chapelle  de  Saint-Crépin  et  Saint- 
Ci'épinien,  du  côté  droit  du  chœur,  près  de  Louis  du  Bellay, 
chanoine   et   archidiacre   de   Paris  '. 

Il   s'était  fait  lui-même   cette  épitaphe   : 

Clara   progenie,    et   domo    vetusta 
(Quod   nomen    libi  sat   iiiciiiu   indicarit) 
Natus,    contegor   liac   (viator)   urna. 
Sum   Bellaius,    et   poeta.    Jam  me 
Sat   nosti.    puto.    Num   bonus   poeta, 
Hoc   versus  tibi    sat   mei  indicarint. 
Hoc   solum   tibi   sed   queam   (viator) 
De  me   dicere    :    me    pium   fuisse, 
Nec  laesisse  pios  :   plus  si  et   ipse   es, 
Mânes  laedere   tu  meos  caveto  \ 

Ce  n'est  pas  celle-là  qu'on  mit  sur  son  tombeau.  Le  5  janvier, 
Pierre  de  Paschal  faisait  placer  au-dessus  de  ses  restes  une 
inscription  qu'il  avait  composée  lui-même,  et  qui  retraçait 
pompeusement  les  mérites  et  la  triste  fin  de  son  «  incompa- 
rable ))    ami  *. 

Au   temps   des   rêves   de  jeunesse,    le   doux    poète    de   Lire, 
celui   qui   sentait   et  rendait  si  bien  le  charme  pénétrant  de  la 


'  Rej^istres  capilulaircs.  —  Cf.  Ballu,  p.  cm. 

-  Rcffistres  t-apitulaircs  :  juxla  sepulliirani  defuncti  domini  Archidiacani 
Parisiensis.  —  Ménage,  Anti-Ilaillet,  diap.  lxxi,  p.  I't(j-li7.  —  Cf.  Ballu.  p   civ. 

^  Poemafa,  f»  60  r». 

*  Marty-Laveaux,  Appendice  de  la  Pléiade,  II,  38a.  —  Voici  la  lin  de 
l'cpitaphe  :  Petriis  Pasclialius  et  vêtus  et  verus  urnicus  amico  incomparabili 
dolena  posuit.  A'o/t.  Jan.  MDLX  a  Cliristo  nato. 


LES    DKllNIKUS   TEMPS  483 

terre    angevine,  avait     un    jour    l'ornié    le    vœu    de    reposer   au 
bord   de   son   fleuve   gaulois  : 

O   mon  fleuve  paternel, 
Quand   le   dormir   éternel 
Fera  tuniber   à   l'envers 
Geluy   qui   chante   ces   vers, 
Et   que   par  les  braz   amys 
Mon   cors   bien  près   sera  mis 
De   quelque  fontaine   vive, 
Non   gueres   loing   de   ta   rive. 
Au   moins   sur   ma   froyde  cendre 
Fay   quebjues  larmes    descendre. 
Et   sonne  mon   Isruyt  fameux 
A  ton   rivaige   ecumeux  '. 

Mais  il  était  écrit  que,  jusque  dans  la  mort,  tous  ses  rêves 
seraient  déçus.  Ce  ne  fut  point  aux  bords  de  Loire  qu'il  eut 
sa  tombe ,  bercé  par  le  murAiure  argentin  des  fontaines ,  au 
sein  de  la  riante  nature.  Une  basilique  reçut  sa  dépouille,  et 
c'est  sous  des  voûtes  austères,  dans  le  silence  auguste  et  la 
paix   du   saint  lieu,    qu'il   dormit    son   dernier  sommeil  ^ 

•  Les  louanges  d'Anjou.  Au  Fleuve  de  Lojre  (I,  178). 

^  Joacbim  eut  pour  héritière  sa  sœur  Catherine,  dame  de  la  Mauvoysi- 
nière.  Le  fils  aîné  de  Catherine,  René  du  Breil,  devint  seigneur  de  Lire  et  de 
la  Turmelière.  (Ms.  fr.  20.:i6o,  f"  44  r").  —  Le  tombeau  du  poète  à  Notre- 
Dame  semble  avoir  disparu  lors  d'une  restauration  de  la  chai^elle  de  Saint- 
Grépin  au  mois  d'aotit  1738.  V.  Ballu,  p.  civ. 


CHAPITRE     XI 


DU   BELLAY  DLYANT   L'OPINION 


I. 
II. 


III.  - 


Du    Bellay    jugé    par    lui-même.    —    Sa   vanité    poétique. 

Du  Bellay  jugé  par  ses  contemporains.  —  Hommages 
funèbres  :  le  «  tombeau  »  du  poète  (1560).  —  L'édition 
de  Morel  et  d'Aubert  (1568-1369).  —  Du  Bellay  l'égal 
de   Ronsard. 

Du  Bellay  jugé  par  la  postérité.  —  Un  sonnet  de 
Spenser  (1391).  —  Les  travaux  des  savants  :  Sainte- 
Marthe.  Colletet.  Baillet,  Ménage,  Niceron,  Goujet.  — 
Les  «  Annales  Poétiques  »  (1778).  —  Le  «  Tableau  » 
de  Sainte-Beuve  (1828).  —  Du  Bellay  au  XIX'  siècle.  — 
L'édition  Marty-Laveaux  (1866-1867).  —  La  statue 
d'Ancenis    (1894).   —  L'Association   Bretonne- Angevine. 


Kii  .suivant  du  Bellay  devant  le  tribunal  de  Topinion 
publique,  je  n'ai  point  la  prétention  de  passer  en  revue  tous 
les  jugements  (ju'on  a  pu  porter  sur  le  poète  et  sur  son 
œuvre  aux  divers  moments  de  l'histoire.  Un  semblable 
dénombrement  ,  si  j'avais  osé  le  tenter ,  risquerait  fort 
d'être  incomplet.  Jai  voulu  seulement,  dans  un  tableau 
d'ensemble,  mai<|uer  les  tiaits  saillants,  et,  d'une  façon  géné- 
rale .    indiquer    ce    (|u'est    devenue ,    pendant    trois    siècles    et 


DU   BELLAY   DEVANT    I.Ol'IMON  485 

demi,  la  gloire  littéraire  de  celui  (jvii  composa  la  Dojfcnce  et 
les  Regrets. 

Gomment  donc  noire  auteur  a-l-il  élé  jugé  ?  Mais  tout 
d'abord,    comment   s'est-il  jugé  lui-môme? 

Ou  ne  peut  exiger  des  poètes  beaucoup  de  modestie.  Au- 
tant (ju'irritable,  la  race  est  vaniteuse.  Du  Bellay,  sur  ce 
point,  ne  le  cède  à  personne.  Dès  les  premiers  pas,  il  avait 
chanté  son  exegi  fnonumentam  ' .  Il  n'était  d'ailleurs  pas  en 
peine  de  justifier  sa  vanité  :  «  Si  en  mes  poésies  je  me  loué 
quelques  fois,  ce  n'est  sans  l'imitation  des  anciens  ".  »  Gomme 
il  arrive  assez  souvent,  c'est  de  sa  première  œuvre  qu'il  était 
le  plus  fier.  Par-dessus  tout,  il  se  considérait  comme  le 
chantre   de   Y  Olive   : 

Si   est-ce  pourtant  que  je   puis 
Me  vanter  qu'en   France  je   suis 
Des   premiers  qui   ont  ozé   dire 
Leurs  amours  sur  la  Thusque  lyre. 

Et   mon  Olive   (soit  ce  nom 
D'Olive   véritable,   ou  non) 
Se   peult  vanter   d'avoir   première 
Salué   la  doulce   lumière  '. 

Il  a  rappelé  bien  des  fois  ce  beau  titre  d'illustration  \  Il 
savait  sa  valeur.   Il  était   parti    pour   la  gloire    : 

Quand   à  l'Honneur,  j'espère   estre  immortel, 

s'écriait-il  tout  au  début  ".  Il  avait  conscience  de  l'avoir  atteinte  : 

»  Ode  à  Bouju,  De  l'immortalité  des  poètes  (I,  :i05).  —  V.  ci-dossus,  1"  part., 
chap.  VII,  §  IV,  p.  213-215. 

-  2'  préf.  de  VOlive  (I.  7d).  —  V.  sur  ce  point  les  i-éflexions  du  bon  abbé 
Goujet,  XII,  134. 

'  Ode  à  Magny,  Sur  les  perfections  de  sa  dame  (II,  329). 

*  Voyez  I,  153,  159,  163,  164,  178  ;  II,  3,  144,  248,  318,  530;—  Poemata,  f'^ 
3  v"  et  41  V"  ;  —  Xenia,  f"  7  r". 

■''  Sonnet  A  Vambicienx  et  avare  ennemy  des  bonnes  lettres,  à  la  lin  de  la 
Deffence,  p.   163. 


486  JOACHIM    DU    BELLAY 

Je   diray   donc   sans   peur  d'estre   repris 
De    me    vanter,    qu'au  mestier  de   la   lyre 
Je  ne   suis   pas   le   meilleur,    ny   le   pire, 
De  ceux  qu'on  nomme  entre  les  bons  esprits  *. 

Sans   doute,    il   avait  tort   de  le   dire   si   haut.    Avait-il  tort  de 
le  penser  ? 


II 


Dans  sa  notice  sur  du  Bellay  *.  le  docte  Colletet  a  pris 
plaisir  à  relever  les  éloges  qu'ont  donnés  au  poète  tous  ses 
contemporains  plus  ou  moins  immédiats.  La  liste  est  longue 
de  ces  hommages,  et  cependant  elle  est  bien  loin  d'être 
complète. 

Déjà,  de  son  vivant,  notre  auteur  avait  recueilli  maint 
témoignage  d'admiration.  Lorsqu'il  mourut,  le  deuil  fut  grand 
dans  la  république  des  lettres.  11  tombait  le  premier  de  la 
noble  phalange  qui,  sous  l'égide  de  Dorât,  avait  marché  su- 
perbement à  la  conquête  des  anciens,  et  dont  l'audace  avait 
eu  pour  prix  ce  triomphe,  la  poésie  ressuscitée.  On  eut  la 
sensation   qu'un   vide   s'était   fait. 

Ronsard  ne  put  voir  partir  sans  tristesse  ce  vaillant  frère 
d'armes,  cet  ancien  compagnon  des  luttes  héroïques.  On 
trouve  un  écho  de  ses  vifs  regrets  dans  l'élégie  qu'il  adressa, 
l'année  même  où  mourut  du  Bellay,  au  Tournésien  Louis  des 
Masures  '.    Encore   sous    le  coup   de  cette    mort   soudaine,    son 


1  Amours  àe  15o9,  s.  6  (II.  123).  —  Cf.  Elégie  à  Mord  : 

Carmina  sunt  nobis  facili  nianaiitia  vena, 

Et  nos  turba  legit,  nos  legit  aula  frequens. 

Denique,  quisquis  amat  Phoebum  Phoebiquc  Sorores, 
Me  colit  absentcm,  me  terit  alque  legit. 
'  Copie  mscr.,  f"'  .o2  ro-ij7  v". 
^  Hlanchemain,  VII,  49. 


DU    BELLAY    DEVANT   l'oPINION  487 

esprit  est  hanté  de  lunèhres  images  :  il  a  vu  dans  un  rêve 
l'ombre  de   son  ami  : 

L'autre  jour   en   dormant  (eonime  une    vaine    idole. 
Qui    deçà    qui    delà    au    gré    du    vent    s'en-vole) 
M'apparut   du    Bellay,   non    pas  tel    qu'il  estoit 
Quand   son  vers   doucereux   les   Princes   allaitoit, 
Et   qu'il   faisoit   courir   la   France   après   sa   lyre, 
Qui   souspirant  son  nom   le  plaint   et  le   désire  ; 
Mais   hâve   et   descharné . . . 

L'ami  d'autrefois  n'est  plus  qu'un  cadavre,  et  ce  cadavre  se 
met   à   parler   : 

Il  me   disoit  :    ((  Ronsard,  que  sans  tache   d'envie 
J'aimay   quand  je    vivois  comme   ma  propre  vie, 

Puis  qu'il  a  pieu    à  Dieu  me   prendi'e   devant   toy, 
Entens   ceste    leçon  et   la   retiens  de   moy...   » 

Et  de  cette  bouche  d'ami,  sort  le  plus  beau  credo  religieux 
et  moral.  —  Quatre  ans  plus  tard,  dans  une  pièce  du  Bocage 
Royal,  à  Catherine  de  Médicis,  Ronsard,  dont  la  mémoire 
était  toujoui's    fidèle,    insérait    ces   vers   empreints  d'émotion  : 

Je   pleurois  du   Bellay,    qui   estoit  de    mon    âge. 

De  mon   art,   de  mes  mœurs   et  de   mon   parentage, 

Lequel,  après    avoir   d'une  si   docte   vois 

Tant   de   fois    rechanté  les   princes   et   les  rois. 

Est  mort  pauvre,    chetif,    sans    nulle  recompense, 

Sinon  d'un  peu  d'honneurs   que   luy  garde  la  France  '. 

Rémy    Belleau   ne    connaissait    Inen    du    Bellay    que   depuis 
son   retour  d'Italie  ;   mais    en   deux    ans,  il    avait   eu  le   temps 

'  Blanchemain,  III,  .371.  —  Cf.  III,  3o3,  au  cardinal  de  Lorraine  : 
Du  Bellay,  qui  avoit  monté  dessus  Parnase, 
Qui  avoit  espuisé  toute  l'eau  de  Pégase, 
Qui  avoit  dans  mon  antre  avecques  moy  dancé, 
Ne  fut,  siècle  de  fer  !  d'un  seul  bien  advancé. 


488  JOACHIiM    DU    BKLLAY 

de  l'apprécier.  Il  eut  de  sa  mort  un  regret  sincère.  Dans  une 
ode  qu'il  composa  sur  les  Recherches  d'Etienne  Pasquier 
fiôôo)  *,  il  déplorait  les  tristes  destinées  de  la  «  Brigade  » 
et  disait   de   l'ami   disparu  : 

Encores   la   playe   est   ouverte 

De    mon   Du  Bellay,    dont    la   perte 

Fait   perdre   aux   Muses   le   renom. 

La  même  année,  il  fit  paraître  un  Chant  pastoral  sur  la 
mort  de  loachim  du  Bellay  Angevin  ^  C'était  un  dialogue 
entre  deux  pasteurs,  Tlioinet  et  Bellin  (Baïf  et  Belleau),  suivi 
d'une  complainte,  dans  laquelle  une  Nymphe  de  la  Seine 
pleurait   le   poète    éteint    avant    l'âge  : 

Il  est  mort  Du  Bellay,  Du  Bellay  que  les  Dieux 
Avoyent  transmis  du  ciel  pour  cstre  en  ces  bas  lieux 
Le   mignon   d'Apollon,    et   des   Muses    la   grâce, 
Et   le   plus   rare   honneur   de   son   antique   race  ! 
Las  !  il  nous  est  ravi,  n'ayant  parfait  le  cours 
Qu'à  demy  seulement  du  plus  beau  de  ses  jours. 

Par  la  bouche  de  Ronsard  et  de  Belleau  avaient  parlé  les 
condisciples  et  les  amis  d'école.  Quelques  savants,  qui 
voyaient  en  du  Bellay  disparaître  un  humaniste,  eurent  à 
cœur  de  saluei'  sa  dépouille  :  Adrien  Turnèbe,  Claude 
d'Espence,  Hélie  André,  Léger  du  Chcsne,  Claude  Roillet, 
réunirent  en  une  plaquette  quelques  pièces  latines  qui 
disaient   leurs  regrets  \ 

^  Gouvorncur,  I,  183;  Marty-Laveaiix,  I,  117.  —  Le  I"  livre  des  Reclœrches 
de  la  France  parut  en  1o60,  à  Paris,  chez  Vincent  Sertenas,  in-S".  Privilège  du 
18  janvier  loaO  (n.  s.  Io60).  L'ode  de  Belleau  figure  en  tète. 

-  Paris,  Rob.  Estienne,  1560,  8  S.  in-4".  —  Plus  tard,  l'auteur  a  fait  entrer 
ce  chant  dans  sa  liergerie,  en  le  coupant  en  deux  parties.  (Gouverneur,  II, 
150-i:>r,  et  ;53!S-3H;  Maity-Laveaux,  I,  2n3-297  et  II,  133-138)  —  Le  Chant  pas- 
toral de  HclU-au.  rèinii)r.  en  loGG,  a  i)ris  place  à  partir  de  lo68-lo69  (recueil 
d'Aubert)  dans  les  diverses  éditions  du  Tombeau  de  J .  du  Bellay. 

'  In  loachimum  Bellaium,  Andinum  poetam  clarissimum  doctorum  viro- 
rurn  carmina  et  tuniuU,  Paris,  Kederic  Morel,  lilliO,  (i  ff.  in-4". 


DU   BELLAY    DEVANT    l'oHNION  489 

Puis  co  fut  le  tour  des  intimes.  Guillaume  Aubert  de 
Poitiers,  avocat  au  Parlement  de  Paris,  après  avoir  expi'imé 
sa  douleur  dans  une  lettre  à  Jean  de  Morel  (le  3  janvier  i56o), 
la  mit  en  vers  très  longuement,  trop  longuement,  dans  une 
assez  plate  Elégie,  qui  n'a  pour  elle  (jue  la  bonté  de  l'inten- 
tion '.  En  même  temps,  Charles  Utenliove.  rassemblant  les 
hommages  funéraires  de  ceux  qui  fréquentaient  la  maison  de 
Morel.  ])ublia  les  Epitaphes  sur  le  trespas  de  loachim  du 
Bellaj\  Angevin,  Poëte  Latin  et  François  ^  Ce  recueil  repro- 
duit d'abord  l'épitaphe  que  du  Bellay  s'était  faite  à  lui-même; 
puis  la  traduction  de  cette  épitaphe  en  hébreu  par  Jean 
Mercier,  beau-fils  de  Morel,  en  grec  par  Utenhove.  en  français 
par  Morel,  Maniquet,  Utenhove  et  Grévin  ;  ensuite,  diverses 
pièces  latines  et  françaises,  des  hendécasyllabes  de  Robert  de 
La  Haye,  des  distiques  de  Camille  de  Morel.  un  sonnet 
d'Antoinette  de  Loynes,  une  ode  de  Jacques  Grévin,  etc.  ;  et 
le  tout  se  termine  par  l'épitaphe  admirative  (d.  immortali  s.) 
due   à   Pierre  de  Paschal. 

C'était  quelque  chose  sans  doute  que  ce  tribut  d'éloges 
payé  à  la  mémoire  du  poète  qui  venait  de  mourir.  Mais  il 
y  avait  mieux  à  faire  :  c'était  d'assurer,  par  une  édition  aussi 
complète  que  possible,  la  conservation  de  ses  œuvres.  Détail 
curieux  :  l'idée  vint  du  roi  François  II.  —  c'est  Aubert  i{ui 
raffîrme.  A  son  commandement.  ((  le  Sieur  de  Morel  amateur 
de  toutes  vertus. . .  feit  soigneusement  recueillir  non  seulement 
ce  que  le  Sieur  du  Bellay  avoit  faict  imprimer  durant  sa  vie. 
mais  aussi  ce  qui  n' avoit  encores  esté  publié  :  et  après  en  avoir 
communiqué  avecques   les  plus   affectionnez   amis  de    l'Auteur. 

•  Elégie  sur  le  trespas  de  M.  loachim  du  Bellay. . .  Paris,  Federic  Morel, 
1360,  3  ff.  in-4°.  Réirapr.  en  1361. 

-  Elles  viennent  à  la  suite  de  ÏEpitaphium  in  mortem  Herrici  Gallorurn 
régis  christianissimi. . .  per  Car.  XJtenhovium.  Paris,  Rob.  Estienne,  1360, 
in-4'.  (Bibl.  Nat   —  Rés.  niY' .  3:33). 


490  JOACHIM    DU    BELLAY 

ils  adviserent  ensemble  ment,  que...  ce  seroit  chose  digne  de 
leur  bonne  affection  envers  le  public,  et  de  leur  ancienne 
amitié  envers  le  feu  Sieur  du  Bellay,  de  faire  mettre  toutes 
ses  œuvres  en  lumière,  de  façon  qu'à  l'advenir  rien  ne  s'en 
peust  facilement  esgarer  *.  »  Ce  projet,  toutefois,  ne  fut  point 
réalisé  sur  le  champ.  L'année  de  la  mort  du  poète  et  les  années 
suivantes,  des  libraires  de  Paris,  Charles  l'Angelier,  Federic 
Morel,  pour  répondre  aux  vœux  du  public,  avaient  imprimé  ou 
réimprimé,  soit  en  plaquettes,  soit  en  recueils  factices,  beaucoup 
de  ses  ouvrages  *.  C'est  seulement  en  1569  que  vit  enfin  le 
jour .  chez  Federic  Morel ,  en  un  volume  in-S» ,  l'édition  des 
œuvres  complètes,  ou  du  moins  des  œuvres  françaises  ^  Elle 
était  dédiée  au  roi  Charles  IX  :  Guillaume  Aubert,  auxiliaire 
de  Jean  de  Morel  dans  sa  tâche  d'éditeur  posthume,  avait  écrit 
la  dédicace.  Le  recueil,  qui  s'ouvrait  sous  cet  auguste  patro- 
nage ,  se  fermait  solennellement  par  la  série  des  pièces  qui 
redisaient  la  gloii-e  de  du  Bellay  :  suivant  l'usage,  Aubert  les 
avait  réunies   pour   en   former  le   tombeau  du  poète. 

Six  autres  éditions,  inspirées  de  la  précédente,  parurent 
tour  à  tour  \  attestant  le  renom  du  chanteur  angevin  et  sa 
vogue  persistante  jusqu'à  la  fin  du  xvi*^  siècle  :  et  le  tombeau 
reparaissait   toutes   les  fois,    augmenté   de   pièces   nouvelles  '. 


'  Aubert,  Epistre  au  Roy  [Cliarles  IX],  datée  de  Paris,  20  nov.  1:568.  — 
Marty-La veaux,  Appendice  de  la  Notice,  p.  xxxix. 

-  Pour  le  détail  de  ces  publications,  v.  Manuel  du  Libraire,  t.  I,  col.  749- 
7ol,  et  Supplémpnt.  t.  I,  col.  100  102  :  —  les  notes  de  l'édit.  Marty-Laveaux  ; 
—  la  Bibliographie  de  M.  Ballu.  édit,  L.  Séché,  p.  251  sqq. 

'  Les  œuvres  françaises  de  loachim  Du-BeUuj,  Gentilhomme  Angevin,  et 
l'oëte  excellent  de  ce  temps...  Paris,  Federic  Morel,  1569,  in-8\  rUcueil  de 
pièces  séparées,  iuii)riinées  en  1568  et  1.569.  Privilège  du  30  avril  1567.  — 
Cette  édition  est  décrite  par  Jules  le  Petit,  bibliographie  des  principales 
éditions  originales  d'écrivains  français  du  xv  au  xvui''  siècle,  Paris,  Quantin 
1888.  —  Les  Xenia  parurent  également  chez  Morel,  en  1569,  dans  un  volume 
à  part.  Les  Poemata  ne  furent  pas  réimprimés. 

»  Paris,  1573,  1574,  1584  ;  —  Lyon,  1575  ;  —  Rouen,  1592,  1597. 

•'  A  signaler  dans  l'édit.  de  1575  deux  sonnets  de  Jacques  de  la  Taille. 


