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UWn/.
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TRAVAUX & MÉMOIRES
DE
LINIVEUSITE DE LILLE
TOME VIII. — :\lK.MoiiiE N" 24.
Henri CHAMARD. — Joachim du Bellay
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UaS'O)
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LILLE
AU SIÈGE DE L'UNIVERSITÉ, RUE JEAN-BART
1900
Le. Conseil de l'Université de Lille a ordonné l'impression de ce mémoire
le ly janvier iQoo.
L'impression a été achevée, chez Le Bigot Frères, le 20 mars igoo .
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JOACIIIM DU BI^LLAY
i522-i56o
l'AH
HENRI ClIAMAUD
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TRAVAUX ET MÉMOIRES DE L'UNIVERSITÉ DE LILM';
Tome VIII. — Mémoire N« 24.
LILLE
AU SIÈGE DE L'UNIVEllSITÉ, RUE JEAN HAUT
1900
^
JOACHIM DU BELLAY
1522 - 1560
AVANT-PROPOS
Cette étude est le fruit de huit ans de travail. Depuis le
i^i" décembre 1891, il ne s'est passé presque point de jours
sans que je m'en occupe : je lui ai consacré le meilleui' de
mon temps.
J'ai prétendu faire avant tout une étude littéraire, et, dans
ce dessein, pour bien mettre en lumière les divers aspects
du talent poétique, si souple et si varié, de mon auteur, je
n'ai pas craint de prodiguer les citations. Mais, convaincu
que les œuvres littéraires perdent toujours à n'être pas exac-
tement replacées dans leur milieu, j'ai fait à l'histoire une
part très large. Je n'ai négligé aucune occasion d'éclairer
l'œuvre de du Bellay par l'histoire littéraire de son époque.
Semblablement, je n'ai pas cru qu'on pût comprendre à fond
les poèmes qu'il fit à Rome, si l'on ne connaissait l'état
politique et moral de la cité des papes entre i55o et i50o.
Univ. de Lille. Tome VIII. A. i.
Il JOACHIM DL BELLAY
Enfin, j'ai lâché d'apporter le plus de précision possible aux
questions de chronologie, toujours si délicates et d'une si
grande importance.
Malgré son étendue, cette étude reste encore incomplète.
Je nai parlé ni de la langue ni de la rythmique de du
Bellay. Il m'a paru tout à lait inutile de revenir sur le
premier sujet, après les deux volumes de M. Mai-ty-Laveaux
sur la Langue de la Pléiade. Quant au second, j'avais songé
d'abord à lui réserver un chapitre. Mais pour étudier avec
intérêt du Bellay versificateur, il fallait multiplier les rappro-
chements avec ses devanciers et ses contemporains : cela
m'eût entraîné bien loin. J'ai donc mieux aimé n'en rien dire
que de n en dire pas assez, et laisser le sujet entier pour
le reprendre tout au long dans un ouvrage que je projette
sur la Rythmique de la Pléiade.
Au terme de ce long travail, c'est un devoir très doux
pour moi de remercier tous ceux qui m'ont aidé à le rendre
moins défectueux. Je souhaite qu'on retrouve ici la trace des
savantes et lumineuses leçons de mon ancien maître à l'Ecole
Normale, M. Brunetière. Je dois beaucoup à M. Petit de
Julie ville, qui m'encouragea le premier à entreprendre cette
étude, et dont les bons conseils m'ont guidé mainte fois au
cours de mes recherches. J'adi^esse un hommage très recon-
naissant à la mémoire de M. Marty-Laveaux, le consciencieux
éditeur de la Pléiade Françoise, et j'ai grand regret qu'il
n'ait pu voir achevée une œuvre à laquelle il s'intéressait,
et que la sienne seule avait rendue possible. D'autres savants
encore, dont quelques-uns sont mes amis, ont, sur des points
divers, facilité ma tâche par d'utiles indications : M. Camille
Ballu, le dernier biographe de Joachim ; M. Pierre de Nolhac,
AVANT-PUOIMJS III
dont on sail la rei'veur pour les poètes de la IMéiade ;
M. Desdevises du De/erl, professeur à rUniversilé de Cler-
mont-Ferrand ; M. Edouard Droz, professeur à i'Uiuversité
de Besançon ; M. Eruesl Langlois, professeur à T Université
de Lille ; M. Gustave Fougères, maître de conférences en
Sorbonne ; M. Victor Giraud, professeur à rUniversité de
Fribourg. Que tous reçoivent ici l'expression de ma sincère
gratitude. Me permettra- t-on de nommer aussi celle dont la
collaboration me fut toujours si précieuse, la compagne intel-
ligente et dévouée à qui sont dédiées ces pages ?
Lille, 17 novembre 1899.
4
BIBLIOGRAPHIE
AcKERMANN (Paul). — La Deffence et illustration de la langue fran-
coj'se, par Joachim du Bellay ; précédée d'un discours sur le bon
usage de la langue française. Paris, Grozet, iSSq. in-S".
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i2« leçon. Paris, Hachette, 1872, in-8'.
Ampère (J.-J.). — Portraits de Rome à différents âges, publ. dans
la Revue des Deux- Mondes, juin i835 ; réimpr. dans La Grèce,
Rome et Dante. Paris, Didier, 1869, in-8».
Baillet. — Jugemens des savans sur les principaux ouvrages des
auteurs (i685). Edit. de La Monnoye, Paris, 1722, 7 vol. in-4'.
— IV, 412-414.
Ballu (Camille). — Notice sur Joachim du Bellay, dans l'édit. des
Œuvres choisies de Joachim du Bellay, par L. Séché. Paris, 1894,
in-4''. — Biographie, p. xli-cxi; Bibliographie, p. 251-268.
Begker (Henri). — Un humaniste au xvi« siècle. Loys Le Roy (Ludo-
vicus Regius) de Coutances. Thèse. Paris, Lecène et Oudin, 1896,
1 Dans cette liste ne figurent que les ouvrages — éditions et travaux —
qui, de près ou de loin, intéressent Joachim du Bellay. Quant aux autres,
ils seront mentionnés en note dans le cours même de cette|étude.
VI JOACHIM DU BELLAY
Becq dk Fouquifres. — Œuvres choifties: de .Toachim du Bellay. Paris,
Charpentier, i8;6, in-12.
BiNET (Claude). — Discours de la vie de Pierre de Ronsard.
Il en existe trois rédactions, qui présentent entre elles de
notables divergences : 1° celle de i586, publ. à part, Paris,
G. Buon, in-4' de 128 p. ; — 2° celle de i58;, dans la i"^^ édit.
poslh. des œuvres de Ronsard, Paris, G. Buon, in-12, t. IX, p. 107.
(Bibl. Nat. — Rés. pY^. i'2); — 3° celle de 1597, dans l'édit. de
Ronsard ptibl. par la V^*" de G. Buon. t. IX, p. 109. (Bibl. Nat. —
Rés. Y=. 1893-1895). Ce dernier texte, qui constitue le texte clas-
sique de Binet, se retrouve dans l'édit. de Ronsard de 1623, in-P*,
p. 1637. (Bibl. Nat. — Y*. 17). Il est reproduit, à l'orthographe
près, dans les Archives curieuses de Vhistnire de France, de
Ciraber et Danjou, i" série, t. X (i836), p. 359-4^5, et, partielle-
ment, dans l'édit. des Poésies choisies de P. de Ronsard, par
Becq de Fouquières, Paris, Charpentier, 1873 et 1880, in-12 —
Je cite Binet, suivant les cas, d'après les édit. de i58fi, 1087 et
1097. Cf. Rev. d'hist. litt. de la France, 1899, p. 44-
Blanchemaln (Prosper). — i" Edition des Œuvres de Ronsard. Bibl.
elzév , 8 vol. in-i6, 1857-1^67.
Quand je ne cite pas Ronsard d'après les originaux, je renvoie
à cette édition de préférence à celle de Marty-Laveaux, parce
que. reproduisant l'édit. collective de 1060, elle donne, sinon le
texte primitif de Ronsard, du moins un texte contemporain de
J. du Bellay.
— 2" Poètes et Amoureuses. Portraits littéraires du xvr siècle. Paris,
Willem, 1877, 2 vol. formant pagination continue.
BoNNEFOx (Paul). — Pierre de Paschal, historiographe du roi (i522-
1565). Paris, Techener, t883. in-4''.
BouRciEZ (Edouard). — Les mœurs polies et la littérature de cour
sous Henri II. Thèse. Paris, Hachette, 1886, in-8°.
Brunet. — I Manuel du Libraire, a*" édit., 6 vol., 1860-1860. —
Art. Rellaj- (Joachim du), t. I, col. 749-701.
— 2° Supplément, 2 vol., 1878-1880. — Art. Rellaj- {Joachim du),
I. I, col. 100-102.
BII$l,10r.HAI'HIl>: VII
Brunetière. — i" Cours inédit sur le xvi" siècle , professé à
l'École Normale Supérieure, 188G-1887.
— 2° L'évolution des genres dans l'histoire de la littcnitiire, l. 1,
I" leçon. Paris, Hachette, 1890.
— 3* Discours prononcé à l'inauguration de la statue de ,/. du
Bellay à Ancenis, le 2 septembre iSg4 > reproduit dans les
Débats roses du 3 septembre.
— 4* Manuel de l'histoire de la littérature française. Paris, Delà-
grave, 1898.
Brunot (Ferdinand). — i" La doctrine de Malherbe d'après son com-
mentaire sur Desportes. Thèse. Paris, Masson, 1891, in- 8*.
— 2" La première édition lyonnaise du Discours de du Bellay sur
le fait des quatre États du royaume (i56y), article publ. dans
la Reç. de philol. franc, et prov., l. VIII, 1894, p. 89.
— 3» La langue au xvi" siècle, chap. xii du " Seizième Siècle » , dans
la grande Histoire de la littérature française. Paris, A. Colin,
1897.
Chasles (Philarète). — Etudes sur le \vi^ siècle en France. Edit.
de 1876. Paris, Charpentier, in-12.
Clément (David). — Bibliothèque curieuse historique et critique.
Gœttingen, 1750-1753, 4 vol. — III, 63.
Clément (Louis). — 1° De Adriani Turnebi regii professoris prae-
fationibus et poematis. Thèse. Paris, Picard, 1899, in-8'*.
— 2" Henri Estienne et son œuvre française (étude d'histoire
littéraire et de philologie). Thèse. Paris, Picard, 1898, in- 8".
Je n'ai connu ces deux ouvrages qu'après l'entier achèvement
de mon travail.
CoLLETET (Guillaume). — i" Éloges des hommes illustres... composez
en latin par Scevole de Sainte-Marthe et mis en français par
G. Colletet. Paris, 1644. — P. i36-i39.
— 2° L'Art Poétique. Paris, i658.
VllI JOACHIM DU BELLAY
CoLLETET (Guillaume). — 3» Vie de Joachim du Bellay.
Les Vies des poètes français, autographe et copie, ont été
brûlées en 187 1, dans l'incendie de la Bibl. du Louvre. Mais le
ms. Durand de Lançon, à la Bibl. Nat. (Nouv. acq. fr. So^S).
contient une copie anonyme de 1^7 de ces vies. La notice sur
J. du Bellay se trouve aux f*' 46 r» - 67 v°. J'ai fait moi-même une
transcription intégrale de cette copie souvent fautive, surtout
dans les citations latines.
Grépet (Eugène). — Les Poètes Français. Paris, Gide, 1861, t. Il :
De Ronsard à Boileau. — P. 55, notice sur J. du Bellay,
signée G.-L.
Crosnier (Alexis). — Les « Regrets » de Joachim du Bellay.
Conférence faite à l'Université catholique d'Angers, le aS février
1894, et publ. dans la Rev. des Fac. cath. de l'Ouest, juin 1894.
Darmesteter et Hatzfeld. — Le seizième siècle en France. Edit.
de 1887. Paris, Delagrave, in-12.
Dejob (Charles). — Marc-Antoine Muret. Thèse. Paris, Thorin,
1881, in-8°.
Dupré-Lasale (Emile). — Michel de LHospital avant son élévation
au poste de chancelier de France. — V"^ partie (i5o5-i558). Paris,
Thorin, 1875, in-80 ; ^^ partie (i555-i56o). Paris, Fontemoing,
1899, in-8 .
J'ai connu trop tard pour en profiter la deuxième partie de cet
ouvrage, beaucoup plus importante que la première en ce qui
louche du Bellay.
Du Verdier. — Bibliothèque française (i584). Edit. Rigoley de
Juvigny, Paris, 1772-1773, 4 vol. in-4°- — IL 534-543.
Egger. — L'Hellénisme en France. Paris, Didier, 1869, 2 vol. in-8% t. I,
notamment 8' leçon.
Faguet. — i' L'humanisme français au xvi* siècle, leçon d'ouverture
publ. dans la Revue Bleue, 17 janvier 1891.
— 2° Seizième siècle. Études littéraires. Paris, Lecène et Oudin, 1894,
in-12.
BIBLIOGRAPHIE IX
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Fremy (Edouard). — U Académie des derniers Valois (i5yo-i585),
d'après des documents nouveaux et inédits. Paris, Leroux, 1887,
gr. in-8'. — Chap. i : Les origines de l'esprit académique.
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Dangin, 1882, brochure.
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Fleury et Dangin, 1892, brochure.
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2° édit., Paris, Gaunie, i8;8, in-80 (la i" édit. est de iHôç)). —
P. 529-543.
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in-i2. — XII, 117-138.
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Metz-. Paris, libr. de l'Art, 1891, gr. in-8^
La Croix du Maine. — Ribliothèque françoise (i584). Édit, Rigoley de
Juvigny, Paris, 1772, 2 vol. in-4°. — H, 1-2.
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in-i2. — 3' partie, liv. III, chap. i et 11.
Lenient. — I' La satire en France ou la littérature militante au
xvp siècle. Édit. de 187;. Paris, Hachette, 2 vol. in-12. — I, 120 et
U, 2i5.
X JOACHIM DU BELLAY
Lexient. — 2° La poésie patriotique en France dans les temps modernes.
Édit. de 1894. Paris, Hachette, 2 vol. in-12. — I, chap. v.
LiDFORSs (W. Edouard). — Observations sur l'usage syntaxique de
Ronsard et de ses contemporains. Avec une (sic) appendice conte-
nant la Défense et illustration de la langue françoise, de loachim
du Bellay. Lund, i865, in -8".
LioTARD. — Etude sur Joachimdu Bellay. Nîmes, Clavel-Ballivet, i863,
in-8'' de 24 p.
LisEux (Isidore). — Édit. des Jeux Rustiques et des Regrets, reprod.
de l'édit. orig:. (i558), Paris, i8-5 et 1876, in-32.
Marchand (abbé Gh.). — De Graecarum litterarum studio apud Ande-
gavos in xvi" seculo. Thèse. Angers et Paris, 1889, in-8°.
Marty-Laveaux (Charles). — La Pléiade Françoise, 20 vol. in-8''.
Paris, Lemerre, 1866-1898.
Les œuvres de J. du Bellay ont paru les premières de toutes,
2 vol. avec notice biographique, 1866-1867. Il faut y joindre un
supplément assez considérable, au t. II de V Appendice (1898),
p. 384-4o"3. Cette édition ne contient que les œxxvvc^ françaises
du poète : les œuvres latines n'ont pas été réimprimées.
Masson (Papire). — Elogia. Édit. Balesdens, Paris, i638, 2 vol. (Bibl,
Nat. — Rés. G. 2612) .
L'éloge de J. Dorât est de i588.
Ménage — i" Anti-Baillet (1688). Édit. de La Monnoye, Paris, i^So,
in-4°. — Chap. xxxv, xlv, lxxi, cix et cxlv, p. 65, 93, 146,
229 et 439-
— 2° Menagiana. 3'^ édit.. donnée par La Monnoye, Paris, i'i5,
4 vol. in-12. - III, 268 et 38i ; IV, 4.
L'édit. orig. (Paris, i6()3, i vol. in-12) ne contient rien sur
J. du Bellay, non plus que la 2^ édit. (1694).
M0NNIER (Eugène). — La fontaine comme morative de Joachim, du
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Hiru.rOGHAF'HIE XI
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gentilhomme angevin, publ. pour la première l'ois d'après un
manuscrit de la Bibl. Nat. Paris, Guiraudel cl Jouausl, mars iS/Jcj.
Extrait du journal V Amateur de Livres.
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NiCERON. — Mémoires pour servir à Vhisioire des hommes illustres
dans la république des lettres. Paris, 1727-174;'), 4^ vol. in-12.
— XVI, 390-401, et XX, ioi-io3.
NiSARD. — Histoire de la littérature française. i3« édit., Paris,
Firmin-Didot, 1886, 4 vol. in-12. — Liv. II, chap. iv ; t. I, p. 342.
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pour la première fois d'après les originaux. Paris, Charavay, i883.
M. de Nolhac a retrouvé depuis deux lettres inédites de J. du
Bellay, qu'il a publiées dans la Itev. dldst. litt. de la France,
1894, p. 49? et 1899, p. 36o.
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74* fasc). Paris, Vieweg. 1887, in-8'.
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ticle publ. dans la Rev. d'hist. litt. de la France, i5 juilfel 1899,
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l'auteur), liv. VI, chap. vu : De la grande flotte de poètes
que produisit le règne du roy Henry deuxiesme, et de la nouvelle
forme de poésie par eu.x introduite.
Dans l'édit. de 1723, le liv. VI devient le liv. VII.
— 2" Lettres, dans l'édit. des Œuvres comp/éies^ Amsterdam (Trévoux),
1723, 2 vol. in-f".
XII JOACHIM DU BELLAY
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Londres, Macmillan, 1S89, in-8*. — P. 162-185 : Joachim du Bellay
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184 1, in-8".
Pellissier. — 1° De sexti decimi saeculi in Francia artibus poeticis.
Thèse. Paris, Vieweg, 1882, in-8»,
— 2° Ronsard et la Pléiade, chap. iv du «' Seizième Siècle », dans
la grande Histoire de la littérature française. Paris, A. Colin,
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et suivie du Quinlil Horatian. Paris, L. Cerf, 1878 et 1892, in-8°.
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einer Einleitung : die Einfiihrung des Sonetts in Frankreich.
Leipzig, 1898, in-8".
PiÉRi. — Pétrarque et Ronsard, ou de l'influence de Pétrarque sur
la Pléiade française. Thèse. Marseille, LafQtte, 1895, in-8''.
Pi.wERT. — Jacques Grévin (i 538-i5~o). Sa vie, ses écrits, ses
amis. Ktude biographique et littéraire. Thèse. Paris. Fontemoing,
1898, in-8».
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la réforme de Ronsard. Berlin, F. -A. Herbig, i8;4, in-8'' de 68 p.
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Francfort, 1609, 3 vol. in-i6.
Les poésies latines de J. du Bellay s'y trouvent en partie, l,
390-487.
BIBLIOGHAPHIE XIII
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Firmin-Didot, i853, in-S».
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et Présent. Paris, Didier, i85t), 2 vol. in-8». — ï. 1, p. 281 :
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Bellay. Mémoire lu par l'auteur à la réunion des Sociétés
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Cette étude est suivie des lettres de J. du Bellay, publ. d'après
le manuscrit de Montpellier (Bibl. de l'Éc. de Méd., H. 24).
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1868, in-16. — P. 210-216, fragments de la Vie de J. du Bellay,
par CoUetet.
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dans la Rev. d'hist. litt. de la France, 10 avril 1895, p. 233.
— 2" Charles Fontaine et ses amis. Sur une page obscure de la
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xvie siècle. Édit. de 1862. Paris, Didier, in-12.
XIV JOACHIM DU BELLAY
Sainte-Beuve. — i' Tableau de la poésie française au xvi^ siècle
(1828). Édit. de 1893. Paris, Charpentier, in-12.
— 2" Notice sur Joachlm du Bellay, publ. dans la Revue des Deux-
Mondes, i5 octobre 1840 ; reprod. en tète de Tédit. des Œuvres
choisies de J. du Bellay, par V. Pavie, Angers, 1841, in-S" ; réiinpr.
à la suite du Tableau, p. 327, édit. de 1893.
— 3* Joachlm du Bellay, trois articles publ. dans le Journal des
Savants, avril, juin, août 1867, à propos de l'édit. Marty -
Laveaux ; réimpr. dans les Nouveaux Lundis, t. XIII, Paris,
G. Lévy, 1870, in-T2.
Sainte -Marthe ( Scévole de). — Galloruni doctrlna lllustrium
Elogla.
11 en existe trois édit. publ. par Sainte-Marthe lui-même
à Poitiers, 1098 (in-S% i liv.), 1602 (in-4'', 2 liv.), 1606 (in-12,
4 liv.). La 3^ édit. présente des variantes par rapport aux deux
autres. — Pour J. du Bellay, cf. 1Ô98, p. 39-41, et 1606, p. 60-61.
— Les Éloges de Sainte-Marthe ont été traduits en français par
CoUetet (i644).
Sautreau de Marsy et Imbert. — Annales Poétiques ou Almanach
des Muses. Paris, Delalain, 1758. — IV, 4i-2o5.
SÉCHÉ (Léon). — i'^ Joachlm du Bellay. Documents nouveaux et inédits.
Eaux-fortes par Pierre Vidal. Paris, Didier, 1880, in-80.
— 2° La poésie bretonne-angevine, introduction à son édition des
Œuvres choisies de Joachlm du Bellay. Paris, 1894, in-40 (édit. du
Monument).
— 3" Revue des Provinces de V Ouest, ann. 1894 et 1895, principale-
ment n" de septembre 1894, 1- XIV.
— 4" Les de Bàif et la Cour-des-Pins. Notes sur la Pléiade, article
publ. dans la Revue Bleue, 29 juillet 1899.
Teissier (Antoine). — Les éloges des hommes savans, tirez- de l'Histoire
de M. de Thou, avec des additions... 4'^ édit., Leyde, 1710, 4 vol.
in-12, — II, io-i3.
BlllLlOGUAlMllE XV
Tell (J.). — La Défense et illustration de la lani^mc française, irimpr.
d'après l'édit. <ie l^yon (Aiil. de llarsy, liïyo). liilroduclion cl com-
mentaire. Bruxelles, F. Callewaerl père, 18^5, in-iG.
Thou (J. a. de). — Historiae sui temporis, lib. XXVI, aiin. i56o. Édil.
de Londres, Samuel Buckley, 1^33, 7 vol. in-l". — II, 72.
TiTON DU TiLLET. — Le Par/tusse François, tldil. de 17312. l'aris.
Geignard, in-i". — P. 126-128.
TuRQUETY. — Etude sur Joachim du Bellaj', pul>l. dans le Bulletin du
Bibliophile, novembre 1864, p. 112.5.
Vauquelin de laFuesnaye. — UArl l'oëtique (iGoo). Edil. G. l'ellissier,
Paris, Garnier, 1880, in-12.
ViANEY. — Mathurin Be^-nier. Thèse. Paris, Ilaelietle, 189G, iu-8".
Waddington. — Rumus {Pierre de la Ramée). Sa vie, ses écrits et ses
opinions. Paris, Meyrueis, i855, in-8'\
Wey (Francis). — Histoire des révolutions du langage en France. Paris,
Firmin-Didot, 184S, in-8".
Magasin pittoresque, 13' année, septembre 1840, p. 290.
Mélanges tirés d'une grande bibliothèque. Paris, Moulard, 1780. —
VII, 103-174.
N.-B. — Je cite J. du Bellay : pour la Deffence, d'après l'édit. Person :
pour les Regrets et les Jeux Rustiques, d'après l'édit. Liseux ; pour les
Lettres, d'après l'édit. P. de Noihac ; et pour les autres œuvres, d'après
l'édit. Marty-Laveaux. Dans les références, les chiffres romains indiquent
le tome, les chiffres arabes la page : toutefois, dans les chap. m et iv de
la 1" partie (analyse de la Deffence), le chiffre romain indique le livre,
le chiffre arabe le cliapitre. J'ai respecté partout dans les citations
l'orthographe des auteurs, me bornant seulement à distinguer le j de ïi
et le V de Vu.
INTRODUCTION
Le 2 septembre 1894, la petite ville cVAncenis érigea solen-
nellement une statue au poète Joachim du Bellay. Ce fut une
fête des plus brillantes, discrète pourtant et point tapageuse,
comme il convenait à ce doux chanteur, une fête qui sut
garder, dans son caractère officiel, quelque chose d'intime et
de bien local. Un inspecteur des Beaux-Arts, conteur joyeux
et délicat poète, parlait au nom du Gouvernement '. L'Aca-
démie Française s'était fait représenter par le plus achevé de
nos sonnettistes " et par le plus éminent de nos critiques '.
Nombre de lettrés étaient venus d'un peu partout dans ce
coin de province saluer Tauteur de la Deffence et des Regrets.
Depuis cinq ans, au bord de la Loire, fièrement campé
sur son piédestal de granit blanc, du Bellay, dans l'attitude
un peu sévère dune rêverie douloureuse, contemple les eaux
de "son fleuve gaulois, qui coulent mélancoliques à ses pieds,
et là-bas, tout en face, sur l'autre rive, les coteaux de Lire,
son bourg natal, où jadis se dressa le manoir paternel. Grâce
à l'énergie d'un Breton, homme de lettres distingué, qui s'est
fait l'apôtre de son culte *, du Bellay l'Angevin, le poète aux
' M Armand Silvestre.
- M. José-Maria de Heredia.
' M. Ferdinand Brunelière.
* M Léon Séché d'Ancenis, historien et poète, directeur de la Revue des
Provinces de L'Ouest, président de l'Association Bretonne-Angevine, qu'il a
fondée sous le patronage de Joachim du Bellay.
Univ. de Lille. Tomk VlU A. I.
2 JOACHIM DU BELLAY
ardeurs généreuses, aux nobles ambitions, épris ditiéal ,
amoureux de renommée, a fini par obtenir de ses compa-
triotes, après trois siècles d'attente, le témoignage dadmiration
que rêvent tous les jaloux de gloire : un sculpteur de talent,
ravi trop tôt à l'Art par une mort tragique', a lixé ses traits
dans le bronze. Trouvera-l on qu'il soit téméraire de lui
rendre maintenant une autre espèce d'hommage ? Je voudrais,
dans une étude d'ensemble aussi véridique que possible ,
retracer l'histoire de sa vie et de ses œuvres. Ce fervent des
Muses a droit aux honneurs d'une monographie.
Un intérêt particulier s'attache à sa personne. C'est une
des ligures les ])lus originales en même temps qu'un des
poètes les plus personnels du xvi*^ siècle. Nature sensible,
d'une sensibilité très délicate et presque maladive, il avait un
gi'and fonds de tendresse : c'était une âme aimante, câline,
portée d'elle-même à s'épancher, d'un commei'ce agréable et
facile, très ouverte, très sincère, très constante en amitié.
Mais, d'une grande mobilité d'humeur, comme tous les gens
très sensibles, il subissait les impressions les plus diverses,
allait vite d'un extrême à l'autre, passait en peu de temps
de l'enthousiasme au découragement. Il était susceptible,
impatient, irritable, pronq)t à s'aigrir. Et dès lors, il devenait
incisif et moi'dant : car il uv;iit beaucoup d'esprit, et ilu
meilleur. Avec cela, de la lierté, de l'assurance, j-e n'oserais
dire de la morgue, mais un certain contentement de soi-même
qui sentait son gentilhomme, un air de grand seigneur très
conscient de ce qu'il vaut. — De toutes ces (pialités et de
' .Vdolplu' Lcol'anli.
INTRODUCTION 3
tous ces défauts s'est formé un poète singulier, inégal sans
doute, mais bien personnel. Il s'est fait de son art une haute
conception. Il n'a pas cru la poésie inférieure aux vanités
mensongères qui séduisent le commun des hommes : il l'a
proclamée divine. 11 a pensé qu'elle était autre chose (ju'un
futile passe-temps. Il a voulu l'élever au-dessus de l'éphémère
et du frivole : il a voulu qu'elle traduisît son rêve de beauté.
Tour à tour il a redit dans ses vers les pures jouissances
d'un amour idéal, son désir passionné de gloire, les ruines
imposantes d'un passé qui fut grand, les voix rustiques de
la nature. Aux heures où son esprit était en verve, il a
tracé, des spectacles qu'il avait sous les yeux, des peintures
humoristiques, d'une vérité presque brutale, d'une satire aiguë
et pénétrante, d'une ironie parfois bien amère. Aux heures
plus fréquentes des tristesses, il a pleuré les longues mélan-
colies de son àme, ses rêves déçus, ses espoirs trompés, les
dures souffrances de l'exil sur une terre étrangère, ses regrets
de la patrie absente, des amis lointains, du foyer délaissé,
là-bas, au doux pays natal'. Il a fait de ses chants un écho
de son cœur ; il a laissé jaillir du fond de lui-même une
source de poésie réelle, intime, vraiment vécue.
L'intérêt qui s'attache à du Bellay comme homme et comme
poète se double de ce qu'il s'est trouvé mêlé à l'une des
questions les plus importantes, à la plus importante peut-être,
de notre histoire littéraire : l'introduction des modèles antiques
dans notre poésie et la fondation du classicisme. Il appar-
tenait à cette noble phalange d'écrivains qui voulurent pour
la France une gloire littéraire égale à celle de l'Italie, qui
se donnèrent la mission de défendre la langue maternelle
contre les attaques de ses détracteurs, d'illustrer la poésie
nationale, si pauvre encore, en la mettant à l'école de l'Anti-
quité. Il fit partie de cette Pléiade qui conçut et créa chez
nous la grande poésie. Dans ce groupe fameux, il tint le
4 JOACHIM DU BELLAY
second rang, mais à peu de distance du premier, A Tlieure
de la bataille, ce lut lui qui donna le signal et qui frappa
les premiers coups. Il lança le manifeste qui formulait pour
le public les fières prétentions de la jeune Brigade, ses visées
esthétiques, tout son credo littéraire. Lorsque les rimeurs
de la vieille école , surpris dans leur quiétude , atteints
dans leur prestige, essayèrent de riposter, — tandis que
Ronsard observait un silence dédaigneux, c'est encore lui qui
prit la plume pour glorifier l'œuvre commencée et la défendre
contre l'attaque des adversaires '. Des premiers, il voulut
mettre en pratique les théories, joindre l'exemple aux préceptes :
il contribua pour sa part, et largement, à naturaliser les
genres nouveaux : il composa des sonnets avec Pontus
de Tyard, des odes avec Ronsard. Enfin, aloi-s qu'il n'était plus
tout à fait en comnmnion d'idées avec ses amis, alors qu'il avait
renoncé pour son compte aux belles ambitions du début, il ne
cessa pas de s'intéresser à leurs tentatives ; il suivit d'un œil com-
plaisant leurs efforts et leurs progrès ; il les regarda volontiers
marcher dans la voie qu'il avait ouverte et que, par impuissance
ou lassitude, lui-même avait abandonnée. Ainsi, l'histoire de
du Bellay tient à Thistoire de la Pléiade, au point d'eu être
plus d'une fois inséparable.
Mais ce qui fait l'intérêt de cette étude en fait aussi la dilliculté.
C'est une tâche délicate et peut-être impossible de vouloir exacte-
ment démêler ce qui, dans cette commune entreprise, revient en
propre à du Bellay. Tous ont contribué plus ou moins, par un
échange de vues, à former la somme des idées qui constitue leur
' La seconde préface de VOlive
INTRODUCTION 5
doctrine en matière de poésie, et la Doffence, pour être signée
de son nom, n'est pas son œuvre à lui tout seul : c'est l'ellort
collectif des élèves de Dorât au (Collège de Goqueret. Dès
lors, on voit l'écueil : si Ton ne peut comprendre du Bellay
sans la Pléiade, s'il faut à chaque instant éclairer son œuvre
par celle de ses amis, n'est-il pas à craindre que le cadre
n'empiète sur la peinture ? Il ne faut pourtant pas qu'une
monog-raphie sur Joachim du Bellay dégénère en une étude
générale de la Pléiade.
D'autre part, si le premier mérite de notre personnage, si
son plus beau titre de gloire est d'avoir été, dans la meilleure
partie de son œuvre, un poète personnel, qui s'est mis tout
entier dans ses vers, qui leur a confié les mille sentiments de
son àme mobile, quel intérêt n'aurions-nous pas, pour le bien
saisir, à connaître avec précision les détails de son existence !
Combien il serait précieux pour nous de pénétrer sa vie intime,
d'évoquer la vision lumineuse de ces années d'enfance et de
jeunesse, si capitales pour la formation du caractère, de res-
susciter, pour ainsi dire, dans leur aspect multiple, les journées
de son âge inùr, occupées aux études, aux plaisirs, aux
affaires I Malheureusement bien des points restent obscurs
dans cette vie si tourmentée. J'ai tâché de percer le nuage
qui recouvre son jeune âge : mes recherches mont appris peu
de chose. Sur son séjour à Rome, il plane encore, j'en ai
peur, plus d'un mystère ; et si quelques lettres de lui nous
laissent entrevoir les causes de sa disgrâce et les ennuis de ses
derniers jours, on voudrait cependant sur ces questions une
lumière plus complète. Ainsi, quoi que j'aie pu faire, cette
biographie présentera bien des lacunes. Elles sont d'autant
plus regrettables que, chez du Bellay, l'œuvre tient à la vie
par des liens étroits, et que la connaissance de l'une est
nécessaire à la compréhension de l'autre : ici, le poète et
l'homme ne font qu'un.
JOACHIM DU BELLAY
Cette considération nous impose une autre méthode que
celle qui préside en général aux monographies littéraires. La
division traditionnelle, qui consiste à passer successivement en
revue la vie et Tceuvre d'un écrivain, ne peut être de mise
dans la présente étude : elle aurait le tort grave de séparer
ce qui doit marcher de pair.
Le voyage que du Bellay fît à Rome en i553 partage en
deux son existence, et de même sa carrière poétique.
Au début, du Bellay, tout entier sous l'inQuence des leçons
de Dorât et des idées échangées avec ses amis de collège, fait
les plus beaux projets pour la réforme de la poésie. Il a
Tambition d'être un novateur. 11 donne aux théories une grande
im})ortance. Mais, comme il sait peu de chose de la vie et
qu'il n'a prescjue rien à dire par lui-même, il est réduit le
plus souvent à s'inspirer des autres : il emprunte, il imite, il
traduit. C'est avant tout un poète livresque.
Mais son parent le cardinal du Bellay l'emmène à Rome.
Ce poète livresque échappe aux doctrines d'école, à l'action
de ses amis. Le voilà tout d'un coup en contact avec la vie,
et ce contact est douloureux. Il souffre, il s'abîme en lui-même,
il pleure au fond de Tàme. Adieu les théories et les projets
d'antan ! Les amertumes de la réalité lui font oublier les rêves
caressés naguère. Il écrit pour lui seul et pour quelques
intimes : il retrace simplement ses souffi-ances et, lorsqu'il se
croit le moins novateur, devient le plus original. C'est vraiment
alors un poète personnel.
Poète livresque et poète personnel, — telles sont les deux
phases du talent de Joachim du Bellay. Le voyage de Rome
INTRODUCTION 7
marque la séparalion. Dès lors, ce travail coinpi-cuclra deux
parties :
i" de la naissance au voyage de Komc ;
2" du voyage de Rome à la mort.
Dans chacune de ces parties, je ferai concorder autant que
possible, et dans la mesure où la clarté n'en souflrira pas,
l'histoire de la vie et l'étude des œuvres. Jaurais pleinement
réussi dans ma tâche d'historien, si, parvenu au terme de ce
livre, le lecteur emportait de mon poète une image vivante
et conforme à la vérité.
Iv,
\
PREMIÈRE PARTIE
DE LA NAISSANCE AU VOYAGE DE ROME
1S22 - 1553
CHAPITRE
ENFANCE ET JEUNESSE
PREMIÈRES SOUFFRANCES — PREMIÈRES ÉTUDES'
1522- 1547
I. — L'Anjou et la Loire.
II. — La famille du Bellay. — La branche cadette : les quatre
frères du Bellay. — La branche aînée : les ascendants du
poète.
III. — Naissance de Joachim. — Premières années : commerce avec
la nature — Premières souffrances : malheurs domesti-
ques. — Désœuvrement intellectuel. Rêves de gloire.
IV. — Séjour à Poitiers. — Poitiers au XVI*" siècle — Études
juridiques et littéraires. — Premiers essais poétiques. —
Influence de Muret. — Influence de Salmon Macrin. —
Influence de Peletier.
V. — Rencontre de Ronsard. — Départ pour Paris.
Un chroniqueur angevin du xvi" siècle. Paschal Robin du
Fauz, célébrant V excellence et Vantiquité de son pays natal, dit
' Indications Bibliographiques.
Pour la vie de Joachim du Bellay, les principales sources à consulter
sont les suivantes:
— D'une façon générale, les Œuvres françaises et latines du poète, et
plus particulièrement : la Complainte du Désespéré, 1;»2 (édit. Marty-
Laveaux, II, 1) : — les Poemata. irwS (Paris, F. Morel, in-4) — les Regrets
12 .lOACHIM DU BELLAY
qu'au premier abord l'histoire de l'Anjou, cette petite province
qu" enserrent de tous côtés Bretons, Manceaux, Ghartrains, Ven-
domois, Tourangeaux et Poitevins, pourrait sembler à la plupart
des lecteurs sans grand intérêt; puis il ajoute, dans son lan-
gage naïf et pittoresque : (( Toutesfois quand ils voudroient
s'arrester à revoir les bonnes et riches villes, le grand nombre
des grandes rivières, les anciennes et sacrées églises, les opu-
lentes abbayes, les doctes ordres des convents, les antiques
baronnies, chastellenies, et presque innumerables seigneuries de
noblesse, en partie érigées en comtez, marquisats, principautez,
et autres grades signalez : avec les officiers royaux anciens et
modernes de l'une et l'autre robbe, les ports, passages, ponts,
arches, tours, forteresses, chasteaux, maisons illustres et nobles
séjours des gentils -hommes et seigneurs reluisans en vertus
par ce beau pays, comme luisantes estoilles par l'estendue du
ciel : ensemble le traficq' avec l'estranger, la commodité des
voictures, l'excellence des bons vins blancs et clairets, les pes-
ions (édit. I. Liseux, 1876); — les Lettres, l^m (étlit. P. de Nolhac, 1883); —
enfin et surtout, YElégie latine à Jean de Morel, publiée seulement en lo69,
à la suite des Xenia, maifi qui date de la lin de 1539. Cette élégie, dit Sainte-
Beuve, est son « testament ». Marty-Laveaux en a reproduit les passages
essentiels dans l'Appendice de son Du Bellay, p. xxxui.
— Les pièces latines et françaises que les amis du poète ont consacrées à
sa gloire et qui forment son Tombeau, lofiO. (V. les édit. originales).
— La Vie de Ronsard, par Binet.
— Les Eloges de Sainte -Marthe.
— Les ouvrages de Golletet, Baillet, Ménage, Niceron et Goujeï,
mentionnés à la Bibliographie.
— Le Dictionnaire de Morkri (20' édit., 1759), art. Bellay et Chabot.
— La Notice de Sainte-Beuve, écrite en 1840 pour l'édit. V. Pavie et
réimprimée à la suife du Tableau de la poésie française au xvi" siècle.
— Le Mémoire de Revillout, 18(17.
— La Notice de 1\L\rty-La veaux, en tète de son édition.
— Le Dictionnaire de Maine-et-Loire de C. Port, 1878, art. Duhellay,
Lire, Turmelière.
— La plaquette de L. Séché sur Joachim du Bellay, 1880.
— La Notice de C. Ballu, qui précède l'Édition du Monument, 1894. C'est
le dernier travail publié sur la vie du poète, le moins incomplet et le mieux
informé.
ENFANCK ET JEUNESSE 13
chéries, les forests, les chasses à toutes bestes et oyseaux, la
l'oisou de toutes sortes de grains, les perrieres de tulleaux,
ardoises, marbres, et autres pierres blanches, grises, noires, et
d'autres couleurs : les couslaux et vallées, les plaines, bourgades,
villages et paroisses, les bénéfices et . domaines ecclésiastiques,
royaux , nobles , roturiers et populaires : et finalement un
incroyable nombre d'habitans de tous estats, et un million
d'autres singulières particularitez d'Anjou : je ne doute point
qu'ils n'admirassent la grandeur et excellence de ceste belle
patrie '. »
Cette belle patrie est en elïct une des plus douces contrées
de France. L'air y est pur, le climat tempéré : point de froids
rigoureux, point de chaleurs extrêmes. Le sol y produit toute
sorte de biens. C'est un épanouissement de vie large et gaie,
de richesse plantureuse. L'abondance de toutes choses « dans
la suavité de lair et du sol " » a t'ait à cet heureux pays
une antique réputation de mollesse et de facilité '.
Le grand charme de l'Anjou, comme aussi de la ïouraine.
c'est son fleuve, cette Loire aux eaux claires qui le traverse
de part en part. Elle coule sur son lit de sables, d'un cours
nonchalant, semée d'iles verdoyantes, entre deux rives her-
beuses qui s'allongent en courbes flexibles , indéfiniment.
D'Angers à rSantes, à perte de vue, s'étend une vaste suc-
' Brief discours ffentil et proufitable sur l'excellence et antiquité du pays
d'Anjou... par le sieur Du/au- Robin, Gentil-homme Angevin, p. 4. Paris, 1l)82.
(Bibl. Nat. — Lki. 116). — Rapprocher un curieux chapitre d'un autre chro-
niqueur angevin, Jehan de Bourdigné, Clironiques d'Anjou et du Maine
(Angers, 1529), V" part., chap. iv : « En quelle contrée de Gaulle est le pays
d'Anjou situé. Et de la fertilité d'icellur, et quelles fore stz et fleuves plus
renommés y sont ». Réimpression du G" de Quatrebarbes, Angers, Cosnier
et Lachèse, 1842, 2 tom. en 1 vol. in-8', p. 20. (Bibl. Nat. — Lk:i. 114).
- Sainte-Beuve, Notice sur J. du Bellay, p. 353, n. 1.
^ Andegavi molles, dit une expression devenue proverbiale qu'on vou-
drait faire remonter jusqu'à César. Faciles Andegavi, dit une autre locution
que rappelle fièrement J. de Bourdigné, l'attribuant à Philippe de Longoil,
« orateur françoys, homme de grant littérature » (l"' part., chap. v, p. 25).
14 JOACHIM DL BELLAY
cession de champs, de prés, de bois, de jardins et de vigno-
bles. Au bord du fleuve, poussent des saules, des trembles, des
peupliers. De vertes collines, de distance en distance, servent
de cadre à cette jolie vallée, et, vivant témoignage que l'homme
se complaît au sein de cette riante nature, les villes et les
bourgs s'élèvent dans toutes les directions, avec un air d'ai-
sance et de gaieté : lorsqu'on descend la Loire, partout, sur
les deux rives, on ne voit que moulins à vent, tourelles de
châteaux et flèches d'églises. Ce n'est pas que ces paysages
ollrent une très grande variété. Sous la douce lumière d'un
ciel bleuté que sillonnent de légei's nuages, ils se déroulent,
tranquilles et sereins, dans leur grâce un peu monotone. Il
s'en exhale pourtant une poésie délicieuse : cette quiétude
parle au cœur et le séduit '.
A'oilà le pays qui donna naissance à Joachim du Bellay,
les horizons paisibles et lumineux qu'il contempla dès ses
tendres années.
II
Il était issu d'une antique famille de l'Anjou -, qui pré-
tendait remonter au temps d'Hugues Capet '\ Les du Bellay
tiraient leur origine et leur nom d'un petit fief situé près
d'Allonnes-sous-Montsoreau *. Longtemps obscure, cette famille
n'avait commencé de se faire un peu connaître que vers le
' Cf. laltrayanle description que iail du paj s d'Anjou — qu'il connaît si
bien et chérit si fort — M. Léon Séché, dans son Introduction aux Œuvres
choisies de Joachim du Uellay, p. xvii sqq.
- Sur loriginc de cette famille qu'on a souvent confondue^ bien à tort,
avec une autre famille également angevine, les Bellay de Montreuil, v. Cél.
Port, DicUonn. de i\Iaine-et-Loirp, art. bubellay, t. II, p. 00, et Ballu, Notice
surJ. du Bellay, p. xli sqq.
■ « .Jam intle a (Lapeti Régis tenq)()ribus, qui aute sexcentos aiinos reruni
iii Gallia potitus est, BcUaiorum gens et genei'e illuslris et reruni gestarum
magnitudine uobilis eniluit ». Saiule-Marlhe, ELogia (l.j"J8), p. 12.
' Commune du canton de Saumur (Maine-et-Loire).
ENFANCE Eï JEUNESSE 15
xiuo siècle avec Hugues 111 du Bellay , chcvalici' , seij^neur
des Brosses d'AUonncs. Elle s'était signalée au xv^ siècle
dans les guerres contre les Anglais. Ses armes étaient d'argent
à la bande J'a.setêe de gueules, accDiupagiiée de six fleurs de
Ij'S d'azur mises en orle, Irais en ehef et trois en jiointe.
Au milieu du xvi® siècle, elle était à coup sûr une des
plus illustres parmi la noblesse de France. Cette illustration,
elle la devait à quatre frères de la branche de Langey ', qui
s'étaient fait un nom glorieux dans la politique et dans l'Eglise,
dans les armes et dans les lettres.
L'aîné, Guillaume, grand capitaine et fin diplomate, avait
joué sous François F^ un rôle des plus brillants. Je n'ai pas
à rappeler les services qu'il rendit au souverain, ses missions
en Espagne, en Italie, en Angleterre, en Allemagne, ses
exploits militaires, surtout sa défense du Piémont, dont il
était gouverneur, contre les Impériaux. <( Cet honnne-là ma
fait plus de mal que tous les Français », disait de lui
Charles-Quint.
Le second, Jean, évêque et cardinal, avait ' constamment
secondé les efforts de son frère. La situation éminente qu'il
occupait dans l'Eglise, en lui permettant d'entamer et de
poursuivre, sous des dehors religieux, des négociations subtiles
et délicates, lui donnait sur la marche des affaires une iniluence
considérable. 11 tient d'ailleurs dans la vie de Joachim une
place trop importante pour qu'il n'y ait pas lieu, quand
l'heure en sera venue, de s'étendre sur son compte.
Martin, le troisième, avait suivi Guillaume dans la carrière
des armes. Il avait pris une part active à toutes les guerres
' C'est une branche cadette : ces quatre IVères — Guillaume, Jean, Martin
et René — étaient les enfants de Louis du Bellay, seigneur de Langey, troi-
sième lils de Jean IV du Bellay. — Le poète au contraire appartenait à la
branche aînée, descendant d'Eustache du Bellay, seigneur de Gizeux, lils
aine de Jean IV. — V. le tableau généalogique de la famille du Bellay, dans
ledit. Séché.
16 JOACHJ.M DU BELLAY
de l'époque et s'était vaillamment comporté sur les champs de
bataille de Flandre et d Italie.
Le dernier, René, moins en vue peut-être, avait montré,
comme administrateur du diocèse du Mans, de l'ares qualités
morales, un grand zèle pour le ])ien des pauvres. Esprit
ouvert, il avait le goût des sciences physiques, s'occupait
d'agriculture et d'horticulture, faisait dans son domaine de
Touvoye du jardinage et de l'élevage : ce qui ne l'empêchait
pas de porter aux lettres un égal intérêt et d'avoir pour se-
crétaire un poète de son diocèse, Jacques Peletier du Mans.
C'est dailleurs un trait commun à tous ces du Bellay
d'avoir eu le respect et l'amour des choses de l'esprit. Ces
hommes d'action étaient, à leur manière, des intellectuels ' .
Très pénétrés du mouvement de la Renaissance, ils avaient le
culte des lettres, se faisaient les protecteurs des artistes et
des savants, et même se mêlaient d'écrire : le cardinal a
composé des poésies latines, Guillaume et Martin ont laissé
des mémoires.
Ce n'est pas à la branche de Langey que Joachim appar-
tenait, mais à la branche aînée, dont l'histoire est moins
connue '. 11 avait pour aïeul Eustache du Bellay, seigneur de
Gizeux en Touraine, premier écuyer tranchant et conseiller du
roi Charles YIII, lequel Eustache épousa Catherine de Beau-
mont '. Son père, Jean du Bellay, seigneur de Gonnord *, a
laissé quelques traces. En 1489, il faisait la guerre en Breta-
' « Pari aniiuoiiiiii coiilcntione rem luaxiiue omnium laudabilcm perfe-
cerunt, quam ne velle quidem ulli Gallorum anlea in menlem venerat, ut
armorum gloriani cum litcrarum dignitate copularent ». Sainte-Marthe, ^oc.
cit. — Sur ce point, v. Ilauréau, Hist. litt. du Maine, 111, 73-161.
- La généalogie de la famille du Bellay se trouve contenue dans sept
manuscrits de la Bibl. Nat. (fr. 20.2^2, 20.229, 20.2.34. 20.241, 20.252, 20.263,
20.292). Je les ai consultés. Les renstigncmcnts qu'ils fournissent sur la
famille immédiate de notre poète sont malheureusement incomplets, ob-
scurs, et souvent contradictoires.
^ Ballu, p. xLui.
^ Commune du canton de Thouaicé iMainc-el Loire).
ENFANCK Eï JEUNESSE 17
gne contre les Anglais, à la liHc (runc coin|(agiii(' de ([tiaianl(!
lances, lorsque le roi le lionima gouverneur de Hresl '. Le
12 octobre i5o4, d'après Moréi-i -, il épousa llenée Cliahol,
qui descendait d'une ancienne maison de Poitou, et f[ui piîut-
être était sa cousine '. Renée était la seule llUe et l'unique
héi'itière de messire Christophe Chabot, seigneur de la Tur-
melière et de Lire : c'est ainsi qu'eu i5ui ' ces deux fiels
passèrent dans la maison du Bellay '. Du mariage de Jean
du Bellay et de Renée Chabot, naquirent trois enfants : une
fille et deux fils ''. La fille, Catherine, dont j'ignore la date
de naissance, épousa Christophe du Breil, seigneur de la Mau-
voysinière '. Le fils aine fut René du Bellay, le cadet fut
notre poète ".
' D. Lobineau, Histoire de Bretagne, Paris, 1707, liv. XXI, ann. 1489 (l. I,
p. 799) : « Quoiqu'il y eust uncommandaul à Brest, appelle Henri de Moues-
lai, le Roi ne laissa pas d'y en envoler un second, qui l'ut Messire Jean du
Bellai, avec sa Compagnie de ([uarante Lances ». Cf. Ms. Ir. 20.265, 1" 40 r'.
— Aux preuves de l'anu. 1468 (t. Il, p. 1303), je trouve mentionné, parmi les
gens à cheval de l'arrière-ban composant l'armée d'Ancenis, sous les ordres
du marquis de Pont-à-Moussou, un u M"^ du Bellay » qui commande à « vi
hommes d'armes et xxu archers ».
- Dictionnaire, III, 424, art. Chabot.
3 Ms. fr. 20.263, 1" 40 r«.
' L. Séché, Joachirn du Bellay, p. 12. — Cette date de 1321 est celle de la
transmission des liefs (vraisemblablement à la luort de Christophe Chabot),
et non pas, comme le croit M. Séché îp. 20), la date du mariage de Jean du
Bellay et de llenée Chabot Autrement on ne s'expliquerait pas la tutelle de
Joaciiim par son IVère aine.
^ Sur ces deux hefs, v. Gél. Port, art. Lire (11,523) et Turnielière (111,041).
— Ces deux liefs avaient été réunis l'un à l'autre : la Turmelière était deve-
nue le château seigneurial de la paroisse de Lire.
^ Dans l'épitre dédicatoire au Roy (Charles IX) qui précède son édition
des œuvres complètes du poète (20 nov. 1308), Aubert donne à Joachim deux
frères qui dans leur jeunesse auraient été capitaines de chevau-légers
(Marty-Laveaux, Appendice de la Notice, p. xxxix). Je n'ai trouvé trace
nulle part de ces deux frères.
' On trouve dans les Vers Lyriques de du Bellay (1349) une ode au sei-
gneur Christo/le du Breil : de porter tes misères et la calumnie (Marly-
Lavcaux, I, 202). Nul épanchement dans cette ode morale, rien qui dénote
l'intimité Joachim n'a jamais parlé de sa sœur. — C'est elle, à la mort du
poète, qui devait héi-itcr de tous les biens de la branche.
** Besly, dans son Histoire des comtes de Poictou et ducs de Guyenne,
Paris, 1047, in-f", p. 82, veut qu'il ait été bâtard. Ménage a réfuté cet étrange
assertion {Anti-Baitlet, édit. de 1730, chaj). xxxv et xlv, p. 05 et 93. — Menu-
giana, édit. de 1715, t. III, p. 381).
Univ. de Lille. Tome VIU. A. 2.
18 JOACHI.M DU BELLAY
III
C'est au château de la Turmelière, non loin de Lire ',
(|ue Joachini vit le jour. Cette humble bouryade, qu'un sonnet
des Regrets a rendue immortelle, est située aux confins de
l'Anjou. Le petit village, si cher à son cœur, s'élève sur
un coteau qui domine la Loire, et du manoir (( basty par
ses aveux » le poète put souvent contempler la belle vallée
oii coule le fleuve, ces eaux si calmes, limite naturelle de sa
terre auiçevine, et par delà, sur l'autre bord, la terre vassale
des barons dAncenis, c[ui relevait de la Bretagne ^
L'année de sa naissance est restée indécise. Tous ses bio-
graphes se partagent entre 1624 6t iSaô. Sur le socle de la
statue d'Ancenis on a gravé i5u4. M. Gélestin Port est le
seul qui propose i523. Pour ma })art, je n'hésite pas à pen-
ser que la vraie date est i52'2. Un aveu formel du poète,
(juc confirment et son épitaphe, faite en i5Go par son ami
' Commune du oanlon de Cliainploccaux (Maine-et-Loire).
- Dans ee.s derniers temps, on a voulu l'aire du poète angevin un demi
Breton. On allèj^iie qu il avait du sang breton dans les veines, puisque sa
qiiadrisaïeule, Jeanne Sauvain, était lille de Pierre d'Aneenis ; que les sei-
gneurs de Lire partageaient avec les barons d'Ancenis le droit de péage et
de pontouage sur la Loire ; que Lire, qui était de l'Anjou pour le temjjorel.
était de la Bretagne pour le sjjirituel. et que J. du Bellay, sur les registres
de l'Kglise de Paris, est porté comme clerc du diocèse de Nantes, clcriciis
j\'anneteasis Dioecesis. Une chose est certaine, c'est que du Bellay dans ses
vers a souvent parlé d'Angers et de PAnjou, jamais il n'a rien dit d'Aneenis
et de la Bretagne. M. Séché, dans sa plaquette (p. o sqq.), nous en donne la
raisoji : entre l'Anjou et la Bretagne, il y a toujours eu rivalité, pour ne pas
liire hostilité. Mais M. Séché ne me semble pas très conséquent avec lui-
nu"me, lorsqu'il parle, dans son Introduction sur la poésie bretonne-angevine
(p. xxv), des « relations fréquentes et de bon voisinage qui s'établirent île
bonne heure entre les deux rives ». La vérité, c'est que l("s deux provinces
étaient séparées par aUO mètres de Loire, que 1 absence de pont rendait les
communications assez dilliciles, et que les haines féodales ne contribuaient
pas à les rapprocher. Au surplus, il n'y aurait pas lieu d insister sur une si
mince (juestion, si ces jalousies de clocher ne s'étaient réveillées naguère
entre Angevins et Bretons, lors de l'érection de la statue d'Ancenis, et
n'avaient failli compromettre un moment le succès de l'entreprise.
ENFANCE ET JEUNESSE 10
Pierre de l'aselial, et le témoignage toujours considéi-al)!!- de
rhistorien de Tiiou, me [)ai'iut autrement décisil' sur ee point
que l'assertion de Sainte-Marthe, répétée depuis Collet(ïl |)ai-
tous les biographes et par tous les critiques '.
Sans insister outre mesure, il est cependant [)ermis, avec
M. Ballu, de signaler au passage la tardive naissance d(î du
' Quelques explications sont ici nécessaires. En réalité, l'opinion tradi-
tionnelle sur la naissance de du Bellay peut invoquer deux arguments :
1» ce passage des Regrets (s. 26) :
Tu me croiras (Ronsard) bien que tu sois plus sage,
Et quelque peu encor (ce croy-je) plus aagé.
Ronsard étant né le H sept. Iij24, on en conclut que du Bcllaj- naquit à
la fin de 152i ou dans le couranL de 1523 ; — 2° le témoignage de Sainte-
Marthe : « Sut anniim aetatis quintum et tricesimum dleni claiisit)>. {Elogia,
l.o9S, p. 40). Les vers des Regrets ne me semblent prouver qu'une chose,
l'incertitude de du Bellay concernant la naissance de son ami : il le croit
plus âgé que lui, mais il n'en est pas sur. Quant à Sainte-Marthe, il écrit
',M ou 38 ans après la mort du poète, ses souvenirs peuvent manquer de
précision ; et d'ailleurs, on relève dans ses Eloges plus d'une erreur : c'est à
lui par exemple que l'on doit cette légende invraisemblable qui nous montre
du liellay en passe de devenir archevêque de Bordeaux — Il est aisé d'éta-
l)lir que Joachim a dû naître eu l.)22. Dans une épigramme à son ami Gordes
iPoemata, f" l't r"), qui date au plus tard de l'JoT, il déplore en ces termes
sa précoce vieillesse :
Jam mea Cygnaeis sparguntur tempora plumis,
Inticit et flavas cana senecta comas.
Sic nobis périt ante diem decus oiune juventae.
Et Jaciunt septem lustra peracta senein.
Ainsi donc en 15.37 il avait trente-cinq ans accomplis, ce qui reporte sa
naissance à l'année 1322. « La nécessité du vers l'enqjorte ici sur l'exacte
chronologie », s'écrie Sainte-Beuve, et M. Ballu : « C'est pure licence poéti-
tique n. Mais i^ourquoi donc? Ce sont là gratuites allirmations. Quelle rai-
son empêche de prendre à la lettre les paroles du poète? Je les crois i>our
ma part d'autant plus véridiques qu'elles sont pleinement conlirmées :
1» par l'épitaphe que lui lit, quelques jours après sa mort, son grand ami
Pierre de Paschal : vixit annos x.kxvh, lit-on à la lin de cette épitaphe
(Marty Laveaux, Appendice de la Pléiade, 11, 383) : du Bellay étant mort le
!«■■ janvier 1.3G0, que l'on comptait alors 1339, c'est dire qu'il est né l'an 1322 ;
— 2' par ce qu'écrit de Tliou dans son Histoire (lib. XXVI, ann. 1360) :
(( Annum agens xxxvii decessit » — J'ajoute que dans son Oraison l'unè-
i)re de R.onsard (1386), Jacques Yeillard de Chartres nous dit encore : « Com-
militones habuitloach. Bellaiuni, Pont. Thyarrhacum aelale quidein provec-
liores » (f" 13 V). Voilà donc quatre témoignages antérieurs à celui de
Sainte-Marthe et dont l'importance n'est pas contestable.
20 JOACaiM DU BELLAY
Bellay. Son père et sa mère avaient dix-huit ans de ménage
lorsqu'il vint au monde : ils n'étaient plus tout jeunes, et
reniant, semble-t-il, sen ressentit. II naquit soulïreteux. « Jay
le corps maladif >), a-t-il dit de lui-même '. Le fait est qu'il
avait une santé déplorable : presque toute sa vie, nous le
verrons malade. De là chez lui, dès Torigine. un grand fonds
de mélancolie, qu'accrut encore, au cours de sa rêveuse en-
fance dans le vieux manoir de ses pères ■, un commerce
journalier avec la nature. L'antique château féodal, aux airs
sombres de forteresse, se dressait au milieu de la campagne.
C'est là qu'il grandit. J'imagine que sa jeune àme, délicate et
sensible, dut subir fortement le charme de cette vivante soli-
tude. Plus d'une fois sans doute, de ses fenêtres et de ses
tours, il regarda ce vaste et lointain horizon qui décrit un
arc de cercle de trente lieues d'étendue ; ses yeux se posèrent
sur le riant paysage qui déroulait ses beautés enchanteresses.
Plus d'une fois, il écouta le chant des oiseaux dans les
arbres, le bruit plaintif du vent à travers les peupliers de la
Loire, le murmure argentin de la fontaine qui coule encore
au bas de la colline. Sensations délicieuses, qui pénétrèrent
profondément son cœur d'enfant ! Plusieurs de nos vieux
poètes, on en a fait la remarque, ont eu très vif le sentiment
de la nature : c'est qu'ils ont grandi tout près d'elle. Ronsard,
qui l'a si bien chantée, a vécu son jeune âge en pleine cam-
pagne, au château de la Poissonnière. Il demeure toujours
quelque chose des impressions reçues au matin de la vie.
Partout du Bellay gardera devant ses yeux les fraîches visions
' Regrets, s. :i'J.
- Du vieux château de la Turmelièrc, incendié pendant les guerres de
Yendée en 1703, il reste encore aujourd'hui des ruines imposantes : trois
tours ébréchées que relie entre elles une courtine aux mâchicoulis recou-
verts de lierre. Le lecteur jiourra se reporter aux descriptions qu'en ont
données M.Léon Séché {La poésie bretonne-angevine, p. ^x-xxi) et M. Armand
Silveslrc (Revue des Provinces de l'Ouest, sept. 1804, p. 114 et 118). V. aussi
l'eau- forte de Pierre Vidal, eu tète de la platiuette de L. Séché.
ENFANCE ET JEUNESSE 21
de sa jeunesse ; elles le suivront jusque sur les bonis du
Tibre et feront de lui, lors([uil les traduira dans la langue
des vers, le plus mélancolique des poètes de terroir.
Dès ses premières années, il connut la soudrance. Sur ce
point nous avons ses aveux. Dans une touchante Elégie qu'il
adressait, quelques semaines avant sa mort, à celui qu'il
nommait « son Pylade », Jean de Morel *, il nous a lui-
même ouvert son cœur et, faisant un amer retour sur le
passé, nous a redit les sombres tristesses de son enfance. Il
est seulement fâcheux qu'il ait été trop discret. Le peu qu'il
nous découvre excite plutôt qu'il ne satisfait notre curiosité.
Ses confidences sont trop brèves pour nous permettre de
reconstituer comme nous voudrions cette enfance abandonnée
et solitaire.
De très bonne heure il perdit ses parents. Sans doute il
était trop jeune pour en avoir gardé quelque souvenir: toujours
est-il que dans ses poésies françaises il n'en parla jamais.
Resté orphelin à l'âge où l'on a tant besoin des caresses d'un
père, des baisers dune mère, qu'allait-il devenir ? 11 reçut
les soins de son frère aîné ".
René du Rellay. seigneur de Gonnord, était certainement
plus vieux que .loachim d'un assez grand nombre d'années,
puisqu'il lui servit de tuteur. La seule chose qu'on sache de
lui, c'est qu'il fut en i55i gouverneur de Metz '. Il avait
épousé Magdeleine de Malestroit, seconde fdle de Guillaume
de Malestroit, seigneur de Houdon '\ De cette union naquit
un fils, Claude du Bellay, dont Joachim, à la mort de son
frère en i552. devait être à son tour le tuteur.
' ELegia ad lanum Morelliirn Ebrediin. Pyladem siiiim, à la suite des
Xenia (Paris, F. Morel, lo69, in-i").
- Élégie à Morel :
Vix puero mihi namque parens ereptus uterque
Fraterno miseruni deserit arbitrio.
•' Ms. fr. 20.265, f° 44 v».
* Ms. fr. 20.222, f" 76 r", et 20,265, f" 74 v».
22 JOACHIM DU BELLAY
Que f\it la vie de l'orphelin sons la direction de ce frère
aîné ? Je ne sais trop, mais il n'apparaît pas que le pauvre
enfant ait eu beaucoup à se louer de sa sollicitude, lîené du
Bellay semble s'être acquitté l)ien légèrement de ses devoirs
de frère et de tuteur. Telle était la fatalité qui sacharnait sur
Joachim qu'après avoir perdu tout jeune son père et sa mère,
il lui fallait encore trouver l'indifï'érence chez celui-là même
dont la chaude tendresse aurait pu seule adoucir ses chagrins,
en compensant les affections qui lui manquaient. Navrante
destinée ! M. Faguet a noté justement que du Bellay n'eut
pas . comme Ronsard avant ses malheurs . (( toute une
période d'enfance heureuse, d'adolescence enivrée et de l)ril-
lante jeunesse ^ ». Il a souffert pendant tout son jeune âge.
Comment ces souffrances n'auraient-elles pas augmenté sa mé-
lancolie naturelle ?
Le grand repi'oche que Joachim a fait à son frère, c'est
d'avoir négligé son instruction. (( J'ay passé l'aage de mon
enfance et la meilleure part de mon adolescence assez inutile-
ment », disait-il en i55o dans la seconde préface de V Olive
(1, 71), et, précisant davantage sa pensée dans la Complainte
du Désespéré (i552), il s'écriait :
Qu'ay-je depuis mon enfance
Sinon toute injuste offence
Senty de mes plus prochains ?
Qui ma jeunesse passée
Aux ténèbres ont laissée
Dont ores mes yeux sont plains. (II, 4).
Cette coupable négligence lui tenait au cœur. Il y revient
encore, non sans amertume, dans son Elégie à Morel : a Sous
la tutelle de mon frère, ma première jeunesse fut perdue,
(ju'il convenait nourrir de la culture des lettres. Elle fut
' Seizième siècle, p. '2d0.
KNFANCIi t:r JIÎUNESSIC J^.'î
pei'due, coiiimo eti un vorl jardin une tendi-c llcui- que nulle
onde n'arrose, (ju»' nulle main ne cultive ' ».
Sun tuteur avn-ail j)u l'envoyer faiiuî ses éludes à ITui-
versité il' Angers. Elle était alors luu^ des preniièi-e.s du
royaume, si l'on s'en rapporte à J. de Bourdigné (i~y2i)) : a Klle
obtient bruit de estre l'une des universités de France la
mieulx privilégiée, et non sans cause, veu le merveilleux (>t
louable laict d'estude que l'on y exerce. (]ar en oultre les
collèges et escolles de grannnayre, i)oéterie et orateurerie
qui tant en langue grecque que latine ordinairement y lleu-
rissent, y a ou corps de l'université cinq faeultez, dont la
première est théologie, la deuxiesme médecine, la tiei'ce et la
quarte sont les faeultez des droictz canon et civil, et la cin-
quiesme est celle des ars. Kt pour régenter en toutes lesdictes
faeultez en chacune d'icelles sont notables et scientifiques
docteui's régens ■ ». Soit au Collège d'Anjou, soit à la Faculté
des Arts, Joachim eût appris les lettres latines et sans doute
aussi les éléments de la langue grecque ', comme devait le
faire quelques années plus tard son compatriote Jean Bodin
d'Angers. Je ne vois pas que René du Bellay ait pris soin de
donner à son pupille cette culture littéraire ".
Ainsi l'enfant grandit, au château de la Turmelière, dans
un complet désceuvrement intellectuel. Et pourtant il sentait
le besoin de s'instruire. Il avait l'esprit vif, éveillé. Son
commerce intime avec la nature l'avait prédisposé dès long-
' Elégie à Morel :
Sub quo prima périt nobis inculta juventa,
Quaiii dcciiit studiis excoluisse bonis.
Ilta niilii periit viridi ceu ilosculus liorto,
Quem nulla unda rigat, nec manus ulla colil.
- Chroniques d'Anjou, 1" i)art., cliap. iv, p. 22.
' Sur ce point, v. la ttièse de M. l'abbé Gh. Marctiand, De Graecanim
litterarum studio apud Andegavos in xvi» seculo, 1889.
* En tout cas, it n'existe aucune trace du passage de J. du Beltay à l'Uni-
versité d'Angers. Je dois ce renseignement à M. l'abbé Gh. Urseau. chanoine
honoraire d'Angers, correspondant du Ministère de l'instruction l*ubli(|uc,
que je suis heureux de remercier de son obligeance.