DU  BELLAY  DEVANT  LOPI.MON  491 

On  ne  peut  lire  sans  respect,  si  médiocre  qu'en  soit  la 
forme,  les  tcmoignag-es  lUadiniration  décernés  au  poêle  \)Hi' 
ses  contemporains.  On  y  sent  une  foi  sincère  et  quelque  peu 
naïve  dans  l'éternité  de  son  œuvre.  L'impression  que  j'en  ai 
gardée,  c'est  que  les  hommes  du  xv!"^  siècle  ont  mis  constam- 
ment du  Bellay  au  même  niveau  que  Ronsard  :  les  deux 
émules  étaient  à  leurs  yeux  deux  és^aux. 

Cette  égalité  dans  riiommage  avait  commencé  de  bonne 
heure,  du  vivant  même  de  Joachim.  Dès  i552,  Marie  de 
La  Haye,  dans  une  ode  Sur  les  œuvres  poétiques  de  I.  du 
Bellay  et   P.  de  Ronsard  ',  établissait   le   parallèle  : 

Le   prix,   où    Horace  a   tendu 

Sa   lyre,    pour  le   penser   prendre. 

D'autres  en  vain  est  attendu   : 

Car   à   vous   deux  il   se   vient  rendi^e. 

L'ung  reçoit  par   nostre    orizon 
Le   verd  honneur   de   la   couronne. 
Dont  ja   l'une   et   l'autre  maison 
Du   soleil,   son   chef  environne. 

A   l'autre  l'Olive   promet 
Apres  sa   mort   vie  immortelle    : 
Et  vivant  desja   hors  le   met 
De   l'obscure   tumbe   mortelle. 

Vers  le  même  temps.  Hugues  Salel,  adressant  un  sonnet  Aux 
seigneurs  de  Ronsard  et  du  Bellay  %  leur  demandait  le 
secours   de  leur   muse   pour  l'aider  à   chanter  d'amour   : 

*  Cette  ode  tigure  en  tête  de  l'ouvrage  de  du  Bellay  :  Le  quatriesme  livre 
de  l'Enéide  de  Vergile. . . .  V.  ci-dessus,  1"  part,  chap.  x.  §  i,  a.  1,  p.  iiO- 
2o0.  (Bibl.  Nat.  —  Rés.  pYc.  1400.) 

-  Les  Amours  d'Olivier  de  Mngny....  Emsemble  un  recueil  d'aucunes 
œuvres  de  Monsieur  Salel,  abbé  de  Saint  Cheron,  non  encore  veues.  Paris, 
Estiennc  Groulleau,  lo53,  f^  82  v".  (Bibl.  Nat.  —  Rés.  Y^  16(37). 


492  JOACHIM    DU    BELLAY 

O  francs   espritz   savans    énamourez, 
Si  vous  avez  telz  plaisirs   savourez, 
Je   vous  suplie,  acordez   vostre  lire, 

Va   de   voz   vers   dignes  d'estre  adorez, 
Vostre  Salel   a  présent   secourez, 
Chantant  pour  luy  ce  qu'il  ne  pourroit  dire. 

En  i553.  Maclou  de  La  Haye  s'écriait  à  son  tour  dans  son 
Chant  de  Paix  '   : 

Deux  grandz  espritz  sur  le  Parnasse  mont 
Je   voy   monter   en   la  plus   haulte   place, 
Dont  le   désir  du   Laurier   me   semond 
De   renforcer   ma   veine   foible  et  basse  ; 
En   odes,    l'un   d'Horace   suit   la   grâce  % 
L'autre,    en   sonnetz,   le  subtil   Florentin, 
Qui,  pour  m'avoir  compagnon  de  leur  grâce, 
N'ont   en   desdain   mon   doux   luth   argentin. 

Et  dès  lors,  les  hommages  du  même  genre  se  multiplient. 
C'est   Tahureau   (pii   dit   dans   ses  Premières   Poésies  (i554)  '  : 

De  quoy  le  Loyr,  de  quoy  s'enfle  la  Loyre, 
Sinon  du  bruyt  desbordant  en  tous  lieux 
De  son  Ronsard  et  du  Bellay,  sa  gloire, 
Pour  les  porter  d'icy  là  haut  aux  cieux  ? 

C'est  Pasquier  qui  écrit  à  Ronsard  (i555)  ^  en  parlant  des 
progrès  de  notre  poésie  :  «  Vous  et  le  sieur  du  Bellay  acez 
plus  heureusement  rencontrés  que  l'on  n'avoit  jamais  espéré 
entre  les  nostres.  »  C'est  Louis  d<^s  Masures  qui  versifie 
suljlilement  cette   épigramme  {loo'j)      : 

'  Les  Giuvres  de  Maclou  de  La  Haye,  Piccard,  valet  de  chambre  du  Roy. 
Paris,  Esticime  (h-oullcau,  V^'i,  f"  9  v°.  (Arsenal.  —  B.L.  0478.  Rés.). 

-  .Sic    Peut-être  faut-il  lire  trace. 

'  Édit.  Blanchemain,  Genève,  Gay,  1809,  p.  51. 

'  Lettre  8  du  livre  I.  édil.  de  1723,  t.  Il,  col.  11. 

'  Ludovici  Masurii  Nervii  carmina,  Lyon,  Jean  de  Tournes  et  Guill. 
Gazeau,  i:i;i7,  in-i,  p.  ij4:  Ad  P  Ronsardum  et  lo  Rellainm  poetos.  (IMhl. 
ÎN'at.  —  liés.  Y-.  367). 


nr    BF.LI.AY    DEVANT    L'OPINION  h\)'.i 

Mirabar   quid   Phoebus  equos  tara  mane  récentes 

Jungeret,    et   toto    lucidus   orbe    foret. 
Formosam    hic-    spectat    Clio.    Gliusque    sorores, 

Et   quos   aeterno   tollil   lionore   cliorus  : 
Te  magnum,  Ronsarde,  refors  qui  Pindaron,  et  te, 

Bellai.   eoetus   gloria   Pieriduui. 
Vos   radiis  oeulisque  Deus.    (juibus   omuia,    coelo 

Dum  videt,    egregio   purior   ore   nitet. 

En  i558,  un  gentilhomme  ami  des  lettres,  Forquevaulx, 
gouverneur  de  Narbonne,  écrit  à  Morel  :  ((  Quelque  ignorance 
et  rudesse  qui  en  moy  soit,  je  me  délecte  néantmoins  de 
veoir  et  lire  les  bonnes  choses,  et  je  vous  asseure,  Monsieur, 
que  j'ay  merveilleux  regret  de  n'avoir  eu  l'heur  de  veoir  et 
cognoistre  Monsieur  de  Ronsard  et  Monsieur  du  Bellay, 
puisqu'il  estoit  à  Paris,  pource  qu'il  me  semble  de  n'avoir 
point  demy  veue  en  mes  yeulx,  n'ayant  veu  et  cogneu  les 
deux  lumières  de  France,  comme  toutz  les  hommes  de  bon 
jugement   les   estiment  \  » 

Quand  du  Bellay  fut  mort,  on  continua  de  l'égaler  à  son 
ancien  rival.  Antoinette  de  Loynes  eut  le  talent  d'afiirmer 
sur  sa  tombe  les  droits  qu'il  avait  à  garder  ce  rang,  et  cela 
sans   blesser   Ronsard  : 

Si  je   ne   puis   pourtant   exprimer  par   ma   voix 
Ce   qu'estimèrent   tant   les   princes  et   les  rois, 
Je   diray   pour   le   moins   avec   toute   la   France, 

Que   du   Bellay    estoit  des   poètes   l'honneur  : 

Et   si   ne   perdray  pas   de   Ronsard  la  faveur. 

Car  je   ne  puis   ne  veux   luy  faire  aucune  offence  *. 

Charles  Utenhove  le  redit  après  elle,  sous  une  forme  assez 
bizarre  : 

'  Lettre  du  8  mai  1558,  citée  par  M.  de  Nolhac,  Lettres  de  J.  du  Bellay, 
p.  14,  n.  1. 

-  Epitaphes  sur  le  trespas  de  I.  du  Bellay  1 1560). 


494  JOACHIM    DU    BELLAY 

1.    BELLAII    ET    P.    RONSARDI 
STNOTSIA 

aniabilis  .    admirandus   ^ 

BELLAivs  '     RONSARDVs      ^     ambo   pares. 

proinptior  ingenio     '        doctior       ; 

Ce    qu'il    laul    lire   : 

BELLAIVS,    RONSARDVS,    amabilis,    admirandus, 
Promptior  ingenio,  doetior.  ambo  pares  *. 

Bail',     dans    une    églogue,     fît    parler    ainsi   le   pasteur  Toinet, 
(jui    nrtait   auti-e   que   lui-même  : 

Bien   qu'entre   les  bergers  j'ay   bruit   d'estre   poëte, 
Si   ne   les   eroy-je   pas  :   car   ma   basse   musette 
Ne   sonne   pas   encor   des   chansons   de   tel   art 
Comme   le   doux   Bellay   ou   le   grave   Ronsard  *. 

Un  Angevin,   Jean   le   Masle,  dans  ses  Récréations  Poétiques, 
loua   Dorât   d'avoir  produit   de    si    savants  disciples  : 

. . .    Quand   du   double   couppeau 
Tu  ramenas   des   Muses   le   trouppeau, 
Ostant  aux  yeux  de  maints  esprits  de  France 
Le  noir  bandeau   de  l'aveugle   ignorance, 
Tesmoin   Ronsard   et  du   Bellay,    qui   ont 
Vivants    porté   le   laurier   sur   le   front  '. 

Et  je   pouri-ais   citer  bien   d'autres  témoignages,  —  comme  ceux 
de  Montaigne  \  de  Scaliger  '  et  du  cardinal  du  Perron  ",  —  qui 

'  Xenia  d'Ulenhove,  à  la  suite  de  VEpilaphium  (1360). 

■'  Charles.  Eclogue  XVII.  (Marty-Laveaux,  III,  91). 

'  Cité  par  CoUclet,  copie  mscr.,  f"  34  v". 

*  Essais,  iiv.  il,  chap.  17  :  «  Aux  parties  en  quoy  Ronsard  et  du  Bellay 
excellent,  je  ne  les  trouve  gueres  esloignez  de  la  perfection  ancienne.  » 

5  Prima  Scaligerana,  édit.  d'Amsterdam,  1740,  in-8',  p.  144-143  :  «  Ron- 
sardus  niagnus  Poêla  Gallicus,  ut  Bellaïus  utriusque  linguae  Latinae  et 
Gallicae,  qui  (quod  hactenus  pauci)  faoilitatem  et  dulcedinem  Catulli  asse- 
cutus  est.  » 

'•  Perroniana,  édit.  d'Amsterdam,  1740,  in-8%  p.  111  :  «  Du  Bellay  et  Ron- 
sard sont  les  plus  excellens  poètes  que  nous  ayons  eus.  » 


DU    BKLLAY    DKVANT    l'oPINION  495 

nous    montrent   unis   dans    rudmiration    des    contcnipoi'ains    les 
noms   de   Ronsard   et   de   du    Bellay. 

C'était  justice  en  somme,  et  l'on  avait  raison  de  tenir  la 
balance  égale  entre  les  deux  poètes.  Il  convient  pourtant 
d'ajouter  qu'on  n'y  mil  [>as  toujours  la  sérénité  nécessaire. 
Un  moment,  la  passion  s'en  mchi.  Les  ennemis  d(>  Ronsard, 
pour  l'ennuyer  et  le  vexer,  se  tirent  un  malin  plaisir  de 
lui  jeter  son  rival  à  la  tête.  Les  mérites  de  du  Bellay 
devinrent  un  des  arguments  dont  usèrent  les  calvinistes  pour 
rabaisser  leur  adversaire.  Jacques  Grévin,  l'auteur  ])r()bable 
du   Temple  de  Ronsard  (i563),    écrivait   avec   intention  : 

J'ay   bien   eu   quelquefois   la   mesme   fantaisie 
Que   tout   seul   tu   estois   bon  maistre   en   poésie  ; 
Mais   lors   que  j'eus   cogneu  que   les   poètes   Grégeois 
Et  Latins   se   laissoient   fueilleter   sous   les   doigts 
De   ceux   qui   sont  nourris   en   la   langue   françoise, 
Je   pensay   seulement   que   la   Muse   grégeoise 
T'avoit   enflé   le   cœur,    et   que   ce    gentil   art 
N'avoit   esté   forgé   seulement  pour   Ronsard. 
Bellay   m'en  est  tesmoing  \ 

Et   sous  le   pseudonyme   de   F.    de   la   Baronie,    Florent   Chres- 
tien   n'était  pas   moins   amer  : 

Or  je   confesse  bien   qu'on   a   eu   quelque   estime, 

Il   y   a   quelque  temps,    de   ta   superbe    rime  : 

Du   Bellay   toutesfois,    du   Bellay   plus   sçavant 

Avoit  ja   estendu  son   los  jusqu'au   levant  : 

Et   encores   qu'on   veist   que   sa   plume   féconde 

Qui   n'a  point   de    pareil,   surmontroit   tout   le   monde, 

Si   est-ce   qu'en  après   ton  esprit   eshonté 

Nous   pensoit   faire  voir   qu'il   estoit   surmonté. 

1  Blanchemain,  VII,  88-89. 


49G  JOACHI.M    DU    BELLAY 

Mais  tu  Tas  lait  en  vain,  encores  que  ta  g-loire 
Ne   fust   ostée   encor"   du   dos  *    de  la  mémoire. 
Pourquoy  donc   escris-tu   que   tu   es   le   premier 
Qui   as  à   nos  François  apporté   ce   mestier  ^  ? 

Quatre  ans  plus  tard  (1067)  ,  dans  YEpistre  à  Jaques  Grevin 
qui  précède  le  Second  discours  sur  VAntimoine,  Florent 
Ghrestien   exaltait   encore 

L'excellent   du   Bellay,    homme   presque    divin, 
Premier   poëte   en  France .... 

et  Grévin  lui-même,  l'auteur  de  ce  Discours,  appelait  Joachim 
«  le  prince  des  poètes  »,  comme  si  Ronsard  n'eût  pas  existé  '. 
Ce  parti  pris  aurait  pu  faire  à  du  Bellay  plus  de  mal  que 
de  bien.  Heureusement,  sa  mémoire  n'en  souffrit  pas  ;  et 
même  à  l'époque  où  Ronsard,  élevé  sur  l'autel,  trônait  ainsi 
qu'un  dieu  dans  l'éclat  de  sa  gloire,  l'harmonieux  chanteur 
des   Regrets   ne   tomba  jamais   dans   l'oubli. 


III 


A  la  lin  du  xvi^  siècle .  du  Bellay  n'avait  rien  perdu  de 
sa  brillante  renommée.  Son  nom  avait  franchi  les  bornes  de 
la     France.     De     l'autre     côté     du    détroit,     un    grand     poète, 


'  Sic.  Colietel  a  lu  clos. 

-  Seconde  response  de  F.  de  la  Baronie  à  Messire  Pierre  de  Ronsard, 
Paris,  lo03,  f"  18  r".  (Bibl.  Nat.  —  liés.  Y«.  1027). 

'  Pinvert,  Jacques  Grévin,  p.  335.  —  Un  autre  protestant,  disciple  de 
Marol  en  poésie,  mais  juge  souvent  équitable  des  mérites  de  la  Pléiade, 
Henri  Eslienne,  donnait  le  premier  rang  à  du  Bellay  pour  des  motifs  tout 
littéraires  :  a  S'il  me  faloit  faire  le  rôle  de  ceux-ci  [que  vous  distes  estre 
modestement  hardis],  il  seroit  le  premier.  »  (Dialogues,  édit.  Ristelhuber, 
188j,  t.  II,  p.  1(J9).  La  Bibliothèque  de  la  ville  de  Lyon  conserve  un  volume 
des  Poésies  deJ.  du  Bellay  (édit.  de  1501)  annoté  par  Henri  Estienne  et  dont 
l'intérêt  n'est  pas  moins  précieux  en  ce  qui  touche  le  poète  que  le  philo- 
logue lui-même.  M.  Clément  en  a  tiré  tout  le  parti  possible  dans  sa  remar- 
quai)le  étude  sur  Henri  Eslienne  (Paris,  Picard,  1898,  in-8). 


DU    BKLLAY    DKVANT    l'OPINION  4!)7 

Edinuncl  SpeusiM-,  l'autour  de  la  Reine  des  Fées.  Iraduisail 
en  anglais  les  Antiqiiitez  de  Rome  (1591).  et  couronnait  sa 
traduction    par   ce    très   beau    sonnet  '   : 

L'ENVOY. 

Bellay,    premier   fleuron   de   libre   poésie 

Qu'ait  produit  la  France,  si  féconde  en  no])les  esprits, 

Bien  digne   es-tu   de   l'innuortalité, 

Toi   qui  jadis   as   travaillé,    par   tes  doctes    écrits, 

A   faire   renaître   de   ses   cendres   la    vieille  Rome, 

Et   à  donner   une  seconde   vie  à  des   ruines   mortes  ! 

Il   doit   survivre   toute   l'éternité, 

Celui   qui    peut  donner  aux  autres   des  jours    éternels  : 

Aussi   tes  jours   sont-ils   sans   fin,    et  ta   gloire 

Surpasse-t-elle   tout   ce    qui   a  précédé. 

Après  toi,    Bartas  commence   d'élever 

Sa   céleste  Muse,    pour  adorer  le  Tout-Puissant. 

Vivez,   heureux  esprits,    Thonneur   de    votre   nom, 

Et  remplissez  le  monde  d'une  renommée  qui  ne  mourra  jamais  ! 

Mais  le  xvii®  siècle  allait  s'ouvrir,  et  l'on  sait  s'il  devait 
être  dur  aux  poètes  de  la  Pléiade.  L'arrêt  porté  contre 
Ronsard  par  le  réformateur  Malherbe  atteignit  quelque  peu 
du  Bellay.  Sans  doute,  on  lut  encore  l'original  auteur  de 
tant  de  beaux  sonnets,  et  même  on  l'imita  :  les  poètes  sati- 
riques, et  Régnier  notamment,  ne  se  firent  point  faute  de  le 
piller  à  l'occasion  '.  Mais  on  cessa  de  le  réimprimer.  C'était 
un  signe.  Désormais,  le  goût  pul)lic  allait  se  porter  ailleui-s, 
et  l'œuvre  de  nos  vieux  poètes  devenir  l'apanage  à  peu  près 
exclusif  des   érudits   et  des   savants. 

Ce  courant  scientifique  et  critique,  si  ces  mots  ne  sont 
pas  trop   pompeux,    avait   connnencé   dès  les   dernières   années 

'  Pour  le  texte,  v.  l'édit.  R.  Morris,  Londres,  Macmillan,  188G,  in-8»,  p.  531. 
-  Vianey,  Mathurin  Régnier,  p.  65. 

Univ.  de  Lille.  Tome  VIII.  A.  32. 


498  JOACHIM    DU   BELLAY 

du  XVI'  siècle ,  avec  Scévole  de  Sainte-Marthe  :  car  on  ne 
peut  compter  vraiment  les  Bibliothèques  françoises  de  La 
Croix  du  Maine  et  de  du  Verdier  (i584)  '•  Sainte-Marthe, 
dont  la  longue  existence  avait  vu  bien  des  choses,  entreprit 
vers  la  soixantaine  de  faire  l'éloge  des  hommes  qui  s'étaient 
do  son  temps  illustrés  dans  les  lettres.  Sa  notice  sur  du 
Bellay,  publiée  en  1598,  complétée  en  1606,  est  loin  de  briller 
par  l'exactitude  et  la  précision.  Il  s'est  trompé  sur  la  date 
de  la  naissance  du  poète  et  sur  l'origine  de  sa  surdité  ;  il 
n'a  rien  dit  que  de  vague  sur  ses  fonctions  ecclésiastiques  ; 
il  a  cueilli  je  ne  sais  où  la  ti'ès  invraisemblable  histoire  de 
l'archevcché  de  Bordeaux.  Beaucoup  des  erreurs  qui,  depuis 
trois  siècles,  se  répètent  sur  du  Bellay,  sont  imputables  à 
Sainte-Marthe  '. 

Le  hasard  voulut  que  son  héritier ,  dans  ces  doctes 
recherches,  fût  un  homme  très  consciencieux,  assurément,  très 
zélé  pour  nos  vieux  auteurs,  mais  à  peu  près  dénué  de  sens 
critique.  Guillaume  Golletet,  après  avoir  mis  en  français  les 
Eloges  de  Scévole  (i644))  imagina  de  les  refaire,  en  les 
allongeant  et  les  complétant  :  telle  fut  l'origine  de  ces  Vies 
de  poètes,  dont  un  fatal  incendie  devait  détruire  un  jour  le 
manuscrit  autographe.  Dans  ses  notices  sur  les  poètes  de  la 
Pléiade,  Golletet  s'est  presque  toujours  contenté  de  repro- 
duire les  assertions  de  Sainte-Marthe  et  de  Binet.  dont  le 
Discours  sur  la  vie  de  Ronsard  n'est  pas  non  plus,  on  le 
sait,  un  modèle  d'exactitude.  Pourtant,  en  ce  qui  touche  du 
Bellay,    ce   même   Golletet  a   mis  à    profit  V Elégie  à  Morel,  si 


*  L'article  de  La  Croix  du  Maine  (II,  1-2)  n'est  qu'une  sèche  et  d'ailleurs 
incomplète  nomenclature  des  ouvrages  de  du  Bellay;  celui  de  du  Verdier 
(II,  534-543),  dans  sa  partie  intéressante,  un  plagiat  de  VEpistre  d'Aubert. 

2  La  phrase  qui  traîne  dans  tous  les  manuels  —  que  du  Bellay  fut  sur- 
nommé VOvide  français  —  me  semble  bien  venir  aussi  de  cette  appréciation 
de  Sainte-Marthe  :  «  Ovidianam  illam  ubertatom  facilitateniqiie  plane  redo- 
let.  ))  Elogia  (1598),  p.  3'J. 


DU    BELLAY    DEVANT   L'oPINION  499 

précieuse  à  bien  des  t'-gards.  Enfin,  il  a  clos  sa  biographie 
pai'  la  revue  des  opinions  (pion  avait  émises  avant  lui  sur 
le   compte   de   l'auteur   des   Regrets. 

Ce  qu'il  y  a  pour  nous  de  plus  intéressant  dans  sa  notice 
sur  du  Bellay,  c'est  le  début.  Je  le  citerai  :  car  c'est  la 
preuve  que  du  Bellay  se  maintint  plus  longtemps  que  Ron- 
sard dans  l'affection  et  dans  l'estime  du  xvn*^  siècle  :  «  Cet 
auteur,  écrit  GoUetet,  fut  considéré  comme  l'un  des  plus 
grands  ornemens  de  son  siècle,  et  il  fait  encore  les  délices 
du  nôtre.  C'est  une  chose  étrange  que  de  toute  cette  fameuse 
pleyade  d'excellens  esprits  qui  parui-ent  sous  le  règne  du 
roi  Henri  second,  je  ne  vois  que  celui-ci  qui  ait  conservé 
sa  réputation  toute  pure  et  toute  entière  ;  car  ceux-là  même 
qui  par  un  certain  dégoût  des  bonnes  choses,  et  par  un  excès 
de  délicatesse,  ne  sauroient  soutlrir  les  nobles  hardiesses  de 
Ronsard ,  témoignent  que  celles  de  du  Bellay  leur  sont  beau- 
coup plus  supportables,  et  qu'il  revient  mieux  à  leur  '  façon 
d'écrire  et  à  celle  de  notre  tems  ;  et  en  effet,  quoique  notre 
langue  ait  eu  de  différentes  révolutions  depuis  cent  ans  entiers 
qu'il  prit  le  soin  de  la  cultiver,  si  est-ce  que  son  stile  clair 
et  net,  facile  et  majestueux,  est  une  preuve  indubitable  de 
la  beauté  de  son  esprit,  et  de  la  connaissance  parfaite  qu'il 
avoit  de  tous  les  secrets  de  notre  langue.  Et  je  ne  doute 
point  aussi  que  si  le  ciel  eût  prolongé  ses  années,  qu'il  n'eût 
enfin  rendu  la  ^  palme  douteuse  entre  lui  et  le  grand  Ronsard, 
et  qu'il  n'eût  même  enfin  remporté  sur  lui  le  titre  glorieux 
de  prince  de  nos   poètes  '.  » 

*  La  copie  porte  la. 