24 JOACHIM DU BELLAY
temps aux émotions poétiques. Une inclination presque irré-
sistible l'entraînait vers la Muse :
Elle a, dès mon enfance,
Tousjours g-uidé le cours de mon plaisir,
disait-il plus tard dans la dédicace des Regrets ' . C'est alors
sans doute qu'il lut pour la première fois les poètes français,
en attendant qu'une éducation plus approfondie et plus métho-
dique rinitiât aux chefs-d'œuvre de l'antiquité grecque et
latine -.
Mais en l'absence d'études sérieuses, des rêves hantaient
l'imagination de cet adolescent songeur et désœuvré. Dans la
retraite de son manoir, les bruits du dehors Aenaient troubler
ses pensers solitaires. Il entendait parler du vaillant capitaine
qui là-bas, en Italie, après tant de missions si fameuses, cou-
ronnait sa carrière de héros en organisant avec une science
consommée la défense du Piémont. Il entendait parler de
l'habile cardinal qui soutenait à Rome, avec une si féconde
diplomatie, les intérêts politiques et religieux du roi de France.
Une fierté le prenait à se dire qu'il était de leur race, ([u'il
' Cf. ce qu'il disait en l.iiJO dans la seconde prélace de l'Olive : « Par je ne
sçay quelle naturelle inclination, j'ay tousjours aimé les bonnes lettres :
singulièrement nostre poésie francoise, pour m"estre plus familière, qui
vivoy' entre ignorans des langues estrangeres » (I, 71)
- Tous les biographes de du Bellay sans exception, s'appuyanl sur VEléffie
à Morel, rapportent à son adolescence une maladie des plus graves, qui
l'aurait cloué deux ans sur un lit de douleur, et pendant laquelle il n'aurait
eu d'autre consolation que de lire les poètes grecs et latins. C'est là, je crois,
une erreur de date. ICn effet : — 1° En lijiJO, Ronsard, dans une ode (Hlanche-
niain, II, 210). a célébré la convalescence de du lîellay. qui relevait dune
maladie dont il avait failli mourir ; du Bellay lui-même a parlé de cette
maladie vers la même époque : ce qui rend la première très douteuse. —
2' Cette lecture des poètes grecs et latins contredirait tout ce que du Bellay
nous a conté de son adolescence inculte et négligée. — 3" On ne compren-
drait pas ce vers : Tiun cocpi Aonio cognitus esse choro (c'est alors que je
me fis connaître dans le chœur des poètesj, puisqu'il ne se révéla poète qu'en
i;)49. Cette phrase ne peut s'entendre évidemment que des recueils publiés
alors par du Bellay. Bour toutes ces raisons, je pense qu'il faut reporter à
cette date la maladie dont il s'agit.
ENFANCE ET JEUNESSE 25
portait le même nom. Mais il sonlail aussi tonte la distance
de leur î^randeur à sa petitesse. Cinubien sa l)ranche était
obscure! II n'était, lui. (piun simple j^enlilliomme eampaiçnard '.
Plein dun respect ému pour ces parents illustres, il les con-
templait dans Téclat de leur gloire, les vénérait couinie on
vénère des Dieux :
Hos ego praecipue, geulis duo luuiina nostrae,
Suspexi fratres, utque Deos colui.
Quoi d'étonnant dès lors qu'il ait formé le vo'u de marcher
sur leurs traces, de suivre pieusement ces grands exemples
domestiques! Tout dabord, il rêva, sous l'égide de Langey,
de se pousser à la Cour et de faire son chemin dans les
armes. Les trophées de Miltiade l'empêchaient de dormir-.
La mort de Langey, survenue le <> janvier i543, ruina ces
beaux projets. Mais le cardinal restait, environné de son
double lustre poétic|ue et religieux '. A défaut d'épée, on pou-
vait être d'Eglise, et la faveur de ce puissant prélat était de
nature à mener loin ses protégés. Du Bellay le comprit. Il
savait que l'étude du droit pouvait le conduire à l'état ecclé-
sia.stique. Soit qu'il déférât aux conseils du cardinal ' (jui
' Si ne suis-je Seigneur, Prince, Marquis, ou Conlc. (Regrets, s. li)
- Elégie à Morel :
JNon animus deerat studiis gravioribus aplus,
Quique aulam posset militianique sequi.
Et niihi robur erat, nec prorsus inutilis arniis
Dcxlera, dum viridis noslra juventa fuit.
Nam quae aniraos facerent, exempla domeslica nohis
(Ut reliquos taceam) Langius ipse dabat. . .
Haec niihi Milliadis poterant velut esse trophaea,
Hi slimuli, liaec aninio niaxiaia cura nieo.
■' Elégie à Morel :
Ille etiam menteni stimulis urgebat honestis
Pierii Janus gloria prima cliori :
Purpurei Janus princepsque decusque Senatus,
Quem .lanum ut geminum inaxiiiia Roma colit.
' Il importe de marquer exactement sa parenté avec le cardinal. Les
quatre frères du Bellay étaient les cousins germains de son père. Joachim
26 JOACHIM DU BELLAY
désirait se l'attachei" — comme la sii[)posé Sainte-Beuve —
soit qu'il agît de sa propre initiative. Joachim, ayant dépassé
la vingtaine, se résolut à prendre la route de la Faculté : il
obtint de son frère de partir pour Poitiers.
IV
Poitiers n'était pas alors la ville morte qu'elle est aujour-
dliui. C'était « un centre littéraire très important, comme il
n'y en avait que ti'ois ou quatre en province ' », et qui jouait
dans l'ouest de la France à peu près le même rôle que Lyon
au sud-est. Toulouse au midi. Son Université, fondée en i43i,
attirait de très loin un concours énorme d'écoliers. Là se
pressaient des jeunes gens désireux d'allier à la science du
droit le culte des lettres. C'est ainsi qu'aux environs de i555,
nous trouvons à Poitiers une vraie colonie de poètes : Antoine
de Baif, Jacques Taliureau, Jean de la Péruse, Charles Tou-
tain, Scévole de Sainte-Marthe, Yauquelin de la Fresnaye.
Ces gentils esprits, plus passionnés pour les Muses que pour
la chicane, coulaient (( une douce existence de rimeurs non-
chalants, le long des rives du Clain et sur le mont Joubert ^ »,
et l'un deux plus tard, évoquant ces souvenirs de jeunesse,
s'écriait :
n'était donc pas, comme on le répète à peu près partout, le neveu du cardi-
nal au sens oit nous prenons ce mot : il était simplement son neveu à la
mode de Bretagne. Mais l'erreur, si c'en est une, vient de loin : elle est déjà
commise en 1530 par Ronsard, qui. dans une ode à Joachim du Bellay, par-
lant des éloges donnés par Salnion Âlacrin au cardinal, écrit :
Macrin a sacré la mémoire
De Voncle, et j'honnore la gloire
Du neveu, qui s'iionnore mieus.
(Blanchemain, II, 2\'6).
* Faguet, Seizième siècle, p. i'.K).
- A. -P. Leniercier, Etude littéraire et morale sur les poésies de Jean
Vauquelin de ta Fresnaye, thèse, Nancy, Sordoillet, 1887, in-8", p. 19. —
Cf. Pr. Blanchemain. Poètes et Amoureuses . Portraits littérfiires du xvi"
siècle. Paris, Willem, 1877, t. II, p. 279.
ENKANCE ET JEUNESSE 2,1
En ce temps, o quel Iumii- ! sans Iiaiiic et s:iiis oiivic
Nous passions dans Poitiers l'avril de noslrc \ ic :
Au lieu de denieslei* de nos droits les dehals.
Muses, pipez de vous, nous suivions vos ehals '.
La vie qu'on menait à Poitiers ne devait pas èti-c sensible-
ment dillerente quelque dix ans plus tôt, loi's<iu'y dél)ar(pia
du Bellay.
Selon toute vraisemi3lanee, c'est vers i545 qu'il faut placer
son arrivée '. En venant à Poitiers, Joacliim ne tombait pas
tout à fait en pays inconnu : il retrouvait là des souvenirs
de famille. Sa mère, Renée Chabot, était, nous le savons,
d'origine poitevine. Deux mend)res de la nuiison du Bellay,
jadis, avaient été, l'un abbé, l'autre diacre de N.-l). de
Poitiers '.
D'autant plus zélé pour l'étude que son instruction avait
été plus négligée, le jeune Angevin suivit avec ardeur les
cours de l'Université. Qui voudra savoir ce qu'étaient ces
cours lira dans les Epistres morales et faniiUèi-es de Jean
Bouchet (i545) sa naïve et curieuse Epistre à Messieurs les
Escoliers de V Université de Poictiers, eontenant louange des
sciences et restât de scolaidié \ Sans nul doute, il eut tout
d'abord à suppléer aux lacunes de son instruction première.
S'il n'avait déjà (iueU[ue teinture du latin, c'est à Poitiers
qu'il l'apprit : sans cela connnent eût-il fait son droit? Mais
il était jeune, enthousiaste, actif au travail, très désireux de
l'éparer le temps perdu, d'intelligence souple et prompte. Il
vivait dans un milieu littéraire. C'était assez pour acquérir
' Vauquelinde la Fresnayc, Art Poétique, liv II, v. 10G7 sqq. — EcHt.
G. Pellissier, p. 122.
■' C'est la date que donnent M. Fapuet et M. Pellissier.
^ L'abbé s'appelait René, le diacre Martin. C'était deux frères de son
gi'and'père Eustache du Bellay.
* C'est la 13" des Epistres momies, f" 31. (Bibl. Nat. — Rés. Y«. j") )•
28 JOACHIM DU BELLAY
vite une culture très passable. D'ailleurs, en i546, il lit la
rencontre de Muret, latiniste de vingt ans, qui, venu à Poi-
tiers afin de poursuivre ses études de droit, enseignait les
lettres au Collège Sainte-Marthe, expliquant à ses élèves
YAmphitrj'on de Plaute '. 11 se lia certainement avec lui.
Peut-être n'est-il pas téméraire de supposer que c'est à son
contact qu'il se perfectionna dans la connaissance de la langue
latine. D'autres amis encore contribuèrent à lui l'cndre le
séjour de Poitiers profitable, sans parler de ses maîtres et des
relations qu'il put se créer dans la société mondaine.
(( Là, dit M. Faguet % il connut Aubert, qui fut l'éditeur
de ses œuvres, les Sainte - Marthe , Jean de la Péruse,
Bergier de Montembeuf, Tiraqueau le jurisconsulte \ très
probablement les Dames des Roches ' ». Il se peut qu'il ait
entrevu le procureur Jean Bouchet, « traverseur des vqyes
périlleuses )), rhétoriqueur infatigable qui trouva moyen, en
consacrant une heure par jour à la poésie, d'aligner jusqu'à
cent mille vers. En tout cas, il conserva du vieux rimeur
un assez mauvais souvenir pour le railler plus tard amèrement
dans une phrase de la Deffence '.
Quel fruit du Bellay retira-t-il de ses études de droit ?
Allait-il devenir, comme le prétend Colletet, (f un grand juris-
consulte '■ » ? On })eut en douter. Mais une chose est certaine.
^ Dcjob, Marc-Antoine Muret, p. 9. — Muret (1326-li)S.")). plus jeune que
du Bellay de (pialre ans, mais beaucoup plus avancé <jue lui dans ses études,
avait déjà donné sa tragédie latine de Jules César. Ce précoce humaniste
était dès i'.'M) un docte professeur.
- Seizième siècle, p. 2.90.
•' Les œuvres de J. du Bellay contiennent un sonnet » à Monsieur Tyra-
(jueau, conseiller en Parlement » (II, 136).
' Je respecte le texte de M. Faguet. Mais les dames des Roches étant
mortes de la peste en 1;)87, la mère âgée de 57 ans, il est plus que probable
qu'en 1345 la lille n'était pas née.
' Liv. Il, chap. 11. — Edil. Person, p. 150.
*" « Par la force de son esprit et par ses veilles assidues, dit Colletet, il
devint un grand jurisconsulte, et tel que, s'il eût suivi celte noble profes-
sion, je ne fais point de doute qu'il n'eût tenu un rang fort honorable parmi
ENFANCK ET JEUNESSE 29
c'est (luil soccupa de lettres pour le moins autant que de
droit. (( A Poitiers, où mes parents m'avaient envoyé pour
cultiver mon esprit, jallais {jarlois écouter les cours de droit
civil, mais bien rarement, et moins pour y api)rendre quehiuc
chose que pour contenter mes parents qui m'avaient voué à
cette étude ». Qui parle ainsi? Muret'. Mais cet aveu, du
Bellay u'eùt-il pu le faire ? A mesure que son esprit se cul-
tivait, son goût pour la poésie s'était développé. Non content
de lire les poètes, il songeait à les imiter, à se faire poète
lui aussi. C'est à cette époque qu'on doit rapporter ses
premiers essais. Trop timide encore pour rien innover, il se
bornait à suivre la route commune, emboîtant le pas derrière
Marot comme tous les autres -. J'incline fortement à croire
que c'est vers ce temps-là qu'il composa cette Epitaphe de
Clément Marot dont la forme et le tour rappellent tout à
fait les épigrammes de la vieille école :
Si de celuy le tumbeau veux scavoir.
Qui de Maro avoit plus que le nom,
Il te convient tous les lieux aller voir
Ou France a mis le but de son renom.
Qu'en terre soit, je te respons que non,
A.U moins de luy c'est la moindre partie.
les plus grands jurisconsultes de son siècle ; mais le ciel, qui le réservoit
à une étude plus agréable et moins épineuse, puisqu'il le destinoit à
l'étude des belles-lettres et au doux exercice des Muses, lui donna de l'aver-
sion pour ce qu'il savoit et de l'amour pour ce qu'il ne savoit pas encore si
parfaitement ». Copie mscr., î'>48v''.
* Préface des Sentences grecques. — Cité par Dejob, p. 3.
- Sur ce point, nous avons le témoignage foimel de Claude Binet, dans
son Discours sur la vie de Ronsard : « Environ 1 an Ib49, Joachim du Bellay,
esprit noble et bien naj-, et qui avoit quelques bons commencemens en la
Poésie Françoise, estant retourné de Poictiers. de l'estude des loix. auquel
il avoit esté dédié, changea beaucoup son stil, qui sentait encor Je ne sçaj-
quoy de rance, et du vieux temps, par la hantise de Ronsard et de Baïf. «
(Texte de lo86, p. 12j.
30 JOACHl.M DU BELLAY
L'ame est au lieu dou elle etoit sortie,
Et de ses vers, qui ont domté la mort,
Les Seurs luy ont sépulture bâtie
Jusques au ciel. Ainsi, la mort x"v mord '. (I, 207).
En même temps, il se plaisait à faire assaut de poésie
avec ses amis. Sainte-Marthe raconte à ce propos un petit
incident qui n'est pas sans intérêt. Il y avait alors à Poitiers
un jeune étudiant métromane, nommé Pierre Fauveau, dont
Sainte-Marthe nous dit quil imitait avec beaucoup d'adresse,
prudentissime, les tragédies de Sénèque. Un jour, un concours
s'établit entre du Bellay, Muret et Fauveau : tous trois de-
vaient composer sur le même sujet une épigramme amoureuse.
On prit pour juge un poète de Loudun, alors en grand
renom : Salmon Macrin attribua la palme à Fauveau '.
C'est la première fois que nous rencontrons ce poète qui
devait compter parmi les meilleurs amis de Joachim du Bellay.
Jean Salmon, dit Macrin (i49o-i55-) ', natif de Loudun, sur
les confins de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou, disciple
de Jacques Lefèvre d'Etaples, en relations avec tous les huma-
nistes de l'époque *, était en i546, dans le monde des lettres,
un personnage considérable. Il avait débuté dès i5i5 dans la
poésie latine % et tel était l'éclat de son talent que le roi
François I*^' l'avait nommé son valet de chambre au même
titre que Marot. En iô'2S, il avait épousé Guillonne Boursault,
' Devise de Marot .
- Sainte-Martlif, Elogia (liiilS). art. Petius Fuh'iiis, p. 42-43. — Cf. Dreux
du Radier, Bibi. Iiist. et crit. du Poitou. Paris, 17j4, o vol., t. II, p.228sqq.
^ Sur ce poète aujourd'hui peu connu, le lecteur pourra consulter un
assez bon article de J. Boulmier : « Salmon Macrin, l'Horace français ».
{Bulletin du Bibliophile, nov.-déc. 1871 /.
'• Guillaume Budé dans une lettre à Jean Lascaris, du 11 mai i;j:il, disait
de lui : i2aAjj.wvto;. àvr,û •JTrspàvaÔo; /.al 7rocr,Tr,; k'vSoïoç.
' Voir la liste de ses ouvrages dans Brunet, t. III, col. 1284-l:i8;j. — On
trouvera des extraits de ses poésies dans les Deliciae Poetarum Gallorum,
t. H. p. 403-073.
ENFANCE ET JEUNESSE 31
une jeune lille «le son pays, qu'il ainiuil teudi-einent, cl (luil
ehantail en doux vers iuiités de Catulle et d'IIoraee. sous le
nom de Gélonis, la Soui-iaute (yiXo).:). Mais ce ([ui rapprocha
surtout de lui .loachiui. c'est (pi'il ctail depuis longtemps le
protégé des lï-ères du licllay. dont il redisait la gloire, et
qui, poètes eux-mêmes, traitaieut ce poète, leur panégyriste,
sur le pied d'une certaine intimité. Justement, Salmon Maerin
venait de présenter au public, à la suite d'un recueil de ses
Odes, les poésies latines du cardinal '. Jl le faisait, disait-
il, à son insu. Qu'il agît en efï'et de lui-même ou qu'il eût
l'aveu secret du cardinal, une telle publication prouvait assez
l'excellence de leurs rapports. On comprend que du Bellay,
très prévenu pour cet ami de sa famille, soit allé vers lui
volontiers, et que de là soient nées de sincères et cordiales
relations. Maerin encouragea les débuts du jeune honnne. La
Musagnœomachie (i55o) ne laisse aucun doute sur ce poiut :
Le docte lue tant vanté.
Qui la mort de l'Ignorance
Parmi Loudun a chanté,
' Salmonii Macrini liiliodunensis Odarum UbrL III ad Feliiirn Castella-
num ; lo. Bellaii cardLnaUs anipUssinii poemata aliquot elegantissiina.
Paris, Robert Eslienne, lo46. in-8". Maerin disait dans son épitre liminaire :
(I Literatoruni honiinuin nalioni gratum nie facturuni putavi, si lo. Bellaii
(Jartlinalis aniplissinii poemata, hoc est Elegeias aliquot, E[)igramniata et
Odas nugis nieis subjungerein. . .. Nam cum ea ad amicos variis leniporijjus
missa sludiose accuratcque colleoissem, et claris viris iisdenique doclissi-
mis Icoenda intérim dedissem, pcrmulti ex liis eleganliam, sublimitatem,
gravitatem poematum demirati, saepe inecuiu conquesti sunt indignissi-
mum esse, nec omnino ferendum, si forte in tenebris ea perpetuo jacerenl,
HCC unquani in hominum nianus venirent. n Rappelant ensuite que les car-
dinaux Rcmbo et Sadolet n'avaient pas cru déroger en publiant leurs
poésies, il espérait que le cardinal du Bellay ne se fâcherait pas de cette
publication subreptice, et comptait pour le iléfendre sur Pierre du Chastel,
évèque de Màcon, auquel il la dédiait : « Sperabam inde futurum ut, si
Gardinalis Bellaius audacia mea forsan otlendcretur, quod se insciente
alque inconsulto haec opuscula cilidissem, unus. mihi praesto esse posses,
cujus authoritate ac palrocinio me ipse defenderem. n (1^1)1 Nat. — Rés.
pY^. 1071).
32 JOAGHIM DU BELLAY
Voire par toute la France,
Me veut donner asseurance
De lâcher par l'univers
Les traiz de mes petis vers. (I, 147).
L'exhorta-t-il, comme on l'a prétendu ', à nécrire quen
sa langue maternelle ? C'est possible. Ce poète latiniste, — par
regret peut-être d'avoir tant sacrifié aux Muses de Rome, —
n'avait-il pas, s'il en faut croire du Verdier % composé des
épigrammes françaises qu'un libraire de Poitiers, vers i58o,
gardait encore en manuscrit ? Mais si du Bellay ne reçut
pas de Macrin ce patriotique conseil, il le reçut à coup sur de
Jacques Peletier du Mans.
Est-ce à Poitiers que la rencontre eut lieu ? Sans pouvoir
rien certifier, je crois pourtant la chose infiniment probable.
La date, en effet, d'une précision rigoureuse, permet dilïici-
lement une autre hypothèse. Dans la seconde préface de VOlive,
du Bellay nous dit en termes très nets : (( A la persuasion
de Jaques Peletier, je choisi le Sonnet et lOde, deux poëmes
de ce temps là {c'est depuis quatre ans) encore peu usitez
entre les nostres » (I, 7a). Cette préface étant de io5o, c'est
donc exactement en 1046 qu'il faut placer le fait dont il s'agit.
Or, cette année-là, nous venons de le voir, du Bellay pour-
suivait ses études à Poitiers. Quoi qu'il en soit, ils se lièrent
d'autant plus vite que Peletier venait d'être, pendant cinq ans
(i54o-i545), secrétaire de l'évèque du Mans, René du Bellay.
Le rapport des âges (Peletier avait vingt-neuf ans, du Bellay
vingt-quatre) et leur goût commun pour la poésie achevèrent
de fonder leur amitié. L'influence exercée par le poète man-
ceau sur l'étudiant angevin fut décisive au i)oint de vue de
' lîallu, p. L.
- Du Verdier, BLbl. franc., art. Jean Salmon : « Et si a fait des Épi-
grammes François, bien troussés à l'imitation des Grecs, que j'ai a'u écrits
à la main au pouvoir d'un libraire de Poitiers » (II, 314J.
ENFANCE ET JEUNESSE 33
sa carrière. Aussi rue permcttra-t-ou d'eutrei* ici dans quelques
développements. 11 importe d'autant plus d'insister que Peletier,
obscur aujourd'hui, pour ne pas dire tout à fait oublié, n'a
pas dans nos histoires littéi'aires la place à la([uell(; il a
droit ' .
Cet esprit aventureux et hardi, qu'Etienne Pasquier saluait
avec raison comme un précurseur de la jeune école ', est le
véritable initiateur de Joachini du Bellay aux idées de réforme
poétique. Il venait de publier une traduction de l'Art Poétique
d'Horace ', et la dédicace qu'il en faisait « à tresvertueux et
noble homme Cretode Pcrol, Ecuier, Seneschal du Maine »,
n'était pas autre chose qu'une vibrante apologie de la langue
nationale. Cherchant pourquoi les écrivains de son époque
n'approchaient pas dans leur style de la (( copieuse véhémence
et gracieuse propriété qu'on voit luire es auteurs anciens »,
Peletier en trouvait surtout l'explication dans le mépris où
l'on tenait la langue maternelle *. Il déplorait une si coupable
erreur. Sans doute, disait-il, on ne saurait rendre trop d'hom-
mage à (( ces deux tant célèbres et honnorables langues Latine
' Sur Jacq. Peletier du Mans, consulter — outre Niceron (t. XXI) et
Goujet (t. XII) — les notices de Glinchaïup (bullelin du Bibliophile, juill.
et oct. 1847), d'Hauréau (Hist. lltt. du Maine, IV, 168), d'Héricaull {Poètes
français de Crépet, 1, 6!2), de Dessaix (réimpr. de la Savoie, Chambéry,
18ij6), de Pages (réiinpr. de la Savoie, Moutiers, 1897).
- Il Jacques Pelletier, qui conuuença d'habiller nostre Poésie à la nou-
velle guise avecq'un très heureux succès » (Rech. de la France, VI, 7). —
« Jacques Pelletier, grand Poète, Arithméticien, et bon Médecin, que je puis
presque il ire avoir esté le premier qui mit nos Poètes François hors de
page » {Lettre à Ranius, III, 4).
' L'Art Poétique d'Horace, traduit en vers François par Jacques Peletier
du Mans, recongnu par l'auteur depuis la première impression. Moins et
meilleur. Paris, Michel de Vascosau, 1IJ45. (Bibl. Nat. — Rcs. pY^^. 612). —
Celte édition en suppose une première, que La Croix du Maine (I, 4:J6)
place en lj44. Je n'ai pu trouver nulle part l'édition originale.
' « La principalle raison et plus apparente, a mon jugement, qui nous
ote le mérite de vrai honneur, est le mépris et contennement de notre lan-
gue native, laquelle nous laissons arrière pour entretenir la langue Greque
et la langue Latine, consumans tout noire temps en Pexercice d'icelles ».
Univ. de Lille. To.mk A' 111 A. ',i.
34 JOACHIM DU BELLAY
et Greque, ausquellcs sans controverse, et sing'ulierement a la
Greque, nous devons toute la congnoissance des disciplines,
et la meilleure part des choses mémorables du temps passé. ))
Même on i)ouvait soutenir qu'il était impossible de « propre-
ment i)ai-ler, ni correctement écrire notre langue sans aquisition
de toutes deux », ou pour le moins de la latine '. Mais lliom-
mage devait-il aller jusqu'à loubli complet de l'idiome (( domes-
tique » ? Les Romains n'avaient pas sacrifié le latin au grec :
Cicéron se faisait une gloire d'exposer dans sa langue la phi-
losophie grecque, et Jules César rêvait d'étendre la langue
romaine jusqu'aux frontières de l'empire romain. Et les Ita-
liens? avaient-ils au latin sacrifié le toscan? Pas davantage.
« J'ai mesmement pour mes auteurs, disait Peletier, Pétrarque
et Bocace, deux hommes jadis de grande érudition et savoir,
lesquelz ont voulu faire témoignage de leur doctrine en écri-
vant en leur Touscan. Autant en est des souverains poètes
Dante, Sannazar, aussi Italiens. » C'était la marque dune
grande supériorité d'esprit de s'appliquer, comme ils avaient fait,
aux langues étrangères en même temps qu'à la langue natio-
nale. Mais se consacrer exclusivement aux langues étrangères,
n'était-ce pas une folie, puisqu'on était condamné d'avance à
rester au-dessous des modèles ^ ? Peletier rendait justice à
ceux qui s'efforçaient, comme naguère Jean Lemaire de Belges,
de travailler aux progrès de notre langue. Grâce à l'intelligente
et libérale protection du roi François h", elle couimençait,
disait-il, à se développer ; un avenir brillant s'ouvrait devant
elle. Et Peletier terminait par cette consolante prédiction :
' « C'est cliosc toute receue et certaine, qu'lioraiiie ne sauroit rien écrire
qui lui peut demeurer a lionneur, et venir en comniendation vers la posté-
rité sans l'aide et appui des livres Grecz et Latins. »
- « Quant a ceux qui totalement se vouent et adonnent a une langue
j)eregrine (j'enlens peregrine pour le resj)ect de la domestique) il me semble
qu'il ne leur est possible d'atteindre a celle naïve perfection des anciens
non plus qu'a l'art d'exprimer Nature, (luelque ressemblance qu'il i pré-
tende. »
ENFANCE ET JEUNESSE 35
(( A voir lu Heur ou ell" est Je présent, il faut ci-oire [tour
tout seur que si ou procède tousjours si bien, nous la voir-
rons de bi'iei' en bonue maturité, de sorte quelle suppeditera
la langue Italienne et Es[)agnole, d'autant que les François en
religion et bonnes meurs surpassent les autres nations. »
J'ai cru devoir analyser assez longuement cette curieuse
préface. Qu'on pèse les idées et les expressions : la Deffence
est déjà là tout entière, ou peu s'en faut. Il n'est donc pas
douteux que Joachim ait puisé dans le commerce de Peletier
la plupart des opinions (^u'il allait trois ans plus tard for-
muler si fièrement dans son manifeste. Du Bellay dut se
rendre d'autant plus volontiers aux raisons de son ami (|uc
ses études avaient été plus incomplètes, et qu'il sentait par
expérience combien, avec une instruction si tardive, l'usage
de sa langue vulgaire était chose plus aisée que la pratique
des langues anciennes.
Mais il y a plus. Peletier était à la veille de publier ses
Œuvres Poétiques ', et ce recueil allait révéler chez son auteur
de curieuses aspirations. 11 suffit d"y jeter un coup d'œil pour
voir à quel point, en i547, Peletier était déjà loin de l'école
marotique et tendait vers une poésie nouvelle. Si le Blason
du Cuew\ si les Epigramnies et VEpitre à Mellin de Saint-
Gelays dénotaient encore un disciple de Marot, le reste était
d'un éclaireur de la Pléiade : des traductions de l'antique et
de l'italien, douze sonnets empruntés à Pétrarque, et précédés
eux-mêmes d'un sonnet où l'autem* poussait à limitation du
chantre de Laure (f" 55 r"), une ode « à un poète qui n'escri-
voit qu'en latin » (f° 82 v^), un certain nombre de vers lyri-
' Elles parurent l'année suivante sous ce titre : Les Œuvres Fiëtigues
de Lacques Peletier du Mans. Moins et meilleur. Paris, Michel de Vasco-
san et Gilles Corrozet, lo47. (Bibl. Nat. — liés. Y=. 18o3). Privilège daté de
Paris, 1" sept. 1547. — On y trouve une Épitaphe de Gaillanme de Lan^ey
(ï" 90 vj ; la traduction du I" liv. des Géorgiqaes est dédiée au cardinal
du Bellay (f- 36 v").
3G JOACHIM DU BELLAY
qiies, où déjà s'annonçaient quelques-uns des thèmes que
devait traiter la Pléiade \ attestaient les instincts novateurs
de Peletier. On s'explique donc qu'il ait pu. Tannée précédente,
conseiller à du Bellay le culte du sonnet et de l'ode, et l'on ne
s'étonnera pas de trouver à la fin des Œuvres Poétiques de
lôfyj (fo io3 vo) un élogieux dizain de /. Dubello)' à la ville
du Mans ^ Joacliim payait ainsi sa dette de reconnaissance.
Mais en découvrant à l'étudiant de Poitiers ces nouveaux
horizons poétiques, Peletier dut lui dire aussi qu'étant secré-
taire de René du Bellay, il avait, en i54'3, dans la ville du
Mans, fait la connaissance dun jeune gentilhomme venu poui'
recevoir la tonsure des mains de l'évèque ' : que ce gentil-
homme, qui rêvait de poésie et de gloire, lui avait montré
plusieurs odes de sa façon, taillées sur le patron d'Horace, et
l'avait mis au courant des vastes projets d'avenir qu'il formait
tout au fond de son âme ; enfin, qu'il était resté son ami
depuis lors et qu'il échangeait des odes avec lui \ Ce gentil-
homme, c'était Ronsard. Ainsi Peletier préparait de loin le
futur cénacle. Par le plus singulier des hasards, c'était lui
qui rapprochait peu à peu les deux chefs de la prochaine
' La Description des quatre saisons de l'année (f" lii r°) annonce de loin
V Hymne des quatre saisons de Ronsard. Le Chant du Désespéré (f' 74 r")
sera repris deux fois par du Bellay {Chant du Désespéré, 1, 196. — Com-
plainte du Désespéré, II, 1). A noter surtout (f" 7:2 r") un sentiment de la
nature qu'on ne rencontre guère dans Marot et les Marotiques. — Bonav.
des Périers excepté, — mais qui n'est pas rare dans la nouvelle école.
- Marly-Lavcaux, Appendice de la Pléiade, II, 392. — Cf. Mnsagnœoma-
chie (I, 143) :
Peletier laborieux
En tes poétiques œuvres.
' Pour cette question, le lecteur voudra bien se reporter à l'article que
j'ai j)ublié sur « l'invention de l'Ode » dans la /iep. d'hist. lilt. de la
France, V6 janv. 1899, p. :il.
' Les Œuvres Foctiques de loi7 contiennent une ode « au seigneur P.
de Ronsart, Vinvitant aux champs » (f» 72 r'), et plus loin, une « Ode de
Pierre de Ronsart à Lacques Peletier, Des beautez qu'il voudrait en s'Amie »
(f' 79 v°), suiA'ie d'une c< Response par Peletier, Des beautez et accomplisse-
mens d'un Amant » (f" 81 r ).
ENFANCE ET JKUNESSE 37
Pléiade, encore ignorants l'un de l'autie. C'est assez poui- sa
gloire qu'il ait ouvert aux idées nouvelles l'esprit curieux de
Joacliini. En l'initiant à ces idées par ses causeries, par ses
conseils, il avait fait œuvre féconde. Désormais, du Bellay
pouvait rencontrer Ronsard : il était apte à le comprendre.
On connaît Ihistoire de cette mémorable rencontre. Ron-
sard regagnait Paris, revenant sans doute d'un voyage en
Gascogne ', lorsque, dans une hôtellerie, sin* la route de
Poitiers, il se trouva tout à coup face à face avec du Bellay \
Binet, à qui Ton doit le récit de cette rencontre ', la place
en 1549. La date qu'il donne est inadmissible *, puisque la
Deffence fut composée, comme nous le verrons, tout au début
de IÔ49- ^^ ^^"* Ifiisser à du Bellay le temps raisonnable
d'avoir un peu complété ses études auparavant. Il faut lui
permettre aussi d'avoir écrit ï Olive, qui vit le jour en
même temps que la Deffence. Il est donc nécessaire d'avancer
la rencontre de l'hôtellerie au moins d'une année. Pour ma
part, j'adopterais volontiers comme date la fin de i547 '.
' Le Bocage de Ronsard lliioU) contient une ode « à son retour de Gas-
congne, votant de loin Paris » ((" 157 V). — Blanchemain, JI, 456.
- Cette scène de riiôtellerie fait le sujet d'un joli poème de M. Belles-
sort, que l'Académie Française a couronné dans sa séance du il nov. 189;).
On le trouvera dans la Revue des Deux-Mondes du 1" mai 189o.
^ Ce récit ne ligure que dans la troisième rédaction du texte de Binet
(1597). Dans les deux premières, on a simplement les quelques lignes que
j'ai citées ci-dessus dans une note, p. 29.
' Je dois trop à Binet pour me montrer ingrat. Laissons parler Sainte-
Beuve : « Cl. Binet, quoique ami et disciple de Ronsard, paraît assez
inexactement informé des premières années de ce poète, et les dates qu'il
donne me semblent souvent suspectes. » {Vie de Ronsard, à la suite du
Tableau. .., p. 291, n. 1).
' La pièce du Bocage ci-dessus indiquée — si, comme je le crois, elle se
rapporte au Aoyage en question — peut nous fournir un argument. Ronsard
y salue Paris qu'il habite, dit-il, depuis cinq ans :
38 .TOACHIM DU BELLAY
Les deux voyageurs ne tardèrent pas à lier connaissance.
Bien des raisons les rapprochaient. Ils étaient un peu parents *.
Ronsard devait beaucoup aux du Bellay: jadis (t54i-i542), il
avait suivi en Piémont Guillaume de Langey : plus tard (t543),
l'évêque du Mans lui avait conféré la tonsure. Leur commune
amitié pour Peletier et leur égale passion pour la poésie ^ les
jetèrent dans les bras l'un de l'autre. Que se passa-t-il dans
cette entrevue ? Il est facile de le deviner. Du Bellay raconta
sa triste enfance, son esprit laissé sans culture, ses rêves
évanouis de gloire militaire, ses études arides et desséchantes
à l'école de droit de Poitiers, ses premiers pas vers la Muse,
cette rencontre bénie de Peletier. qui faisait luire à ses yeux
la pure et brillante image dune poésie ressuscitée. Ronsard,
s'épanchant à son tour en confidences, redit quelle avait été sa
vie jusqu'à ce jour. De noble famille, il pouvait prétendre aux
plus hautes destinées. Son père lavait poussé de bonne heure à
la Cour. 11 avait connu toute une adolescence heureuse et fêtée,
cher aux dames, cher aux princes. Il ambitionnait la carrière
diplomatique, lorsque les premières atteintes d'une surdité précoce
l'avaient contraint, hélas ! de renoncer aux espoirs si chèrement
caressés. D'abord, il en avait souffert; mais bientôt, il avait
trouvé dans les livres une consolation : il les avait toujours
aimés. Son père avait bien a'ouIu ([u'il reprît ses études, faites
jadis un peu trop hâtivement. Un gentilhomme de ses amis,
C'est toy qui as de science, a^ec art,
Endoctriné mon jeune âge ignorant.
Et qui chez toy, par cinq ans demeurant.
L'as allaiclé du laict qui de toy part.
C'est en liîiS que Ronsard, revenu de Piémont, s'étaljlil à Paris, ce qui
iixe son voyage à 1!)47.
' Sans doute par les seigneurs de Glatigny, ancienne famille du Bas-
Vendômois. (Ballu, p. 268, n. 1).
^ Une si belle science,
Qui commença l'allience
De corps et d'à me entre nous,
(lisait Ronsard en laiiO. dans une ode à du Bellav. — Blanchcmain, II, lit).
ENFANCE ET JEUNESSE 31)
qui fréquentait comme lui récurie du Roi, le s(;ij>neur Paul,
l'avait initié à la poésie latine, qu'il cultivait lui-même par
distraction. C'est au seigneur Paul qu'il devait d'avoir goûté
pour la première l'ois dans le texte les chefs-d'œuvre de Virgile
et d'Horace. Il avait même essayé d'imiter Horace dans la
langue du modèle. Mais il s'était vite aperçu qu'il faisait fausse
route, et qu'il valait mieux être le premier en France que le
dernier à Rome. Alors il avait conçu le pi'ojet de faire revivre
Horace en français, et d'enrichir la poésie nationale de l'ode
qui lui manquait. Mais il jugeait ses tentatives trop imparfaites,
trop éloignées de la pure beauté de son auteur, pour mériter
l'impression. Il avait encore besoin de s'instruire. Son père
était mort en 1544- niais une destinée heureuse avait voulu
qu'il trouvât \m second père en M. de Baïf, dont il avait été
jadis le secrétaire, lorsqu'il se rendait en Allemagne à la
diète de Spire. M. de Baif avait un fils, Jean- Antoine, qu'il
avait pris soin de faire élever par les plus doctes précepteurs.
En i544i il avait installé dans sa maison des Fossés-Saint-
Victor un savant limousin, Jean Dorât, qui complétait l'édu-
cation du jeune Antoine, et, comme il se sentait pour son
ancien secrétaire une tendresse toute paternelle, il l'avait admis
à profiter, en même temps que son fils, des leçons du savant.
Ces leçons avaient été comme une révélation. Quel homme rare
que ce Dorât ! Quelle connaissance approfondie de l'Antiquité !
Surtout, quelle science du grec ! M. de Baïf venait de mourir
(1547) ' . Dorât avait été nommé principal du Collège de
Goqueret, et ses deux élèves l'avaient suivi dans sa nouvelle
demeure. C'est là qu'ils vivaient dans la retraite et le silence,
d'une vie intérieure, très active, très studieuse, tout entière
* M. Pinvert, dans sa thèse latine, De Lazari Bayfii vita ac latlnls ope-
rihiis et de ejus amicis (Paris, Fontemoing, 1898, in 8'), P- 3i. place cette
mort en 1350, mais sans donner, selon moi, de son opinion des raisons
vraiment décisives. Je m'en tiens donc à la date traditionnelle.
40 .TOACHIM DU BELLAY
consacrée aux Muses. Antoine de Baïf, plus avancé que lui
dans les lang-ues anciennes, venait à son aide dans l'étude du
grec; lui, par contre, enseignait à Baïf les règles de la poésie
française. Et tous deux, sous l'habile direction de Dorât,
rivalisaient d'ardeiu* et d'enthousiasme, employant tous leurs
jours au travail, se couchant tard, se levant tôt. Car ils
avaient conçu la noble ambition de réveiller la poésie fran-
çaise jusque là faible et languissante, d'illustrer leur mémoire
par des œuvres maîtresses, de laisser après eux un renom
immortel \ Mais puisque du Bellay, lui aussi, soucieux de
gloire, épris d'idéal, se sentait attiré vers la Muse, que ne
venait-il partager leurs études, s'associer à leurs travaux, se
préparer comme eux aux luttes héroïques d'où devait sortir
le triomphe ?
Proposition séduisante ! Du Bellay, sans doute, lit un retour
rapide sur le passé. Certes, il n'avait point perdu son temps à
Poitiers ; il y avait commencé ses études : il avait réparé bien
des lacunes de sa jeunesse : il devait beaucoup à Muret, à
Macrin, à Peletier. Que de choses pourtant lui restaient à
apprendre ! Les paroles de Ronsard lui faisaient entrevoir tout
un avenir d'études sereines, de féconds labeurs, de jouissances
délicieuses, Rome à mieux saisir, la Grèce à connaître, l'Italie
à découvrir, la Gloire, enfin, couronnant son front de poète...
La tentation était trop forte. Incapable de résister, du Bellay
suivit Ronsard à Paris ", pour s'enfermer au Collège de
Coqueret.
* Pour de phis amples détails, v. Binet, VOraison Junèbre de Ronsard
par du Perron, les notices de Marty-Lavcaux sur Dorât, Baïf et Ronsard, le
cliap. I de Freniy (L'Académie des derniers Valois], et mon article sur
« l'invention de l'Ode » (liev. d'hist. litt. de la France, 15 janv. 1899. p 21).
- Un mot très concis de Sainte-Marthe, dans son Éloge de P. Fauveau
(Joacldino Bellaio Farisiis ad legiim siiidia recens illuc profecto,' laisserait
supposer que du lifliay avait passé par Paris avant d'aller à Poitiers. Je
n'ai rien trouvé (|ui me jn-nuelte d'éclainir la f|uestion di' ce i)remier séjour
à Paris.
V
charthh fi
LE COLLÈGE DE COQLEKET
1547- 1549
I. — Le Collège de Coqueret.
II — Jean Dorât, principal de Coqueret. — Un collège au XVI
siècle. — La Brigade et la Pléiade.
III. — Éducation de la Pléiade. — L'éducation par les livres. —
Dorât professeur. — Sa méthode : le latin enseigné par
le grec. — Sa valeur comme philologue.
IV. — La culture grecque. — Caractère surtout poétique. — Les
classiques et les alexandrins. — Défauts et mérites de
Dorât helléniste. — Du Bellay, le moins grec des poètes
de la Pléiade.
V. — La culture latine. — Latins anciens. — Latins modernes.
VI. — La culture italienne. — Valeur esthétique des œuvres
italiennes. — Vive impression produite sur la Pléiade.
VII. — La culture française. — Rabelais. — Romans français. —
Roman de la Rose. — Poésie des XIV- et XV'' siècles. —
Rhétoriqueurs. — Jean Lemaire de Belges. — Clément
Marot. — Les Marotiques et Saint-Gelays. — Les Lyon-
nais : Antoine Héroët et Maurice Scève.
VIII. — L'éducation par la nature. — Excursions dans la banlieue
de Paris. — Le voyage d'Arcueil en 1549. — Une partie
de plaisir chez Brinon.
IX. — L'éducation par les arts — Influence de Denisot. — Rela-
tions avec les artistes. — Les arts plastiques. — La
musique et la poésie.
X. — Publication de 1' « Art Poétique » de Th. Sibilet (1548).
— Impression qu'en ressentent les élèves de Dorât. —
Origine de la « DefEence ». — La collaboration du groupe
au manifeste. — Pourquoi ce fut du Bellay qui le signa.
— Publication de la « Deffence et illustration de la langue
françoyse » (1549).
42 JOACHIM DU BELLAY
C'était un obscur collège, le plus obscur peut-être de tous
ceux c{ui peuplaient la montagne Sainte-Geneviève, que ce
Collège de Coqueret '. oii du Bellay venait, avec Ronsard et
Baïf, se mettre à l'école de Dorât. Il avait été fondé vers le
milieu du xv* siècle par Nicolas Coquerel ou Coqueret,
bachelier en théologie, prévôt et chanoine de Notre-Dame
d'Amiens. Ce prêtre, natif de Montreuil-sur-Mer, avait loué
la basse-cour de l'ancien Hôtel de Bourgogne ^ pour y tenir
de petites éeoles ' et, (( par subtilité », nous dit du Breul, de
locataire s'était rendu propriétaire. Puis il avait revendu son
' Sur le CoHèu-o de Coqueret, cf. du Breul, Théâtre des Antiqiiitez de
Paris (1612), liv. II, p. 732; — Sauvai, Histoire et recherches des antiquités
de la i'ille de Faris (1724), t. II, p. 379; — Félibion, Histoire de la ville de
Paris (I12i>), t. II, p. 761 ; — I^iganiol de la Force, Description de Paris (1742),
t. V, p. 213; — Crevier, Histoire de VUniversité de Paris (1761), t III, p. 341 ;
— Laverdy. Compte rendu aux Chambres assemblées, concernant la réunion
des Boursiers. . . le 12 nov. 1763, p. NO ; — Jaillot, Recherches sur la ville de
Paris (1772-17751, t. IV, 2' part., p. 3<S. — Ces divers hisloi-iens se répètent
à peu près dans les mêmes termes, et tous copient le P. du Breul. Le der-
nier, .laillot, a vainement essayé de pousser plus loin son enquête : « Il y a,
dit il, une si grande obscurité répandue sur l'origine de ce prétendu Col-
lège, qu'il ne m'a pas été possible de la dissiper; il s'est passé d'ailleurs
tant d'années sans y voir ni principal ni boursiers, qu'il n'est pas étonnant
([ue nos liistoriens ou n'en aient pas parlé ou n'en aient dit que très peu de
chose. )) — Les papiers du Collège de Coqueret ne sont point venus aux
Archives, comme ceux de la plupart des collèges parisiens. Les quelques
indications que donnent les Registres de l'Université de Faris (Biblioth. de
la Sorbonne) ont été précieusement utilisées par .1. Quiclierat, dans son
Histoire de Sainte-Barbe (1860), t. 1. — Cf. encore Ch. Jourdain, Index
Chronologicus (1862), p. 290, n. 2.
- La basse-cour de l'IIôtel de Bourgogne était bordée par la rue Char-
tière, la rue du Mont St-Hilairc et la rue du Chaudron (auj. impasse Char-
lière, rue de Lanneau et rue d'Ecosse). Le Collège de Coqueret était sur la
paroisse St-Hilaire. Dans le voisinage se trouvaient les Collèges du Piessis,
de Marmoutiers, de Reims, de Toul, de Karembert. (Cf. le plan dressé par
Ad. Berty, en tê'e du I" vol. de Quicherat). Au xvm'^ siècle, il restait encore
du C(jllège de Coqueret un petit bâtiment, dans la rue Chartière. Il n'en
reste plus rien aujourd'hui.
•' Entendez une sorte de pensionnat dont les élèves suivaient les cours
de l'Université. (Quicherat, op. cit., l. 17).
LE COLLÈGK DK COQUr.nET 43
collège à maître Simon Dnoast, le(|uel avait ou roinnie héri-
tier et successeur Robert Dugast, son neveu, celui-là niènie
qui devait en i556 doter par un acte de fondation le Collège
Sainte-Barbe. Ce dernier, une des figui-es de principal les
plus curieuses de cette époque, avait signalé son administra-
tion par un excès de rigueur qu'inspirait une rapacité sans
exemple. L'avarissime har[)ic de Coqueret, comme l'appelle un
acte du temps, avarissiiua harpj'ia, s'était attiré la réputation
la plus détestable. Sans cesse il avait maille à partir avec
ses l'égents, qu'il traitait de la pire i'açon, jelant l'un en
prison pour lui avoir mangé un pain d'un sou, exigeant d'un
autre un pot de vin illicite et lui confisquant son mobilier,
frustrant un troisième de la paye convenue et lui défendant
même le réfectoire ' ! Les choses étaient allées si loin en 1529
que la Faculté des Arts, à la requête des régents, avait
suspendu Robert Dugast de ses fonctions de principal, ne
lui laissant d'autre titre que celui de propriétaire de son
collège ; elle l'avait déclaré déchu de tous les privilèges
académiques, comme violateur des statuts de l'Université, et,
le jugeant réfractaire, elle avait chargé les censeurs des
Nations d'aller faire la visite de Coqueret pour y rétablir
l'ordre.
Néanmoins, ce mauvais coucheur n'était pas, semble-t-il,
le premier venu. Curé de Saint-Hilaire, chapelain du Ghàtelet,
chanoine de Saint-Marcel, il fut longtemps doyen de la
Faculté de Décret et professa le droit ecclésiastique aux
écoles de la rue Jean-de-Beauvais. Très dur aux régents, il
aimait sincèrement les études, et l'on peut croire qu'il eut à
cœur la prospérité du Collège de Coqueret '. Il faut bien
' Pour les détails, v. Quicherat, op. cit.. t. I, p. 297 sqq.
- « Spectatus vir M. R. Dugast divi Hilarii Curatusnecnon vulgatissimae
Domus Coqueret Moderator. vigilantissimus Decrelorum Doctor ». lit-on
dans une pièce de 1524, que cite du Boulay, Hist. Univ. Paris., VI. 160.— Du
Boulay n'a parlé nulte part spécialement du Collège de Coqueret.
44 JOACHIM DU BELLAY
reconnaître toutefois que si ce collège eut jamais quelque
éclat, il en reste aujourd'hui peu dindices. A peine saisit-on.
dans les ténèbres mystérieuses de son passé, deux ou trois
faits précis qui permettent de supposer que réellement on y
travaillait. Nous savons qu'au début du xvr- siècle, un
Espagnol de Valence, Jean de Gelaya, plus tard professeur
à Sainte-Barbe, y enseignait la philosophie '. Vers la même
époque (i5o4), un certain Denys Lefèvre, régent de gram-
maire, y expliquait, paraît-il, avec un tel succès les auteurs
grecs et latins, que les envoyés vénitiens, alors à Paris, étant
venus l'entendre, dirent tout haut qu'avec un pareil homme
la France était à la hauteur de l'Italie et de la Grèce ".
Denys Lefèvre lisait à ses disciples VInsfifufion Oratoire de
Quintilien, le traité de Philelphc sur l'Education des Enfants,
Lucain, la Rhétorique de Cicéron. Il leur interprétait aussi
la grammaire grecque de Théodore Gaza. C'était peut-être la
première fois, suivant du Boulay, qu'on expliquait du grec
dans l'Académie de Paris '. Singulière destinée qui voulait
que la langue grecque trouvât son premier asile dans ce
même collège où, près de cinquante ans plus tard. Dorât
allait révéler à ses élèves les beautés d'Homère, de Pindare
et d'Eschvle !
' Quicherat, op. cit., I, li;».
- « Habeat Roma suuiii Ciceronein, suuni Livium, suiim Virgilium.
Docta Graecia suum Hoinerum suuinque Demosthenem. Habet oppido
Fabrum suum Parisiensis Universitas. » Du Boulay, VI, 028. art. Dionysins
Faber.
^ « Illc, praeter publicani Granimatices explanationem. Theodorum
Gazam interi)i'ctatus est : quae prima lerc fuit Atticac linguae in Academiam
Parisicnscm introductio. » — Rebitté, dans sa thèse sur G. Budé (p. o1-d2),
confond à tort ce Denys Lefèvre avec le célèbre humaniste Jacques Lefèvre
d'Elaples.
LE COLLÈGE UE COQUERET 45
II
Dans quelles eirconstances rérudit limousin dcvinl-il prin-
cipal de Coqueret ? C'est ce qu'il esl dillicile de préciser. Une
hypothèse toutefois est vraisemblable : Dorât, privé de res-
sources par la mort de liazare de Haif (1547), clic/ Icifuel il
vivait comme précepteur particulier, dut chercher ;i tirer de
son savoir tout le parti possible. Le moyen le plus sur était
encore de professer publiquement. On peut admettre, avec
Quicherat ', qu'il s'entendit avec Robert Dugast, principal sus-
pendu de Coqueret, mais resté propriétaire du collège, pour
prendre la direction générale des études : il laissait à Dugast
la besogne administrative et financière ". Ainsi déchargé de
la partie fastidieuse de ses fonctions, il put s'abandonner à
son rêve d'humaniste '.
Les collèges de cette époque ne ressemblaient pas tout à
fait à ceux de nos jours '*. Les élèves y étaient moins nom-
breux, ce qui permettait entre eux et le maître des relations
plus cordiales et plus intimes. Il serait téméi'aire à coup sûr
de prétendre reconstituer exactement la vie que menaient,
sous la direction de leur principal, Ronsard, du Bellay, Baïf,
les camarades qui partageaient leur existence. Il faudrait pour
cela d'autres données que les allusions plus ou moins vagues
qu'on relève de ci de là dans leurs vers aux années labo-
rieuses de leur jeunesse. On peut assurer toutefois que cette
» Op. cit., I, 302.
- C'est sans doute à la faveur de cette convention que Dugast, supplan-
tant Dorât, finit par redevenir principal de son collège : « Ann. 1551, die
3 octobris, Robertus du Guast,qui praefuit postea collegio Sanctae Barbarae,
primarius eoUegii Coquerctici nuncupatur. » (Jourdain, Index Chronologi-
eus, p. 290, n. 2). — Il fut de nouveau suspendu le 12 avril 1352.
•' M. Robiquet, dans sa thèse latine sur Dorât (p. 8), fixe au mois de
décembre 1547 sa nomination comme principal, mais sans indiquer à quelle
source il a puisé le renseignement.
* Le lecteur pourra lire dans Quicherat (t. I, chap. ix et x, p. 73-92) le
tableau d'un collège au xvi' siècle.
46 JOACHIM DC BELLAY
vie à Goqueret avait quelque chose dune vie de fairdlle. La
présence continuelle d'un maître qu'on vénérait pour son
savoir et qu'on aimait pour sa bonté, le commerce incessant
qu'on avait avec lui, l'échange amical des sentiments et des
pensées facilitaient la discipline.
En dehors des élèves qui vivaient à demeure au collège,
il y avait ceux de l'extérieur qui suivaient les cours à titre
d'auditeurs bénévoles. Car Dorât, non content d'enseigner en
privé, semble avoir pratiqué dès ce temps-là les grandes leçons
publiques. C'est là sans doute ce qu'il faut entendre par cette
académie que le docte humaniste avait, selon Binet, établie au
Collège de Coqueret '. A certaines heures il réunissait autour
de sa chaire tous les étudiants, jeunes ou vieux, qu'animait
la passion de s'instruire. Ainsi s explique qu'il ait compté
dans son auditoire des savants comme Muret, des seigneurs
comme Carnavalet, des évèques comme Lancelot Caries.
Que Dorât ait vu se presser à ses leçons une afïluence
considérable, c'est une chose qui n'est pas douteuse. Dans
une ode qu'il lui dédie en i55o, Ronsard lui rend cet
hommage :
Tant dames ne courent pas
Apres Alcée la bas,
Alors qu'horrible il acorde
Les guerres desus sa chorde.
Comme ta douce merveille
Emmoncelle par milliers
Un grand peuple d'écoliers
Que tu tires par l'oreille '.
* « Ronsard ayant sçeu que Dorât alloit establir une académie au col-
lège de Cocquerel. duquel on luy avoit l)aillé le gouvernement. . . .) C'est le
texte de 151)7 i p. 122). En lo8G, on lit simplement : « lionsard asant sçeu que
Dorât alloit demeurer au collège de Cocqueret, dont on l'avoit fait princi-
pal... » (p. 10). De même en lo87.
2 Je cite le texte de l'édit. orig. de 1550, liv. I, od.- Il, P 23 r". (Bilil. Nat.
— Rés. \'. 4700;. — Blancht-maiii, II, 100.
LE COLLÈGE DE COQUEREP 47
Mais ce qui nous intéresse ici tout pai-liculièremenl, c'est le
petit groupe d'élèves qui vivaient au collège du matin au soir,
([ui [)eut-èlie y couchaient, y prenaient leurs repas, (jui rece-
vaient à toute lieure les léchons privées de Dorât, ([ui l'uirut
les intimes des poètes de la Pléiade, ([uand ils étaient encore
à leurs débuts. Leurs noms, presque tous oubliés aujourd'hui,
sont consignés dans une pièce de Ronsard, ([ui [)arut seule-
ment en i552, mais qui remonte à i54<j, /es Bacchanales '.
Le moins obscur de beaucoup est Nicolas Dcnisot, sur lequel
nous aurons à revenir". Bertrand Bergier de Montembeuf,
un Poitevin que signalaient son esprit plaisant et sa belle
humeur, se lit entre tous une originalité par les écarts d'une
fantaisie échevelée. Après des essais dans la pastorale, c'est
lui qui s'avisa d'introduire dans la poésie les dilhjTainbcs, les
vers bedonniqiies et les /laclii-oiootis, œuvres étranges où tout
s'unissait, semble-t-il, pour déconcerter : la bizarrerie de l'in-
spiration, le désordre des idées, l'absolue liberté du rythme,
' Blancheinain, VI, 338.
- V. plus loin, même chap., § ix, p. 80.
' Il est souvent question de Bertrand Bergier chez les poètes de la
Pléiade. Du Bellay lui dédie : l» dans ses Vers Lyriques de 1349, l'ode Ti, Du
premier jour de fan (I, 190) ; 2" dans ses Poésies de 133^, une Ode pastorale,
en tète de laquelle il le qualilie de « poète bedonniquebouHonnique » (11,37):
3" en 1338, une pièce des Jeux Rustiques (II, 363) : 4" en lo39. une épigramme
des Xenia, Montibos poeta dUhjrambicus (f" 13 r "). — lionsard lui consacre
une Ode en 1330, la 13" du livre I (f" 27 r"). Il fait de lui ce beau portrait :
Plein de vertu, pur de tout vice,
Non brûlant après l'avarice
Qui tout atirc dans son poin ;
Chenu de meurs, jeune de force.
Ami d'épreuve, <iui s'elïoi-ce
Secourir les siens au besoin.
(Blancheniain, II, 116).
— Baïf lui adresse une ode au liv. III des Passetems (IV, 348). — L'ode de
Baïf et la 3= pièce de du Bellay caractérisent assez nettement la manière de
ce poète, dont il ne reste aujourd'hui qu'un spécimen, imprimé dans les
œuvres de Bonsard, les Dilhjrautbes recitez à la pompe de bouc de Jodelle
(Blanchemain, VI, 377. — Marty Laveaux, Appendice de la Pléiade, I, 48). -
Sur Bertrand Bergier, v. Dreux du Badier, Bibl. hist. et crit. du Poitou, II,
101. L'auteur s'appuie sur du Bellay, mais il se trompe en voyant dans ses
vers des intentions satiriques.
48 JOAGHIM DV BELLAY
raccumulation des néologismes et des mots composés, la
recherche exagérée de Iharmouie imitative. Un troisième,
Guy Pacate '. qui se poussa dans les fonctions ecclésiastiques
et devint i)rieur de Sougé, se distinguait surtout dans la
poésie latine. Quant aux autres, Abel de la Hm'teloire % René
d'Urvoy ', Claude de Lignery ', Pierre des Mireurs % Ange
Capel % et cet obscur Lalan dont on ignore jusqu'au prénom,
qui s'en souvient ? Voilà pourtant les compagnons auxquels
Ronsard et du Bellay dédièrent quelques-unes de leurs pre-
mières odes : voilà ceux qui composèrent, avec eux et Baïf,
la Brigade primitive. Plus tard, lorsque Ronsard et du Bellay,
bientôt suivis de Baïf, eurent fait leur trouée et que le succès
couronna leurs cllbrts, on dédaigna quelque peu ces camarades
de la première heure. De nouveaux venus étaient entrés dans
le cénacle, Etienne Jodelle, Rémy Belleau. d'autres encore. Le
nom de Brigade apparut Jjien humble et bien terne. Ronsard
chercha mieux pour (|ualilîcr ceux qui s'étaient tirés du pair.
' La Cruix du Muiai- lui consacre un article (I, 302) : « 11 ctoit si bien
versé, dit- il, en plusieurs arts et bonnes disciplines, et surtout en la Poésie
Latine, qu'il a été admiré de son temps pour ses doctes compositions, et
(irincipalement de Ronsard, Prince des Poètes François, son plus grand
ami. » En IodO, llonsard lui dédie la 7" ode du livre IV, f° 117 v \ (Blanche-
main, II, 253).
- En looO, llonsard lui dédie l'oik- li du li^•. II. [" Sj V. iBlanuliemain, II,
lijOj Plus tard, il ladresse à Dorât.
' En loi9, du Bellay lui dédie son ode 3, Les louanges d'Amour (1, 180).
— En 1550, Ronsard lui dédie l'ode 17 du livre 1\ , 1" 133 v '. (Blanchemain, II,
433).
* En ['m2, Ronsard, publiant à la suite de ses Amours (Bibl. d'Orléans,
D. 1505) le V' livre de ses Odes, dédie à Lignery la 10' de ces Odes, p. 203.
(Blanchemain, II, 335).
■'' Pierre des Mireurs (Petrus Miraiius), médecin, a collaboré par des vers
latins au Tombeau de Marguerite de Navarre (1551) . 11 avait pour devise :
Ignoti nulla cupide. — V. sa lettre à Morel, à propos des Folastries de
Ronsard (1553j, publ. par M. de Nolliac, Ilei>. d'hist. litt. de la France, 1899,
p. 350-300.
'' Ange Capel, sieur du Luat, a traduit divers ouvrages de Séuèque et de
Tacite. Cf. La Croix du Maine (1, 23) et du Verdier (I, 79).
LE COLLÈGE DE COQL'EKEÏ 49
Il évoqua ses souvenirs, se rappela tout à coup Alcxandi'ic,
découvrit la Pléiade \
III
Quelle éducation les poètes de la Pléiade ont-ils reçue au
Collège de Coqueret ? Dans quel sens Doiat, leur maître,
a-t-il dirigé leur intelligence ? Ces questions générales se
posent à propos de du Bellay d'une manière impcM-icuse. Ce
n'est pas seulement parce que les leçons de Dorât, en for-
mant son esprit, ont inllué sur son œuvre de poète, mais
encore parce que Joachini sest l'ait dans la Deffencc le porte-
parole du groupe tout entier, et que les idées de ce mani-
feste sont avant tout l'expression de la culture intellectuelle
dont Coqueret fut le théâtre. Faire un tableau complet,
exact de ces études est une tâche des moins faciles. Les
données de Binet et des autres biographes de l'époque ne four-
nissent qu'une lumière insuliisante. Force est donc, pour
résoudre le problème, d'employer une méthode plus directe,
' Ce terme de Pléiade est bien de Ronsard : « Il me souvient, écril-il en
to64, d'avoir autrefois accomparé sept ijoëles de mon temps à la splendeur
des sept estoilles de la Pléiade, eonime autrefois on a voit l'ait des sept excel-
lens poètes Grecs qui florissoient presque d'un mesme temps. ))(Blanelieniain,
VII, 147). Cf. ce que dit Binet dans sa Vie de Ronsard (texte de lo97, p. 163i.
— Peut-on marquer à quelle é])oque lionsard imagina la Pléiade ? Approxi-
mativement. Le terme de brigade, (\\ii se lit deux fois dans les Bacclianal.es
de 1349 (VI, 359 et 372), est encore en usage en lo52, lors de la fête du bouc de
Jodelle (cf. Honsard, VI, 382 et VII, 111) D'autre part, en 1336, dans VELégie
à Chretophle de Choiseul, abbé de Mureaiix, que Ronsard mit en tète de
l'Anacréon de R. Belleau, voici comment il salue l'entrée de Belleau dans le
groupe :
...Belleau. qui vins en la briirade
Des bons, pour accomplir la septième Pléiade.
(Blanchemain, VI, 202).
C'est donc entre 1332 et 1336 que la Pléiade s est substituée à la Brigade.
Il faut renoncer à l'idée courante qui nous montre la Pléiade constituée dès
i;i49. Le groupe primitif se compose uniquement de Dorât, du Bellay, Ron-
sard et Haïf. Néanmoins, dans l'exposé qui va suivre, j'emploierai souvent
le mot de Pléiade pour désigner d'une façon générale l'école nouvelle.
Univ. de Liite. Tome VIII. A. 4
oO JOACHIM DU BELLAV
mais aussi plus délicate : il faudra s'adresser aux poètes
eux-mêmes, chercher à travers leurs premiers recueils la trace
immédiate des leçons du maître.
Ce maître, on sait quel vivant souvenir, fait à la fois de
reconnaissance et d'admiration, il a laissé dans Tàme de tous
ceux (|ui furent ses élèves, et le nombre en fut i^rand de
i547 *^ IÔ88 ' ! Binct voit en lui (( la source qui a abbreuvé
tous nos Poètes des caués Pieriennes ' », et Belleforest s'écrie
sur le ton lyrique : (( Entre tant d'hommes excellents qui
sont sortis de la ville de Limoj^es, je ne peux taire ny
omettre cet Homère (lauloys et Piudare Grec-Latin. Jean
Dorât, le plus rare et subtil esprit poëtic de nostre siècle —
pour ce qu'il est comme un fanal posé à la veûe de ceux
qui taschent de visiter l'oracle plus secret des Muses, et
(jue je ne sçay si nostre siècle en verra im send>lable, puisque
avant luy dès les anciens siècles on n'en sçache qui
Payent devancé en stile ny érudition ' ». Povu' être moins
liai'dis peut-être en métaphores, les hommages que lui rend
la Pléiade ne sont ni moins émus ni moins sincères. Dès
i.")5o. Ronsard, dans une t)de, lui renvoie tout Phonneur de
sa gloire naissante :
Si j'ai tlu l)ruit, il n est mien ;
Je le confesse estre tien,
' . Docui inullos Gnioce atque Latine
l'raïuica ri exlenia de rcj^ionc procul,
(lil il (le lui iiième (Poematia, IliSli : Epigr. lib. I, p .S).
- Texte de loi)", p. 121.
■' (Josmograpfne universelle, tiJT.o, t. I, eol.-'^l.'î. — Citons encore ee
t('inoii;na<!:e de (.1. Gaueliet :
.Je ne veux pus. Daurat, (tloul la jjIuuu' dorée
Sera île nos suivants à Jamais honorée).
Me mettre au.x cliamps sans toy : toy qui de docte uuiin
Latin. Grec et François, as trassé le chemin
A tant de bons esprits, qui Conl voir par la France
Le (Viii( l (pTils ont porté de ta docte semence.
Le plaisir des clianips, Paris, ['68'.i. Liv. 1, i». (j.
LE COLLÈGE DE GOQUERET 51
Dt)ul la st'ienco hautaine
Tout altéré me Ireuva,
Et bien jennc m'abreuva
De l'une et l'autre Ibntaine '.
Ce même sentiment d'afTeetueuse gratitude, si [jrol'ond iliez
Ronsard, on le retrouve ehez liaïC et du Bellay ". Peu de
maîtres eurent à ce point le c(eur de leurs élèves.
Quelle était, en matière d'enseignement, la méthode de
Dorât ? Une phrase de Binet nous l'indique : « Et n'est à
omettre en cet endroit, écrit-il à propos de Ronsard, que Dorât
par un artifice nouveau luy apprenoit la langue Latine par la
Grecque ' ». On voudrait des détails plus précis, mais Binet
sur certains points est d'un laconisme désolant. Que faut-il
entendre par cet (t artifice nouveau » ? Ceci, je crois : Dorât,
faisant du grec le principe et la base de son enseignement,
ne perdait aucune occasion de faire avec le latin d'utiles et
féconds rapprochements. Même avant io4", Ronsard, du Bellay,
Baïf avaient du latin celte connaissance élémentaire que pos-
sédaient alors tous les écoliers ; mais il leur manquait la
culture supérieure. Quant au grec, si Baïf, fds d'un helléniste,
élevé dès son jeune âge par des hellénistes, Ange Vergèce et
Jacques Toussaint, le savait, pour ainsi dire de naissance, il
n'en était pas de même de ses deux amis : Ronsard lavait
commencé seulement en i544i dans la maison des Fossés-Saint-
Victor, lors([u il fréquentait chez Lazare de Baïf. et du Bellay,
suivant toute ap})arence, n'en savait pas le pz^emier mot lors-
qu'il débarqua de Poitiers. C'est donc, semble-t-il, de ce côté
^ Edit. orig., liv. I, ode 14, f" ii6 r". (Blancheuiaiu, II. 4ii)) — V. encore
dans Ronsard dautres hommages à Dorât, I, V.%: II, 108; 111, 373: IV. 32;
V, 19U et 213.
- Je ne puis songer à citer tous les textes, ^'oici du moins les références
essentielles : du Bellay. Musagn. (I, 146), Poemala (i' " 10 a et 31 vj, Xenia
(fo 12 r). _ Bail', 1. fi : 11, KiO; IV, 418.
» Texte de IjStl, p. 10.
52 JOACHIM DU BELLAY
que Dorât dut surtout porter ses efforts. Mais il trouva dans
l'enseignement de la langue grecque un point d'appui solide
pour asseoir une culture latine supérieure et inculquer à ses
élèves, d'une manière plus intelligente, plus rationnelle, les
secrets de l'idiome si bien manié par Gicéron et par Virgile,
Que valait il comme philologue ? Si l'on en croit Scali-
ger '. il (Hait avec Cujas le plus judicieux critique da siècle,
le plus habile à corriger et rétablir le texte des auteurs.
Sainte-Marthe n'est pas moins élogieux : a Et summa erudi-
tione et acerrima conjectura praestans optimi quoque critici
laudem (juotidie mereljutur " ». Xous sommes, il est vrai,
mal à Taise pour vérifier si ces éloges sont mérités : Dorât
n'a pas laissé, comme Tnrnèbe, Lambin ou Miu^et, de travaux
critiques, qui nous permettent d'apprécier ses qualités de philo-
logue. Son humanisme fut tout oral. Mais il n'est pas douteux
qu'ayant affaire à des novices — en grec, s'entend — il n'ait
donné à la partie grammaticale une place importante. Je
verrais volontiers les traces d'une leçon de Dorât dans cette
page de la Deffence où du Bellay s ingénie à distinguer le
mot i'jOfxoç de ses synonymes gi'ecs '. Au surplus, c'est moins
par sa science philologique que par son goût littéraire qu'il
a formé les poètes de la Pléiade. A ce titre, il est responsable
du sens dans lequel il a dirigé leurs études et des modèles
qu'il a proposés à leur admiration. Laissons donc le savant
et vovons le lettré.
IV
Quoiqu'il ait fait encore plus de vers latins que de vers grecs,
Dorât fut surtout un helléniste. Il possédait le grec à fond,
* l'rifita Scalif^erana, p. 2.0, édit. d'Amsterdam, 1740.
- ELogia (lo9Si, nri. loannes Aiirattis, p. <S"-88.
' Édit. Porson, p. i'M. ,
LE COLLÈGK DE COQUEHKT li'.\
nous (lit un de ses biographes, l*apii'e Musson : h Laiideiii
ipse sibi peperit ex cogaitione linj,''uae gi'aecae, quain o/jliine
novefdt ' ». Il nourrissait pour les génies de la Clrèce une
admiration sans réserve, el nalurellemenl il lit partaofcr son
enthousiasme à ses jeunes disciples.
Ce n'est pas trop hasarder, je crois, cpie de prétendre
qu'il leur révéla l'antiquité grecque à peu près tout entière.
Avec cette ferveur des humanistes de la Renaissance qui ne
veulent rien sacrifier, il ne leur épargna même pas Tzetzès '.
Sa curiosité, comme celle de ses élèves, était insatiable '. Ce
n'est pas à dire pourtant qu'il se soit arrêté sur tout égale-
ment. Qu'il ait suivi ses goûts personnels ou qu'il ait deviné
les secrètes préférences de ceux qu'il enseignait, il fit aux
poètes la part plus large qu'aux prosateurs. Parmi ceux-ci,
c'est Platon de beaucoup que la Pléiade connaît le mieux, et
Platon n'est-il pas un poète ? Elle a lu ces poèmes admirables
qu'on appelle le Phèdre et le Banquet * ; elle s'est laissé
séduire à la théorie des Idées ' : elle a puisé dans Y Ion cette
' Pap. Masson, ELogia, II, 288. — Gandar, dans sa thèse sur Ronsard,
apporte quelques restrictions à l'éloge : a Personne n'a plus fait que Daurat
pour répandre la connaissance et le goût de la poésie grecque ; mais rien ne
prouve qu'il eût autant de goùl que de zèle, ni cette connaissance exacte de
la langue qui distingue Budé parmi ses maîtres et Turnèbe parmi ses
rivaux » (p. SI).
- Deffence, p 136.
3 « Ronsardus, doctore usus in Graecis et in Latinis literis Aurato, ex
aureis divini illiiis hominis fonlibus tantiim hausit quantum si non ad satie-
tatem, sallern ad saturilatem nitientissirno cnivis homini paierai satisfacere.
Nec enini in antiquis Graecoruni aut Latinorum nionumentis quid laiii abdi-
tum et reconditum latet, quod ille non perquisierit, nullus solertioris ali-
cujus interpretis Graeci locus, nuUa i)aulo venustior extat fabella, (juain ille
non annotarit et expresserit. » Georg. Crittonil Laudatio funebrin habila in
exsequiis Pétri Ronsardl apud Hecodianos, p. .j. Paris, i.'iSlj.
' Souvenirs du Phèdre : du Bellay, Olive, s. iii et 113. — Souvenirs du
fianquel : Ronsard, IV, 320 321 (théorie d'Aristophane) et IV, 373 (théorie de
Diotinie). Cette dernière pièce fait partie des Meslanges de i'6'6'6, f" 8 r».
(Bibl. Nat. — Rés. pY'. 123).
' Deffence, p. 93 et 100. — La théorie de la réminiscence est résumée par
Ronsard dans une ode à Denis Lambin, édit. de IodO, liv. 111, ode 7, f" 81 r».
(Blanchemain, II, 208).
54 JOACHI.M DU BELLAY
conception si haute et si belle que la poésie n'est pas un art
humain, mais un don céleste, une divine inspiration qui, par
les anneaux d'une chaîne mystérieuse, ravit les hommes à Dieu '.
C'est au commerce de Platon, ce pur artiste, qu'elle doit en
partie la tendance esthétique qui domine son œuvre tout
entière. — Après Platon, c'est Plutarque qui semble avoir
été son prosateur de prédilection. La Deffence contient mainte
anecdote qui vient en droite ligne des Vies parallèles ou des
Œuvres morales ". — En dehors de là, je relève bien dans la
Deffence de vagues allusions aux harangues de Thucydide, à
la Poétique d'Aristote, aux discours de Démosthène, aux
dialogues de Lucien : ce n'est pas assez pour conclure que la
Pléiade les a beaucoup pratiqués.
Quant aux poètes, Dorât les a fait lire ou les a lus lui-
même à ses élèves avec une passion manifeste. Épiques et
lyriques, tragiques et comiques, jusqu'aux auteurs d'élégies et
d'idylles, tous, depuis Homère jusqu'à Tliéocrite, ont été par
lui déchiffrés, expliqués, commentés. Il donnait sur le texte
tous les éclaircissements, et ses élèves après lui s'efforçaient
à le traduire tantôt eu latin, tantôt en français '\ Ils se pré-
paraient par ces exercices à limitation plus indépendante
qu'ils devaient un joui' poser en principe.
Quels qu'aient été ses mérites dans cette initiation de la
jeune Pléiade à l'antiquité grecque, on peut faire à Dorât
' Ronsard, Ode à Michel de L'Hospital (il. 8^-85). Celle ode fui publiée
pour la première fois en loi')2, dans le V' livre des Odes, p. 170, à la suilc
des Amours (Bibl. d'C^rléans, D. loO;;). — L' Ion avait élé traduil en français
par Riciiard Le Blane (1;)4()) : dans une curieuse épitre liminaire, le traduc-
teur soutient après Platon que « poésie est un don de Dieu ;>. Sur ce point,
V. A. Lefranc, Rev. d'hist. lilt. de la France, 1896, p. 37-39.
- Deffence, p. 33, 70, 77. 80, 104, 123, l.')3, 1.36.
' Lazare de Baïf, dédiant à François I" sa traduction en vers français de
VHécube d'Euripide, lui raconte qu'il eut l'idée de ce travail en voyant une
traduction latine littérale que « ses en/ans » (Baïf et Ronsard) avaient faite
de celle tragédie d'après les commentaires de leur précepteur Dorai. Ce texte
curieux et peu connu est cité par Fremy, L'Académie des derniers Valois,
p. 13-16.
LE COT.LEGF, DE COQUERF.T lilî
deux reproches assez graves, et cela sullit pour qu'où ail le
droit de suspecter sou goùl el sa ci'iti([ue. Il eut d'abord le
tort d'attirer spécialeuieut ses élèves vers les parties les plus
ardues de la poésie greeijue. (^)ue leur lit-il de préférence ?
C'est Aristophane ' , c'est Eschyle \ c'est Piiidare. Ictus
auteurs diniciles à coup sur, et qu'on n'entend point sans de
rudes ellbrts. Pindare surtout, encore ignoré, Piiulare, dont
il n'existait qu'un texte douteux et mal étal)li ', voilà son
dieu ! Moins timoré (|u'Horace, il osa l'imiter, façonuaul en
latin des odes pindariques "* ! (^uoi d'étonnant après cela que
son meilleur disciple en ait fait de françaises ! Si la IMéiade,
à force de pâlir sur des textes obscurs, a trop souvent jugé
de la valeur des œuvres par la peine qu'elle s'était donnée
pour les posséder, c'est à Dorât qu'il faut s'en prendre '.
Mais il y a plus. Pour ai'dus qu'ils soient. Aristophane,
Eschyle et Pindare sont du moins tles classiques, et l'on ne
risque pas de puiser dans leurs œuvres le mauvais gont des
productions de décadence. Mais que faut-il penser, lorsqu'on
voit Dorât mettre au rang des classiques les alexandrins ?
Passe encore pour Théocrite : celui-là vraiment était un
poète. Mais Dorât ne sut pas se borner aux Idylles. Dans
son culte aveugle pour la Grèce entière, il découvrit à ses
élèves ApoUonios et Gallimaque, Aratos et Méandre, et
jusqu'à cet énigmatique Lycophron, qu'il aimait sans doute
' Un des premiers essais de Ronsard fut une traduction du Plutiis
d'Aristophane qui fut jouée au théâtre du Collège de Coqueret. il en reste
un fragment, retrouvé dans les papiers du poète après sa mort (Blanche-
main, VII, 281).
- On connaît l'anecdote de Binet sur une lecture du Prométhée.
' Sur ce point, v. Gandar. op. cit., p. !S0.
* Sainte-Marthe, art. loanncs Aiiratus : ((Neque solum in lyricis Horatium
aemulabatur. sed etiam ad Pindari numéros Latinas Odas inusitata i^cnustate
effingebat. n
• Faguet, Seizième siècle, p. 207-208.
36 JOACHIM DU BELLAY
en raison même de son obscurité \ Tous étaient Grecs :
c'était assez pour mériter le même hommage. Dans ces con-
ditions, doit-on trouver étrange que la Pléiade n'ait jamais
bien su distinguer d'Athènes Alexandrie * ?
Par ce manque de critique dans le choix des modèles,
Dorât a faussé le goût de ses élèves. Son influence explique
certains écarts qui ne laissent pas au premier abord de nous
étonner. On n'est point peu surpi'is par exemple de rencon-
trer dans la Deffence la moitié d'un chapitre ' consacrée à
célébrer lantique noblesse de Vanagramme et de V acrostiche.
Eh quoi ! la jeune école traitait d' (( épisseries » les ballades
et les rondeaux, chers aux vieux rimeurs, et c'était pour
conseiller aux poètes de l'avenir des tours de force de cette
espèce ! La belle idée ! — Cette idée. Dorât la tenait des
anciens. Il savait de Tzetzès que Lycophron s'était rendu
moins célèbre par ses vers que par ses anagrammes ; il avait
appris d'Artémidore que les anagrammes donnaient la clef
des songes. Et quant aux acrostiches, autre invention
grecque, ils se recommandaient d'Eusèbe et de Saint- Augustin,
de Gicéron et de Priscien. N'était-ce pas là des titres de
noblesse " ?
' C'est une chose curieuse d'entendre un contemporain qui sij^ne 1, M. P.
[Ican Martin Parisien?] dans sa Brève exposition de quelques passages du
premier livre des Odes de Pierre de Ronsard, 1550, louer Dorât, a homme
de sinjjfulier jugement et de parfaite érudition », d'avoir « démellé les plus
desesi)ercs passages de l'obscur Lycophron, que nul de nostre âge n'aA'oit
cncores osé dénouer )). F" 150 r", à la iin des Odes de Ronsard.
- Voir un mémorable exemple de celte confusion dans l'Ode à Michel de
L'Hospitnl, loo2. (Blanchemain, lî, 89). Ronsard, retraçant l'histoire de la
Poésie, la divise en trois âges : les poètes divins, les pcètes humains, les
poètes romains. Les poètes humains comprennent, dans un pêle-mêle bizarre,
les grands classiques et les alexandi-ins.
' Liv. II, chap. 8, p. 13(5.
* Dorât s'était fait un vrai renom par ses anagrammes (Hobiquet, op. cit.,
cap. IV, p. 85 : Aurali anagrammala) . Il n'est pas vrai pourtant qu'il les ait
inventés. Comme le dit du Bellay, c'était une chose fort vulgaire en notre
langue. Mais il les fortifia de l'autorité de Lj'cophron et des nombreux
modèles qu'il en donna. Son meilleur est celui qu'il lit pour Ronsard, en
LE COLLKOI-: I)K COQirKin'.T "(7
Ne soyons pourtant pas ti'oj) sévères. Si ce IrUvr iiiaii(|iia
de g"OÙt, il ne manqua pas d'enthousiasme. Il srnlail vive-
ment, il admirait avec chaleur : jjour tout dire, il avait la
i'oi. Lorsqu'il interprétait ses Grecs aimés, son visas>e, d'ordi-
naire assez déplaisant et quckpie peu rustique, se ti-ansligu-
rait ; les paroles coulaient de sa i)()uclie, l'aciles cl vibrantes ;
il devenait éloquent '. 11 taisait passcsr dans l'âme d(î ceux
qui l'écoutaient l'ardeur passionnée (jui brûlait la sienne ; ses
élèves, charmés et ravis, demem-aient suspendus à ses
lèvres ". On conçoit sans peine raclioii sin^-ulière qu'il dut
exercer sur des jeunes gens enthousiastes, eux aussi, très
curieux des belles clioses. très avides de s'instruire, (l'est une
vérité banale aujourd'hui (pie la Pléiade — au moins au
transposant IlîTpo; 'Po)vr7apoo; en —ii>; 6 TsoTravopo;. Déjà (Charles Fonlainc
avait tiré sa devise de son nom par anagramme (fiante le françoU). De même
lelian Bouctiet {Ha bien touché). Nicolas Denisot se faisait appeler Conte
d'Atsinois. Ni du Bellay n i llons;M'd n'ont beaucoup versé dans ce travers :
c'est déjà trop pourtant qu'ils aient fait — et cela (circonstance af><ïravante)
sur la lin de leur vie — l'un l'anaj^ramme du président Minard (Antoniuf;
Minarius = Natus rima Minois), l'autre celui d'Hélène de Surgcres, le ré [lilel]
des généreux. Mais Baif, plus alexandrin (jue ses deux amis, a volontiers
pratiqué l'anagramme (I, 314; IV, 262, 3^." J, 437) comme aussi l'acrosticlie (I,
319; IV, 22S et 409). — Sur ces deux jeux d'esprit, v. les Bigarrures de Tabou-
rot des Accords, chap. ix et xv (édit. de Rouen, 1640). Dans son Art Poétique
(1597), Pierre de Laudun d Aigaliers leur donne encore une importance
excessive. Mais Vauquelin de la Frcsuaye, dans le sien (KÎO^J), les juge à
leur valeur :
Je ne veux toutesfois qu'un bon esprit se liclie
A faire un Anagramme, à faire une Acrostiche
D'un travail obstiné : ce sont fruicts abortifs
Dont la semence vient des jtovres iippienlifs.
Liv. I, v. 379 sqq.
' Pap. Masson, II, 288 : « Ilomeruni, Pindarum, Lycoplironem, et caetera
Graeciac lumina interpretabatur, magna industria et faciLLlale dicendi, larnetsi
vullu subrustico et insuavi erat ».
-' Jacques Veillard de Chartres dépeint ainsi l'impression produite sur
Ronsard par l'éloquence de Dorât : « Ut jani tum Graecarum artium deside-
rio flagrabat 1 Ut pendebat ab ore doctoris, cum hic Delius Auratus Aeschy-
lum, Pindarum, Musacum, Hesiodum, hostes antea et barbaro->, primum
Galliae donabat, quos ille tum sic avide arripuit, quasi diulnrnam sitim
explere cupiens ! » Pétri Ronsardi Pottae Gallici laudatio Junebris, f" 14 r^
Paris, l.'iSO, in-4". (Bibl. Nat. — Lu-'T, 17.840).
38 .lOACHIM DU BELLAY
début — s'est sentie bien plut(H attirée vers la Grèce que
vers Kome. Elle a délaissé pour un temps la tradition latine.
Elle n'a pu résister à l'éblouissenient que lui causait la sou-
daine révélation des génies de l'Hellade. A leur pur contact,
elle a vu rayonner devant ses yeux un monde supérieur de
poésie et de beauté. Séduite et confiante, elle a rêvé d'y
pénétrer, pour y ravir l'art idéal et le rapporter au reste
des hommes. Mais ce rêve, aussi grandiose que téméraire,
c'est l'âme de Dorât (jui la rentlu possible.
Si j'ai tant insisté sur le caractère de cette culture, c'est
pour marquer ce qui sépare ici du Bellay de ses amis. Je
ne crois pas qu'il l'ait subie au même degré que Baïf ou
Ronsard. Nous savons tout ce (pii manquait à son instruc-
tion première . A Poitiers . il n'avait réparé ces lacunes
(ju'en ])artie. Lorsqu'il vint s'enfermer à Goqueret, il y avait
trois ans déjà que Ronsard et Baïf faisaient du grec sous
la direction de Dorât : ils avaient donc une forte avance. Si
zélé (pi'on le suppose pour se mettre au pair, — et malgré
ce ([u'on sait du i)rodigieux surmenage intellectuel que ne
redoutaienl pas les écoliers du xvi^ siècle *, — il me semble
impossible ([ue du Bellay ait pu devenir, en si peu de temps,
un sérieux helléniste. S'il admira Pindare, ce dut être de con-
fiance et sur le dire de ses amis. Par lui-même, était il de
taille à l'entendre ? Il y gagna du moins de s'épargner cer-
taines <M'reurs où les autres tombèrent. Xon <pie je veuille
incriminer les (Irecs et les rendre responsables des méprises
(le Hoiisanl ou des ridicules de Ba'if. Mais on ne peut nier
(jue rinsullisance de sa culture grecque, en le préservant de
l'alexandrinisHU', n'ait été pour du Bellay plutôt heureuse, et
(pi'elle n'ait dans \nie certaine mesure sauvegardé son origi-
nalité. (]e poète naturel et facile eut l'admiration des Grecs
' L'éducation de Panla<jrutl n'est pas un pur roman, nu'ou se rappelle
les études d'Henri de Mesmes à l'aris, [)uis à Toulouse.
LE COLLÈGE DE COQUERET o9
sans en avoir le |)réjui^(''. Son i-oùt nCul pas à soud'rii- d'un
excès (riiellénisnu;. 11 l'ut le seul à disting'nei' Homère de
Lycophron '. A l'école de Dorât, ce n'est déjà pas un si mince
mérite.
Y
En même temps (|u'il révélait à ses élèves les génies de
la Grèce, Dorât prit soin de compléter et de parfaire leur
connaissance des lettres latines.
Là encore les poètes obtinrent la préférence, Horace sur-
tout, celui des Latins que la Pléiade a le mieux connu, le mieux
senti, le plus aimé '. — Virgile vient ensuite, le doux Virgile, si
Grec par tant d'endroits, et dont elle a goûté l'iiilinie perfection.
Ronsard, on le sait, l'apprit entièrement par cceur ■, et lorsque
du Bellay se mêla de traduire, il alla droit à Y Enéide '. —
Les élégiaques, Catulle, Properce, Tibulle, Ovide, ont été
beaucoup lus des élèves de Dorât '. moins imités toutefois
qu'on ne serait tenté de le croire : évidemment Pétrarque
leur a fait tort. — La Pléiade a de même pratiqué Lucrèce ",
Martial ' et Stace ', sans doute aussi Lucain et Juvénal, quoique.
' Deffence, p. 94-93.
- Les imitations d'Horace ou les simples réminiscences sont innombra-
bles dans les premiers écrits de la Pléiade.
' Binet, texte de 1397, p. 1i!l.
* Il semble que les Géorglques aient été notamment de la part de la
Pléiade à ses débuts l'objet d'un culte fervent. Voici, dans les premières
œuvres, quelques-unes des imitations les plus typiques : Deffence, p. 1.33,
application à la P'rance du fameux éloge de l'Italie (G. II, 136). Cf. une autre
imitation du même passage dans V Hymne de France (1349) de Ronsard
(V, 283).— Du Bellay, dans son Chant triiunphal sur le voyage de Boulongne
(I, 232-233), imite le début du liv. 111 des Géorgiqiies. — On relève dans les
Odes de Ronsard quelques souvenirs du poème latin : ainsi 11, 119 = G. II,
323. Plus tard, dans son Orphée (III, 423), il traduira toute une partie de
l'épisode d'Aristée (G. IV, 43o).
'' Deffence, p. 114. — Ronsard, I, 123.
" Deffence, p. 73 et 93.
' Deffence, p. 113 et 123.
» Du Bellay, II, 50.
60 .lOACHIM l)t' BELLAY
dans ses premières œuvres, je ne relève de ces deux écrivains
aucun souvenir précis '.
Mais Dorât ne se borna pas aux poètes : orateurs, histo-
riens et critiques Toccupèrent également. Il entendait ne laisser
rien ignorer à ses disciples. Dans ses savantes leçons, cela
va sans dire, il lit à Gicéron une place d'honneur ". Mais
Salluste et Tite-Live ne semblent point en avoir souffert \ Il
n'est pas juscpi'à Pline l'Ancien, (( personnaige de grand'
renommée », comme l'appelle la Deffence (p. 49)' 'I^^^ Dorât
n'ait l'ait connaîti-e à ses élèves, en raison, j'imagine, de son
caractère encyclopédicjue '' . Et je me tais du biographe de
Virgile, le grammairien Claude Donat \
Surtout, il n'eut garde d'oublier les auteurs d'ouvrages
tecliniqnes où étaient enseignées Jcs règles de l'éloquence et
de la poésie. C'était peu d'iidinirer l'art antique dans ses
])r()dui-li()ns diverses : il fallait en surprendre les secrets. Où
pouvait-on les mieux saisir qu'à travers ces ouvrages, dont
l'objet précisément était de les mettre en lumière par une
critique intelligente et judicieuse, l'analyse détaillée des beautés
littéraires, l'exposé méthodique des règles qui se dégageaient
des cliel's-d'dMn re eux-mêmes ? Les traités de rhétorique de
' Toutefois, (( celé Grèce menleresse » (Deffence, p. 10^) rappelle le
Graecia inendax de Juvénal.
- Rien que dans la Deffence, on trouve des souvenirs du Pro Miirena
(p. Sai, du Pro Archia (p. 123i, du De Finibus (p. 80 et 95), des Tiisciilunes
(\>. 123), ûv^ Académiques (p. i:56i, du De Divinutione (p. 137), des Lettres d
(Juintus (p. 110 cl IVO), — sans parler des ouvrages de rhéloriquc.
' Deffence, p. 120-121. .\ noter des souvenirs île Sallusle, p. 47, 54, 50. De
Tacite, point de trace.
" Une pensée de Pline l'Ancien semble avoir surtout frappé du Bellay :
c'est à savoir que la Nature est pour l'homme une marâtre plutôt qu'une
mère (llist. IVat , VIT, 1) : on la retrouve jusqu'à cinq fois dans son œuvre
(Deffence, p. 49; Otive, s. 103; Ode au Card. du Bellay (II, 27); Antiq. de
Home, s. 9; Hegrels, s. 45) Elle est encore dans Baïf, Vie des C/jams (11,30).
Cf. d'aulres souvenirs de Pline l'Ancien dans Ronsard, Amours de Cas-
sandre, s. 138(1,79).
'" Deffence, p. 123 el li4; 2" préf. de l'Olive (I, 76).
LK COLLÈGE 1>E COQUERET (il
Cicéron, YArt Poéliquc d'IIoraci'. Vln.s/itution Oratoire de
Quinlilien, autant de sources où Ion pouvait puiser la i)uro
doctrine classique. 11 en découlait toute une théorie de l'art
d'écrire, ccUc-là même qu'avaient appliquée les grands maîtres
de l'Antiquité. Quoi d'étonnant ([ue Dorai ait appelé l'atten-
tion de ses élèves sur des ouvra<^es de celle importance,
qu'il en ait fait avec eux une étude minutieuse ? Il sullit de
lire la Deffence pour voir tout ce que la Pléiade doit à
Cicéron ' , Horace " et Quintilien '. Principes généraux et
préceptes pai'ticuliers, presque tout vient de là. C'est à (hiin-
tilien, nous le verrons bientôt, qu'elle empruntera toute la
partie fondamentale de sa doctrine, sa théorie de l'imitation.
Les humanistes italiens et français, dont la Pléiade, ton-
jours guidée par Dorât, poursuivit l'étude, lui furent ici d'un
grand secours. Depuis que Pétrai'que et lîoccace en avaient
donné le signal, nombre d'écrivains s'étaient enflammés d' (( un
amour rétrospectif de l'Antiquité '* ». L'humanisme, parti
d'Italie, avait peu à peu gagné le reste de l'Europe. Tout
d'abord, on n'avait pas eu d'autre souci que de bien connaître
et de bien comprendre les œuvres antiques dans leur fond et
dans leur forme, dans leurs idées et dans leur art. Mais
bientôt l'admiration qu'excitaient ces chefs-d'o'uvre avait fait
naître dans les esprits un désir violent de les imiter. On
avait entrepris de copier les modèles dans la langue même
des modèles. Les uns s'ingéniaient à n'user dans leur prose
que d'expressions employées par Cicéron ; les autres bâtissaient
leurs poèmes des hémistiches de Virgile et d'Horace, Et c'est
' Souvenirs du Bruius. p 7.^ et 104; du De Oratore, p. lUt). 134, 144; de
VOrator, p. 100, 107, 122, 134, 144.
- Souvenirs de VArt Poétique, p. 66, 74, lOi, 107, MO, 112, 113, 114, 126,
127, 148, 151, 152.
' Souvenirs de ïlnstiiution Oratoire, p. 70, 71, 72,75, 109, 111. 112, 116, 144.
'' Faguei. L'humanisme français au xvT siècle. {Revue Bleue, 17 jan-
vier 1891).
(i2 JOACHIM DC BELLAY
ainsi qu'était éclose, un peu partout en Europe, une littéra-
ture néo-latine qui |)rétendait renouer la tradition brisée par
les Barbares et faire revivre le pur idiome dos vieux Romains.
Cette moderne latinité, la Pléiade s'en nourrit non moins
que de l'ancienne. Non-seulement elle étudia les humanistes
italiens et français dont les travaux philologiques pouvaient
léelairer dans la connaissance de l'Antiquité ', mais encore
elle pratiqua la plupart des écrivains, prosateurs ou poètes,
(jui s'élaicnt donné pour idéal de ressusciter lart antique
dans sa l'orme jtarfaitc. KUc n'ignora ni les Cicéroniens, comme
Longueil ou Bend)o -. ni ceux qui, comme Erasme, les avaient
condjaHiis '. Elle n'ignora pas davantage les poètes d'Italie \
de Hollande et de France ', cpii dépensaient tout leur talent
à contrefaire la grâce d'Horace, l'enjouement de Catulle ou
Tesprit d'Ovide '.
Ce <{u"il faut bien noter, c'est que la Pléiade n'a pas eu
moins d'admiration pour ces néo-latins (pie pour ceux qu'ils
n'ont fait que plagier. Elle a mis tout le monde sur un pied
d'égalité. Les préceptes de Vida n'ont pas moins de valeur,
' Il serait hasardeux de vouloir être ici troj) précis. Il est clair pourtant
qu'elle en connut beaucoup, à commencer par Guill. Budé, le plus illustre
de tous.
- Deffence, p. lriS-i;i',t.
' Deffence, p. 91 : « Que pensent tloncq' faire ces reblanchisseurs de
murailles... songeant {comme a dict quelqu'un) des Pères conscriptz, des
(Consul/,, des Tribuns, des Comices, et toute l'antique Rome », etc. — Ce
quelqu'un est llrasme. dans son Ciceronianus (édit. de Leyde, 1703, t. 1, col.
1017), dont du Hellay traduit ici tout un passage.
' l'ontanus, Manille, Sannazar, Vida, Fracastor, etc.
• Jean Second.
'■ Salnion Vlacrin, Klienne Dolel, Tliéodore de Uèze, etc.
' C'est Ronsard surtout qui pratiqua les poêles latins modernes, princi-
palement MaruUeelJ Second. 11 imita le premier dans ses Amours (t. I,
p. 103, 104, 100, \li, 17.3. hSO, 108. 1W9. iOÙ, 2()i, i()7. 2\-2} et dans ses Hymnes
II. V, p. 13, 138, 148, i35. ^40;. V. aussi son E/jUaphe de MarnUe (\II, ^38).
Quant au voluptueu.x auteur des Baisers, il lui doit quelques-unes de ses
plus Jolies odeleltes (t. Il, p. 141, I i.ï, 100, 410). V. 1 éloge de J. Second i)ar
Ronsard (11, 340 341).
LK C.OLLKdK 1»K COQUERET (13
iiux yeux de du Hcllay. ([ne les conseils (1(imm(''s (1;iiis VEpUrc
aux Pisons '. S'agit-il de lixci- dcA niodMcs au futur cliautrc
d'idylles ? Les égloguos nuu'ines de Sannazar ligui'ent à côté
des églogues rustiques de Théocrile et de A'irgile \ Dans l'art
délicat des (( coulans et uiignars heiulécasyllabes », Catulle a
pour rivaux Poutaii et .Ican Second '.
Si cette admiration n"(''tait guère judicieuse, clic eut du
moins cette heureuse conséquence qu'elle détourna les poètes
de la Pléiade d'engager la lutte avec tous ces Latins dans la
langue même qu'ils avaient parlée. Ils se rendirent compte qu'ils
venaient trop tard, ([uc tout était fait dans cette voie, cpi'à
moins de se traîner dans les chemins battus, il fallait tendre
ailleurs leurs eflbrts. C'était folie de vouloir siu'passer des
gens qui maniaient si bien le latin. On ])ouvait prétendre
peut-être à les égaler, mais à la condition de tenter 1 aventure
dans sa langue maternelle.
Voilà la culture latine que la Pléiade a reçue de Dorât.
Elle n'a manqué ni d'étendue ni de variété. Joachim la subit
bien plus fortement que la grecque. De tous les disciples du
maître, c'est lui qui en fut le plus pénétré. Ronsard et Bail"
étaient surtout des grecs : il fut latin. Si son oeuvre aujourd'hui,
comparée à la leur, nous apparaît moins étrangère, moins
éloignée en quelque sorte de la tradition nationale, n'en aurions-
nous pas dans ce t'ait la [)riuci{)ale explication ?
VI
La Pléiade a toujours regardé la littérature italienne comme
une troisième littérature classique. Il est donc juste, après
• Deffence, p. 139.
- Deffence, p. 117.
^ Deffence, p. 118.
04 JOACHIM DU BELLAY
avoir retrace son éducation antique, d'indiquer ce que fut sa
culture italienne, ici Dorât est hors de cause, et ses élèves
se sont formés eux-mêmes, sous l'action des circonstances et
du milieu. l)e})uis un demi-siècle, ïitaHanisnw avait peu à peu
envahi la France. Ce n'était pas encore, comme sous les derniers
Valois, un (léau national : mais c'était déjà cependant une
menace pour tout ce qui était français, et cette mode tenait
à la C^our trop de place pour ne pas rayonner de là sur le
royaume '.
Bail", (ils d'une Vénitienne, avait du sang' italien dans les
veines, et l'on peut croire que son père n'épargna rien pour
l'initier de façon complète aux arts de l'Italie. Ronsard avait
vécu toute une année à la cour de Piémont, auprès de Langey:
il avait respiré l'air de la péninsule. Du Bellay, moins heureux,
semble n'avoir rien su des lettres italiennes avant son entrée
au Collège de Cocjueret : (( Je m'adonnay, lit-on dans la seconde
préface de l'Olive, à l'immitation des anciens Latins, et des
poètes Italiens, dont J'c)' entendu ce que m'en a peu apprendre
la communication familière de mes amis » (I, 72). Plus tard
il se rattra|)a : son long séjour à Rome lui permit de pénétrer
plus avant dans les secrets de la langue. Mais, dès i549,
nous le verrons, grâce aux leçons qu'il avait reçues de ses
camarades, il en savait assez })()ur comprendre — et traduire
au besoin en français — Pétrarque et l'Arioste.
Pétrarque et l'Arioste, voilà certes les deux poètes italiens
que la Pléiade a le ))lus admirés, ceux dont les noms repa-
raissent fréquemment dans ses écrits, couverts de louanges à
l'égal des anciens ■. Mais elle en a lu d'autres, Boccace,
Politicn, Sannazar, Bembo, la plupart des poètes pétrarquistes
du XVI® siècle ; elle est remontée jusqu'au vieux Dante Ali-
' Sur ce point, v. Bourcic/., Les rnœurs polies et la lilléralare de cour sous
Henri II, liv. III, chap. i. p. 267.
^ Voyez iiolaiiiiiiciit le piissaji-c fie la Deff'tnce sur l'Arioste. j). 120.
LK COLLKGE l>K COQUKHKT 65
ghieri, « le triste Florentin " » ; elle est descendue jusqu'aux
contemporains tout à fait immédiats, comme cet Alamanni,
qui vivait à la cour du roi Très-Ciircticn ■. Elle a donc
embrassé le chami) complet de la poésie italienne. Mais
l'important ici, c'est moins de savoir l'étendue de ses lectures
que l'impression quelle en a gardée.
Ce fut celle de la plus vive admiration. Une chose la
frappa, la puissante valeur esthétique des œuvres italiennes.
Depuis deux cent cinquante ans, s'était développée de l'autre
côté des Alpes une littérature très remarquable, où le sens de
la beauté s'exprimait par lart le plus pur. Dante l'avait
créée dans sa Divine Comédie, faisant du toscan la vraie
langue nationale ; il s'était mis tout entier dans son poème ,
avec ses ardeurs généreuses et ses colères implacables, peintre
énergique d'une rude époque ; mais j^ar sa raideur scolastique,
par son abus des allégories et des symboles, par ce qu'il y
avait de tourmenté dans son inspiration, il tenait encore trop
à l'ancienne barbarie pour avoir réalisé pleinement l'œuvre
d'art idéale, toute lumineuse de beauté sereine. Pétrarque et
Boccace étaient venus ensuite, qui l'avaient accomplie, cette
œuvre d'art, en se mettant à l'école de l'Antiquité. La finesse
de leur sens esthétique leur avait révélé le charme éternel
des livres anciens : ils avaient saisi le rapport logique et direct
qui, dans ces créations merveilleuses, unit indissolublement
l'idée vraie et la forme belle, et prenant les anciens pour
modèles et pour guides , ils avaient à leur tour laissé des
œuvres où se traduisait d'une manière souveraine toute la
puissance de leur personnalité , leur passion de la gloire , leur
' L'expression est de du Bellay, dans un sonnet qui eontient un souvenir
du chant III de VEnJer (II, :i86). Dante est cité parmi les grands auteurs
italiens dans VUde à Madame Marguerite, D'escrire en sa Langue (1, 241;.
— Cf. les vers de Baïf placés en tète d'une édition du traité De vuLgari
eloquio (Paris, 1577; et cités par Nisard, t. I, p. 149-130.
- Deffence, p. 132.
Lniv. de Lille. Tome VIU. A. '6.
()6 JÛACHIM UU BliLLAY
amour de la beauté sous toutes ses formes, beauté de la nature,
beauté de lart et de la poésie, beauté de la femme, — en un
mot, un esprit tout nouveau, tout différent du Moyen Age. Il
est vrai que cette renaissance de l'Antiquité , dont ils étaient
les promoteurs, avait failli compromettre un instant le déve-
loppement naturel de la littérature italienne. L'humanisme du
xv« siècle avait rêvé d'asseoir le latin triomphant sur les
ruines de la langue nationale. Mais sa tentative avait avorté:
la langue toscane, d'abord vaincue, avait fini par avoir gain
de cause dans ce duel dun siècle avec la langue latine. Les
excès mêmes du cicéronianisme avaient rendu possible sa vic-
toire, et c'était le chef des cicéroniens d'Italie, 13enibo, qui avait
pris à cœur de faire revivre la langue de Pétrarque. Dès lors,
on avait cueilli les fruits de ce long connnerce avec les an-
ciens : tandis ([ue l'idiome maternel devenait l'objet d'un culte
fervent, toute une littérature d'une richesse incroyable et d'une
infinie variété s'épanouissait dans l'Italie du xvi^ siècle : le
lyrisme, la satire, la pastorale, le théâtre, l'épopée, sans
compter les formes diverses de la prose, tous ces genres
renouvelés des anciens brillaient d'un vif éclat. C'était comme
une résurrection splendide de l'Antiquité, mais d'une Antiquité
devenue nationale. Le spectacle qu'ofirait l'Italie, toute radieuse
d'une littérature qui réalisait un rêve divin d'art et de beauté,
était bien fait pour ravir d'admiration les jeunes enthousiastes
du Collège de Coqueret et les navrer d'envie , surtout lors-
qu'ils comparaient à tant de ti'ésors l'indigence littéraire de
leur pays natal.
VII
La Pléiade, oi\ le sait, a fait peu de cas de ses devan-
ciers. Mais, pour aificher un pareil dédain, qu'a-t-elle connu
d'eux ? En quoi consista sa culture française ?
LK GOLLKGK DE COgUEHKT ()/
J'insisterai peu sur les [)rosatoui's. Lu Plriadi' en a lu
sans doute plus qu'elle n'en mentionne ' . 11 en est un du
moins auquel elle doit beaucoup : c'est Rabelais. Je sais bien
que Ronsard ne l'aimait guère % mais du Bellay ne parlagcail
pas sur ce point les préventions de son ami. La Dejfence
salue comme un précurseur « celuy qui l'ait renaître Aristo-
phane et faint si bien le nez de Lucian ' » (p. 109), et son
auteur n'a jamais négligé l'occasion de rendre hommage à
celui qu'il appelle (( l'utiledoux Rabelais » et (( le bon Rabe-
lais * ». 11 se peut que Ronsard, très féru de Pindare, ait goûté
médiocrement Gargantua et Pantagruel : peut-être aussi,
comme on l'a prétendu, son antipathie littéraire venait-elle
d'une première piqûre d'amour-propre \ Du Rellay, qui n'avait
pas les mêmes raisons, et qui d'ailleurs aimait à rire, savourait
ce roman prodigieux où le sel attique se mêle sans cesse à
la gauloiserie la plus épicée. Mais Rabelais, à ses yeux, était
autre chose qu'un simple rieur. N'était-ce pas lui qui le pre-
* Rabelais mis à part, je ne vois guère à relever clans la Deffence que
VOrateiir /rançoj-n d'Etienne Doiet (p. 96), le traité de Louis Meigret sur
l'orthographe (p. 1.33), et ï Institution du Prince de Guillaume Budé (p. 100).
Peut-être faut-il y joindre Commynes : voyez dans Ronsard (Vil, 218) la
très curieuse EpUaphe de Coinrnynes, qui parut dans le Bocai^e de liiyi,
f" 15 v".
- Son Epitaphe de Rabelais (VII, 2.1',]}, qui fait également partie du
Bocage, {" lU v, est aussi fausse que grossière. — Cf. les deux courtes épi-
taphes de Baïf dans ses Passetenis (IV, 280 et 373).
' Aole du Quintil : « Rabelais, (jue tu ne daignes nommer expressément,
si non par le nom d'Aristophane ».
' V. les œuvres de du Bellay, I, 145 et II, .3o, 230, 410. A relever surtout
ce passage :
Bien que ma muse petite
Ce doulx-ulile n'immite.
Qui si doctement escrit.
Ayant premier en la France
Contre la sage ignorance
Faict renaistre Democrit. . . (Il, 3o).
'" Rien n'est moins svir pourtant. V. Marty-Laveaux, iVo^ice sur Ronsard,
p. XIX.
68 JOACHIM DU BELLAY
iiiier chez nous s'était moqué de l'ignorance ? Dans cette
restauration des lettres antiques dont s'honorait la France,
navait-il pas été lun des ouvriers de la première heure? Est-ce
que son œuvre, cette étrange et bizarre création, n'attestait
pas une connaissance approfondie de l'Antiquité ? Chaque page
de son livre ne révélait-elle pas un fervent de la Grèce et
de Rome ? Enfin, n'avait-il pas travaillé de toutes ses forces
à l'illustration de sa langue maternelle en l'enrichissant par
tous les moyens ' ? Pour ces motifs, du Bellay le tenait en
singulière vénération, souscrivant volontiers à l'opinion des
honunes de son époque qui plaçaient ce contem' au nombre
des poètes ".
Poète, il l'était davantage, à coup sûr, que tous les rimeurs
qui pi'étendaient à ce titre et qui le méritaient si peu. Ce qu'on
appelait la poésie française semblait à la Pléiade bien peu de
chose auprès de la poésie antique et de la poésie italienne.
Ni Ronsard ni du Bellay ni Baïf ne se sentaient pour elle
beaucoup de goût. A vrai dire, ils ignoraient la poésie du
Moyen Age ; mais l'eussent-ils connue qu'elle les eût sans nul
doute laissés froids. Tout au plus pouvaient-ils, à travers de
modernes traductions, se faire une vague idée des vieux
ron)ans français (Lancelot, Tristan. Gaiwain), et Ton sait de
quel ton l'auteur de la Dejfencc traite « ceulx qui ne s'em-
ployent (ju'à orner et amplifier notz Romans, et en font des
livres certainement en beau et Ihiide langaige, mais beaucoup
plus propre à bien entretenir Damoizelles qu'à doctement
écrire » (p. 120). Les romans étaient chose trop frivole pour
celle studieuse jeunesse '. Ils voyaient pourtant — grâce à
' Sur ce point, v. Marlj'-Laveaux, Appendice de la Pléiade, I. 37.
- Marol. Kpître ol (édit. P. Jannel, I, 2iO). — Pasciuicr, Recli. de la
France, \1, ij.
' Rai)|)rochc'r du passage de la Deffcnce un curieux sonnet de Baïf à
Jacq. Gohorry (IV, 23t|, et la non moins curieuse préface de Jodelle à
['IliNtoire Palladienne de Cl. Colel {Appendire de la Pléiade, II, 40G). — Du
LE COLLÈGE DE COQUERET 69
l'Arioste — qu'il y avait là toute uue matière é[)i([ue '. en
même temps qu'ils y trouvaient une mine abondante en vieux
mots expressifs que, dans l'intérêt de notre langue, il ne
fallait point laisser perdre '.
La Pléiade lait coninieucer la poésie française au Roman
de la Rose : c'est dire qu'elle ne remonte pas beaucoup au-
delà du xiv<= siècle. Encore l'a-t-elle lu, selon toute apparence,
dans le texte rajeuni de Marot. On sait l'énorme influence
qu'exerça, pendant deux siècles et demi, sur toute la littéra-
ture cette œuvre singulière, où la galanterie, la science, la
morale, la satire, l'allégorie, se mêlent de façon si bizarre.
Cette œuvre, que la Deffenee a respectée « comme une pre-
mière imaige de la Langue Francoyse, vénérable pour son
antiquité » (p. 102), l'action s'en est fait sentir plus qu'on ne
croit sur la Pléiade. Est-il besoin de rappeler le sonnet de
Baïf à Charles IX ' ? Ronsard, aux années de jeunesse, en
faisait couramment sa lecture * ; Bel-Accueil et Faux-Danger
dansaient la carole, dans le verger d'amour, avec le poète
épris de Cassandre ' ; et si, dans plusieurs de ses œuvres,
Bellay ne montrera pas toujours ce dédain des romans. En 1552, dans une
ode à des Essars, il louera hautement Amadis. V. plus loin, chap. x, § vi.
' Deffenee. p. 120. — Ronsard, III, 23.
- Deffenee. p. 129. — Du Bellay, I, 337. — Ronsard, III. 36.
^ Au livre II des Passetems (IV, 311). — V. encore Poënies (II, lUl) :
Baïf, célébrant la vertu d'Amour, donne au Roman de la Rose une place
d'honneur entre les élégies des Latins et les chants de Pétrarque. — Ron-
sard aussi, dans son Ode à Peletier (1347), met le Roman de la Rose sur le
même rang que Pétrarque (II, 403).
^ Binet, texte de 1397, p. 121 : « Il ne laissoit toutefois d'avoir tousjours
en main quelque Poète François, qu'il lisoit avec jugement, et principale-
ment (comme luy-mesme m'a maintefois raconté), un Jean le Maire de
Belges, un Romant de la Rose et les œuvres de Clément Marot ». Les
textes de 1386 et 1387 ajoutent Coquillart (« les œuvres de Coquillart et de
Clément Marot »). — Cf. Fa guet, Seizième siècle, p. 209 : « II ne faut pas
oublier qu'à titre de poème érudit et qu'à titre de poème philosophique, le
Roman de la Rose n'a pas du laisser de plaire à Ronsard, qui a été toujours
un poète érudit et souvent un poète philosophe, n
' Amours de 1552, p. 73 (Blanchemain, I, 93). — Cf. Bourciez. op. cit.,
p. 223 sqq.
70 JOACHIM DU BELLAY
nous relevons chez du Bellay certaine tendance à l'allégorie,
ne serait-ce point qu'il a subi comme les autres le charme du
vieux roman * ?
Kn dehors du Roman de la Rose, quel intérêt pouvait
oH'rir à la Pléiade la poésie des xiv et xv« siècles ? Les
mystères et les farces, créations populaires sans valeur
artistique, n'étaient pas faits pour la séduire ; et pouvait-elle
bien goûter — en le supposant connu d'elle — ce lyrisme didac-
tique et bourgeois, qui mêlait à l'expression des sentiments
personnels des préoccupations d'enseignement et d'édification ;
qui, lorsqu'il renonçait aux problèmes de métaphysique
amoureuse et galante, ressassait des questions de politique
et d'histoire, des lieux communs de religion et de morale ;
qui contraignait l'inspiration en l'emprisonnant dans le moule
étroit des poèmes fixes, ballades, chants royaux, rondeaux,
lais, virelais ? ^'illon lui-même, d'une si franche originalité.
Villon n'était pas son auteur : il sentait vivement, il peignait
fortement, mais il était trop peuple. Il fallait à la Pléiade
des poètes moins vulgaires.
Estima-t-elle davantage cette école d'écrivains qui, sous le
nom de rhétoriqueurs ^ avaient illustré la seconde moitié du
xve siècle et le premier quart du xvi^ ? Eux du moins avaient
fait de la science le principe de leur art ' : ils avaient eu
très vif le culte de l'antiquité latine et s'étaient inspirés des
fictions mythologiques ; ils avaient tâché d'enrichir la langue
en ornant leur prose et leurs vers d'une foule de termes
' Ct'lte influence est surtout sensible dans ses œuvres de début ; mais
je la retrouve même plus tard, ainsi dans la Métamorphose dune Rose
(II, 398).
- Georges Chastcllain, Pierre Micliault. Olivier de la Marelie, Jean Moli-
nel, Jean Meschinol, Guillaume Crétin, André de la Vigne, Jean Marot,
Oclavicn de Saint-Gelays, etc.
^ Jean Marot nous apprend qu'aux yeux de la reine Anne de Bretagne,
le poète, c'est « l'homme savant, recommandable seulement par la doctrine
yssant de son savoir. » G. Plôtz, Étude sur J. du Bellay, p. 11.
LK COLLÈGE DE COQUERET 71
nouveaux iMii[)i'nutés au latin ; ils avaient voulu, par d'habiles
combinaisons de rytlnues et de riuies, l'aire de la poésie une
musique naturelle. Mais c'était une idée dangereuse : en ajou-
tant à la versification déjà très compliquée de leurs prédé-
cesseurs de nouvelles entraves par la création de formes à la
fois très rigides et très radinées, par la l'echerche des factures
savantes, des rythmes laborieux et des rimes ultra-riches, ils
réduisaient la poésie à n'être plus qu'un jeu de patience, —
pour ne pas dire un tour de force, — dont Tunique mérite
consistait dans la difficulté vaincue. C'était se tromper sur
l'objet de l'art que lui donner pour idéal le rare au lieu du
beau. La Pléiade le sentait, et son ambition rêvait autre chose
que des couronnes gagnées dans les pii)'s du nord de la
France *.
Un de ces rhétoriqueurs pourtant trouvait grâce devant
elle. Jean Lemaire de Belges. Aussi bien s'était-il distingué
des autres par un réel talent ■. Il avait défendu sa langue
maternelle contre les Italiens qui la jugeaient « barbare »,
et s'était efTorcc d'établir qu'elle pouvait marcher de pair avec
la langue toscane '. Cette langue maternelle, il l'avait illustrée
par des œuvres que ne recommandait pas seulement l'étendue
de l'érudition, mais encore cex'taines qualités précises, supé-
rieures à celles de ses maîtres, les Molinet et les Crétin, et
vraiment originales : un sens plus délicat des charmes de la
femme et de l'amour qu'elle fait naître ', une plus vive
perception des beautés de la nature ', une intelligence plus
1 Deffence, p. 112-113.
- V. les Œuvres de Jean Lemaire de Belges, publ. par .1. Stechcr, Lou-
vain, 18!S2- IS'Jl, 4 vol. in-8", et la thcso de Fr. Thibaut, Marguerite d'Autri-
che et Jehan Lemaire de Belges, Paris, Leroux, 1888, in-8".
^ Illustrations de Gaule (I, 10-11) et Concorde des deux langages (III, 98).
* Illustrations de Gaule, liv. I, chap. 24-26 et 30-33.
' On trouve déjà chez J. Lemaire un sentiment tout antique de la
nature : v. notamment III, 10, 12, 28-ii9, 104-105, 129-130.
/2 JOACHIM DU BELLAY
pénétrante du paganisme mythologique et moral '. Il avait eu
plus net le sentiment des mérites de la forme et de ce qu'ajoute
aux clioses la manière dont on les dit ' : il avait eu le goût
des expressions imagées , des épithètes descriptives , des
périodes musicales, des rythmes harmonieux '. En un mot,
il avait eu par endroits dans son œuvre l'intuition de l'art
vrai. C'était assez pour que la Pléiade ne lui fût pas sévère.
« Bien diray je que Jan le Maire de Belges me semble avoir
premier illustré et les Gaules et la Langue Francoyse : luy
donnant beaucoup de motz et manières de parler poétiques,
qui ont bien servy mesmes aux plus excellens de noslrc
tens ' )). Du Bellay, qui parle ainsi, s'appuie très sérieusement
sur ce (( diligent rechercheur de l'Antiquité », comme il l'ap-
pelle, pour faire remonter à Bardus V, roi des Gaules, l'inven-
tion des vers rimes et la première institution des bardes \
Quant à Ronsard, nous savons par Binet qu'il lisait Jean
Lemaire à l'égal du Roman de la Rose '', et nul n'ignore ce
que dut la Franciade aux Illustrations de Gaule et singula-
ritez de Troj'e '. Le vieux rhétoriqueur flamand avait frayé la
voie aux futurs novateurs du Collège de Coqueret.
' Epistrcs de l'amant verd; Description du temple de Vénus; Contes de
Cupide et d'Atropos.
- Sur co point, v. Thibaut, op. cit., j). 2',i9 sqq.
■' Réforme de la coupe féminine; introduction de la lerza rima; restau-
ration d(; l'alexandrin ; création de mètres nouveaux {Chansons de Namur
et XXIV couplets de lavalitude et convalescence de la Rojne).
'' Deffence, p. 103. — Cf. Pasquicr, Bech. de la France, VI, 5 : « Le pre-
mier qui il bonnes enseignes donna vogue à uostre Poésie, fut Maistre
Jean le Maire de Belges, au(|uel nous sommes inliniment redevables, non
seulement pour son livre de llllustration des Gaules, mais aussi pour avoir
grandement enrieliy nostre langue d'une infinité de beaux traicts, tant en
Prose «jue Poésie, dont les mieux eserivans de nostre temps se sont sçeu
quelquefois fort bien aider. »
' Deffence, p. 13j. Tout ce passage de la Deffence est emprunté des
Illustrations, liv. I, eliap. 10 (I, 70).
'' Pasquicr nous apprend que llonsard doit à J. Lemaire « les plus riches
traicts de ceste belle Hymne qu'il lit sur la mort de la Uoyne de Navarre »
{i'6'61).
' La légende de Francus est exposée par J. Lemaire dans VEpistre du
Roy à Hector de Troye, \'6ll (III, 82-83), et surtout dans le 3° liv. des Illus-
trations. 1513 (H, 267-283 et 300-322).
LE COLLÈGE DE COQUERËT 73
Clément Marot, dans la pensée de la Pléiade, marquait
un recul sur Joan Lemaire de Belges. Tandis que Lemaire,
en effet, orientait la poésie dans le sens de l'art pur, Marot
l'avait ramenée au simple naturel. Beaucoup moins savant
que son devancier, il avait cru ([uc l'esprit et la q-ràce suffi-
saient à faire un pocte. (^uel démenti les Italiens et les
anciens donnaient à cette croyance ! La Pléiade avait lu
bien souvent VAclolescence Clémentine ; mais depuis qu'elle
se nourrissait de Pétrarque et de Pindare, elle ne parta^i^eait
plus l'admiration universelle pour le gentil rimeur. Ses pre-
miers recueils laissent deviner ses vrais sentiments. Sans
doute, elle se garde bien de heurter de front l'opinion
publique, elle rend à Marot d'olliciels hommages : mais on
perce à jour ses pensées secrètes. Ronsard, dans la préface
des Odes, appelle Marot (( seulle lumière en ses ans de la
vulgaire poésie ' », mais sept pages plus loin il refait sa
pièce sur la victoire de Cerisoles, et carrément nous dit pour-
quoi ■. Du Bellay dans la Deffence n'agit pas autrement. Il
nomme plusieurs fois Marot avec respect '. Bien plus, dans
les poésies publiées avec la Deffence *, il insère en manière de
conclusion l'antique épitaphe quil avait composée à Poitiers
pour maître Clément. Mais lisons de plus près la Deffence :
que d'allusions à peine voilées au vieux poète ! que de
phrases où paraît l'intention satirique ' ! Ici, du Bellay s'en
prend à ces traducteurs qui « trahissent ceux qu'ilz entrepren-
nent exposer », qui (( seduysent les lecteurs ignorans, leur
' Blanchemain, 11, 10.
- Édit. orig., loaO, f" 7 v". — Blancliemain, II, !J3.
^ Deffence, p, 73, 118, 143.
' UOlive et quelques, autres œuvres poëticques. . . par I. D. B. A. Paris,
Arnoul l'Angelicr. i;j49, in-8".
'" Dans un article «sur une page obscure de la Deffence » {Rev. d'hist.
litt. de la France, lii avril 1897, p. 239), j'ai cité tout au long les passages où
l'on peut, selon moi, saisir des allusions plus ou moins directes à Clément
Marot. Je prie le lecteur de s'y rei)orttr.
74 JOACHIM DU BELLAY
montrant le blanc pour le noyr », et qui, « pour acquérir
le nom de scavans, traduysent à credict les Langues, dont
jamais ilz n'ont entendu les premiers elementz, comme
l'Hébraïque et la Greque » (p. 67). Là, il félicite ironique-
ment ceux à qui Marot plaît (( pour ce qu'il est facile et
ne s'éloingne point de la commune manière de parler »
(p. loi). Ailleurs, il critique un poète en qui (( default ce
qui est le commencement de bien écrire, le scavoir )) (p, io4),
et dont la gloire aurait augmenté de moitié s'il eût de moitié
diminué son livre. Ailleurs encore, il malmène (( ceux qui sans
doctrine, à tout le moins non autre que médiocre, ont acquis
grand bruyt en nostre vulgaire » (p. 109), mais que les
savants, meilleurs juges que la foule, (( ne mettront en autre
ranc, que de ceux qui parlent bien francoys, et qui ont bon
esprit, mais bien peu d'artifice » (p. iio). Qui donc est visé
dans tous ces passages ? Clément Marot, autant et plus que
ses disciples, Marot, le poète naturel qui manqua de savoir,
l'écrivain trop facile qui méconnut l'érudition. C'est que pour
la Pléiade, dont on sait l'idéal esthétique, ce fin rimeur
n'avait pas eu les dons précieux qui marquent vraiment un
élu des Muses. Échappé de la rhétorique, il n'avait abouti
qu'au simple l^adinage : ce n'était pas assez. Sans doute il
avait subi l'induence de la Cour, d'une cour des plus bril-
lantes, très éprise de politesse et de grâce mondaine : et là
son talent s'était assoupli '. Formé, mûri par elle, il avait
redit avec distinction tous ces événements plus ou moins
menus dont se compose la vie des cours, et qui sont la
matière de la poésie ofiicielle. Il avait excellé surtout à tra-
duire des sentiments fugitifs, sinon 1res profonds, du moins
bien sincères, parlant de lui-même et des autres avec cette
finesse, cette bonhomie, cette mesure qui sont toujours d'un
' La court du Roy. ma maistrcssc (rescolle. (Épîtrc 43 — Édit. P.
Jannet, I, ^20).
LE COLLÈGE DE COQUERET 7o
si grand charme. Une clarté parfaite, qui contrastait étran-
gement avec l'obscurité de ses prédécesseurs, un art sans
pareil dé dire les choses avec une aisance légère, un esprit
aimable, enjoué, niordant même par intervalles : voilà ce
qu'on trouvait dans ses meilleurs ouvrages. Mais ne pouvait-
on rêver une forme de poésie plus sublime ? Etait-ce même
là de la poésie ? N'était-ce point [)lutôt une prose rimée ?
Car enfin, de quelle imagination Marot avait-il fait preuve ?
De quelle science dans les conceptions ? Avait-il eu jamais
cette vigueur de sentiment si puissante sur les âmes, et sans
laquelle on ne peut les conquérir ? Avait-il jamais soupçonné
la pure beauté de Tart ? Tous ces dons lui manquaient.
L'insuflisance de sa culture littéraire l'avait condamné à
n'être toute sa vie que le premier des poètes de cour. Il n'avait
pu s'élever jusqu'aux sommets. Pour lui, toujours la poésie
était restée le plus charmant des jeux, le plus exquis des
passe-temps, rien de plus. Ce poète naturel n'avait pas été véri-
tablement un poète artiste.
Pas davantage artistes, et à coup sûr moins naturels, tous
ces plats rimeurs (du Bellay disait rimailleurs et rimasseurs)
qui se disputaient la faveur publique, ces Jean Le Blond, ces
François Sagon, ces Charles Fontaine, ces François Habert,
ces Michel d'Amboise, ces Jean Bouchet, dont la sottise
n'avait d'égale que l'ignorance '. Rivaux de Marot de son
vivant ou depuis sa mort, ils prétendaient à le remplacer et
n'avaient ni son esprit ni sa grâce. La vieille rhétorique
agonisait en eux. Leurs titres superbes et leurs belles devises
ne masquaient pas l'effroyable indigence de leur talent, et la
Pléiade voyait avec dégoût, avec colère, toutes ces produc-
tions insipides dont ils inondaient la Cour et la France.
Est-ce à dire pourtant que les jeunes écoliers de Coque ret
' Deffence, p. 149- IbO.
76 JOACHIM DU BELLAY
condamnaient en bloc et sans rémission tous les poètes
français qui vivaient de leur temps ? et parmi ceux dont ils
lisaient les ouvrages, ne s'en trouvait-il point qu'ils jugeaient
un peu meilleurs que les autres, pour être en quelque sorte
un peu moins distonts de leur idéal ? Binet nous a transmis
l'opinion de Ronsard : « Les premiers Poètes quil a estimé
avoir commencé à bien escrire ont esté Maurice Sceve, Hugues
Salel, Anthoine Heroet, Melin de Saint-Gelais, Jacques Pelletier
et Guillaume des Autelz ' )).Illes avouait pour des précurseurs.
Inutile de revenir sur Jacques Peletier du Mans : j'ai
déjà dit ■ son influence sur la Pléiade et les raisons qu'avait
Ronsard de saluer en lui (( l'un des plus excelens poètes de
cet Age ' ». — Hugues Salel * avait publié l'an i539 un recueil
de Pocsics très médiocres, et ce n'était pas un titre au
respect de la Pléiade : mais depuis il s'était grandement
relevé. Gomme il savait le grec, ayant reçu jadis les leçons
de Budé, il avait entrepris de traduire ï Iliade ' . Noble
dessein que ne pouvaient oublier les élèves de Dorât ! C'était
quelque chose d'avoir fait connaître Homère à la France, et
l'on comprend la gratitude de la Pléiade '. — Quant à Guil-
' Textes de lr)87 et 1597. En 158U, la liste se réduit à Maurice Scève,
Hugues Salel et Jacques Peletier.
- V. ci dessus, chap. i, § iv.
3 Pré f. des Odes (II, 10).
' Sur Hugues Salel, consulter Goujet, t. XH. p. 1-14: les notices de
Courbet, en tête des Gayelez, des Soiispirs et des Amours de Magny ; la
thèse de Favrc. Olivier de Magny, p. 38, n. 2 — La plaquette du D' Cli.
(^almeilles (Les poêles Quenjnois au xvi" siècle: Hugues Salel. Tours,
Housrey, 189!(, in-8" de 2.9 p.) a paru trop tard pour que j'en aie connais-
sance.
' Les dix premiers chants parurent en 15io. Les liv. XI et XII ne furent
pui>liés fju'en \'.y.Vt, après la mort île Salel, par les soins d'Oliv. de Magny.
La trailuction lut achevée plus tard par Amadis Jamyn
'■ Du Bellay, Musa gnœomachie (1550), str. 19:
Salel, que la Fiance avoue
L'autre gloire de Querci. (I, 145).
Ronsard a fait VÉpilaphe de H. Salel (Bocage de 1554, f" 13 r". — Blan-
chemain, VII, 267). 11 loue ce poète
Qui tles premiers tira nostre langue (Tenfance.
Ce dernier témoignage est caractéristique.
LE COLLÈGI': DE COQUERET 77
laume des Autelz, il ne s'était encore signale (|ue par sa
polémique avec Louis Meigret sur la réforme de l'ortho-
j^raphe : je ne puis supposer que Ronsard ait vu dans son
Moj's de Majy l'œuvre d'un précurseur'.
Saint-Gelays, Héroët, Maurice Scève, avaient des titres
plus sérieux : (( La Poésie Françoise [étoit] avant nous foible
et languissante, (je excepte tousjours lleroet, Seeve, et
Saint Gelais)... )), écrit Ronsard dans la préface des Odea ^
Mellin de Saint-Gelays, qui devait un jour l'aire à Ronsard
l'affront que l'on sait, avait sur Marot, aux yeux de la
Pléiade, la supériorité d'une éducation beaucoup plus soignée.
Et de fait, il avait pour le temps une culture universelle '.
11 possédait les langues anciennes, savait tourner les vers
latins, paraphrasait aimablement Catulle et Properce, Martial
et Cllaudien. Surtout, il était versé dans les choses d'Italie :
depuis son passage aux universités de Bologne et de Padoue,
il avait pris le goût des poètes italiens, qu'il imitait et
traduisait, et, s'il faut en croire du Bellay, c'est par lui que
le sonnet était devenu français *. Certes, la Pléiade lui savait
gré d'avoir enrichi notre poésie d'une forme d'art si précieuse;
mais elle s'étonnait qu'avec une culture comme la sienne,
Saint-Gelays n'eût pas donné davantage. Ne pouvait-il pré-
tendre à plus qu'à ces pièces légères où son talent se
complaisait ? N'avait-il de plus haute ambition que d'amuser
les dames et les seigneurs ? L'humble rêve vraiment ! La
* Le Mojs de May de Gnilelme Deshaultelz de Monicenis en Bourgoigne,
pet. in-8", goth., s. I. n. d. (Lyon, Ollivicr Arnoullet, 15'i4 ?j.
- Blanchemain, II, 11. Cf. Olive, s. 62, l" tercet. — Il peut sembler étrange
que ni du Bellay ni Ronsard n'aient mentionné Bonav. des Périers. 11 est
juste de reconnaître que ce poète annonce ciuelquefois la Pléiade par une
sensibilité pleine de mélancolie et par un réel souci du rythme et de la fac-
ture. V. Chenevière, Bonaventure des Périers. Sa vie, ses poésies. Thèse.
Paris, Pion et Nourrit, 188:3, in-8°.
' V. le témoignage du Quintil Horatian, édit. Person, p. ^08.
* 2' préf. de VOiive (13o0): a Etant le Sonnet d'Italien devenu François,
comme je eroy, jjar Mellin de Sainct Gelais » (I, 72j.
78 JOACHIM DU BELLAY
Pléiade au fond trouvait bien mesquine cette poésie de cour,
si pauvre d'idées et de sentiments, ces petits sujets traités
d'une petite manière, ces simples binettes sans inspiration ni
sincérité. Saint-Gelays assurément y mettait un esprit sans
pareil : qui pouvait avoir plus de finesse enjouée, plus de
grâce légère ? Mais la Pléiade se demandait si la poésie
n'avait d'autre but que la constante recherche de ces jolies
mignardises, et si Phébus n'avait donné la lyre aux hommes
que pour composer des cartels de tournois ou tracer des
quatrains sur des livres d'heures '.
Antoine Héroët, lui, s'était fait de son art une plus noble
idée. S'il vivait à la Cour, sa Muse au moins n'y vivait pas :
elle habitait, sereine et grave, les hauteurs éthérées où
méditait Platon. S'inspirant des sublimes conceptions de
l'auteur du Banquet, elle avait chanté la Parfaicte Anvye :
elle avait l'edit les délices du pur Amour, les jouissances
ineffables éprouvées par deux âmes unies dans la vertu
et s'élevant d'un même essor vers la divine Beauté. Par la
noblesse des sentiments et des pensées, le petit ouvrage
d'Héroët surpassait bien des longs poèmes. La Pléiade en
goûtait et la matière et la facture. Toutefois, si quelque chose
lui semblait pécher dans la Parfaicte Amye, c'était moins le
fond même qu'une sobriété peut-être excessive dans la forme,
une certaine indigence d'ornements poétiques, qui faisait de
l'auteur moins un poète qu'un philosophe ^
Quant à Maurice Scève, la Pléiade ne pouvait manquer de
le tenir en très haute estime. Antiquaire , érudit , peintre ,
musicien et poète, nul comme lui n'avait le sens de l'art. Il
avait retrouvé le tombeau de Laure, et depuis s'était fait le
' Cf. l'excellenl chapitre de M. Bourciez : « Le poëte courtisan : Melin de
Saint-Gelais ». Liv. III, Chap. ii, p. 300.
- Deffence, p. lOi : « L'autre, outre sa ryme, qui n'est par tout bien riche,
est tant dénué de tous ces délices et ornementz poétiques, qu'il mérite
plus le nom de Phylosophe que de Poëte. » Cf. p. 73 et 101.
LIi COLLÈGL DE COQUEUKT 70
grand prêtre du culte de Pétrarque. Dans une œuvre d'artiste,
savamment travaillée, riche en mots expressifs, en figures
hardies, en images éclatantes, il avait chanté son mystique
amour pour Délie, un amoui- pur, comme celui d'Héroët,
exempt de toute souillure charnelle, plus sombre pourtant et
plus tourmenté '. Gel amour, où les doctrines de Platon se
fondaient avec les rêves de Pétrarque, n'avait rien de terrestre,
et même il était à ce point éthéré. qu'on pouvait prendre Délie
pour un symbole de Vidée. Jamais encore la poésie française
n'avait monté si haut, la Pléiade le sentait: mais pour(|uoi
Scève avait-il enveloppé ses conceptions dune si grande
obscurité que les doctes eux-mêmes avaient peine à l'entendre ' ?