-  La  copie  porte  sa. 

^  Copie  mscr.,  f«  46  r».  —  Cf.  ce  que  dit  le  même  Colletet,  Traité  du 
Sonnet  (1658),  p.  45  :  «  Ses  sonnets  des  Antiquitez  de  Rome  et  ses  Regrets 
fiu-ent  encore  accompagnez  d'un  génie  si  heureux  et  si  favorable,  que 
jamais  ouvrage  de  cette  nature  n'a  mieux  esté  receu  du  public,  ny  plus 
estimé  des  doctes  :  jusques  là  mesmes  qu'il  ne  vieillit  pas  encore  parmy 
nous.  » 


500  JOACBIM    DU   BELLAY 

Baillet.  (\ni  publia  quelque  trente  ans  plus  tard  ses  Jiigemens 
des  Savans  (i685),  parla  de  du  Bellay  sans  jamais  peut-être 
avoir  lu  ses  œuvres.  Il  répéta  Sainte-Marthe  et  Colletet,  en 
y  joignant  quelques  phrases  assez  vagues  de  Scaliger,  de 
Sorel,  de  Godeau,  d'autres  critiques  ((  de  moindre  trempe  ». 
Au  total,    rien   de   personnel. 

Le  premier  qui  Jut  vraiment  soucieux  d'apporter  quelque 
précision  dans  l'histoire  de  Joachim.  lut  Ménage.  11  était 
angevin,  et  son  intérêt  de  compatriote,  non  moins  que  son 
ardent  désir  de  montrer  Baillet  en  défaut,  le  poussa  dans  la 
voie  des  exactes  recherches.  Plusieurs  passages  de  son  Anti- 
Baillet  (1688)  éclaircirent  et  fixèrent  d'une  façon  définitive 
quelques  points  obscurs  ou  douteux  de  la  vie  de  notre  poète  : 
ainsi,  le  lieu  de  sa  naissance,  l'origine  de  sa  terre  de  Lire, 
sa  famille  immédiate,  ses  dignités  ecclésiastiques,  l'emplace- 
ment de  son  tombeau.  Par  un  zèle  de  vérité  très  louable  pour 
l'épocjue,  il  s'avisa  de  consulter  les  documents  et  compulsa 
soigneusement  les  registres  de  l'Église  de  Paris.  Plus  probe 
(|ue  Baillet,   lui  du   moins   parlait  en  connaissance  de  cause  de 

Du   Bellay,  ce   pasteur   d'éternelle   mémoire, 
comme   il   l'appelle   en   une   églogue  '. 

Bayle,  qui  dans  son  Dictionnaire  (1697)  consacrait  un 
article  à  Dorât  et  un  autre  à  Ronsard,  oublia  du  Bellay.  Le 
P.  Niceron  (lySi)  el  l'abbé  Goujet  (1748)  n'ajoutèrent  rien, 
historiquement,  aux  recherches  de  Ménage.  Le  premier  décrivit 
avec  soin,  —  c'est  une  justice  à  lui  rendre,  —  l'édition  des 
œuvres  du  poète  publiée  à  Rouen  en  1697  :  en  mentionnant 
les   sonnets  des   Regrets,   il    faisait   cette   réflexion,   qui    a   son 


'  Quatre  ans  après  V Anti- Baillet,  Claude  Barbin  fit  paraître  un  Recueil 
des  plus  belles  pièces  des  Poêles  François,  tant  anciens  que  modernes, 
depuis  Villon  Jusqu'à  M.  de  Benserade,  l'aris,  1G92,  ô  vol.  L'éditeur  était 
Kontenelle.  Les  extraits  de  du  lîellay  (t.  I,  p.  131)  sont  faits  avec  goût, 
(Bibl.  Nal.  —  Y'.  H.o47). 


DU    BELLAY    DEVANT    L'OIMNION  oOl 

prix  :  «  Du  Bellay  avoil  un  talonl  pirticulitM"  pour  cette 
sorte  (le  poésie.  La  plupart  des  sonnets  que  l'on  a  de  lui, 
ont  quelque  chose  de  noble,  et  des  grâces  que  le  temps  n'a 
point  fait  vieillir  '.  »  Quant  au  second,  avec  son  ordinaire 
conscience,  il  résuma  ce  qu'on  savait  de  la  vie  du  poète 
angevin,  fit  une  l)rève  analyse  de  ses  principaux  ouvrages, 
en  y  mêlant  par-ci  par-là  quelques  citations  bien  choisies  et 
des  jugements  personnels,  un  peu  timides,  un  peu  étroits, 
mais  en  somme  judicieux  et  sensés,  en  homme  de  goût  qui 
a   lu   son   auteur,    et    qui   l'a    lu   non   sans   plaisir  '. 

Mais  le  xyin*^  siècle  avait  bien  autre  chose  à  faire  que 
de  s'occuper  longuement  de  nos  anciens  poètes.  Il  fallait  le 
P.  Sanadon  pour  s'amuser  à  mettre  en  vers  latins  les  épi- 
taphes  du  chien  Peloton  et  du  chat  Belaud.  L'éclat  jeté  par 
les  auteurs  du  siècle  de  Louis  XIV  avait  fait  oublier  leurs 
pères  légitimes,  ces  fiers  et  vaillants  ouvriers  qui  leur  avaient 
rendu  possible  la  production  de  leurs  chefs-d'œuvre.  Ces 
dédaignés  ne  retrouvèrent  un  peu  de  faveur  auprès  du  public 
que  vers  la  fin  du  siècle.  En  1778,  Sautreau  de  Marsy  et 
Imbert,  dans  les  Annales  Poétiques  ou  Alnianach  des  Muses  ', 
donnèrent  56  extraits  des  poésies  de  du  Bellay,  précédés 
d'un  article  tout  à  fait  élogieux,  qui  nous  montre  que  les 
auteurs  avaient  bien  saisi  la  portée  de  la  révolution  tentée 
par  la  Pléiade.  Après  avoir  dit  que  Marot  joignait  aux 
chaiMues  de  la  naïveté  toutes  les  grâces  de  l'esprit,  ils  ajou- 
taient :  «  Nous  allons  entendre  un  nouvel  idiome  ;  notre 
langue    a   pris  un    caractère    nouveau  :   le  génie  plus    hardi   des 

*  Mémoires  de  Niceron,  XVI,  398. 

-  Il  dit  lui-même  des  Regrets  :  «  C'est,  selon  moi,  un  de  ses  meilleurs 
ouvrages;  c'est  du  moins  un  de  ceux  que  j'ai  pris  plus  de  plaisir  à  lire.  » 
(Blbl.  franc.,  XII,  127).  —  V.  ses  réflexions  sur  les  Regrets  (p.  131)  et  sur 
les  Odes  (p.  133). 

3  Paris,  Delalain,  1778,  t.  IV,  p.  41-205. 


502  JOACHIM    DU   BELLAY 

Poètes  va  apprendre  aux  Muses  Françoises  à  parler  comme 
les  Muses  Grecques  et  Latines.  La  g-randeur  des  images,  la 
hardiesse  des  métaphores,  le  grand  secret  des  épithètes,  sont 
connus.  En  un  mot.  juaquà  présent,  nous  avons  assisté,  pour 
ainsi  dire,  aux  concerts  ries  Grâces  :  nous  allons  entendre 
les  accens  de  fa  Poésie.  C'est  à  Joachim  du  Bellay,  puisqu'il 
est  né  avant  Ronsard,  qu'appartient  la  gloire  d'avoir  com- 
mencé cette  révolution  '.  »  Ils  accordaient  à  du  Bellay  plus 
que  ((  de  la  douceur,  de  la  facilité,  de  l'abondance  «  :  il 
avait,  selon  eux,  «  de  la  verve,  de  l'énergie,  et  l'expression 
vraiment  poétique  »  .  Son  style,  «  nombreux,  animé,  »  se 
recommandait  par  «  cet  heureux  choix  d'épithètes,  qui  flattent 
également  l'oreille  et  l'esprit  en  ajoutant  à  l'harmonie  et  à 
la  pensée  ».  Sévères  pour  YOlice,  mais  justes  après  tout, 
ils  trouvaient  ses  autres  sonnets  ((  plus  variés,  plus  saillans, 
plus  pleins  d'idées  et  de  tours  »  ,  vantaient  ses  odes,  et 
déclaraient  «  intéressante  »  la  lecture  de  la  Deffence  :  «  Il  y 
parle  de  la  Poésie  en  vrai  poëte,  disaient-ils,  et  ses  principes 
en   général   sont   ceux    du   goût  ^    » 

L'année  suivante  (1779),  du  Bellay  renaissait  comme  poète 
latin  erotique.  Sous  ce  titre  aimable,  Anioenitates  poeticae  ", 
un  joli  volume  offrait  au  public,  en  compagnie  des  Juvenilia 
(le  Théodore  de  Bèze,  de  Marc- Antoine  Muret  et  de  Jean 
Second,  les  vers  brûlants  où  revivait  Faustine  et  la  passion 
qu'elle  avait  inspirée.  Ces  poèmes  d'amour  n'étaient  pas  pour 
déplaire  aux  voluptueux  contemporains  de  Dorât  et  de  Parny. 

Pendant  la  tourmente  révolutionnaire  et  l'époque  troublée 
qui     suivit,     du    Bellay,     naturellement,     subit     une     nouvelle 

'  Op.  cit.,  p.  42. 

-  Op.  cit.,  passim,  p.  44-32.  —  Les  mêmes  idées  se  retrouvent  dans  les 
Mélanges  tirés  d'une  grande  bibliothèque,  Paris,  Moutard,  1780,  t.  VU, 
p.  163-174. 

^  Paris,  Barbon,  1779,  in-12. 


DU    BELLAY    DEVANT    l'oPINION  o03 

éclipse.  Mais  bientôt  llieure  allait  soiinci'  oi;  nos  anciens 
poètes,  à  la  faveur  du  romantisme,  allaient  enfin  sortir  de 
l'ombre  et  briller,  après  trois  cents  ans,  de  tout  l'éclat  d'une 
seconde  jeunesse. 

On  sait  comment,  au  mois  d'aoùl  iHaG.  l'Académie  Fran- 
çaise proposa  pour  sujet  du  prix  d'éloquence  ini  ((  discours 
sur  l'histoire  de  la  langue  et  de  la  littérature  françaises 
depuis  le  commencement  du  xvi*^  siècle  jusqu'en  1610  » .  Le 
sujet,  certes,  était  vaste,  et  le  temps  bien  restreint.  L'année 
suivante,  le  prix  fut  partagé  entre  deux  concurrents,  Philarète 
Cliasles  et  Saint-Marc-Girardin.  pour  deux  études  également 
superficielles.  L'un  trouvait  le  moyen  de  parler  de  notre  poète 
sans  même  nommer  les  Regrets,  ou  plutôt  en  les  confondant 
avec  les  Antiqiiitez  de  Rome.  L'autre  ne  voyait  guère  en  lui 
que  le   disciple  de   Pétrarque. 

Cependant,  un  jeune  étudiant  en  médecine,  qui  voulait 
d'abord  concourir,  s'était  mis  au  travail,  en  commençant  par 
les  poètes  ;  et  séduit,  fasciné  par  ces  vieux  écrivains,  entraîné 
de  lecture  en  lecture  plus  loin  c[u'il  ne  comptait,  il  avait 
si  bien  marché  de  l'avant,  dans  la  douceur  de  ce  commerce, 
qu'il  avait  insensiblement  fait  le  tour  du  xvi^'  siècle.  Prêt 
ti'op  tard,  il  fit  paraître  dans  le  Globe,  à  partir  du  7  juillet 
1827,  le  résultat  de  ses  études  ;  puis,  en  1828,  il  réunit  ses 
articles  en  volume.  Le  Tableau  historique  et  critique  de  la 
poésie  française  et  du  théâtre  français  au  xvi*^  siècle  '  fut  en 
littérature  le  début  de  Sainte-Beuve.  D'ingénieux  rapproche- 
ments avec  le  temps  présent  donnaient  à  cet  ouvrage  un 
intérêt  d'actualité  :  «  Surtout,  disait  l'auteur,  je  nai  perdu 
aucune   occasion   de   rattacher   ces    études    du    xvF    siècle    aux 


1  Paris,  Sautelet,  1828,  2  vol.  in-S".  Le  second  volume  contenait  simple- 
ment les  Œuvres  choisies  de  Pierre  de  Ronsard,  avec  notice,  notes  et  com- 
mentaires. 


504  JOACHIM    DU    BKLLAY 

questions  littéraires  et  poétiques  qui  s'agitent  dans  le  nôtre  '.  » 
Dans  ce  Tableau,  Joachim  du  Bellay  occupait  à  lui  seul 
une  vingtaine  de  pages  *.  dont  une  moitié  pour  l'analyse  et 
la  critique  de  la  ùeffence.  Sainte-Beuve  passait  vite  sur  Y  Olive, 
plus  vite  encore  —  et  c'est  étrange  —  sur  les  Regrets  et  les 
Antiquité:-  de  Rome,  insistait  davantage  sur  les  Odes,  les 
Jeux  Rustiques  et  le  Poëte  Courtisan,  et  concluait  que, 
jusqu'ici,  peut-être  ne  Tavait-on  pas  suffisamment  apprécié. 
Son  jugement  sur  du  Bellay  tenait  dans  cette  phrase  : 
((  Novateur  en  poésie,  il  le  fut  avec  autant  de  talent  et  plus 
de   mesure   qu'aucun   de   ses   contemporains.   » 

C'est  du  Tableau  de  Sainte-Beuve  que  date  le  mouvement 
d'études  en  faveur  du  xvi^  siècle.  Mais  le  plein  effet  de  ce 
livre  ne  fut  pas  immédiat.  Sans  doute,  par  un  sentiment  de 
curiosité  sympathique,  on  se  remit  à  lire  dans  les  ^âeilles 
éditions,  désormais  recherchées,  les  œuvres  longtemps  mécon- 
nues de  nos  anciens  poètes  :  on  n'osa  pas  encore  en  tenter 
des  réimpressions.  C'est  seulement  OQze  ans  après  que  ressus- 
cita, pour  ainsi  parler,  l'ouvrage  trois  fois  séculaire,  l'éloquent 
manifeste  qui  avait  marqué  le  début  de  toute  une  école  et  de 
toute  une  poésie  :  en  iSSg.  l'auteur,  aujoui'dhui  oublié,  d'un 
Discours  sur  le  bon  usage  de  la  langue  française.  Ackermann, 
publia    d'après   le   texte    original   la    Dejfence  et   illustration. 

La  trouée  était  faite.  Deux  ans  plus  tard,  un  Angevin, 
qui  avait  des  attaches  avec  l'école  romantique.  Victor  Pavie. 
entreprit  en  Thonneur  de  son  glorieux  compatriote  ce  que 
Sainte-Beuve  lui-même  en  1828  avait  fait  pour  Ronsard.  Son 
édition  des  Œuvres  choisies  de  Joachim  du  Rellay  (1841^, 
qu'oi'nait  un  dessin  de  David  d'Angers  et  que  précédait  une 
notice    de    Sainte-Beuve,    notice    aussi    fidèle    (jue    délicate    et 

'  Préface  de  la  1"  édition  (juin  1828). 

=  Édit.  ori^.,  p.  iJo-SO:  —  édit.  Cliarpentior  (1893),  p.  45-62. 


DU    BELLAY    DlîVANT    l'oPINION  505 

pénétrante,  n'eut  pas  tout  le  succès  qu'on  pouvait  espérer  : 
((  cette  publication  tout  angevine  fui  honorée  de  trente 
souscripteurs   angevins  '   !   » 

Pourtant,  à  partir  de  ce  moment-là,  du  Hellay  commen(,a 
d'être  un  peu  mieux  connu.  L'attention  des  savants  se  porta 
davantage  sur  son  œuvre.  En  1849,  Anatole  de  Montaiglon 
enrichit  l'écrin  du  poète  d'un  joyau  du  prix  le  plus  rare  : 
huit  sonnets  inédits  des  Regrets,  qui  gisaient  ignorés  dans  un 
manuscrit  de  la  Nationale  -.  Pendant  les  vingt  années  suivantes, 
les  travaux  se  multiplièrent  :  la  première  édition  du  XVI^ 
siècle  de  Frédéric  Godefroy  (1809),  une  excellente  notice  signée 
C.-L.  dans  les  Poètes  français  de  Crépet  (1861).  lu  spirituelle 
étude  de  Turquety  dans  le  Bulletin  du  Bibliophile  (i864),  d'in- 
génieux aperçus  de  M.  Lenient  dans  sa  Littérature  militante 
au  XVI'  siècle  (1866)  •',  les  savantes  leçons  d'Egger  sur 
V Hellénisme  en  France  (1869).  —  je  ne  cite  que  l'essentiel,  — 
contribuèrent  éminemment  à  mettre  de  plus  en  plus  en  relief 
l'originale  figure   du   chanti*e  d'Anjou. 

Le  public  lui  venait.  Il  est  curieux  de  constater  que, 
presque  en  même  temps  (i857-i858).  et  pour  satisfaire  à  ses 
vœux,  trois  lettrés  songeaient  à  la  réimpression  des  œuvres 
du  poète.  Tandis  qu'un  ami  de  Sainte-Beuve,  M.  Reinhold 
Dezeimeris,  projetait  de  refondre  l'édition  Pavie  épuisée  *, 
M.  Joseph  Boulmier,  biographe  de  Dolet,  pensait  à  publier 
Joachim  du  Bellay  dans  la  Bibliothèque  Elz-évirienne  ^  M.  Alfred 
Michiels,  éditeur  de  Desportes,   dans  la  Bibliothèque  Gauloise  ''. 


*  Cél.  Port,  Dictionn.  de  Maine-et-Loire ^  art.  Dabellay,  t.  II,  p.  60. 

-  Il  faut  dire,  à  la  vérité,  qu'ils  venaient  d'être  signalés  jiar  Paulin 
Paris,  dans  les  Manuscrits  français  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  t.  VII,  p.  107. 
Paris.  Techener,  1848. 

'  C'est  la  date  de  la  l"  édition  :  l'ouvrace  a  reparu  en  1877. 

*  Nous  le  savons  par  une  lettre  de  Sainte-Beuve  du  30  septembre  18dS. 
(Correspondance  de  Sainte-Beuve,  édit.  C.  Lévy,  1878,  t.  I,  p.  221). 

'"  Catalnirue  de  la  Bibliothèque  FAzévirienne  de  Pierre  Jannet  (18")7).  p.  20. 
"  Catalogue  de  la  Bibliothèque  Gauloise  d'Adolphe  Delahays  (I80S),  p.  9. 


506  JOACHIM    DU    BELLAY 

Aucune  de  ces  trois  éditions  ne  parut.  Mais  en  1866,  un 
savant,  qui  devait  rendre  aux  lettres  françaises  de  si  précieux 
services,  M.  Marty-La veaux,  inaugura  le  monument  de  la 
Pléiade  par  la  réimpression  des  œuvres  de  du  Bellay.  Cette 
belle  et  luxueuse  édition,  publiée  chez  Lemerre,  —  et  malheu- 
reusement tirée  à  trop  petit  nombre,  —  donnait  du  poète, 
en  reproduisant  le  recueil  d'Aubert,  un  texte  fidèle.  Le 
premier  volume  permit  à  Sainte-Beuve,  qui,  comme  on  sait, 
revenait  volontiers  à  ses  jeunes  amours,  de  plaider  encore 
une  fois  la  cause  cpii  lui  était  chère  :  trois  articles,  insérés 
au  Journal  des  Savants  (1867),  exprimèrent  son  dernier  mot 
sur  le  compte  de  du  Bellay.  Vei'S  la  fin  de  la  même  année, 
paraissait  le  second  volume,  enrichi  des  lettres  de  Joachim, 
que  M.  Revillout,  par  un  heureux  hasard,  avait  découvertes 
à  Montpellier,  et  dont  il  venait  de  tirer  lui-même  le  sujet 
d'un   curieux  mémoire. 

Depuis  M.  Marty-Laveaux,  on  n'a  donné  de  notre  auteur 
aucune  édition  générale  :  mais  en  revanche,  bon  nombre 
d'éditions  partielles  ont  vu  le  jour  :  en  18^5,  une  édition  de 
la  Dejfence,  publiée  à  Bruxelles  par  M.  Tell,  d'après  l'édition 
d'Antoine  de  Harsy  (Lyon,  iSyô)  :  —  en  1876  et  1876,  les  deux 
jolis  volumes  d'Isidore  Liseux,  reproduisant,  d'après  le  texte 
original  de  i558,  les  Jeux  Rustiques  et  les  Regrets  ;  —  en 
1876,  l'édition  des  Œuvres  choisies  de  M.  Becq  de  Fou- 
quières  ;  —  en  1878,  une  édition  nouvelle  de  la  Deffence, 
due  à  M.  Person,  copie  rigoureusement  exacte  de  l'édition 
princeps  donnée  en  i549  P^''  Arnoul  l'Angelier  ;  —  en  i883, 
les  Lettres,  publiées  de  nouveau  par  M.  de  Nolhac,  cette 
lois  sur  des  autographes  conservés  à  la  Nationale.  Et  si  Ton 
ajoute  à  tous  ces  travaux  les  nombreuses  anthologies,  clas- 
siques ou  mondaines,  que  fleurissent  diversement  des  poésies 
de   du  Bellay,   on   conviendra   que  Joachim,  dans   ces    derniers 


DU    BELLAY    DEVANT    l'oPINION  507 

trente  ans,  n'a  vraiment  pas  eu  à  se  plaindre  du  zèle  des 
éditeurs. 

ITne  autre  gloire  raltendait.  Un  lettré  d'Ancenis.  M.  Léon 
Séehé.  dont  le  culte  pour  du  Bellay  s'était  affirmé  déjà 
dans  une  petite  plaquette  parue  en  1880,  avait  fait  le  serment 
d'élever  une  statue  au  chanteur  du  «  petit  Lire  0  .  Il 
rencontra  plus  d'un  obstacle.  Mais,  fidèle  à  sa  devise,  «  Angevin 
pour  aimer  et  Breton  pour  tenir  »,  il  ne  se  laissa  démonter 
par   rien.    C'est   à   ce  prix  qu'on  réussit,  et  M.  Séché  triompha. 

Il  voulut  faire  bien  les  choses.  Donc,  en  1898,  il  ouvrit 
d'abord  une  souscription.  En  même  temps,  il  préparait  une 
édition  nouvelle  des  œuvres  choisies  du  poète,  qu'il  publia 
l'année  suivante,  avec  la  collaboration  de  M.  Camille  Ballu. 
Pour  fêter  dignement  son  idole,  il  fit  appel  à  tous  les  cise- 
leurs de  l'vthmes  de  la  capitale  et  de  la  province,  deman- 
dant à  chacun  l'hommage  d'un  sonnet.  Presque  tous  répon- 
dirent, heureux  d'apporter  leur  couronne  au  monument  du 
vieux  poète'. 

Le  7  juin  1894.  un  concert  fut  donné  dans  la  salle  de 
la  Société  de  Géographie,  avec  le  concours  des  chanteurs  de 
Saint-Gervais  et  de  plusieurs  artistes  de  la  Comédie-Française, 
de  l'Odéon  et  du  Vaude\ille.  Ce  jour-là.  M.  Chantavoine  fit 
une  conférence  en  vers  ^  :  on  lut  plusieurs  des  pièces  où 
s'exprimait  l'admiration  de  nos  modernes  sonnettistes  :  on 
exécuta  pour  la  première  fois  le  sonnet  du  «  petit  Lire  »  mis 
en   musique    par   un   compositeur  angevin.  M.  Jules   Bordier  \ 

De  cet  ensemble  de  sonnets,  consacrés  à  la  gloire  de 
Joachim  comme  un  nouveau  tombeau,  je  veux  au  moins  citer 
celui  que  sculpta   d'un   art   si    parfait   M.    de  Heredia.    La   fraî- 


'  Tous  ces  sonnets-hommages   ont  été  recueillis  dans   l'édit.   L.   Séclié, 
p.  225-249. 

-  Édit.  L.  Séché,  p.  218-224. 

'  On  trouvera  celte  composition  à  la  fin  de  l'édit.  L.  Séché 


O08  JOACHIM    DU    BELLAY 

chcur  de  l'inspiration,  la  grâce  des  détails,  l'impeccable  pureté 
de  la  forme,  font  oublier  facilement  quelques  libertés  prises 
avec   l'histoire  : 

Accoudée  au   balcon  d'où   l'on  voit  le  chemin 
Qui   va  des   bords   de  Loire   aux  rives   d'Italie, 
Sous  un   pâle   rameau  d'olive   son   front  plie   : 
Lii  violette   en   fleur  se   fanera  demain. 

La  viole,    que  frôle   encor  sa  frêle   main. 

Charme   sa   solitude  et   sa  mélancolie. 

Et   son  rêve   s'envole  à  celui   qui  l'oublie 

En  foulant  la  poussière  où  gît  l'orgueil  romain. 

De    celle  qu'il  nommait  sa  douceur  angevine 

Sur  la  corde  vibrante  erre   l'âme   divine. 

Quand  l'angoisse  d'amour  étreint  son  cœur  troublé. 

Et  sa  voix  livre  aux  vents  qui  l'emportent  loin  d'elle 

Et  le   caresseront  peut-être,   l'infidèle, 

Cette   chanson  qu'il    fit   pour   un   vanneur   de  blé. 

C'est  M.  de  Heredia,  le  sonnettiste  incomparable,  en  qui  revit 
quelque  chose  de  la  Pléiade,  que  l'Académie  Française  chargea 
de  la  représenter  aux  fêtes  d'Ancenis,  le  2  septembre  1894.  le 
joui-  où  l'on  inaugura  la  statue  si  vivante  due  au  sculpteur 
Léofanti  '.  11  était  accompagné  de  M.  Brunetière,  que  l'Académie 
avait  délégué  pour  rendre  hommage  au  fondateur  de  la  cri- 
tique ,  et  cjui  prononça  dans  la  circonstance  un  magistral 
discours.  Deux  ou  trois  mois  auparavant .  avait  paru  la  fine 
et  délicate  étude  de  M.  Faguet  '\  Décidément,  cette  année-là, 
Joachim  du   Bellav   avait   tous  les   bonheurs. 


'  Pour  le  récit  (lélaillt-  ilo  ces  fêles,  v.  la  Rev .  des  Prov .  de  l'Ouest,  n»  de 
sept.  1894,  t.  XIV.  On  y  trouvera  reproduits,  avec  les  discours  prononcés, 
tous  les  articles  de  presse  dont  ces  fêtes  furent  l'occasion.  Te  dois  signaler 
dans  le  nombre  ceux  de  M.  A.  Le  Braz  {Débats  du  20  aofit),  p.  8,  et  de 
M.  G.  Deschamps  {Temps  du  2  sept.),  p.  15. 

-  Seizième  siècle.  Paris,  Lecène  et  Oudin,  1894,  p.  289-32i, 


DU    BELLAY    DEVANT    l'oFINION  509 

Depuis  1894,  l'Association  Bretonne-Arij^ovine,  que  préside 
M.  Séché,  a  pris  du  Bellay  pour  patron  ',  et  chaque  année, 
le  20  mars,  le  jour  de  la  Saiut-Joaohini.  un  banquet  réunit 
les  lidèles  de  la  petite  éylise  '.  Culte  touchant,  mais  qui 
serait  peut-être  un  peu  étroit,  si.  en  même  temps  qu'au  chan- 
teur du  terroir  angevin,  il  ne  s'adressait  à  l'un  des  poètes 
qui  font   le    plus   d'honneur   à    la  vieille   France  ! 


'   V.  ses  statuts  clans  la  Rev.  des  Prov.  de  l'Ouest,  t.  XIV,  p.  213. 
-  Pour   le   compte-rendu   de   la   première   Saint-Joachim,  v.   la  Hev.  des 
Prov.  de  l'Ouest,  t.  XV,  p.  192. 


CONCLUSION 


L'HOMME   ET   LE   POÈTE 

Et  maintenant  que  nous  avons  vécu  si  longtemps  avec 
du  Bellay,  quelle  impression  garderons-nous  de  sa  personne  ? 
quel  jugement  porterons-nous  sur  ses  idées  et  sur  son  œuvre? 

Un  portrait  '  nous  le  représente  avec  une  figure  mince, 
longue  et  fine,  des  yeux  doux  et  tristes,  un  léger  pli  d'ironie 
aux  lèvres.  Et  c'est  bien  ainsi  qu'on  se  l'imagine,  lorsqu'on 
connaît   un   peu   sa   vie  et   qu'on  sort   de   lire   son  œuvre. 

Il  était,  nous  dit-il,  tendre  de  sa  nature  ^  Son  cœur  avait 
besoin  d'aimer.  Et  de  fait,  il  aima  beaucoup,  mettant  dans 
l'amitié  je  ne  sais  quoi  de  caressant,  presque  de  féminin.  Il 
fut  aussi  beaucoup  aimé,  ce  qui  fait  son  éloge.  Peu  d'hommes 
au  xvi«  siècle  ont  compté  plus  d'amis ,  et  de  plus  sincères , 
et  de  plus  dévoués.  A  Rome,  Olivier  de  Magny,  qui  l'avait 
reconnu  «  parfait  amy  d'espreuve  ».  exprimait  la  pensée  de 
tous,    en  écrivant   ces  jolis   vers  :  • 

Si  je  dy,    Du   Bellay,   que  je    t'ayme  bien   fort, 
Tu   le  crois  si  tu  l'ois,   et  chacun  le  doit  croire, 
Car   ton   sçavoir   prisé,    ton  mérite   et   ta  gloire 
Font  que  cil  cpii  ne  t'ayme  à  soy  mesme  fait  tort  ^ 

*  Cabinet  des  Estampes,  N  a  27  (pi.  5).  Reproduit  par  M.  de  Nolhac, 
Lettres  de  J.  du  Bellay,  p.  13.  M.  Boucliot  estime  que  c'est  un  croquis  d'après 
nature,  fait  par  un  élève  de  Jean  Cousin. 

-  Regrets,  s.  40. 

'  Souspirs,  s.  142. 


0l2  JOACHIM    DU    BELLAY 

Personne  assurément  n'était  pressé  de  se  faire  tort  à  soi-même. 
Quand  il  mourut,  tous  ses  intimes  eurent  la  sensation  qu'on  leur 
arrachait  un   peu   de   leur  ànie  *. 

Un  de  ceux  qui  l'avaient  approché  de  plus  près  et  qui 
l'avaient  le  mieux  connu,  Guillaume  Aubert,  traçait  de  lui 
ce  beau   portrait    : 

Du  Bellay   envers   tous   se   monstra  droiturier, 
Preudhomme,  craignant  Dieu,  sage,  discret,  entier, 
Non   ingrat  du   plaisir,  de   conscience   bonne, 
Profitant  à  chacun,   et   n'olTensant   personne, 
Bening,    libéral,    hundîle,    et   doux   à   ses   amis, 
Et  constant  à   tenir   ce  qu'il  avoit   promis  *. 

L'hommage  est  des  plus  flatteurs ,  et  même  en  supposant 
qu'Aubert  ait  un  peu  passé  la  mesure,  son  portrait  dans 
l'ensemble  doit  être  véridique  :  car  il  est  confirmé  par  le 
témoignage  des   autres   amis  du   poète  '\ 

Un  point  sur  lequel  ils  ont  insisté  dans  leurs  épitaphes 
el  dans  leurs  tombeaux,  c'est  que  du  Bellay  n'était  pas 
méchant,    et   que   ses   vers   étaient   exempts    de   fiel  : 

'  Lettre  d'Aubert  à  Morel,  3  janvier  1560  :  «  Celle  manière  de  regret  que 
chascun  a  pour  la  perte  d'un  homme  docte,  est  bien  petite  à  la  comparaison 
des  mortelles  angoisses  que  soufl'rent  ceux,  lesquels  outre  la  plainte  com- 
mune des  lettres,  endurent  encores  leurs  passions  privées  pour  avoir  perdu 
un  Jerme  et  constant  amj-,  que  la  bonté  du  naturel,  l'amour  de  la  vertu, 
l'affection  des  sciences,  et  le  plaisir  de  la  conversation  leur  avoyent  conjoint, 
avec  telle  reseniblance  de  meurs,  d'affections  et  d'esprits,  qu'il  n'estoit  possible 
les  séparer,  sinon  avecques  mesme  douleur  que  le  corps  se  sépare  de  son  ame.  » 

-  Elégie  sur  le  trespas  de  M.  loachim  du  Bellay  (1360).  —  Cf.  cet  autre 
portrait  du  même  Aubert  dans  VEpistrc  au  lioy  (1568)  :  «  Je  puis  asseurer 
du  dcfuiict  Sieur  du  Bellay,  que  ceux  qui  l'ont  cognu,  l'ont  trouvé  prompt 
et  aigu  en  inventions,  discret  et  modeste  en  paroles,  subtil  en  ses  discours, 
doux  en  sa  conversation,  prévoyant  es  choses  soubsonneuses,  ouvert  en 
celles  qui  estoicnt  asseurées,  juste  et  entier  en  ses  promesses,  et  au  surplus 
tousjours  garny  d'un  si  bon  nombre  de  considérations,  qu'il  estoil  autant 
ditlicile  aux  mauvais  de  le  tromper,  comme  aux  bons  chose  facile  de  s'en 
ayder.  »  (Marty-Laveaux,  Appendice  tle  la  Notice,  \}.  xxxvm-xxxix). 

*  Cf.  notamment  P.  de  Paschal,  dans  son  Épitaphe  :  . . .  Viro  singulari, 
bonitate  atque  modestia  ottima  et  apectatiss .  fide  praedito  . . .  (Marty-Laveaux, 
Appendice  de  lu  Pléiade,  II,  385). 


CONCLUSION  013 

Nil    ca    l'cllis    lialx'iit,    iiocui    niliil    illa    vciu'iii    : 
Abstincl   a    saiibus   candida    Musa    ui^ris   . .  . 

écrit  Charles  Uteiihove  ;  et  Camille  de  Morel  lait  dire  à  son 
père,    en    parlant   du   poète  : 

Non   is    niordaci   distrinxit    carminé   quemquam, 
Illius    haud    quicquam    carmina   fellis   habent. 

Évidemment,  ils  ont  eu  peur  que  son  talent  de  satirique  ne 
lui  fît  tort  auprès  de  la  postérité,  qu'on  jugeât  de  son  cœur 
par  son  esprit,  et  qu'on  le  crût  haineux  parce  qu'il  était 
mordant   et  caustique. 

Haineux,  non  sans  doute  il  ne  l'était  pas  ;  mais  il  était 
prompt  à  s'aigrir,  et.  lorsqu'il  croyait  avoir  à  se  plaindre 
d'un  manquement  à  son  égard,  il  se  piquait  au  vif  et  ne 
ménageait  pas  à  qui  l'avait  blessé  les  railleries  et  les  sar- 
casmes. Louis  Le  Roy  l'éprouva  durement,  lui  qui,  poui" 
quelques  médisances,  s'attira  de  l'auteur  des  Regrets  quelques 
virulentes  répliques  '.  Du  Bellay  sur  ce  point  avait  ses  idées 
faites  :  il  n'attaquait  pas  le  premier,  mais  il  ripostait  à 
l'attaque  : 

Laedere   nec   volui   quenquam,    nisi   laeserit   ille  : 
Laedere   qui   laesit,    fas   reor   esse   mihi  '. 

Cela  n'empêchait  point  d'ailleurs  qu'il  ne  pardonnât  à  ses 
adversaires,  lorsqu'il  avait  obtenu  d'eux  satisfaction,  ou  qu'il 
ne  fit  les  premiers  pas.  quand  il  avait  conscience  d'avoir, 
dans  la  querelle,  outrepassé  les  bornes.  Il  se  réconcilia,  et 
très  sincèrement,  avec  Le  Roy,  qu'il  avait  traité  dès  l'abord 
de  pédant   et  d'envieux.    Cet  irascible  ignorait  la   rancune. 


'  Regrets,  s.  65-70.  —  Pour  l'histoire  de  cette  querelle,  je  renvoie  le  lecteur 
à  la  thèse  de  M.  Becker,  Lojs  Le  Roy  {Ludovicus  Regius)  de  Coutances, 
p.  18-2i.  (Paris,  Lecène  et  Oudin,  18913,  in-8'  ).  L'affaire  y  est  traitée  complète- 
ment. 

-  ELésie  à  Mord. 


Univ.  de  Lille.  Tome  VIII     A.  33. 


514  JOACHIM    DU    BELLAY 

Ses  impatiences  et  ses  colères  n'avaient  pas  seulement  pour 
cause  son  humeur  très  impressionnable,  son  aptitude  à 
ressentir  très  vivement,  trop  vivement  même,  —  pour  tout 
dire  en  un  mot,  T excès  de  sa  nervosité.  Elles  venaient  aussi 
de  son  orgueil  de  gentilhomme  :  il  était,  je  l'ai  dit.  chatouil- 
leux sur  le  point  d'honneur.  Du  gentilhomme  il  avait  tout  : 
la  noblesse  de  sentiments,  une  certaine  abnégation,  le  goût 
très  vif  de  1" indépendance,  la  conscience  de  sa  valeur,  et 
jusqu'à  la  fierté   quelque   peu  dédaigneuse    : 

Je  ne   sçay  comme  il  fault   entretenir  son  maistre, 
Comme  il    fault   courtiser,    et   moins  quel  il  fault  estre 
Pour  vivre  entre  les  grands,  comme  on  vit  aujourd'huy. 

Jhonuorc   tout  le   monde,    et  ne  fasche   personne  : 
Qui  me   donne  un    salut,    quatre  je   luy   en  donne  : 
Qui   ne  fait   cas   de   moy,  je   ne  fais  cas   de  luy  '. 

Pourtant,  telle  était  sa  nature,  ondoyante  et  diverse,  bizar- 
rement contradictoire,  qu'il  n'était  pas  absolument  ce  qu'il 
disait  et  croyait  être.  On  aurait  de  son  caractère  une  idée 
trop  avantageuse,  si  l'on  s'en  fiait  uniquement  à  certains 
sonnets  des  Regrets  ^  à  certaines  déclarations  de  Y  Elégie  à 
Morel  ^  La  réalité  dément  ce  portrait  par  trop  idéal,  et  nous 
savons  par  l'histoire  de  sa  vie  que  le  fier  gentilhomme  ne 
méprisa  point  autant  qu'il  s'en  vante  le  service  des  grands 
seigneurs,  les  bienfaits  de  la  Goui'  et  les  faveurs  de  la 
fortune. 

De  ces  contradictions,  il  fut  le  premier  à  souffrir  :  car 
il  sentit  la  distance  qui  sépare  l'idéal  du  réel,  et  s'il  eut  le 
chagrin    des    [pénibles     épreuves    et     des     fatales     déceptions 

'  Regrets,  s.  74. 

^  Regrets,  s.  39,  46,  74,  144,  182. 

'  V.  tout  le  développement  : 

Sic  vixi,  coluique  Deos  homincsque  iidemque  ... 


CONCLUSION  515 

qu'apporte  rexislciue.  il  l'ul  aussi,  non  nii>ins  [jrolund,  le 
chagrin  du  rêve  iiitérieur  qui  n«*  se  li'aduil  pas  en  actes,  et 
(les  beaux  principes  de  conduite  morale  qu'on  est  impuissant 
à  mettre  en  pratique.  De  là  cette  mélancolie,  qui  lui  donne 
une  place  à  part  entre  les  hommes  de  son  siècle.  Dans  le 
groupe  de  ses  amis,  graves  parlbis,  souvent  joyeux,  du  Bellay 
apparaît  comme  un  attristé.  Spes  et  furtuna  valete  !  Cette 
parole  de  désespoir  qui  tombait  de  sa  bouche  trois  mois 
avant  sa  mort,  dut  monter  à  ses  lèvres  en  mainte  circon- 
stance. La  vie  pour  lui  n'avait  pas  été  douce  :  une  eni'ance 
solitaire  et  sevrée  d'affection  ;  une  santé  toujours  chctive  ; 
une  maladie  de  deux  ans  ;  lînalement .  la  surdité  ;  l'exil 
à  Rome,  bien  loin  de  tout  ce  qu'il  aimait  ;  au  retour,  de 
fâcheux  démêlés  de  famille  :  des  illusions  évanouies  et  des 
rêves  déçus  :  n'y  avait-il  pas  là  de  quoi  porter  à  da  mélan- 
colie  une  âme  de   poète  délicate   et   sensible  ? 

Parlerai-je  de  ses  croyances  ?  —  Politiquement,  il  avait 
adopté  sur  la  tin  de  ses  jours  les  vues  de  son  ami  Michel 
de  L'Hospital.  Il  rêvait  d'une  monarchie  où  les  quatre  étatu 
vivraient  dans  une  harmonie  constante  et  parfaite  sous  le 
gouvernement  du  prince,  et  qui  se  ferait  une  obligation 
d'aimer  et   de   favoriser   les   lettres   et    les   arts. 

En  religion,  il  était  catholique  et  n'eut  pas  un  instant 
l'idée   de   changer   de   credo  : 

Je   ne   doutay  jamais    des   poincts  de  nostre  foy, 

s'écriait-il  dans  un  sonnet  '  ;  et  ses  bons  cousins  de  Paris 
l'ayant .  à  propos  des  Regrets .  menacé  de  l'Inquisition ,  il 
écrivait  au  cardinal  qu'il  n  en  avait  pas  peur  :  «  Je  n'ay  vescu 
jusques  icy  en  telle  ignorence  que  je  n'entende  les  points  de 
nostre  foy ,  et  prye  Dieu  qu'il  ne  me  laisse  pas  tant  vivre 
(jue  de  penser  seullement  (non  qu'escrire)  chose  qui  soit  contre 

•  Regrets,  s.  43. 


516  .lOACHIM    DU    BELLAY 

son  honneiu'  et  de  son  Eglise  '.  ))  Comme  Ronsard,  il  détestait 
les  calvinistes.  A  son  retour  de  Rome,  il  avait  traversé  Genève, 
qui  lui  parut  aussi  vicieuse  qu'austère,  et  dont  il  fit  un  por- 
trait peu  flatté  ^  Un  protestant  lui  ayant  répondu  par  un 
sonnet,  où  il  l'accusait  de  mensonge,  d'idolâtrie  et  d'athéisme, 
du  Bellay  répliqua  par  cinq  autres  sonnets  non  moins  agressifs 
et  non  moins  violents  \  Mais,  sil  était  résolument  hostile  à 
l'hérésie,  il  n'apparaît  pas  qu'il  fût  très  ponctuel  à  mettre  un 
rigoureux  accord  entre  ses  croyances  et  ses  actes.  Il  pratiquait, 
comme  tant  d'autres  à  cette  époque,  ce  catholicisme  indulgent 
et  facile,  qui  s'accommode  sans  scrupules  des  joies  païennes  de 
la  vie  et  des  plaisirs  épicuriens  \  Aussi  les  pièces  d'inspira- 
tion  religieuse   sont-elles   rares   dans   son   œuvre  '". 

C'est  qu'au  fond  il  était  avant  tout  humaniste.  Il  s'était 
fait  une  Ame  antique.  A  force  de  vivre  avec  les  anciens,  il 
avait  insensiblement  épousé  leurs  idées,  et  presque  leurs 
croyances.  Il  côtoyait  le  paganisme.  —  C'est  de  là  qu'il  faut 
Ijai'lir.  <i   l'on  veut  comprendre   et  juger   son   œuvre. 


Du  Hellay  fut,  avec  Ronsard,  l'apôtre  de  l'imitation  des 
anciens,  qu'il  posa  d'ahord  en  principe  et  pratiqua  diligemment 
dans  ses  premiers  éci-its.  Par  là  même,  il  est  avec  lui  le 
fondateur   du   classicisme. 

Je  ne  veux  nullement  discuter  le  principe  et  rouvrir  un 
débat    depuis    longtemps    fermé.     C'est    à    mes    yeux    un   fait 


'  Lettres,  p.  .JO. 

*  Regrets,  s.  136. 

=>  Marly-Lavcaux,  11,  239-262. 

*  Cf.  à  ce  sujet  l'élrange  préface  de  Liseux  à  son  édition  des  Jeux  Rus- 
tiques. Il  salue  du  Bellay  du  nom  de  «  catholique  Ubéraln. 

■•  Olive,  s.  107-111;  un  sonnet  Du  jour  de  JVoël  (I,  284);  deux  Hymnes 
chrestiens  (1,  :32:;  et  11,  lo)  ;  la  Monomachie  de  David  et  de  Goliath.  (Il,  20); 
la  Lj^re  chrestienne  (11,  30). 


CONCLUSION  ol7 

acquis  que  l'imitation  des  anciens,  substituée  par  la  Renais- 
sance, si  l'on  peut  ainsi  dire,  au  néant  de  l'âge  antérieur,  fut 
alors  un  réel  bienfait  ;  et  j'absous  la  Pléiade  du  reproche 
qu'on  lui  adresse  quelquefois  d'avoir  ramené  chez  nous  les 
Muses  des  sommets  de  l'Olympe.  Mais  ce  que  je  tiens  à  noter, 
c'est  que  Joachim  du  Bellay,  à  l'origine  si  convaincu,  nionli'a 
dans  l'application  du  })rincipe  de  singulières  fluctuations  et 
d'étranges  inconséquences.  On  ne  saurait  trop  insister  sur 
cette  tendance  à  se  contredire,  qui  demeure  un  des  traits  les 
plus  curieux  de  sa  physionomie.  Il  n'eut  jamais  souci  de  la 
logique  dans  les  idées,  et  l'on  peut  signaler  chez  lui  des 
variations  intellectuelles,  ([ui  font  pondant  aux  contradictions 
de  sa  vie  morale.  Admirateur  déterminé  des  langues  anciennes, 
il  regrette  le  temps  qu'on  passe  à  les  apprendre  et  l'obstacle 
qu'elles  constituent  aux  progrès  de  la  philosophie  et  des  sciences. 
II  proclame  la  poésie  le  plus  divin  des  arts,  et  la  sacrifie  de 
gaieté  de  cœur  aux  grands  emplois,  plus  honorifiques  ou  plus 
lucratifs.  Il  affecte  superbement  le  mépris  de  la  foule  et  le 
dédain   des   grands,    et   c'est    lui   qui  fait  cet  aveu  : 

L'honneur   nourrit   les   arts,   et   la   Muse    demande 
Le  théâtre   du   peuple,    et   la   faveur   des  Roys  '. 