Malgré leurs défauts, Héroët et Scève apparaissaient à la
Pléiade comme des esprits d'une autre valeur que la foule des
disciples de Marot. Ils avaient mis tous leurs efforts à rehausser
la poésie: ils avaient tâché qu'elle fût autre chose qu'un futile
agrément, qu'elle s'élevât, au-dessus de l'expression des senti-
ments, à l'expression des idées pures, qu'elle devînt capable
de porter la pensée dans ce qu'elle a de plus sublime; ils
avaient voulu l'arracher au vulgaire, l'isoler dans un monde
idéal, ouvert aux seuls initiés. La Pléiade leur savait gré de
ces eflbrts. En lisant le passage où Maurice Scève exalte la
vie solitaire,
* Ce qui distingue Héroët de Maurice Scève et des Pélrarquistes, c'est
qu'à ses yeux le pur amour est exempt de soufTrance. Voyez le 3' liv. de
la Par/aicte Amje, édit de l.oi3, p. 58. (Bibl. Nat. — Rés. Y'. 1613).
- Deffence, p. 105 : d Quelque autre voulant trop s'eloingner du vulgaire,
est tumbé en obscurité aussi dilïicile à eclersir en ses ecriz aux plus
scavans, comme aux plus ignares. » — A partir de 1550, du Bellay n a plus
que des éloges pour Scève. Cf. s. 105 de l'Olive et str. 19 de la Musa-
gnœomachie :
Sceve, dont la gloire noiie
En la Saône qui te lotie,
Docte aux doctes eclerci. (I, lia).
Cf. aussi le sonnet qu'il lui dédia lors de son passage à Lyon, en 1553
{II, 143).
80 JOACHI.M DL BELLAY
Loing du sot Peuple au vil gaing intentif ',
les élèves de Dorât se rappelaient le vers tanieux dHorace :
Odi profanum vulgus et areeo.
Vérité lumineuse ! Oui, sans doute, si la poésie française
était restée si basse, c'est qu'elle navait pas su s'allranchir
des caprices et des goûts de la foule, dédaigner le vulgaire
ignorant et grossier. Plus hardis que les autres, Héroët et
Scève avaient montré la voie : mais ne pouvait-on aller plus
loin qu'eux? Ils s'étaient bornés à chanter l'amour : l'amour
était-il donc toute la poésie? Le domaine des Muses n'était-il
pas plus vaste? N'embrassait-il pas tout ce qui concerne
l'homme et la nature? Les Grecs et les Latins, les Italiens
eux-mêmes, ne l'avaient-ils pas cultivé, ce riche domaine, dans
toute son étendue? Ne pouvait on, à leur exemple, Aouloir
pour la patrie française une poésie artistique, supérieure à celle
dont on s'était contenté jusqu'alors, et qui traduisît enfin, sous
les formes les plus diverses, le rêve éternel de l'idéale
Beauté?
VIII
Dans les pages qui précèdent, j'ai tenté d'embrasser l'en-
semble des études que du Bellay, en compagnie de ses amis,
avait faites au Collège de Goqueret. Mais Terreur serait grande
de croire que la Pléiade n'y a reçu que la culture intellec-
tuelle. A cette éducation par les livres il en faut joindre une
autre par la nature et par les arts.
Du Bellay avait vécu ses années d'enfance au sein de la
nature; Ronsard de même, et tous les deux auraient pu dire
ce que le second écrivait plus tard dans son Hj'inne de l'Au-
tomne : ^
' Délie, dizain 414 (édit. N. Sclieuring, Lyon, 1862).
LE COLLÈGE DE COQUERET 8l
Je n'avois pas quinze ans que les monts el les bois
Et les eaux nie plaisoient plus que la cour des Rois,
Et les noires l'orests espaisses de ramées,
Et du bec des oiseaux les roches entamées ;
Une valée, un antre en horreiu" obscurci,
Un désert ellroyable estoit tout mon souci,
A tin de voir au soir les Nymphe» et les Fées
Danser dessous la lune en cotte par les prées '.
Ce commerce avec la nature ne cessa pas lorsqu'ils furent
enfermés dans les murs sombres du vieux collèi^e de la mon-
tagne Sainte-Geneviève. On a trop tendance à s'imaginer les
poètes de la Pléiade sous la ligure austère de pédants renfro-
gnés. Cette jeunesse si studieuse était aussi très folâtre, très
amie des parties de plaisir et des rires sonores. De temps en
temps, Dorât emmenait ses élèves en excursion dans la banlieue.
Ce que raconte Binet " des longues promenades de Ronsard
aux environs de Paris n'est pas vrai seulement de son âge
mùr. Dès l'époque de Coqueret, pour se délasser de ses rudes
labeurs, il s'en allait avec son maître et ses anus à Gentilly,
Arcueil, Vanves, Meudon, Saint-Cloud, tantôt sur les bords de
la Bièvre, tantôt sur les rives de la Seine ; on goûtait tous
ensemble la fraîcheur des ombrages et des eaux ; on s'aban-
donnait sur l'herbe verte aux molles délices de la rêverie et
du sommeil : on relisait en la savourant mieux quelque page
rustique d'un poète aimé ; parfois même, on écoutait la voix de
la Muse et ses inspirations toujours si heureuses dans la soli-
tude '. Qui dira tout ce que dut la Pléiade à ces féconds repos
dans le calme recueillement de la nature ?
' Blanchemain, V, 189.
- Édit. de 1386, p. 31. — Édit. de Ijy7, p. 176-177.
^ Cf. à ce sujet deux pièces curieuses de Bail': 1' la NLnIe BLare, au
liv. IX des Poèmes (II, 438j ; 2' à Henry Eslienne, au liv. I\' des Passetenis
(IV, 417).
U?iiv. de Lille. Tome ^'1II. A. i>.
82 JOACHIM DU BELLAY
Ronsard nous a laissé, sous le titre de Bacchanales ', le
récit d'une excursion que lit en i549 au village d'Arcueil la
jeune Brigade *. Ce jour-là. vrai jour de fête, on sest levé
de grand matin. Dès avant l'aurore, le collège est on mouve-
ment : en guise d'aubade, on joue du chalumeau, on sonne
de la guitare, on chante, on danse, on rit. La petite troupe
se met en marche, les uns montés sur des ânes, les autres à
pied. On emporte une quantité respectable de victuailles
andouilles, jambons, pâtés, boudins, saucissons, cervelas, pains
d'épice, sans compter les bouteilles : car ces écoliers sont
de forts mangeurs et de torts buveurs. Dorât les conduit, et
tous s'en vont joyeux. Xaturellement, du Bellay, Ronsard et
Baïf sont ensemlde. l'rvoy porte au bout d'une gaule un
flacon de vin blanc orné de lierre, qui lui pendille jusqu'au
flanc, et que Pacate par derrière vient soutirer. Denisot,
comte d'Alsinois, trotte à l'écart, songeur et parlant à voix
basse, sur un âne sans licou dont il flatte les oreilles. Pour
une l'ois, Latan daigne faire le fou. Les autres suivent,
Hurteloire, Bergier, Lignei'y, Gapel. Seul, des Mireurs est
soucieux : toujours prudent, il se demande si pareille débauche
est bien bonne à la santé. On est parti dès le point du jour,
afin d'avoir moins chaud. La rosée emperle les champs, et
la Brigade aspire avec ivresse l'humide fraîcheur qui monte
des prairies : elle voit les herbages fumer aux premiers
rayons du soleil. Peu à peu la chaleur augmente : les voya-
' Blancheniain, VI, 358.
- Il ne faut pas confondre ce voyage d'Arcueil avec un autre plus connu
qu'y lit la Pléiade, trois ans plus tard, après la représentation de la Cléopâtre
de Jodelle. Du Bellay, qui fut du premier, ne semble pas avoir été du second.
En revanche, Belleau, qui fut du second, n'était pas du premier. La confu-
sion qui s'est établie, bien à tort, entre les deux voyages, remonte à Claude
Garnier, lannotateur de Konsard, qui rapporte à la même année les
Bacchanales (VI, 358) et les Dithyrambes (VI, 377), et son erreur vient Sans
doute de ce que les Bacchanales n'ont été publiées qu'en 1552, avec les
Amours et le V* livre des Odes, l'année même de la Cléopâtre et du second
voyage d'Arcueil. V. Marty-Laveaux, Notice sur Jodelle, p. xix-xx.
LE COLLÈGE DE COQUERET 83
i>'eurs mettent sur leurs tôtes des mouchoirs et des i'euillag'es :
quelques-uns se déchaussent. L'ardeur du soleil ne les empêche
pourtant point de se livrer à mille ébats. Ces jj^raves écoliers
s'amusent à courir après les papillons ; ils essaient de les
attraper à petits coups de chapeau ; Ronsard tombe sur le
ventre en les poursuivant ; Bergier, plus heureux, en tue un sur
la place : précieuse dépouille qu'il consacre aux Satyres dans
une dédicace gravée sur un saule. L'eau vive d'vm ruisseau
permet à la bande de se rafraîchir. Enfin, on découvre la
vallée d'Arcueil et son vieil aqueduc, et la Brigade salue avec
respect l'antique village fondé par Hercule '. C'est le terme
de l'excursion. Très affamée, la troupe se met à table : est-il
besoin de dire qu'elle fait honneur au repas ? Comme une
fête n'est pas complète sans poésie. Dorât se lève, et sa voix
dor improvise, dans le silence recueilli de ses élèves, une
ode latine à la fontaine d'Arcueil '. Ainsi s'écoule gaiement la
journée, et quand \ esper enibrunit les cieux, la troupe regagne
Paris, non sans quelque tristesse au cœur.
Quelquefois, Dorât menait ses élèves chez un seigneur de
ses amis, qu'il avait sans doute connu chez Lazare de Baïf et
qu'il savait passionné pour les lettres. Jean Brinon, sieur de
Villennes et de Medan, possédait sur les bords de la Seine
une superbe maison de campagne, où savants et poètes étaient
sûrs de trouver une lios[)italité chaleureuse et princière '. T'n
naturaliste de cette époque , Pierre Belon , nous a raconté
quelque part * un voyage que fit ainsi chez Brinon en i55i
' Le noiu d'Arcueil était alors Hercueil. Une tradition lui donnait Her-
cule pour fondateur.
- Les œuvres de Dorât (Poernatia, 158G : Odar. lib. 1 : part, u, p. 194)
contiennent une ode sous ce titre : Ad fontem ArcuUi sii>e Herculei pagi
in agro Parisino.
•* Le nom de Jean Brinon revient à chaque instant dans les vers de
Dorât, de Ronsard, de Baïf. Du Bellay lui consacre un sonnet (II, 1IJ8) et
quatre épitaphes latines {Foeniata, f"' 48 V-iO r").
' Histoire de la nature des ojseaux. Paris, Gilles Corrozet, VMi'S, in-f°.
— Liv. IV, chap. xxvi, p. m.
84 .lOACHIM DU BELLAY
l'érudit limousin, accompagne'' (( dune trouppe des plus doctes
el excellents poètes de ce temps ». Il ne nomme que Denisot ;
mais il y a tout lieu de croire que du Bellay faisait partie
de l'excursion. Je cite les paroles du vieil écrivain :
(( Au temps d'esté, plusieurs poètes de nostre nation s'es-
lants alliez ensemble, en faveur de monsieur 1. Briuon, con-
seiller du Roy, près de Poyssi sur la rivière de Seine, l'ac-
compag-nerent voir ses Muses Medan et A illaines. Iceluy
s'estant mis en devoir de les recevoir humainement, les
festoya comme il appartenoit. Donc estants parveuuz là, eurent
bonne issue en toutes choses : car errants plusieurs jours par
les confins, trouvèrent maints a})pareils récréatifs de diverses
manières de passetemjjs : comme à faire la chasse à plusieurs
espèces d'animaux.... Ores cheminants par taillis, tendants aux
oy sillons, en prenoyent de moult rares : tantost se trouvants
par les i'orests, avoyent plaisir de voir beaucoup d'espèces
d'arbres avec leurs fruicts : autresfois cueilloyent diverses herbes
sur les montaignes et entre les vallées. Et là trouvants iniinis
arguments nouveaux, y firent Sonnets, Odes, et Epigrammes
(irecs. Latins et l<'i'ançoys en la louange de celuy qui les y
avoit conduicts et de ses nymphes. Et ayants consacré les
fontaines . avec grandes cérémonies . rapportèrent toutes les
reliques de h'ui- enqueste. Dorât, l'un de la compagnie, poëte
cloquent, voyant ([ue la lim])he de Medan convertist ses larmes
en ]>ierre. et voulant en perpétuer la mémoire, imprima tels
mots sur un tableau :
l.\ \ ILI.AMDKM KONTK.M
Nyuq)lia prius \ illanis eram : Pan arsil, anuuiteui
Duni fiigio : absoi'ptam terra rogata rapit.
Slat superùm pro Pane favor : de Xaïde lympha,
De lympha (iunl viscera noslra lapis.
Mais eiu'or pour plus uiagnilier la grandeur de ce miracle
LE COLLÈGE DE GOQUERF.T 85
naturel, en a escril un opuscule iulitulc Vilidiiis. (|u\)m peut
voir avec ses œuvres ' )).
Ce naïf récit n'a pas besoin de connucntaire. On comprend
désormais ])ourquoi la nature tient tant de place dans les
écrits de lu Pléiade.
IX
Les étudiants du Collège de Coquerel n'étaient pas moins
sensibles aux arts qu'à la nature. Ils avaient parmi eux un
artiste, dont l'action s'exerça sur leur goût esthétique. Nicolas
Deuisot ", qui suivait connue eux les cours de Dorât, était
leur aîné de plusieurs années '. Gomment se fait-il qu'à trente
ans passés il vînt s'asseoir encore sur les bancs d'un collège,
avec des condisciples I)ien plus jeunes que lui ? Sans doute
il pensait, et très sagement, qu'on apprend à tout âge et
qu'on ne peut que profiter quand on a pour maître un Dorât.
Quoi qu'il en soit, ce studieux écolier était déjà célèbre. En
i539, il avait été collaborateur d'Androuet du Cerceau dans
la carte du Maine. En i54;">. il avait publié son premier
volume de poésies, un recueil de Noëls, en attendant qu'il
donnât ses Cantiques (i553). Surtout, il s'était fait un nom
dans la peinture *. Ronsard et du Bellay ont vanté à l'envi
' Recueil de 1586, Poemat. lib. III, p. 173-184. — Cf. Ronsard, le Hoiis
(VI, 181) : la pièce a paru dans les Meslanges de l.ioii. f" 2. v". (Bibl. Nal —
Rés. pY*. 123).
- Sur Nicolas Denisol, consulter — outre La Croix du Maine (II, loi) et du
Vei-dier (111, 113) — la notice de Rathery I Bulletin du Bibliophile, 18.j0.
p. 43o), celle d'ilauréau (Hist. litt. du Maine, 111, 177). et celle de M. Gabriel
Marcel, le conte d'Alsinoys géographe (Revue de Géographie, sept. 1S94,
p. 193).
■' Nicolas Deuisot, natif du Mans, comme Jacques Peletier, vécut de lol;J
à 1550. II passait du Bellay de sept ans, Ronsard de neuf, Baïf de dix-sept.
* La Croix du Maine (II, 151) parle ainsi de son compatriote : « Il a été
estimé fort bon Poêle et Orateur tant en latin qu'en françois, et surtout
très excellent à la peinture, principalement pour le crayon. Car auparavant
qu'elle fût en si grand usage entre les F'rançois, comme elle est dujour-
d'hui, it étoit estimé le premier de son temps, pour un qui n'en faisoit pas
profession autrement que par plaisir. »
86 JOACHIM DU BELLAY
son double talent de poète et de peintre, et tous les deux
ont fornuilé le même regret : quel dommage que Denisot
ne fût pas aussi musicien ! S'il eût eu ce don, que lui
manquait-il pour être parfait ' ? — Un tel regret atteste au moins
la très haute idée qu'ils avaient des arts.
Nous savons par Binet à quel point Ronsard les aimait :
(( La Peinture et la Sculpture, comme aussi la Musique, luy
estoient à singulier plaisir^ ». Nous n'aurions pas ce témoi-
gnage que les œuvres de Ronsard y suppléeraient amplement :
Tandis qu'en l'air je souillerai ma vie,
Sonner Phebus j'aurai tousjours envie,
Et ses compaignes aussi,
Pour leur rendre un grand merci
De m'avoir fait poêle de nature,
Idolâtrant la musique et peinture.
Voilà ce qu'on lit dans Y Ode à son Luc, et cette ode est
peut-être la première qu'il ait faite ''. Si tels étaient déjà ses
goûts aux environs de i543, on devine aisément tout ce que
put, pour compléter et parfaire son éducation esthétique, Tin-
lluence d'un homme tel que Denisot. Elle acheva de l'initier
aux secrets de l'art que lui, Denisot, entendait si bien. Les
Odes de i55o présentent une curieuse description (( des pein-
tures contenues dedans un tableau '* ». Du Bellay ne subit
pas moins fortement cette influence, si l'on en juge par le
nombre des comparaisons et des images qu'il emprunte dans
ses vers aux arts plastiques '. A défaut d'autres preuves, on
' On rapprochera le sonnet de du Bellay (II, 142-143) de l'ode de Ron-
sard (11, 339-340). Cf. aussi Belleau (11, 453-435).
= Texte de 1597, p. 177.
' Du moins une note de Ronsard dans l'édit. de 1560 le laisse supposer:
« Celle ode est la première que l'auteur ait jamais composée ». — UOde
à son Luc fait partie du Bocage de 1350, f" 138 v°. (Blanchemain, II, 394).
* Édit. orig., liv. II, ode 28, f 72 v». (Blanchemain, II, 410).
■ Voyez, par exemple, Olive, s. 19 et 74. Cf. I, 152, 187, 232, 258, 270, etc.
LE COLLKGK DK COQUERKT 87
pourrait encore invoquer les bonnes relations des poètes de
la Pléiade avec les artistes du temps. Ils admiraient sincère-
ment le peintre François Glouet ' et l'architecte Pierre Lescot %
et si de mesquines jalousies personnelles empêchèrent Ronsard
de rendre justice à Philibert Delorme, du Bellay, plus équi-
table, sut apprécier à leur valeur les beautés du château
d'Anet \
On ne sera point surpris qu'aux arts plastiques ils aient
encore préféré la nmsique. La musique est la sœur de la
poésie : peu d'hommes ont eu comme eux le sentiment de
cette parenté. Honsard appelait les musiciens et les poètes
(( enfans sacrez des Muses », proclamant « que sans la
musique la poésie estoit presque sans grâce, comme la musique,
sans la mélodie des vers, inanimée et sans vie * ». h' Ode à
son Luc, en même temps qu'un vif éloge de la peinture,
contient sur la musique ces vers si pleins de charme :
Que dirons-nous de la musique sainte ?
Si quelque amante en a l'oreille attainte.
Lente en lermes goutte à goutte
Fondra sa douce ame toute,
Tant la douceur d'une armonie éveille
D'un cueur ardant l'amitié qui someille,
Au vif lui représentant
Son tout par ce qu'elle entent.
La Nature, de tout mère,
Prevoiant que nostre vie
Sans plaisir seroit amere.
D'inventer elle eut envie
' Cîouet, dit Janet, peintre du roi, célèbre par ses portraits (1510-1580). V.
du Bellay, I. iïo et II. 177 ; Ronsard, I, 102 et 132; Baif, I, 376.
- Du Bellay, Regrets, s. 157 et 158; Ronsard, VI, 188.
' Regrets, s. 159; A Madame Diane de Poictiers (II, 102 et 109).
* Binet, texte de 1597, p. 177.
88 JOACHIM DU BELLAY
La musique, et Tinventant
Alla ses fils contentant
Par le son, qui loin nous g-ette
L'ennui de lame sujette,
Pour l'ennui mesrae douter :
Ce que l'emeraude fine
Xi l'or tiré de sa mine
Nont la puissance d'outer \
Rarement on a mieux célébré le pouvoir évocateur et con-
solateur de la musique, et qui voudra savoir tout ce que
Ronsard lui reconnaissait d'influence morale n'aura qu'à lire la
préface si curieuse qu'il adressait en i5;;2 au roi Charles IX ^
C'est pour avoir eu jusqu'au fond de l'àme l'instinct
musical que la Pléiade s'est montrée si soucieuse du bon
débit des vers. Si du Bellay consacre à ce sujet tout un
chapitre de la Deffence \ est-ce donc seulement pour rappeler
quelques préceptes de Cicéron ? X"on : c'est qu'il a senti
lui-môme tout ce que gagne la poésie à être déclamée « d'un
son distinct, non confuz, viril, non efféminé », avec une
voix qui s'accommode aux passions exprimées dans les vers.
Et Ronsard sur ce point ne pense pas autrement "*.
De là vient aussi l'importance que la Pléiade attache aux
questions d'harmonie et de nombre '. De là l'intime alliance
qu'elle rêve entre la musique et la poésie % et qui conduira
' Texte de iooO. — Blanchemain, II, 3110.
- Blanchemain, VII, 337.
' Liv. II, chap. 10, p. 143 : De bien prononcer les vers.
• V préf. de la Franciade (III, 12-13).
■ Deffence, p. 77, 129, 131, 134, 143. — Ronsard, III, 20, 31, 33; VII, 320,
326, 3i!7, 328, 329, 330, 332.
'■ V. notamment Ronsard : « La Poésie sans les instrumens, ou sans la
fjrace d'une seule ou plusieurs voix, n'est nullement aggreable, non plus
que les instrumens sans estrc animez de la mélodie d'une plaisante voix. »
(VII, 320). Il dit encore : a Les vers sapphiques ne sont, ny ne furent, ny
ne seront jamais agréables, s ils ne sont chantez de voix vive, ou pour le
moins accordez aux instrumens, qui sont In vie et l'ame de la poésie. » (II,
376).
LE COLLÈGF DE COQUERET 80
Ronsard à iiotci' lui-iiiriiu' des airs pour ses ArnoiiT's de
Cassandre \ Baif à fonder, de concert avec le musicien
Thibault de Gourville, une Académie de Poésie et de Musique,
en vue de faire revivre la poésie lyrique chantée, telle que
l'avaient cultivée les anciens ^
Ce g'oût des arts, que nous trouvons si vif chez les élèves
de Dorât et qui leur fait admirer le beau sous ses formes
les plus diverses , prouve à quel point ils ont subi l'em-
preinte de leur époque. Par là, non moins que par leur
zèle à l'étude et leur amour de l'érudition, ils ont été vrai-
ment, dans toute la force du terme, des hommes de la
Renaissance.
X
Cette éducation par la nature et par les arts, dont on n'a
pas tenu toujours assez de compte, eut pour effet de remédier,
dans une certaine mesure, aux fâcheuses conséquences d'une
instruction par trop livresque. Elle permit aux élèves de
Dorât de mieux comprendre l'exquise valeur des œuvres
anciennes. Elle ailina leur sens esthétique et le rendit plus
délicat. Elle fit des artistes de ceux qui auraient pu n'être que
des pédants. En un mot, elle acheva de pénétrer tout leur
être d'un vivant idéal de beauté.
Pleins de cet idéal, ils poursuivaient leurs études en silence
sous la haute direction de leur maître, et déjà, par instants,
ils s'essayaient à traduire leurs aspirations dans la langue des
vers : Ronsard façonnait des odes sur le moule de Pindare et
soupirait des sonnets à Cassandre ; du Bellay, sur les pas de
Pétrarque, chantait son Olive et puisait dans Horace des sujets
' Gandar, op. cit., p. 87.
- Sur ce point, v. Becq de Fouquières, Notice siw BaiJ, en tête de soa
édit. des Poésies choisies de /Jai/ (Paris, Cliarpentier, 1874), p. xvi sri(|., et
l'ouvrage déjà cité de Freray, chap. ii.
90 JOACHIM DU BELLAY
de lyrisme : et tous deux à l'envi s'ingéniaient à réaliser,
par de secrètes ébauches, le rêve d'une poésie nouvelle, artis-
tenient modelée sur les chefs d'œuvre de l'Antiquité et de
l'Italie, lorsqu'un événement — le mot n'est pas trop tort —
vint soudain les troubler dans leur calme retraite du Collège
de Goqueret. Vers le milieu de i54B. parut VArt Poétique de
Thomas Sibilet '.
L'ouvrage était anonyme. L'auteur, avocat au Parlement de
Paris, écrivait h pour l'instruction des jeunes studieus et encor
peu avancez en la poésie l'rançoise ». C'était la première fois
en France qu'on s'avisait d'un art poétique. Jusqu'alors on
n'avait toujours vu dans la poésie qu'une province de la
rhétorique ", et voici qu'un inconnu tout à coup la proclamait
un art indépendant et libre, vivant de sa vie propre, ayant
ses lois particulières et sa technique spéciale. 11 faisait peu
de cas des rimeurs de son temps , leur reprochait de n'avoir
pas ime assez haute idée de l'art, et, dès la première page,
il disait hardiment son désir « de voir, ou moins d'escrivains
en ryme, ou plus de poètes françois ». 11 ajoutait en s'adres-
sant à son lecteur : (( Je ne me suy peu garder d'escrire :
a tin que ces gentilz rymeurs par la congnoissance de l'art,
qu'ilz pourront prendre de mon escriture, se gardent d'escrire,
s'en congnoissans bien loin reculez : ou s'ilz continuent
d'escrire, qu'ilz le facent avecques l'art. »
On devine avec quelle émotion les « jeunes studieux » du
Collège de Coqueret entreprirent la lecture d'un ouvrage qui
dès l'entrée posait en principe la nécessité de l'art dans la
' Art l'iiétique François pour l'instruction des leunes studieus. et encor
peu auancez en la Piiésie Françoise. Paris, Gilles Corrozet, lo48. Privilège
(lu 2,) Juin l.i'jS. Kpilre au Lecteur du 21 juin 1548. (Bibl. Nat. — Rés. Y'.
\-n:i).
- Sur les arts de rhétorique des .xv" et wi' siècles, consulter la thèse
latine de Langlois, De artibus rhetoricae rhythmicae . . . . Paris, Bouillon.
1890, in 8».
LE C()I,I>KGE DK COQUKRET 01
poésie. Lorsqu'ils l'eurenl achevée, riinpressioii (luellc leur
laissa fut celle d'un vif dépit mêlé d'une sourde colère.
Le nouvel Art Poétique n'était guère, à tout prendre, que
la mise en préceptes des doctrines de Marot et de ses énmles :
(( Lira le novice des Muses Françoises, — disait Sibilet, —
Marot, Saingelais. Salel, lleroet, Scéve, et telz autres hons
espris, qui tous les jours se donnent et évertuent a l'exal-
tation de ceste françoise poésie, pour ayder et roborer de leur
invention et industrie son encor indjecille jugement : et
autrement les suivre pas a pas comme l'enfant la nourrice,
par tout ou il vouldra cheminer par dedans le pré de
Poésie ' ». C'est à ces poètes, à Marot surtout, que Sibilet
empruntait ses exemples; c'est eux ([u'il appelait (( les bons
et classiques auteurs ». Sans doute, à côté de ces modèles,
il faisait une place aux plus « nobles » poètes grecs et latins :
(( A vray dire, ceuz sont les Gynes, des ailes desquelz se
tirent les plumes dont on escrit proprement. » Il réclamait de
son novice la connaissance des langues anciennes : d Je désire
pour la perfection de toy, Poète futur, en toy parfaitte con-
gnoissauce des langues Gréque et Latine : car elles sont les
deus forges d'où nous tirons les pièces meilleures de notre
hai'nois ". » Mais ni Ronsard ni du Bellay ne trouvaient
suffisante cette part faite à l'Antiquité. Ge n'était pas assez
pour eux que de l'admettre à titre égal avec Marot et son
école dans la formation du poète futur. Leur ferveur d'huma-
nistes protestait contre une pareille assimilation. Les églo-
gues de Marot valaient-elles les idylles de Théocrite et de
Virgile ' ? N'était-ce pas une dérision de comparer les chan-
sons de Saint-Gelavs aux odes de Pindare et d'Horace * ?
' Liv. I, chap. 3.
- Liv . II, chap. 9.
^ Liv. II, chap. 8.
' Liv H, chap. G.
92 JOACBIM DU BELLAY
Et le Roman de la Rose lui-même, quel que fût son mérite,
pouvait-il^ j)rétendre à marcher de pair avec \' Iliade et
V Enéide ' ?
Mais ce ([iii n'irritait pas moins les élèves de Dorât que
ce parti pris de mettre toujours sur le même pied la poésie
marotique el la poésie ancienne, c'était de retrouver sous la
plume d'un autre plusieurs des idées qui leur étaient chères
et dont ils espéraient bien donner un joui' une expression
personnelle. Sibilet voyait dans la poésie un art sacré dont
l'origine était toute religieuse : car elle venait, comme la
vertu, (( de ce profond abyme céleste ou est la divinité ».
Après Platon, il répétait que ceux-là seuls étaient poètes
qu'avait touchés le feu divin, l'étincelle de l'inspiration : « Le
Poète de vi'aye merque ne chante ses vers et carmes autre-
ment que excité de la vigueur de son esprit, et inspiré de
quelque divine afllation ' ». Et Sibilet partait de là pour
condamner sans rémission ce terme de rimeur, qu'avait
adopté (( le rude et ignare populaire », comme il l'appelait
dédaigneusement : au terme en faveur il substituait celui de
poète, un si beau mot, qu'il ne fallait pas rougir de devoir
aux anciens ' ! Il ne ménageait guère la vieille rhétorique :
il parlait du rondeau, du lai, du virelai, comme de genres
près de mourir ou déjà morts ^. et. s'il tenait encore pour la
rime équivoque ', en revanche il reléguait à la fin de son
livre, dans un dernier chapitre % les rimes bizarres de jadis,
rimes kyrielles, concaténées, annexées, etc., les déclarant « de
la vieille mode )) et désormais sans usage « entre cens qui ont
' Liv. IF, chap. 14.
- Liv. I, chap. \.
■' Liv. I, cliap. 2. *
* Liv. H, chap :î et i:5.
'•• Liv. I, chap. 7.
* Liv. Il, chap. Kj.
LE COLLÈGE DE CUQUERET 1)3
le né inouclu" ' >>. l-',nli;i. il coiisfillail ;i son novice do cul-
tiver les nouveaux i^enres. ceux-là mêmes que Ronsard et du
Bellay rêvaient d'installer en souverains ineontestés dans notre
poésie : il était partisan du sonnet ' : l'ode, à ses yeux, ne
méritait pas moins (regards (|ue le canticpie cl la chanson ' ;
il n'était pas jusqu'à l'épopée ([ue. sous le nom de (( f>rand
œuvre », il ne recommandât au poète futur '.
Mettons-nous un instant à la place des élèves de Dorât.
Dans le nouvel Art Poëtù/ue, ils ne trouvaient pas seule-
ment défendues des opinions (juils réprouvaient, exaltés des
poètes dont ils faisaient assez bon marché ; mais encore ils
trouvaient formulées par avance, et souvent d'une manière
insullisante et défectueuse, des idées qn'ils avaient à cœur :
de sorte qu'ils en voulaient à son auteur de ce <]u'il y avait
dans sa doctrine et de contraire et de conforme à leur
propre doctrine. Ils ne lui pardonnaient pas plus ses nou-
veautés que ses routines. Ils en concevaient de l'irritation ;
et c'est là qu'il faut chercher la première origine de la
Deffence et it/ustration de la lanffiie françoyse '.
' C'est le naris emunctae (ritorace.
- Liv. II, cliap. 2.
•' Liv. IF, cliap. H.
' Liv. Il, chap. 14.
' M. Roy le premier a bien vu que la Deffence est a une réfutation et un
toniplément autant qu'un livre original ». {Rev. d'hist. litt. de la France,
1895, p. 237, et 1897, p. 420 . « Si du Bellay, dit-il. critique ou complète le
traité de son devancier, c'est moins encore [)ar suite d'un dissentiment
littéraire, que sous le coup de cette impatience naturelle à un critique qui
voit ses propres idées, des idées qui lui sont chères, à demi devinées par
d'autres, et mal traitées, mal développées ou réduites en sèches formules.
De fait une bonne partie de la Deffence et Illustration était déjà indiquée
et esquissée dans VArt Poétique. » Ce point de Aue de M. lloy est delà plus
rigoureuse exactitude. Une édition annotée de la Deffence pourrait seule
relever toutes les e.\])rcssioas que son auteur a copiées dans Sibilet :
L'ignorance de nos majeurs iD. .itj—P. I. 21. la pièce du harnois (D. 63=P. 11.9),
imiter à pied levé (D 73'=P. II, (5), la toile de Pénélope (D. 136=P. I. oi, etc.
Le titre même du manifeste est déjà dans Sibilet : « V illustration et augmen-
tation de notre langue françoise » (I, 4|. Chose curieuse : le vers que blâme
du Bellay ID. 142) comme mal coupé, Sinon que tu en montres un plus seur,
est le dernier vers du Sonnet à L'Emieux qui précède VArt Poétique. J'aurai
l'occasion d'indiquer plus loin (chap. iv) les points essentiels sur lesquels
du Bellay critique ou complète Sibilet.
94 JOACHIM DU BELLAY
h'Art Poétique était k peine paru qu'ils songèrent à la
riposte. Si Ton voulait avoir la gloire de restaurer la poésie,
il était grand temps de sortir de l'ombre. L'heui'e était venue
de prendre position, d'indiquer nettement au public le rôle
auquel on prétendait, de condenser dans un symbole l'ensemble
des croyances littéraires qu'on érigeait en dogmes pour l'avenir.
La Deffence fut cette profession de foi. (î'est une œuvre de
collaboration, où prit part le groupe tout entier : elle résuma
les théories nées des études communes et des communes
discussions. Bien hardi qui voudrait préciser l'apport de
chacun. '
Pourtant cette œuvre, où se reflétaient les idées de tous,
deux seulement pouvaient l'écrire : Ronsard et du Bellay.
Baïf était trop jeune, et quant à Dorât, il était plus professeur
qu'écrivain. C'est du Bellay qui rédigea le manifeste. Mais
pour([uoi lui plutôt que Ronsard ?
J'en vois plusieurs raisons. D'abord, dernier venu dans le
groupe, il avait sans doute à cœur de réparer le temps perdu,
de se montrer l'égal des autres, sinon par la science, au moins
p;ir l'ardeur de ses convictions. De plus, Ronsard était timide,
ami du calme et du repos. On l'a dit justement : (( 11 était peu
fait pour la lutte, et particulièi^ement pour la lutte littéraire.
Comme presque tous ceux ([ui ont de l'éloquence, il manquait
d'esprit ^ ». Du Bellay, lui, n'en manquait pas. Il était volon-
tiers batailleur : ce fier gentilhomme, que le destin avait seul
empêché d'être soldat, n'était pas gêné de manier la plume
ainsi qu'une épée. Et puis, il n'avait pas ces scrupules litté-
raires qui pesaient lourdement sur Honsard, le retenant des
mois entiers sur un ouvrage qu'il jugeait toujours imparfait. Il
était aussi pressé de produire et de publier que son camarade
était hésitant et circonspect, par défiance de lui-même et par
^ Sur ce point, v. les réflexions de Plôlz. p. 3-4.
- I^'aguet, Seizième siècle, p. 205.
LE COLLÈGE DE COQUERET 9;»
souci de la perfection'. Eutiii, — et c'est un point ([uon un
pas noté, — pour que le manifeste eiit l'accueil du public, il
n'était pas indid'crent qu'il fût signé d'un nom illustre. Celui de
Ronsard était loin de l'être ; mais on sait quel éclat avait
l'ejailli sur les du lîellay. Peu de noms étaient à ce point
lameux. Et qu'on ne dise pas : la Dejjence était anonyme. Les
initiales mystérieuses de l'en-tête, I. D. B. A. -, se laissaient
aisément deviner. On n'avait qu'à tourner la page : huit vers
grecs de Dorât révélaient le nom de l'auteur, dont la patrio-
tique entreprise était comparée aux actions patriotiques de ses
glorieux parents '. La même raison qui fit dédier l'ouvrage au
cardinal du Bellay, alors tout-puissant à Rome, en lit confier
la rédaction à son neveu. Gomment un livre où brillait un tel
nom aurait-il pu passer inaperçu ?
Ronsard d'ailleurs fut le premier à pousser du Bellay de
l'avant. Dans un Discours à Louis des Masures (i56o), évo-
quant l'ombre de son ami, mort depuis quelques mois, il
mettait dans sa bouche ces paroles :
Ronsard, que sans tache denvie
J'aimay quand je vivois comme ma propre vie.
Qui premier me poussas et me formas la vois
A célébrer V honneur du langage François — "
Ce témoignage serait suspect, s'il n'était contirmé par du
Bellay lui-même : « Voulant satisfaire à l'instante requeste de
mes plus familiers amis, je mosay bien avanturer de mettre
en lumière mes petites poésies : après toutesfois les avoir
communiquées à ceux que je pensoy" bien estre clervoyans en
' Je me suis expliqué sur ce point clans mon article sur « l'invention de
l'Ode n. Rev. d'hist. litt. de la France^ 15 janv. 1899, p. 47.
- loachim Du Bellay Angevin.
' Sainte-Beuve a donné de cette épigrauime une jolie traduction ilSoii-
veaux Lundis, XIII, 282).
' Blanehemain, VII, 62.
9(j JOACHIM DU BELLAY
telles clioses. singulieremenl à Pierre de Ronsard, qui m'y
donna plus grande hardiesse que tous les autres » (1, 72).
Du Bellay justement avait dans ses papiers des sonnets pétrar-
quistes et des odes horatiennes qu'il songeait à publier quel-
que jour, avec une épltre au lecteur pour justilier leur « nou-
veauté ». L'apparition de 1'^/'/ Poétique le força de hâter ses
projets et le décida bien certainement à transformer Tépître
en manifeste '. Pressé par ses amis et surtout par Ronsard, il lit
un recueil de ses productions, y mit promptement la dernière
main, et bâcla la Dejf'enee, avec la pensée, ])eut-être sincère,
de la reprendre un jour plus à loisir ou de la voir reprise
par son docte rival '. Lorsqu'il fut prêt, il se mit en devoir
de livrer au public et ses poésies et son manifeste. Il obtint
un privilège le 20 mars i548 (n. s. i549), et vers Pâques i549
parut, avec l'Olive et les Vers Ij'riques, la Dejj'ence et illus-
tration de la langue françoj'se '\
* 2' préf. de VOlive : « Je eraignoj '. . . . que telle nouveauté de poésie
pour le commencement scroit trouvée fort étrange et rude. Au moyen de
quoy, voulant prévenir celé mauvaise o|)inion, et quasi comme applanir
le chemin à ceux qui excitez par mon petit labeur voudroient enrichir
nostre vulgaire de ligures et locutions cslrangeres : je mis en lumière ma
Deffence et Illustration de la langue Françoise : ne pensant toutefois au
commencement faire plus grand œuA le t[u'une epistre, et petit adverlisse-
ment au lecteur » (I. 73).
-' Ceci résulte de deux passages de la Deffence : 1" « J'ay bien aouIu...
tellement qucllenuiit ébaucher [le portrait du poëte] : esj)erant que par
moy, ou i»ar une plus ilocte main, il pouia recevoir sa perfection » (p. 99);
2° « llecoy «louques ce petit ouvraige. comme un desseing et protraict de
quelque grand et laborieux édifice, que j'entreprendray (possible) de con-
duyre, croissant mon loysir et mon scavoir » (p. 104).
NOTE
suit 1..V UATE K.VAGTE DE LA « DEFFENCE » .
■ La Dejfence et Jilu.stration de la Lawjue Francoyse. Par
I. D. B. A. Paris, Arnoul l'Angelier, id^î), pet. in-8". — Le privi-
lège est le même pour la Dejfence et VOlive : la plupart du
temps les dcu.v ouvrages sont reliés enseuible. — Cette publication
soulève un problème délicat, qu'on n'a j)as résolu jusqu'à ce jour
LK COLLÈGE DIO COQL'RIIKT 97
et dont l;i solution est de toute iiui)ortancc : la Dejfence est-elle
de io49 "" ^^ ^'^So ? Le privilège est bien du 20 mars i548,
qu'il faut lire i549 (o- s ) ; mais la dédicaee. du i."j tôviicr lô^t),
doit-elle se lire d'après l'aneien ou le nouv^eau style ? est-elle
antérieure d'a/t mois ou postérieure de onze mois au privilège ?
On connaît les variations de Sainte-Heuve sur ce point : depuis
lui, les critiques n'ont pu tomber d'accord.
On peut établir que la Deffence a paru certainement en iS^g.
Tout d'abord, s'il est vrai que, jusqu'à l'ordonnance de i5G"3,
l'année officielle commença à Pâques, il n'est pas moins vrai
que cette manière de compter n'était pas admise unanimement,
et que dans bien des cas ou taisait partir l'année du !"■ janvier.
Aux preuves données par Plolz (p. 0-;), on peut ajouter celle-
ci : des Lettres et Mémoires (ï Estât de Ribier il résulte qu'à
cette époque (io49) ^^ employait indifféremment les deux styles :
le roi lui-même datait tantôt d'une manière, tantôt d'une autre.
Toutefois le nouveau style semble avoir dominé. Du Bellay,
pour sa part, comptait à la romaine, ainsi que l'attestent plusieurs
de ses poèmes (I, 190, 278, 283 ; II, 54 et 56).
Sans j>arler de cette raison générale, des arguments parti-
culiers établissent avec une précision rigoureuse que la Deffence
et l'Olive sont antérieures au Recueil de Poésie, qui parut à la
fin de i549 •
1° Dans la dédicace du Recueil de Poésie à iMadame Margue-
rite, datée du 2'3 octobre i549, du Bellay rappelle qu'il a
« depuis peu de temps mis en lumière quelques peliz ouvraiges
poétiques, pour satistaire à l'instante prière d'aucuns siens amis »
( I, 219). 11 ne peut être évidemment question que de l'Olive et
des Vers lyriques. C'est d'ailleurs ce qui ressort clairement de la
comparaison de ce passage avec deux autres passages qu'on peut
lire dans la i'''^ et la 2*^ préface de l'Olive (1, 68 ; I, ji).
2' Dans l'Ode a Mellin de Sainct Gelais, qui fait partie de
ce même Recueil de Poésie, on lit ceci :
Mes vers, qui souloient resonner
De Venus les ardentes larmes.... (I, 238).
C'est encore une allusion à l'Olive.
3" La dédicace de la Deffence au cardinal du Bellay nous
le dépeint comme jouant à Rome un rôle considérable. C'était
Univ. de Lille. Tome VIII A. 7.
98 JOACHIM DU BELLAY
vrai en février i549 (Ribier, II, 191), mais non plus en février
i55o, le cardinal étant tombé en disgrâce au mois d'avril i549
(Ribier, II, 206).
4" L'iphig-ene d'Euripide traduite par Sibilet (dédicace du i"
septembre io49 5 privilège du i3 novembre i549) ^st précédée
d'une épître « aus Lecteurs » qui contient une réponse à la
Deffence, comme on verra plus loin (chap. v).
De tous ces témoignages concordants il résulte que la dédi-
cace de la Dejfence (10 février i549) doit être lue d'après le
nouveau style, familier à du Bellay, qu'elle a précédé d'un mois
le privilège daté, suivant le style de la chancellerie, du 20 mars
1Ô48, et que la Deffence enfin a dû paraître aux environs de
Pâques i549, Q^i tombait cette année-là le 21 avril.
CHAPITRE III
LA « DEFFE^GE DE LA LANGUE FRAiNCOYSE »
1549
I. — L'antinomie de la « DefEence ». — Comment on peut la
résoudre. — Une ambition patriotique : le désir d'égaler
l'Italie. — Composition défectueuse de l'ouvrage.
II. — La partie apologétique de la « Deffence ». — Développement
de l'humanisme : dangers courus par le français.
III. — Précurseurs de du Bellay dans la défense de cette langue.
— Rôle des poètes : Jacques Peletier. Charles de Sainte-
Marthe, Charles Fontaine, François Habert. — Utilité
d'une nouvelle intervention.
IV. — Du Bellay défenseur du français. — Théorie de l'origine des
langues. — Arguments en faveur du français : sa pau-
vreté actuelle, sa richesse possible. — Attaque contre les
Latineurs. — Nécessité d'écrire en français.
1
La Deffence et illustration de la langue françojse est une
œuvre complexe, inspirée à la fois par le sentiment le plus
patriotique' et l'esprit le moins national; cest une apologie
' Cette intention patriotique n'est pas douteuse. Du Bellay dit lui même
de son livre : « C'est la DelFence et Illustration de nostre langue Francoyse.
A l'entreprise de laquele rien ne m'a iuduyt, que l'aiTection naturelle envers
ma Patrie » (p. 40-47). Cf. p. 99 : u Pour le devoir en quoy je suys obligé à la
Patrie ».
100 JOACHIM DU BELLAY
de la langue vulgaire contre ceux qui la dédaignent et lui
préfèrent les langues anciennes, et c'est une critique de nos
vieux poètes dont le faible talent n'a pas su l'illustrer; c'est
un plaidoyer pour le français contre les humanistes trop épris
d'Antiquité, mais c'est aussi un plaidoyer pour l'humanisme
contre les Français trop épris de Moyen Age.
De là, tout au fond de l'ouvrage, une sorte de contra-
diction, qui ne peut se résoudre que si l'on ne perd pas de
vue cette idée essentielle : la Pléiade , fascinée par l'Italie.,
hypnotisée par ses chefs-d'œuvre, a voulu faire en France ce
qui s'était fait avec tant de succès dans la péninsule. Les
Italiens du xyi*^ siècle montraient avec orgueil au reste de
l'Europe une littérature de premier ordre, toute pénétrée de
l'idée du beau, toute splendide du sens de l'art. Pourquoi la
France n'aurait-elle pas essayé, par les mêmes moyens, d'at-
teindre au même prestige? Tel est le vrai point de départ des
ambitions de la Pléiade.
L'orgueil national, voilà son mobile. Elle a très vive cette
conviction que la France n'est inférieure à l'Italie ni dans les
armes ni dans les lois ni dans les mœurs. C'est trop peu
dire : elle décerne à sa patrie, non sans fierté jalouse, une
supériorité politique et morale sur laquelle du Bellay s'étend
avec complaisance : « Aussi diray-je bien.... que la France,
soit en repos ou en guerre, est de long intervale à préférer
à l'Italie, serve maintenant, et mercenaire de ceux aux quelz
elle souloit commander » (p. i5.)). Et passant en revue tous
les avantages de la terre natale, il ajoute : « Je suis content
que ces félicitez nous soient communes avecques autres nations,
principalement l'Italie : mais quand à la pieté , religion , inté-
grité de meurs, magnanimité de couraiges, et toutes ces vertuz
l'ares et antiques (qui est la vraye et solide louange), la
France a tousjours obtenu sans controverse le premier lieu »
(p. i56). — La Pléiade n'a pas voulu que la France, supé-
LA « DEFFENCE LE LA LANGUE FRANÇOYSE )) 101
riciire sur tant de points à l'Italie, lui restât inférieure dans
les lettres. Elle a donc entrepris de combler cette lacune en
fondant la grandeur littéraire de la France. Elle a ressenti
comme une humiliation d'amour-propre à mesurer la différence
qui séparait intellectuellement les deux nations. « Certes,
s'écrie du Bellay, j'ay grand' honte quand je voy' le peu
d'estime que font les Italiens de nostre poésie, en comparaison
de la leur, et ne le treuve beaucoup étrange, quand je consi-
dère que Aoluntiers ceulx qui écrivent en la langue Toscane
sont tous personnaiges de grand" érudition ' ». Dans sa
douleur patriotique, la Pléiade a résolu d'etl'acer jusqu'aux
derniers vestiges de cette inégalité littéraire. Sa tentative est
née tout entière du très ardent désir de rivaliser avec les
Italiens et, si possible, de les surpasser. Son principe direc-
teur fut un principe d'émulation ".
Pour atteindre à cet idéal, le moyen le plus simple, évi-
demment, celui qui se présentait tout dabord à l'esprit,
c'était de procéder comme les Italiens, de refaire ce qu'eux-
mêmes avaient fait. Or, cherchant d'où venait à leur poésie
sa valeur esthétique, la Pléiade croyait en trouver deux
raisons : le culte de la langue nationale et le culte de l'Anti-
1 2' préf. de V Olive (I. 74).
- Cf. ces vers signilicalifs de Ronsard, dans une Elégie à Casstindre, qui
fait partie du Bocage de 1554 {(" 20 Vi :
.... Je me paissois d'espoir
De faire un jour à la Tuscane voir
Que nostre France autant qu'elle est iieureuse
A souspirer une plainte amoureuse,
Et, pour monstrer qu'on la peut surpasser,
J'avois desjà commencé de trasser
Mainte elegie à la façon antique.
Mainte belle ode, et mainte bucolique.
Car, à vraj" dire, encore mon esprit
N'est satisfait de ceus qui ont escrit
En nostre langue, et leur Muse mérite
Ou (lu tout rien, ou faveur bien petite.
(Blanchemain, I, 125).
102 JOACHIM DU BELLAY
quité. Dans le spectacle grandiose qu'offraient à ses yeux
éblouis les lettres italiennes, deux choses la frappaient : d'une
part la langue toscane avait triomphé de la langue latine,
d'autre part la poésie italienne s'était illustrée par l'imitation
des genres antiques. Il n'en fallait pas davantage pour qu elle
crût légitime de conclure que le seul moyen de faire de la
France, intellectuellement, l'égale de l'Italie, c'était d'associer
le culte des anciens à l'amour de la langue maternelle, et
pour qu'elle rêvât de fonder sui" l'imitation des littératures
antiques une nouvelle littérature nationale.
Une réserve cependant est nécessaire. Dans l'assimilation
quelle établissait, la Pléiade oubliait une chose : c'est que
nous ne sommes pas fils des Latins au même degré que les
Italiens. Ces derniers, en effet, sont les descendants directs
des Romains, et lorsque Pétrarque et Boccace. lorsqu'après
eux les cinqcentistes concevaient la littérature comme un
retour à l'Antiquité, c'est en somme une tradition qu'ils
renouaient : ils pouvaient croire de bonne foi qu'ils reprenaient
l'œuvre des ancêtres un moment interrompue ; cette renais-
sance de l'Antiquité avait quelque chose de patriotique et de
national. La même renaissance transportée chez nous n'avait
plus tout à fait le même caractère : car, si nous sommes
aussi par bien des points des tils de Rome, toutefois, au
sang latin qui coule dans nos veines se mêle, en assez forte
proportion, et du sang gaulois et du sang tudesque.
Le manifeste de la Pléiade repose sur deux idées : i" il
faut cultiver le français; 2" il faut imiter les anciens. De là,
ces deux termes du titre : Dejfence et Illustration. De là,
cette division de l'ouvrage en deux livres. Mais la compo-
sition n'est pas à beaucoup près aussi rigoureuse qu'on pour-
rait le s\ii)poser d'après ce qui précède. Même au xvi^ siècle,
où r()n compose en général très faiblement, il existe peu
d'ouvrages qui soient aussi désordonnés. La i'aute en est sans
LA (( DEFFFNCK DE LA LANGL'F, FRANÇOYSE )> 103
doute à la jeiinesse de l'écrivain, à son inexpérience du
métier littéraire, à son ardeur de combattant, à son désir de
frapper fort et vite, peut-être aussi, dans une certaine mesure,
à la collaboration de ses camarades. Certaines idées sont tour
à tour émises, laissées, reprises, sans qu'on voie bien pour-
quoi: d'autres sont loin d'avoir le développement qu'exigerait
leur importance: enfin, les obscurités, les illou^ismes et les
contradictions sont la preuve évidente que l'auteur écrivait au
courant de la plume, sans réflexion et sans méthode '. Force
est donc, pour analyser la Dejfence, de reconstituer en quel-
que sorte le travail latent qu'accomplit la pensée de l'auteur,
et d'apporter dans l'exposé de ses doctrines un ordre qu'il
n'y a pas mis.
11
La Deff'ence est d'abord une apologie de la langue fran-
çaise. Du Bellay voit dans la langue une part du patrimoine
national : (( La mesme loy naturelle, qui commande à chacun
défendre le lieu de sa naissance, nous oblige aussi de garder
la dignité de notre langue » (p. i53). Et patriotiquement, il
la défend contre ses adversaires. Mais une question se pose :
pour avoir besoin d'être ainsi défendue, après plusieurs siècles
d'existence, son droit à vivre était donc contesté ?
11 l'était. Sans parler des obstacles qu'opposaient à son
développement comme langue littéraire ces deuxjpuissances,
l'Ecole et l'Eglise ^ l'idiome maternel était de[)uis un demi-
'JQuelques exemples précis de cette composition défectueuse : la défense
de la langue, à peine entamée (I, 2), est brusquement interrompue (I, ri), et
puis reprise dans un chajiitre (I, 9) qui n'est que confusion La critique des
poètes français rst faite en deux fois (II. 2 et 11). I,a théorie de l'imitation
est de même, contre toute raison, coupée en deux (I, (S et II, 3). Les préceptes
de détail, au lieu d'être ramassés, sont épars çà et là : ainsi, pour la ryth-
mique, il faut aller chercher en quatre endroits le peu qu'en dit l'auteur
(11. 4, 7, 8, 9).
- Sur ce point, v. l'exposé de M. Brunot, dans son chapitre sur « la
langue au xvi* siècle », p. 644 sqq.
104 JOACHIM DU BELLAY
siècle fortement menacé par les progrès croissants de Ihuma-
nisine. 11 s'était produit chez nous le même fait que dans
l'Italie du xv^ siècle. Philologues et lettrés, dans leur fana-
tisme pour les langues anciennes, avaient délaissé la langue
vulgaire, qu'ils taxaient d'impuissance radicale, et, sous pré-
texte que le français était incapable de porter la pensée, c'est
on latin qu'on écrivait tous les ouvrages de philosophie et
de religion, de critique et de science, d'érudition et de gram-
maire. On connaît l'opinion de Budé sur ce point et le rêve
qu'il formait d'un latin éternel, susceptible de s'enrichir pour
correspondre au changement indéfini des mœurs et des idées'.
Encore, si l'ambition des humanistes se fût bornée à perpé-
tuer le latin comme langue scientifique, il n'y eût eu que
demi-mal. C'est luic question de savoir, en effet, si, la science
étant universelle, il n'y aurait pas intérêt pour elle à s'exprimer
dans une langue universelle, et l'on peut soutenir, sans être
paradoxal, que le latin, à condition qu'il puisse se transformer
suivant les besoins de la science, est encore la meilleure des langues
universelles '. Mais l'humanisme poussait plus loin ses préten-
tions, et, non content de faire du latin la langue des savants,
il voulait l'installer à la place du français comme langue
arti clique, lui réserver, avec les œuvres de science, les
ouvrages d'imagination et de sentiment, dont le premier
mérite est d'être individuels. A la faveur de ces idées, le latin
s'était emparé de la prose d'art aussi bien que des vers. Le
cicéronianisme est trop connu pour qu'il soit nécessaire d'y
insister ; mais ce qu'on sait iinniis, c'est que de i5oo à i549
s'était développée chez nous toute une poésie néo-latine qui
faisait à la Muse nationale une laide concurrence. Une foule
de poètes, par de doctes plagiats, s'ingéniaient à marcher sur
' Rphitlé, thèse sur Budé, p. 192-103.
- V. l;i-dessus les su5î54cstives réflexions de M. l'aguct, dans sou artiele
sur (( l'Alexandrinisnie )) (Revue des Deux-Mondes, 1" mai IXili, p. i:jl-132).
LA « DEFFENCE DE LA LANGUE FRANÇOYSE )) lUo
les pas de Virgile et d'Horace, de Catulle et d'Ovide '.
L un d'entre eux, Salnioii Macriii, s'adressant à ses rivaux les
plus illustres, Germain Brice, Jean Dampierre, Nicolas
Bourbon, Etienne Dolet et Jean ^ oulté, les louait hautement
d'avoir fait de la France, naguère encore barbare et sans
culture, l'égale de la Grèce et de Home :
' Un simple tableau des principaux recueils de vers parus de lij2ij à liiW
pourra donner quelque idée de l'importance de ce mouvement :
1527. Paillas, de l'ierreRosset.
lo28. Carminum libelliis, de Salmon Macrin.
1530. Odae aliquot, d'Olivier Conrad.
Carminum libri IV, de Salmon Macrin.
Aediloquium ceii Disticha, de GeolFroj- Tory.
lo31. Epistolae gratulatoriae IV, de Germain Brice.
Lyricoriim libri II, de Salmon Macrin.
1533. Niigarnm libri V///, de Nicolas Bourbon.
1534. Cliristus, de Pierre Rosset.
1536. Bombarda, de Barth. Latomus.
Epigrammatum libellas, d'Hubert de Soissons.
Poemata, de Ben. Theocrenus.
Epigramm,atiim. libri II, de Jean Voulté.
1537. Hjninorum libri VI, de Salmon Macrin.
Odariim libri VI, du même.
Epigrammatum libri IV et Xenia, de Jean Voulte
1538. Xiigae {2'' édit.), de Nicolas Bourbon.
Carminum libri IV, d'Etienne Dolet.
Psalnii VII et Paeaniim libri IV, de Salmon Macrin.
Ludorum libri, d'Hubert de Soissons.
Inscriptionum libri II, Xeniorum libellus, de Jean Voulte.
Hendecasyllaboriim libri IV, du même.
1539. Francisci Valesii Gallorum régis fata, d'Etienne Dolet.
Genethliacum Claiidii Doleti, du même.
1540. Rapina seu raporum encomiiim, de Claude Bigothier.
Niigae {'.V édil. ), de Nicolas Bourbon.
Hymnorum selectorum libri III, de Salmon Macrin.
1541. Pandora, de Jean Olivier.
1542. Pandora (2' édil), du même.
1543. Cliristus (2^ édit.), de Pierre Rosset.
1540 Odarum libri III, de Salmon Macrin.
Poem.ata, du cardinal Jean du Bellay.
1548. Poemata, de Théodore de Bèze.
1549. Epitome vitae D X. I. C... Varia item poematia. ., de Salmon
Macrin .
11 faut joindre à cette liste toutes les poésies déjà composées, mais non
publiées encore, par Aneau, Buctianan, Dampierre, Dorât, L'Hospital, Muret,
Turnèbe, etc.
106 JOACHIM DU BRLLAY
Yestra nanique opéra et labore factura,
Insigni simul eruditione,
Haec ut natio Gallicana, nulJo
Anfe humaniter instiluta cuUu,
Et qiiae barhara diceretiir olirn,
Jam agrestera exuat expolita morem,
Ipsam jam Atthida, Graeciamque totam,
Doctos provocet ac Rémi nepotes,
Nec sese Italia putet minorera *.
Ce témoignage est significatif. Si Macrin rendait à des poètes
latins un pareil hommage, c'est donc qu'à ses yeux les poètes
français étaient non avenus.
Ainsi le français, considéré comme langue poétique, courait
d'assez graves dangers pour que la Pléiade eût raison de
prendre sa défense, et du Bellay n'avait pas tort de penser
et de dire qu'on emploierait plus utilement à cultiver sa
propre langue tout le talent qu'on dépensait à faire des
pastiches de TAntiquité.
III
Je ne prétends nullement d'ailleurs qu'il fut le premier à
s'en aviser, et je ne songe pas à réclamer pour l'auteur de la
Dejfence un mérite qui revient à d'autres. L'opinion est fondée,
suivant laquelle du Bellay n'a fait que réunir en faisceau,
dans un style éclatant et vigoureux, des arguments et des
idées qui, depuis longtemps déjà, hantaient bien des esprits " :
j'y souscris pleinement pour ma part. En ce qui touche
notamment la défense de la langue nationale, c'est un point
désormais établi qu'elle avait commencé bien avant la Pléiade.
' Ad^Poctas Gallicos. p. 37 lîu recueil publié sous ce titre : Hymnorum
libri VI, ad lo. Bellaium, cardinalem amplissimiim. Paris, Robert Estienne,
1o37, in-8°.
2 Em. Roy, Rev. d'hist. Utt. de la France, 189:5, p 233 sqq.
LA (( DEFFENCE DE LA LANOCE FRANÇOYSE )) 107
M. Brunot, dans son chapitre sur la langue au xvi® siècle,
a relracé cette lutte du français contre le latin et raconté sa
résistance à Thutnanisme '. Qu'on uie permette d'ajouter que
l'effort des poètes seconda dignement celui des savants et des
granniiairiens, et que, pour avoir été moins considérable, leur
action en faveur du français ne saui-ait être négligée.
On sait déjà la part que prit au mouvement Jacques Peletier du
Mans, et j'ai montré plus haut que la dédicace de sa traduc-
tion de l'Art Poétique d'Horace (io45) n'était pas autre chose
qu'une apologie de la langue vulgaire. D'autres poètes avaient
précédé Peletier. Sans remonter jusqu'aux rhétoriqueurs, comme
Jean Lemaire de Belges et Jean Bouchet de Poitiers % tous
les deux très zélés partisans du français, le culte de l'idiome
maternel était le premier article de foi des poètes de lécole
de Marot C'était un amour qu'ils tenaient du maître. En i54o,
Charles de Sainte-Marthe, présentant au (( lecteur françois »
le livre de Dolet sur la manière de bien traduire d'une langue
en autre, écrivait ce dizain :
Pourquoy es tu daultruy admirateur,
Vilipendant le tien propre langaige ?
Est ce (François) que tu n'as instructeur,
Qui d'iceluy te remonstre l'usaige ?
Maintenant as à ce grand advantaige,
Si vers ta Langue as quelque affection :
Dolet t'y donne une introduction
Si bonne en tout, qu'il n'y a que redire :
Car il t'enseigne (ù noble invention)
D'escrire bien, bien tourner, et bien dire ^
' P. 640-71S.
- Boucliet parlageait l'opinion de Lemaire que la langue française
« estoit ^ente, propice, suffisante assez et du tout élégante pour exprimer
en bonne foy tout ce que l'on scauroit excogiter. » Ouvré. Notice sur Jean
Bouchet. p. 20. Poitiers, 1838, in-8". (Bibl. Nat. — L":2T. 2;i'ii).
^ Ce dizain, qui se trouve à la lin du traité de Dolet (Lyon, lo40), figure
aussi dans La Poésie Françoise de Charles de Sainte-Marthe, natif de Ion-
108 JOACHIM DU BELLAY
Six ans après, Charles Fontaine, qui prenait poui* devise
l'anagramme de son nom, hante le françois, se faisait un
mérite de n'écrire qu'en sa langue :
A QVELQVES SIENS AMYS
Vous VOUS esbahissez comment
J'escry tant en langue Françoyse :
Ce n'est faulte de jugement,
Que j'ay petit, dont ce me poise :
Mais un seul mot sans bruit et noise
Renverse toutes raisons vostres :
C'est qu'une langue si courtoise
Est nostre, et si fait fruit aux nostres '.
Lannco même de la Defjence. François Habert, le (( bann)'
(le Ij'esse », si malmené par du Bellay -, se rencontre avec
lui dans un même amour de la langue natale. Voici ce que
je lis dans son épître à Jean Brinon, seigneur de Villennes,
pour lui dédier le Temple de Chasteté :
Si des Autheurs d'estrange nation
Aux successeurs sont admiration,
N'est il besoing que le françois language
Aux successeurs tienne le lieu et guage
D'antiquité ? ne fault il secourir
Xostre language, et le faire tlorir
tevrauU en Poictou, divisée en trois livres... Lyon, Le Prince, Io40, in-8«,
[). 78. (Bibl. Nal — Rés. pY^ 193). — Cf. ce passage de la dédicace à la
duthesse d'Etanipcs : (( Je ne veux déprimer l'excercice de la mienne lan-
gue vulgaire, veu que plusieurs de trop plus célèbre nom que le mien, s'y
sont esbatu : et mesmementque, selon ma vacation, ne puis, pour le pré-
sent, plus louable sacrifice à ma nation, que d'illustrer sa langue selon
mon rudde esprit » (p. .'{). ■
^ Liv. II des Epigrarnmes publiées à la suite de la Fontaine d'Amour,
Paris, Jeanne de Marnef, lo4tJ. in-16. (Bibl. Nat. - Rcs. V'. IC.Oil). Le volume
n'est pas paginé. — Celte épigranime est reproduite p. 116 des Ruisseaux
de Fontaine (l.-iiiij). — Dans les Odes, Enigmes et Efjlgramtnefi (loiJT), on
trouve encore d'autres pièces en faveur du français, p. (i^ et 78.
- Dejfence, p. loO.
LA (( UEFFENCK DE LA LANGUE KHANÇOYSE )) lUl)
Autant ou plus (|ue (Irec, Latin, Hcbrieu,
Que publiez nous voyons en tout lieu ?
En cest advis se tient ma fantasie,
Auctorisant françoyse Poésie,
Donts les esclats sortent de maints Autheurs,
Qui sont tresbons et sages inventeurs *.
Les vers sont bien médiocres, mais la pensée est louable.
Ces divers témoig-nages. d'autres encore sans doute qu'on
pourrait découvrir, sont la preuve que beaucoup de poètes
se faisaient un devoir de défendre la langue nationale : sur
ce point-là, du moins, marotiques et novateurs étaient d'accord,
11 est donc sans conteste qu'en plaidant pour l'usage du
français, du Bellay ne faisait pas œuvre nouvelle. Il est
certain qu'il reprenait un combat livré par vingt autres. La
question est de savoir s'il avait tort de le reprendi^e. Pour
moi. je crois que non. Si l'on veut rélléchir que la lutte
engagée entre le français et le latin se prolongea longtemps
encore, que même après la Pléiade, — et peut-être par la faute
de la Pléiade, infidèle à ses principes, — on continua de
versifier dans la langue de Virgile et d'Horace, qu'en plein
xvii^ siècle Boileau trouvait encore des poètes latins à
railler \ on reconnaîtra qu'en i549 la victoire était loin d'être
gagnée, et qu'un secours comme celui de la Pléiade était
d'autant plus précieux qu'elle avait avec l'humanisme des
attaches plus étroites. Je n'en veux donc pas à du Bellay
d'avoir entrepris une fois de plus la défense de sa langue
maternelle ; je regrette seulement qu'il s'y soit montré si
médiocre.
' Le Temple de Chasteté .. par Françoys Hubert d'Yssoiildun en Berry.
Paris, Michel Fezandat, 1349. (Bibi. Nat. - Rés. Y=. 1692). — Cf. à la lin du
volume VExhortation sur l'art poétique, à Robert Corbin.
^ Fragment d'un dialogue contre les modernes qui font des vers latins.
110 JOACHIM UU BELLAY
IV
Cette partie du manifeste est de beaucoup la moins heu-
reuse. Du Bellay n'est pas un linguiste, on s'en aperçoit en
lisant son œuvre. Ses intentions sont généreuses, mais sa
science est en défaut, son argumentation laisse à désirer. Il
raisonne faiblement, aflîrmant plus qu'il ne démontre, et
— circonstance aggravante — il n'a pas le moindre souci
de mettre de l'ordre dans ses déductions. Essayons de nous
reconnaître à travers cette incohérence.
Son point de départ est une théorie de l'origine des
langues (I, i). Il a lu chez Rabelais : « C'est abus de dire
que nous ayons langage naturel : les langages sont par insti-
tutions arbitraires et convenances des peuples ; les voix,
comme disent les dialecticiens, ne signifient naturellement,
mais à plaisir '. )) Il reprend cette idée et soutient à son
tour que les langues ne sont pas, comme les plantes et les
arbres, des produits naturels, mais des créations du vouloir
humain : qu'ayant toutes une même origine, à savoir la fan-
taisie des hommes, elles ont toutes à leur naissance une
même valeur ; que si certaines enfin sont plus riches
que les autres, elles doivent cette richesse, non pas à
leur félicité native, mais à l'industrie de leurs créateurs,
mais à la culture que leur ont donnée ceux qui les parlaient
et les écrivaient *. — On reproche à cette théorie son
' Rabelais, III, 19.