Il  tourne  en  dérision  les  faiseurs  de  romans,  et  loue  Her- 
beray  des  Essars  de  nous  avoir  ouvert  le  riche  trésor 
à'Amadis.  Il  marche  d'abord  avec  dévotion  sur  les  pas  de 
Pétrarque,  pour  célébrer  la  chaste  Olive  :  puis  il  chante  la 
palinodie  et  bafoue  les  amours  idéales.  Il  interdit  formelle- 
ment la  traduction  d'auteurs  anciens,  et  surtout  de  poètes  ; 
et  lui-même,  il  traduit  deux  chants  de  Y  Enéide.  Il  proscrit  à 
bon  droit,  comme  une  atteinte  à  la  langue  maternelle,  le  culte 
des   vers    latins  :   et    ce    culte    qu'il    rejetait,    il    y  vient  à  son 

'  Regrets,  s.  7.  —  Cf.  Poemata   f»  13  v  : 

Carmina  principil)iis  gaudent,  plausuque  theatri, 
Quique  placet.paucis,  displicet  ipse  sibi. 


318  JOACHIM    DL"    BFILLAY 

tour,  et  pour  ne  phis  le  délaisser.  Enfin,  il  préconise  la 
poésie  artificielle  et  savante,  et  personne  dans  la  Pléiade  n'a 
composé   des  poésies  plus   naturelles   et  plus   faciles. 

Du  Bellay  s'est  donc  souvent  contredit.  Mais  pourquoi  s'en 
ytlaindre.  si  bien  lui  prit  d'être  infidèle  aux  principes  litté- 
raires qu'il  avait  tout  d'abord  posés  ?  Or,  on  ne  saurait  nier 
que  la  dernière,  et  la  plus  hardie  à  coup  sûr,  de  ses  contra- 
dictions n'ait  été  pour  sa  gloire  singulièrement  heureuse.  S'il 
se  fût  traîné  constamment  dans  l'imitation  pédantesque  des 
Italiens  et  des  anciens,  n'en  doutons  pas.  malgré  ï Olive, 
malgré  les  Odes,  il  serait  aujourd'hui  confondu  dans  la  foule 
innombrable  des  auteurs  qu'on  dédaigne.  Mais,  après  avoir 
quelque  t(;raps  pâli  sur  de  savants  plagiats,  il  sentit  vague- 
ment qu'il  se  trompait  de  route,  et  que  c'était  une  chimère 
d'être  ancien  en  français.  Dès  lors,  il  fit  deux  parts  :  il  fut 
ancien  en   vers  latins,    et   en   français   resta   lui-même. 

Certes,  on  peut  le  blâmer  de  ce  culte  fervent  pour  la  Muse 
latine,  et  se  demander  si  l'exemple  rétrograde  donné  par 
celui-là  iiièine  (|ui  s'était  fait  le  défenseur  de  la  langue 
nationale,  n'a  pas  été  plus  funeste  qu'on  ne  croit  au  dévelop- 
pement de  la  poésie  française.  Mais  pour  être  juste,  on  recon- 
naîti'a  cju'à  l'humaniste  que  du  Bellay  portait  en  soi.  il  fallait 
un   dérivatif  :    il  est  heureux    qu'il   l'ait  trouvé   de   ce   côté. 

Ses  vers  latins  sont  oubliés.  Qui  les  lit  aujourd'hui  ? 
Pourtant,  ils  ont  du  charme,  une  grâce  ingénieuse  qui  rappelle 
l'enjouement  de  Catulle  et  la  facilité  d'Ovide.  Mais,  sauf  les 
Amour  fi  de  FausUne.  où  brûle  encore  l'étincelle,  c'est  une 
cendre  morte  que  remuent  seuls  les   érudits  et  les  bibliophiles. 

Sou  o'uvre  française  est  très  inégale,  et  ses  premières 
poésies  sont  bien  inférieures  aux  dernières.  Toutes  néanmoins 
ont  de  l'intérêt,  et  c'est  par  leur  ensemble  que  du  Bellay, 
placé  très  haut  dans  l'opinion  de  ses  contemporains,  s'est 
imposé   à   l'attention   de  la  postérité. 


CONCLUSION  519 

Poète  amoureux,  il  n'a  pas  eu.  dans  l'expression  de  son 
amour,  d'accents  sincères,  parce  qu'il  n'aimait  pas  vraiment. 
Aux  élans  du  cd'ur  se  sont  sui^stituées  les  mièvreries  du 
pétrarquisme  ;  au  langage  de  la  passion,  une  phraséologie 
conventionnelle.  Un  des  premiers  pourtant,  il  a  traduit  le 
sentiment  de  religieuse  adoration  que  fait  naître  dans  l'âme 
la  beauté  de  la  femme,  et  bien  rendu  les  mystiques  aspi- 
rations d'un  cœur  épris  d'idéal,  qui  place  en  T'êve  dans  un 
monde  éternel  l'accomplissement  des  désirs  que  le  séjour 
terrestre    est   impuissant  à   satisfaire. 

Poète  lyrique,  il  a  trop  imité,  surtout  au  début.  S'il 
s'est  abstenu  de  Pindare,  —  et  c'était  sagesse,  —  il  a  fré- 
quenté un  peu  trop  Horace,  et  le  poète  lyrique  ne  devrait 
fréquenter  que  lui-même.  Il  a  manqué  de  souffle  et  de 
vigueur,  et  ses  odes,  comparées  à  celles  de  Ronsard,  ont 
quelque  chose  de  grêle  et  de  fluet.  Une  ou  deux  fois 
pourtant,  le  sujet  l'a  bien  inspiré  :  c'est  ainsi,  par  exemple, 
qu'il  a  redit  en  beaux  accents  les  angoisses  de  la  désespé- 
rance, le  saint  enthousiasme  de  la  gloire,  la  grandem'  de  la 
poésie. 

Poète  antiquaire,  il  eut,  le  premier  des  modernes,  le  sen- 
timent des  ruines.  Il  médita  sur  les  vestiges  de  Rome  :  il 
évoqua  de  leurs  tombeaux  les  «  pâles  esprits  ))  et  les 
((  ombres  poudreuses  »  ,  et  traduisit  ses  émotions  en  quelques 
sonnets   que    traverse  le   frisson    mystérieux   du   passé. 

Poète  rustique,  il  a  su  peindre  la  nature,  et  surtout  la 
nature  angevine,  d'une  touche  délicate  ;  et  ses  tableaux  cham- 
pêtres, très  simples,  très  sobres,  d'une  grâce  un  peu  nvn\  ont 
le  charme  particulier  des  choses  d'où  s'exhale  un  [)arfum  de 
terroir . 

Poète  personnel  par-dessus  tout,  et  d'une  façon  intense,  il 
s'est  mis  tout  entier  dans  son  œuvre,  nous  laissant  voir  jus- 
qu'au fond  de  lui-même.  Et  combien  ce   fond   était   riche  !   On 


320  JOACHIM    DU    BELLAY 

l'a  dit  justement,  dans  une  heureuse  formule  :  «  Son  âme 
fut  d'un  élégiaque,  son  esprit  d'un  satirique  *.  »  L'élégie,  — 
c'est-à-dire  la  face  austère  et  sombre  de  la  vie.  les  tris- 
tesses, les  chagrins,  les  désespoirs,  les  soupirs  et  les  larmes  ; 
la  satire,  —  c'est-à-dire  sa  face  plaisante  et  comique,  et  par- 
fois grotesquement  ridicule,  les  gaietés,  les  moqueries,  le 
rire  sous  toutes  ses  formes,  depuis  le  simple  badinage  jus- 
qu'au sarcasme  amer  ;  tout  cela  fut  en  du  Bellay,  s'unit  en 
lui  par  une  de  ces  alliances  aussi  rares  qu'originales.  Et 
tout  cela  s'est  incarné  dans  les  Regrets,  ce  livre  étrange, 
peut-être  unique  en  son  espèce,  où  les  épanchements  du  cœur, 
les  plaintes  douloureuses,  les  rêveries  mélancoliques,  les  longs 
appels  à  la  patrie  absente,  les  pleurs  sur  le  foyer  perdu,  les 
fines  peintures  de  moeurs,  les  descriptions  humoristiques  et 
les  impressions  de  voyage,  se  rencontrent  et  s'associent  dans 
un  pêle-mêle  piquant,  inattendu,  mais  qui  n'a  rien  d'incohérent, 
parce  qu'une  chose  en  fait  l'unité  :  la  veine  continue  de  poésie 
intime.  Qu'il  chante,  qu'il  pleure,  qu'il  raille,  c'est  toujours 
du  Bellay  qui  se  révèle  à  nous,  qui  nous  livre  tous  ses 
secrets,  qui  nous  ouvre  son  âme  entière.  Véritable  petit  chef- 
d'œuvre  d'analyse  psychologique  et  d'observation  morale, 
les  Regrets  sont  chez  nous  le  premier  spécimen,  et  non  le 
moins  heureux,  de  la  poésie  vécue,  sincèrement,  largement 
personnelle. 

La  forme  n'est  pas  indigne  du  fond.  C'est  un  charme,  en 
effet,  que  cette  langue  aisée,  coulante,  admirable  de  naturel, 
et  qui  répond  si  bien  à  ces  «  intimités  » .  Déjà,  les  contempo- 
rains (lu  poète  avaient  été  saisis  de  cet  aspect  particulier  de 
son  talent,  et  du  Bellay  s'excusait  à  Ronsard  des  éloges  que 
lui  valait   un  tel   mérite  : 

»  A.  Le  Braz,  Débats  du  20  août  1894. 


CONCLUSION  521 

Au  reste,    quoy  que  coulx,    qui    trop  luo    favorisent, 
Au  pair  de  tes   chansons   les   miennes   aulliorisenl. 
Disant,  comme  tu  sçais,  pour  me  mettre  en  avant. 
Que  l'un   est  plus  facile,  et   l'autre  plus  sravant. 
Si  ma  facilité  semble  avoir  quelque  grâce, 
Si   ne  suis-je   pourtant   enflé  de   telle   audace. 
De  la   contre-peser  avec   ta  gravité, 
Qui   sçait   à    la  doulceur  mesler   l'utilité  '. 

Du  Bellay  se  montrait  modeste,  et  il  avait  raison  :  mais  les 
contemporains  n'avaient  pas  tort  de  louer  sa  «  facilité  »  ■.  C'était 
vraiment  un  don  très  rare  pour  l'époque.  Quel  contraste  avec 
le  style  si  laborieux  des  écrivains  d'alors  !  Ronsard  lui-même 
n'a  que  par  exception  de  ces  vers  «  doux -coulants  »  dont 
Joachim   a  le  secret. 

Et  qu'on  ne  croie  pas  que  ce  naturel  soit  dénué  d'art. 
Car  c'est  un  art,  de  parler  une  langue  souple  et  riche. 
colorée,  pittoresque,  fortement  savoureuse.  Et  c'est  un  art 
aussi,  d'exprimer  tout  un  état  d'àme,  de  peindre  tout  un 
tableau  de  mœurs  dans  l'espace  exigu  d'un  sonnet.  ((  Le  sonnet, 
—  écrit  un  des  maîtres  du  genre  ',  —  par  la  solide  élégance 
de  sa  structure  et  par  sa  beauté  mystique  et  mathématique, 
est  sans  contredit  le  phis  parfait  des  poèmes  à  forme  fixe. 
Elliptique   et   concis,    d'une    composition    logiquement    déduite, 

'  Hymne  de  la  Surdité  (II,  400). 

-  Les  témoignages  ne  manquent  point.  Ilémy  Belleau  s'écrie  dans  son 
Chant  pastoral  : 

Ainsi,  Pasteurs,  cueillez  et  recueillez  encor' 
Le  reste  de  l'orage  et  le  riche  thresor 
De  ses  vers  doux-coulants,  qui  vivront  d'âge  en  âge. 
Le  capitaine  Lasphrise  écrit  : 

Je  prise  de  Bellay  la  grand*  facilité 

Qui  si  sçavamment  fliie  en  parfaite  harmonie  . . . 

(Cité  par  CoUetet,  copie  mscr.,  f°  54  r"). 
Cf.  Régnier,  dans  sa  Satire  IX  contre  Malherbe  : 

Des  Portes  n'est  pas  net,  du  Bellay  trop  facile. 
^  M.  de  Heredia,  dans  son  Discours  du  i  septembre  1894. 


o22  JOACHIM   DU   BELLAY 

il  exige  du  poète,  dans  le  choix  du  peu  de  mots  où  doit  se 
concentrer  l'idée,  des  rimes  difficiles  et  précieuses,  un  goût 
très  sûr.  une  singulière  maîtrise.  »  Et  qui  donc  s'est  montré 
plus  habile,  dans  le  maniement  de  ce  petit  poème,  que 
l'auteur  des  Regrets  et  des  Antiquitez  de  Rome  ?  Après 
l'avoir  créé,  si  l'on  appelle  créateur  celui  qui  donne  à  quelque 
chose  une  vie  définitive,  il  l'a  graduellement  élargi,  le  rendant 
capable  d'exprimer  non -seulement  les  passions  amoureuses, 
mais  la  totalité  des  émotions  humaines.  Dans  cette  forme  si 
restreinte,  mais  qu'il  a  faite  artistement  toute  peinture  et 
toute  musique,    il   a   fait  tenir   l'àme   entière. 

Voilà  pourquoi  de  notre  temps,  auprès  des  poètes,  auprès 
des  critiques,  auprès  de  tous  ceux  qui  lisent  des  vers, 
Joachim  du  Bellay  jouit  d'une  si  grande  faveur.  On  aime  en 
lui  le  chantre  naturel  des  sentiments  intimes  et  l'artiste 
sonneur  de  sonnets.  J'en  sais  plus  d  un  ([ui  le  préfère  même 
à  Ronsard.  Ce  n'est  pas  à  moi  de  blâmer  ce  goût,  et  les 
raisons  ne  manquent  point,  qu'on  peut  donner  de  cette 
préférence  accordée  au  poète  angevin  :  «  Moins  grand,  plus 
faible  et  plus  délicat  que  Ronsard,  écrit  M.  Brunetière,  il  a 
quelque  chose  de  plus  pénétrant,  et,  —  je  le  dirai,  quoique 
l'on  ait  bien  abusé  du  mot,  —  quelque  chose  de  plus 
moderne.  Peut-être  a-t-il  aussi  plus  d'élévation  naturelle  ;  et 
la  mélodie  de  sa  plainte,  pour  être  soutenue  d'une  orches- 
tration moins  diverse  et  moins  riche,  n'en  est  que  plus 
touchante  '.    » 

Quant  à  moi.  je  croirais  être  injuste  pour  Ronsard,  en 
l'immolant  à  mon  auteur.  Mais  il  m'en  coiiterait  aussi  de 
lui  sacrifier  du  Bellay.  Et  vitiila  tu  dignus  et  hic.  Au  surplus, 
à     quoi     bon    les    opposer    l'un   à    l'autre,    comme    des    frères 


'  Revue  des  Deux-Mondes,  i"  décembre  1892,  p.  66S  :  article  sur  la  réforme 
de  Malherbe. 


CONCLUSION  52;î 

ennemis,  eux  qui  se  sont  toujours  si  bien  entendus,  si  bien 
entr'aimés  ?  Leur  ardeur  fui  épaule  et  louis  cllorls  communs. 
Et  la  récompense  est  la  même.  Créaleui-s  inspirés  de  la 
modei'ue  poésie,  ils  Irùuenl  fraternellement  aux  somniets 
radieux  de  lumière,  et  pour  tous  deux  s'est  accompli  le 
souhait  héroïque  qu'ils  formaient  d'un  cœur  lier,  au  ni(»ment 
de  se  mettre  en  route  :  ((  Espère  le  fruict  de  ton  l;d)eur  de 
l'incorruptible  et  non  envieuse  Postérité  :  c'est  la  Gloire,  seule 
échelle  par  les  degrez  de  la  quele  les  mortelz  d'un  pié  léger 
montent   au   Ciel,    et  se  font  compaignons  des  Dieux  '.   » 

•  Deffence,  p.  12ij. 


INDEX 


Accords  (Tabouret  des),  v.  Tabourot. 

AcKERMANN  (Paul),504. 

AiGALiERS    (Pierre   de    Laudun    d),    v. 

Laudun. 
Alamanni  (Luigi),  Go,  138,  342. 
Albe    (duc  d'),   lieutenant- général    de 

Philippe   II    et  vice-roi    de   Naples, 

331,  334,  387. 
Albret  (Jeanne  d"),  v.  Jeanne  d'Albret. 
Alexis  (Guillaume),  156. 
Allard  (Guy),  390. 
Alsinois  (comte  d'j,  v.  Denisot. 
Amadis  de  Gaule,  69,  248,  264-266,  317. 
Amboise  (Michel  d),  T6,  123,  133. 
Ampère  (J.-J.),  294. 
Amtot  (Jacques),  229,  480. 
Anacréon,  49,  410. 
Ancenis  (Pierre  d'),  ancêtre  de  Joachim, 

18. 
.\ndré  (Héliej,  488. 
Aneau  (Barthélémy),  auteur  du  Quintil 

Uoratian,  67,  77,  105,  123,  151-138, 

160-161,  163,414. 
Angelier   (.Arnoul    et    Charles    1'),    v. 

L'Angelier. 
Angennes  (Charles  d'),  évèque  du  Mans, 

433. 
Angoulème  (Diane  d'),  v.  Diane  d'An- 

GOULÊME. 

Anne   de   Bretagne,   reine  de  France, 

70. 
Anthologie  grecque,  403,  411. 
Antoine  de  Bourbon,  roi   de  Navarre, 

245. 
Apollodore,  343. 


Apollonios  de  Rhodes,  55. 

.\ragon   (Catherine    d'),   v.    Catherine 

d'Aragon. 
Aratos,  55. 
Arétin  (1').  376,  401. 
Arioste   (1'),  64,  69,  132,  148,  174,  176, 

342,  369. 
Aristophane,  35,  67,  118. 
.\ristote,  54,  274,  405,  419,  473. 
.\rmagnac  (cardinal  d"),  277,  310,  315, 

316,  317,  319,  349,  416. 
Artémidore,  56. 
AscAiGNE,  Ganymède  du  cardinal  Carlo 

Caratia,  361. 
Aubert  (Guillaume  ,   17,   28,  199,  254,- 

361,  413,  414,  443,  446,  460,  477,  48S, 

489-490,  498,  506,  312. 
Augustin  (Saint),  36. 
AUNAY (Charles  d'),  sieur  de  Villeneuve- 

la-Guyard,  481. 
Ausone,  232. 
Autelz  (Guillaume  des),  76-77,  147-131, 

162,  163,  194,  283-284. 
AvANSON    (Jean   de   Saint-Marcel,    sei- 
gneur d'i,  ambassadeur  de  France  à 

Rome,   313  321,  323,    347,   348,  351, 

356,  447. 


B 


BaIf  (Jean- Antoine  de),  26,  29,  39-40, 
42  96,  178,  194,  208,  243-244,  2:10,  293, 
296,  329,  340,  ,330,  354,  389,  391, 
400,  405,  406,  411,  417,  488,  494. 

Baïf  (Lazare  de),  39,  45,  31,  34,  83,  118, 
163. 

Baillet  (Adrien),  12,  500. 


m\ 


JOACHl.M    DL"    BKLLAY 


BAiu.E("L(Louis),ami  de  Joachim, 287,319. 
Ballu  (Camille),  \'>,  li,  l(i,  19,  32,  38, 
177,  281,  383,481,  482,483,  490,  j07. 
Bandello,  conteur  italien,  375. 
Bakbin  (Claude),   imprimeur   parisien, 

:')00. 

Baret  (Eugène),  264. 

Barome  (F.  de  la),  v.  La  Baronie, 

Bartas  (Salluste  du),  497. 

bayle,  314,  :m. 

Beaumont  (Catherine  de),  aïeule  pa- 
ternelle de  Joachim,  16. 

Beaumont  (duc  do),  plus  lard  Henri  IV. 
4413. 

Beauregard,  V.  Duthier. 

Beauv.\is  (trésorier  de),  v.  Thoi  (Nico- 
las de). 

Becker  (Henri),  513. 

Becq  de  Fouquiéres,  89,  263,  373.  506. 

Béda  (Noël),  272. 

Belges  (Jean  Lemaire  de),  v.  Lemaire. 

Bellay  (famille  du),  14-17. 

Bellay  (Catherine  du),  sœur  de  Joa- 
chim, 17,  2i6,  483. 

Bellay  (Claude  du),  seigneur  de  Gon- 
nord,  neveu  et  pupille  de  Joachim, 
21,  246-248. 

Bellay  (Eustache  du),  seigneur  de  Gi- 
zeux,    aïeul    paternel    de   Joachim, 

15,  16,  27. 

Bellay  (Eustache  du),  évèquede  Paris, 
177,  454,  455,  456,  457,459-473,475, 
481. 

Bellay  (Guillaume  du),  seigneur  de 
Langey,  frère  aîné  du  cardinal,  15, 

16,  24-25,  31,  35,  .38,  64,  261,  272,  276, 
282. 

Bellay  (Hugues  III  du),  chevalier, 
seigneur  des  Brosses  d'AUonnes 
(xm'  siècle),  15. 

BELLAYiJacques  du),  baron  deThouarcé, 
frère  de  l'évèque  de  Paris,  460,  466- 
47(J. 

Bellay  (Jean  IV  du), arrière-grand  père 
lii'  Joachim,  lii. 

Bellay  (Jean  du),  cardinal-évéque,  6. 
15.  16,  24-26.  31,  35.  95,  97-98,  lO."), 
225,261,  271-284,  300-335,  336-:i4l, 
344  346,  349,  358,  375,  :«6,  394,  4;)3- 
473,  475,  481-482,  ."Il 5. 


Bellay  (Jean  du),  seigneur  de  Gonnord, 

père  de  Joachim,  16-17,  20,  21. 
Bellay  (Joachim  du),  v.  Table  des 
Matières. 

Bellay  (Louis  du),  seigneur  de  Laogey, 
grand- oncle  de  Joachim,  15. 

Bellay  (Louis  du),  chanoine  et  archi- 
diacre de  Paris,  482. 

Bellay  (Louise  du),  sœur  du  cardinal 
et  femme  de  Charles  d'Aunay,  481. 

Bellay  (Marie  du),  fille  de  Martin  du 
Bellay  et  nièce  du  cardinal,  466. 

Bellay  (Martin  du),  frère  cadet  du  car- 
dinal, 15-16,  466. 

Bellay  (Martin  du),  diacre  de  Notre- 
Dame  de  Poitiers.  27. 

Bellay  (Bené  du),  abbé  de  Notre-Dame 
de  Poitiers,  27. 

Bellay  (René  du),  frère  cadet  du  car- 
dinal, évèque  du  Mans,  15,  16,  32, 
36,  38,  272. 

Bellay  (René  du),  seigneur  de  Gonnord, 
frère  et  tuteur  de  Joachim,  17,  21- 
23,  26,  246-247. 

Bellay  (René  du),  baron  de  la  Lande, 
fils  de  Jacques  du  Bellay  et  neveu 
de  l'évéque  de  Paris,  466. 