- « Les langues ne sont nées d elles mesnaes en façon (iherbes. racines, et
arbres : les unes inlirnies, et ilelj.les en leurs esjjeces : les autres saines, et
robustes, et plus aptes à porter le faiz des conceptions liuniaines : mais toute
leur vertu est née au monde du vouloir et arbitre des mortelz Cela (ce me
semble^ est une grande rayson, pourquoy on ne doit ainsi louer une langue,
et blâmer l'autre : veu qu'elles viennent toutes d'une mcsme source et
origine : c'est la fantasie des hommes : et ont été formées d'un mesme
jugement, à une mesme lin : c'est pour signllier entre nous les conceptions
LA « DKFFENCE DE LA LANOCK FKANÇOYSE )) 111
excessil" rationalisme ' : elle contient cependant une part de
vérité. Que les langues à leur origine soient des produits de
la nature, il est dillicile de le contester, et du Bellay se
trompe en soutenant le contraire ; mais a-t-il si grand tort
de penser que la volonté de rhonime exerce une action sur
leur développement ? Comme le dit M. Brunetière, « les
mots sont quelque chose de plus que les signes des idées,
et une langue n'est pas seulement une algèbre ou un orga-
nisme : elle est aussi une œuvre dart " ». Tant qu'une
langue n'est qu'un commerce, un simple moyen de communi-
cation entre les hommes, elle se développe naturellement en
vertu de ses lois intérieures. Mais dès qu'elle est une œuvre
d'art et que les mots ont pris une valeur esthétique, elle
devient un instrument entre les mains des écrivains, et s'ils
ont peu d'action sur son vocabulaire, du moins en ont-ils
une considérable siu' sa syntaxe, qu'ils pétrissent et translbr-
ment au gré de leur génie. Ainsi s'explique qu'à chaque
révolution dans les idées corresponde dans la langue une
révolution parallèle : la langue de Voltaire n'est pas celle
de Bossuet, et celle de Chateaubriand n'est pas celle de
Voltaire. Cette action des écrivains sur la langue est, comme
on sait, un des principes les plus constants de la Pléiade,
et du Bellay garde l'honneur, en dépit d'une erreur mani-
feste sur l'origine des langues, de l'avoir hardiment formulée.
C'est en partant de là qu'il va combattre (( l'étrange
opinion d'aucuns scavans, qui pensent que nostre vulgaire
et intelligences de l'esprit. Il est vray que par succession de tens les unes,
pour avoir été plus curieusement reiglées, sont devenues plus riches que les
autres : mais cela ne se doit attribuer à la félicité desdites langues, ains au
seul artifice et industrie des hommes » (p. 50). — Cf. I, 10: a J'ay dict au
eommeneeraent de cet œuvre, etlc dy cncores, que toutes langues sont d'une
mesme valeur, et des mortelz à une mesme fin d'un mesme jugement
formées » (p. 81).
' Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, XIII, 301.
- Manuel de l'histoire de la littérature française, p. 65.
112 JOACHIM DU BELLAY
soit incapable de toutes bonnes lettres et érudition » (p. 5i).
Cette apologétique peut en somme se ramener à quelques
idées essentielles :
1° Le français n'est pas une lang'ue barba f-e {l, 2). — On
ne saurait y contredire, mais ce n'est rien prouver que d'in-
voquer, comme du Bellay, cet argument : dans nos mœurs et
dans nos lois, nous ne sommes pas plus barbares que les
Grecs et les Romains. C'est raisonner par à côté.
•2° Si le français n'est pas une langue barbare, c'est une
langue pauvre en comparaison des langues anciennes (I, 3).
Mais à qui la faute ? Cela vient-il dun défaut de nature ?
Nullement : (( on le doit attribuer à l'ignorance de notz
majeurs, qui ayans (comme dict quelqu'un, parlant des anciens
Romains) en plus grande recommandation le bien faire que
le bien dire, et mieux aymans laisser à leur postérité les
exemples de vertu que les préceptes, se sont privez de la
gloyre de leurs bien faitz, et nous du fruict de l'immitation
d'iceux : et par mesme moyen nous ont laissé nostre langue
si pauvre et nue, qu'elle a besoing des ornementz, et (s'il
fault ainsi parler) des plumes d'autruy ' » (p. 56). — Cette
indigence n'est d'ailleurs pas aussi grande que beaucoup
l'estiment (I, 4)- « ^^ ^^i voudi'a de bien près y regarder,
trouvera que nostre langue francoyse n'est si pauvre, qu'elle
ne puysse rendre fidèlement ce qu'elle emprunte des autres,
si infertile , qu'elle ne puysse produyre de soy quelque fruict
de bonne invention, au moyen de l'industi'ie et diligence des
cultiveurs dicelle, si quelques uns se treuvent tant amys de
' Cl'. II, 2 : « J'ay bien voulu, (lecteur studieux de la langue francoyse)
demeurer longuement en cete partie, qui te semblera (peut estre) contraire
à ce que j'ay promis : veu que je ne prise assez haultemcnt ceux qui tien-
nent le premier lieu en nostre vulgaire, qui avoy' entrepris de le louer et
delFendre. Toutesfois je croy que tu ne le trouveras point étrange, si tu
considères que je ne le puys mieux défendre, qu'atribuaut la pauvreté
d'iceluy, non à son propre et naturel, mais à la négligence de ceux qui en
ont pris le gouvernement » (p. 108).
LA « DEFFENCE DE LA LANGUE FRANÇOYSE )) 113
leur païz et d'eux mesnies, quilz s'y veillent employer »
(p. (3o). L'argument est spécieux et quelque peu contradic-
toire : du Bellay dit en commençant que le français, « tel
qu'il est maintenant », n'est pas aussi pauvre qu'on croit :
opinion raisonnable et sensée, qu'on pouvait d'autant mieux
soutenir qu'elle était juste en soi, la langue nélanl pas, tant
s'en faut, avant i549, nécessiteuse et misérable, sans ressources
pour traduire les sentiments et les idées '. Mais bientôt
du Bellay nous dévoile sa pensée véritable : à la faveur
d'une équivoque, il transporte à l'avenir ce qu'on croyait
qu'il disait du présent. Le français n'est pas pauvre, à ses
yeux, en ce sens qu'il est susceptible d'enrichissement. Il est
capable de poésie, d'éloquence, d'histoire, de philosophie et
de science (I, 4 ' ^> lo )• Entendez qu'il est capable de s'y
élever un jour, son indigence étant actuelle, nullement origi-
nelle : (( Nostre langue n'iia point eu à sa naissance les
Dieux et les Astres si ennemis, quelle ne puisse un Jour
parvenir au poinct d'excellence et de perfection, aussi bien
que les autres » (p. (3i). Gela revient à dire que, si elle est
loin encore d'être parfaite, notre langue est du moins perfec-
tible.
3° Rien ne s'oppose à son perfectionnement (I, 9). La
nature, en ed'et, a toujours mêmes forces, et les esprits
modernes ne sont pas inférieurs aux anciens : la découverte
de l'imprimerie, les merveilles de l'artillerie, d'autres inven-
tions non moins admirables, sont une preuve de leur vigueur.
Pourquoi la langue serait-elle incapable de progrès ? (( Il ne
fault point icy alléguer l'excellence de l'antiquité : et comme
Homère se plaignoit que de son tens les cors estoient trop
petiz, dire que les espris modernes ne sont à comparer aux
anciens. L'architecture, l'art du navigaige, et autres inventions
' Sur ce point, v. Plôlz, op. cit., p. i)3 sqq.
Unif. de Lille. To.me VllI A. 8.
H4 JOACHIM DU BELLAY
antiques certainement sont admirables : non toutesfois, si on
rciJfarde à la nécessité mère des ars, du tout si grandes,
([uon doyve estimer les cieux et la natm^e y avoir dépendu
toute leur vertu, vigueur et industrie. Je ne produiray pour
temoings de ce que je dy l'imprimerie, seur des Muses, et
dixiesme d'elles : et caste non moins admirable, que pernicieuse
foudre d'artillerie : avecques tant d'autres non antiques inven-
tions, qui montrent véritablement, que par le long cours des
siècles, les espris des hommes ne sont point si abatardiz,
(ju on voudroit bien dire. Je dy seulement, qu'il n'est pas
impossible, que nostre langue puisse recevoir quelquesfois cest
ornement et artifice aussi curieux, qu'il est aux Grecz et
Romains )) (p. 'J^^-'j'j)- — J ai cité tout entière cette page remar-
quable : on n'est pas yjeu surpris de trouver ainsi sous la
plume de du Bellay, plus d'un siècle avant la querelle des
anciens et des modernes, les idées de Fontenelle et de
Perrault ; l'auteur de la Deffence a déjà soupçonné ce que
valent, appli([ués aux questions littéraires, ces deux principes
célèbres, la peruianence des forces de la nature et le progrès
des sciences humaines ' ; ce fervent des anciens, ce fondateur
du classicisme, apparaît ici le premier dés modernes ^
Remarquons en passant que , dans cette apologie de la
langue nationale, du Bellay n'attribue au franc.ais aucune
qualité positive, si ce n'est une douceur naturelle, égale à
celle des langues antiques '. Car on ne saurait compter pour
' Le picinicr se relrouvc dans Ronsard, Vil, 3;{6 et III, 39.
- Kt ce n'est pas le seul endroit où l'on éprouve cette impression. Sans
[)arUr d'un passai^e du cliap. 9 sur le pouvoir de succéder aux anciens dans
les Icltris connue dans les sciences (p. 78), le chap. 10 contient plus d'une
idée nouvelle et hardie pour l'époque, cette idée notamment que létude
des lanj>ues anciennes, où se consume notre jeunesse, est le principal ob-
stacle aux proj'rès de la philosophie et des sciences (p. 83).
' « Quand au son, et je ne scay quelle naturelle douceur (comme ilz
disent) qui est en leurs lanj^ues.je ne voy point que nous layons moindre,
au jugement des plus délicates oreilles » (p. 77).
LA (( DEFFENCE DE LA. LANGUE FRANÇOYSE )) 115
un éloge ce mérite qu'il lui fait d'être aussi « irrégulière »
que le latiu et le grec (p. ^5), encore moins cet étrange
compliment qu'elle présenterait les mêmes dillicultés que «ces
langues mortes, si l'on ne pouvait plus l'apprendre que d'après
les œuvres écrites (p. 94).
Ainsi, notre langue est vantée moins pour les qualités
qu'elle possède que pour les espérances qu'elle donne. Puis-
qu'elle est perfectible, on peut raisonnablement espérer qu'elle
ne manquera pas de se perfectionner, et l'on aurait tort de
rien conclure contre elle de la lenteur de ses progrès '. Un
arbre est d'autant plus robuste et vivaee qu'il a mis plus de
temps à pousser ses racines : de même notre langue est
assurée de garder longtemps la perfection qu'elle aura con-
quise avec tant de peine.
D'ailleurs, les langues antiques elles-mêmes ont-elles atteint
du premier coup à cette perfection (I, 3) ? Non, sans doute :
elles n'ont pas toujours eu l'excellence qu'on leur voit chez les
bons écrivains, et ceux-ci ne se seraient pas donné tant de
mal pour les cultiver, s'ils les avaient jugées impuissantes à
(( produyre plus grand fruict )) (p. 67). C'est un exemple à
méditer. Qu'ont fait les vieux Romains à l'égard de leur
langue ? Ils se sont montrés bons agriculteurs : « Hz l'ont
pi'emierement transmuée d'un lieu sauvaige en un domestique :
puis afiin que plus tost et mieux elle peust fructifier, coupant
à l'entour les inutiles rameaux, l'ont pour échange d'iceux
restaurée de rameaux francz et domestiques, magistralement
tirez de la langue greque, les quelz soudainement se sont si
bien entez, et faiz semblables à leur tronc, que désormais
n'apparoissent plus adoptifz, mais naturelz - » (p. 58). De la
' (( Quelque opiniâtre répliquera encores : Ta langue tarde trop à rece-
voir ceste perfection. Et je dy que ce retardement ne prouve point qu'elle
ne puisse la recevoir » (p 78).
- Du Bellay compare volontiers les langues à des plantes qu'il faut
cultiver (p. o7, 69, 79). Cette image lui tient lieu d'argument.
116 JOACHIM DU BELLAY
sorte elle a poussé des (leurs et des fruits. S'il faut tant de
labeur et d'industrie pour parfaire une langue, (( nous devons
nous émerveiller si nostre vulgaire n'est si riche comme il
pourra bien estre, et de la prendre occasion de le mépriser
comme chose vile, et de petit prix? » (p. 58). Et du Bellay,
dans un bel élan de j^atriotisme , prévoit le temps où, la
France ayant grandi, la langue française, amplifiée et fortifiée,
sera l'égale des langues anciennes : (( Le tens viendra (peut
estre) et je l'espère moyennant la bonne destinée francoyse,
que ce noble et puyssant royaume obtiendra à son tour les
resnes de la monarchie, et ([ue nostre langue.... qui commence
encor' à jeter ses racines, sortira de terre, et s'elevera en
telle hauteur et grosseur, qu'elle se poura égaler aux mesmes
Grecz et Romains, produysant comme eux des Homeres,
Demosthenes, Virgiles et Cicerons, aussi bien que la France
a quelquesfois pi'oduit des Pericles. Nicies, Alcibiades,
Themistocles, Césars et Scipions » (p. 59).
L'avenir est donc plein de promesses, et notre langue est
appelée aux destinées les plus brillantes. Mais à quelle con-
dition ? A cette condition qu'on ne la tiendra plus pour
négligeable et qu'on cessera de la sacrifier aux langues
anciennes, à cette condition que tous les savants daigneront
désormais la |)arler et l'écrire : (( J'ose bien asseurer, que si
les scavans hommes de nostre nation la daignoint autant
estimer que les Romains faisoint la leur, elle pouroit quel-
quesfois et bien tost se mettre au ranc des plus fameuses ))
(p. (j6). Et de là, les violentes invectives que lance du
Bellay contre ceux qui s'obstinent à n'écrire qu'en latin,
pour le plus grand dommage de leur langue maternelle. Il
emploie deux chai)itres à combattre une erreur si coupable
(I, II ; II, 12). 11 s'en prend aux ellorts laborieux et toujours
inutiles des cicéroniens et des inrgilieiis. Il établit contre eux
« (ju'il est impossible d'égaler les anciens en leurs langues »
LA « DEFFENCE DE LA LANGUE FRANCO YSE •)) 117
(p. 89), et raille avec vigueur ceux qui veulent ainsi faire du
neuf avec du vieux : (( Que pensent doncq' faire ces reblan-
chisseurs de murailles, qui jour et nuyt se rompent la teste
à immiter, que dy-je immiter ? mais transcrire un Virgile et un
Ciceron ? bâtissant leurs poëmes des hemystyches de l'un, et
jurant en leurs proses aux motz et sentences de Tautre ?...
Pensent ilz donques, je ne dy égaler, mais aprocher seulement
de ces aucteurs, eu leurs langues ? recuillant de cet orateur
et de ce poëte ores un nom, ores un verbe, ores un vers, et
ores une sentence : comme si en la façon, qu'on rebatist un
vieil édifice, ils s'attendoint rendre par ces pierres ramassées
à la ruynée fabrique de ces langues sa première grandeur
et excellence » (p. 90-92). On ne refait pas un édifice avec
ses débris : c'est folie égale de prétendre ressusciter une
langue ancienne. La science des mots, même la plus vaste,
n'en livre pas tous les secrets, et l'on reste au-dessous des
auteurs qu'on a pris pour modèles : « Ne pensez donques,
immitateurs, troupeau servil, parvenir au point de leur excel-
lence : veu qu'à grand'peine avez vous appris leurs motz, et
voyla le meilleur de vostre aage passé » (p. 94)-
Du Bellay revient sur les mêmes idées dans le dernier
chapitre de son ouvrage. Exhortation aux F?'ancq}'s d'écrire
en leur langue (p. i53), et, reprenant un mot d'Horace, il
déclare que s'appliquer à composer des œuvres grecques ou
latines, c'est porter du bois à la forêt. On n'acquiert de gloire
vraie et durable que dans la langue de sa patrie, et le
meilleur moyen d'imiter les anciens, c'est de faire ce qu'ils
ont fait : employer l'idiome maternel. S'ils eussent écrit en
grec, Gicéron et Virgile auraient-ils égalé Démosthène et
Homère? L'exemple des Italiens confirme ici celui des Romains.
Pétrarque et Boccace ont beaucoup usé du latin : mais c'est
à leurs œuvres toscanes qu'ils doivent leur renommée. Bembo
lui-même, le chef reconnu des cicéroniens, s'est converti
H 8 JOACHIM DU BELLAY
spontanément à l'italien, illustrant par là sa langue et son
nom '. Enfin, pour emprunter aussi quelques exemples domes-
tiques, « tous les scavans hommes de France n'ont point
méprisé leur vulgaire » (p. log). Rabelais n'a-t-il pas fait
renaître en sa langue tout l'esprit d'Aristophane et de Lucien?
Guillaume Budé n'a-t-il pas écrit Y Institution du Prince ? et
Lazare de Baïf n'a-t-il pas traduit vers pour vers l'Electre de
Sophocle' ? Aux Français de marcher sur leurs traces, bien
convaincus de cette vérité, « qu'il vavilt mieux estre un Achille
entre les siens, quun Diomede, voyre bien souvent un Ther-
site, entre les autres » (p. i6i).
Cette homérique comparaison termine la défense de la
langue. On y voudrait plus de logique, une précision plus
rigoureuse, une connaissance moins superficielle des mérites
du français , de sa nature et de ses lois. Ce qui sauve un
peu toutes ces faiblesses, c'est la pensée patriotique, le très
sincère amour de l'auteur pour sa langue, son désir de la voir
triompher, — ^lassion ardente, violente, qui l'emporte, le
soulève, lui dicte des accents d'une belle éloquence.
' Dcffeïicc, p, 158-la9. On retrouvera les mêmes idées dans une ode du
Recueil de Poésie (1549), adressée à Madame Marguerite : D'escrire en sa
langue (I, 240). V. plus loin, chap. viii, § iv.
- Deffence, p. Io9-160,
CHAPITRE IV
L « ILLUSTKATIOA DE LA LANGLE FliANÇOYSE »
1549
I. — La partie théorique de la « Deffence ». — Un nouvel art
d'écrire : l'imitation des anciens et des Italiens posée en
principe. — Les moyens d'illustrer la langue. — Insuffi-
sance de la traduction. — Nécessité de l'assimilation. —
Théorie de l'imitation empi-untée à Quintilien. — Fonda-
tion du classicisBùe.
II. — Une nouvelle conception de la poésie. — Rupture avec
l'école de Marot — Proscription des vieilles formes rhé-
toricales. — Les nouveaux genres, petits et grands. — Le
sonnet, l'ode, l'épopée.
III. — Les préceptes relatifs à la forme. — A. Langue : les néolo-
gismes et les archaïsmes. — B. Style : les tours et les
figures. — C Rythmique : le métré et la rime.
IV. — Introduction de l'art dans la poésie. — Élaboration de
l'œuvre d'art. — Définition du vrai poète. — Mépris du
vulgaire. — Sainteté de la poésie.
1
La Dejfence est surtout une poétique. Mais en même
temps qu'un système particulier de poésie, elle formule très
nettement une théorie générale de l'art d'écrire. Il ne faut
pas s'y tromper : c'est bien la littérature tout entière qu il
s'agit de fonder sur un principe nouveau. Quel principe ?
120 JOACHIM DU BELLAY
L'imitation de lAntiquité. Du Bellay le déclare de la manière
la plus formelle : c'est en se mettant à l'école de la Grèce
et de Kome qu'on pourra seulement illustrer notre langue,
restée jusqu'à ce jour si débile et si pauvre : « Toutes per-
sonnes de bon esprit entendront assez, que cela que j'ay dict
pour la deflence de nostre langue, n'est pour decouraiger
aucun de la greque et latine : car tant s'en fault que je
soye de cete opinion, que je confesse et soutiens celuj' ne
pouvoir faire œuvre excellent en son vulgaire, qui soit igno-
rant de ces deux langues, ou qui nentende la latine pour
le moins » (p. 89). Et quelques pages plus loin, il précise
encore sa pensée : (( Je ne te puis mieux persuader d'y
écrire [en notre langue], qu'en te montrant le moyen de
l'enrichir et illustrer, qui est Vimmitation des Grecz et
Romains ' « (p. 108). — A cette imitation de l'Antiquité, la
Pléiade ajoute par reconnaissance l'imitation de l'Italie. Les
Italiens, en effet, ces disciples éminents des anciens, ont su
faire œuvre d'art en marchant sur leurs tiaces, et leur litté-
rature est un prolongement des deux littératures antiques :
lorsqu'on est à ce point original, on mérite de servir de
modèle \
Imitation de l'Antiquité classique et de l'Italie moderne
— voilà donc le principe de la nouvelle école. Mais comment
entendre cette imitation ?
Un premier moyen se présente, c'est de traduire. Du Bellay
le récuse. (( Utile et nécessaire » quand il s'agit de philoso-
phie et de science, pour donner à la langue les vocables
' Celte pensée est plusieurs fois reproduite. P. 71 : «Se compose donq'
celuy qui voudra enrichir sa langue, à l'imniitation des meilleurs aucteurs
grecz et latins. » — P. 100: « Sans l'immitation des Grecz et Romains nous ne
pouvons donner à nostre langue l'excellence et lumière des autres plus
fameuses. »
- Les modèles italiens sont cités constamment à côté des modèles
antiques (p. 62, 65, 80, 109, 116, 117, 120, 132, l.jl, 158). Les Espagnols ne sont
nommés que deux fois (p. 62 et 109).
l' « ILLUSTRATION I)K LA LANGUE FHANÇOYSE )) 121
philosophiques et scientifiques qui lui MKuu[uent ' (I, lo), hi
traduction n'est pas un moyen d'illustration sullisant lorsqu'il
s'ag'it (l'éloquence et de poésie (I, 5). Elle peut aider à
V invention, en permettant à l'orateur comme au poète ifi^norant
des langues étrangères de puiser des idées à la source si riche
des anciens, qui les j)i"emiers ont eu (( l'intelligence pai'l'aile
des sciences » (p. ()3). Pour Vé/ociilion, c'est bien différent :
on peut à la rigueur transporter les idées, mais non pas
l'expression qu'elles revêtent, « partie certes la plus diilicile,
et sans la quelle tontes autres choses restent comme inutiles,
et semblables à un glayve encores couvert de sa gayne »
(p. 04). Ce qui fait le mérite de l'éloculion ne s'apprend point
des ti'aducteurs : il est impossible, en ellet, de rendre les
beautés d'un texte avec la même grâce dont l'auteur a usé :
(( Chacune langue a je ne scay quoy propre seulement à elle,
dont si vous efforcez exprimer le naïf en une autre langue,
observant la loy de traduyre, qui est n'espacier point hors des
limites de l'aucteur, vostre diction sera contrainte, froide et
de mauvaise grâce » (p. (35). Vous qui lisez en leur langue
Homère et Démosthène, Cicéron et Virgile, laissez l'original
pour la traduction ! (( Il vous semblera passer de l'ardente
montaigne d'^îlthne sur le froid sommet de Caucase » (p. <35).
Et ce qui est vrai des langues anciennes ne l'est pas moins
des autres langues. Qu'on suppose Homère et Virgile renais-
sants : malgré tout leur génie, pourraient-ils arriver à traduire
le toscan d'un Pétrarque? Ainsi, conclut du Bellay, a l'office
et diligence des traducteurs, autrement fort utile pour instruyre
les ingnorans des langues étrangères en la congnoissance des
choses, n'est suffisante pour donner à la nostre ceste perfection.
* Remarquer toutefois l'importante restriction de l'auteur : « Encores
seroy' je bien dopinion <{ue le scavant translateur list plus tost l'oflice de
paraphraste que de traducteur, s'efforceant donner à toutes les sciences,
qu'il voudra traiter, l'ornement et lumière de sa langue » ( p. 80).
122 JOACHLM nu BELLAY
et comme font les peintres à leurs tableaux, ceste dernière
main que nous desirons » (p. 66).
La conclusion est des plus nettes ; mais, comme s'il n'avait
pas tout dit. du Bellay revient à la charge et consacre encore
un chapitre à blâmer les traducteurs de poètes (I, 6). Tradut-
tore traditore : ce proverbe italien, il le prend à son compte
et soutient qu'à l'égard des poètes, traduire, c'est trahir. Gom-
ment faire revivre a ceste divinité d'invention qu'ilz ont plus
que les autres », et qui marque leur excellence? Tous ces
dons si rares, si précieux, a grandeur de style, magnificence
de motz, gravité de sentences, audace et variété de tigures »,
enfin ce je ne sais quoi dont est fait le génie ' du poète, un
traducteur ne peut pas plus les reproduire qu'un peintre sur
sa toile Fâme d'un personnage. Translater les poètes est
impie : et du Bellay de s'écrier, dans un beau mouvement de
religieuse indignation contre un tel sacrilège : « O Apolon !
ô Muses! prophaner ainsi les sacrées reliques de l'Antiquité! - ))
(p. 68).
D'où lui vient cet accès de colère, et pourquoi proscrit-il
la traduction avec tant de rigueur ? Est-ce donc seulement
pour garantir l'originalité de l'écrivain et réserver ses droits
à l'invention ? Je le voudrais ; mais j'ai grand 'peur que ce
soit surtout pour faire échec aux Marotiques. La « version »
était fort en honneur dans l'école de Marot. Depuis que
le maître avait dit qu'elle pouvait donner une grande
(( décoration » à la langue ', depuis qu'il avait traduit lui-
' « Ne sçay quel esprit, qui est en leurs ecriz, que les Latins appelleroinl
Genias » (p. 68).
- A noter la curieuse restriction qui tempère un peu cette intransio^eance :
« Ce que je dy ne s'adroisse pas à ceux (|ui par le commandement des princes
et grands seigneurs traduysent les plus fameux poètes grecz et latins:
j)Ource que l'obéissance qu'on doit à telz personnaiges, ne reçoit aucune
excuse en cest endroit » ( p. G8). Du Bellay se rappelait que François I" avait
poussé plus que personne à la traduction. Cf. Deffence, p. 00-01.
' V. l'épître de Marot au Roi, touchant la Métamorphose d'Ovide. —
Édit. P. Januet, 111, 154.
l' (( ILLUSTRATION l)K LA LANGUK KKANÇO VSK )) li'{
nièinc une égloguc do A'irt;ile, deux livi'es des Métamor-
phoses d'Ovide, le poème de Musée sur Héro et Léandre,
et jusqu'à six sonnets de Pétrarque, ses disciples et ses
émules, les Mellin de Saint-Gelays. les Michel d'Amboise,
les Barthélémy Aueau, les Mliarlcs Fontaine, les Frant^-ois
Habert, d'autres encore, s'étaient jetés à corps perdu dans
la traduction, et Th. Sibilet ([ui, dans son Ai'l Poétique,
consacrait à l'épopée quelques lignes insignifiantes, s'étendait
longuement sur le genre en fas^eur ' : « La Version ou Traduc-
tion, disait-il, est aujourd'huy le pôéme plus fréquent et
niieus receu des estimés poètes et des doctes lecteurs, a
cause que chacun d'eus estime grand (cuvre et de grand
pris, rendre la pure et argentine invention des poètes dorée
et enrichie de notre langue. » Et célébrant les mérites du
traducteur, il ajoutait : (( Yrayemcnt celuy et son œuvre méri-
tent grande louenge, qui a peu proprement et naïvement
exprimer en son langage, ce qu'un autre avoit miens escrit au
sien, après l'avoir bien conceu en sori esperit. Et luy est
deue la mesme gloire qu'emporte celuy qui par son labeur et
longue peine tire des entrailles de la terre le thresor caché,
pour le faire connnun à l'usage de tous les hommes. Glorieus
donc est le labeur de tant de gens de bien qui tous les
jours s'y emploient. » Qu'on relise maintenant le chapitre
de la Deffence contre les traducteurs de poètes : on com-
prendra l'indignation de du Bellay.
Si la traduction est insuffisante pour élever notre langue
au niveau des anciennes, comment donc pourrons-nous l'illus-
trer ? Demandons aux Romains leur secret (1, 7). Par quels
moyens ont-ils enrichi, jusqu'à l'égaler à la grecque, une
langue primitiAement si chétivc ? Ils ont imité « les meilleurs
aucteurs grecz, se transformant en eux, les dévorant, et,
' Liv. II, chap. 14.
124 .lOACHIM DU BELLAY
après les avoir bien digérez, les convertissant en sang et nouri-
ture » (p. 69). Disons le mot : ils ont pratiqué Vassimila-
tion. Gicéron s'est si bien pénétré des modèles helléniques
qu'il a fait siennes l'abondance de Platon, la véhémence de
Démosthène et la douceur d'isoerate ; et Virgile n'est devenu
le premier poète de Rome ([ue pour s'être nourri d'Homère,
d'Hésiode et de Théocrite. Suivons leur exemple. Nous avons
deux modèles au lieu d'un, la Grèce et Rome : à nous de
savoir en tirer profit.
G'est ici que se place la théorie de l'imitation, que du
Bellay, par une faute inconcevable de composition, fractionne
en deux chapitres, très distants l'un de l'autre (I, 8 ; H, 3).
Hàtons-nous de le dire : cette théoi-ie n'a rien de personnel :
du Bellay la copie tout entière dans Quintilien \ et la chose
est piquante de surprendre cet ennemi des traductions en
flagrant délit de traduction pure. Au surplus, rien ici ne
saurait égaler l'éloquence d'un simple rapprochement de
textes.
La théorie qui nous occupe se ramène aux points suivants :
1° L'imitation est le principe de l'art. — Du Bellay :
« n n'y a point de doute que la plus grand' part de l'ar-
tifice ne soit contenue en l'immitation ; et tout ainsi que ce
feul le plus louable aux anciens de bien inventer, aussi est
ce le plus utile de bien immiter, mesmes à ceux dont la
langue n'est encor' bien copieuse et riche » (p. 71-72). —
(Quintilien : « Non dubitari potest, quin artis pars magna
contineatur imitatione : nani, ut invenire primum fuit est-
que praecipuum, sic ea, quae bene inventa sunt, utile sequi ».
20 L'imitation est difficile. — Du Bellay : (( Mais entende
celuy qui vouth"a immiter, que ce n'est chose facile de bien
suyvre les verluz d'un bon aucteur, et quasi comme se trans-
' Inst. Orat., X, :i.
l' « ILLUSTRATION DF. LA LANT.UK FKAiNÇOYSK )) 1^0
l'oi'iiier en luy, voii que la Nature niesiiie aux choses, qui
paraissent tressemblables, n*a sceu tant faire, (|uc par quelque
notte et différence elles ne ])uissent estre discernées )) (p. 72).
— Quintilien : a Tantani dillicultatem habet siinilitudo, ut ne
ipsa quidem natura in hoc ita evaluerit, ut non res quae
simillimae quaeque pares maxime videantur, utique discrimine
aliquo discernantur. »
3" limitation doit porter- moins sur les mots que sur les
choses. — Du Bellay : « Je dy cecy, pource qu'il y en
a beaucoup en toutes langues, qui sans pénétrer aux plus
cachées et intérieures parties de Taucteur qu'ilz se sont pro-
posé, s'adaptent seulement au premier regard, et s'amusant à
la beauté des motz, perdent la force des choses » (p. ^2). —
Quintilien : « Hoc autem his accidit qui, non introspectis
penitus virlutibus, ad primum se velut adspectum orationis
aptarunt. ... Imitatio autein (nam saepius idem dicam) non sit
tantum in verbis. »
4° L'imitation doit être Judicieuse, et quiconque la pratique
doit savoir choisir ses modèles et choisir dans ses modèles
mêmes. — Du Bellay : Je ne veux pas (Lecteur) que sans
élection et jugement tu te prennes au premier venu Regarde
nostre immitateur premièrement ceux qu'il voudra immiter, et
ce qu'en eux il poura, et qui se doit immiter.... Avant
toutes choses, fault qu'il ait ce jugement de cognoitre ses
forces, et tenter combien ses épaules peuvent porter » (p. 108-
112). — Quintilien : (( Exactissimo judicio circa hanc partein
studiorum examinanda sunt omnia : primum, quos imitemur ;
tum in ipsis, quos elegerimus, quid sit ad quod nos eliicien-
dum comparemus. ... Ergo primum est, ut quod iraitaturus est
quisque intellegat et, quare bonum sit, sciât ; tum in susci-
piendo onere consulat suas vires. ))
A la lumière de ces citations, on voit ce qui reste à du
Bellay d'idées originales. Faut-il le blâmer d'avoir copié de
[2(J JOACHIM DU BELLAY
si près Quintilien ? Je lui ferais plutôt le reproche de ne
ravoir pas copié jusqu'au bout, en négligeant l'importante
restriction que le rhéteur latin apporte à sa doctrine : c'est
que l'imitation par elle-même est insuflisante. et qu'elle ne
doit pas entraver l'invention personnelle : « Ante omnia
imitalio per se ipsa non suilîcit », etc. Pour avoir dédaigné
celte réserve nécessaire, sa théorie est dangereuse et compromet
gravement l'indépendance de l'éci'ivain : la distance est si
courte qui sépare l'imitation de l'esclavage !
Malgré tout ce qu'elle a d'indécis et de vague, cette
ihéoiie tle l'imitation fait époque dans notre histoire littéraire :
c'est la première fois, en effet, que l'on formule en France
une doctrine qui, tempérée, précisée, complétée, deviendra la
pure doctrine classique. La Fontaine et Ghénier reprendront
— avec quel bonheur ! - pour les élargir et les vivifier, les
idées chères à du Bellay. L'auteur de la Deffence, tout obsédé
du souvenir de ses lectures, l'esprit encombré de choses
confuses et mal digérées, n'a pas su définir d'une manière
nette et vraiment personnelle l'exacte nature de l'imitation. Il
n'en reste pas moins qu'en posant pour principe de la litté-
rature nouvelle l'imitation de l'Antiquité, il a fondé le clas-
sicisuie. Il est déjà dans la Dejfence, ce mot de La Bruyère :
(( On ne sauroit en écrivant rencontrer le parfait, et, s'il se
peut, surpasser les anciens ([ue par leur imitation '. »
II
Cette théorie générale de l'art d'écrire, du Bellay l'ap-
plique spécialement à la poésie. Laissant de coté Vorateur,
dont s'est occupé Dolet (I, i^), il s'en tient au pocfe, dont il
va tracer, non pas un portrait idéal, à la mode de Platon,
' Des Ouvrages de l'Esprit, § 15.
l' « ILLUSTHATIOX I)K LA LANGL'E FRANÇOYSE » \ 11
mais un plan d'éducation pralif/iie (II, i). Beaucoup sans doute
le reprendront d'avoir (( osé le premier des Francoys intro-
duire cpiasi comme une nouvelle poésie » (p. loo). Mais ce
reproche n'est pas fait pour l'arrêter : « J'ay tousjours estimé,
dit-il, nostre poésie francoysc estre capable de quelque plus
liault et meilleur style, que ccluy dont nous sommes si lon-
guement contentez » (p. loi). Cette fière déclaration consomme
sa rupture avec le passé.
Je n'ai pas à chercher pour l'instant si cette rupture fut
en fait aussi complète et radicale que du Bellay le croyait et
le voulait, et si la Pléiade n'hérita rien, en dépit qu'elle en
eût, de (Uément Marot et de son école. Je rapporte simple-
ment les intentions et les pensées de mon auteur, et je
remarque ({ue cette proscription des poètes antérieurs est une
conséquence logique du principe nouveau qu'il avait formulé.
Dans sa théorie de l'imitation, il marquait avec soin qu'on
doit se garder d'imiter dans la môme langue : « Gomme ce
n'est point chose vicieuse, mais grandement louable, emprunter
d'une langue étrangère les sentences et les motz, et les appro-
prier à la sienne : aussi est ce chose grandement à reprendre,
voyre odieuse à tout lecteur de libérale nature, voir en une
mesme langue une telle immitation, comme celle d'aucuns
scavans mesmes, qui s'estiment estre des meilleurs, quand
plus ilz ressemblent un Heroet ou un Marot. Je t'amonneste
donques (o toy, qui desires l'accroissement de ta langue, et
veux exceller en icelle) de non immiter à pié levé, comme
nagiieres a dict quelquun *, les plus fameux aucteurs d'icelle,
ainsi que font ordinairement la plus part de notz poètes
francoys, chose certes autant vicieuse, comme de nul prolict
à nostre vulgaire : veu que ce n'est autre chose (ô grande
libéralité !> si non luy donner ce qui estoit à luy » (p. 72-^3).
* Sibilet, liv. II, chap. G : « Que tu imites à pied levé Saingelais es [odes]
francoises. »
128 JOACHIiM DL" BKLLAY
Dans cette page, du Bellay ne reprenait pas seulement une
expression de Sibilet, c'est surtout une de ses idées qu'il
attaquait : a Lira le novice des Muses Françoises Marot,
Saingelais, Salel, Heroet, Scéve, et telz autres bons espris,
qui tous les jours se donnent et évertuent a l'exaltation de
ceste françoise poésie \ » Se traîner constamment dans l'or-
nière à la suite de Marot et des autres, sans jamais rien
tenter de nouveau, voilà précisément ce que réprouvait l'au-
teur de la Dejffence. C'est à cela que notre poésie devait
d'être restée si médiocre : car il était impossible, avec des
auteurs nationaux, de pratiquer cette assimilation qui pouvait
seule la rajeunir et la féconder : « Quand à moy, si j'etoy'
enquis de ce que me semble de notz meilleurs poètes fran-
coys. ... je repondroy' quilz ont bien écrit, qu'ilz ont illustré
nostre langue, que la France leur est obligée, mais aussi
diroy-je bien, qu'on pouroit trouver en notre langue (si quelque
scavant homme y vouloit mettre la main) une forme de poésie
beaucoup plus exquise, la quele il faudroit chercher en ces
vieux Grecz et Latins, non point es aucteurs francoys, pource
qu'e/i ceux cj- on ne scaw^oit prendre que bien peu, comme
la peau el la couleur : en ceux la on peut prendre la chair,
les oz-, les nerj'z et le sang » (p. loG-io;;). On i^econnaît la
métaphore.
Le principe de l'imitation des anciens a pour conséquence
immédiate l'abandon des vieux genres poétiques, où se cora-
[)laisaiciit les rimcurs d'antan : (( Ly donques et rely premiè-
rement (ô poëte futur), fueillette de main nocturne et jour-
nelle les exenq»laires grecz et latins : puis nie laisse toutes
ces vieilles poésies francoyses aux Jeuz Floraux de Thoulouze
et au puy de llouan : comme Rondeaux, Ballades, Vyrelaiz,
Chantz Hoyaulx. Chansons, et autres telles episseries, qui
' Liv. 1, chap. 3.
l' « ILLUSTKATION DE LA LANGUE FRANÇOYSE » 129
corrunipent le goust de nostre langue, et ne servent si non à
porter lemoingnaige de noslre ignorance » (p, ii2-ii3). —
Episseries! le mot est dédaigneux et, dans sa rigueur, quelque
peu injuste * ; mais il lait disparaître d'un seul coup, du
champ de la poésie, des formes auxquelles Sibilet croyait
encore devoir consacrer cinq chapitres de son ouvrage ".
Les vieux genres proscrits, par quoi va-t-on les remplacer?
Par des genres nouveaux, que fournira l'Antiquité (II, 4)- Mais
ici cependant une distinction est nécessaire. La Pléiade ne
pouvait prétendre à renouveler tous les genres antiques, pour
cette simple raison que d'autres avant elle avaient commencé
le renouvellement. Marot tout le premier était entré dans cette
voie en composant des épigramhies, des élégies, des épîtres,
des satires, des églogues, et Sibilet, constatant la vogue de
tous ces poèmes, en avait donné les règles précises '\ Allait-
on, sous prétexte qu'ils avaient la faveur de Marot et de
tous ses disciples, les exclure à l'instar des vieilles formes
rhétoricales ? Le respect absolu qu'on professait pour les
anciens ne permettait pas une pareille mutilation : l'Antiquité
s'imposait tout entière. Du Bellay conseille au poète futur
de pratiquer ces divers genres, mais à condition de les trans-
poser, en les rapprochant de l'Antiquité plus que n'ont fait
les Marotiques. On devra cultiver Vépigramme, non pas
l'insipide et banal dizain d'un tas de faiseurs de contes,
mais le trait d'esprit piquant à la Martial ; — Yélégie,
pourvu qu'elle soupire dans un style coulant, à la manière
d'Ovide, de ïibulle et de Properce ; — Yépître, si, quittant
les sujets familiers, elle traduit désoi'mais des pensées graves ;
— la satire, à condition qu'elle ne soit plus le coq-à-Vdne
' Tahureau n'est pas i)lus respectueux, lorsqu'il parle des « triolets,
virelais, rondeaux, ballades et autre telle espèce de vieille quinquaille
roùillée». {Dialogues, édit. Conscience, p. Vi).
- Liv. II, cliap. 3, 4, 5, 0, 13.
^ Liv. II, chap. 1, 7, 8, 9.
Univ. de Lille. Tome VIU. A. y.
130 .lOACHlM DU Bf:!-LAY
et quelle scii prenne, comme chez Horace, aux vices du
temps sans nommer les personnes ; — Véglogiie enfin, mais
l'églogue dont on trouve des modèles chez Théocrite, Virgile et
Sannazar. Même ainsi rehaussés, pourtant, ces genres poétiques
restent de petits genres, et ce uest pas là que devra porter
leilort de celui qui voudra vraiment illustrer sa langue.
Au-dessus d'eux, du Bellay place les gi'ands genres, et,
comme on la dit, il est très classique davoir établi cette
hiérarchie \ Les grands genres, c'est naturellement la poésie
dramatique, la poésie lyrique et la poésie épique. Le culte
de l'Italie y l'ait joindre le sonnet. Laissons le théâtre, du
Bellay ne donnant qu'en passant le conseil de remplacer à
l'avenir les moralités et les farces par des tragédies et des
comédies ^ Trois formes surtout à ses yeux sont dignes de
tenter le génie du poète : le sonnet, l'ode et l'épopée.
Ce qu'il dit de ces genres est d'une insuffisance notoire.
Cinq lignes à peine sur le sonnet, pour marquer ses rapports
avec l'ode ' : ingénieuse réplique à Sibilet, qui faisait du
sonnet une façon d'épigramme " . Cette fois encore, du Bellay
cède au besoin de relever en dignité une forme dont l'école
de Marot n'avait pas senti toute la valeur. Certes, il n'a pas
tort d'en faire tant de cas, et bien qu'il n'ait pas vu qu'il
y avait peut-être quelque inconséquence à proscrire la ballade
et le rondeau, poèmes fixes, pour leur substituer le sonnet,
autre poème fixe, je conçois qu'il ait été séduit par la beauté
de cette forme si puremfjnt harmonieuse. Mais pourquoi s'en
est-il expliqué avec tant de sécheresse ?
' Faguet. Seizième siècle, p. 217-219.
- Deffence. p. 118.
•' Deffence, p. IIG : « Sonne nioy ces beaux Sonnets, non moins docte que
plaisante invention italienne, conforme de nom à l'Ode, el diflerente d'elle
seulenienl pource que le Sonnet a certains veis reiglez et limitez : et l'Ode
peut courir par toutes manières de vers librement.»
' Art Poétique, liv. II, chap. 2 : « Le Sonnet suit lEpigramme de bien
près, et de matière, et de mesure. »
l' « ILLUSTRATION DE LA LANGUE l'HANÇOYSE )) l3l
Sa conception de Tode est reprise d'Horace :
Musa dedil lîdibus divos puerosquc deorum,
Et pugilem victorein et cquum certamine priinuiu,
Et juvenuni curas, et libéra vina ret'erre '.
(( Te fourniront de matière les louanges des dieux et des
hommes vertueux, le discours iatal des choses mondaines, la
solicitude des jeunes hommes, comme l'amour, les vins libres,
et toute bonne chère » (p. ii4)- Sujets héroïques et mytholo-
giques, sujets philosophiques et moraux, sujets erotiques et
bachiques, tel est le domaine de l'ode : pas un instant du
Bellay ne songe à se demander si le lyrisme nest point
avant tout l'expression poétique de sentiments personnels. Et
cette ode qu'il conçoit tout antique, il la veut aussi très
relevée de forme, écrite en beau style, éclatante de figures
et d'images : (( Sur toutes choses, prens garde que ce genre
de poëme soit eloingné du vulgaire, enrichy et illustré de
motz propres et epithetes non oysifz, orné de graves sen-
tences, et varié de toutes manières de couleurs et ornementz
poétiques » (p. ii5). Il ne l'imagine pas sans imitations ou
réminiscences de Pindare et d'Horace : (( Qu'il n'y ait vers,
ou n'aparoisse quelque vestige de rare et antique érudition »
(p. ii4). Dans la haute idée qu'il s'en fait, il n'admet pas
qu'on la ravale, comme Sibilet ", et qu'on aille citer pour des
modèles d'odes de vulgaires chansons de Saint-Gelays '.
Quant à l'épopée, « le long poëme françoys », dont Sibilet
* Epist. ad Pisones, 83-85.
- Liv. II, chap. 6.
* Des trois pièces raillées par du Bellay (p. 115), deux {Laisses la verde
couleur et O combien est heureuse) sont des chansons de Saint-Gelays,
précisément données par Sibilet comme modèles de chants lyriques. Quant
à la troisième (Amour avecques Psychés], c'est une pièce de Pcrnette du
Guillet. Du Bellay avait pu les lire toutes trois dans un recueil publié par
Jean de Tournes (Lyon, 1545, l.:47, 1548) : Deploration de Venus sur la mort
du bel Adonis. Avec plusieurs chansons nouvelles. V. liev . d'hist. litl. de-
là France, 1896, p. 97.
132 JOACHIM DU BELLAY
ne dit qu'un mot pour constater la pénurie où nous sommes
(( d oeuvres grans et héroïques * », du Bellay l'honore de tout
un chapitre (II, 5). et nous avons là le point de départ de
cette idée fixe qui régnera chez nous trois cents ans : c'est
que l'épopée est le poème par excellence, et que sans épopée
une littérature est toujours inférieure. Pour du Bellay, le
poète épique est celui qui fera vraiment hausser la tète à
notre pauvre langage et lui permettra de s'égaler a d'un brave
sourcil )) aux « superbes » langues grecque et latine. Mais combien
dillicile est son œuvre ! et quels dons il lui faut réunir pour en
venir à bout ! Ce n'est pas assez d'avoir reçu du ciel u une
excellente félicité de nature )), d'être instruit à fond des arts
et des sciences, versé dans la culture des bons auteurs anciens :
il faut qu'il sache la vie humaine et qu'il ait encore favora-
bles toutes les conditions matérielles : qu'il soit d'un rang
moyen, ni trop liant ni trop bas, pour ignorer également et
les soucis du « régime public » et le tracas des « affaires
domestiques » ; qu'il jouisse du repos, de la tranquillité
d'esprit ; que la protection des rois et des princes le mette
à cou^ ert de tous les besoins : car c'est une œuvre labo-
rieuse (ju'il entreprend, (( et quasi de la vie d'un homme )) !
— Du BeHay [)arle bien, et non sans émotion, de la gloire
innnortelle réservée au poète qui dotera la France d'une
épopée ; mais il ne lui dit pas les moyens d'y atteindre. S'in-
spirer d'Homère, de ^'irgile et d'Arioste, et puiser son sujet
dans vm de nos locaux vieux romans, tels que Lancelot ou
Tristan : voilà tous les conseils qu'il lui donne. \u l'impor-
tance de la matière, on conviendra que c'est peu.
La nouvelle poésie étant ainsi constituée dans son fond
par un ensemble de petits genres et de grands genres, il faut
la parer, à l'exemple des anciens, de tous les ornements de
la langue, du style et du mètre.
1 Liv. II, chap. 14.
L' (( ILLUSTRATION Dli LA LANGUE l'HANÇOYSE » 133
C'est ici la partie la plus faible de cet art poétique. Après
ses attaques contre les rimeurs de la vieille école, on était
en droit d'attendre du réformateur un certain nombre de
préceptes mûrement réfléchis, clairement formulés, tout ensem-
ble précis et pratiques. Mais la logique et la méthode ne
sont pas, on le sait, les qualités maîtresses de la Deffence.
Rien ne montre mieux combien, en 1049, les idées de la
Pléiade étaient encore sur bien des points vagues et incom-
plètes, que les lacunes du manifeste touchant cette question,
cependant capitale, de la forme en poésie. De ces idées mieux
définies, plus consistantes, se forma par la suite un système,
une doctrine véritable, qui s'exprime assez bien dans les
œuvres théoriques de Ronsard. Je n'ai pas à retracer tout
entière la poétique de la Pléiade, mais à montrer lesquelles
de ces idées se trouvent déjà dans la Deffence. Je le ferai
suivant Tordre logique, en groupant sous trois chefs les pré-
ceptes épars relatifs à la forme.
A. LANGUE (II, 6).
Du Rellay ne dit pas nettement ce que dira Ronsard :
(( Plus nous aurons de mots en nostre langue, plus elle sera
parfaicte'. » Mais au fond c'est sa pensée. Par quels moyens
conseille-t-il de l'enrichir ? — Il n'est question dans la
Deffence ni des dialectes ni du provignement. Tout compte
fait, les procédés d'enrichissement sont au nombre de deux,
et tous les deux viennent d'Horace : i" inventer des mots
nouveaux : 1" rajeunir des mots anciens.
a) Les Néologisrnes. — Du Bellay, reprenant la théorie
fameuse d'Horace sur les créations de mots '\ recommande
1 Art Poétique (loGo). — Blancliemain, Vil, 333.
- Epist. ad Pisones, 48-o3.
134 JOACHIM DU BELLAY
au poète « d'inventer, adopter et composer à l'immitation des
Gréez quelques niotz franeoys, comme Ciceron se vante
d'avoir fail en sa langue » (p. laS). Les anciens, plus riches
que nous sans comparaison, nous ont eux-mêmes donné
l'exemple, en usant fréquemment (( de motz non acoutumés es
choses non acoutumées ». Dans une langue aussi pauvre que
la nôtre, le poète futur sera souvent gêné pour traiter bien des
choses qui n'ont pas encore été traitées, s'il n'obtient pas les
mêmes droits : pourquoi lui serait-il défendu d'user de quelques
mots nouveaux, lorsque la nécessité l'y contraint ? (p. 126-
127). — On a mainte fois jugé dangereux ces emprunts de
vocables à des langues étrangères. Sans discourir de ce qu'ils
ont de légitime, remarquons en passant que sur ce point du
Bellay s'est montré plus circonspect qu'on ne le croit
généralement, et qu'il a soin de tempérer la hardiesse de son
conseil par une sage restriction : « Ne crains donques, poëte
futur, d'innover quelques termes, en un long poëme principa-
lement, avecques modestie toutes/ois, analogie, et Jugement de
V oreille^ » (p. 127). — En ce qui touche particulièrement les
noms propres, du Bellay veut qu'(m les accommode à son vul-
gaire, entendez qu'on les francise : les transcrire tels quels
du latin ou du grec, ce serait (( appliquer une pièce de velours
verd à une robe de velours rouge » (p. 128). On dira donc
Hercule et Thésée, non Hercules et Theseus. Mais la chose
n'est pas toujours possible : il est des noms qu'on ne peut
franciser (Mars, Vénus, Jupiter). Ici encore, c'est affaire de
jugement et d'harmonie : (t Tu doibz user en cela de juge-
ment et discrétion.... Je renvoyé tout au jugement de ton
* Sibilet, qui parle aussi de cette question, enjoint de même au futur
poète « qu'il soit rare et avisé en la novation des nios », et. s'il est contraint
d'en emprunter, « qu'il le face tant modestement et avec tel jugement, que
l'aspreté du mot nouveau n'égratijjne et ride les aureilles rondes. » Liv. I,
chap. 4.
l' (( ILLUSTRATION DE LA LANCUK FHANÇOYSE )) 135
oreille ' » (p. 128-129). Cette réserve faite, l'auteur ajoute
encore : (( Quand au reste, use de luotz purement francoys ».
11 n'était pas de ceux qui voulaient en français parler grec
et latin.
b) Les Archaïsmes. — Horace avait dit : Multa renascentur
qiiae jain cecidere ^ Du Bellay conseille de puiser dans nos
vieux romans et nos vieux poètes, pour les faire revivre,
quelques-uns de ces mois « ([ue nous avons perduz par notre
négligence » : par exemple ajourner (faire jour), anuiter
(faire nuit), assener (frapper), isnel (léger). Enchâssés dans
les vers, ces mots d'autrefois auront l'éclat de pierres pré-
cieuses. Il faut cependant que l'usage en soit modéré ' (p.
129-130).
B. STYLE (II, 9).
L'idée chère à la Pléiade, on le sait, c'est la création d'un
style poétique, qui sépare nettement les vers de la prose.
Ronsard le dira de façon formelle : « Le style prosaïque est
ennemy capital de l'éloquence poétique * ». Cette préoccupa-
tion conduit l'auteur de la Deffence à formuler un certain
nombre de préceptes sur le style qui convient à la poésie.
Il faut distinguer ici les tours et les figures.
a) Les Tours. — Entre autres tours, le poète devra s'atta-
cher aux manières de parler que voici :
I" User de l'infinitif pour le nom : l'aller, le chanter, le
vivre, le mourir.
' Cf. Ronsard, Art Poétique, VII, 320 et 33n.
- Epist. ad Pisones, 70.
3 « Ne doute point ([ue le modéré usaige de telz vocables ne donne
grande majesté tant au vers comme à la prose » (p. 130). — Du Bellay
revient sur cette question des archaïsmes dans l'épître-préface à Morel qui
précède son recueil de loo2. Il sappUuuUt d'avoir usé de cerve (biche), gal-
lées (galères), endementiers (cependant), carro/anf (dansant), « et autres, dit-
il, dont l'antiquité me semble donner quelque majesté au vers, principale-
ment en ung long poème, poiirveii toutcsfois que Vusay ' n'en soit imno-
deré » (I. 337).
^ 2° préf. de la Franciade. — Blanchemain, III, l(î.
136 JOACHIM DU BELLAY
2" Employer l'adjectif substantivé : le liquide des eaux, le
vide de l'air, le frais des ombres, Vépais des forêts, Venroué
des cymbales.
3'' Construire avec l'infinitif des verbes et participes qui
de leur nature n'admettent pas une telle construction : trem-
blant de mourir, pour craignant de mourir ; volant d'y aller,
pour se hâtant d'y aller.
4° User de l'adjectif pour l'adverbe : ils combattent ob-
stinés, pour obstinément ; il vole léger, pour légèrement.
5° Se garder d'omettre les articles. Ronsard ajoutera :
les pronoms personnels *. On sait combien cette double omis-
sion est fréquente chez Marot.
b) Les Figures. — La vertu de Télocution, suivant du
Bellay, gît « aux methaphores , alegories, comparaisons,
similitudes, énergies, et tant d'autres figures et ornemens,
sans les quelz tout oraison et poème sont nudz, manques et
débiles » (p. 64). Gela revient à dire qu'il faut orner le style
des vers de toutes les figures, pour qu'il soit le plus brillant,
le plus éclatant, le plus imagé possible. Ainsi le poète
usera souvent de l'antonomase : il dira le Père foudroyant,
pour Jupiter; le Dieu deux fois né, pour Bacchus ; la Vierge
chasseresse, pour Diane. 11 enq)loiera des épithètes caracté-
ristiques : la flamme dévorante, les soucis mordants . Il aura
recours aux comparaisons les plus variées. La connaissance
des métiers lui sera sur te point fort utile : « Encores te
veux-je advertir de hanter quelquesfois. non seulement les
scavans, mais aussi toutes sortes d'ouvriei-s et gens méca-
niques, comme mariniers, fondeurs, peintres, engraveurs, et
autres, scavoir leurs inventions, les noms des matières,
des outilz, et les termes usitez en leurs ars et mé-
tiers, pour tyrer de la ces belles comparaisons et vives
' Art Poétique. — Blancheniain, VII, 329.
L' (( ILLUSTRATION 1)K LA LANGUE FHANÇOVSE )) 137
descriptions de toutes choses ' )) (p. i47). C'est ainsi que les
termes techniques entreront dans la langue poétique et seront
pour eUe un nouveau moyen d'enrichissement.
C. RYTHMIQUE (11, -, S, 1»).
Du liellay fait de Vharinonic la loi souveraine des vers :
(( Regarde principalcmeid (ju'cn ton vers n'y ait rien dur,
hyulque, ou redundant. Que les périodes soient bien joinclz,
numereux, bien remplissans l'oreille » (p. i43). Il n'a pas
tort. Mais en dehors de ce précepte très général, je ne
vois rien de bien nouveau dans la Deffence^ concernant les
questions de rythmique. Les préceptes de détail sont à peu
près insignifiants .
à) Le Mèlvc. — La variété des mètres est infinie :
« Quand aux espèces de vers.... elles sont aussi diverses
que la fantasie des hommes et que la mesme nature )) (p. i38-
iSq). Cette variété des mètres est un des éléments de la poésie
lyrique : « L'Ode peut courir par toutes manières de vers libre-
ment, voyre en inventer à plaisir » (p. 117). — Touchant les vers
considérés isolément, la Deffence est muette. Chose singulière :
il n'est pas même question de l'alexandrin, qui ne devienth'a
que plus tard, vers i5.55, le mètre favori de la Pléiade. Le
vers décasyllabe reste toujours le vers héroïque, et du Bellay
se borne à demander qu'on en marque mieux la césure -. Le
seul point à noter, c'est le conseil aussi bizarre qu'obscur
d'acclimater chez nous l'hendécasyllabe : (( Adopte moy aussi en
la famille francoyse ces coulans et mignars hendecasyllables,
à l'exemple d'un Gatule, d'un Pontan, et d'un Secund : ce que
tu pouras faire, si non en quaniité, pour le moins en nombre
' Cf. Ronsard. VII, 321 ; III, 20 et M.
■ Il estime défectueuse la coupe de ce vers, qui est précisément un vers
de Sibilet : Si non que tu \ en montres un plus seur (p. 142).
138 JOACaiM DU BELLAY
de sj'llahes » (p. ii8). C'est d'ailleurs un conseil qui resta
lettre morte '.
b) La Rime. — Je ne suivrai pas du Bellay dans ses ex-
plications plus ou moins embrouillées sur le sens du mot
l'ime (\( rj-lhine ») * ; encore moins dans ce qu'il dit de l'in-
vention des vers rimes, due, selon Jean Lemaire de Belges,
à Bardus V, roi des Gaules (p. i35). Sans se prononcer abso-
lument contre les vers blancs ■', du Bellay voit dans la rime
une nécessité dont on peut difficilement s'afFranchir : elle est
pour nous ce quêtait pour les anciens la quantité. Ses pré-
ceptes sur la rime sont au nombre de trois :
1" Il faut que la rime soit riche sans être contrainte.
Du Bellay n'admet pas qu'aux dépens du sens ou de la rai-
son, on fasse rimer ensemble éminent et imminent, miséricor-
dieusemeni et mélodieusement . Il proscrit la rime équivoque,
si chère aux vieux rhétoriqueurs. Il proscrit de même la rime
du simple et du composé (baisser., abaisser). — C'est juste-
ment le contre-pied des prescriptions de Sibilet *.
2" Il faut se contenter de la rime pour l'oreille et sans
' V. Plôtz, op. cit., p. 40.
- Sur ce point, cf. du Bellay, II, 8, et Sibilet, I, 2.
^ Sibilet, parlant des vers sans rimes (liv. 11, chap. 15), remarque que
Bonav. des Pcriers est chez nous le seul poète qui les ait hasardés (tra-
duction de la 1" Satire d'Horace en octosyll. non rimes). Avant des Périers,
Pétrarque en avait fait, mais en sextines : « Si tu veus faire des vers non
rymez, dit-il, et t'aider de l'exemple de Pétrarque, fay les en Sestines
comme luy. Car l'authorité de Bonaventure des Périers seroit basse pour
faire trouver hors Sosline bons ces vers, qui sans ryme demeurent autant
froys. comme un corps sans sanj^ et sans ame. » — Du Bellaj', s'autorisant
de Pétrarque et d'Alamanni, croit qu'on pourrait à la rigueur faire des
vers non rimes, pourvu qu'ils fussent « bien charnuz et nerveux, afin de
compenser par ce moyen le default de la rj'thme » (p. 1,32). — Les essais
de la Pléiade en ce genre sont d'ailleurs presque nuls : un sonnet de du
Bellay {Olive, s. 114). une ode de Ronsard (Blanchemain, II, 212).
* Liv. l, chap. 7: o Geste espèce de ryme en équivoque... comme elle
est la plus diiricile, aussy est elle moins usitée : et ne laisse pourtant a
estre la plus élégante )>. — « Avise toy cependant que tu peus rymer bien
et deuement le simple contre le composé, combien que aucuns vœillent
soutenir le contraire, mais sans apparence de raison ».
L' « ILLUSTRATION DE LA LANGUK FRANÇOYSE ^) ['AU
scrupule accouplei' , par exemple , inailre et prêtre , Atlicnes
et fontaines, connaître et naître.
3° Il faut se garder de faii-e i-imer des mois longs et des
mots bi'ei's, comme passe et trace, maître et mettre.
Quant à l'alternance des rimes masculines et Icmiuines,
observée par Marot dans ses Psaumes, et qui sera plus tard
un des principes de la Pléiade, du Bellay l'approuve, mais
sans en faire un dogme : « 11 y en a qui fort supersticieu-
seraent entremeslent les vers masculins avecques les féminins,
comme on peut voir aux Psalmes traduictz par Marot. Ce
qu'il a observé (comme je croy') afin que plus facilement on
les peust chanter, sans varier la musique, pour la diversité
des meseures, cjui se trouverroint à la fin des vers. Je treuve
cete diligence fort bonne, pourveu que tu n'en faces point de
religion, jusques à contreindre ta diction, pour observer telles
choses ' )) (p. 142-143). Cette dernière phrase nous montre
un poète qui n'entend pas sacrifier à des règles tyranniques sa
liberté d'inspiration.
IV
Quelc|ue incomplets que soient les préceptes contenus dans
la Deffence, pourtant il s'en dégage cette inqoression nette :
c'est qu'un élément nouveau, Y art. s'introduit dans la poésie.
Qu'est-ce en somme que la Deffence ? Un hymne à l'art.
Nul n'est poète sans art. Non que du Bellay supprin)e la
nature. Dans la question souvent discutée des rapports de
' Cf. son avis au Lecteur, en tôle des Vers Lyriques i)iil)liés avec la
Deffence : a Je n'ay (Lecteur) entremellé foi't supersticieusement les vers
masculins avecques les féminins, comme on use en ces vaudeviles et chan-
sons qui se chantent d'un mesme chant, par tous les coupletz, craignant de
contreindre et geliinner ma diction pour l'observation de telles choses.
Toutesfois. allin que tu ne i)onses que j'ayc dédaigné ceste diligence, tu
trouveras quelques Odes, dont les vers sont disposez avecques telle reli-
gion » (I, 175).
liO JOACHI.M UU BELLAY
lart et de la nature, il estime, avec Gicéron et Quintilicn,
« le naturel faire plus sans la doctrine que la doctrine sans
le naturel ». (p. 109). Mais il le proclame très haut : (( le
naturel nest suffisant à cehij' qui en poésie veult faire
œuvre digne de Vimmortalité » (p. 108). Il lui faut encore
le secours de l'art : (( Qu'on ne m'allègue point aussi que
les poètes naissent', car cela s'entend de ceste ardeur et
allégresse desprit, qui naturellement excite les poëtes, et
sans la quele toute doctrine leur seroit manque et inutile. Cer-
tainement ce seroit chose trop facile, et pourtant contemptible,
se faire éternel par renommée, si la félicité de nature,
donnée mesmes aux plus indoctes, étoit suffisante pour faire
chose digne de l'immortalité. Qui veut voler par les mains
et bouches des hommes, doit longuement demeurer en sa
chambre : et qui désire vivre en la mémoire de la postérité,
doit comme mort en soy mesmes suer et trembler maintes-
fois : et autant que notz poètes courtizans boyvent, mangent
et dorment à leur oyse, endurer de faim, de soif et de lon-
gues vigiles. Ce sont les esles dont les ecriz des hommes
volent au ciel » (p. iio-iii). Cette page est fort belle :
jamais encore on n'avait dit avec de tels accents le devoir
laborieux qui s'impose au poète, le mépris de la tâche trop
facile, la sainte religion de l'art.
En quoi consiste cet 'art ? Dans la (( cogitation » et dans
r (( émendation » (II, ri). Il faut tout d'abord méditer son
œuvre. Sur ce point, on ne peut établir d'autre règle que le
(( plaisir » et la (( disposition )) de chacun : lorsqu'ils com-
posent, les uns recherchent les forêts, les ruisseaux et les
prés ; les autres préfèrent le secret des chambres, les doctes
cabinets d'études, les mystéx'ieuses bibliothèques. Ce qu'il faut
avant tout, c'est la solitude , le silence ami des Muses.
' Allusion à l'adage : Fiant oratores, poetae nascnntnr, invoqué par
Sibilet, liv. 1, chap. 3.
L' (( ILLUSTRATION DE LA LANGUE FRANÇOYSE )) 141
le recueillement qui favorise Tinspiration, cette (( fureur
divine » sans laquelle nul ne doit espérer faire chose qui
dure. Mais l'œuvre éclose, rémendation doit intervenir pour
la corriger : « lollice d'elle est ajouter, oter, ou muer à
loysir ce que cete première impétuosité et ardeur d'écrire
n'avoit permis de faire » (p. 14G). 11 faut façonner longuement
ses écrits, les lécher, comme l'ours ses petits, — sans pour-
tant lonjber dans l'excès et pousser ce scrupule jusqu'à la
superstition '. 11 est bon enfin d'avoir un ami savant, dévoué,
fidèle -, qui puisse connaître vos fautes, vous les signaler en
toute franchise, sans crainte de blesser votre amour-propre,
qui joue en un mot vis-à-vis de vous le rôle salutaire d'un
censeur.
C'est par l'application de tous les préceptes ci-dessus énon-
cés que se formera le (( poète futur », — non plus ce rimeur
pour qui la poésie n'est qu'une distraction et qu'un passe-
temps, qui ne veut qu'amuser son public sans exciter en lui
d'impressions profondes, et dont tout l'idéal est de plaire
aux seigneurs de la Cour, aux gentilshommes, aux damoi-
selles \ — mais un écrivain qui fait de son art presque un
sacerdoce, et qui, unissant le génie et la science, le naturel
et la doctrine, veut agir fortement sur les autres et se rendre
maître de leurs àraes. Du Bellay trace ainsi le portrait du
poète de l'avenir : (( Saiches, Lecteur, que celuy sera véritable-
ment le poêle, que je cherche en nosti'e langue, qui me fera
indigner, apayser ejouyr, douloir, aymer, hayr, admirer,
étonner, bref, qui tiendra la bride de mes alFections, me
' Cf. 2' préf. de l'Olive {I, 73).
- Du Bellay ajoute : « voire trois ou quatre ». 11 y a là comme un écho
de ce qui devait se passer, j'imagine, au Collège de Coqueret.
3 Cf. Muret, préface de Jiwenilia (1552), p. 9 : « Qui se vernaculo nostro
sermone poetas perhiberi volebant, perdiu ea scripsere quae deleclare
modo ociosas mulierculas, non ctiam eruditorum hominum studia tener?
possent. ))
142 JOACBIM DU BELLAY
tournant ça et la à son plaisir. Yoyla la vraye pierre de
touche, ou il fault que tu épreuves tous poëmes et en toutes
langues » (p. i5i). — « Admirable définition, dit M. Petit de
JuUeville, et, après tout, la seule vraie. Car les cadres et
les genres sont changeants et passagers ; les procédés de ver-
sification varient à rinfini ; on définit le riineur par les
règles quil observe. Mais on ne définit le poète que par le
charme qu'il exerce et par rémolion qu'il excite *. »
La Dcffence devrait se terminer sur celte belle pensée.
Pourquoi faut-il que du Bellay, dans son horreur pour le
vulgaire, ait limité de parti pris la libre fantaisie du poète
en lui faisant une loi de rompre avec la foule ? « Seulement
veux -je admonnester celuy qui aspire à une gloyre non vul-
gaire, s'eloingner de ces ineptes admirateurs, fuyr ce peuple
ignorant, peuple ennemy de tout rare et antique scavoir : se
contenter de peu de lecteurs à fexemple de celuy, qui pour
tous auditeurs ne demandoit que Platon, et d'Horace, qui
veult ses œuvres estre leuz de trois ou quatre seulement,
entre les quelz est Auguste - » (p. i5i-i52). Certes, une telle
déclaration ne surprend pas de la part d"un poète qui
s'écriait :
Rien ne me plaist, fors ce qui peut déplaire
Au jugement du rude populaire ^
* Ghap. I s\ir la llonaissance , p. 19, clans le Seizième siècle de la
grande Histoire de la littérature française .