Belleau  (Rémy),  48,  49,  82,  86,  177, 
207,  333-334,  354,  338,  400,  405,  417, 
476,  487-488,  521. 

Belleforest,  50. 

Bellessort  (André).  37. 

Belon  (Pierre),  83-85, 

Bembo,  31,  62,  64  66,  117-118,  174,  176, 
2.30,  342,  407. 

Beraud  (Fr.),  239. 

Bergier  de  Moxte.mbeuf  (Bertrand),  28, 
47-48,  82,  83,  209,  263-264,  402. 

Berni,  342,  376,  403. 

Bertrand  (Jean),  garde  des  sceaux,  447. 

Berty  (.VdolphC;,  42. 

Besly,  17. 

Bèze  (Théodore  de),  62,  105,  502. 

BlDLE,   260. 

BinoTHiKR  (Claude),  poète  néo-latin,  105. 

Bln ET  (Claude), 12, 29, 37,  40, 46, 49. 50. 51 , 
5:;,  59,  69,  72,  76,  81,  86,  87,  203,  498. 

BizE  (Claude  de),  clerc  du  diocèse 
d'.\ngors,  chantre  en  l'église  Notre- 
Dame  d.'  Paris,  480-481. 


INDEX 


527 


BizET,  ami  de  Joadiiin.  349. 
Blanchemain  (Prospcr),  i(j,  227,  4215. 
BoccACE,  34,  01,  64.  G",m.  102,  )17.  230. 
BoDiN  (Jean),  23,  4SI. 

BOILEAU,    109. 

Bois-Dauphin  (seif;neur  du),  225. 
BoissAUD,  antiquaire,  lîOl,  313. 

BONAMY,    V.    BUONAMICI. 

Bo.NNEFON  (Paul),  412,  41G,  4o9. 
BoNNivET,  amiral  de  France.  301. 
BoRDiER  (Jules),  compositeur  angevin, 

507. 
Boucher  (Etienne),  ami  de  Joachim,  349. 
BoucHET  (Jean),  27,  28,  57,  75,  107,  153. 
Bouchot,  511. 

BouGUiER,  poète  français,  243. 
BouHiER  (président),  454. 
Bouju  (Jacques),  142,  105,  213,  231,  242, 

354.  485. 
BouLAY  (du),  43,  44. 
BouLMiER  (Joseph),  30,  505. 
Bourbon  (Antoine  de),   v.    Antoine  de 

Bourbon. 
Bourbon  (Nicolas),  poète  néo-latin,  105, 

242. 
Bourciez  (Edouard),  04.  09,  78,  174,  180, 

188,  192,  204,  282,  422,  423,  428,  447. 
BouRDiGNÉ  (Jean  de),  chroniqueur  ange- 
vin. 13,  23. 
BouRSAULT  (Guillonne).  Gélonis,  femme 

de  Salmon  Macrin,  30-31,  238-241. 
Bragh  I Pierre  de),  200. 
Brantôme,  195,  228,  238,  310,  349,  410, 

445. 
Breil  (Christophe  du),   seigneur  de  la 

Mauvoysinière,   beau-frère  de   Joa- 
chim,  17,  200. 
Breil   (René   du),    neveu   de  Joachim. 

483. 
Breton   (Claude),   sieur   de    Villandry, 

agent  du  roi  de  France  à  Rome,  337. 
Breton  (le),  v.  Le  Breton. 
Breul  (P.  du),  antiquaire,  42. 
Brice  (Germain),   poète  néo-latiu,  105. 
Brigade,  nom  primitif  de  la  Pléiade,  48- 

49. 
Brinon  (Jean),  sieur  de  Villennes  et  de 

Medan,  83-85,  108,  140,  254. 
Brissac  (maréchal  de),  gouverneur  du 

Piémont,  308. 


Bhunet  {Manuel  du  Libraire).  [}0,  148, 

490. 
BiiUNETiKHE  (  Ferdinand).  1.  111,  508,522. 
Buunot  (Ferdinand),  103,  107,  282,  440. 
BucHANAN  (Georges),  105,  207,  295,  436. 
BuDÉ  (Guillaume),  30,  44,  53,  02,  07,  70, 

104,  118,  273. 
BuGNYON  (Philibert),  440. 
Buisson,  282. 
BuoNAMici  (Lazzaro),  2iHj. 
Buuckhardt  (Jacob),  286,  370. 
BuTTET  (Claude  de),  194. 


Caen  (abbesse  de),  nièce  du  connétable 

de  Montmorency,  447. 
Callimaque,  55. 
Calmeilles  (Charles),  76. 
Camilla   di    Pitiliano,    courtisane    ro- 
maine, 377. 
CAPEL(Ange),  camarade  de  Joachim  au 

Collège  de  Coqueret,  48,  82. 
Capilupi  (Lélio),   poète   néo-latin,   343, 

345-340. 
Caracciol  (Antoine),  prince  de  Melphe, 

évoque  de  Troyes,  210,  349-350. 
Caracciol    (Jean),    prince    de    Melphe, 

maréchal  de  France,  père  du  précé- 
dent, 349. 
Caraffa  (les),  320-334,  375,  463. 
Caraffa.   cardinal  Théatin,    plus    tard 

pap(^  sous  le  nom  de  Paul  IV,  3U(3, 

314,  317,  320. 
Caraffa   (Carlo),    cardinal,   neveu    du 

précédent,  321,  322,   325,  329,  331, 

.301.  375,  377. 
Carles  (Lancelot),  40,  142,  165,  226,  228- 

229,  245,  391,  424. 
Carnavalet,  46. 
Caro  (Annibal),  342-343. 
Caron  (Louis  le),  v.  Le  Caron. 
Carpi  (cardinal),  321-322. 
Cassola,  poète  italien,  173. 
Castiglione  (Baldassare),  295. 
Catherine    d'Aragon,    femme    d'Henri 

VIII,  roi  d'Angleterre,  272. 
Catherine  de  Médicis,  reine  de  France, 

2i->,  223.  225,  300,  349,  434,  444,  480, 

487. 


528 


JOACHIM    DU    BELLAY 


CATnoLinisME,  306-307,  318  310,  323-3:24, 

411 -'1-42,  403.  :i!;;-;;iG. 

Catli.lk,   31,   :iO,   02,  63,   77,  105,    137, 

182,  300,  383,  398-400,  403.  407,  420, 

494,  518. 
Celaya  (Jean  de),  régent  de  philosophie 

au  Collège  de  Coqucret,  44. 
Cerceau  lAndrouet  du),  85. 
CÉSAR  (Jules),  13,  34,  274. 
Cesari  (Giovanni),  343. 
Chabot    (Christophei,    seigneur    de    la 

Turmelicre  et  de  Lire,  aïeul  maternel 

de  Joachim,  17. 
CuAiior  (Renée),  mère  de  Joachim,    17, 

20,  2  L  27. 
CiiANTAVOiNE  (Henri),  507. 
Chardon  (Henri),  354,  356. 
Chahlemaune,  442 
Charles  VIII,  roi  de  France,  16. 
Charles  IX,  roi  de  France,  17,  09,  88, 

428.  490. 
Charles-Quint,    15.   272,    308-313,   32:)- 

330.  407.  435. 
Charpentier  (J.-P.I,  286. 
<1hartier  (Alain),  156. 
Chasles  (Philarèle),  :'»it3. 
Chassaigne   (la),    courtisane    romaine 

377. 
Chastel  (i'ierre  du),  évèque  de  Mâcon, 

31. 
Chastellain  (Georges!.  70. 

ClIATEAUHRIANI),    2S6,    298,    31)1. 

Chatillon  (cardinal  de),  neveu  du  con- 

nélablf  de  Montmorency.  225,  447. 
Cheneviére  (Ad.),  77,  282. 
Chénier  (André),  126,  231. 
Chesne   (Léger  du),    41  i,    427,    488.   — 

V.  Léoquerne. 
Chrestien  (Florent),  416,  49.5-496. 
Christie  (Copley),  165,  282. 
CiACONius,  314,  316,  318,  386. 
CiGÉRON,  34,  44,  52,  56,  60,  61,  88,  116, 

117,  121,  I2'i..  134    140,  274,285,  425, 

433,  480. 
CicÉRONiANisME,  61-62,  66,  104,  116-117. 
C.-L.,  auteur  d'une  notice  sur  Joachim 

du  Bellay,  dans  le  Recueil  de  Crépet, 

505. 
Clauuien,  77. 
Clédat,  .301. 


Clément  VII,  pape,  308,  3l3. 
Clé.me.nt  (Louis).  412,  415.  418,  429,  496 

(notes). 
Clinchamp,  33. 
Clouet  (François),  87. 
Colet  (Claude),  68. 
Colletet  (Guillaume),  12,  19,   28,  177, 

228,  243.  246,  260,  304,  358,  360,  379, 

390,  457,  486.  494,  496.  498-499,  500, 

521. 
CoLONNA  (Giovanni),  ami  de  Pétrarque, 

286. 
CoLONNA  (Pompeio),   cardinal,   313-314. 
CoMBRAGLiA,  banquier   du  cardinal  du 

Bellay,  455. 
CoMMYNEs  (Philippe  de),  67. 
Conrad  (Olivier),  poète   néo-latin,  KJo. 
Coquerel  ou  CoQUERET  (Nicolas),    fon- 
dateur du  Collège  de  Coqueret,  42-43. 
CoQUERET    (Collège    dei,    39-40,    41-98, 

principalement  42  49. 
Coquillart,  69. 
CosME  DE  Médicis.  duc  (le  Florence,  310, 

312,  33». 
Cour  de  France,  140-141,  164,  224-232, 

264-266,  321,  418-422,  431-452. 
Cour  de  Rome.  323,  326,  331,  339,  373- 

375,  463. 
Courbet  (E.),  76,  315,  337,  347. 
Courtisanes  romaines.  306,  375-377,  382, 

400-401. 
CouRviLLE  (Thibault  del.  musicien,  89. 
Cousin  (Jean),  511. 
Crépet  (Eugène),  505. 
Crétin  (Guillaume),  70,  71. 
Crevier,  42. 
Critton  (Georges),  53. 
Crosnier  (abbé  Ale.xis),  364. 
Cuignet  (Pierre  du),  406. 
CuJAS,  52. 


D 


Dagaut.  ami  de  Joachim,  331,  349. 
Dallier  (Lubin),  avocat  au  Parlement, 

premier  mari  d'Antoinette  de  Loy- 

nes,  390. 
Dampierre  (Jean),  poète  néo-lalin,  105. 
Dante.  34,  64-65.  230,  294,  296. 
David  d'Angers.  504. 


INDKX 


529 


Dejob  (Charles),  2H,  29,  iiOH. 

Delahays  (Adolpho).  .'iOll. 

Delohme  (Philib(U't),  87,  27«.  4;iG. 

De  Mesmes,  V.  Mesmes. 

Démosthène,  44,  54,  110,  117,  121,  124. 

Denisot  (Nicolas),  comte  d'Alsinois,  47, 
57,  82,  84,  85-8H,  241-244,  354. 

Denys  d'Halicarnasse,  220. 

Deschamps  (Gaston),  508. 

Des  Essars  (Herberay),  v.  Essars. 

Des  Masures  (Louis),  v.  Masures. 

Des  Mireurs  (Pierre),  v.  Mireurs. 

Des  Périers  (Bonaventure),  v.  Périers. 

Desportes  (Philippe),  .505,  521. 

Dessaix,  éditeur  de  Peletier,  33. 

Dezeimeris  (Reinhold),  200,  505. 

Dune  d'Angoulème,  fille  légitimée 
d'Henri  II  et  femme  d'Horace  Far- 
nèse,  330. 

Diane  de  Poitiers,  duchesse  de  Valenti- 
nois,  87,  444. 

DiDATo,  banquier  du  cardinal  du  Bellay, 
455. 

DiLLiERS.ami  de  Joachim,  340,  349,  378. 

DoLET  (Etienne),  62,  67,  105.  107,  126, 
165,  273,  505. 

DoNAT  (Claude),  biographe  de  Virgile,  60. 

DoRAT  (Jean),  5,  6,  39-40.  42  96  (parti- 
culièrement 45-63),  105,165,  185,  209, 
219,  228,  239,  242,  243-244,  261,  280, 
287,  360,  361,  389,  391,  393-394,  486, 
494,  500. 

Dreux  du  Radier,  v.  Radier. 

Du  Bartas,  v.  Bartas. 

Du  Bellay,  v.  Bellay. 

Du  Boulay,  v.  Boulay. 

Du  Breil,  v.  Breil. 

Du  Breul  (P.),  V.  Breul. 

Du  Chastel,  v.  Chastel. 

Du  Chesne  (Léger),  v.  Chesne. 

DUFAU-ROBIN,   V.    FaUZ, 

Dugast   (Robert),  principal  du  Collège 

de  Coqueret,  43-45. 
Dugast   (Simon),   principal  du  Collège 

de  Coqueret,  oncle  du  précédent,  43. 
Du  Perron  (cardinal),  v.  Perron. 
Dupré-Lasale,  213,  278,  390,  391. 
Du  Radier  (Dreux),  v.  Radier. 
DuRUY  (George),  323,  325,  331,  332,  375, 

387. 


DuTHiKR  (.Jean),  seigneur  ii(!  Beaure- 
gard,  conseiller  du  roi  et  secrétaire 
d'État.  27.5,  302,  :!'.»5,  /t47. 

Du  Verdiek,  v.  Verdiek. 


E 


Egger  (Emile),  5{tô. 

Egio  (Benedetto),  343. 

Elbeuf  (René  d'),  protecteur  de  Rémy 
Belicau,  334. 

Ennius,  425. 

Épigure,  265. 

Érasme.  (^2.  390. 

Eschyle,  44,  55,  57 . 

Espexce  (Claude  d'),  481,  488. 

Essars  (Nicolas  Herberay  des),  traduc- 
teur d'Amadis  de  Gaule,  69,  243, 
263,  264-266,  517. 

Estienne  (Henri),  156,  415,  496. 

EucLiDE,  274. 

Euripide,  54, 146-147. 

EusÈBE,  56,  274. 


Faerno  (Gabriel),  343. 

F.AGUET  (Emile),  22,  26,  27,  28,  55,  61, 

69,  94,  104,   130,   162,  184,  193,  281, 

298,  365,  374,  383,  385,  406.  409,  423, 

442,  508. 
Falconet,  349. 
Farnèse  (cardinal),  320,  330. 
Farnijse  I Horace),  duc  de  Castro,   3:30. 
Farnèse  (Octave),  duc  de  Parme,  302, 

308,  330. 
Farnicse  (Pierre  Louis),  duc  de  Parme 

et  de  Plaisance,  330. 
Faustine,  Romaine  aimée  de  Joachim, 

334-350,  361,  381-386,  398,  502,  518. 
Fauveau  (Pierre),  30,  40. 
Fauz  (Paschal   Robin  du),  chroniqueur 

angevin,  11-13. 
Favre  (Jules),   76,   305,   315,  321,  347, 

348,  405. 
Félibien,  42,  219,  221. 
Ferrare  (cardinal  de),  275,  316,  320. 
Florence  (duc  de),  v.  Cosme  de  Médicis. 
Fontaine  (Charles),  57,  75,  108,  123, 151, 

152,  153. 


Univ.  de  Lille. 


ToMB  VIU    A.  34. 


530 


JOACHIM    DU    BKLF.AY 


FONTENELLE,    114,    oOU. 

FoRGET,  secrétaire  de  Madame  Margue- 
rite, 449. 

FoRNERON,  377. 

FoRQUEVAULx,  30:i,  493. 
Fougères  (Gustave),  281. 
FouRNiER  (Edouard),  413. 
Fhacastor,  poète  néo-latin,  <oi. 
F'rançois  I",  roi  de  France,  15,  30.  34, 

54.  122,  164,  225,  241,  272,  273,  274, 

407,  435,  4:}8,  442,  451. 
François  II,  roi-dauphin,   puis  roi  de 

France,  429,  434,  437,  439-443,  447, 

489. 
Fremt  (Edouard),  40,  54,  89. 
Fresnaye  (Vauquelin  de  la),  v.  La  Fres- 

NATE. 

Froger  (abbé  L.),  459,  472. 


G 


Galland  (Pierre),  406. 

Gambara    (Lorenzo),    poète    néo-latin, 

343-345. 
Ganuar,  .53,  55,  89,  217. 
Garnier    (Claude),    commentateur    de 

Ronsard,  82. 
Garnier  (Robert),  177. 
Gauchet  (Claude),  50. 
Gautier  (Théophile),  199. 
Gauvain,  V.  Romans   français. 
Gaza  (Théodore),  44. 
Géloms,    nom    poétique   de   Guillonne 

Roursault,    femme   de    Macrin,    v. 

BOURSAULT. 

Gilbert  (Pierre),  poète  néo-latin,  ami 

de  .Joachim,  349,  400-401. 
Ginguené,  190,  296,  342,  344,  345,  375. 
Godeau,  500. 
GoDEKROT  (Frédéric),  505. 
GoHORRT  (Jacques),   68,  247,  248,   266, 

349. 
GoNZAGUE  (F^ernand  de),  gouverneur  du 

Milanais,  3(J8. 
GoBDEs,  ami  de  Joachim,   19,  350,  377. 
Gourr  (abbél.  12,  33,  76,  147,  177,  248, 

254,  281,  407,  437,  439-440,  485,  500- 

501. 
Grévin  (Jacques),  194,  298-299,  330,  400, 

476-477,  489,  495,  496. 


GuÉRouLT  (Guillaume),  poète  français, 
260. 

GUICHARDIN,  342. 

GuiET,  177. 

GUIFFREY,  444. 

GuiLLET  (Remette  du),  131,  150. 

Guises  (les),  274,  446. 

Guise  (Charles,  cardinal  de),  puis  car- 
dinal de  Lorraine,  225,  275,  321,  322, 
325,349,  350,  375,  434,  439,  446,  487. 

Guise  (François,  duc  de),  331,  333-334, 
377,  437,  446. 


H 


Habert  (François),  75,  108-109, 123, 152- 
153. 

Harsy  (Antoine  de),  imprimeur  lyon- 
nais, 506. 

Hauréau,  16,  33,  85,  272. 

Hébrieu  (Léon),  auteur  de  Dialogues 
sur  l'Amour,  192. 

Hélie  André,  v.  André. 

Héliodore,  229. 

Hellénisme,  33-34,  39-40,  44,  49,  51-52, 
52  59,  91,  119-126,  146-147,  148-149, 
154-156,  216-217,  259,  318. 

Henri  II,  roi  de  France,  218-229,  245, 
264,  274-279,  300,  302,  308-313,  316- 
318,  320-321,  325-334,  344,  349,  351, 
361,  375,  416,  424-425,  428,  429,  433- 
434,  434-438,  444,  450-451,  460,  477, 
499. 

Henri  IV,  roi  de  France,  445. 

Henri  VIII,  roi  d'.\ngleterre,  241,  272. 

Herberay  des  Essars,  v.  Essars. 

Heredia  (José-Maria  de),  1,  507-508,  521- 
522. 

HÉRiCAULT  (Charles  d'),  33. 

HÉROiiT  (Antoine),  76,  77,  78-80,  91,  127, 
128,  142,  165,  174,  190,  191,  198,  226, 
229-230,  242,  424,  480. 
Hésiode,  57,  124,  205,  402. 
Heulhard  (Arthur),  272,  273,  275,  281, 

282,  284,  301,  302,  309,  337. 
Homère,  44.  54,  57,  59,  76,  92,  113,  116, 
117,  121,  132,  163,  187,  205,  229,230, 
258,  402,  441. 
Horace,  31,  33,  36,  3J,  59,  61,  62,  63,  80, 
89,  91,  93, 105,  107,  117,  130, 131,  133, 


INDEX 


531 


13j,  i38,  14:i,  lis,  \6i,  i;>2,  1j8,  17y, 
195,  203,  2U6,  208-210,  210,  22j,  220, 
230,  23!,  240,  200,  283,  363,  371,  419, 
420,  420,470,491.  492,  319. 

HospiTAL  (Michel  de  l'j,  v.  L'Hospital. 

Humanisme,  v.  Cicéronianisme,  Hellé- 
nisme, Latinisme. 

HuNAUT  DK  Lanta  (Augcr),  abbé  de 
Sainte-Croix,  à  Bordeaux,  472. 

HuHTKLOiRE  (Abcl  de  la),  v.  La  Hurte- 

LOIRE. 


Ignace  de  Loyola,  307. 

Lmbert,  301-502. 

Innocent  (cardinal  Monte),  protégé  de 

Jules  III,  314-315,  376-377. 
Isocrate,  124. 
Italianisme,  34-35,  63-66,   100-102,  120, 

148-150,  156,   173-177,  296,  342,  371, 

414-415. 


Jaillot,  42. 

Jamyn  (Amadis),  76. 

Jannet  (Pierre),  305. 

Jeandet  (Abel),  170. 

Jeanne    d'Albret,    reine    de   Navarre, 

173,  24j,  444-443. 
JoDELLE  (Etienne),  48,  49,   68,  82,  194, 

198,  330. 
JoLY  (Claude),  chanoine  de  l'Église  de 

Paris,  440. 
Jonquière  (marquis  de  la),  v.  La  Jon- 

QUIÈRE. 

Jourdain  (Charles),  42,  43. 

JovE  (Paul),  313,  417. 

Jules  II,  pape,  307,  323. 

Jules  III,  pape,  278,  279,  302,  306-316, 

318,  330,  361,  376. 
Jullkville  (Petit  de),  142,  373. 
Jovénal,  59-60. 


La    Baronie   (F.  dej,    pseudonyme  de 

Florent  Chrestien,  416,  495-496. 
La  Bruyère,  126. 
La  Croix  du  Maine,  33,  48,  85, 176,  213, 


223,  228,  243,  244,  255,  337,  349,  390, 
416,  457,  458,  498. 

La  Fontaine,  12(5,  347. 

La  Fhesnaye  (Vauquclin  de),  26,  27,  37, 
173,  379,  430,  437. 

La  Haye  (Maclou  de),  poète  français, 
163,  492. 

La  Haye  (Marie  de),  sœur  de  Robert 
de  La  Haye,  230,  254,  255,  491. 

La  Haye  (Robert  de),  poète  néo-latin, 
230,  254-235,  354,  389,  481,489. 

La  Hurteloire  (Abel  de),  camarade 
de  Joachim  au  Collège  de  Coqueret, 
48,  82. 

La  JoNQUiiiRi  (marquis  de),  272,  273, 
275,  302,  318,  320,  321. 

La  Marche  (Olivier  de),  70. 

Lamartine,  200-201,  298. 

Lambin  (Denis),  52^  53,  306. 

La  Monnoye,  176,  244,  349,  390. 

Lancelot,  v.  Romans  français. 

L'Angelier  (Arnoul),  imprimeur  pari- 
sien, 506. 

L'Angelier  (Charles),  imprimeur  pari- 
sien, 490. 

Langey  (Guillaume  de),  v.  Bellay 
(Guillaume  du). 

Langlois  (Ernest),  90. 

La  Noue  (François  de),  264. 

Lansac  (Louis  de  Saint-Gelays,  seigneur 
de),  ambassadeur  de  France  à  Rome, 
308-312,  316,  331. 

La  Péruse  (Jean  de),  26,  28,  170. 

La  Rovère  (Jérôme  de),  évéque  de 
Toulon,  391,  460. 

Larroque  (Tamizey  de),  v.  Tamizey. 

Lasca  (le),  poète  italien,  403. 

Lasgaris  (Jean),  30. 

Lasphrise  (capitaine),  521. 