- Rapprocher de ce passage ce que disait du Bellay la même année, à la
lin de la 1" prêt", de l'Olive : « Je ne eerche point les applaudissemens
populaires. Il nie suflit pour tous lecteurs avoir un S. Gelays, un Heroët,
un de Ronsart, un Caries, un Sceve, un Douju, un Salel, un iMartin, et si
quelques autres sont encor' à mettre en ce ranc. A ceulx la s'addressent
mes petiz ouvraiges » (I, 69>. — Les poètes de la Pléiade ont maintes fois
renouvelé ces déclarations où s'afliche le mépris du vulgaire. Je citerai
simplement dans le nombre ce passage de Ronsard (1564) : « Si vous esti-
mez que je sois désireux de la faveur du vulgaire, vous vous trompez
beaucoup; car le plus grand desplaisir que je soaurois avoir en ce monde,
c'est d'estre estimé ou recherché du peuple. » (Blanchemain, Vil, 143).
' De L'immortalité des poêles, au seigneur Bouju (I, 205).
l' « ILLUSTRATION nE LA LANGUE FRANÇOYSE » 143
Mais combien elle est regrettable ! et coin nie elle gâte les
meilleures intentions du réformateur ! C'était bien la peine,
vraiment, cVallranchii' la poésie du caprice des gens de cour,
pour en faire l'apanage exclusif des savants, de lui donner
comme domaine l'universel, pour la restreindre tout aussitôt
à l'usage d'une élite ! Au surplus, on a si souvent redit les
dangers de cette aristocratique conception, qu'il est inutile de
marquer une fois de plus tout ce que perd la })oésie à se
séparer ainsi de la foule.
Je ne voudrais pas finir sur une critique. J'aime mieux
rappeler pour conclure ce qui fait le mérite souverain de la
Deffence et son incontestable valeur. Le petit opuscule de
i54g est un plaidoyer magnifique, chaleureux, enthousiaste,
qui célèbre excellemment la beauté, la dignité, disons le mot,
la sainteté de la poésie. C'était la première fois chez nous
que quelqu'un avait le cœur si pénétré de sa grandeur auguste,
parlait avec cette éloquence de son pouvoir sacré, de sa divine
mission. En vain a-t-il voulu que les Muses restassent étran-
gères à la foule : par la vertu puissamment séductrice de sa
parole, l'auteur de la Deffence les a ramenées sur la teri^e ; il
les a rendues familières aux Français qui les avaient mécon-
nues tant de siècles ; il a si bien scellé leur union avec eux
que jamais plus, depuis cette époque, les chastes déesses ne
sont remontées dans le ciel.
\
CHAPITRE V
L'ATTAQUE DE LA « DEFFENCE »
ET
LA DÉFENSE DE LA « DEFFENCE »
1549-1550
I. — La guerre contre l'ignorance. — Résistance des disciples de
Marot. — La préface de r« Iphigène » de Sibilet il349j.
II. — Guillaume des Autelz et sa « Réplique aux furieuses défenses
de Louis Meigret » (1350'.
III. — Le « Quintil Horatian » de Barthélémy Aneau (1330).
IV. — Défense de la « Deffence » : la seconde préface de l'a Olive »
(1330).
V. — Deux poèmes polémiques : la « Musagnœomachie » et 1 Ode
â Ronsard « Contre les envieux poètes » (1330).
I
« Ce l'ut une belle j^uerre, que Ion entreprit lors contre
l'ignorance. » — C'est en ces ternies qu'Etienne Pasquier ^
parle de la révolution accomplie dans les lettres par la
DeJJ'ence.
Une guerre ? Oui : le mot n'est i)as trop lort. Du Bellay
liée h. de la France, VI, 7.
l'attaque de la (( DEKKliNCE )) 145
lui-même avait sonné la charge dans les dernières lignes de
son manifeste : « La donques, Francoys, marchez couraigeu-
sement vers cete superbe c-ilé romaine : et des serves
dépouilles d'elle (connue vous avez lait plus d'une fois) ornez
voz temples et autelz. Ne craignez plus ces oyes cryardes, ce
fier Manlie et ce traitre Gamile, qui, soubz umbre de boniuî
foy, vous surprenne tous nudz contans la rançon du (^apitoie.
Donnez en cete Grèce menteresse, et y semez encor un
coup la fameuse nation des Gallogrecz. Pillez moy sans con-
science les sacrez thesors de ce temple delphique, ainsi que
vous avez fait autrefoys : et ne craignez plus ce muet
Apollon, ses faulx oracles, ny ses (lesches rebouchées. Vous
souvienne de votre ancienne Marseille, secondes Athènes, et de
votre Hercule Gallique, tirant les peuples après luy par leurs
oreilles avecques une chesne attachée à sa langue » (p. i6i-
162). Cette éloquente exhortation, hérissée d'expressions mili-
taires, avait l'énergie d'un appel aux armes. Sus aux anciens !
clamait du Bellay, jetant le cri de guerre. Mais dans Tar-
deur farouche de sa marche en avant, il passait sur le
corps de tous ceux qu'il trouvait devant lui, se dressant à
chaque pas et lui barrant la route, et l'on ne pouvait espé-
rer que ces gens-là se laisseraient écraser et piétiner sans
opposer la moindre résistance.
L'apparition de la Dejfence produisit chez les disciples de
Marot un mouvement de stujjeur et de colère, et l'on songea
tout aussitôt à la riposte. L'œuvre était trop violente, trop
remplie d'allusions personnelles, d'attaques à peine déguisées,
d'intentions nettement batailleuses, pour ne pas provoquer de
fortes protestations et de véhémentes répliques. Et de là,
une querelle littéraire des plus vives, comparable en son
genre à celle des anciens et des modernes, ou bien encore
à celle des classiques et des romantiques. Moins heureuse
que les autres, cette querelle n'a pas trouvé son historien.
Univ. de Lille. Tome VI 11 A. 10.
146 JOACHIM DU BELLAY
Je souhaite qu'elle le trouve quelque jour. A qui voudra
tenter ce sujet peu connu, rien ne fera défaut, ni l'intérêt
de la matière, ni l'abondance des documents.
Pour moi, je me bornerai simplement à retracer le rôle
que joua dans l'afl'aire Joacliim du Bellay. J'examinerai plu-
sieurs des pamphlets qui furent lancés contre la Deffence , et
je dirai comment il répondit aux critiques quon faisait de son
livre. Même ainsi limitée, la question est encore assez vaste.
La première riposte, à ma connaissance, vint de Sibilet.
C'était justice : le théoricien de VArt Poétique avait trop
souvent été pris à partie par le novateur de la Deffence
pour ne pas répliquer. Bien qu'il ne fût désigné nulle part
d'une manière explicite, il ne pouvait pas se méprendre sur
le sens véritable du manifeste et sur la portée des idées
nouvelles : c'était lui qu'on visait en maint endi'oit du livre.
Il n'attendit qu'une occasion. Justement, au mois de novembre
1549, il publiait une traduction de Y Iphigénie d'Euripide *. On
sait le mal qu'avait dit du Bellay des traductions, et surtout
des traductions de poètes. L'heure était venue de le réfuter, ou
tout au moins de lui rendre attaque pour attaque. Dans une
épître aua Lecteurs, qui précédait sa traduction, il le prenait
d'abord sur le ton cavalier : « Cette mienne mignardise a l'aven-
ture déplaira a la délicatesse de la délicatesse de quelques hardis
repreneurs: mais si jesay que la friandise vous en plaise, ce me sera
plaisir de leur déplaire en vous plaisant. » Puis il parlait de son
ouvrage, et, dans une conclusion finement agressive, il chantait
une fois de plus les louanges de Marot, contestait à du
Bellay ses idées sur la « version », laissait entendre qu'il
' L'iphigene d'Euripide Poète Tragiq : tourné de Grec en François par
l'Auteur de VArt Poétique Paris, Gilles Corrozct, 1549. Privilège du
13 nov. laW. Dédicace à Jean Brinon, signée T. S. et datée de Paris,
1" sept. I;j49. L'épilrc ans Lecteurs suit cette dédicace. (Bibl. Nat. — Rés.
yb. 832;.
l'attaque DR LA (( DKFFENCE )) 147
savait à quoi s'en tenii* sur sou degré d"origirialité, raillait
surtout sa conception aristocratique de la poésie et cette
prétention de ne vouloir écrire que pour une élite : (( Fina-
blement si je n'ay tant purement, doucement, naïvement, élé-
gamment, richement et mignonnement tourné l'Iphigene
d'Euripide, que Marot a l'ait le Léandre du poète Musée :
aussy ne suy-je, ne pense-je êttre Marot. Si la langue Fran-
çoise n'est illustrée par la version dés poëmes, on ne s'en
doit attacher a nioy qui n'en suy illustrateur ne gagé ne re-
nommé. Si je fay moins pour nioy en traduisant anciens
auteurs qu'en cérchant inventions nouvelles, je ne suy toute-
fois tant a reprendre que celuy qui se vante d'avoir trouvé,
ce qu'il ha mot a mot traduit dés autres. Si cette version
n'est suflisante pour immortaliser mon nom, aussi ne l'y vœil-
je mettre en tittre. Si je ne suy leu et loué des Poètes de
la première douzaine, aussi n'ay-je pas écrit a cette intention :
car j'écry ans Muses et a moy : et si quéqu'un par fortune
prend plaisir a mes passetems, je ne suy pas tant ennuyeus '
de son aise, que je lui vœilhe défendre la communication
de mes ébbas, pour lés réserver a une affectée demye douzaine
dés estimés princes de nottre langue, et par ce moyen cércher
leur applaudissement. ))
II
La préface de Vlphigène n'était qu'une courte et brillante
sortie contre la Deffence. Guillaume des Autelz % poète de
Lyon, cousin de Pontus de Tyard, entra dans le fort du
débat. Il était alors en pleine polémique avec Louis Meigret,
le rèformatem* de l'orthographe ; mais il faisait aussi des vers
' Sic. Peut-être faut-il lire envieus.
Sur Guill. des Autelz, consulter Goujet, t. XII, p. 343-333.
148 JOACHIM DU BELLAY
et venait de donner son Repos de plus grand travail '. Il
éprouva le besoin dexposer son opinion sui' ce sujet si con-
testé de la poésie, et, dans sa Réplique aux furieuses
défenses de Louis Meigret -, au mois daoût i55o, il inséra
quelques pages, qui sont une réponse très remarquable au
manifeste de la Pléiade.
Des Autelz se réjouit de voir l'effort des novateurs poi'ter
si haut la poésie que désormais (( nous approchons bien
près du sommet de la montaigne » ; mais il estime pour sa
part qu'ils manquent de justice envers leurs devanciers, et que
ce dédain brutal du passé n'est pas exempt d'ingratitude :
(( Encores me desplait il. que ceux qui pensent avoir con-
questé l'empire de l'encyclopédie des Muses, se connoissent
trop, ou (pour mieux dire) ne se connoissent pas assez : car
comme je loue (laissez moy ainsi parler) leur erudite hardiesse,
d'avoir plus osé que noz majeurs : aussi ne puis je prendre en
gré leur mesconnoissance, que je ne die ingratitude, envers
ces bons pères, de les vouloir ainsi descrier comme la taulse
monnoye » (p. 58).
Avec raison, des Autelz va droit à la théorie de l'imita-
tion comme au centre de la doctrine, et il n'a pas de peine
à montrer que limitation, telle que l'entend du Bellay, ne
diffère pas essentiellement de la traduction ([uil ])roscril :
(( En premier lieu je ne suis pas de lavis de ceux, qui ne
pensent point que le François puisse faire chose digne de
l'immortalité de son invention, sans l'imitation d'autrui : si
c'est imiter desrober un sonnet tout entier d'Arioste, ou de
Pétrarque, ou une ode d'Horace, ou ilz n'ont point de pro-
' Lyon, Jiiiii (le Tourm s el Guill. Gazeau, l^liU. (13ibl. Xal. — Rés. Y'.
1406).
- Lyon, Jean de Tournes et Guill. Gazeau, LioO. Epître dédicatoire du
iJO août l.DoO. — La Bibl. Nat ne [)ossède pas l'édition de l.ioO indiquée par
Brunet [Supplément, t. I, col. 371), mais seulement celle de l.Jal (Kés. Y'.
IGT'J). C'est d'après cette dernière que je cite.
l'attaque de la !( DEFFRNCE )) 149
prieté, mais connue misérables cmphylcolaires rocoiuioissoiit
tout teuir avecques redevance des seigneurs direct/, et ne
différent en rien des translateurs qu'ilz méprisent tant, sinon
en ce qu'ilz laissent ou chani-enl ce quil leur plait : quelque
immodeste plus librement diroit ce qu'ilz ne peuvent traduire.
Mais je pense qu'il y lia bien à dire, à considérer en quoy
gist l'artifice et la grâce d'un bon auteur, pour s'ellbrcer de
l'ensuivre par semblable chemin : et à luy desrober du tout
son invention, ses mots et ses sentences » (p. 08-59). —
Partant de là, des Autelz conseille au poète de se dégager
de l'imitation non moins que de la traduction, et d'oser être
original, en s'afTranchissant des anciens et des Italiens : « Qui
l'empescliera de faire sortir de la France chose que ny l'arro-
gante Grèce, ny la curieuse Romme, ny la studieuse Italie
n'avoient encores veu ? De qui ont esté imitateus les Grecs ? »
Les Latins à leur tour n'ont-ils pas créé la satire ? Et
quant aux Italiens , n'ont-ils pas dédaigné les inventions
étrangères pour être eux-mêmes inventeurs ? k Donc, puis que
nous admirons les Sonnets, les Chans, les Triomphes de Pé-
trarque, ou nous ne pouvons dire qu'il ayt spécialement imité
aucun auteur Grec ny Latin : pourquoy desperons nous d'en
faire autant ou plus ? » (p. 59-Go).
Toute cette critique, il faut le reconnaître, est pénétrante
et judicieuse, et des Autelz a bien saisi le côté faible et vul-
nérable de la nouvelle doctrine.
Il n'est pas moins heureux dans sa défense des anciens
genres contre celui qui les traitait cVépisseries : « Au reste,
encores ne tiens je si peu de conte de noz anciens François,
que je mesprise tant leurs propres inventions que ceux qui
les appellent espisseries, qui ne servent d'autre chose que de
porter témoignage de nostre ignorance \ Pourquoy est plus à
' Ce sont les propres termes dont se sert du Bellay, Deffence. p. 113.
loO JOACHIM DU BELLAY
mesj)i'iser lelaboree Ballade Françoise que la superstitieuse
Sextine Italiene ? » Est-ce à cause du refrain ? Mais le refrain
se trouve aussi chez les anciens. Est-ce pour sa difficulté ?
La belle raison vraiment ! « Tant s'en faut que pour sa
difficulté, je l'estime incapable des ornemens poétiques, que je
n'en forclus pas le Chant royal, beaucoup plus difficile et
ingénieux .... Et quant ce ne seroit qu'un exercice pour
nous préparer à plus grans œuvres, pource ne devrions nous
vitupérer l'Eglantine Tholosane : ou Ion ne défend pas de
proposer d'autres poèmes » (p. 6i). Des Autelz se fait ainsi
l'avocat des Jeux Floraux, si malmenés par du Bellay. Il
plaide la cause du lai comme il avait plaidé celle de la
ballade. 11 justifie la moralité, ce poème mépi'isé « des doctes
gens », mais si cher à nos pères, « qui en leurs jeux n'ont
voulu suivre la vanité gregoise des comédies et tragédies )>.
Il va jusqu'à louer les vers batelés et couronnés, (( en quoy
nostre langue ha je ne say quelle naïve grâce, inconnue
aux autres » (p. 62-66).
Ce défenseur des anciens genres ne se montre pas
d'ailleurs hostile aux nouveaux. Il n'entend pas qu'on re-
jette l'ode. Il veut seulement la justice pour tout le monde.
Les chansons de Saint-Gelays, quelque nom qu'on leur donne,
ne méritent pas le dédain que du Bellay professe à leur égard :
(( Et ne me sauroit on oster de la fantasie que Lah'-cz
la verde couleur et Amour avecques Psiches, quelque nom
que leur donnent ceux qui veulent bailler des titres aux œuvres
d'autrui, sont vrayment œuvres poétiques, bien ornées de figures
convenantes à leur subjet. » Au reste, pourvu qu'on accorde à
Bonav. des Périers l'honneur de l'invention, il reconnaîtra sans
difficulté que personne n'a plus fait pour l'ode que Ronsard,
et que son volume d'Odes ' est « digne d'estre immortellement
' Les Odes de Ronsard avaient paru tout au début de looO.
l'aTTAQUK 1)K la « DKFFENCE » 151
Icu et loué )) ([). (32-G3). Cet hoinma^e à l{ousar(l ucmpêchc
pas des Autelz de terminer son exposé par un autre hommage
à Marot, dont il vante la facilité, le naturel et la grâce, et
qu'il proclame inimitable (p. 71).
Ce qui frappe dans ces pages, ce n'est pas seulement l'in-
telligence dont fait preuve des Autelz, la sûreté de son juge-
ment et la finesse de sa critique ; c'est encore cette modéra-
tion dans la forme, qui révèle un esprit pondéré, conciliant,
ennemi de toute exagération. En combattant son adversaire,
il a su garder la juste mesure qui devrait présider à toute
discussion. C'est toujours un mérite peu commun, mais ici
d'autant plus remarquable que l'auteur était un jeune homme
de vingt ans *.
m
Barthélémy Aneau n'avait pas montré cette modération,
quelques mois plus tôt, lorsqu'il publiait sous le voile de
l'anonyme son Quintil Horatian, mais en s'arrangeant de façon à
faire croire que Charles Fontaine en était l'auteur. J'ai déjà tâché
d'établir, ailleurs que dans ce livre ' , que l'œuvre était bien
' Il était né vers 1321).
- Rev. d'hlst. Utt. de la France, l;i janv. 1898, j). 5i : article sur « la date et
l'auteur du Quintil Horatian)). — Je résume ici brièvement les raisons que
j'ai fait valoir : i" Cli. Fontaine, dans une lettre à Jean de Morel, désavoue
formellement la paternité du Quintil^ qu'il met au compte du principal du
Collège de la Trinité [Bar th. Aneau] ; — 2" le Quintil rejette l'élégie, et
Fontaine a fait beaucoup d'élégies;— 3'' Fontaine, né en 1515, n'a vraisembla-
blement pu faire entre 1525 et 1530 une traduction en vers français de l'Art
Poétique d'Horace, dont parle l'auteur du Quintil comme ayant été faite
« il y a plus de vingt ans » ; — 4° le contenu du Quintil dénote un régent de
collège très érudit et très versé dans la grammaire, la rhétorique et la
dialectique ; — 5" l'auteur du Quintil se donne pour un jurisconsulte : Aneau
l'était, mais non Fontaine ; — 6" on retrouve dans le Quintil la même langue
pédantesque, le même abus de mots savants, tirés du latin et du grec,
qu'offrent tous les écrits d'Aneau; — 7" on y retrouve aussi des idées
analogues, et jusqu'à des phrases semblables. — Quant à la date du Quintil,
— qui se place logiquement entre la 1" et la 2' édit. de VOlive, puisqu'il suit
pas à pas la 1'= et ne connaît pas la 2%— on peut la déduire de la lettre même
de Fontaine à Morel.
152 JOACHIM DU BELLAY
(l'Aiieau, nullement de Fontaine, comme on Ta cru longtemps,
et j'ai (lit les raisons qui me faisaient penser qu'elle avait dû
paraître à la fin de février ou dans les premiers jours de
mars i55o. Dé tous les pamphlets lancés contre la Deffence^
ce fut de beaucoup le plus important : je l'ai donc réservé
pour la fin.
Dans un passaj^e de la Dejfence, du Bellay, s'adressant
aux rimeurs de son temps, leur souhaitait (( la lyme de
quelque sca^ant homme, aussi peu adulateur qu'étoit ce
Quintilie, dont parle Horace en son Art Poétique ' » (p. i4^)-
Grand ami de Marot, fervent admirateur de la vieille poésie,
dont il continuait les noëls, le théâtre, et jusqu'aux bestiaires %
Barth. Aneau résolut de jouer envers l'écrivain révolution-
naire ce rùle bienfaisant de censeur A^éridique : et de là son
Qiiintil Horatian \ A l'en croire, il n'a fait que noter cer-
tains points qui lui semblaient (( dignes de correction amiable
et modeste, sans aucune villanie, injure et calumnie, ne
simple ne figurée » (p. 187). Quand on voit le ton qu'il a
pris, on se demande ce qu'eût été l'ouvrage, si le critique
n'eût pas usé de retenue. Il est vrai que du Bellay tout le
premier avait quelquefois passé les bornes, et qu'il s'était
permis, à l'égard des plats rimeurs de l'époque, des per-
sonnalités un peu bien vives. Mais Aneau ne lui cède
rien sur ce point. Qu'on en juge : « O combien, s'écrie du
Bellay, je désire voir sécher ces Printens, châtier ces Pe-
tites jeunesses, rabbattre ces Coups d'essaj^, tarir ces Fontai-
nes, bref abolir tous ces beaux tiltres assez sufiisans pour
' Epist. ad Pisones, 438-444.
- Chant Natal, contenant sept Noelz, ung Chant Pastonral, et ung Chant
lloyal, avec un;/ Mystère de la Nativité, par personnages. . fl.o39). — Lyon
Marchant. Satyre Françoise. . . sonhz Allégories et Enigmes, par personnages
mysticqiies. . . (1541). — Décades de la description, forme, et vertu naturelle
des animaulx, tant raisonnables que brutz (1.Ï49).
^ Le Quintil Horatian se trouve à la suite de la Deffence, édit.Person.
l'attaqii: de l.\ « DKiFKNCii; » 1;)3
dégoûter lout lecteur scavaiit il'eu lire davanlai^e. Je ne
souhaite moins, ([uc ces D('i)oiitvcnz, ces humbles Esj)cr(ins,
ces Banniz. de h'essc, ces Esclaves, ces Tfaver.seurs soient
renvoyés à la Table ronde, et ces belles petites devises aux
Gentilzhommes et Damoyselles, d'où on les a empruntées.
Que diray phis ? Je supplie à Phebus Apollon, que la France,
après avoir été si longuement stérile, grosse de luy enl'ante
bien tost un poëte, dont le lue ])ien résonnant lace taire ces
enrouées cornemuses, non autrement que les grenoilles, quand
on jette une pierre en leur maraiz » (p. i49-i;")o). — (( Envieux
souhait, réplique le QuintiL par lequel tu desires les œuvres
d'autruy estre aneantiz, qui ne sont moins dignes de durée
que les tiens, et te mocques de leurs tiltres. qui sont modestes,
et non ambitieux comme le tien, et ne degoustans pas les lec-
teurs (comme tu dis) mais plustost les invitans. Car autant et
plus gracieux est Printemps et Fontaine comme Olive : le Prin-
temps portant aussi belles fleurs, que ton Olive beaux fruictz :
la Fontaine aussi purement coulante et claire, que l'huile de
ton Olive est crasseux et faisant obscure lumière.... » etc.
(p. 2IO - 21 1). On le voit : le Quintil descend vite aux inju-
res. On sent dans cette riposte je ne sais quoi de rageur qui
réconcilie avec du Bellay.
Ce n'est pas le seul défaut de l'ouvrage. 11 est encore
écrit dans un style lourdement pédantesque. L'auteur dirigeait
à Lyon le Collège de la Trinité : le régent perce à chaque
page dans ce factum. Ce professeur de rhétorique traite du
Bellay comme un écolier. Avec une science toujours doctorale
et souvent indigeste, il lui fait son procès — impitoyablement.
Il note à tous les pas les fautes d'orthographe et les fautes de
français; il signale les impropriétés, les incorrections, les
néoiogismes ; il souligne les figures mal venues, les allégo-
ries vicieuses, les périplirases affectées, les métaphores incohé-
rentes ; il relève enfin les manques de logique et prouve à
lo4 .lOACHLM DU BELLAY
son adversaire qu'il ne sait pas raisonner. Et je ne dis pas
qu'il ait toujours tort. 11 est certain, par exemple, que du
Bellay raisonne à faux, en concluant que notre langue n'est
pas barbare de ce que nos mœurs et nos lois ne le sont
point : et le QaintiL est dans le vrai, de l'accuser d'inconsé-
quence : Tu extra vagues, lui dit-il justement, « en la civilité
des mœurs, loix, équité, et magnanimité des courages fran-
çoys, et commémoration de leurs gestes : desquelles choses
n'est icy question : et ne font rien à la langue eslre dicte
barbare ou non barbare » (p. iqS). Il n'a pas tort non plus
de déclarer la Deffence mal composée, (( les chapitres et pro-
pos ne dependans l'un de l'autre, mais ainsi mis comme ilz
venoyent de la pensée en la plume, et de la plume au papier :
tellement que tout l'œuvre est sans propos et certaine con-
sistence, sans thème proposé et certain, sans ordre méthodi-
que, sans œconomie, sans but final advisé, sans continuelle
poursuyte et sans conséquence, tant en l'œuvre universel, qu'en
chacune partie et chapitre d'iceluy, et argumens des cha-
pitres » (p. 193). Pour être hargneux et pédant, Aneau ne
manque ni de bon sens ni de finesse, et l'on s'en aperçoit
surtout lorsqu'on passe de cette criti([ue de la forme à la
critique des idées. >
Il a très bien vu le point faible du retentissant manifeste,
la contradiction intérieure qui s'y trouve dès le principe
entre la langue nationale qu'on veut défendre et l'imitation
de l'Antiquité qu'on propose pour l'illustrer. Il a très bien
vu que c'est un singulier moyen de faire l'apologie d'une
langue, que d'accuser d'abord sa pauvreté pour la déclarer
riche en espérance. C'est fort beau, dit-il à du Bellay, de
blâmer éloquemment (( ces ambicieux admirateurs des langues
grecque et latine », mais il ne faut pas faire comme eux
en disant tout le mal possible de la sienne : (( Tu es de
ceux la, car tu ne faitz autre chose par tout l'œuvre, mesme
l'aTTAQIE r)F, LA (( DKFFKNCIÎ )) ['M')
avi second livre, <[ue nous induire à grcciser et latiniser en
françoys, vitupérant tousjours noslre lornu^ de poi-sie, eoninu'
vile et populaire, attril)uaiit à iceux toutes les vertus et
louanges de bien dire et bien eserire, et {)ar eomparaison
d'iceux monstres la pauvreté de nostre langue, sans y remé-
dier nullement et sans Tenriehir d'un seul mot, d'une seule
vertu, ne bref de rien, sinon (pie de promesse et d'espoir,
disant qu'elle pourra estre, qu'elle viendra, qu'elle sera, etc.
Mais quoy ? quand et comment ? Est ce la défense et illus-
tration, ou plus tost olïense et denigration ? Car en tout
ton livre n'y a un seul chapitre, non pas ime seule sentence,
monslrant quelque vertu, lustre, ornement ou louange de
nostre langue françoyse, combien qu'elle n'en soit dégarnie
non plus que les autres, à qui le sçait bien congnoistre * »
(p. 194-195). — Cette réfutation est inattaciuable. Si le Qiiintil
n'en sait pas plus que du Bellay sur l'origine et la nature
de notre langue, il a du moins cet avantage d'avoir compris
que, dans son état actuel, elle avait un prestige suflisant, et
qu'il y avait quelque inconséquence à l'en dépouiller,
Avec de pareils sentiments, le Qiiintil ne pouvait accepter
la théorie du novateur sur l'imitation. Il la repousse en ctlet.
en enfermant son adversaire dans un dilemme qui tend à lui
prouver que l'imitation est impraticable, si elle porte sur les
mots, contradictoire à ses principes et d'ailleurs impossible
sans traduction, si elle porte sur les choses (p. 201). Sans
doute, il ne rejette pas l'étude de l'Antiquité : la plupart des
' Aneau revient plusieurs fois sur celle idée : « Tu seinltles celuy c[ui ccrclu'
son asne et est monté dessus: el en faisant semblanl de illustrer la langue
françoyse, lu l'obscurcis, et enrichis les autres pour l'apauvrir. luj' ostant
ce que est à elle, au moins par portion, de communauté » (p. 194) — « Il
appert manifestement que soubz couleur et promesse de la défendre, tu la
despoilles et destruytz, en tant qu'en toy est, sans l'enrichir d'une seule
syllabe, qui soit à elle propre, et convenante, eu tout ton cruvre » (|>. It)7i.— •
Il se sentait sur un terrain solide.
156 JOACHIM DU BELLAY
poètes français de son temps, il le reconnaît, « sont exercez
es langues )). Mais il soutient qu'on peut se passer de l'An-
tiquité pour être un bon poète : u Sans lescpielles langues
n'ont pas laissé aucuns d'estre tresbons poètes, et par adven-
ture plus naïfz, que les Grœcaniseurs, Latiniseurs et Italia-
niseurs en B'rancoys : lesquelz à bon droict on appelle
Peregrineurs » ('p. 202). Autrement dit, la connaissance de
l'Antiquité n'est pas nécessaii'e aux poètes et risque plutôt
de gâter leur naturel. Quant à l'Italie, il la rejette absolu-
ment. S'il ne veut pas qu'on (( écorclie » le latin, encore
moins veut-il qu'on (( contremine l'italien en françoys »
(p. 200). Avant Henri Estienne, il se plaint déjà de la
(( corruption italique » qui envahit la France ' . Il accuse les
Italiens de « singerie » ". Il n'a pour Pétrarque lui-même
qu'une admiration assez tiède (p. 212).
Toute innovation est donc condamnée : la poésie n'a rien
de mieux à faii'e que de continuer indéfiniment l'œuvre des
auteurs nationaux dans les formes traditionnelles. Le Qiiintil
prend la défense des vieux écrivains français, que du Bellay
taxait d'ignorance et qu'il rendait responsables de la pauvreté
de notre langue : (( Noz majeurs certes nont esté ne simples,
n'ignorans, ny des' choses, ny des paroUes. Guillaume de
Lauris, Jean de Mcung, Guillaume Alexis, le bon moine de
l'Yre, Messire Nicole Oreme, Alain Chartier, Villon. Meschinot
et plusieurs autres n'ont point moins bien escrit, ne de
moindres et pires choses, en la langue de leur temps propre
et entière non peregrine, et pour lors de bon aloy et bonne
mise, que nous à présent en la nostre » (p. 194)- H prend
de même la défense des vieilles formes poétiques, depuis la
ballade jusqu'au coq-à-l'àne : « Ces nobles poëmes sont pro-
' « Le nom de Patrie esl oI)liquement enlrc et venu en France nouvelle-
ment avec les autres corruptions Italiques » (p. 192).
- « Les Italiens, les dieux en singerie » (p. 20i). — « La singerie de la
passion Ilaiiaae » (p. 203).
L'ATTAQUli DE LA (( DEFFKNCE )) 157
près et peculiers à la langue Irançoyse, et de la sienne, et
propre, et antique invention. » C'est précisément leur dilliculté
qui fait leur mérite : ((Hz ne sortent jamais de pauvre
esprit, et d'autant sont plus beaux que de diilicile facture. »
Loin d'attester notre ignorance, (( ilz tesmoignent la magnili-
cence et richesse de nostre langue, et la noblesse et félicité
des espritz françoys, en cela excedans toutes les poésies vul-
gaires )) (p. 202-2o3). Bien entendu, pour le Quintil, la rime
équivoque est (( la pbis exquise sorte de ryme que nous
ayons » (p. 209). Dans son culte très vif pour la vieille
poésie, Aneau s'en tient aux opinions de Sibilet, qu'il con-
naît et qu'il loue (p. 200). C'est trop dire : il est plus
exclusif que lui, moins ouvert et moins large. Sibilet, à cer-
tains égards, était tourné vers Tavenir : Aneau, lui, ne voit
que le passé : c'est le suprême héritier, le partisan irréduc-
tible des rhétoriqueurs.
Les geni'es nouveaux le trouvent hostile. II s'attache à
démontrer qu'ils ne sont pas aussi nouveaux que du Bellay
veut bien le dire : c( Les noms [sont] changez et déguisez,
au demourant la chose [est! mesme ou pire » (p. 200). II
s'en prend surtout aux deux inventions que du Bellay van-
tail si fort, le sonnet et l'ode (il ne dit rien de l'épopée).
11 laisse entendre qu'adopter le sonnet, c'est remplacer les
genres fixes existants par un autre genre fixe, non moins
compliqué, non moins difficile, et qui n'est, à tout prendre,
— ô la belle invention ! — qu'un liuitain suivi d'un sizain
(p. 206). L'ode est encore plus maltraitée. Ce mot (( peregrin »,
écorché du grec, est une création récente de « ceux qui en
changeant les noms cuydent deguyser les choses ». Mais la
chose existe depuis longtemps sous le nom bien français de
chanson. El si l'ode n'est rien que la chanson, pourquoi
tenir en tel dédain les chansons de Saint-Gelays, (( des choses
si bien faictes » ? (p. 2o3-2o4 ; p. 207-208).
158 JOACBIM DU BELLAY
Au total, le Qiiintil se prononce contre la poésie éruclite
et savante qui s'éloigne du vulgaire. Il repousse cette con-
ception aristocratique de la poésie, à laquelle il oppose la
manière de Marot : (( Toy au contraire commandes d'estran-
ger la poésie, disant que n'escris sinon aux doctes » (p. 2o4).
— Il n"a ])as tout à fait tort. Mais sa conception, à lui,
reste également insullîsante. Lorsqu'il ne fait pas de la
poésie un tour de force comme les rhétoriqueurs, il en fait,
comme les Marotiques, un jeu desprit. Du mot fameux
d'Horace, ut pictura poesis, — (juc d'ailleurs il comprend à
faux — il déduit une contîlusion inattendue : (( La poésie est
comme la peincture. Or la peincture est pour plaire et res-
Jouir, non pour contrister ' » (p. 2o5). C'est la réduire
de parti pris aux mesquines proportions d'un passe-temps
agréable ; cest lui fermer les. grandes sources d'inspiration.
Combien est plus large et combien plus belle la conception
{\\n fail de la poésie un art divin, et du poète le chantre
de toutes les émotions humaines !
IV
('es vives attaques contre la Deffence ne surprirent pas
du Bellay : il les avait prévues. En se faisant l'apôtre d'une
poésie nouvelle, il ne se dissimulait point qu'une telle nou-
veauté « pour le commencement seroit trouvée fort étrange
et rude », et qu'il mettrait en colère les « rhétoriqueurs fran-
çoys )) -. Peut-être cependant n"avait-il pas prévu que la colère
^ Cf. cet autre passage : « Tu nous renvoyés à ces pitoyables élégies
(helas) pour, alors que demandons à rire, nous faire plourer » (p. 203).
- « Or ay je depuis expérimenté ce qu'au paravant favoy assez preveu,
c'est que d'un tel œuvre je ne rapportcroy jamais favorable jugement de
noz retlioricjueurs Fran(,'o.\s. tant pour les raisons assez nouvelles et para-
doxes introduites par moy en nostre vulgaire, que pour avoir (ce semble)
hurté un peu trop rudement à la porte de noz ineptes rimasseurs » (I, 73).
LA IJÉFKNSK l)K LA (( DEFFKNCK )' 159
irait si loin. Toujours cst-il (ju'il jugea nécessaire de répondre
à son tour aux pamphlets lancés contre son ouvrage. A la
fin de i55o, publiant une seconde édition de VOlice ', il
fit précéder sa publication dune longue préface, qui con-
stitue comme une défense de la DeJJ'ence.
Ce qui frappe surtout dans cette préface apologétique,
c'est la fierté dédaigneuse qu'il affecte à l'égard de ses adver-
saires. On dirait vraiment qu'il ne les avait point provoqués !
A l'adresse de Sibilet il écrit : (( Ne t'esbahis donques si je
ne respons à ceulx qui m'ont appelle hardy repreneur : car
mon intention ne feut onques d'auctorizer mes petiz (euvres
par la reprehension de telz gallans ^ » (1, 'j'd-'j^). C'est
traiter l'auteur de VArt Poétique avec un mépris que rien
ne justifie. Pour être gentilhomme et de noble origine, ou
nest pas tenu d'avoir tant de morgue.
Dans sa préface, du Bellay répond en bloc aux factums
dirigés contre lui ; mais beaucoup de ses phrases ont une
portée précise et s'appliquent spécialement à l'un ou à l'autre
de ses adversaires. La courte et sèche riposte de Thomas
Sibilet l'avait piqué au vif. Il lui rend la monnaie de sa
pièce, en reprenant à dessein plusieurs de ses expressions :
« Quelques uns se plaignent de quoy je blâme les traduc-
tions poétiques en nostre langue, dont ilz ne sont (disent-
ilz) illustrateurs ny gaigez ri}' renommez. Aussi ne suis-je.
Mais s'ilz n'allèguent aultre raison, je n'y feray point de
response. Encores moins à ce qu'ilz disent, que j'ay réservé
la lecture de mes ecriz à une affectée deniy-douzaine des plus
renommez poêles de nostre langue. Car je n'avoy' entrepris
' Le privilège est du 3 octobre.
- Dans mon article sur le Quintil, p. iJG. j'ai cru que cette phrase visait
Barth. Aiieau. Je ne connaissais pas alors la préface de ïlphiyène. Je corrige
mon erreur, en faisant remarquer toutefois que les autres arguments invo-
qués en faveur de la date de looO gardent toute leur force.
IGO JOACHIM DU BELLAY
(le faire un catalogue de tous les aultres, mesmes de eeulx
qui ne m'etoient conneuz, ny à leurs noms, ny à leurs
(fiuvres. Ceux dont je ne cherche point les applaudis semé ns
ont occasion de gronder. Aussi me plaisent leurs aboj^s, car
je n'en crain' gueres les morsures » (I, ;j5).
D'autres phrases semblent bien se rapporter au Quintil.
Jai cité ce passage où du Bellay visait sans les nommer
quelques-uns des rimeurs de l'époque et tournait en dérision
les titres prétentieux de leurs écrits de cour, ainsi que leurs
sottes devises. Le Quintil à ce propos l'accusait d'être envieux.
Du Jiellay s'en défend en mettant ses attaques sur le compte
d'une doideur patriotique : « Si j'ay particularizé quelques
ecriz, sans toutefois toucher aux noms de leurs aucteurs, la
juste douleur m'y a contrainct, voyant nostre langue, quand
à sa nayfve propriété si copieuse et belle, estre soui.lée de
tant de barbares poésies, qui par je ne sçay quel nostre
inallu'ur plaisent communément plus aux oreilles françoises,
que les eeritz d'antique et solide érudition » (1, j^)- — ^^
Quintil (p. 2ii) avait amèrement raillé le sonnet final de la
Dejfcnce d à l'ambicieux et avare ennemy des bonnes lettres »,
où l'auteur dès le premier pas se promettait l'immortalité :
Quand à l'honneur, j'espère estre immortel.
Il lui reprochait, non sans raison, tant de vanité. Du Bellay
se justifie comme il peut du reproche, en appelant les an-
ciens au secours : « Si en mes poésies je me loué quelques
fois, ce n'est sans limitation des anciens : et en cela je ne
pense avoir encor' esté si excessif, que jaye pour illustrer
le mien, oU'ensé l'honneur de personne » (I, >5 -76). — Mais
je vois surtout une réponse directe au Quintil dans ce
passage où du Bellay, faisant allusion à l'anonymat gardé
par l'auteur, flétrissait sa critique acerbe et dénigrante.
Aneau, je l'ai dit, avait prétendu faire œuvre de (( correc-
LA DÉFENSE 1>E LA <( DEFFE.NCE » IHl
tion amiable et modeste, sans aucune villanic, injure et
calumnic )). Ou sait comme il avait pi'ati(|ué sa méthode.
Du Bellay lui répond : (( Cculx qui avecques raison me
voudront faire ce bien de me reprendre, je nietlray peine
d en faire mon prolil. Car je ne suis du nombre de
ceulx. qui aynuMit myeux delfcndrc leurs faulles, que les
corriger. Mais si quelques ungs directement ou indirec-
tement (comme on dict) me vouloient taxer, non point
avecques la raison et modestie accoutumée en toutes
honnestes conti'oversies de lettres, mais seulement avecques
une petite manière dirrision et contournement de nez, je
les adverty", qu'ilz n'attendent aulcune response de moy : car
je ne veux pas faire tant d'honneur à telles bestes mas-
quées, que je les estime seulement dignes de ma cholere.
Si quelques uns vouloient renouveler la farce de Marot et de
Sagon, je ne suis pour les en empescher : mais il fault
qu'ilz cherchent aultre badin pour jouer ce rôle avecques
eux » (p. 77-78). — Du Bellay pose ici le fondement d'une
critique toute nouvelle, qui dépouille l'àpreté satirique, pour
être raisonnable, mesurée et polie, qui cesse en un mot d'être
personnelle pour devenir purement littéraire ' : et l'on appré-
ciera sans doute la valeur d'une telle conception, si l'on se
rappelle ce que fut la critique de la Renaissance. Mais pour-
quoi du Bellay n"a-t-il pas le premier appliqué son principe ?
et pourquoi cette préface de V Olive contient elle encore à
l'adi'esse des adversaires tant de mots injurieux et d'épithètes
malsonnantes " ?
Le point capital de cette préface, c'est un retour de du
Bellay sur sa théorie de l'imitation. Vraisemblablement, la
' Cf. Regrels, s. 67.
- Noz ineptes rimasseurs ; V importun croassement des corbeaux ; de telz
gallans ; telz poètes barbares; leurs ineptes œa\>res ; des rnùjnons de telle
farine ; noz petiz rime.urs ; etc.
Univ. de Lille. Tome VIll. A. ]1.
162 .lOACHIM DU BELLAY
critique judicieuse et sensée de Guillaume des Autelz lavait
contraint à réfléchir, et de ces réflexions sortit une théorie
plus précise et plus nette — bien moins servile aussi — que
celle de la Deffence, la théorie de Yinnutrition, suivant le
mot ingénieux de M. Faguet '. Elle consiste pour l'écrivain
à ne pas imiter dans le Jjut dimiter, comme le marquait la
Dejfence, mais à laisser couler de lui, sans y songer, sans le
vouloir, les pensées et les sentiments qu'il a puisés, par un
ancien commerce, dans la lecture des bons auteurs, et dont
il s'est depuis longtemps tout imprégné : (( Si par la lecture
des bons livres, je me suis imprimé quelques traictz en la
fantaisie, qui ajjres, venant à exposer mes petites conceptions,
selon les occasions qui m'en sont données, me coulent beau-
coup plus facUement en la plume, qu'llz ne me reviennent en
la mémoire, doibt-on pour ceste raison les appeller pièces
rapportées ? )) (I, 76). Du Bellay formulait cette fois la véri-
table doctrine de l'imitation littéraire.
Je ne veux pas quitter la prélace de l'Olive sans indiquer
en finissant avec quelle hauteur du Bellay sait parler du
métier d'écrivain et de la dignité du poète. A ses yeux,
l'exercice des lettres ne déroge pas à l'état de noblesse : tenir
la plume vaut autant c[ue tenir l'épée (l, 71). Il faut voir de
(|uel ton il répond aux censeurs charitables qui veulent le
détourner de la poésie comme d'une chose frivole : « Quand
à ceux qui blasment en moy cet étude poétique, comme
totalement inutile, s'ilz veulent combatre contre la poésie, elle
a des armes pour se deffendre : s'ilz plaignent l'erapeschement
de ma promotion, je les remercie de leur bonne volunté. Ceux
(pii ayment le jeu, les banquetz et aultres menuz plaisirs,
qu'ilz y passent et le jour et la nuict, si bon leur semble.
Quand à moy, n'ayant aultre passetemps de plus grand plaisir,
' iieizième siècle, p. 2\i.
LA DÉFENSE DE LA (( DEFFE.NCE )) 163
je donneray voulunlicrs quelques heures ù la poésie » (1, 78).
Et ce qui n'est pas moins remarquable que cette bravade
lancée à l'opinion , cest lindépcndance qu'il revendique pour
sa petite muse : « Je te pi'ie don(iucs. amy lecteur, me faire
ce bien de penser, (jue ma petite muse, telle qu'elle est, n'est
toutefois esclave ou mercenaire, comme d'ung- tas de rymeurs
à gaiges : elle est serve tant seulement de mon plaisir n
(I, ^8). Voilà de tîei's accents, et qu'on chercherait en vain
chez un disciple de Marot ' !
11 est juste de rattacher à la préface de l'Olive^ deux
poèmes qui parurent avec elle, et qui, par leur caractère
polémique, se rapportent à cette querelle : la Musagnœoma-
chie et l'ode à Ronsard Contre les envieux poètes '. Tous
deux présentent de curieuses analog^ies : même ordre d'idées,
même type de strophe ', même usage de l'allégorie et des
fictions mythologiques .
La Musagnœomachie, ou la Guerre des Muses et de
rignorance, est une œuvre étrange, dont la première idée
semble bien être venue à l'auteur du petit poème héroï-
comique, la Batrachomjyomachie *. En l'olfrant au public, du
' Epilogue (ie la querelle : — du Bellay se réconcilia sincèrement avec
Sibilet, auquel il dédia le s. 122 des lleyrels, et dont il loua Vlpluyénie (II,
f)ij et 8j). Dl- même avec Guill. des Autelz, qu'il vit à Lyon, lors de son pas-
sage pour gagner l'Italie (11, 14i). Quant à l'auteur du Quinlil, il eut beau
par la suite saluer en du Bellay lun des « bons poètes de présent ))[Méta-
rnorpfiose d'Ovide, l.ioB) : ,je ne vois pas ([u'il ait reçu de lui le moindre
signe dattenlion.
- Marty-Laveaux, I, 13'.1 et 1G2.
^ Strophe de douze vers heptasyllabes du type ababbccddede.
' Str. 3 :
Homère premier sonna
Et les raz et les grenouilles. (I, 140).
1G4 .lO.VCHl.M DU BELLAY
Bellay le prévient de ce qu'il a voulu foire : (( Mon inten-
tion n'estoit alors d'écrire une hystoire, mais une poésie »
(1. j9). Sans être une histoire, la Musagnœomachie a quel-
que chose dun pamplilet, et c'est là le seul intérêt de ce
médiocre badinage.
Au fond d'un antre ténébreux, que le Silence emmure et
d'où le Léthé prend sa source, le Sommeil tient l'ig-norance
embrassée. La Terre en courroux l'a jadis vomie contre le
Ciel avec les Géants. Ce monslre surpasse en horreur les
monstres les plus hideux de la fable : il a les lèvres du
lion, les oreilles de l'àne, les pattes de l'ours, le nmseau de
la lau[)e.,.. Autour de lui, toute une armée s'agite : la
Fraude, le Faux-Conseil, la Discorde suivie d'Ambition et
d'Orgueil, l'Envie, la Cruauté, la Malice, l'Av^arice, les Plai-
sirs éphémères, l'Oisiveté, nourrice des Désirs impudiques, les
longs Regrets et la Mort de lame. — Tout ce début est
plein de mauvais goût, et si je l'analyse, c'est pour faire voir
combien du Bellay, dans ses premiers ouvrages, a de peine
encore à se dégager de certains procédés chers à la vieille
école : ce novateur intransigeant prodigue lallégorie à légal
d'un rhétoriijueur.
Mais cela n'est que l'accessoire : nous arrivons au principal.
L'Ignorance a vu s'élancer contre elle toute une troupe d'en-
nemis. Pour lui donner la chasse, se sont levés soudain, à
l'exemple de François I^i, les rois, les princes, tous les grands
personnages de la Cour, — et puis la vaillante et noble phalange
des écrivains chéris des Muses :
Le grand visage des cicux.
Quand le char de la nuit erre,
Ne rit avecques tant d'yeux
A la face de la terre :
Et l'Inde riche n'enserre
Tant de perles et thesors,
LA DKFENSi: UE LA U IJLFrKNCF. )) 16o
Que la France dans son corps
Cache dent'ans poétiques :
Qui en sonnez et canti(iues.
Qui eu ti'a^i((ues sangloz
Font revivre les antiques,
Au seing de la mort enclos. (1, i^^-i^-^)-
Et ces doctes auteurs, « (/ui font revivre les antiques ». du
Bellay dit leurs noms ' : c'est Caries, Héroët, Saint-Gelays,
(( les trois favoris des Grâces », Yutiledoux Rabelais. Boujn,
Scève, Salel, Jacques Peletier et Jean Martin, Maclou de la
Haye et Salmon Macrin, beaucoup d'autres encore, qui
s'avancent, guidés pai- l'étoile du grand Baïf, sous la savante
conduite de Dorât aux vers dor et du n Pindare François »,
A tous ceux-là du Bellay lance le cri de guerre :
Sus donq, divine cohorte,
Qu'on ouvre la double porte
Du mont qui se fend en deux,
Afin que la guerre sorte
Dessus le Monstre hideux. (I, i4o-i4<J).
Je ne suivrai pas le poète dans le récit de ce combat,
auquel il a soudé tant bien que mal une gigantomachie.
Quelques vers à la tin marquent l'orgueil de la victoire :
Là diront mile cantiques
Les jeunes, qui ont choisi
Le thesor presque moisi
De la vieille Poésie. (I, i52).
Ces vainqueurs de l'Ignorance, ces jeunes restaurateurs de
l'antique Poésie, on les connaît: c'est la Brigade, dont l'appa-
rition triomphale a fait rentrer dans le néant les derniers
' Peut être l'idée première de eettc énumération vient-elle il'un passajre
les Cominentarit Lingiiae Latinae d'Etienne Dolet, que cite Christic
mienne Dolet, trad. C. Stryienski, 1886, p. 245).
166 JOACHIM DU BELLAY
suppôts de l'ancienne école, — quitte à onvi'ir ses rangs aux
survivants les plus illustres.
Je dirai peu de chose de l'ode à Ronsard Contre les
envieux poHes. Tout d'al)ord, Joachiin y retrace le rôle de
Ronsard et le sien pi'opre dans la nouvelle poésie : à son
ami la gloire de Vofle, à lui-même celle du sonnet. 11 part
de là pour attaquer leurs conununs envieux. Son portrait de
l'Envie, qui se consume au fond de son pâle manoir, (( plâ-
tré de sang vert et noir », et qui crache le venin des , cou-
leuvres, est dans le goût de son portrait de l'Ignorance.
Pareils à des chiens enragés, les envieux grondent après les
neuf Sœurs : Apollon, ce soleil, les fait fondre « comme la
neige » : tel jadis il triompha de Marsyas. L'antithèse une
fois posée, le poète la développe en une série d'images
incohérentes, en opposant les ruisseaux fangeux formés par le
Styx aux fleuves courants sortis du Parnasse, la noirceur des
Corbeaux à la blancheur des Cygnes, le babil des Pics aux
chansons des Muses. Ces oripeaux mythologiques ne doivent
pas nous faire perdre de vue l'intention polémique de la
pièce : elle ai)paraît dans cette strophe où du Rellay peint la
noire gent des corbeaux envieux, qui
Troublent d'un son eclattant
Les nouveaux Cignes, qui ores
Par la France vont chantant. (I, t6").
CHAPITRE VI
L ' « OLIVE »
1549-1550
I. — Les deux éditions de 1 ' « Olive ». — La part que du Bellay
a prise à l'introduction du sonnet en France. — Pontus
de Tyard et du Bellay.
II. — L'imitation de Pétrarque et des Italiens.
III. — M"' Viole et du Bellay : le roman d'amour dans 1' « Olive ».
IV. — Les deux thèmes de 1 ' « Olive » : beauté de la dame, amour
du poète.
V. — Les variations sur les deux thèmes. — La nature. — La
mythologie — Les figures de rhétorique. — La préciosité.
VI. — L'idéalisme platonicien et l'inspiration religieuse. — Les
« XIII Sonnetz de l'honneste Amour » ilSSS).
VII, — La réaction contre le pétrarquisme. — L'« Antérotique »
(1549). — La pièce « A une Dame » (1553). — La valeur
et l'influence de 1' « Olive ».
Joachim du Bellay débuta dans la poésie dès i549 par un
recueil de sonnets suivi d'un recueil d'odes Ainsi, son premier
ouvrage poétique apparaissait comme une application du prin-
cipe qu'il venait de poser : la double imitation de l'Italie et
de l'Antiquité.
16S JOACHIM DU BELLAY
11 avait dit dans la Deffence : « Sonne nioy ces beaux
Sonnets, non moins docte que plaisante invention italienne »
(p. ii6). Et, joignant l'exemple au précepte, il donnait sous le
nom di Olive une suite de cinquante sonnets, inspirés de
Pétrarque '. Ce n'était qu'un essai : lauteur, qui craignait
qu une telle nouveauté ne fût trouvée « étrange et rude »,
voulait, comme on dit, tàter son public ^ L'œuvre ayant
réussi, du Bellay, l'année suivante, l'augmenta dans des pro-
portions très considérables, et Y Olwc au complet, comptant
cette fois cent quinze sonnets, parut à la lin de i55o '\ Aucune
différence sérieuse ne distinguant les deux éditions, j'étudierai
Y Olive dans son ensemble.
I^' Olive a beaucoup fait pour acclimater le sonnet en
France :
Par moy les Grâces divines
Ont faict sonner assez bien
Sur les rives Angevines
Le Sonnet Italien,
s'écriait du Bellay, parlant de son premier recueil (I, 164).
Mais quelle est au juste la part qu'il a prise à l'introduction
de ce genre nouveau ?
Sainte-Beuve donne au chantre d'Olive l'honneur de nous
avoir enrichis du sonnet :
Du Bellay le premier l'apporta de Florence,
' L'Olive et quelques autres œuvres poëticques. Le contenu de ce livre :
Cinquante Sonnetz à la louange de l'Olive. L'Anterotique de la vieille et de
la ieune Amye. Vers Lyriques. Par /. D. B. A. Caelo Musa beat. Paris,
Arnoul l'Aiio^dier, l;)49, in-8". Même privilège que pour la Deffence : 2U mars
1548 (n. s. IdW). — Les 50 sonnets qui composent cette 1" édition sont les
suivants : 1-22, 24-31, 33-39, 41-4^^, 4o, 47-49, ol, 32, 54, 35, 57 et 59.
- « Prolestant, si je congnois que ces fragmentz te plaisent, te laire liicn-
tost présent de l'œuvre entier. » Préf. de la l"' édition (I, 6S-69).
^ L'Olive augmentée depuis la première édition. La Musagnœomachic et
aullres œuvres poétiques. Paris, Gilles Corrozit et Arnoul l'Angelier, 1530,
in-8\ Privilège du 3 oct. 1550.
L ' (( OLIVE » 169
Sous cette l'orme al)solue. l'opinion est inexacte. Si Ton en
croit (lu Bellay lui-niènie (1, 712), c'est à Mellin de Saint-
Gelays que cet honneur revient '. En même temps ([ue lui.
Clément Marot en faisait quelques-uns : on en peut lire une
dizaine dans ses o'uvres, dont six sont traduits de Pétrar([ue '.
Et l'exemple donné par ces deux poètes rencontrait des
imitateurs. Sans parler de Marguerite de Navarre ' et de Maur
rice Scève ', Jacques Peletier, dans ses Œiwj'es Poétiques (i547)
insérait quinze sonnets, sur lesquels douze étaient empruntés
à Pétrarque ^ Un très obscur docteur es droits, Yasquin
Philieul de Carpentras, entreprenait la complète traduction du
poète Uorentin, et publiait en i548 le premier livre de
Laure d'Avignon, soit 196 sonnets de Pétrarque rendus par
autant de sonnets français ^ Enfin, la même année, Thomas
Sibilet, qui faisait précéder son Art Poétique d'un sonnet (( à
l'Envieux », constatait en ces termes la vogue du nouveau
genre : « Tant y a que le sonnet aujourd'huy est fort usité,
et bien receu pour sa nouveauté et sa grâce ^ » Ainsi, cette
* A la vérité, son petit recueil de lo47 (Saingelais. Œuvres de luy tant
en composition que translation) ne contient qu'un sonnet, qui remonte
peut-être à 1.^3G (édil. Blancliemain. I, 78). Mais très certainement il en
avait comijosé d'autres. On sait qu'il avait pour principe de produire sans
imprimer.
' Édit. P. Jannet, 1, 116 ; 111, o9, 62, 76 (Épigr. 144, to2, 187) ; 111, 148-lol.
' Les Chansons spirituelles de Marguerite se terminent par un sonnet
(édit. F. Frank. 111, 163).
* Les Marguerites de la Marguerite des Princesses et la Sujte des Mar-
guerites s'ouvrent par deux sonnets signés M. SG, cjui sont, à n'en [)as
douter, de Maurice Scève.
^ Édit. orig., f" 2 r", 36 v», ii!) ro-3'J r°.
" Laure d'Avignon. . . par Vaisquin Philieul de Carpentras. Paris, Jacques
Gazeau, 1348. (Arsenal. — B. L. 4429). Les 196 sonnets cjui comiioscnt ce
premier livre sont en vers décasyllabes, à l'exception des s. 71 et 100, qui
sont en vers alexandrins. 11 comprend en outre 24 chants (canzones). —
La traduction complète des œuvres vulgaires de Pétrarque par Vasquin
Philieul parut en l.ooj, divisée en quatre livres. Avignon, Ijartliélemy
Bonhomme, in-8". (Bibl. Xat. — liés. Y^". 1134).
' Liv. 11, chap. 2.
170 JOACHIM nu BELLAY
forme de poésie, cultivée par la jeune école au point d'être un
de ses caractères distinctifs, fut bien réellement introduite par
l'ancienne, et Ion ne peut sans injustice réclamer pour l'au-
teur de l'Olive une innovation dont tout l'honneur revient à
l'école de Marot.
Seulement. Marot et ses amis n'avaient fait que cueillir
des Heurs : du Bellay, plus artiste, tressa une couronne. C'est
lui qui le premier s'avisa d'une suite de sonnets, se ratta-
chant tous à la même idée, roulant sur un sujet unique. Voilà
proprement son mérite dans \ Olive, et c'est là sans doute ce
qu'entend Pasquier, lorsqu'il salue en du Bellay « celuy qui
premier aporta l'usage des sonnets * ».
11 est vrai que ce mérite, on a voulu le reporter sur
Pontus de Tyard ^ On allègue que Ronsard, dans son Elégie
à Jean de la Péruse, après avoir loué le poète de V Olive,
rend à Pontus ce témoignage :
Long- temps davanf. d'un ton plus haut que luy,
Tyard chanta son amoureux ennuy *.
Mais on oublie que Ronsard, qui parlait de la sorte en
i584- pour flatter lévêque de Ghalon, avait précisément dit
tout le contraire en i55'3, dans le texte primitif de cette même
élégie :
Apres Tiard, amoureus comme lui,
D'un autre vers souspira son ennui *.
' liech. de la France. VI, 7.
- Aljel Jeandet, Pontus de Tyard, seigneur de Bissy, depuis évéque de
Chalon, Paris, .\ubry, 1860, p. 189-191.
' Blanchemain, YI, 44.
' L'Eléf/ie à I. de la Péruse se trouve à la p. 177 du Cinqieme des Odes
de P. de Ronsard.... Paris, V^e M. de Laporle, 1553. in-8". Privilège du
6 sept. Ifiiii. (lîibl Nat. — liés. Y'. 4770). — Etienne Pasquier, qui semble
n'avoir eonnu (|ue le dernier texte de Ronsard (VI, 7; VI, 11), relève judieieu-
scnient Tinexaclitude eoniniise : « Il s'abuze, et je m'en croy, pour l'avoir veu
et observé. » Mais il se trompe à son tour en ajoutant : » L'Olive eouroit i)ar
la France deux ans, voire trois, avant les Erreurs .\nioureuses de Tiart. »
L ' « oLivi-; » 171
Cette élraiiye paliuoilie. ([ui l'ait peu triionneur à Ilonsard,
ne prouve rien contre du lîellay. — Le simple rapproche-
ment des dates parle assez eu faveur du poète angevin. La
première édition de Y Olive parut vers Pâques i549 ; le pre-
mier livre des Erreurs Amoureuses ne vit la lumière qu'au
mois de novembre ', après une demi-année. Je sais bien que
Pontus s'est avisé d'un artifice assez subtil pour faire croire
à son antériorité : à la lin de Tépître A sa Dame qui pré-
cède son premier livre de sonnets ", il a mis la date de î548.
Mais qu'on prenne garde : cette date ne se trouve pas dans
l'édition princeps de i549 ' mais seulement dans la troisième,
l'édition complète de i555 ', parue alors que du Bellay était
en Italie. — Plus tard encore, en lô^S, publiant toutes ses
œuvres, il eut l'art d'insinuer que la poésie française lui
devait autant qu'à Ronsard et du Bellay, qu'il avait avant
eux haussé le style des vers, que ses premiers essais remon-
taient à trente ans '. S'il disait vrai, les plus anciennes
pièces des Erreurs amoureuses seraient de i543. Pour ma part,
* Le privilège est du 13 sept. 1.J49 ; l'achevé d'imprimer est du o nov.
2 Œuvres de Pontus de Tyard, édit. Marty-Laveaux, p. 10.
' Je l'ai vérifié par moi-même, sur l'exemplaire de l'Arsenal, B.L. 92!)0
(Réserve)
' Bibl. Xat. — Rés. Y'. 1677.
^ (( J'ay fait recueillir mes vieilles et nouvelles Poésies en un, . . . vous
suppliant de prendre garde, par le 111 de ceste longue continualion com-
mencée il y a trente ans, combien entre nous a esté la mutation du stile
poétique estrange, et grand et louable le progrez et avancement qu'a fait
nostre langage François depuis ce temps. Je commençay fort jeune d'aimer
et d'honorer la beauté et les (grâces, et de mesme aage fuz eschauffé de
l'ardeur d'Apollon. Toutesfois n"ayant aucun devant moy, qui en François
eust publié Poëmes respondans à Televation de mes passionnées conceptions,
je ne fuz aidé que de la force de la beauté qui me commandoit, pour com-
plaire à laquelle je mis peine d'embellir et hausser le stile de mes vers, plus
que n'estoit celuy des rimeurs qui m'avoient précédé : comme aussi mes
affections passionnées pour un objet très-excellent dévoient estre plus
hautes et plus belles Mais au mesme teiips que je fiz prendre Vair à mes
Poc'sies, sortirent en lumière les œuvres de Ronsard Vandomois et du Bellay
Angevin, lesquels le Parnasse François receut, comme fils aisnez des Muses,
et les favorisa du plus riche partage. » Edit. Marty-Laveaux, p. 1-2.
172 JOACHl.M DU BELLAY
je le soupçonne d'avoir arrondi le chiU're, et je crois sentir
dans ses confidences un secret dépit contre Ronsard et du
J3ellay qui l'avaient non - seulement prévenu, mais encore
éclipsé. Au surplus, pour n'èlre pas injuste envers Pontus de
Tyard, je dirai, si l'on veut, qu'il conçut en môme temps
que Joachiin celte idée dune suite de sonnets traduisant ses
pensées amoureuses '. Tous deux, suivaient un mouvement :
Saint-Gelays, Marot, Peletier avaient ouvert la voie : il était
natui'el qu'on poussât plus loin qu'eux, qu'on fît succéder les
sonnets enchaînés aux sonnets détachés, — d'autant plus que
Pétrarque en offrait le modèle. Joacliim et Pontus travaillè-
rent parallèlement, à linsu l'un de l'autre, je le veux bien :
mais je réclame pour mon auteur le bénéfice de la priorité
dans la publication. J'ajoute qu'on ne saurait lui refuser non
plus celui de la supériorité poétique. Sans être excellents,
les sonnets de du Bellay sont bien nteilleurs que ceux de
Pontus de Tyard, et, si la valeur d'une œuvre décide de
son influence, il n'est ([iie juste de conclure que V Olive a plus
fait pour acclimater le sonnet en France que les Erreurs
Amoureuses -. Saluons donc en du Bellay le père du sonnet
français, non (ju'il l'ait introduit le premier, mais parce que
le premier, suivant un mot spirituel, (( il obtint pour lui des
lettres de grande naturalisation ^ ».
• Remarquons toutefois que les Erreurs Amoureuses n'olFrent pas comme
l'Olive un« i)ure succession de sonnets, mais (ju'il s'y mêle aussi des clian-
sons, des épigrammes, des rimes tierces et des sextines.
- Turquety, dans son Étude sur J. du Bellay {Bulletin du Bibliophile,
nov. I86i, p. 1138-1142), revendique jalousement pour Joacliim contre Pontus
l'honneur d'avoir le premier fait fleurir le sonnet. Toutes vérilications faites,
sa démonsiration est de la plus rigoureuse exactitude.
•'' A. P, Lemercier, Vauquelin de la Fresnaje, p. 144. — Celte partie de
mon travail était rédigée, quand j'ai connu l'opuscule de Pllânzel. Je constate
avec surprise que la question relative à Pontus de Tyard est à peine abordée
(p. 13-14). Pour le dire en passant, cet opuscule contient de graves erreurs
clironologiques qu'il était facile d'éviter en consultant d'un peu plus près
les notes de l'édit. Marty-Laveaux. C'est ainsi que l'auteur (!>. 18) place dans
L ' « OLIVE » ITii
II
Chez Pétrar(|ue et les lUiliens, le sonnet était consacré
presque exclusivement à la peinture des sentiments amoureux.
C'est avec ce caractère quil passa dans notre poésie : « La
matière facécieuse, écrit Sibilet, est répugnante a la gravité
du sonnet, qui reçoit plus proprement affections et passions
grèves, mesmes chés le prince des Poètes Italiens, duquel
l'archétype des sonnetz a esté tiré '. » Plus tard, du Bellay
conçut le sonnet hiunoristique et satirique, . et ce fut à coup
sûr une de ses créations les plus originales ". Mais en 1049,
il n'y voyait comme tout le monde qu'une forme rythmique
merveilleuse i)our exprimer les émotions tristes ou graves, et
surtout les douceurs et les peines de lamour. Tout au plus
tendait-il à lui donner pour conclusion quelque trait gracieux
ou saillant, à la manière de Tépigramme ' : innovation inté-
ressante, qui devait le conduire dans la suite à finir ses
sonnets par une pointe.
le Recueil de Poésie de l.')i9 les Sonnets à la Royne de Navarre qui, com-
posés peut-être (?) vers cette époque, n'ont paru qu'en 1561. C'est ainsi encore
qu'il donne comme publiés en lao2 les Amours, qui n'ont été composés cju'en
la'JO et publiés qu'en lo69. C'est là- dessus cju'il se fonde et sur une date
erronée du séjour à Rome (lijol-loijo) pour soutenir (p. 21-22) que du Bellay
fut certainement le premier, non Ronsard, qui lit des sonnets en alexandrins.
* Liv. II, chap. 2.
- Cf. Vauquelin de la Fresnaye :
Ce fut toy, Du-Bellay, qui des premiers en France
D'Italie attiras les Sonefs amoureux :
Depuis y séjournant^ d'un goust plus savoureux.
Le premier tu les as mis hors de leur enfance.
Édit. Julien Travers, t. II, p. 702.
^ 2' préf. de VOlive : « Quelques ungs vojans que je linissoy', ou m'efïor-
çoy' de finir mes Sonnetz par ceste grâce, qu'entre les aultres langues s'est
faict propre l'Epigramme françois, diligence qu'on peult facilement recon-
gnoistre aux œuvres de Cassola Italien, disent iiour ceste raison, que je l'aj^
imraité, Jjien que de ce temps la il ne me feust congneu seulement de nom,
ou Apollon jamais ne me soit en ayde » (1, 76).
174 JOACBIM DU BELLAY
{.'Olive est un recueil de sonuets pétrarquistes. Il n'entre
pas dans mon sujet d'analyser le pétrai-quisme et d'en retracer
l'histoire '. Je nai pas à redire ici ce que fut l'amour de
Pétrarque pour Laure de Noves et de quelle âme il la chanta
dans son Canzoniere : comment, dans l'ilalie du xyi^ siècle,
toute une école de poètes, à la suite de Bembo, s'inspira de
Pétrarque, se fit une loi de l'imiter religieusement, essaya de
lui dérober son génie en lui prenant ses idées et son art,
ses expressions et ses tournures, et jusqu'à ses défauts ;
comment enfin le pétrarquisme s'introduisit en France par
l'école lyonnaise, en se mêlant très fortement de platonisme
dans l'œuvre d'Héroët et de Maurice Scève ■. Je dois remar-
quer pourtant que l'admiration de Joachim du Bellay ne
s'adressa pas seulement au grand poète que fut Pétrarque,
mais encore, et d'une manière égale, à toute la foule de ses
imitateurs ; il confondit dans le même culte les disciples et
le maître ; il ne vit pas l'écart immense qui séparait de son
ardente passion leur amour factice et conventionnel. Cette
remarque est nécessaire, si l'on veut mesurer l'exacte valeur
de V Olive.