La  Taille  (Jacques  de),  490. 

La  Taille  (Jean  de),  430. 

Latan,  camarade  de  Joachim  au  Collège 
de  Coqueret,  48,  82. 

Latini  (Latino),  343-344. 

Latinisme,  28,  30-32,  33-36.  39,  44,  51- 
32,  39  63,  66,  91,  99-118,  119-126,  148- 
149,  134-156,  230,  233,  238-239,  241- 
243,  252-254,  239  261,  267,  283-290, 
295-296,  318,  343-346,  338-301,  383, 
407-408,  478-480,  502,  317-518. 


;)32 


JOACHIM    DU    BELLAY 


Latomus  (Barth.),  poète  néo-latin,  10.'). 

Lauuun  u'Aigaliers  (Pierre  de),  137. 

Laure  de  Noves,  78,  169,  174,  178,  238. 

Laverdt,  42. 

La  Vigne  (André  de),  70. 

Le  Blanc  (Richard),  traducteur  de  l'Ion 

de  Platon,  54. 
Le  Blond  (Jean),  75,  152-153. 
Le  Braz  (A.),  508,  520. 
Le  Breton,  secrétaire   du  cardinal  du 

Bellay,  337-338,  462. 
Le  Breton  (François),  écrivain  de  Cou- 

tances,  337. 
Le  Caron  (Louis),  poète  français,  194, 

330. 
Le  Clerc  (.)ean),  458. 
LEFi':vRE  (Denis),  régent  de  grammaire 

au  Collège  de  Coqueret.  44. 
LEFi';vRE  (Jacques)  d'Étaples,  30,  44. 
Lefranc  (Abel),  34.  273. 
Lemaire  de  Belges  (Jean),  34,  69,   71- 

72,  73,  107.  138,  282. 
Le  Masle  (Jean),  poète  français,  494. 
Lemercier  (A. -P.),  26,  172. 
Lenient,  374,  406,  503. 
Léofanti  (Adolphe),  2,  308. 
Léoquerne,  pseudonyme  de   Léger  du 

Chesne,  414,  418,  429. 
Le  Petit  (Jules),  490. 
Le  Roy  (Louis),  252,  254,  513. 
Lescot  (Pierre),  87. 
Lestrange  (Charles  de)  ami  de  Joachim, 

349. 
L'Hospital  (Michel  de),    105,  216,  228, 

273,  278,  360,  391.  428,  439-440,  446, 

447,  480,  513. 
L'HuiLLiER,    seigneur    de    Maisontleur, 

poète  français.  445. 
LiGNERY  (Claude  de),  camarade  de  Joa- 

chim  au  Collège  de  Coqueret,  48,  82. 
Liron  (D.).  271. 

LisEU.x  (Isidore),  315,  361,393,  306,  316. 
Lohineau  (D.),  17. 
LoNGOiL  (Philippe  de),  13. 
Longueil  (Christophe),  62. 
LoRME  (Philibert  de),  v.  Delorme. 
Lorraine      (cardinal     de) ,     v .     Guise 

(Charles  de). 
LoRRis  (Guillaume  de),  156,  —  V.  Rose 

(Roman  de  la). 


LoYNES  (.\ntoinette  de),  femme  de  Jean 
de  Morel,  243-244,  390,  449,  489,  493. 
Loyola  (Ignace  de),  307. 
Luc.uN.  44,  59. 
Lucien,  54,  67,  118,  274. 
Lucrèce,  59. 
Ltcophron,  55,  56,  57,  59. 


M 


Machiavel,  342. 

Macrin   (Salmon),    26,    30-32,    40,    62, 

105-106,  163,   238-241,  242,  244,  247, 

261,  273,  274,  278,  391. 
Magny  (Olivier  de),  76,  194,  200,  228, 

305,  316,  327,  338,  347-351,  382,  398, 

400,  401,  405,  411,  417,  480,  485,  491, 

311. 
Maisonfleur,  v.  L'Huillier. 
Malestroit  (Guillaume  de),  seigneur  de 

Houdon,  21. 
Malestroit  (Magdeleinede),  belle-sœur 

de  Joachim,  21. 
Malherbe,  241,  497    321. 
Maniquet  (Jean),  489. 
Manuzio  (Paolo),  344. 
Marault  (Charles),   valet  de   chambre 

du  cardinal  du  Bellay,  301.  337,  349. 
Marcassus  (Pierre  de),  commentateur 

de  Ronsard,  177. 
Marcel  II,  pape,  316-320. 
Marcel  (Gabriel),  83,  241. 
Marchand  (abbé  Charles),  23. 
Marche  (Olivier  de  la),  v.  La  Marche. 
Marguerite  de  Valois,  reine  de  Navarre, 

sœur  de  François  I",  48,  72,  169,  229, 

241-243,  273,  390,  443. 
Margx;erite    de    Valois,    duchesse    de 

Berry,   sœur   d'Henri  II,    178,   222- 

224,  223,  226,  227,  230,  2.38,  244,  251, 

280,  361.  365,  390,  406,  427-428,  431, 

434,  447-432,  475. 
Marliani.  antiquaire,  281. 
Marot  (Clément),  29-30,  35,  36,  68.  69, 

73-75    77,  91,  107,   122-123,  127-128, 

129,  136,  139,  146-147,  151,  152,  158, 

161,  169,  170,  172,  189,  190,  195,  198, 

200,  226,  242,  254,  296,  387,  404,  403, 

496,  501-302. 
Marot  (École  de),  Marotiques,  35,  36, 


INDEX 


533 


T6.  79,  91,  107,  12:i-123,  127-128,  129, 

1.S0,   152- 133,  138,   lfi3,  169-I70,   213, 

23:3.  254,  496. 
Mauot  (Jean),  pèn-  do  Cléini'iit,  7'). 
Marseille,  secrétaire    (iu  canlinal   du 

Bellay,  349. 
Marsy  (Sautrcau  de).  301-302. 
Martelli,  poète  italien,  176. 
Marthe  (la),  courtisane  romaine,  306. 
Martial,  39.  77.  129,  360,  40.3.  407,  478. 
Martin  (Jean),  poète  français,  36,  142, 

163. 
Martt-Laveaux  (Charles),  12,  40,  67,  6S, 

82,  239,  248,  281,  .334,  332,  373,  3S3, 

.3^4,  401.  408,  416,  440,  458.  481,  490, 

50<!. 
Marulle,  poète  néo- latin,  62. 
Masle  (Jean  le),  v.  Le  Masle. 
Masson  (Papire),  52,  57. 
Masures  (Louis  des),  95,  254.   273,  417. 

486,  492-493. 
Mauléon  (Jean  de),  archidiacre,  416. 
Mauny   (François    de),   archevêque    de 

Bordeaux,  455,  458. 
Mauvoysinière,  V.  Breil. 
Médicis,  V.  Catherine  et  Cos.me. 
Meigret  (Louis),  67,  77,    147,  148,  235- 

236. 
Melphe  (prince  de),  v.  Caracciol. 
Ménage,  12,  17,  177,  2'i8,  438,  482,  300. 
Mercier   (Jean),   beau-fils   de   Jean   de 

Morel,  391,  489. 
Meschinot  (Jean),  70. 
Mesmes  (Henri  de),  58. 
Mesmes  (Jean-Pierre  de),  243. 
Mestica    (Giovanni),    éditeur    de    Pé- 
trarque, 173. 
Meudon  (cardinal  de),  277. 
Meung  (Jean  de),  156. — V.  Rose  (Roman 

de  la). 
Michault  (Pierre),  70. 
Mighfxet.  435,  444. 
MicHiELs  (Alfred),  5(J3. 
Mignanelli  (cardinal),  386. 
Mignet,  326. 

MiNARD  (président).  37,  477. 
Mirandola  (Sylvia),  361. 
MiREURS  (Pierre  des),  médecin  et  poète, 

48,  82,  242,  243. 
MoLiNET  (Jean),  70,  71. 


Monestai  (Henri  de),  ^ouverneu^  de 
Brest  en  1489,  17. 

MoNLUC  (Biaise  de),  310,  319,  331. 

iMoNTAiGLON  (Anatole  de),  314,  330,  361, 
370,  430,  303. 

Montaigne,  494. 

Monte  (cardinal),  v.  Innocent. 

Montembeuf  (Bergier  de),  v.  Bergier. 

MoNT.MORENCY  (.Anne  de),  connétabli'  de 
France.  225.  274,  801,  308  309,  310, 
315,317,  319,  320,  447. 

.Montmorency  (François  de),  tilsdu  con- 
nétable, 447. 

Morel  (Camille  de),  tille  ainée  de  J.  de 
Morel,  390-392,  449-450.  489,  313. 

Morel  (Diane  de),  3*  fille  de  J.  do 
Morel,  390,  449-450. 

Morel  (Federic),  imprimeur  parisien, 
413.  490. 

Morel  (Isaac  de),  fils  de  .1,  de  Morel. 
430. 

Morel  (Jean  de),  d'Embrun,  seiiineur 
de  Grigny  et  de  Plessis-le-Comte, 
ami  de  Joachim,  12,21,  48,  loi,  243, 
230,  303,  315,  .330,  341,  354,  361,  376, 
389,  390-392,  393,  417,  428,  4.39,  446, 
449,  450-432,  460,  462,  464-463,  475, 
478,  479,  489-490,  493,  312. 

Morel  (Lucrèce  de).  2'  fille  de  J.  de 
Morel,  .390.  .391,  449-430. 

Morel- Fatio,  293. 

Moréri,  12,  17. 

MoRiN  (Marie),  femme  de  Michel  de 
L'Hospilal,  .391. 

MUR.\T0RI.    313. 

Muret   (Marc-Antoine).  28,  29,  30,  40, 

46,  52,  103,  141,  177,  306,  302. 
Musée.  57,  12.3,  147,  402. 


N 


Naugerius,  v.  Navagero. 
Navagero  (André),   Nau(ferius.    poète 
néo-latin,  407-410. 

NiCANDRE,   33. 

NiCERON  (P.).  12,  33,  248,  407,  458,  300- 

501. 
Nicquet,  471. 

NlSARD,  63. 

NizoLius,  274. 


534 


JOACHJM   DU   BELLAY 


NoLHAC  (Pierre  de),  48,  17o,  248,  281, 
286,  3013,  :M8,  343,  345-346,  349,  361, 
390,  391.  449.  430.  454,  460,  462,  479, 
493,  506,511. 

NoNNOS,  478. 

Noue  (François  de  laj,  v.  La  Noue. 


o 


Olive,  maîtresse  idéale  de  Joachim,  89, 
167-201.  .382.  397,  477,  485,  308,  317. 

Olivier  (François),  chancelierde  France, 
229.  275.  447.  462. 

Olivier  (Jean),  évoque  d'Angers,  poète 
néo-latin,  103. 

Oresme  (Nicolas),  156. 

Orlandino,  historien  des  .Jésuites,  307. 

Orphée,  39.  402. 

Orsini  (Fulvio),  343,  345. 

Ouvré,  107. 

Ovide,  59,  62,  105.  122.  123,  129,  163, 
180,  185,  207,  2;i2  266.  286,  359.  360, 
364,  383.  396,  400,  403,  461,  498,  318. 


Pagate  (Guy),  camarade  de  Joachim  au 

Collège  de  Coquerct,  48.  82. 
Pages,  éditeur  de  Peletier,  33. 
F'allavici.no.  314. 
Panjas  (Jean  de  Pardeillan,  protonotaire 

de),  poète  ami  de  Joachim,  303,  348, 

3.30-331 . 
Panvinio   (Onofrio),   313-314,    316,  318, 

319,  323. 
Paris  (Paulin).  3CKi. 
Paschal  (Pierre  de).  19.   235,  248.  317, 

347,  354,  389,  412,  414-418,  434,  475, 

476,  481,  482,  489,  512. 
Pasquier  (Etienne).  33,  68.  72,  144.  170, 

176.  233.  264,  295.  416,  417,  488.  492. 
Pasqlils,  370. 
Paul  III,  pape,  272,  273,  278,  306,  308, 

375. 
Paul  IV,  pape,  318,  .320.334,  .349,  350, 

373. —  V.  Cahaffa,  cardinal  Théalin. 
Paul  (seigneur),  ami  de  Ronsard,  39. 
Pavie  (Victor),  504-503. 
Peletier  (Jacques),  16,  32-37,  38,  40,  76, 


85.  107,  165,  169,  172,  203,  212,  242, 
.354. 

Pellissier  I Georges),  27,  281. 

Périers  (Bonav.  des),  36,  77,  138,  130. 

Perot  (Cretofle),  sénéchal  du  Maine,  33. 

Perrault  (Charles),  114,  440. 

Perron  (cardinal  du),  40,  494. 

Person  (Emile),  306. 

Péruse  (Jean  de  la),  v.  La  Pérdse. 

Petit  de  Julleville.  v.  Julleville. 

Pétrarque.  34,  33,  39,  61,  64.  65-66.  69, 
73,79,89.  102.  1 17.  121,  123.  138,  l'»8. 
149,  156,  167-201,  230.  238.  240.  243, 
253,  282,  286.  290,  296,  342,  363,  371, 
492,  503,  517. 

Pétrarquisme,  64.  79,  167-201  (particu- 
lièrement 17'4-I76,  179-188,  194-201). 
3'.2.  396-398,  400,  319. 

Pfl.\nzel,  172-173.  245,  369.  379. 

Philelphe,  44. 

Philibert-Emmanuel,  duc  de  Savoie. 
449-450. 

Philippe  II,  roi  d'Espagne,  331,  334. 

Philippson  (M.),  .306,  307. 

Pie  IV,  pape,  318. 

PiÉRi,  174,  179,  194,  199 

Pierre,  barbier  de  Rome.  337 

Pierre  d'Ancems,  ancêtre  de  Joachim, 
18. 

piganiol  de  la  force,  42. 

Pind.vre.  44,  55,  57,  .38,  67,  73,  89,  91, 
131,  216-217,  2.30.  ±\^.  'i20,  /.93,  519. 

PiNVERT,  39,  299,  330,  476,  496. 

PiTiLLANO  (Camilla  di,,  courtisane  ro- 
maine, 377. 

Platon.  33-3'i,  78-79,  92.  124,  126.  142, 
186,  190,  207.  229-230,  232,  234,  403. 
473,  480. 

Platonisme.  78-79,  174,  188-194,  197, 
200-201,  229.  519. 

Plaute,  28 

Pléiade,  origine  de  ce  terme,  49 

Pline  l'Ancien,  60,  261. 

Plôtz  (Gustave),  70,  94,  97,  113,  138. 

Plutarque,  54,  274,  480. 

Pogge  (le),  286,  290. 

Pointeau  (abbé  Charles),  466. 

Poitiers  (Diane  de),  v.  Diane  de  Poi- 
tiers. 

Pôle  (cardinall,  317. 


INDEX 


535 


POLITIEN,  64. 

PoNT-A-MoussoN  (marquis  do),  17. 
PoNTANUs,  poète  néo-latin,  62,  63,  137. 

PONTUS   DK   TYAHI),   V.    TyaKI)  . 

PoHT  (Colcsttn),  \2,  li,  17.  18,  458,  oOo. 
PossEviNo  (Antonio),  344-346. 
PosTEL  (Guillaume),  274. 
PouLiN,    baron    do    la    Garde,    amiral 

d'Henri  II,  447. 
Priscien,  36. 

Properce,  39,  77.  129,  19:i,  283,  383. 
Proust   (Jean),  commentateur  de  Joa- 

chim,  220,  223. 
Pythagore,  229. 


O 


Querini  (cardinal),  344. 
Quicherat  (Jules),  42-43. 
QuiNTiL  Horatian,  V.  Aneau 
QuiNTiUEN,  44,  61,  124-26,  140,  430. 


R 


R.iBELAis,  67-68,  110,  118,  163,  262,  273, 

278,  281.  282,  301,  388. 
Rabestan  (seigneur),  ami   de  Joachim, 

210. 
Radier  (Dreux  du),  30,  47. 
Raince,  secrétaire  du  cardinal  du  Bellay, 

308. 
Ramus  (Pierre),  274,  406. 
Ranke  (L.),  306. 
Rathery  (E.-J.-B.),  83,  296. 
R.\YNALDUS,  314.  318,  323. 
Rebitté.  44,  104. 

Régnier  (Mathurin),  193,  430,  497,  321 
Revillout.  12,  281,  434,  439.  460,  306. 
Rhétoriqueurs,  70-72,   73,  92,  128-129, 

149-130,  132-133.  136-137,  138. 
RiBiER  (Guillaume),  97,   272,  273,  276. 

278,  284,  302,  308,  309,  313-323.  330, 

331,  337,  349,  330,  373. 
Robertet,  ami  de  Joachim,  332. 
Robin  du  Fauz,  v.  Fauz. 
robiquet,  45,  56. 
Rochambeau  (Achille  de),  260. 
Roches  (Dames  des),  28. 
Rodoganachi  (E.)  376.  377. 
RoiLLET  (Claude),  488. 


Romans  français,  68-69,  132,  133. 

Roman  de  la  Rose.  v.  Rose. 

Ronsard  (Pierre  de),  4,  19.  20,  22,  24,  29, 
3C>-40,  42 '.Mi,  101.  114.  1.33  1.39,  142. 
1.30-131,  1(13-1(56,  170  173.  177,  194, 
203-217,  219,  223,  228.  2.33-236,  242- 
244,  ;30.  2;)4.  233.  304.  311,  329,  3;i0- 
334,  360,  363.  3(i6-:î67,  im.  391,  392. 
394.  400,  403-403,  411,  413,  416,  417, 
424,  428,  432,  4.33,  4i2  443,  443-447, 
4.39,  472,  473,  4S6-487,  491  4%,  499, 
.iOO,  302,  303-304,  316.  319,  320-521, 
322-323. 

Rose  (Roman  de  lai,  69-70,  72,  92,  156. 

Rossant  (André  de),  jurisconsulte  lyon- 
nais, commentateur  de  Joachim, 
176  177. 

Rosset  (Pierre),  poète  néo-latin,  103. 

Rothschild  (James  de),  227,  430. 

Rovère  (Jérôme  de  la),  v.  La  Rovkre. 

Roy  (Emile),  93,  106. 


Sabeo  (Fausto),  poète  néo-latin,  344. 
Sadolet,  31. 

S.\GON  (François),  75,  132,  161. 
Saint-André  (M""  la  Maréchale  de),  443. 
Saint  Gelays   (Louis  de),  seigneur    de 

Lansac,  v.  Lansac. 
Saint-Gelays  (Mellin  de),  76,  77-78,  91, 

123,  127.  128,  131,  142,  150,  157,  165, 

169,  172,  198,  226-228,  229.  242,  284. 

.354,  376,  .379,  404.  422-429,  432,  437. 
Saint-Gelats   (Octavien    de),    père  de 

Mellin,  70. 
Saint-Marc  Girardin,  264,  503. 
Sainte-Beuve,  12,  13,  19,  26.37.  93,  97, 

111,  1(38,  177,  200,  231,  274,  281,  282, 

287.  317,  331,  361,  383,  408,409,  434, 

439,  480,  303-506. 
S.unte-Croix  (abbé  de),  v.  Hunaut. 
Sainte-Croix  (cardinal  de),  v.  Marcel  II . 
Sainte-Marthe    (Charles    de),   107-108. 

242  244. 
Sainte-Marthe  (Scévole  de),  12.  14,  16, 

19,  26,  28,  30,  40,  52,  55,  213,  358- 

360,  390,  391,  457-458,  473,  498,  .300. 
Salel    (Hugues),  76,  91,  128,  165,  242, 

491-492. 


536 


JOACHIM    DU    BELLAY 


Salfi,  344. 

Salluste,  60. 

Salmon  Macrin,  V.  Macrix- 

Sanadon  (P.),  501. 

Sannazab,  34,  H2,  03,  64,  V.M),   :J3(),  'M-I, 

345. 
Sautreau  de  Marsy,  0OI-0O2. 
Sauvain  (.Teanne),quafirisaioule  de  .loa- 

chitn,  18. 
Sauval,  42. 
Saveuse,  456,  467. 
Scaliger.  52,  274,  494,  500. 
ScÈvE  (Maurice),  70,  77.  78-80,  91,  1:28, 

142,  165,  169,  174.  190,  218,  283,  38S. 

SCHROEDER,   391. 

SÉCHÉ  (Léon),  1,  12,  14,  17,  18,  20,  383, 
507-509. 

Seco.nd  (Jean),  poète  néo-latin,  62,  63, 
137,  233,  274,  400.  502. 

Selve  (Odet  de),  ambassadeur  de  France 
à  Rome,  315.  331,  375. 

Sénéque,  30. 

Seymour  (Anne,  Marguerite  et  Jeanne), 
filles  du  protecteur  Edouard  Sey- 
mour, élèves  de  Denisot,  241-244. 

SiBiLET  (Tliomas),  90-93,  98,  123,  127- 
132,  134,  137,  138,  140,  146-147,  157, 
159-160,  163,  169,  250,  254,  354. 

SiLVESTRE  (Armand),  1,  20. 

SiRLETO  (Gulielmo),  343. 

SixTE-QuiNT,  pape,  .371). 

SoissoNs( Hubert  de i, poète  néo-latin,  105. 

SOPHOCt.E,    118. 

SoREL  (Charles),  500. 

Spenser  (Kdmund),  290,  496-497. 

Spifa.me  (Jacques),  évoque  de   Nevers, 

361. 
Stace,  59,  402,  405. 
Staél  (M""  de),  298. 
Stoïcisme,  464. 
Strozzi,  331,  361. 
Stuart   (Marie),   reine   d'Rcosse  et  de 

France,  437,  445-446. 
SoRGKRES  (Hélène  de).  57. 

SlLVIA    MiRANDOLA,   361. 


Tabourot  »es  .\ccords,  57,  176,  233. 
Tacite,  60,  285. 


T.^GAULT,  poète  français,  243. 

Tahureau  (Jacques),  t^6,  129,  194,  265, 
349,  350,  .354-356,  400,  417,  492 

Taille  (Jacques  et  Jean  de  la),  v.  La 
Taille. 

Taillemont  (Claude  de).  218. 

Tamizey  de  Larroque,  228,  243,  310. 

Tell  (J.),  50G. 

Tetti  (Scipione),  343. 

Théatin  (cardinal),  v.  Caraffa. 

Theocrenus  (Benedictus),  poète  néo- 
latin, 105. 

Théociute,  54,  55,  63,  91,  124,  1.30,  263, 
345,  410. 

Thibait  (Fr.),  71,  72.  282. 

Tnou  (Jacques-Auguste  de),  historien, 
19,  241-242,  310,  314,  318,  .321-322, 
343.  34:;.  359,  481. 

Thou  (Nicolas  de),  trésorier  de  Heau- 
vais,  456,  466-467,  472. 

Thucydide,  54. 

Tibclle,  59,  129,  383. 

Tiraboschi,  342,  344,  .345. 

Tiraqueau,  jurisconsulte,  28. 

TiTE-LivE,  44,  60,  i'85. 

Tonnerre  (comtesse  de),  225. 

Tory  (Geoffroy).  105. 

TouRNON  (cardinal  de),  306,  .308.  317, 
321,  325,  349. 

Toussaint  (Jacques),  51,  273. 

Toussepain  (Jean),  cbanoine  et  archi- 
diacre de  Paris,  458. 

TouTAiN  (Charles),  poète  français,  26. 

Trincant  (Louis),  de  Loudun,  271. 

Trissin  (le),  .342, 

Tristan,  v.  Romans  français. 