Bien loin de s'en cacher, du Bellay s'est fait un titre de
gloire d'imiter Pétrarque et les Pétrarquistes : « Vrayment je
confesse avoir imité Pétrarque, et non luy seulement, mais
aussi l'Arioste et d'autres modernes Italiens, pource qu'en
l'argument que je traicte je n'en ay point trouvé de meilleurs :
et si les anciens Romains pour lenrichissement de leur
langue n'ont fait le semblable en l'imitation des Grecz, je suis
content n'avoir point d'excuse » (I, Gq). Il faut marquer très
nettement le caractère de cette imitation.
1 Sur ce point, v. la thèse de M. Piéri.
- Pour ce point, quelque peu négligé par M. Piéri, v. Bourciez, op. cit.,
liv. 1, cliap. IV.
L ' (( OLIVE » 175
Du Bellay doit beaucoup à Pétrarque '. On peut dire qu'il
l'imite à chaque page, mais sous des formes très diverses ^
Souvent il emprunte à Pétrarque l'idée générale d'un sonnet,
qu'il développe pour son compte, d'une manière plus ou moins
indépendante de son modèle '. Quelquefois, il emprunte sim-
plement un procédé de rhétorique pour mettre en relici' la
pensée : tel, un développement par antithèses ^ ou par excla-
mations ', ou bien encore par énumération ''. Très souvent
aussi, les emprunts sont plus directs, et l'imitation n'est
guère qu'une traduction. Il arrive que du Bellay traduise un
sonnet mot à mot ', ou qu'il en fasse une paraphrase très
rapprochée ^ D'autres fois, d'un sonnet il ne traduit qu'une
partie : tantôt, deux quatrains et un tercet ' : tantôt deux qua-
trains seulement'"; tantôt un simple quatrain "; tantôt un vers
isolé :
Je ne croy point que de douleur on meure. (O. ij(j).
...Aé credo cliiioni di dolor inora. (S. aSo).
Seul et pensif par la déserte plaine... (O. 84)-
Solo e pensoso i pin deserti campi. . . (S. 28).
Si longue foy peult mériter merci... (O. 88).
S' onesto ainor pu ineritar mercede. . . (S. 288).
' Mes renvois à Pétrarque se réfèrent à lédition Giov. Mestica, Florence,
Barbera, 1896. — Sur cette édition, v. un art. de M. de Nolhac, Revue critique,
1896, t. I, p. 233.
-' Dans les notes suivantes, O. désigne ïOlive, S. et C. les Sonnets et les
Canzones de Pétrarque.
3 O. 2 = C. 23, str. o ; (3. 'j = S. 3 ; O. 11 = S. 156 ; O. 36 = G. 18, str. 1 ;
O. 77 = S. 129 ; O. 98 = C. 19 ; O. 103 = S. 19û ; O. 113 = S. 126.
'^ * O. 26 = S. 104.
3 O. oa = S. 128
« O. 57 et 76 = S. 113 ; O. 96 = S. 271.
' O. 93 = S. 193 ; O. 94 = S. 134.
» O. 27 = S. 187 ; O. 31 = S. 9 ; O. 65 = S. 178.
« O. 69 = S. 192 ; O. 89 = S. 269.
i« O. 63 = S. 2 : O. 67 = S. 120.
" O. 33 = S. 47 ; O. 68 = S. 6 ; O. 70 = S. 19 ; O. 8.^ = S. 148.
176 .lOACIII.M DU BKLLAY
Enfin, il emprunte à Pétrarque des jeux d'esprit \ des images %
des alliances de mots, des épithètes, des détails de style,
qu'on ne pourrait relever que dans une édition annotée de
VOIire.
Il doit presque autant à l'Arioste, si l'on considère que
sur 3i sonnets amoureux composés par ce poète, il s'en est
approprié jusqu'à huit par voie d'imitation, et souvent de
traduction pure '. Plusieurs sonnets de VOlive présentent
même à la lois des souvenirs de l'Arioste et de Pétrarque ".
Je m'attendais à retrouver aussi chez du Bellay quelques
souvenirs de 13embo : mais mon attente a été trompée. On
saisit bien entre les deux poètes de vagues rapports d'idées :
je n'ai pu constater aucune traduction directe, aucune imita-
tion précise.
Il va sans dire que du Bellay, comme il s'en vante lui-
même, s'est parfois inspiré des poètes pétrarquistes de son
temps '. Mais comment aujourd'hui parvenir à fixer ces
emprunts, parmi tant de recueils dont la plupart sont introu-
vables '^ ? Ce qui précède sufiit, je crois, à montrer que la
1 11 joue sur Olive cl Volivler connue Pétrarque sur Laure cl le laurier.
- Ainsi, le diamant, (). 3."J = S. iS.) ; le cerf blessé, O. 70 = S. 174.
^ O. ;j (tercets) = Mal si compensa fahi lasso) un brève sguardo ; 7 =
Madonna sete bella, e hella tanto ; 8 = Com' esser piio che degnamente lodi;
10 = La rete fii di queste Jila d'oro ; 11 = Cldiiso era il Sol da un tenebroso
vélo ; 18 ■= Altri lodarà il viso, altri Le chiorne ; 30 = Bén che l martir sia
periglioso e grave ; 33 = O avvenluroso carcere soave. — Le liirne di M. Lodo-
vico Ariosto Venise, 1546. (lîibl. Nat. — Y''. ")8[)2).
* C'est le cas, par exemple, pour les s. 3, 11, 33. Dans le s. 33, le 2' qua-
train vient de Pétrarque, le l^' quatrain et les tercets de l'Arioste. Du Bellay
prati(|ue la contarninatio.
' Ainsi Pasquier, dans une lettre à Tabourol {Lettres, VIII, 12), nous
apprend que le s. l'J de VOlive, en vers rapportés, « est desrobé d'un Italien,
et rendu fort lidellenient en nostre langue ». Suivant La Monnoye, cet Ita-
lien est Martelli (Œuvres de Saini-Gelays, édit. elzév., t. 1, p. 301).
" Un savant jurisconsulte Ij'onnais, André de Rossant, avait composé
sur ÏOlive, d'après La Croix du Maine (I, 20), « de très-amples commen-
taires.... contenant tant de matières diverses que, s'ils éloicnt imprimés,
ils passeroient la grosseur d'un juste volume ». En dépit du fatras certain,
L ' (( OLIVE » 177
part (rimitation est trt's grande tlans VOlive. En présence de
cette imitation volontaire, préméditée, Systématicpie, imc ([ues-
tion vient aux lèvres : qu'y a-t-il de réel et de \ rai dans
l'amour du poète pour Olive ?
III
\5nQ ancienne tradition prétend que du Bellay, sous le
nom d'Olive, aurait chanté par anagramme une jeune fille de
grande maison. M"'^ Viole. Marcassus dit tenir le fait de
M. Garnier, « excellent poëte de ce temps » '. Golletet, sans
citer ses garants, déclare le savoir de bonne source % et
Ménage raconte qu'il a su cette particularité de M. Guiet,
« qui l'avoit apprise d'un ami de du Bellay » ^ Biographes
et critiques sont d'accord pour admettre que Ml'' Viole était
nièce ou parente de Guillaume Mole, qui devint évêque de
Paris (déc. 1.563), après la démission d'Eustache du Bellay.
L'accord cesse, lorsqu'il s'agit de déterminer quel était son
lieu d'origine. Ménage et Goujet font d'elle une Angevine,
tandis que Golletet atfirme hautement qu'elle était Parisienne.
Sainte-Beuve se range à l'avis de Golletet *, et M. Ballu cer-
tifie qu'on ne trouve en Anjou aucune famille du nom de
Viole \
Pour moi, faut-il le dire? je ne suis pas bien sûr qu'Olive
la perte de ce coiuuientaire est profondément regrettable André de Rossant
indiquait sans doute, comme Muret et Belleau pour les Amours de Ronsartl,
l'origine insoupçonnée de maint sonnet de VOLive.
' Commentaire sur la 3' Eclogiie de Ronsard. — Blancliemain, t IV,
p. G2, n. 1.
- Copie mscr., f" 49 v° .
3 Anti-Baillct, chap. cix. — Édit. de 1730, p. 229-230.
* Notice sur J. du Bellay, p. 339.
'" Ballu, p. ux, n. 1.
Univ. de Lille To.me YIII A. 12.
178 .lOACHlM nu BELLAY
ail jamais existé. Certain passage de du Bellay lui-même
m'inspire un doute à ce sujet :
Si est-ce pourtant que je puis
Me vanter qu'en France je suis
Des premiers qui ont ozé dire
Leurs amours sur la Thusque lyre.
Et mon Olive (soit ce nom
U Olive véritable, ou non)
Se penlt vanter d'avoir première
Salué la doulce lumière '. (11, 329).
Je remarque d'ailleurs qu'après avoir dédié la première édi-
tion de V Olive (( à sa Dame » (I, (3;^), il supprima cette
dédicace pour offrir la seconde à Madame Marguerite (I, 70),
et je nu; demande si l'on fait pareil afïront à quelqu'un que
l'on aime.
Toujours est-il que son roman d'amour avec Olive se
réduit à fort peu de chose. Pétrarque avait rencontré Laure,
dans ime église d'Avignon, le G avril i32^, à l'ollice du ven-
dredi saint. G'ei^t à la messe de minuit, le jour de Noël, que
du Bellay a fait la rencontre d'Olive (s. 5). Amour l'a frappé
d'une llèche : (( le coup au cœur par les yeux descendit ».
Et depuis, le poète se consume pour elle. Il nourrit en son
àme un amour sans espoir. Car Olive est inexorable, et, quoi-
qu'il parle de la douceur de ses baisers (s. 33, 44)' J6 ne
vois pas qu'il ait jamais reçu d'elle autre chose qu'un (( voile
blanc » — traduisez un mouchoir — brodé d'une branche
d'olivier (s. 72). Cet amour, ce semble, aurait mal fini : un
rival détruisit le bonheur du poète, du moins si j'en juge par
deux sonnets violents contre la Jalousie (s. 99, 100). Peut-être
' Cf. Baïf :
Jîcllay cliaiita, soit ou feinte ou naïve,
Sa prime ardeur sous le doux nom d'Olive.
Édit. Marty-Laveaux, I, 8.
L ' (( OLIVE » 179
Olive s'était elle laissé séduire par la f(M'tuue : une iMii)réca-
tion du poète contre l'or permettrait de le supposer (s. loi,
102) '. L'inconstance de sa maîtresse n'empêcha pas du Bellay
de bien prier pour elle, au cours d'une maladie dont elle fut
atteinte (s. io3, io4). Les sonnets de la fin paraissent indi-
quer que lamant évincé chercha dans la i-eligion un récon-
fort à sa douleur (s. 107-113). — Voilà tout ce qu'on peut
dégager de V Olive, en fait d'impressions réelles : on convien-
dra que c'est peu. N'attachons donc pas d'importance à ces
données insulïisantes, et sans vouloir à tout prix décider si
Mlle Viole a vécu, ne voyons en Olive que ce qu'elle a vrai-
ment été pour le poète,, une amante idéale, une Muse inspi-
ratrice, un prétexte à beaux vers.
IV
Le travail de M. Piéri sur le Pétrarquisme au xvi^ siècle
me dispense d'une longue étude de V Olive. Je ne dirai que
l'essentieL
Deux idées, deux thèmes, si l'on veut, résument tout
l'ouvrage, et les cent quinze sonnets n'en sont qu'un continuel
développement : beauté de la dame, amour du poète.
Olive, comme toutes les idoles de son genre, réunit en
elle toutes les beautés physiques et toutes les perfections
morales. Le jour qu'elle naquit, l'univers était « plein de
bonheur » : la mer était tranquille et les cieux éclatants :
et la nature en fête se pencha sur elle pour la parer avec
amour de ses dons les plus rares : elle lit son teint de la
blancheur des lys, ses cheveux d'or, ses deux lèvi'es de roses ;
elle mit dans ses yeux la splendeur du soleil (s. 2). Et main-
tenant qu'Olive réalise dans son entière plénitude la beauté
' A noter que le s. IU:J est une traduction d'Horace, Garni.. III, xvi.
ISd .lUACHl.M DU BELLAY
de la feinnie, quel charme exquis sexhale de tout son être !
Son visage (( angélique et serein » emprunte ses couleurs à
la « vermeUle aurore )). Sa « fine et blonde )) chevelure se
déroule (( ondoyante » sur un « cou de porphyre et de
marbre ». Dans sa bouche (( soupire une haleine » aussi
suave que les « parfums de 1" Arabie », et, loi'squ'elle sourit,
ses (( lèvres de corail » uiontrent « deux rangs de perles
cristallines ». Elle a des « yeux étincelants », des <( sourcils
bien arqués )), un « front de neige », un « sein d'albâtre »,
une (( main polie, blanche comme l'ivoire ' » :
Bref, ce que d'elle on peult ou voir ou croyre,
Tout est divin, céleste, incomparable. (S. ").
Du Hellay refait jusqu'à sept fois le portrait d'ensemble
d'Olive ". Puis il chante ses beautés en détail. Croirait-on
qu'il consacre un sonnet (s. i5) à célébrer son pied, ce (( pied
d'argent », pareil à celui de Thétis, et qu'enrichissent « cinq
pierres d'orient » ?
Ce n'est pas tout. Olive a du talent : elle est instruite
et cultivée, u Elle" danse, elle balle, elle chante » : quand sa
voix se marie au son des instruments, (( elle enchante tous
les soucis ». Elle parle à ravir ; elle pense (( hautement )), et
traduit ses pensées en des écrits d'un style « doux et grave ».
Connue tous les attraits du corps, elle a tous les dons de
l'esprit '. Et ceux-ci l'emportent de beaucoup sur ceux-là,
comme étant plus durables et plus sûrs. Il faut citer ce beau
sonnet, un des mieux venus du recueil, où du Bellay pro-
clame la beauté morale supérieure à la beauté physique * :
' Olive, i)a.ssim.
- S. 2, 7, 02, 65,71, 74, 91.
■' S. 18, 32, 65, 69, 74, 78, 80.
* Peut-être s'est-il souvenu d'un joli passage d'Ovide, Trist. III, vu,
33 sqq. Élégie à Périlla. — Cf. un autre passage d'Ovide, Cosni. 43, heureu-
sement traduit par ilu Bellay, I, 4iJG.
L ' « OLIVE » 181
Tout ce qu'icy la Nalure environne,
Plus test il naist, moins longuciueiiL il dure :
Le gay printemps s'enrichist de verdure,
Mais peu flcurist riionneui- de sa couronne.
L'ire du ciel facilement étonne
Les fruicts d'esté, qui craignent la froidure :
Contre l'hiver ont l'ecorce plus dure
Les fruicts tardifs, ornement de l'autonne.
De ton printemps les fleurettes seichées
Seront un jour de leur tige arrachées,
Xon la vertu, resj)rit et la raison.
A ces doulx fruicts en toy meurs devant l'aage.
Ne faict l'esté, ny l'autonne dommage.
Ny la rigueur de la froide saison. (S. 32).
Olive est donc de tout point accomplie : comment la con-
templation de tant de trésors laisserait-elle le poète insensible?
Alors de moy une doulce rapine
Se faict en moy : je me pers, il me semble
Que le penser et le vouloir on m'emble
Avec le cœur, du fond de la poitrine '. (S. 94)-
Un amour profond est né dans son âme, brusquement,
au premier contact avec la beauté, une passion violente,
fatale, irrésistible, qui s'est emparée de lui tout entier, attei-
gnant dès l'abord à l'extrême, désormais immuable '\ La flèche
meurtrière a blessé le poète à jamais. Captif d'Olive, jamais
il n'essaiei'a de secouer sa chaîne. Il est « le roc de foy non
variable » que rien ne saurait entamer. On verrait plutôt
fondre le diamant que son cœur changer envers sa maîtresse
(s. 35). Et d'un ton grave, il multiplie les promesses de
dévouement sans mesure, les serments d'éternelle fidélité '.
» Cf. s. 38.
■' S. 0, 63.
3 S. 13, 29, 39, oO, Tti.
182 JOACHIM DU BELLAY
Cet amour si constant est aussi douloureux. Il cause au
poète de vives soufl'rances : il exerce en lui de profonds
ravages : c'est une fièvre qui le raine, une llarame qui le
dévore '. Mais ces ravages physiques ne sont rien en compa-
raison des tourments moraux quil endure. Car son amour
est incompris : Olive ne daigne pas y répondre. Les protes-
tations les plus enflammées n'arrivent pas à la fléchir. Elle a
tout Torgueil de la femme aimée qui s'est fait une loi de la
fierté farouche, et que nul serment ne saurait toucher ". Le
poète analyse longuement ses tortures. 11 le fait quelquefois
de façon discrète et légère, comme dans ce sonnet, que je cite
pour sa grâce :
Qui a peu voir la matinale rose
D'une liqueur céleste emmiellée,
Quand sa rougeur de blanc entremeslée
Sur le naïf de sa branche repose :
11 aura veu incliner toute chose
A sa faveur : le pié ne la foulée,
La mainencor' ne l'a point violée,
Et le troupeau aprocher d'elle n'ose :
Mais si elle est de sa tige arrachée,
De son beau teint la frescheur desséchée
Pert la faveur des hommes et des Dieux.
Helas ! on veult la mienne dévorer,
Et je ne puis, que de loing, l'adorer
Par humbles vers (sans fruit) ingénieux \ (S. 97).
Ce n'est là ({uun soupir mélancoli(iue. Mais la plupart du
temps, le poète a moins de réserve : il se répand en plaintes " ;
> S. 44, 51.
2 S. 23, 37, 53, 01.
' Esl-il besoin de rappeler (jue ces jolis vers sur la rose sont un souvenir
de Catulle. Carm. LXII, 46 sqq.?
* S. 27, 46, 55, 84, 90.
L ' (( OLIVE » 183
il adresse des prières su|)pliaiiles à la IjcUc insensible ' : il
verse des torrents de larmes '^ ; il appelle la iiiorl coiuine
une délivraiu'(,* ' :
. . . Puis ([ue le yniv me nuist
Plus que la mort, o mort, veilles donq" ores
Glorre mes yeulx d'une éternelle nuit. (S. 47).
Qu'on se rassure pourtant. 11 ue se tuera [)oint. (]et amour
dont il souffre, c'est un amour qu'il aime : pour rien au
monde, il n'en voudrait guérir. Il est si bon de subir un
joug comme celui d'Olive, et la prison a tant de charmes,
quand c'est pour des liens si doux qu'on a perdu sa liberté * !
Bien des bonheurs attendent le ])oète esclave : un regard de
sa dame fait pour lui le printemps (s. 3i) ; un sourire de
sa jjouche l'élève au paradis (s. 81). Dans ces conditions,
pourrait-il n'être pas heureux de sa servitude ? Conmie d'au-
tres ont l'orgueil de la victoire, il a, lui, l'orgueil de la
défaite :
Avoir esté par vous vaincu et pris,
C'est mon laurier, mon triomphe, et mon prix. (S. 34).
V
Ces deux thèmes fondamentaux — beauté de la dame,
amour du poète — qui reviennent à chaque page, toujours
les mêmes, ne sont pas exempts de monotonie. Tout cela
serait supportable, si l'auteur avait su prendre notre esprit
par la finesse de l'analyse psychologique, toucher notre cœur
par la i)einture vivante d'émotions véritables. A défaut d'une
' S. 4. 36. 02, 67.
- S. 25, 48. 12.
» S. 47, 66.
* S. 22, 30, 33, 34, 08, 80, 133.
184 JOACHIM DL- BELLAY
science si subtile, pour varier son sujet, il fait appel à toutes
les ressources de l'imagination, à tous les artiliccs du style.
La nature est ici d'un précieux secours, et le poète en
tire de très heureux effets. Je ne dis rien de cette poésie
(( pictuj'ale » qui donne en parure à la bien-ainiée tout ce
que la nature a de plus rare et de plus beau : j'en fais
pour ma part assez bon marché. Lor, l'arg'ent, le cinabre,
l'albâtre, le porphyre, le marbre, le cristal, l'ivoire, le corail,
les perles, les lys, les œillets et les roses, tiennent trop de
place dans V Olive , et l'auteur, qui siiispire de Pétrarque ',
a le grand tort d'exagérer limitation de son modèle. Mais
il y a mieux que cela : le poète a déjà l'art d'associer la
nature aux divers sentiments de son àme : il sait nous
décrire avec force ce douloureux contraste si fréquent entre
la nature en fête et l'honmie en deuil (s. 4^) ! il sait oppo-
ser au cœur d'Olive, rebelle à l'amour, lamour universel des
choses dans l'ivresse du printemps (s. 89") ; il sait, en une
heure de sombre désesjjoir, faire entendre un appel pathé-
tique, pour qufî la nature ait pitié de lui, puisque sa dame
est sans pitié - (s. 54). Dans l'œuvre entière de du Bellay,
on trouverait, je crois, peu de sonnets d'un sentiment plus
délicat que celui-ci :
Seul et pensif par la déserte plaine
Resvant au bien qui me faict doloreux,
Les longs baisers des collombs amoureux
Par leur plaisir firent croître ma peine.
Heureux oiseaux, que vostre vie est pleine
De grand'doulccur ! ô baisers savoureux !
O moy deux fois et trois fois malheureux,
Qui n'ay plaisir que d'espérance vaine !
' Canzoniere, s. 101, 124, 184.
- Dans la note purement pittoresque, v. le s. 83, « la ])r('mière ries belles
matineuses », dit M. Faguct (p. 29S).
L ' (( ULIVE » 185
Voyant cncor' sur les bords de mon fleuve
Du sep lascif les lonj^s cnibrassenients,
De ujes vieulx niaulx je fy' nouvelle épreuve.
Suis-je donc veuf de mes sacrez rameaux ?
O vigne heureuse ! heureux enlacements !
O bord heureux ! ô bien heureux ormeaux ' ! (S. 84).
La mythologie ne l'a pas, à beaucoup près, aussi bien
inspiré que la nature. Pétrarque en avait usé très rarement.
C'était sagesse. Mais on ne pouvait pas attendre d'un élève
de Dorât la même discrétion. Les fictions mythologiques
gâtent la plupart des sonnets de V Olive. Les Naïades de la
Loire, les amours de Vénus et de Mars, les songes de la
porte d'ivoire, la légende d'Endymion et de Diane, de Tithon
et d'Aurore, la nymphe Écho, la rose teinte du sang d'Adonis,
le supplice d'Encélade sous l'Etna , de Prométhée sur le
Caucase, la descente d'Orphée aux enfers , le chant des
Sirènes, Actéon dévoré par ses chiens, Zéphire et Flore, les
Harpyes, Jupiter pénétrant en pluie d'or dans la tour d'airain
de Danaé, la chute d'Icare, etc.. paraissent tour à tour dans
les vers du poète, quelquefois sous la forme de simples et
rapides allusions, mais pour y faire presque toujours un effet
déplorable '\ Il est même des cas où le souvenir fabuleux a
tout juste la clarté d'une énigme : ainsi dans le s. 90, où
du Bellay résume la légende d'Esculape, et pourquoi ? Pour
en tirer cette conclusion : nouvel Esculape, je suis la victime
de celle que j'ai ravie à l'enfer et que j'ai faite compagne
des dieux !
Prodigue d'ornements poétiques, du Bellay met à contri-
1 Cf. Ovide, Amor. Il, xvi, 41-42 :
Ulnius amal viteni, vilis non deserit ulniiim
Separor a domina cur ego saepe mea ?
2 S. 3, 9, 14, 10, 24, 45, 51, 59, 80, 82, 86, 87, 99, 102, 115.
186 .loAcm.M Di: bellay
bution d'autres choses encore que la mythologie. Qui voudra
voir comme il mêle aux passions amoureuses les abstractions
philosophiques, lira le s. 64 '. Les arts aussi paient au poète
leur quote part ^ \ai chasse et la guerre lui donnent des
images " : les beautés d'Olive sont (( les haims, les appaz,
l'amorse. les traicts, les rez )) qui l'ont captivé (s. 65) ;
quant à sa loi d'amant, c'est une forteresse qui n'a pas
besoin
De fosse creuse ou de tour bien murée. (S. 39).
La navigation, dans V Olive, joue de même un rôle impor-
tant * : plusieurs fois le poète se compare au marin en
détresse dont le navire est ballotté sur la mer orageuse, et
qui n'est sauvé du naufrage que par la soudaine apparition
d'une étoile bienfaisante (s. 11 et 40- Cette étoile, c'est Olive.
Car du Bellay, qui fait grand usage de l'astrologie, ne laisse
échapper aucune occasion de transformer les yeux d'Olive
en deux astres resplendissants '. Des yeux qui sont des
astres ! On sttjt si ce goût a duré longtemps ".
l*ar ce (jui précède, on peut voir où du Bellay puise ses
comparaisons et ses méfapJioj'cs. Les principales figures de
rhétorique se donnent à leur suite rendez-vous dans l'Olive.
Cueillons-en quel([ues-unes au hasard :
' Allusion aux llit-orics du limée.
■' S. 19, 74.
3 S. 6i). 82. 85. — S. 34, 39, ofi.
■' S. H, 41, 80, 98.
5 S, 2, il. 12. 17, 21, 27. 31, 41, ;i8, 71, 91, 98.
" Vieilleville se plaint déjà, vers 1530, de ce mauvais goùl : a II ne sullit
pas aux poètes de tirer, pour les beautés, leurs eonii)araisous des choses
terrestres, comme de lys, roses, œillets et toutes aultres Heurs, semblable-
ment du eoral, albastre. yvoire, perles et aultres pierres de prix ; mais les
vont crocheter jusques aux cieux, attaquant le soleil et ses rayons, l'arfren-
tine rondeur de la lune, reslincelleiiienl des cstoilles ». Mémoires, 111, 7.
Cité par Bourciez, p. 404.
L ' (( OLIVE )) 187
Des allégoriei< : — le cœur du poète, qu Amour avait fait
occuper par l'Espérance « et sa bande blanche », est investi
par la (Crainte (( à la noire séquelle », qui le foudroie « du
canon de rigueur » (s. 56).
Des périphrases : — Homère est (( celui
Par qui Achille est cncor' aujourdhuy
Contre les Grecz pour s'ainye obstiné. » (S. uo).
Les roses sont dites (( les fleurs du sang- amcjureux nées »
(s. 45)'.
Des hyperboles; : — Phébus tout honteux cache ses cheveux
quand il voit ceux d'Olive (s. i^). La Loire se grossit des
ruisseaux de larmes du poète (s. 90).
Des antithèses : — (( Pasle, dessoubz l'arbre pasle étendu »
(s. 45). « L'heureux object qui m'a faict malheureux » (s. (3i).
(( Sus, chaulx soupirs, allez à ce froid cœur » (s. 67). a De
mon amer la tant doulce racine » (s. 77). — Plusieurs fois,
l'antithèse, au lieu d'être restreinte aux bornes d'un seul vers,
s'étend au sonnet tout entier ■. C'est alors, d'un bout à Tautre,
comme un cliquetis d'idées et de mots.
On peut aller très loin dans cette voie. L'abus des figures,
surtout de l'antithèse, conduit vite au raffinement. La subti-
lité du langage, la recherche de l'expression, le goût des
traits brillants, plus ingénieux que naturels, se rencontrent
presque à toutes les pages de V Olive. 11 n'est pas jusqu'aux
jeux de mots, si fâcheux déjà chez Pétrarque, que du Bellay
n'ait cultivés avec un plaisir évident. L'identification d'Olive
avec l'olivier finit par être une obsession : le poète y revient
jusqu'à dix-sept fois ' !
' Cf. les périphrases pour di'si<>ner le soir et le matin (s. 21), le printemps
et l'hiver (s. 31).
•' S. 26, 28, 47, 93, MO.
3 S. 1, 4, 45. 49, 61. 62. V>\), 72, 76, 77, 8;i, 93, 98, 103, 104, 105, llo.
188 JOACHLM DU BELLAY
Ce que j'ai cite de l'Olive est plutôt à son avantage. Le
lecteur aurait du recueil une idée inexacte et fausse, s'il
croyait qu'on y trouve beaucoup de sonnets pareils à ceux
quïl a lus plus haut. Pour être juste, il faut donner un
échantillon du mauvais goût qui s'}' rencontre. Ecoutez ce
sonnet :
Je ne croy point, veu le dueil que je meine
Pour Tapre ardeur d'une flamme subtile.
Que mon œil feust en larmes si fertile,
Si n'eusse au chef d'eau vive une fonteine.
Larmes ne sont, qu'avecq' si large vene
Hors de mes yeux maintenant je distile :
Tout pleur seroit à finir inutile
Mon dueil, qui n'est qu'au meillieu de sa i)cine.
L'humeur vitale en soy toute réduite
Devant mon feu craintive prent la fuyte
Par le sentier qui meine droict aux yeux.
C'est cete ardeur, dont mon ame ravie
Fuyra bien tost la lumière des cieux,
Tirant à soy et ma peine et ma vie. (S. 25).
Admirez, je vous prie, cet œil fertile en larmes, cette fon-
taine d'eau vive logée dans la tête, cette humeur vitale du
poète qui fuit craintive devant son feu, cette àme qui tire à
soi sa peine et sa vie ! Madelon et Cathos, Armande et
Bélise, se fussent pâmées d'aise à la lecture de ces jolies
choses. Qui donc a dit que la préciosité datait du grand
siècle ?
VI
La perle de V Olive, c'est le beau sonnet sur Vidée.
M. Bourciez ' a montré tout ce qui le sépare du gracieux
' Op. cit., liv. I, cliap. iv, p. 107 sqq.
L ' « OLIVE ') 189
rondeau de Marot sur rainour au bon vieux temps. C'est
bien, en effet, une nouvelle conception de Tamoui' qui s'ex-
prime en ces vers admirables. Le culte du poète pour Olive,
pour la lenniie en qui sint-arne toute beauté, est vraiment
autre chose qu'une passion terrestî'e : c'est un amour tout
idéal, mystérieux inspirateur des plus nobles pensers, des
plus sublimes vertus, par les degrés duquel l'âme s'élève
jusqu'à la contemplation du bien suprême. Emprisonnée ici-
bas, elle aspire à sortir du séjour ténébreux, à briser tous
les liens qui l'attachent à la terre, pour s'envoler d'un coup
d'aile vers un monde éclatant de lumière, et pour g-oùter,
dans son éternelle essence, le pur amour au sein de la
beauté divine. Ce rêve tout céleste, le poète le soupire
vaguement en plusieurs endroits de son œuvre ' ; l'expres-
sion définitive s'en trouve dans le sonnet ii'i :
Si nostre vie est moins qu'une journée
En l'éternel, si l'an qui faict le tour
Chasse noz jours sans espoir de retour,
Si périssable est toute chose née.
Que songes-tu, mon ame emprisonnée ?
Pourquoy te plaist l'obscur de nostre jour,
Si pour voler en un plus cler séjour.
Tu as au dos l'aele bien empanée '?
La est le bien que tout esprit désire,
La, le repos ou tout le monde aspire,
La est l'amour, la, le plaisir encore.
La, 6 mon ame, au plus hault ciel guidée,
Tu y pourras recongnoistre ITdée
De la beauté, qu'en ce monde j'adore.
Dans cette idée de la beauté, rayonnant au plus haut du
ciel, archétype indestructible de la femme aimée ici-bas, qui
» S. 4G, uS. 03, 112.
190 JOACHIM DU BELLAY
n'a reconnu Tespi'it de Platon ? La théorie platonicienne de
Tamour revit ici tout entière. Héritier d'Héroët et de Seève,
du Bellay la formule à nouveau, mais avec plus d'éclat que
ses deux précurseurs, sa pensée étant plus condensée, et par
là d'autant plus nette et forte.
On a souvent fait ressortir l'idéalisme platonicien contenu
dans V Olive ; mais ce qu'on n'a pas dit, c'est qu'il s'allie aux
doa^mes chrétiens. Le s. 112 assimile le Prévoyant, qui choisit
les âmes les plus belles pour s'en faire une escorte à travers
l'empyrée, au cours de son voyage dans le clos des Idées, —
au Juste qui choisit ses élus. (( les réanime en leur première
vie », et les rend presque égaux à son Fils '. Les sonnets
qui précèdent ' sont vraiment pénétrés du souflle religieux. Le
cas est assez rare chez les poètes paganisants du xvF siècle
pour mériter qu'on le signale. Je sais bien que c'était l'habi-
tude, chez les Pétrarquistes Italiens, après avoir chanté leurs
amours, de confesser en quelques sonnets leurs erreurs et
leur repentir '. Pétrarque avait donné l'exemple "* : tous ses
disciples l'avaient suivi. Mais si du Bellay n'a fait ces sonnets
que par esprit d'imitation et pour obéir à la mode, il faut
avouer qu'il s'est surpassé : car on y sent plus d'émotion
que dans la plupart de ses vers d'amour. Ses élévations reli-
gieuses, ses amers regrets des larmes versées pour un objet
profane, ses élans vers Dieu pour implorer le pardon qui
efface et la grâce qui console, ne manquent ni de grandeur
ni de poésie '". Les sonnets repentants de V Olive ne sont pas
indignes de Pétrarque.
' Il est étrani^e que du Bellay applique à Dieu le Père l'épithète de
Juste qu'on applique toujours au Fils.
- S. 107-111.
3 Ginguené, llist. lilt. d'Italie. IX, 39i-395.
* Canzoniere, s. 31;'), 316, 317.
'" A titre de euriosité, le lecteur rapprochera du sonnet 111 de V Olive, sur
le vendredi saint, le rondeau 31 de Marot (édit. P. Jannet, H, 144).
L ' (( OLIVE » 191
Du Bellay, dans VOlice, avait t'ait de l'amour une religion.
Deux ans plus tard, il reprit cette idée en l'épurant encore,
et, toujours inspiré par le platonisme, il composa les XIII
Sonnetz de Vhonneste Amour *. Dans le premier de ces
sonnets, il indiquait la pensée directrice de son (ruvre :
Amour l'avait sacré prèti'e de son honneuh, pour cluinter
les hymnes de sa g-loire. Notez ce mot honneuu, en lettres
capitales : il résume à lui seul le sujet. C'est de l'amour
honnête que l'auteur va traiter, de l'amour éthéré, de l'amour
idéal. Ces treize sonnets ne sont qu'une suite du sonnet ii'i
de Y Olive. Ce qui domine en tous, c'est l'idée platonicienne
que l'amour spirituel est supérieur à l'amour corporel, comme
la beauté de l'esprit est supérieure à la beauté du corps.
Refaisant le portrait de sa dame au moyen des images
(( picturales )) si fréquentes dans l'Olive, ce n'est pas ces
attraits, lui dit-il.
C'est cet esprit, rare présent des cieux,
Dont la beauté de cent grâces pourveiïe
Perce mon anie, et mon cœur, et mes yeux. (S. 2).
Il n'est parlé que là des beautés de la dame. Quant aux
soullrances de l'amant, il n'en est plus question. Le pétrar-
quisme a disparu : c'est le triomphe du platonisme le plus
subtil "' :
Rien de mortel ma langue plus ne sonne,
s'écrie du Bellay (s. 10), et, dans tous ses sonnets, il redit
le chaste et pur désir de la Beauté céleste, idéale et parfaite '.
' Marty-Laveaux, II, 60-66. — Ces sonnets ont paru dans le recueil de
iVy.yl, dont je parlerai plus loin (chap. \).
- J'ai déjà dit (p. 79, n. 1) que pour les vrais Platoniciens, le pur amour
est exempt de souffrance. V. au 3' liv. de la Parfaicte Amye d'IIéroet
(édit. de loi'i, p. 08) une curieuse satire du pélrarquisme.
^ V. notamment les s. 4, 7, 10.
192 JOAÇHIM DU BELLAY
Il le redit en général de la manière la plus entortillée,
la plus alambiquée, la plus quintessenciée '. Quiconque aura
le courage d'affronter jusqu'au bout la lecture de ces treize
sonnets, ne seï-a pas d'un autre avis que nous. D'où peut
venir, chez un auteur le plus souvent facile et clair, cette
recherche du prétentieux et de l'obscur ? — De l'influence
de Pontus de Tyard.
Pontus avait publié, quelques mois après la première
édition de YOliçe, en i549, ses Erreurs Amoureuses. Puis en
i55i, il en avait donné la Continuation, en môme temps
qu'une traduction du traité de Léon Hébrieu sur l'Amour ^
On sait en quel galimatias, sous prétexte d'échapper au vul-
gaire, il avait exprimé ses conceptions platoniciennes. Du
lîcllay se sentit dépassé. Dans un désir d'émulation, il vou-
lut montrer qu'il était capable de faire aussi bien '. De là
les Sonnetz de Vhonneste Amour. On n'y saurait nier une
imitation de Pontus de Tyard. Quelques exemples sudiront.
Mon cœur, disait du Bellay dans le s. 4'
Boit à longs traicts Vaigre-doulce poj'zon,
Qui tous mes sens heureusement enchante.
Je lis chez Pontus de Tyard :
C'est donq d'Amour la poison aigre-douce \
Au s. 12, du Bellay s'exprime en ces termes :
La docte main, dont Minerve eust appris,
Main, dont l'y voire en cinq perles s'allonge...
' Les s. \, 4, 5, 9, 11, sont même à peu près inintelligibles.
- Sur cet ouvrage, v. Bourciez, op. cit., p. 120-121.
' Son admiration pour l*. de Tyard est attestée par ce passage de l'épitre-
préface de 1552 : « Quand aux œuvres de mon invention, je ne les estimoi'
dignes de se montrer au jour, pour comparoistre devant ces divins espris
ïholozains, A7asfO/uiots, et autres... » (1, 338). Pontus de Tyard était île
Bissy-sur-Fley, en Maçonnais.
* Liv. Il, s. 2, p. 08.
L ' (( OLIVE » 193
Ce qui rappelle étrangement ce quatrain de Tontus :
En ta prison (bien-heureux gan) conserve
La docte main, la main blanche et polie :
Main, qui pourroit endoctriner Talie.
Voire venger Aracné de Minerve \
Les Sonnetz de l'honneste Anioar se terminent (s. i3) par
cette dédicace à sa dame :
J'appen ce çœu à Viminortalité,
Devant les pieds de vostre image saincte.
L'année précédente (i55i), Tyard avait précisément commencé
sa Continuation des Erreurs Amoureuses par une dédicace
du même genre :
J'appen, et voiie en toute humilité
Ce, que je puis de l'immortalité.
Aux sacrez piedz de cette sainte image '\
J'ajoute que des expressions comme celles-ci : Je peins au
tableau de Mémoire votre beauté, — la céleste Androgyne
de nos cœurs, — l'alambic de vos perfections, — l'esprit de
la flamme des deux, — les mains du Moteur souverain, —
la sphère de ma vie, — le centre oii tend le rond de m.es
esprits, — etc., sont tout à fait dans le goût de Pontus de
Tyard.
Tout cela, certes, est très médiocre, et si j'ai cru devoir
y insister, c'est qu'il est curieux de voir du Bellay se préci-
piter à la suite de Pontus de Tyard, s'efforcer, au risque de
gâter ses dons naturels, de reproduire sa manière amphigou-
rique et prétentieuse, et cela, par horreur du vulgaire, pour
* Liv. II, s. 31, p. 94.
- P. 7 de l'édit. Marty-Laveaux. — Le s. 2 de du Bellay n'est qu'une
réduction du Chant à son Leut inséré par Pontus p. 34 de sa Continuation
(Marty-Laveaux, p. 1^6-127). — Ce vers du s. 12 : Le tout-divin de vostre
Pasithée, est une allusion à P. de Tyard, dont Pasithée était la dame.
Univ. de Lille. Tome VllI. A. 13.
194 JOACHJM DU BELLAY
rendre la |joésie inaccessible au commun des mortels. Rien ne
montre mieux combien Joachim. empêtré dans les théories
d'école, était à court de sentiments vrais : ne sachant que
dire par lui-même, sans idées personnelles nettement arrê-
tées, il subissait les influences les plus contraires à son
g-énic, jusqu'au jour où, fatigué de ce rôle d'emprunt, il jeta
le mast[ue et se mit à bafouer l'objet de son premier culte.
VII
h'Oliçe, les Erreurs Amoureuses, très goûtées du public
savant, avaient déterminé tout un courant de poésie pétrar-
quistc. Après Joachim et Pontus, Ronsard avait chanté
Cassaudre, Baif avait chanté Méline (i552). Et voici qu'une
légion de poètes, emboîtant le pas à leur tour, célébrait à
l'envi des maîtresses imaginaires qui se présentaient invaria-
blement comme des types achevés de beauté, des modèles
accomplis de vertu. La Sainte de Guillaume des Autelz, la
Castianire d'Olivier de Magny, l'Admirée de Jacques Tahureau,
la Diane d'Etienne Jodelle, la Glaire de Louis le Gai'on,
l'Olympe de Jacques Grévin, l'Amalthée de Claude de Buttet,
combien d'autres encore ! étaient à tour de rôle la femme
unique (pii réunit en elle toutes les perfections. C'était par
la France une marée montante de sonnets, un débordement
inouï de pétrarquisme '.
Du liellay ne tarda pas à comprendre le danger. Il était
honnue de goût ; et d'ailleurs il y avait en lui, comme en
Ronsard, comme en Baïf, sinon un fonds gaulois, du moins
je uc sais quoi de sensuel qui s'accommodait mal de toute
ujièvrcrie. Pas plus (pien aniowc il n'avait horreur des réalités,
il n'avait en littérature le dédain du mot [)ropre et parfois
' Cf. t^iôri, op. cit., j). 2i}î scjcj.
L ' « OLIVE )) 195
un peu cru. Dès i549, ^^ publiait contre une duègne, dont il
avait à se plaindre, luie diatribe très violente, que n"exi)liqne
peut-être pas seul le désir d'imiter Horace ou Properee '. En
tout cas, sincère ou non, YAntcrotique de la vieille et de la
Jeune amie ~ était un singulier pendant aux cinquante sonnets
de YOlive^ et l'on pouvait s'iUonner de ti-onver sous la
plume dun disciple de Pétranj^ue des propos dignes plutôt
d'un Marot ou dun Régnier. Il nest donc pas bien surprenant
que du Bellay, dont l'humeur fut toujours très mobile, ait
fini par se dégoûter du pétrarquisme intempérant qui sévissait
autour de lui. Reniant son passé, le panégyriste des amours
idéales écrivit a à une Dame », en i553. une amusante et
spirituelle palinodie, qui compte parmi ses meilleures pièces \
Rien de plus piquant que cette satire de Y Olive par l'au-
teur de Y Olive. Du Bellay débute par une profession de foi
très nettement anti-pétrarquiste :
J'ay oublié l'art de Petrarquizer '.
Je veulx d'Amour franchement deviser.
Sans vous flatter, et sans me deguizer :
Geulx qui font tant de plaintes,
X'ont pas le quart d'une vraye amitié,
Et n'ont pas tant de peine la moitié.
Gomme leurs yeux, pour vous faire pitié.
Jettent de larmes feintes.
Puis il se moque avec esprit de tous les défauts de l'école,
en passant en revue le programme du parfait pétrai^quiste.
* Horace, Epod. vui et xii ; Properee, Eleg. IV, \ , Lena Acanthis.
- Marty-Laveaux, I, 169-174.
•'' Celle pièce a paru pour la première fois dans la seconde éiUtiou du
ReciieU de Poésie, Paris, Cavellat, l,ï53, p. 68-77. Du Bellay l'a reprise et
retouchée, pour la faire entrer dans les Jeux Rustiques (15o8j, sous ce titre
nouveau : Contre Les Pétrarquistes. — Marty-Laveaux, II. 33}-338.
' Brantôme s'est fait le plagiaire impudent de cette pièce dans un sonnet
à Talard. cdit. Lalanne, X, 432.
196 JOACHIM DU BELLAY
C'est d'abord les fades langueurs, l'artifice des flammes dévo-
rantes et des larmes intarissables :
Ce n'est que feu de leurs froides chaleurs,
Ce n'est qu'horreur de leurs feintes douleurs,
Ce n'est encor' de leurs souspirs et pleurs.
Que vents, pluye, et orages :
Et bref, ce n'est à ouir leurs chansons, •
De leurs amours, que flammes et glaçons,
Flesches, liens, et mille autres façons
De semblables oultrages.
Ce sont ensuite les métaphores monotones et banales, tirées de
la nature :
De voz beautez. ce n'est que tout fin or,
Perles, crystal, marbre, et ivoyre encor,
Et tout l'honneur de l'Indique thresor,
Fleurs, lis, œillets, et roses :
De voz doulceurs ce n'est que sucre et miel.
De voz rigueurs n'est qu'aloës et fiel,
De voz esprits, c'est tout ce que le ciel
Tient de grâces encloses.
Ce sont encore les descriptions de la nature associée au
désespoir des amoureux :
Il n'y a roc, qui n'entende leur voix :
Leurs piteux cris ont faict cent mille fois
Pleurer les monts, les plaines, et les bois,
Les antres et fonteines :
Bref, il n'y a ny solitaires lieux,
Ny lieux hantez, voyre mesmes les cieux,
Qui çà et là ne monstrent à leurs yeux
Limage de leurs peines.
Puis c'est l'emploi douteux des vieilles fables mythologiques,
cette bizarre introduction de Tantale et de Prométhée, de
L ' « OLIVE » 197
l*rotée et (Vllercule dans les choses daniour. C'est enfin le
jargon philosophique, toute la métaphysique idéaliste, tout le
platonisme effréné, que du Bellay lui-même avait tant pratiqué :
Quelque autre encor' la terre dédaignant
Va du tiers ciel les secrets enseignant,
Et de l'Amour, où il se va baignant,
Tire une quinte essence :
Mais quant à moy, cpii plus terrestre suis,
Et n'ayme rien, que ce qu'aymer je puis.
Le plus subtil, qu'en amour je poursuis,
S'appelle jouissance.
Le dernier mot est quelque peu brutal. Mais cette fois nous
avons la vraie pensée du poète. Revenant aux idées de
Marot, il rappelle que (( noz lions ayeulx » ne concevaient
pas l'amour autrement, et que, pour en parler, ils n'avaient
nul besoin de Pétrarque. Puis, s'adressant à sa dame, il lui
conseille de profiter de sa jeunesse :
Et qu'ainsi soit, quand les hyvers nuisans
Auront seiche la fleur de voz beaux ans.
Ridé ce marbre, esteinct ces feuz luisans,
Quand vous voirez encore
Ces cheveux d'or en argent se changer.
De ce beau sein l'yvoire s'allonger.
Ces lis fanir, et de vous s'estranger
Ce beau teinct de l'Aurore,
Qui pensez vous, qui vous aille chercher,
Qui vous adore, ou qui daigne toucher
Ce corps divin, que vous tenez tant cher ?
Vostre beauté passée
Ressemblera un jardin à noz yeux
Riant naguère aux hommes et aux Dieux,
Ores faschant de son regard les cieux,
Et l'humaine pensée.
198 JOACHIM DU BELLAY
N'attendez doiiq' que la grand' faux du Temps
Moissonne ainsi la fleur de voz primtemps,
Qui rend les Dieux et les hommes contents :
Les ans, qui peu séjournent,
Ne laissent rien, que regrets et souspirs,
Et empennez de noz meilleurs désirs,
Avecques eux emportent noz plaisirs,
Qui jamais ne retournent.
Tout ce passage est fort joli ; mais que nous voilà donc loin
de Pétrarque ! Aux chastes rêves du chantre de Laure s'est
substituée la facile et voluptueuse morale de l'amant de
Lydie : l'épicurisme a détrôné l'idéalisme.
J'allais oublier la (lèche du Parthe. A la fin de sa pièce,
(( par un dernier trait de satire où s'expi'ime mieux que
partout ailleurs son dédain * », du Bellay déclare que, si l'on
y tient, il pétrarquisera tant qu'on voudra, la chose est aisée :
Si toutefois Pétrarque vous plaist mieux.
Je reprendray mon chant mélodieux.
Et voleray jusqu'au séjour des Dieux
D'une ade mieux guidée :
Là dans le sein de leurs divinitez
Je choisiray cent mille nouveautez,
Dont je peindray voz plus grandes beautez
Sur la plus belle Idée.
(^uon relise maintenant le sonnet ii3 de V Olive : on
poiuM'a mesurer combien fui profond le revirement. La pièce
de i5.53 est la cinglante parodie du sonnet de i55o '.
' Fajîuct, Seizième siècle, p. 303.
- On rapprochera de la satire contre les Pétrarquislos, outre un passage
d'IIéroët ci-dessus mentionné (p. 191, n. 2), une pièce de Saint-Gelays A «ne
mal contente {édit Blanciiemain, I, 196), qui se rencontre aussi dans les
œuvres de Marot (édit. F. Jannet, II, liS), — ainsi qu'une chanson de Jodelle
(édit. Marty-Laveaux, II, 49).
L ' (( OLIVK n 199
Qu'importe, après cela, que du Bellay, par une de ces con-
tradictions dont on trouve tant d'exemples dans son œuvre,
ait t'ait, sur la fin de sa vie, un retour vers le pétrarquisme,
et qu'il ait de nouveau, dans le style de VOlwe, conqDOsé
des Amours '? L'essentiel, c'est qu'il ait, en présence du fléau
grandissant, dénoncé le péril, essayé de le conjurer, sauvé
par son intervention le naturel et le bon goût.
Le discrédit jeté par du Bellay lui-même sur la poésie
pétrarquiste ne doit pas, cependant, nous rendre injustes pour
\ Olive. Certes, l'œuvre est faible et ne répond guère, il faut
l'avouer, aux magnifiques ambitions de la Deffence. Elle est
tendue, pénible, obscure en maint endroit : elle sent l'huile.
Elle a surtout ce défaut capital de manquer de sincérité.
Pétrarque avait traduit en vers émus un amour véritable,
qui l'avait conquis tout entier et dont il avait longuement
souft'ert. L'amour du chantre d'Olive n'est point de ces fortes
passions qui remuent jusqu'au fond de l'être : c'est une
fiction de l'esprit, non une réalité du cœur. <( J'ai fait en
ma vie, disait Th. Gautier, quelques vers amoureux, ou du
moins qui avaient la prétention d'être tels. Je viens d'en
relire une partie. Le sentiment de l'amour moderne y manque
absolument. Il n'y est parlé que de l'or ou de l'ébène des
cheveux, de la finesse miraculeuse de la peau, de la rondeur
du bras, de la petitesse des pieds et de la forme délicate de
la main. C est un éclat sans chaleur et une sonorité sans
vibration '. » Combien ces paroles seraient plus vraies encore,
appliquées aux sonnets amoureux du poète angevin ! C'est
leur plus grand défaut de n'être pas vécus. Du Bellay sans
' Marty-Laveaux, II, 120-134. — Les Amours, qui se composent de 29 son-
nets, n'ont paru que bien après la mort de du Bellay, par les soins d'Aubert,
en 1569. H résulte du s. 9 qu'ils ont été composés dans le courant de 1jù9.
Rien d'ailleurs qui les distingue essentiellement <Je Y Olive.
- Th. Gautier, Mlle de Maiipin, ix. — Cité par Piéri, p. 262.
200 JOACHIM DU BELLAY
doute le sentait lui-même, lorsqu'il disait plus tard à son
ami Magny :
Croy moy, Magny, et je le sçay
Pource que j'en ay faict l'essay,
Mal volontiers chante la bouche
De l'amour qui au cueur ne touche. (II, 32 j).
Mais ce jugement une fois porté sur l'exacte valeur de
YOlwe, on ne saurait méconnaître son influence dans l'his-
toire générale de la poésie française. Une conception toute
nouvelle de la beauté de la femme et de la sainteté de
l'amour, voilà le plus clair bienfait que nous devions au
pétrarquisme : et cette conception, inconnue de Marot, qui
faisait de l'amour un plaisir et de la femme son instrument
si du Bellay ne fut pas le premier à l'avoir, il l'eut du
moins un des premiers. C'est trop peu dire : il fut le pre-
mier à la formuler avec précision et noblesse. Sainte-Beuve *
a noté qu'on entend déjà dans V Olive comme un accent pré-
curseur de cette haute et pure poésie qui ne s'est pleine-
ment révélée que trois cents ans plus tard dans les Médita-
tions : (( On y ressaisit, écrit-il, un écho distinct et non dou-
teux, qui va de Pétrarque à Lamartine '\ » Des tercets du
sonnet sur Vidée :
La est le bien que tout esprit désire,
La, le repos ou tout le monde aspire,
La est l'amour, la, le plaisir encore.
La, ô mon ame, au plus hault ciel guidée.
Tu y pourras recongnoistre l'Idée
De la beauté, qu'en ce monde j "adore.
' On plutôt M. Reinliold Dezeimeris, un savant lettré de Bordeaux, qui
fut plus d'une fois utile à Sainte-Beuve. V. Correspondance de Sainte-Beuve,
édit. C. Lévy, 1878, t. I, p. 227, n. 2.
- Nouveaux Lundis, XIII, 325.
L ' (( OLIVE » 2.01
il rapproche la strophe sublime de V Isolement :
Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire ;
Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour.
Et ce bien idéal que toute àme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour ' !
Ce n'est pas un mince honneur pour du Bellay d'avoir ainsi
donné les premières notes d'un thème qui devait résonner
dans toute sa beauté sur la lyre harmonieuse de Lamartine.
* Premières Méditations Poétiques, I.
CHAPITRE VII
LES « VERS LYRIQUES »
1549
1. — Les odes de 1549. — Le rôle de du Bellay dans l'invention
de l'ode.
II. — Les odes philosophiques et morales.
III. — Les odes descriptives et mythologiques.
IV. — Les odes intimes et personnelles.
V. — Valeur des odes. — Du Bellay rebelle au pindarisme.
La première édition de Y Olive (i549) était accompagnée,
sons le nom de Vers Lyriques, d'un recueil de treize odes \
Après linflnence italienne, c'était la part de l'influence anti-
que. Le disciple de Pétrarque se transformait en un disciple
1 Marly-Laveaux. I, 175-206.
Li:s (( vilUs lyriques » 203
d'Horace et réalisait pour son (•oin{)lc ce pn'ccpte de la
Dejfence : « Chante nioy ces Odes, incongnues encor' de la
Muse trancoyse, d'un lue bien accordé au son de la lyre
greque et i-oniaine )) (p. ii4)-
Du lîellay a contribué par ses Vers L)'ri(/ues à l'intro-
duction de l'ode en France, comme par son Olive à celle du
sonnet. Mais ici toutefois son rôle est moins saillant. J'ai dcVjà
tenté de le définir ', en montrant que Ronsard était vrai-
ment, comme il l'a toujours prétendu, le premier inventeur
de l'ode, dans le sens très précis, très spécial, où la Pléiade
entend ce mot ; qu'il s'était ouvert de son invention à Pele-
tier, dans une rencontre au Mans, en i543 ; que Peletier à
son tour, en i546, l'avait transmise à du Bellay ; que, si
Peletier et du Bellay, l'un en 154", loutre en i549, avaient
devancé dans la publication le véritable initiateur, cela tenait
uniquement à l'excès de prudence de Ronsard, à des scru-
pules d'artiste, que du Bellay jugeait exagérés, mais qu'il
n'avait pu réussir à vaincre, — ce qui même avait amené
entre les deux amis une brouille passagère, dont Binet avait,
à mon sens, dénatui^é complètement et l'origine et la portée.
Si du Bellay mai-cha de l'avant, c'est que Ronsard, toujours
timide et circonspect, n'osa pas se lancer du premier coup
dans la mêlée. J'ajoute qu'il est heureux pour notre poète
qu'il ait ainsi pris les devants. Publiées en i549, aloi'S qu'il
n'existait rien de ce genre que les essais de Peletier, ses
odes pouvaient encore briller de quelque éclat. Elles auraient
paru bien ternes et bien pâles, un an plus tard, après la
traînée fulgurante laissée dans le ciel poétique par le passage
du Vendômois.
' Rev. d'hist. Utt. de la France, lij janv. 1899, p. 21 : « L'invention de l'Ode
et le dilTérend de Ronsard et de du Bellay ».
204 JOACHIM DU BELLAY
n
Les treize odes de i549 répondent assez bien à la con-
ception du genre telle que l'exprime la Deffence : c'est une
application honnête et consciencieuse, encore que partielle,
du programme qu'elle formule '. On peut les diviser en trois
groupes : les odes philosophiques et morales, les odes descrip-
tives et mythologiques, les odes intimes et personnelles. Mais
cette division n'est pas tellement tranchée que certaines odes
ne puissent à la rigueur se rattacher à deux groupes à la
fois.
Rien ne montre mieux combien est grande chez du Bellay
l'indigence des idées, que les odes roulant sur des thèmes
philosophiques et moraux. Incapable de penser par lui-même,
le poète est réduit à copier les pensées des anciens.
Il veut traiter Des misères et fojHunes humaines (I, 178).
Comment s'y prendra-t-il ? — D'une façon très simple. Une idée
générale : nous mourons tous. Développement : les uns sont
tués à la guerre ; les autres s'empoisonnent ; d'autres se
noient ; d'autres se poignardent : d'autres meurent en nais-
sant. Ornements poétiques : le fouet de Bellone, les mains
de la Parque, Mercure psychopompe, la barque de Gharon,
le tribunal de Minos. Et voilà six strophes sur douze de
remplies ! — Mais le reste ? — Encore plus simple. Ecoutez :
Le chemin est large et facile
Pour descendre en l'obscur séjour.
Pluton tient de son domicile
La porte ouverte nuyt et jour.
' V. ci-dessus, cliap. iv, § 11, p. 131.
LES « VERS LYUIQUES )) 205
La gist l'œuvre, la gist la peine,
Ses pas de l'Orque retirer,
A letroit sentier qui nous nieine
Ou tout mortel doit aspirer.
Le nombre est petit de ceux ores.
Qui sont les bien aymez des Dieux,
Et ceux que la vertu encores
Ardente a élevez aux cieux.
C'est du Virgile, et traduit mot à mot :
F'acilis descensus Averno ;
Noctes atque dies patet atri janua Ditis ;
Sed revocare gradum superasque evadere ad auras,
Hoc opus, hic labor est. Pauci quos aequus amavit
Jupiter, aut ardens evexit ad aetliera virtus.
Dis geniti, potuere '.
Voilà ce que du Bellay appelle « convertir les anciens en
sang et nourriture )). C'était bien la peine d'être si sévère
pour les traducteurs ! — Ajoutons maintenant la double
légende des deux tonneaux de Jupiter et de la boîte de
Pandore, un souvenir d'Homère renforcé d'un souvenir
d'Hésiode '^ : le tour est joué '.
Du Bellay dédie à Ronsard une ode De l'inconstance des
choses (I, i83). C'est un sujet de rhétorique, et qu'il traite en
rhétoricien. 11 pose d'abord l'idée :
Nul, tant qu'il ne meure,
Heureux ne demeure :
1 VirgUe, En. VI, 126-131.
^ Homère, II. XXIV, 527 sqq. — Hésiode, Œuvr. et Jours, 94 sqq.
3 J'engage, le lecteur à rapprocher de cette pièce le même sujet traité par
Ronsard, Sur les misères des hommes (Blancliemain, II, 132). Cette ode se
trouve à la suite de la i" édit. des Amours, 1553, p. 263. (Bibl. Nat. — Rés.
pY. 125). L'avantage de Ronsard est éclatant.
206 JOACHIM DU BELLAY
car il est soumis au sort inconstant. Puis, l'idée posée, il la
développe. Cette inconstance, il nous la montre partout dans
la nature et dans l'histoire. La imit fait place au jour, et
l'hiver au printemps. Les âges se succèdent comme les jours
et les saisons. La fuite du temps, les ruines qu'il entasse,
les changements survenus à la surface du globe, les chutes
de cités, les révolutions de royaumes et d'empires, tout atteste
cette inconstance. Conclusion : le poète s'adresse à Ronsard :
puisque le ciel est si variable en ses faveurs, lui dit-il en
substance, tu as bien fait de renoncer aux ennuis de la Cour,
])ar ambition d'un nom immortel :
Laisse aux courtizants
Les souciz cuyzans :
Ne soys curieux
Des biens aquei'ir,
Ou de t'enquerir
Du secret des Dieux '.
L'ode à Christophe du Breil, De porter les misères et la
calumnie (1, 'lo'i), est comme une fusion des deux précédentes.
L'auteur, ([ui décidément est à court diilées, reprend ce qu'il
a dit, et presque dans les mêmes termes, sur les divers
genres de mort et sur l'inconstance du destin -, Mais il ajoute
un autre point : (( Rien, que vertu, ne domte la Fortune )),
11 répète le nil adrnirari d'Horace :
O lùenheureux ([ui de rien ne s'étonne !
Bienheureux qui ne craint pas la colère du ciel et reste
' Encore ici rapprocher une ode de Ronsard à Anthoine Cliasteigner
(édit. orig., irioO. f" 97 v. — Blanchemain, II, ii'S).
- \ noter p. 20i{ Irois ver.s sur la mort [D'un éi^nl pie..,) qui sont une
pure traduction d'Horace (Carm. I, iv, 13 i. Pallida Mors. .].
LKS (( VERS LYRIQUES )) 2.^)1
inaccessible aux rumeurs du dehors 1 Sur cet houime-là, la
fortune n"a pas de prise, la calomnie est impuissante. Le ciel
permet souvent que les pervers imisent aux bons : ce n'est
jamais que pour un temps, et la justice finit toujours par
triompher.
A quoi bon insister sur tous ces lieux communs? Le déve-
loppement en est fastidieux. Non qu'ils soient par eux-mêmes
incompatibles avec le lyrisme : mais ils n'offrent d'intérêt que
si l'auteur les associe à des émotions personnelles, que s'il
sait les rajeunir en se les appropriant. Tel n'est point le
cas : chez du Bellay, ces lieux communs sont un remplissage
banal. Nul accent personnel : il est trop clair que le poète,
désirant faire une ode et n'ayant rien à dire, n'a vu là qu'un
thème à traiter.
L'inspiration est plus heureuse dans l'ode qui célèbre Les
louanges d'Amour (I, i8o). Cette jolie pièce, que berce le
rythme gracieux de YAvril de lielleau, semble un écho du
beau discours d'Agathon dans le Banquet '. C'est un hommage
au dieu d'amour, que l'auteur envisage au point de vue
philosophique comme principe de toutes choses. Amour est
le dieu tout-puissant dont lé sceptre victorieux subjugue le
ciel, la mer et la terre ; c'est lui qui maintient l'harmonie
des éléments ; c'est lui qui va donnant aux villes les lois,
la police et la paix ; c'est lui qui fait pousser les arbres,
les plantes et les fleurs ; c'est lui qui perpétue les espèces
animales ; c'est lui qui fait de la vierge une femme :
Par ce petit Dieu puissant
Délaissant
Le doulx gyron de la mère,
' Du Bellay semble aussi s'être souvenu d'Ovide, qui fait de Vénus un
éloge analogue {Fast. IV, 91 sqq.).
r^
t>- JOACHIM DU BELLAY
0
La vierge i'emine se treuve,
Et fait preuve
De la flamiue doulcearaere.
Amour est tout bon et beau.
Son llambeau
N'enilaïunie les vicieux :
Juste est, et de simple foy.
C'est pourquoy
11 est tout nu et sans yeux.
Et du lîellay termine par un acte d'adoration à cet auteur
de toute vie, qui donne aux rois leurs victoires, aux poètes
leurs lauriers, aux dames leurs beautés '. Dans cet hymne à
l'Amour, il a mis quelque chose qui manque à beaucoup de
ses odes, une grâce légère et délicate.
m
Horace a le secret d'enfermer une idée morale dans une
odelette descriptive, et d'associer aux réflexions philosophiques
un frais tableau de la nature, un paysage aux tons variés,
que traversent d'un pas rapide les vivantes divinités de l'an-
tique mythologie. C'est le cadre quil préfère pour donner les
conseils de son épicurisme, et pour redire en jolis vers la
fuite du temps, l'incertitude du lendemain et la nécessité de
jouir du présent ^ Ce type de l'ode horatienne a beaucoup
frappé la Pléiade, qui s'est attachée avec une prédilection
évidente à le reproduire. 11 n'est donc pas étonnant d'en
retrouver plusieurs copies chez du Bellay.
' Rapprocher de celle ode Ronsard, le Trophée d'Amour (Blanchemain,
IV, 131) et Baif, les Muses (Marly-Laveaux, II, 77-79).
- V. notainmenl Carm. I, iv ; I, i.\ : II, m ; IV, vu ; IV, xii ; Epod. xui.
LES (( VERS LYRIQUES ))
209
Co mot de copies n'a rien d'excessif : lautcur s'inspire de
son modèle jusqu'au plagiat. Ainsi l'ode à Dorât, Du retour
du printens (I, 194), n'est qu'un impudent amalgame de deux
odes d'Horace, — l'ode à Sestius et l'ode à Torquatus ', —
agrémenté d'emprunts à d'autres odes. Qu'on en juge :
Or'esl tens que Ion se couronne )
De l'iirbre à Venus consacré, j
Ou que sa leste on environne )
Des fleurs qui viennent de leur gré. -'
Qu'on donne au vent aussi
Cest importun soucy.
Qui tant nous fait la guerre :
Que Ion voyse sautant,
Que Ion voyse hnrtant
D'un pié libre la terre.
V'oicy, déjà l'Eté qui tonne
Chasse le peu durable Ver,
L'Eté le fructueux Autonne,
L'Autonne le frilleux Hyver ;
Mais les lunes volaiges
Ces célestes dommaiges
Reparent, et nous hommes.
Quand descendons aux lieux
De noz ancestres vieux,
Urabre et poudre nous sommes. |
Pourquoy doncq' avons-nous envie
Du soing qui les cœurs ronge et tend
Le terme bref de notre vie |
Long espoir nous délient. /
Ce que les Destinées
Nous donnent de journées.
Estimons que c'est gaing.
Que scais-lu si les Dieux
Ottroyronl à tes yeux
De voir un lendemain ?
Nunc decel aul viridi nitidum caput nnpedire myrto,
A ut flore terrae quem ferunt soiutae.
(I, IV, y- 10).
iSunc pede libei'o
Pulsauda tellus.
(1, XXXVII, 1-i).
Ver proterit aestas
Interitura, simul
Poniifer autumnus fruges efl'udei'it, et n\ox
Bruma recurrit iners.
Damna tamen celeres reparant coelestia lunae :
Nos, ubi decidimus
Quo pius Aeneas, quo dives TuUus et Ancus,
Pulvis et umbra siimiis.
(IV, VII, 0-1(5).
V'itac sunima bievis spem nos vetat inchoare loiigam.
(I, IV, lo).
Quem fors dierum cumque dabil, iucro
Appone.
(I, IX, li-l,ï).
Quis scit an adjiciant hodiernae ciastina suinmae
Tempora Di superi "?
(IV, VII, i7-lS).
J'en dirai presque autant de l'ode à Bergier, Du premier
Jour de l'an (I, 190), imitée en partie de l'ode à Thaliarque '.
Ce n'est plus un tableau du printemps, c'est une description
de l'hiver que l'auteur nous présente, mais pour aboutir aux
mêmes pensées : chassons le souci qui dévore, ne songeons
à demain dont seuls les Dieux disposent, aimons, buvons,
' Garni. I, iv et IV, vu.
- Carm. I, ix.
Univ. de Lille.
Tome VIII A. 14.
210 JOACHIM DU BELLAY
vivons. Horace est partout là dedans. Néanmoins, la conclu-
sion est d'une facture assez personnelle :
Je te souhaite pour t'ebatre
Durant ceste morte saison,
Un plaisir, voyre trois ou quatre,
Que donne l'amye maison :
Bon vin en ton celier,
Beau feu, nuyt sans soucy,
Un amy familier.
Et belle amye aussi,
Qui de son lue, qui de sa voix
Endorme souvent tes ennuiz.
Qui de son babil quelquesfois
Te face moins durer les nuitz,
Au lict follastre autant
Que ces chèvres lascives.
Lors qu" elles vont broutant
Sur les herbeuses rives.