Tronssay  (I.  Quintil  du),  pseudonyme 
de  Joachim,  41.3-414. 

TuRNKBE  (Adrien),  52.  53,  105,  412.  414- 
418,  430,  488. 

TuRQUETY,  172,  347,  505. 

Tyard  (Pontus  de),  4,  19,  147,  170-172, 
192-194,  283,  350. 

TzETZÉs.  53,  56. 


u 


Urfé   (d'),   ambassadeur   de   France   à 

Rome,  277,  308,  310. 
Urseau  (abbé  Charles),  23. 


INDEX 


337 


Ursin,    Ursiniis.   nom    latin   d'Orsini, 

343. 
UuvoY  (René  d'),  camarade  de  Joachim 

au  Collège  de  Coquoret,  'i8,  82. 
Utenhove  (Charles),  ;M),  474,  477-47'.), 

480,  493-494,  .^13. 


Vasquin  (Philieull,  de  Carpentras,  tra- 
ducteur de  Pétrarque,  109. 
V.\T.\BLE  (François),  273,  391. 

V.\UQUEUN      DE      LA     FrESNATE,     V.      La 

Fresnaye. 
Vauthier  (G.),  267. 
Veillard  (Jacques),  de  Chartres,  19,  57, 

473. 
Verdier  (Antoine  du),  32,  48,  8n,  228, 

243,  337,  349,  390,  416,  417,  41S,  498. 
Vergèce  (Ange),  51 
Vianet  (Joseph  i,  369,  376,  403.  429,  497 
Victoire  lia),  courtisane  romaine,  306. 
Vida,  poète  néo-latin,  62,  419. 
Vidal  (Pierre),  aquafortiste.  20. 
Vieilleville,  186,  219,  224,  377,  450. 
Vigne  (André  de  la),  v.  La  Vigne. 
Villeneuve  fdamoiselle  de),  v.  Bellay 

(Louise  dut. 
Villon,  70,  156. 


ViNEL's.  d'Urbin,  ami  de  Joachim,  .327, 
340.  349,  387. 

Viole  (Guillaume),  évéque  de  Paris, 
177. 

Viole  M"'),  nièce  ou  parente  du  pré- 
cédent, 177-179.  —  V.  Olive. 

Virgile,  35.  39,  44,  52,  59,61,  63.  91,  f2, 
105,  116,  117,  121.12.3,  124,  130,  132, 
205,  225,  230,  252-254,  263,  274,  285, 
342,  343,  345,  402,  407,  517. 

VisGONTi,  288,  289. 

ViTALis  (Janus),  poète  néo-latin,  295. 

Volney,  29S. 

VouLTÉ  (Jean),  poète  néo-latin,  105. 


W 


Waddington.  406. 


Xénophon,  274. 


X 


Y 


Yre  (le  bon  moine  de  1'),  156. 


Zanchi  (Basilio),  poète  néo-latin,  343- 
345. 


ic 


TABLE   DES  MATIÈRES 


AVANT-PROPOS i 

BIBLIOGRAPHIE v 

INTRODUCTION 1 

PREMIÈRE    PARTIE 
DE   LA  NAISSANCE  AU   VOYAGE   DE   ROME 

1522-1553 


CirAPiïRK  I.  —  Enfance  et  Jeunesse.   Premières  souffrances  — 

Premières  études.  132S-1547 Il 

I.  —  L'Aujou  et  la  Loire H 

H  —  La  famille  du  Bellay.  —  La  branche  cadelte  :  les  quatre 
frères  du  Bellay.  —  La  ])ranche  aînée  :  les  ascendants  du 
poète H 

111.  —  Naissance  de  Joacliim.  —  Premières  années  :  commerce  avec 
la  nature.  —  Premières  souffrances  :  malheurs  domestiques. 
—  Désœuvrement  intellectuel.  Rêves  de  gloire    .....        IS 

l\ .  —  Séjour  à  Poitiers.  —  Poitiers  au  xvi'  siècle.  —  Etudes  juri- 
diques et  littéraires.  —  Premiers  essais  poétiques.  —  Influence 
de  Muret.  —  Influence  de  Saluiou  Macrin.  —  Influence  de 
Peletier id 

V.  —  Rencontre  de  Ronsard.  —  Départ  pour  Paris 37 


ij40  JOACHIM    DU    BELLAY 

CnAPiTni:  II.  —  Le  Collège  de  Coqueret.  1S47-1549 41 

I.  —  Le  Collège  de  Coqueret 42 

H.  —  Jean  Dorât  principal  de  Coqueret.  —  Un  collège  au  xvi"  siècle. 

—  La  Brigade  et  la  Pléiade 4o 

III.  —  l^ducalion  de  la  Pléiade. —  L'édiicalion  par  les  livres.  —  Dorât 

professeur.  —  Sa  méthode  :   le  latin  enseigné  par  le  grec. 

—  Sa  valeur  comme  philologue 40 

IV.  —  La  culture  grecque.  —  Caractère  surtout  poétique.  —  Les  clas- 

siques et  les  alexandrins.  —  Défauts  et  mérites  de  Dorât 
helléniste.  —  Du  Bellay  le  moins  grec  des  poètes  de  la 
Pléiade 52 

V.  —  La  culture  latine.  —  Latins  anciens.  —  Latins  modernes    .     .        o9 

VI.  —  La  culture  italienne. —  Valeur  esthétique  des  œuvres  italiennes. 

—  Vive  impression  produite  sur  la  Pléiade (13 

VII.  —  La  culture  française.—  Rabelais.  —  Romans  français.  —  Roman 
de  la  Rose.  —  Poésie  des  xiv'  et  xv"'  siècles.  —  Rhéto- 
riqueurs.  —  Jean  Lcmaire  de  Belges.  —  Clément  Marot.  — 
Les  Marotiques  et  Saint-Gelays.  —  Les  Lyonnais  :  Antoine 
Héroct  et  Maurice  Scève 66 

VIN.  —  L'éducation  par  la  nature.  —  Excursions  dans  la  banlieue  de 
Paris.  —  Le  voyage  d'Arcueil  en  l.j49.  —  Une  partie  de 
plaisir  chez  Brinon 80 

IX.  —  L'éducation  par  les  arts  —  Influence  de  Denisot. —  Relations 
avec  les  artistes.  —  Les  arts  plastiques.  —  La  musique  et 
la  poésie 8.'i 

X.  —  Publication  de  VArt  Poétique  de  Thomas  Sibilet  (l.i48).  — 
Impression  qu'en  ressentent  les  élèves  de  Dorât.  —  Origine 
de  la  Deffence. —  La  collaboration  du  groupe  au  manifeste. 

—  Pourquoi  ce  fut  du  Bellay  qui  le  signa.  —  Publication 

de  la  Deffence  et  illustration  de  la  langue  françoyse  (1549) .        89 

Chapitre  III.  —  La  «Deffence  de  la  Langue  Françoyse  ».  1S49.       99 

I.  —  L'antinomie  de  la  Deffence.  —  Comment  on  peut  la  résoudre. 

—  Une  ambition  patriotique  :  le  désir  d'égaler  l'Italie.  — 
Composition  défectueuse  de  l'ouvrage 99 

II.   "  La  partie  apologétique  de  la  Deffence.  —  Développement  de 

l'humanisme  :  dangers  courus  par  le  français 103 

III.  —  Précurseurs  de  du  Bellay  dans  la  défense  de  cette  langue.  — 

Rôle  des  poètes  :  Jacques  Peletier,  Charles  de  Sainte-Marthe, 
Charles  Fontaine,  François  Habert.  —  Utilité  d'une  nou- 
velle intervention 100 

IV.  —  Du  Bellay  défenseur  du  français.  —  Théorie  de  l'origine  des 

langues.  —  Arguments  en  faveur  du  français  :  sa  pauvreté 
actuelle,  sa  richesse  possible.  —  Attaque  contre  les 
Latineurs.  — Nécessité  d'écrire  en  français 110 


TABLK    DE<    MATIÈRES  ;)4I 

CiiAi'iTUE  IV.  —  Ij'((  Illustration  de  la  Langue  Françoyse  ».  1549.      119 

1.  —  La  partie  lh('"orique  de  la  Deffence.  —  Un  nouvel  art  d'écrire  : 
l'imitation  des  anciens  et  des  italiens  posée  en  principe.  — 
Les  moyens  d'illustrer  la  langue.  —  Insuflisance  de  la  tra- 
duction. —  Nécessité  de  Tassirailation.  —  Théorie  de  l'imi- 
tation empruntée  à  Quintilien.  —  Fondation  du  classicisme.      119 

II.  —  Une  nouvelle  conception  de  la  poésie.  —  Rupture  avec  l'école 
de  Marot.  —  Proscription   des  vieilles  formes  rhétoricales. 

—  Les   nouveaux  genres,  petits  et   grands.  —  Le  sonnet^ 
l'ode,  l'épopée. 126 

in.  —  Les   ])réceptes    relatifs  à  la   forme.  —  A.   Langue  :  les  néolo- 
gismes  et  les  archaïsmes.—  B.  Style  :  les  tours  et  les  ligures. 

—  C.  Rythmique  :  le  mètre  et  la  rime.  133 

IV.  —  Introduction  de  l'art  dans  la  poésie.  —  Élaboration  de  l'œuvre 

d'art.  —  Définition  du  vrai  poète.  —  Mépris  du  vulgaire. — 
Sainteté  de  la  poésie     . 139 

Chapitre  V.  —  L'attaque  de  la  «  Deffence  »  et  la  défense  de  la 

«  Deffence  » .  1349-1350 14i 

I.  —  La  guerre  contre   l'ignorance.  —  Résistance  des  disciples   de 

Marot   —  La  préface  de  Vlphigène  de  Sibilet  (1549)     .     .     .       14i 

II.  —  Guillaume  des  Autelz  et  sa  Réplique  aux  furieuses  défenses  de 

Louis  Meigret  (1530) 147 

III.  —  Le  Quintil  Horatian  de  Barthélémy  Aneau  (1550)   .....       151 

IV.  —  Défense  de  la  Deffence  :  la  seconde  préface  de  l'Olioe  (1330)     .       138 

V.  —  Deux  poèmes   polémiques    :    la   Musagnœoniachie   et  l'ode  à 

Ronsard  Contre  les  envieux  poètes  (1330) 163 

Chapitre  Y1.  —  L'((  Olive  ».  1549-1550 167 

1.  —  Les  deux  éditions  de  VOlive.  —  La  part  que  du  Bellay  a  prise 
à  l'introduction  du  sonnet  en  France.  —  Pontus  de  Tyard 
et  du  Bellay 167 

II.   —  L'imitation  de  Pétrarque  et  des  Italiens 173 

III.  —  M'"  Viole  et  du  Bellay  :  le  roman  d'amour  dans  VOlive.     .  177 

IV.  —  Les  deux  thèmes  de  l'Olive  :  beauté  de  la  dame,  amour  du 

poète ....       179 

V.  —  Les  variations  sur  les  deux  thèmes.  —  La  nature.  —  La  mytho- 

logie. —  Les  figures  de  rhétorique.  —  La  préciosité  ...       183 

VI.  —  L'idéalisme    platonicien    et    l'inspiration    religieuse.    —   Les 

Xlil  Sonnetz  de  l'honneste  Amour  (1332).     ......       188 

VII.  —  La  réaction  contre  le  pétrarquisme.  —  \J Antérotique  (1349J.  — 
La  pièce  A  une  Dame  (1333).  —  La  valeur  et  linlluence  de 
YOlive 194 


542  JOACHIM    DU    BELLAY 

Chapitre  VII.  —  Les  «  Vers  Lyriques  ».    1549 202 

I.  —  Les  odes  de  1549.  —  Le  rôle  de  du  Bellay  dans  l'invention  de 

l'ode 202 

II .  —  Les  odes  philosophiques  et  morales 204 

III.  —  Les  odes  descriptives  et  mythologiques i08 

IV.  —  Les  odes  intimes  et  personnelles 212 

V.  —  Valeur  des  odes.  —  Du  Bellay  rebelle  au  pindarisme  .     .  215 


Chapitre  VllI.  —  Le  «  Recueil  de  Poésie  ».  1549 218 

I.  —  Entrée  d'Henri  II  à  Paris  (16  juin  1349).  —  La  Prosphonéma- 

tique 218 

II.  —  Du  Bellay  se  présente  à  Madame   Marguerite.  —  Origine   du 

Recueil  de  Poésie.  —  Du  Bellay  courtisan     ......  222 

III.  —  Le  Chant  trinmphal  sur  le  voyage  de  Boulongne  et  les  odes 

otlicielles .      .  224 

IV.  —  Les  odes  littéraires 226 

V.  —  Le  Dialogue  d'un  Amoureux  et  d'Echo 232 

Chapitue  IX.  —  Nouvelles  souffrances.  1549-1552  ....  234 

I.  —  Maladie  de  J.  du  Bellay 234 

II.  —  Consolations  que  lui  procurent   les    lettres    et   la   poésie.   — 

La  seconde  édition  de  YOlive  :  l'ode  A  Salmon  Macrin  sur 
la  mort  de  sa  Gélonis  (1530).  —  Le  Tombeau  de  Marguerite 
de  Valois,  Hoyne  de  iVafarre  (1530-1551).  —  Jeanne  d'x\lbret 

et  du  Bellay  :  les  Sonnets  à  la  Royne  de  Navarre     .     .     .  237 

III.  —  Soucis  et  tracas  domestiques 243 

Chapitre  X .  —  Les  «  Traductions  »  et  les  «  Inventions  »  de  1553 .  249 

I.  —  Caractère  du  recueil  de  1552.  —  L'épître-préface  à  Morel  .     .  249 

II.  —  Les  traductions  de  du   Bellay 232 

m.  —  Les  œuvres  de  l'invention  de  l'auteur.  —  La  Complainte  du 

Désespéré 234 

IV.  —  Les  pièces  religieuses 257 

V.  —  Les  pièces  philosophiques 261 

VI,  —  Les  pièces  littéraires 263 

VII.  —  h' Adieu  aux  Muses.  —  Le  voyage  de  Rome  fait  de  .1.  du  Bellay, 

poète  livresque,  un  poète  personnel 267 


TABLE     DES      MATIÈRES  543 

SECONDE    PARTIE 
DU   VOYAGE   DE   ROME   A   LA   MORT 

1553-1560 

Chapitre  1.    —   Départ    pour  l'Italie.  —  Le   cardinal  Jean  du 

Bellay.  1353 271 

I.  —  Le  cardinal  Jean  du  Bellay.  —  Le  politique.  —  L'intellectuel  .       271 
II.  —  Rapports  du  poète  et  du  cardinal  avant  1553 274 

III.  —  État  d'esprit  de  Joachim.  —  Ses  pensées  d'avenir.  —  Ses  rêves 

d'humaniste 279 

IV.  —  Départ  pour  l'Italie.  —  Sainl-Symphorien-de-Lay.  —  Lyon.  — 

Arrivée  à  Home  (juin  1553) 281 

Chapitre  II.  —  Les  «  Antiquitez  de  Rome  »... 285 

I.  —  L'humanisme    et    les    ruines    de    Rome.     —    Promenades    de 

du  Bellay  dans  Rome.  —  Son  poème  Romae  descriptlo.     .       285 
II.  —  Les  Antiquitez  de  Rome  :  les  idées  principales  de  l'ouvrage  .      290 
III.  —  Valeur  du  recueil  :  c'est  une  œuvre  de  transition.  —  Le  Songe. 

—  Une  note  nouvelle  en  poésie  :  le  sentiment  des  ruines.       295 

Chapitre  III.  —   La   Tie   de   Joachim    à   Rome.    1553-15S7.   — 

I.  La  vie  publique 300 

I     —  Palais  du  cardinal  à  Rome.  —  Son  train  de  maison.  —  Fonc- 
tions de  Joachim 300 

II.  —  Rome  en  1553.  —  Situation  religieuse.  —  Situation  politique. 

—  Jules  III.  Sa  politique.  Son  caractère 306 

III.  —  Marcel  II  (1555) 316 

IV.  —  Paul  IV.  —   Le  cardinal  du  Bellay  doyen  du   Sacré -Collège. 

Sa  disgrâce  définitive.  —  Caractère  de  Paul  IV.  —  La 
réforme  de  l'Église.  —  La  guerre  contre  l'Espagne.  —  Rome 
en  155G.  —  L'expédition  du  duc  de  Guise  en  Italie  (1557)     .       320 

Chapitre  IV.  —  La   vie    de  Joachim   à    Rome.    1553-1557.  — 

II.  La  vie  privée 336 

I.  —  Passe-temps  de  Joachim. —  Ses  ennuis,  ses  dégoûts.     .     .     .      .336 
II    —  Ses  consolations.  —  Le   monde   savant   à  Rome.  —  Annib.'d 
Caro.  —  Érudits  et  poètes  :  la  poésie  latine.  —  Satisfactions 
d'amour-propre 341 

III.  —  Les  amis  de  Rome.  —  Magny,  Gordes,  Panjas 347 

IV.  —  Les  amis  de  France.  —  Ronsard  et  Tahureau 351 

V.  —  Le   culte  des   Muses  :  la  poésie  consolatrice.  —  Origine  des 

Poemata  et  des  Regrets .      356 


54 i  JOACHIM    DU    BELLAY 

Chai-itre  V .  —  Les  «  Regrets  ». 3o8 

I.  —  Les  Poemata.  —  Pourquoi  du  Bellay  écrit  en  latin.  —  Valeur 

de  ses  œuvres  latines 3o8 

II.  —  Les  Regrets.  —  Epoque  de  composition.  —  Caractère  nouveau 

du  recueil  :  la  poésie  intime  et  personnelle 361 

III.  —  La   partie  élégiaque   des  Regrets.  —  Les  Tristes  d'Ovide.  — 

Les  douleurs  de  l'exil.  —  L'amour  du  foyer  et  du  sol  natal.       364 

IV.  —  La  partie  satirique  des   Regrets.  —  Les  Satires  de  LArioste. 

—  Comment  du  Bellay  conçoit  la  satire.  —  La  peinture  des 
mœurs  romaines.  —  La  Rome  des  cardinaux.  —   La  Rome 

des  courtisanes 368 

V.   —  Valeur  des  Regrets.  —  L'alliance  du  lyrisme  et  de  la  satire.  — 

Un  nouveau  genre  de  sonnet.  —  Le  style  naturel  et  facile.       377 

Chapitre  VI.  —  Retour  en  France.  1S57-1S58 381 

I.  —  La  passion  de  Joachim  pour  Faustine  (1357) 381 

II.  —  Départ  de  Rome  (août  1537).  —  Itinéraire.  —  Retour  à  Paris. 

—  Une  pièce  de  Dorât .       386 

III.  —  La  maison  de  Jean  de  Morel.  —  Intimité  de  du  Bellay  et  de 

Morcl. 390 

IV.  —  Les  tracas  domestiques  du  retour.  —  Publication  des  recueils 

composés  en  Italie  (1338) 393 

Chapitre  VII.    —  Les   «  Jeux  Rustiques  » 393 

I.  —  Caractère  des  Jeux  Rustiques.  —  Division  du  recueil.  — 
L'inspiration  élégiaque.  —  Fâcheux  retour  au  pétrar- 
quisme.    —   Les    deux    baisers 395 

II     —  L'inspiration  satirique.  —  Formes  diverses   qu'elle  affecte.  — 

L'esprit  de  du  Bellay 400 

m.  —  L'inspiration  rustique.  —  Les  Vœaz  rustiques  de  Naugerius. 

—  Valeur  du  recueil 406 


Chapitre  Vlll.  —Le  «  Poëte  Courtisan  )).1359.     ......  412 

I,  —  La  plaquette  d'I.  Quintil  du  Tronssay.  —  Son  caractère  d'au- 
thenticité. —  Problème  qu'elle  soulève  412 

H.  —  La  Nouvelle  manière  défaire  son  profit  des  lettres.  —  Pierre 

de  Paschal 414 

III.  —  Le  Poëte  Courtisan.  —  Analyse.^  Conlirmation  de  la  Décence.  418 

IV.  —  Origine    et    portée   du   Poëte   Courtisan.    —   Saint- Gelays   et 

du  Bellay 422 

V.  —  Valeur  du  Poëte  Courtisan  :  la  première  satire  française  .  429 


TABLE    DES    MATIEUES  .>Ï0 

Chapitke  IX.  —  Du  Bellay  poète  courtisan.  13S8-1559.     .     .     .      431 

1.  —  Du  Bellay  courtisan.  —  La  dernière  partie  des  Regrets  et  le 
Discours  au  Roy  sur  la  Poësie.  —  Rôle  du  poète  parmi  les 
grands 431 

II.  —  Du    Bellay    et    Henri    II.     —     Médiocrité     des     poésies     de 

circonstance.  —  Le  sentiment  patriotique  chez  du  Bellay  : 
l'Hymne  au  Roy  sur  la  prinse  de  CaUais 434 

III.  —  Du  Bellay  et  François  II.  —  Les  deux  Discours  au  Roy.     .     .      439 

IV.  —  Du  Bellay  et  les   grands  de  la  Cour   :  Catherine  île   Médicis, 

Diane  de  Poitiers,  Jeanne  d'Albret,  Marie  Stuart,  les  Guises, 

Montmorency,   etc 443 

V.   —  Du  Bellay  et  Madame  Marguerite 4V7 

Chapitre  X.  —  Les  derniers  temps.  15S9-1560 4i)3 

I.  —  Les  Lettres  de  J.  du  Bellay  :  leur  intérêt  documentaire.  —  La 

nàssion  du  poète  à  Paris.  —  Du  Bellay  iut-il  prêtre?.     .     .       4o3 

II.  —  Ses  démêlés  avec  l'évêque  et  sa  famille.  —  L'aflaire  des  Regrets. 

—  L'affaire    des    collations.    —   Du  Bellay  et  le  cardinal  : 

les  bénéfices  ecclésiastiques  de  Joachim 439 

III.  —  La  santé  du  poète.  —  Etat  i)hysique  :  les  progrès  de  la  surdité. 

—  État  moral  :  la  ruine  des  illusions 473 

IV.  —  Consolations  poétiques.  —  Les  dernières  œuvres  de  du  Bellay. 

—  Les  Xenia    . 477 

V.  —  Mort   de  J.  du  Bellay  (l"  janvier  loGO)   —  Sa  sépulture  ;  sou 

épitaphe 480 

Cu.vpiTRE  XI.  —  Du  Bellay  devant  l'opinion 484 

I.  —  Du  Bellay  jugé  par  lui-même.  —  Sa  vanité  poétique      .  .       484 

II.   —  Du  Bellay  jugé  par  ses    contemporains.     —    Hommages    fu- 
nèbres :  le  tombeau  du  poète  (lo60)    —  L'édition  de  Morel 
et  d'Aubert  (1.^68-^o69).  —  Du  Bellay  l'égal  de  Ronsard.      .       4S0 
III.  —  Du  Bellay  jugé  par  la  postérité.— Un  sonnet  de  Spenser  (1591). 

—  Les  travaux  des  savants  :  Sainte-Marthe,  Colletet, 
Baillet,  Ménage,  Niceron,  Goujet.  —  Les  Annales  Poé- 
tiques (1778).  —  Le  Tableau  de  Sainte-Beuve  (1828).  —  Du 
Bellay  au  xix^  siècle.  —  L'édition  Marty-Laveaux  (1866-1867). 

—  La  statue  d'Ancenis  (1894).  —  L'Association  Bretonne- 
Angevine     .....       496 

CONCLUSION.  —  L'Homme  et  le  Poète iJH 

INDEX 525 


0 


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162  Travaux  u:  mémoires 

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