Cette moi'ale épicurienne, qui consiste à noyer ses soucis
dans le vin, se retrouve encore à la lin de l'ode au seigneur
Rabestan, Du Jour des Bacchanales ' (I, 192). Mais ici les
descriptions de la nature ont fait place aux fictions de la
mythologie. Toujours aidé d'Horace % du Bellay consacre à
Bacchus un véritable dithyrambe \ 11 nous dépeint le dieu
s'avançant, le front ceint de lierre, sur un char traîné par
' Les deux derniers vers de la pièce :
Quelquesfois il faut faire
Le fol pour son amy,
sont une Iraduction d'IIoraee, Garni. II, vu, lin :
. . . Receplo
Dulcc iiiilii furere est aniico.
- Cann. Il, xix.
' Comparer la pièce de Ronsard, Chant de folie à Bacchus {Bocage de
lo.iO, { 147 r". — Blanchcniain, IL 470).
LES (( VERS LYRIQUES )) 211
des tigres, taudis que de joyeux Satyres soutiennent avec
peine Silène cliancelaut sur un âne tardif. Puis il chante ses
victoires sur Orphée, sur Lycur^^ue, sur Penthée, sur Uhœtos.
Tout ce déploiement de uiytliologie n'est pas exeni[)t de pé-
dantisme : au moins, vu le sujet, peut-il se justifier.
Mais il nen va pas toujours de même, et la mytholog-ie,
qui gâte la plupart des sonnets de VOliçe, ne produit [)as
meilleur ellet dans quelques-uns des Vers Lyriques. On ne
voit pas pourquoi, s'adressant A une dame cruelle et inexo-
rable (I, 200), le poète éprouve le besoin, pour lléchir ses
rigueurs, d'invoquer la légende de Diane et dActéon, le
larcin de Prométhée, le supplice d'Encélade sous l'Etna.
lnsupporta])le et fastidieuse dans cette élégie d'amour, la
mythologie est impertinente dans l'ode A deux dainoyzelles
(1, 18G). Je comprends qu'il égale leurs attraits à la beauté
des Charités et des Nymphes, la douceur de leui- voix à la
« harpe » d'Orphée. Mais je ne comprends pas <]u'il leur
raconte les bonnes fortunes de Jupiter, les galantes aventures
d'Europe, de Léda, de Danaé, d'Alcmène, de Callisto, d'io,
— pour les menacer du sort de ces femmes, si leur cœur
est rebelle à l'amour :
Fuyez doncq' les façons cruelles
Que Beauté couve soubz ses esles :
Faites à l'Ainour humbles vœutz
Qu'à Jupiter ne vous otroye.
Pour croistre (ô bienheureuse proye !)
Le nombre des célestes feux.
Singulière façon de pousser au mariage ! . . . Et je ne dis
rien des deux strophes finales !
Le meilleur emploi qu'ait fait du Bellay des fictions mytho-
logiques, c'est lorsqu'il chante Les louanges d' An/ou (1. 175).
Dans ses vers, je retrouve cette conception de la nature peu-
^12 JOACHIM DU BELLAY
plée de dieux, qui l'ait le charme souverain de certains
fragments de Ronsard. L'auteur s'adresse au dieu de Loire
et le prie de jeter ses regards protecteurs sur le beau pays
angevin,
A qui le Ciel feut donneur
De toute grâce et bonheur.
Celte terre bénie, Cérès, Bacchus l'ont jadis visitée. Les
Faunes habitent ses forêts. Les Nymphes s'ébattent sur les
bords de son lleuve. Les gentilles Hamadryades, et Priape,
et Paies, et Flore, et le pasteur de l'Amphryse, y font volon-
tiers leur demeure. — Un mérite s'ajoute encore à ce vivant
naturalisme : c'est l'amour du coin de province, le culte du
pays natal, un accent de terroir inconnu jusqu'alors :
Quand à moy, tant que ma lyre
Voudra les chansons élire
Que je luy commanderay,
Mon Anjou je chanteray.
Et le poète fait le vœu de reposer un jour, près de quelque
fontaine, non loin du lleuve paternel. Dans la fin de cette
ode, qui contient comme en germe le sonnet du petit Lire,
je sens percer enfin cette source du vrai lyrisme, l'émotion
personnelle.
IV
Elle est rare dans le recueil de i549. Trois odes cepen-
dant en sont plus ou moins pénétrées.
Dans son Chant du Désespéré (I, 196), le poète a tenté un
thème vraiment lyrique ', le désespoir d'une àme qui souffre,
' J'ai «léjà (lit que les Œuvres Poétiques de Peletier (1547) contenaient,
elles aussi, un Chant du Désespéré {f" 74 r").
LES (( VERS LYRIQUES » 213
qui ne trouve pas de consolations dans la nature, et (jui
ne voit de reuiède à ses maux que dans la mort. Malheu-
reusement, ridée reste vague : le poète ne dit pas la cause
de cette souffrance, et les sentiments qu'il exprime sont gâtés
la plupart du temps par l'exagération et par le mauvais goût.
Du Bellay sera plus touchant trois ans plus tard, lorsqu'il écrira,
sous l'empire de la douleur, sa Complainte du Désespéré.
L'ode Au seigneur Pierre de Ronsard (1, 198) est une
pièce intime qui dénote l'amitié véi'itable et la sincère admi-
ration qu'éprouvait du Bellay pour le chef de la Pléiade.
Ronsard l'ayant comblé de louanges dans quelque ode encore
inédite \ du Bellay confus répond par avance :
Amy, vole plus hautement.
Et en lieu si humble n'amuse.
Qu'à me louer, ta docte Muse.
A son tour il fait de Ronsard l'éloge le plus enthousiaste et
lui prophétise, quelque sujet qu'il chante, un renom immortel.
Ce qui me frappe dans cette ode, c'est la modestie de l'auteur
en face de son ami, modestie peut-être excessive, mais que
je crois réelle : du Bellay s'est toujours effacé devant le grand
Ronsard, comme un élève devant son maître.
Contraste étrange : cet humble dévot de Ronsard montre
l'orgueil le plus superbe dans son ode à Bouju ', De l'immor-
talité des poètes (I, 120.1). Cette ode, qui clôt les Vers Lyriques,
est le chef-d'œuvre du recueil. Le poète entonne fièrement
son exeg'i monumentum. Peut-être dira-t-on que c'est bien tôt
chanter victoire, et qu'il est présomptueux, pour ne rien dire
' II s'agit sans nul doute de lune des odes suivantes du recueil de 15î50 :
liv. I, ode 9 ; liv. I, ode 16 ; liv. III, ode 14. (Blanchemain, II, 98, 117, 214).
- Jacques Bouju (lalo-1577), Angevin, maître des requêtes de la reine,
poète latin et français, ami de Ronsard et de du Bellay. Sur Bouju, consulter
La Croix du Maine, I, 394 ; Scév. de Sainte Marthe, Elo g ia (160G), p. 116-118,
lacobus Biigius; et surtout rinlcressante notice d'Em. DupréLasale, Paris,
Techener, 18S3.
214 JOACHIM DU BELLAY
de plus, de se décerner dès les premiers pas l'immortalité.
D'accord : mais il faut reconnaître que le sujet l'a cette l'ois
bien inspiré, qu'il a traduit en très beaux vers son ardent
amour de la gloire, et qu'en se souvenant d'Horace ', il a
su rester lui-même :
Cetuy quiert par divers dangers
L'honneur du fer victorieux :
Cetuy la par flotz étrangers
Le soing de lor laborieux.
Lun aux clameurs du palais s'étudie,
L'autre le vent de la faveur mandie :
Mais moy, que les Grâces chérissent,
Je hay' les biens que l'on adore.
Je hay* les honneurs qui périssent,
Et le soing qui les cœurs dévore :
Rien ne me plaist, fors ce qui peut déplaire
Au jugement du rude populaire.
Les idées chères à la Pléiade, le prix inestimable de l'art et
riiorrcur du vulgaire ignorant et grossier, s'expriment en ces
vers avec une rare énergie. Le poète hardiment se fait com-
pagnon des Dieux et couronne son front de laurier. Il entre
vivant dans l'éternité :
Je ne craindray, sortant de ce beau jour.
L'epesse nuyt du ténébreux séjour.
De mourir ne suys en emoy
Selon la loy du sort humain.
Car la meilleure part de moy
Ne craint point la fatale main :
Craingne la Mort, la Fortune, et l'Envie,
A (jui les Dieux n'ont donné qu'une vie.
' Carm. I, i; II, xx ; III, xxx.
LES U VERS LYRIQUES » 215
Arrière tout funèbre chant,
Arrière tout marbre et peinture,
Mes cendres ne vont point chei'chunt
Les vains honneurs de sépulture :
Pour n'estre errant cent ans à l'environ
Des tristes bords de l'avare Acheron.
Mon nom du vil Peuple incongnu
N'ira soubz terre inhonorc :
Les Seurs du mont deux fois cornu
M'ont de scpulchre décoré,
Qui ne craint point les Aquilons puissans,
Ny le long cours des Siècles renaissans.
Voilà de fiers accents, et que la lyre française n'avait encore
jamais rendus ! Quel Marotique avait trouvé, pour redire son
rêve de gloire, des vers d'un sentiment si haut, d'un souJlle
si égal, dune facture si correcte et si ferme ?
V
J'ai cru devoir m'étendre un peu sur le premier recueil
lyrique de du Bellay. Certes, à le prendre dans son ensemble,
il est plutôt médiocre. L'imitation y tient trop de place, et
même la traduction : procédé littéraire déplorable, mais surtout
dans un genre qui réclame du poète la plus grande somme
possible de personnalité. Néanmoins, il serait excessif de
prétendre que du Bellay s'est mépris de tout point sur
l'essence du lyrisme. L'émotion personnelle, on a pu s'en
convaincre, n'est pas absente de ses odes : une fois au
moins, elle a fait jaillir de son âme de très beaux vers, d'une
grande noblesse de pensées. Mais évidemment c'est l'exception.
Presque toujours, du Bellay, qui sait tourner des strophes
agréables et faciles, manque de puissance et de force.
216 JOACHIM DU BELLAY
Il s'est tenu clans les sujets moyens. Ses odes n'ont rien
de pindarique. Rien plus latin que grec, du Bellay préférait
Horace à Pindare, et, s'il admirait le lyrique tliébain, il
n'était nullement soucieux de le suivre :
Si je voulois suyvre Pindare,
Qui en mille discours s'égare
Devant que venir à son poinct.
Obscur je brouillerois ceste Ode
De cent propos : mais telle mode
De louange ne me plaict point.
Il me plaict de chanter ta gloire
D"un vers, lequel se face croire
Par sa seule simplicité :
Sans me distiller la cervelle
Nuict et jour, pour rendre nouvelle
Je ne sçay quelle antiquité :
Tirant d'une longue fable
Un loz qui n'est véritable,
Pour farder l'honneur de ceux
Qui, peincts de telles louanges.
Comme de plumes estranges,
N'ont rien de louable en eux '.
Ces vers d'une ode au prince de Melphe nous livrent sa
pensée touchant le pindarisme. Son goût très sur et bien
français s'accommodait mal de ces complications, comme il
répugnait dans le fond aux mièvreries du pétrarquisme. L'eût-
il voulu d'ailleurs, son génie trop grêle et trop court n'aurait
jamais pu concevoir l'ode à Michel de L'Hospital.
Je ne songe aucunement à lui en faire un reproche ; mais
je ne voudrais pas non plus qu'on en fil un reproche à
Ronsard. On a souvent redit les erreurs où ce poète est
' Ode au Prince de Melphe (II, S9).
LES (( VERS LYRIQUES )) 217
tombe par la faute du pindarisiuo : on oublie peut-être un
peu trop ce qu'il lui doit d'heureux '. Je cherehe en vain
chez du Bellay cette g^randeur d'inspiration ([ui me frappe
chez son rival, ces élans vii«()ureux et cette ampleur de
souffle qui mettent Ronsard hors de pair. Je sais bien qu'il
n'a pas connu le désastre des chutes profondes, — et c'est
quelque chose sans doute. Mais il n'a pas connu non plus
le secret merveilleux de monter parfois dans l'air libre, d'une
aile largement éployée, et de planer sur les sommets.
' Sur ce point, v. la thèse de Gandar, p. 101-105.
CHAPITRE VIII
LE « RECUEIL DE POESIE »
1549
I. — Entrée d'Henri II â Paris (16 juin 1549). — La « Prospho-
nématique ».
II. — Du Bellay se présente à Madame Marguerite — Origine du
(( Recueil de Poésie ». — Du Bellay courtisan.
III. - Le (( Chant triumphal sur le voyage de Boulongne » et les
odes officielles.
IV. — Les odes littéraires.
V. - Le (( Dialogue d'un Amoureux et d'Echo ».
La Deffence, V Olive et les Vers Lyriques avaient paru vers
Pâques i549. Deux mois plus tard, le i6 juin, Henri II faisait
son entrée solennelle à Paris. Cet événement fut pour la
Pléiade roccasion toute naturelle de se mettre en avant, et,
par la part qu'elle prit à ces fêtes historiques, de s'imposer à
l'attention du roi de France et de sa Cour '. « Les Parisiens,
' Maurice Scève avait de nièine, Tannée précédente, avec Claude de Taille-
mont, ordonné l'entrée d'Henri II à Lyon.
LK « RECUEII, DR POESIE )) 219
dit Vieilleville, poui" n'estrc vous ingrats envers leur prince
souverain, (iront merveilles de le bien recevoir ; car il n'y
avoit place, canton, carrefour ny carroy, qui ne fust gai-ny,
ou dun théâtre, ou d'un arc triomphant, ou d'une pyramide,
ou d'un obélisque, ou d'un colosse de nos anciens roys, ou
dun pegme : tous élaboui'cz de très-excellents et très-ingenicux
artifices, où For et l'azur n'estoient nullement épargnez, decoi*ez
au reste de festons et trophées, illustrez quant et quant des
très-doctes vers grecs et latins de ce poëte royal d' Aurai, et
des odes françaises et chants royaulx du divin Ronsard '. »
A'ieilleville fait erreur quand il parle d'odes et de chants
royaux : les arcs de triomphe élevés dans Paris n'offraient aux
yeux que des devises grecques et latines et des ([uatrains
français ". Mais la Pléiade était peut-être aussi pour quelque
chose dans cet étalage de décorations allégoriques et mytholo-
giques qui partout se dressaient au milieu des places et des
carrefours. Peut-être elle en avait fourni l'idée en même temps
que les inscriptions. Je croirais volontiers qu'elle ne fut pas
étrangère à cet arc triomphal de la porte Saint-Denis, où l'on
voyait un Hercule Gaulois, tirant par quatre chaînes, qui
sortaient de sa bouche et s'attachaient à leurs oreilles, quatre
personnages symboliques, le Clergé, la Noblesse, le Conseil et
le Peuple ^
Quoi qu'il en soit, elle jugea que, dans une fête aussi
mémorable, il était du devoir des poètes de faire entendre la
voix des Muses. Tandis que Ronsard publiait V Avant-Entrée
du Roy Tres-Chrestien à Paris \ du Bellay lit paraître sa
1 Mémoires de Vieilleville, liv. 111. cliap. 20. — Collection Petitot, XXVI,
304.
- V. la relation de l'entrée d'Henri II à Paris, dans Félibien, Histoire de
la ville de Paris, t. V, p. 301-378 (preuves et pièces justilicatives).
' Cf. Deffence. p. 162, (in.
* Paris, Gilles Corrozet, 1549, in-i», 132 vers. — L'ouvrage reparut dans le
Bocage de 1330, f" 136 r°. Plus tard, il trouva place dans les Poëmes (Blanche-
main, VI, 297).
220 JOACHIM DU BELLAY
Prosphonémalique \ C'était un salut de bienvenue" au sou-
verain qu'on recevait avec tant de pompe et d'éclat. L'œuvre
est médiocre, comme il arrive si souvent pour les poèmes
olïiciels. On se prend à sourire, lorsqu'on voit du Bellay se
mettre en frais d'imagination pour nous dépeindre le passage
du roi dans la campagne de Paris : à la vue d'Henri II,
Gérés se couronne de beaux épis dorés, Bacchus orne sa
tête de pampres et de fleurs, Nymphes et Demi-dieux se
retirent sur les hauteurs pour contempler ce lîls des Dieux
tout à leur aise, les oiseaux à l'envi le saluent de leurs
chants, les animaux domestiques et champêtres fixent sur lui
des regards étonnés : bref, la nature entière est ravie en
extase. — Pourtant, quelques détails sont bien réels et
suffisent à montrer que du Bellay s'est inspiré, dans une
certaine mesure, du spectacle qu'il avait sous les yeux :
Qui a peu veoir les mousches ménagères
Sur le printemps de leurs manoirs saillir.
Faire un grand bruit, et s'en voler légères.
Puis çà et là l'honneur des champs cueillir :
Celuy a veu les miliers, qui se rendent
Dessus les murs et portes, qui t'attendent. (1, 223-224).
L'anonyme écrivain d'une antique relation de l'entrée d'Henri 11
à Paris est ici d'accord avec le poète : « Les spectateurs
estoient en si grande multitude aux portes et fcnestres des
maisons, tant d'un costé que d'aultre, niesmes sur les tuilles et
* Phosphoneumatique (sic) au Roy Trescretien Henry II, le iour de son
entrée à Paris HJ de luin 1549. Paris. Michel Vascosan, 1549, in-8". —
L'ouvrage reparut dans le Recueil de Poésie de 1549 (Marly-Laveaux, I, 222).
- « Ce tillrc est pris du grec, et signilic autant que salutation. Dionys.
Halicarnass. a fait un traicté des Prospiionematiqucs, parlant des saluta-
tions qu'on fait aux Roy» et grands seigneurs aux entrées de leurs villes et
I)r()viuccs. Il no fault trouver estrange la nouveauté du ternie, veu que les
Latins ont pris des Grecs les noms de leurs i)ri)ësmcs, et que nostre langue
depuis peu de temps a desja receu ode, epilhalaine, panégyrique et autres. »
(Jean Proust. Brievc exposition).
LK. (( REGUKIL UH l'OKSlE )) 221
tout au long- des rues, que aussitost seroicnt noinhrécs" les
estoilles du eiel et les grains de sable de la nier, que l'on
eust pu compter ce peuple ' )). Plus loin, du Bellay parle du
canon qui taisait par le ciel comme un nouveau tonnerre ,
capable de troubler Jupiter même dans son Olympe. Nous
savons en effet qu'à la porte Saint-Denis le roi « l'ut haulte-
ment salué de trois cents cinquante pièces d'artillerye , tant
grosse que menue : laquelle iîst un si merveilleux tonnerre,
qu'il n'est en la puissance des hommes de le représenter^ ».
Ailleurs encore, s'il nous peint Seine et ses trois îllles, Marne,
Oise, Yonne, sortant des eaux, les tresses dénouées, pour
chanter en l'honneur du monarque, ne serait-ce point qu'il
s'inspire de certaine décoration , devant laquelle , suivant la
chronique, « assez bon espace de temps arresta Sa Majesté avec
toute sa suitte » ? Un grand arc de triomphe représentait la
Gaule, tenant en ses mains des fleurs et des fruits, symbole
de sa richesse. Sur les côtés intérieurs de cet arc, se voyaient
deux carrés de peinture : l'un d'eux figurait le fleuve de
Seine, couronné de laurier, à demi couché sur des roseaux
aquatiques, portant d'une main un aviron, pour montrer qu'il
est navigable, et de l'autre s'accoudant sur une hydrie, d'où
s'échappait en abondance une eau limpide, source d'une grande
rivière où se jouaient des nymphes ; le col de l'urne était g-arni
de blés et de raisins; au-dessous on lisait l'inscription : feux
SEQVANAE VBERTAS. L'autre carré représentait une peinture du
même genre, la rivière de Marne, avec cette devise : grata
MATRONAE AMOENiTAS '. N'est-ce pas là que du Bellay aurait
puisé l'idée de ces louanges de Seine qu'il a mises dans la
bouche de la Nymphe de Marne * ?
* Félibien. loc. cit., p. 365.
2 Félibien, ibidem.
3 Félibien, loc. cit., p. 369.
^ Marty-Laveaux, 1, iÈlj.
222 JOACHLM DU BELLAY
II
Le 18 juin, doux jours après le roi, la l'cine Catherine de
Médicis lit à son tour son entrée dans Paris. Les princesses
racconi})agnaienL notamment Madame Marguerite, sœur du
roi. Pendant un mois entier, les souverains logèrent aux
Tournelles.
Cest alors que du Bellay, ([ui sortait du Collège de Coqueret
et qui cherchait des protecteurs, pi-it In hardiesse, counne il
le dit lui-même, de se présenter à Madame Marguerite. Il
noTis a raconté l'accueil qu'il reçut d'elle : « Il vous pleut de
vostre bénigne grâce me recevoir avecques tel visage, que je
congneu mes petitz labeurs vous avoir esté agréables '. » Ce lui
lut un ])onheur. Prompt à s'abattre, il se plaignait de n'avoir
pas tiré de ses premières œuvres, la Deffence et VOlive, le
profit qu'il en attendait, et déjà, de dépit, accusant l'infélicitc
du siècle , hostile aux « bons esprits », et le nombre des
concurrents, (( indocte nmltitude », il songeait à rentrer sous
sa tente, à renoncer à tout jamais à la carrière poétique. Le
bienveillant accueil de la princesse lui lit reprendre espoir.
Elle lui j)rodigua les encouragements, lui parla de ses œuvres
en femme qui les avait lues et qui savait les apprécier,
l'engagea vivement à poursuivre dans cette voie si glorieuse.
Il n'en fallait pas davantage pour remonter notre poète ^
Ce fut là lOriginc de la grande amitié de l'écrivain pour
la princesse , ou pour mieux dire, du culte ardent, fidèle, et
presque religieux, qu'il lui voua daus son cœur. Et ce fut
aussi l'origine de son troisièiue ouvrage, le Recueil de Poésie.
' Épîlro dédicatoiro <lii lU-viicil de Poésie (I, 220).
- « Cela, Madanio, a depuis si vivement incité mon couraig^e, que mettant
en arrière ma première <lcliberation, je me suis remis aux ciioses que j'ay
pensé vous pouvoir donner iiucl(]ue plaisir» (I, 220).
LE (( RECUEIL DE POESIE )) 223
Encourage par Marguerite, du liellay se remit aux vers avec
plus d'eutrain que jamais. 11 élabora des odes nouvelles en
s'inspirant des circonstances. A quelques mois de là, dans le
courant d'octobre, il présentait son manuscrit* à la princesse:
Marguerite l'agréait, commandait à l'auteur de le mettre en
lumière, et cela sous son noni\ Le Recueil de Poésie vit ainsi
le jour à la fin de i549 '. Est-il besoin de dire que du Bellay
le dédiait à sa protectrice ? Mais en se proclamant heureux
d'avoir pu (( rencontrer la faveur de son jugement )), il laissait
entendre qu'il espérait aussi gagner, par son uioyen. « celui
du Roy et de la Royne )). Habilement, une pièce liminaire
à sa Lj're complétait la pensée du poète :
Va doncques maintenant, ma Lyre :
Ma Princesse te veult ouir.
Il fault sa table docte eslire.
Là quelque amy voudra bien lire
Tes chansons, pour la resjouir.
Ta voix encores basse et tendre
Apren à hausser des ici.
Et fay tes chordes si bien tendre
Que mon grand Roy te puisse entendre,
Et sa royale epouze aussi. (I, 221).
Voilà donc du Bellay devenu poète courtisan ! Dans la
' « Vous ayant doncques ces derniers Jours fait présent de ce petit livre,
non seulement vous l'avez eu aggreable. . . . mais encor' vous a pieu me
commander de le mettre en lumière, et soubs vostre nom » (I, 220). — Cette
épitre dédicatoire est datée de Paris, 23 oct. 1549.
- Recueil de Poésie présenté à tresillustre Princesse Madame Marguerite,
Seur Unique du Roy, et mis en lumière par le commandement de madicte
Dame. Par I. D. B. A. Paris, Guiil. Cavellat, 1549, in-8". Privilège du 5 nov.
1549. — L'ouvrage est accompagné d'un commentaire de « lan Proust Angevin »,
Brieve exposition de quelques passaiges poétiques les plus difficiles contenuz
en cet œuvre. V. Marty-LaA-eaux, I, 494. — Ce Jean Proust, dont on ne sait rien
de plus (cl". La Croix du Plaine, I, 578), était un ami du poète, qui lui a dédié
la 2' ode de ses Vers Lyriques : Des misères et fortunes humaines (I, 178).
224 JOACHIM DU BELLAY
Deffence. il s'était pourtant assez moqué de ceux qui n'écri-
vaient que pour les gentilshommes et pour les damoiselles,
et qui mettaient leur ambition à briguer les faveurs de la
Cour. Et l'occasion se présentant, il faisait comme eux : il
reniait ses principes, il recherchait avec ardeur ce dont il
avait dit tant de mal, il prostituait sa Muse chez les princes.
L'austère critique qui n'était pas loin de penser en i549 ^^^
la Cour était le g-rand obstacle aux progrès de la poésie,
allait écrire en i55o que la Cour était la « seule escoUe ou
voluntiers on apprent à bien et proprement parler ' ». Dans
l'espace de quelques mois, une conversion s'était accomplie
dans les idées de Joachim, et pour l'opérer, il avait suffi d'une
parole de Madame Marguerite.
m
Le Recueil de Poésie ^ s'ouvrait par la Prosphonématique,
déjà parue au mois de juin. La pièce était suivie d'un Chant
trinniphal sur le ooj^ag-e de Boulongne (I, 228). Au milieu
(lu mois d'août, Henri II était parti pour reprendre Boulogne
aux Anglais, qui s'en étaient emparés en i544- Après quelques
succès, une forte tempête ayant détruit son camp, il avait dû
lever le siège (( avec ung indicible regret ' » d'avoir échoué
dans son entreprise. Tel était le voyage que du Bellay chan-
tait comme un triomphe. Des imprécations contre les Anglais,
des llatteries aux puissants de la Cour, l'hyperbole à jet
continu, quelques images gracieuses mêlées à maint souvenir
mythologique, et, brochant sur le tout, des vers entiers traduits
' 2* préf. de YOUve (1, 74).
- Marly-Laveaux, I, ^19-267.
^ Mémoires «le Vieilievillc, liv. 111, cliai). 21 sijq.
LE « RECUEIL DR POÉSIE » 2io
d'Horace et de Yirgilu ' : voilà ce (|U(>ii Irouvail dans ce
poème de circonstance, aussi vide d'inspiration (juc dépourvu
de véritc.
Puis, le Recueil de Poésie conlcuail. couunc 1 OZ/tr, des
Vers Lyriques : soit seize odes, dont la moitié consistait
en éloges olliciels ". Du Bellay célébrait tour à lour la Heine
et Madame Marguerite, les cardinaux de (iuisc, de (]hàlillon
et du Bellay, François I'^'' et Henri II, le seigneur du Bois-
Dauphin et la comtesse de Tonnerre. On ne m'en voudra pas
de glisser à la hâte sur cette partie de l'ouvrage. Elle n'ajoute
rien à la gloire de l'auteur. Rien ne montre aussi clairement
que ces odes laborieuses comme il était peu fait pour ce
genre de poésie. Le malheureux se met l'esprit à la torture
pour savoir qu'inventer et que dire. 11 veut chanter la Reine :
matière infertile et petite. Il est réduit, faute de mieux , à
louer sa fécondité '. C'est tout? Non : il loue encore l'exem-
plaire tendresse du royal ménage O le lin courtisan 1 II est
couturaier de ces trouvailles : il vante la vertu « chenue ))
d'un cardinal de vingt-cinq ans ou bien l'éclatant mérite d'un
très obscur maître d'hôtel. Lorsqu'il est trop dans l'embarras,
la mji,hologie vient à son secours. Atlas, Hercule, Thésée,
Tiphys, Jason, l'aident à chanter le cardinal de Chàtillon et
le connétable de Montmorency. Les femmes illustres de la
légende et de l'histoire, Penthésilée, Sémiramis. Camille, Mar-
phise, Bradamante, Corinne, Sappho, Gornélie, guerrières et
lettrées, accourent à sa voix pour publier les louanges de la
comtesse de Tonnerre. Ces fastidieux panégyriques ont l'impar-
* P. 229-230 (la mort pour la patrie, la vertu qui rend immortel) = Horace
Carm. III, ii, 1;M6 et 21-24 : IV, vin, 29-32. — P. 232-233 île temple de Victoire)
= Virgile, Géor^. III, début.
- Ces odes ollicielles sont exactement les otles I, 2, 3, 6, 7, 11, 13 et 16. —
A signaler dans l'ode 6 (p. 243) des souvenirs d'Horace (Carm. IV, ix, I3-2<S).
' Ronsard d'ailleurs en fait autant (Blanchemain, II, 177 et V, 74).
Univ. de Lille. Tome VIll. A. 13.
226 JOACHIM DU BELLAY
donnable défaut de manquer de sincérité. Tout au plus
pourrait-on mettre à part l'ode à Madame Marg-uerite. où les
sentiments de l'humljle poète revêtent une horreur religieuse
(jui nest pas sans émotion.
IV
J'arrive aux odes ([lù sont davantage d'ordre littéraire.
Une d'entre elles, adressée A Mercure (I, 261), n'est qu'une
traduction d'Horace '. — et traduction combien prolixe ! Deux
autres, Contre les cwaritieu.x (I, 25o) et De l'innocence, et de
n'attenter contre la magesté divine (I, 255), sont des lieux
comnmils de morale, où du Bellay pille encore sans vergogne
son poète lavori ". Nous avons déjà vu quel système il applique,
lorsqu'il traite un sujet de ce genre. Ses nouvelles odes ne
se distinguent pas des anciennes, à cela près qu'elles sont peut-
être encore un peu moins personnelles. Décidément, pour un
lyrique, du Bellay traduit trop.
Trois autres odes célèbrent les louanges de trois poètes,
dont le prestige était alors considérable : Saint-Gelays, Caries,
Héroët '.
Mellin de Saint-Gelays avait pris à la Cour la place de
Marot. Il était le poète en vogue, très goûté des seigneurs et
des dames, très cher au prince. Ingénieux et spirituel, il
plaisait par ses petits vers, épigrammes et sonnets, cartels et
mascarades, étrennes et chansons, qu'il se gardait bien
' Carm. JII, xi, Ad Mercurium.
■ Ode 8 ■-= Carm. III, xxiv, 1-16 : III. i, \l-32. — Ode lU = Cann. IIJ,
xxiii, 1-8 ; 1, XXII, 1-4 : III, m, 1-8 ; III, 11, 31-32 ; 1, m, 2o-U) ; III, iv, 09-80.
•' Dans la Musagnœornacliie (1550), du Bellaj' réunit encore leurs trois
noms :
Carie', Heroët. Saint Gelais,
Les trois favoriz des (îraces. (I, 14o).
LK (( RKCUEIL DK l'OKSIE )) '^27
d'ailleurs »rim|»i'iiii(M' '. Du lirllay l'avait alla([iu' iiaj>uèi'(', eu
une phrase de la Dejfence -, alors que, dans sou zèle de néo-
phyte, il avait toutes les audaces. Mais depuis il s'était ravisé.
Maintenant qu'il voulait se pousser à la (]our et qu'il espérait
pouvoir réussir, grâce à Madame Marguerite, il voyait les
choses d'un autre œil. 11 avait réfléchi qu'il était dangereux
de se mettre à dos un rival si puissant, et (juil était |ilus
politique de conquéi'ir ses bonnes grâces. De là les Heurs dont
il le couvre (1, 238) :
Mellin, que cherist et honnore
La court du Roy, plein de bon heur :
Mellin, que France avoue encore
Des Muses le premier honneur..*.
Le sujet de l'ode c[u'il lui dédie est insignifiant. Poète de
Vénus, lui dit-il en substance, je voulais chanter Mars et les
combats : mais Phébus m'a représenté que c'était pour ma
lyre une œuvre trop laborieuse, (^ue ceux-là donc l'entre-
prennent,
Qui la bonne fortune sentent,
Et l'heur de la royale main.
Moi, je redirai le vin et l'amour. — C'est une invitation
au poète en faveur à traiter la matière à laquelle il renonce
pour lui-même. En des vers très flatteurs, il lui reproche
amicalement de ne rien publier et de condanmer à l'oubli les
précieux labeurs de sa Muse :
' En fait, il avait publié l'an 15i7 une mince plaquette de vers (Saingelals .
Œuvres de luy tant en composition que translation, ou allusion aux Auteurs
Grecs et Latins. Lyon. Pierre de Tours, in-S" de 79 p.) dont on ne connaît
aujourd'hui que l'unique exemplaire qui lit partie de la bibliothèque du
baron James de Rothschild, et que Blanchemain a reproduit au t. I de son
édition de Saint-Geiays C'est le seul ouvrage que Mellin ait jamais fait
imprimer.
' Deffence, p. 115.
228 .lOACHI.M DU BELLAY
(^oiume la Saonc doulce et lenlc
Dedans son sein non fluctueux,
Goule beaucoup moins violente,
Que le fort Rhosne impétueux :
Mellin, tes vers emmielez,
Qui aussi doulx que ton nom coulent,
Au nectar des Muses meslez,
L'honneur de tous les autres foulent.
Celuy (jui n'a eu favorable
La Muse lente à son secours,
D'un artifice misérable
Enfante les siens durs et lours.
Pourquoy doncques si longue nuit
Yeulx tu sur tes labeurs estendre,
Opprimant la voix de ton bruit,
Qui malgré toy se fait entendre?
Ces éloges sont-ils sincères? Je ne sais tro}> : mais il est
clair que c'est pour eux que le poète a fait son ode.
Lancebit (Parles ', gentilhomme bordelais, devait à ses
talents mondains autant qu'à sa science le crédit qu'il avait
à la Cour '. 11 (Hait aumônier d'Henri II, qui l'avait envoyé,
Lan 1547, en mission près du pape, et qui s'apprêtait à le
nommer évéque de Riez (i55o). Il se piquait de poésie ' et
possédait le grec à fond. C'est sans doute aux leçons de Dorât
' Sur Laiicelot (Parles, cotisuller Koiisanl, Hymne des Daiinons (Blaii-
clu-iiiaiii, \,\ii] ; Magnj', (iayetez, cdil Coiirlx't, p. 80-K2; Dorât, Poematia
[V.W)), parL II, p. 1.")4 ; Micliel de L'ilospital, Carmina, cdit. Dufey de
rYoïme. p. 71. Kll, 1S2 ; La Croix du Maine, II, 22 ; du Verdier. II, 570; —
et surtout la notice de (^ollelet, publiée et coniinentéc par Tamizey de
Larroque, Collection Méridionale, t. IV, Paris, 1873.
- « On ha veu le protliouotaire Carie, de Bourdeaux, desi)uys evesque de
liiès, svavant et «•rand persoiinaj^e, avoyr emporté la resputation en son
jeune temps d'csire le meilleur danceur de gaillarde qui fusl en la Court. »
(Brantôme, édit. Lalannc, III, 134).
' Epistre contenant le procès criminel laid a lenconlre de la royne
Anne Bon liant d'Angleterre, par Caries, auniosnier de Monsienr le Dinilpkin.
Lyon. l!)i.'), pet. iii-8". (Bi-unet, t. I. eol. 1a79). — Caries avait fait aussi les bla-
sons du (lenou, de lEspril et de l'Honneur dans les Blasons dn corps féminin .
LK « RECL'KIL l)K l'OËSIK » 220
que du Bellay Itivail coinm : car nous savons qu'il les suivait.
Sans parler dune veision du roman triléliodore '. il avait
enti-epris de traduire ï Odyssée. Du Bellay, qui le sentait moins
hostile que Saint-Gelays aux jeunes écrivains, en raison même
de ses études, comptait beauc-ouj) sur son appui. — Dans l'ode
qu'il lui consacre (1, 25^). il lui conseille d'abandonner
momentanément sa traduction de ï Odyssée pour chanter les
exploits du roi, le triomphe de la France et la ruine des
Anglais. Qui pourrait, mieux que Caries et sa docte Muse,
venir à bout d'un tel sujet?
Antoine Héroët, l'auteur de la Parfnicte Aiiiye, n'était pas
encore évêque de Digne ■. Mais ancien protégé de Marguerite
de Navarre et parent du chancelier François Olivier, il jouis-
sait d'un prestige que rehaussait encore son talent de poète.
Du Bellay, qui le regardait comme un précurseur, rend un
sincère hommage (I, 259) à celui qui, s'élevant au-dessus du
prosaïsme marotique, avait su traduire en beaux vers les nobles
aspirations de Platon et les chastes plaisirs de lidéal amour :
Heroët aux vers héroïques,
(Sul)je<^'t vrayment digne du ciel)
Qui en doulceur passent le miel,
En gravité les fronts stoïques :
Ta Muse, des Grâces amie,
La mienne à te louer semond.
Qui sur le hault du double mont
As érigé l'Académie.
Si l'on doibt croire à Pythagore.
Qui les corps fait reanimer.
On peut. Heroët, estimer
En tov celuv revivre encore.
' Celte version, anlérieui-e ;i celle d'Amyot, est conservée en manuscrit
à la Bibl. Nat., fonds français, n" 2143.
- Il le devint en 1552 (GalUa ClirLstiana, t. 111, col. 1132, C).
230 JOACHIM DU BELLAY
A qui jadis dedans la bouche
Les abeilles alloint formant
Le miel, lors qu'il estoit dormant,
Encor' enfant, dedans sa couche.
Jai iii'ardé pour la fin deux odes qui sont, de l'avis général,
les meilleures du recueil. Dans une ode à Madame Margue-
rite, D'escrire en sa langue (I, 240), du Bellay reprend les
idées de la Deffence. au point de mettre en vers quelques-
unes des phrases du fameux manifeste. C'est folie de vouloir
imiter les anciens en leur langue : autant vaut porter de l'eau
à la mer. du bois à la forêt '. Qui pourrait jamais égaler
Homère et Pindare, Virgile et Horace ?
Princesse, je ne veulx point suyvre
Dune telle mer les dangers,
Aimant mieulx entre les miens vivre,
Que nKJurir chez les estrangers.
Mieulx vault que les siens on précède,
Le nom d'Achille poursuyvant,
Que d'astre ailleurs un Diomede,
Voire un Thersite bien souvent.
(hicl siècle esteindra ta mémoire,
O Boccace ! et quelz durs hyvers
Pourront jamais seicher la gloire,
Pétrarque, de les lauriers verds ?
(^)ui verra la vostre muette,
Dante, et Bcmbe à l'esprit haultain 1
Qui i'era lairc la musette
Du pasteur Neapolitain ' ?
Comme dans la Deffence, du Bellay termine en disant la
' A remarquer dans ee début deux souvenirs d'Horaee : Carm. IV, 11. 1-t ;
Sat. f, X, 3I-3.T.
- Sannazar.
LE (( RECUEIL DE F^OËSIE )) 231
gloire de ceux qui n'ont pas craint d'illustrer leur langue
maternelle '.
L'autre ode a pour sujet Les conditions du vray poëte
(1, aSa). Du Bellay l'adresse à Bouju, maître des requêtes de
la reine. C'est une heureuse paraphrase de l'ode célèbre
d'Horace, Qiieni tu, Melpomene. semel '. Celui que la Muse a
sacré ne suit ni la faveur des grands ni la voix (( conten-
tieuse » du palais ; il ne connaît ni l'ambition, ni l'avarice, ni
l'envie ; il est ami de l'amour, ennemi de la volupté ; il fuit
la ville et le vulgaire, pour vivre au sein de la nature ' :
Les superbes collisées,
Les palaiz ambitieux,
Et les maisons lant prisées
Ne retiennent point ses yeux :
Mais bien les fontaines vives.
Mères des petits ruisseaux,
Autour de leurs verdes rives
Encourtinez d'arbrisseaux :
Dont la frescheur qui contente
Les beufz venans du labeur.
De la Canicule ardente
Ne sentit onques la peur.
Il tarde le coui's des ondes,
11 donne oreilles aux bois,
Et les cavernes j^rofomles
Fait rechanter soubs sa voix :
' Rapprocher de cette ode le dernier chapitre de la Deffence, p. 153-iril.
- Carm. IV, m.
^ Sainte-Beuve {Nouveaux Lundis, XIII. "i'il) rapproche de cette ode
l'élégie de Chénier :
O Muses, accourez, solitaires divines....
Edit. Becq de Fouquières, p. 155.
232 JOACHIM DU BELLAY
Voix que ne feront point taire
Les siècles s'entresuivans :
Voix, qui les hommes peult faire
A eulx mesmes survivans.
C'est im beau portrait de l'élu des Muses, et l'on ne peut
que l'admirer : mais n'est-ce pas une ironie de le rencontrer
dans \\n recueil fait pour la Cour ? Était-il bien séant au
poète de parler avec ce dédain de la faveur des grands
dans un ouvrage qu'il écrivait pour l'obtenir ?
V
Le Recueil de Poésie se terminait par ime pièce d'un
genre assez bizarre, le Dialogue cl un Amoureux et d'Echo
(I. 273). On y ])ouvail lire de ces jolies choses :
()ui est raiillicMir d(^ ces maulx avenuz ?
Venus.
(iOiiinienI eii soûl tous mes sens devenuz ?
Nuds.
()n'(^slois-i(' avant qu'enti-er en ce passaige ?
Saige.
Et maintenant ([ue sens-je en mon couraige ?
Raige.
Qu'(^sl-ce ([u'aimer. et s'en ])hiindre souvent?
Vent.
One suis-je doncj' lors <pie mon cœur en fend ?
Enfant.
Oui est \\\ lin de ]ii'ison si <)l)scure ?
Cure.
Dy moy, cpielle est celle poui- (|ui j'endure ?
Dure.
SiMil-cMc Iticii la (htuh'ui' (|ui me poingt ?
Point.
LF, (( KFCUKIL UK POKSIK » 2.Xi
Pasquier ot Tabourot ' sont d'accord pour voii' dans ce
jeu desprit le plus ancien écho IVançais. Mais du Bellay
s'est inspiré très certainement d'un écho latin du poète
hollandais Jean Second (diah)i;ue d'un passant et d'I^cho),
dont j'extrais ces fragments :
VIATOR.
Die, oro, poterit quid inipotenti
Seros ponere limites amori ?
ECHO.
Mori.
VIATOR.
. . . Aut mox abjicienda prima vita est ?
ECHO.
Ita est.
VIATOR.
. . . Adeone amaruni amare est ?
ECHO.
Mare est -.
La pièce de Joachim est sans valeur avicune, et je n'en
aurais point parlé, s'il n'était picjuant de voir l'adversaire
des rimes équivoques et l'apôtre de la grande poésie se
complaire à ces bagatelles, tout comme un simple Maro-
tique.
' Pasquier, Rech. de la France. VI, 13. et Lettres. VIII, 12. — Tabourot,
Bigarrures, cliap IG.
- loannis Secundi Hagiensis opéra, lunic primiim in lucem édita. Utrecht,
1541, pet. in-8\ Volume non paginé. (Bibl. >iat. — Y»^. 9470).
CHAPITRE IX
NOUVELLES SOUFFRANCES
1549-1552
I. — Maladie de J. du Bellay.
II. — Consolations que lui procurent les lettres et la poésie. —
La seconde édition de 1' (( Olive » : l'ode (( A Salmon
Macrin sur la mort de sa Gélonis » (1550). — Le « Tom-
beau de Marguerite de Valois , Royne de Navarre »
(1550-1551). — Jeanne d'Albret et du Bellay : les u Son-
nets à. la Royne de Navarre ».
III. — Soucis et tracas domestiques.
I
Le 'Surmenage intellectuel qut^ du Bellay, dans sa folle
ardeur de jeunesse, n'avait point redouté pour lui-même, de
si fortes (Hudes poursuivies sans relâche dans l'espace de
quelques mois, la production fiévreuse, et coup sur coup, de
plusieurs ouviages importants, n'avaient pas été sans elTet
sur sa santé toujours cliétive et délicate. Une grave maladie,
à la suite de laquelle il ressentit les premières atteintes de
NUUVKl,M!:s SOUFFRANCES 2'35
la sui'ditt', fui la c-()us6(|ii(nif(> de tous ces excès '. Il l'aillit
en mourir : un mal allroux, (|ui le privait de toutes forces,
le tourmenta durant deux ans, le cloua, nous dit-il, sur un
lit de douleur ■. Nous saisissons un vague écho de ses souf-
IVances dans une ode du Rocueil de Poésie, rAi'anlretoai- en
France de Monseigneur lîeverendiss. Cardinal du Bel/a)- :
Alors que les lièvres cruelles
Mes oz vont ronger de si près,
Qu'ilz n'ont quasi plus de mouëlles ,
Ja-desja me montroit la Parque
De Charon la fatale bartfue. (I, 249).
Des fièvres intermittentes le minaient. Assez mal en i549
pour inquiéter sérieusement tous ses amis, il allait mieux eu
i55o, et Uonsard, dans une ode à Meigret, célébrait sa conva-
lescence ' :
, Les dieus n'ont remis en arrière
L'humble soupir de ma prière,
Et Pluton, qui na point apris
Se fleschir pour dueil qu'homme meine,
N'a pas mis le mien à mépris,
Rapellant la Parque inhumaine
Qui ja nostre ami tenoit pris.
' Pieri-e de Paschal le dit expressément, dans son épitaphe du poète : Qui
ciwi in incommodnm valetiidinem nimio literariim studio Jamdiu incidisset.
ex eaque multos jam annos surdaster et tandem surdus factus esset...
(Marty-Laveaux, Appendice de la Pléiade, II, 38o).
- Elégie à Morel :
Continue excipiunt morbi, saevique dolores,
Queis prope Lelliaeas vidimus, umbra, domos
Hoc soliluni eripuit robur, binosqae par annos
Yexavit misero detinuitque toro.
^ Édit. orig.. liv. III, ode lo. f" 90 1°. (Blanchemain, II, 21G). L'ode a pour
titre : De la convalescence d'un sien ami. De même en looo. C'est seulement
en 1560, après la mort de son ami, que Ronsard a nommé du Bellay.
236 JOACHIM DU BELLAY
Mortes sont les fièvres cruelles
Qui rongeoint ses chères mouëlles ;
Son œil est maintenant pareil
Aus lleurs que trop les pluies baignent,
Envieuses Je leur vermeil,
Lesquelles après se repaignent
Aus raions du nouveau souleil.
Sus, Mégret, qu'on chante, qu'on sonne
Cest heur que la santé lui donne.
Qu'on chasse ennuis, soucis et pleurs.
Qu'on semé la place de roses,
Doeillés, de lis, de toutes fleurs
Qui se monstrants au ciel descloses
Le font mirer en leurs couleurs.
Toutefois. Ronsard s'était trop pressé. Le malheureux était
bien loin d'être guéri. La santé ne devait jamais lui revenir
complètement, et c'est tout au plus s'il allait connaître des
moments de relâche dans le mal qui le consumait. Dès i55i,
autant (ju'on peut préciser en pareille matière, il était repris
de ses fièvres, et dans sa Complainte du Drftesperé ', il
faisait de lui-inènie ce portrait lamentable :
.Mes oz, mes nerfz, et mes veines,
Tesmoins secrez de mes peines.
Et mile souciz cuyzans,
Avancent de ma vieillesse
Le triste hyver, (pii me blesse
Devant l'esté de mes ans.
Comme l'autonne saccage
Les verdz chpveux du boccage
A son triste advenement.
' L'œuvre fait p.nrlic irnii iccueil île I;m2, cloiil le iJi-ivilèg-e est <lu 1" févr.
1551 (n. s. 1552).
NOUVELLKS SOUFFRANCES 2'{7
Ainsi peu à peu s'cllacr
Le ci'esjjc honiicui' de ma l'ace
VeulVe de son orncnienl.
(Quelle M«'d('(' ancienne
Vnv sa voix magicienne
M'a chansfé si pi'oni])temenl ?
Fichant daignilles cruelles
Mes entrailles, el moelles
Serves de l'enchantement ? (II, 5).
Il n'avait pas trente ans, et la maladie luvait à ce point
vieilli !
Il
Au cours de ses souffrances, le pauvi-e Joacliim troviva
dans les Muses une consolation. La lectur<^ des auteurs de
l'Antiquité, le culte de la poésie, lurent le remède à ses
maux. « Qu'aurais-je bien pu l'aii-e, éci'it-il tristement, moi
qui n'avais aucun repos, aucun plaisir, moi ([ui m'appar-
tenais à peine * ? h
Il donnait à l'étude, aux vers surtout, les instants de répit
que lui laissait la maladie : c'est alors ([uil se fit connaître
« dans le cliœur Aonien ». Le mal dont il était atteint ne
l'empêchait pas de travailler avec ardeur au Recueil de
Poësie '. L'amélioration toute l'elative ([ui se produisit en
' Elégie à Morel :
Ilic milii Musa luit ciisus solaïueii acerbi,
Sola fuit nostris Musa luedela nialis.
ïuui prinuini Latios legi Graiosque poetas,
Tuni coepi Aonio cognitus esse clioro.
Quid facereui, cui nulla quies. cui nulla voluptas,
Qui non ipse niilii pêne relictus erani ?
- (1 Sans que maladie ou autre empescliemenl ait peu retirer mon esprit
de ceste non jamais assez louée eutrejjrise. . . . » (l, 2,2.0).
238 JOACHIM DU BEF.LAY
lôoo dans sa santé lui poi-init (le prciulre part au combat
qui se livrait autour <lo la Beifence. Il lança la seconde
édition île ï Olive, et pour leniercier Madame Marguerite de
raccueil si gracieux (|uil avait l'eçu d'elle, il lui dédia ce
nouveau livre (I, 70). Il déposséda sans scrupule la dame de
ses pensées, sa maîtresse idéale, des sonnets amoureux qui
chantaient sa beauté, afin d'en faire hommage à la princesse '.
La seconde édition de V Olive, à laquelle la préface et la
Miisag'uœoinackie donnaient un caractère niar(j[ué de polé-
mi(|ue, ollrail <[uol([ues odes nouvelles ", dont une au moins
mérite de retenir quelques moments noire attention : il s'agit
de la pièce A Salmon Maerin sur la morl de sa Gélonis
(I, i53).
Salmon Maerin, le poète latiniste (|ui jadis, à Poitiers,
s'était moulré si hienveillaul pour .loaehim. alors à ses débuts ',
venail ilc perdre sa l'emiue. Gélonis était morte d'une pul-
monie, le i4 jiiin i55o, à l'âge de quai-ante ans. Maerin, qui
l'avait toujours chérie ttmdrement. voulut lui l'aire un
tombeau digne d'elle. Suivant l'usage du temps, il implora
de ses amis le concours de leur Muse poui- ])leurer la
(h'I'unte. Dans une ode très loiuingeuse qu'il adressait à du
Bellay, il lui disait naïvement que le chantre d'Olive était
le seul capable de i-endre à jamais immortels les mérites de
Gélonis :
Félix Olivae carminibns Inae.
An vate l'elix illa suo magis.
Laui'am seculura liinc Petrarchae.
Quintiliam, Nemesin, Corinnam ?
' Les sonnets de l'Olive, à la rigueur, pouvaient lui convenir : a Pour
divise elle portoil, dit Bj-antômc, un rameau d'oLlive entortillé de deux
serpens enlrelassez l'un en l'autre aveq' les mots : lieriim snplentia ciintos. »
Édit. Lalanne, VIII, 128.
- Marty-Laveaux, I, 153-168.
^ V. ci-dessus, chap. i, § iv, p. 30-32.
NOUVELLES SOUFFRANCES 239
Conjungeretur his utinain iiu^a
Olim Gelonis ! niortua sit licol,
ïristenique decedens Macrinimi
Liquerit heu. saturuinquc vitae.
Sic illa vixit ciiin unaiiiini viro.
Laudc lit perenni digna sit evolii :
At solus argutis valeres
Tu facere id, Joachinie, rytluniii '.
Le moyen de repousser une prière qui supplie eu ternies
si flatteurs ? Du Bellay s'en sentait d'autant moins le courage
qu'il avait pour Macrin une aftection véritable. Il s'exécuta
iinniédiatement '.
Son élégie sur la moti de Gélonis ' vaut mieux ([ue les
pièces ollicielles <pii sont d'usage en pareil cas. « Certaines
strophes, dit M. Marty-Laveaux, sont dune grâce et dune
mélancolie exquises *. » Ce n'est pas à dire que l'auteur
s'affranchisse encore de tout souvenir érudit : presque au
début on trouve, et de façon assez inattendue, un résumé
' Du Bellay, nalurellement, n'a pas manqué de mettre en tète de la 2'
édit. de VOlive une pièce qui lui faisait tant d'honneur. (Bibl. Nat. — Rés. Y^
173a). Mais elle avait déjà paru dans les Naem'ae de S. Macrin [Naeniariim
llbri III de Gelonide Borsala iixore charissiina. Paris, Vascosan, 1550, in-S"),
p. 40. — On la trouvera dans les Deliciae Poetarum Galloriim, t. II, p. 363.
- C'est ce qui ressort d'une pièce à Dorât [Aaeniae, p. 72), où Macrin se
plaint que, malgré ses prières, l'érudit n'ait rien composé sur la mort de
Gélonis :
Tu lugubre negas dulci de conjuge carmen,
Quam vati rapuil mors violenta seni ?
Haud ita feceriint Bellaïus atque Beraldus,
Poscenti numéros promptus uterque dédit.
Laudibus et caelo vexere Gelonida miris,
Ac stellam stellis inseruere novam.
Ajoutons que Dorât s'excusa par une pièce latine (p. 97), et qu il dédom-
magea Macrin par une belle ode u ad numéros Odes Pindari Olympiacae IIII »
(p. 109). — On trouve p. 122 la pièce de Fr. Beraud, dont il est question
ci-dessus.
' Elle a paru d'aboi'd dans les Naeniae, p. 128.
^ Notice sur J . du Bellay, p. xv.
24U .lOACUIM DU BELLAY
des Triomphes de Pétrarque, et dans le cours de l'ode, on
pourrait signaler plus d'une réminiscence d'Horace. Néanmoins
la pensée est sincère et l'accent assez ])ersonnel. Voici des
vers dont la simplicité discrète contraste avec le style allecté
de Y Olive :
La constance immuable
De ta douce moitié,
Sa chasteté louable.
Son ardente amitié.
O Macriii I n"onl eu force
Contre la fiere loy.
Qui a l'aict le divorce
De ta l'emme et de toy.
La mort blesme d'envie,
En la venant saisir,
A troublé de ta vie
Le plus heureux plaisir.
Malgré ses vertus, Gclonis est morte : la plainte de Macrin
ne saurait « soulever » son tombeau, la rappeler à la
luiiiière. C'est le destin :
Il l'aull (jue chacun passe
En l'éternelle nuit :
La Mort qui nous menasse.
Comme l'ombi-e nous suit.
Mais (|u'il prt>nue courage : un .)•'"•' viendra, (ju'il ira retrou-
A'er sa compagne sous les myrtes verts des Champs-Elysées :
Adoiic ira Ion àme
Sa moitié retrouver,
Pour ta première llàme
Encores éprouver.
NOUVELF.ES SOUFI'RANCKS 241
L'Amour, tu donc»' peine,
T'ouvrira le pourpris.
Ou la Mort {^uido et meiiie
Les amoureux espris.
La, sous le saiiu't ombrat^e
Des rjyrtes verdoyants
S'appaisera l'orage
De tes yeux larmoyaus.
Dans sa note païenne, cette conclusion a du cliarme. C'est
d'ailleurs le mérite de cette ode d'être «l'une touche lés'ère
et délicate. Elle en possède un autre : ([uiconque la lira
sera surpris d'y découvrir comme un avant-dessein de la
Consolation à du Périer sur la mort de sa fille : par les
idées, par les images, du Bellay devance Malherbe.
Notre poète lui moins heui-eux, lorsqu'il prit part au
tombeau de la reine de Navarre. La (( Marguerite des
Princesses », la l'enniie intelligente et bonne <[ui avait tenu
tant de place sous le règne de François I«r, le très subtil
auteur des poésies mystiques et de ÏHeplaméron, s'était
éteinte, quelque peu délaissée, le ui décembre i549- Trois
sœurs de la cour d'Angleterre, Anne, Marguerite et Jeanne
Seymour, filles du protecteur Edouard Seymour et nièces
d'une des femmes d'Henri VIII. princesses distinguées, qui
avaient reçu de leur précepteur. Nicolas Denisot '. une Ibrte
culture classique, consacrèrent à sa gloire une centaine de
distiques d'une élégante latinité ■. Leur ouvrage parut au
' De io4o à 1549, d'après M. Gabriel Marcel, Revue de Géographie, sept.
J8!)4, p. 195.
-' De Thon, lib VI, ami. 1549 (édil. de Londres, 1733, l. I, p. :i09), dit à pro|>os
de Marguerite : a Décima Musa, et quarta Ciiaris a studiosis omnibus, aut
una IX Musarum, et triuin Cliaritura instar appellari nieruit : versibusque
passim editis, et nummis percussis, his elogiis ornata est : praecipue vero
Uiiiv. de Lille. Tome Y 111. A. l(j.
242 JOACHIM DU BELLAY
luiiiou (1<> i55o ' : il riait suivi »run certain nombre de pièces
grecques et latines, parmi lesquelles une très curieuse épître
de Chai'les de Sainte-Marthe. Cet ancien ami de Marot s'éton-
nait, s'indiii^nait que la France i-estât muette, alors que trois
jeunes Anji^laises chantaient en si beaux vers les vertus de la
reine de Navarre. Voilà bientôt six mois qu'elle n'est plus,
disait-il en substance, et pas un poète français ne s'est levé
poui' pleurer morte celle qu'on loua si souvent vivante. Macrin
et Bourbon se taisent cl. comme eux. Saint-Gelays. Héroët,
Salel. lîouju. Pclctier. Ronsard et du Bellay :
Omnes nmli hodii' : recensque scriplor
Honsardus, célébrât suos amores,
Hcroasque vehit suos ad astra,
Ausus Pindarico sonare versu :
Honsardus meus illc, quem Minerva
Sacravit sibi : cui suada Pitho
Dextro Mcrcurio ii-i-igavit oin.
Oui (nolil velil invidus) poêlas
Tnter, cons])icuus locum tenebit :
Musas (|ui us(]ueadeo sacras amavit.
Miisac (|U('in us(|uradc() >acratac aniai'unt,
llli til caruiina gallicc cancnli
.\on (iallac modo, set simul Latinae,
Atticaei[ue sinml lyram ministrent.
a III sororibus Anglis, Anna. Maruarila et laiia Seiiiioriis, non minus ob
splendoreni {j-eneris, quani ingenii cleganliam et exiniiani eruditionem cuni
rara uiorum probitate c-onjunctain aeterna conimcndatione dij-nis, eelebrata
est edito liecatondisticho ...» — Les sœurs Seymour ont été chantées par
Dorât l Hendecasyllabuni in très sorores Semorianas, liv. I des Odes du
recueil de 1;J86) et par Ronsard {Odes, II, 308).
' Annae. Margarilac, lanae, sororurn virginiim, heroïdiim Anglaruin,
in mortem divae Margaritae Vaiesiae, yavarrortiin reginae, hecatodis-
tichon. Accessit Pétri Mirarii ad easdcm virgines epistola : una cuni doc-
toruni nliquot virorum carminibvs. Paris. 1530, pet. in-S". (Bibl. Nat. — Rés.
pY'. 1237). — En tète éi)Urc latine de N. Denisot aux sœurs Seymour, datée
(le Paris, 1" mai lîioO.
NOUVELLES SOUFFRANCES 243
1[)S»' al Mari;ari(lciM lacet, ir*c ullos
Dcruiiclae lril)uit porta honores.
Bellàius f/uo(jiu', (/ni Italo Petranliac
Artern siistulil atc/ne dignilalein.
Ni la vertu ni la vt-rité, conlimiail Sainte-Marthe, ne peuvent
admettre ce sih^nee. Les poètes français ne rougii'out-ils pas
de voir acconij)Ii par trois jeunes fiUes un dcvoii- <[u"ils ont
déserté ?
(^uid ais ? pU(h)re niagno
Non perlunderis, o Poeta Galle ?
Gujus olliciuni faeit puella,
(^uando tu oUiciuni lacis puellae ?
L"a[)pel lancé par Sainte-Marthe ne resta pas inentendu.
L'occasion était ti'op helle, tout en faisant assaut de poésie,
de faire aussi sa cour au roi 1 Tous ceux qui se piquaient
(le hêtres, Denisot et des Essars, Dorât, s<'s trois disciples
de cœur, du Bellay, Ronsard el Bail', Jean de Morel et sa
femme Antoinette de Loynes, Pierre des Mireurs et Jean-
Pierre de Mesmes, de plus obscurs encore, comme Bouguier
et Tagault, tous se mirent à l'œuvre, et de cette nuiltiple
collaboration sortit en i55i le Tombeau de Marg'iierite de
Valois, Ro)'ne de Xavan-e '. On commença i)ai' reproduire
de toutes les façons les ceni distiques des sœurs Seymour :
Dorât les mit en grec, Jean-Pierre de Mesmes - <>n italien.
' Le Tombeau de Marguerite de Valoin, Royiie de Navarre, /aicl pre-
mièrement en Disticques Latins par les trois Sœurs, Princesses en Antfte-
terre. Depuis tradniclz en Grec, Italien et François par plusieurs des
excellenlz Poêles de la France. Avecr/ues plusieurs Odes, Hymnes, Can-
tiques, Epitaphes, sur le mesmc subiect. Paris, looi, pet ia-8'. (Bibl. Nat. —
Kés. Y'. 1633).
- Sui' Jean-Pierre de Mesiue.s, consulter La Croix du Maine. I, 573 ; du
Vcrdier, II, 469 ; et surtout la notice de Colletet, publiée par Tamizey de
Larroque, Paris, Picard, 1878.
244 JOACHIM DL BELLAY
du Bellay cl Haïl', Antoinette de Loynes - et le « Conte
d'Alsinois », à ((ui mieux mieux, en firent des quatrains
français. Puis les élèves de Dorât, d'une ode latine eoni-
posée par le nuiître % tirèrent cluuvui une version française *.
Enfin, les disciples, volant de leurs propres ailes, s'aban-
donnèrent à leur inspiration. Ronsard, poète d'un souffle
puissant, enrichit le recueil d'un hymne triomphal et d'une
ode pastorale '. Baïf. i)lus bref, se contenta d'une épitaphe ''.
Quant à du Bellay, (jui n'avait ni la sécheresse de Baïf ni
rabondancc de llonsard, il écrivit, dans la note moyenne.
Les (leu.x M<ir^ue?^itcs {\\. ^O- Pour répondre au reproche de
Charles de Sainle-Marthe, il y disait :
Si des premiers je n'ay pas
Orné le Royal trespas,
Aussi ma Muse est trop basse
Pour une première place :
Et qui sçait si les derniers
Se feront ])oint les premiers ?
Ces (lei-niers vers étaient ((ue](|ue j»cu présomptueux. La
pièce des deux Marguerites ne vaut ni plus ni moins que
toutes celles du recueil : elle (>st médiocre. Toutefois du
Bellay s'y montrait fort habile, puisqu'en célébrant la sœur
d<' François le^ il trouvait moyen de louer aussi la sœur
d'Henri II. C'était d'un bon courtisan.
• Du Bellay, 11, ;il3. - Baïf, V, 225.
- V, La Croix du Maine, 1, 55, et la note de La Monnoyc.
' Celte ode (Qualis quadrigis raptus ab igneis) ligure dans le recueil de
1586, Odar. lib. I, p. 187.
' Du Bellay, I, 160. — Ronsard, 11, 312 — Baïf, II, 365. — La pièce de
Joacliini avait déjà paru dans les Naeniae de S. Macrin, p. 133, et dans la
2« édit. de Y Olive.
* Ronsard, II, 313 et IV, 115.
« Baïf, II, :i63.
NOUVELLKS SOUFFRANCKS 245
Vers la fin «lo la pièce, un Irès disci'ot éloj^e de la fille
de Marguerite. Jeanne d'Albret. indiquait les sentiments du
poète à rég;ard de la jeune princesse. Jeanne, mariée à vingt
ans (i548) avec Antoine de Bourbon, était alors, par sa grâce
et par son es[)rit. le plus bel orneiiieiil de la Cour d'Henri II.
Elle savait les langues, cultivait les sciences, s'exerçait à la
poésie \ C'est à cette époque (ju'il faut placei* son commerce
de sonnets avec l'auteur de V Olive '. Le rafiinement, la
préciosité, l'excès de Ilatterie surtout, gâtent presque tous ces
sonnets, ceux du poète comme ceux de la reine. Le poète
loue dans la reine l'absence de lîerté . qui la rend acces-
sible aux humbles, et la grandeur de ses vertus intellec-
tuelles et morales ; la reine loue dans le poète l'excel-
lence de son génie et ce don précieux qu'il a d'immortaliser
ceux qu'il chante. Et le tout se termine par des sonnets à
Caries, oii du Bellay prie son ami de l'inspirer, pour mieux
célébrer la reine, proteste de n'avoir rien dit qui soit contre
la vérité, fait enfin sonner haut le bonheur qu'il ressent de
ce commerce poétique.
III
C'est par des œuvres tle ce genre que du Bellaj'^ tâchait
d'oublier ses soufii'ances. et les lettres lui procuraient un
réconfort d'autant plus précieux qu'aux douleurs de la maladie
* V. les Mémoires et Poésies de Jeanne d'Albret, publ. par le baron de
Ruble. Paris, Km. Paul, Huard et Guilleniin, 1S93, in-8°.
- Marly-Laveaux, I, 295-302. — Ces sonnets n'ont pas été publiés en 1549,
dans le Recueil de J^oësie, comme le dit Pflânzel (p. IS et 45), mais seulement
en 1581, après la mort de du Bellay. Toutefois, ils doivent dater des
environs de 1550. Ce qui permet de le penser, c'est que plusieurs de ces
sonnets comme c'est le ras pour l'Olive, ont encore la forme italienne, non
la foruie française : je veux dire que les tercets sont sur deux rimes, et
non sur trois.
246 JOACHIM UU BELLAY
s'ajoutaient maintenant bien des soucis, bien des tracas d'une
autre espèce. Il s'était toujours senti peu de goût pour les
affaires donoestiques. C'est peut-être à lui qu'il songeait,
lorsqu'il disait dans la Deffence qu(\ jiour entreprendre un
poème épique, il i'allait être « non troublé d'afaires domes-
ti(jues. iu;ds en icpo/ cl ti'aiiquilitt' d'cspi-it ») (p. 119). En
tout cas. la pi'élace de VOlicc contenait cet aveu non équi-
voque : « ... Me ti'ouvant chargé d'alfaires domestiques, dont
le soin^- est assez suffisant pour dégoûter un homme beaucoup
plus studieux que mo)' )> (I. -i). Ses . embarras s'accrurent,
lorsqu'en lôôa. à la mort de son frère. René du Bellay,
gouverneur de Metz. Joacbim se vit confier la tutelle de son
jeune neveu. Claude du Bellay, seigr^eur de Gonnord '. Il
était alors âgé de trente ans : les rêves de la poésie le sédui-
saient bien auti'ement cpie les charges d'une tutelle. Mais
son frère m mourant avait l'ait appel à son dévouement :
bien à i-cgi-cl. il acc«>j)la donc le (( fardeau » de l'enfant
remis à sa garde '. De là. des ennuis sans nombre ' : il hii
' Du IJellay s'est étendu sur ce point dans son Elégie à Morel :
Fraterno interilu, nobis cuni firmior aetas
Jani foret, accessit tuin nova cura milii.
Pupilli nova cura fuit subeunda nepotis,
Queni lidei frater li(|uerat ipse meae.
lîrgo onus invitus subeo puerique, doniusque
Accisae, et variis litibus impiicitae,
Ouani, velut lonio deprensus navita ponto,
Naufrafïa cui puppis sola relicla fuit,
Il polui, rcxi caecis ignarus in undis,
Nec pelago assuetus, nec satis arte valcns.
Hic tauien ingeniuni quodcunque lidenique prol)avi,
Suceul)uit tuuiidis nec mea puppis aquis.
On lit dans la notice de Golletet : « Quelques-uns m'ont dit f|u'il fut
encore tuteur des enfans de sa sœur mariée au baron de Lyre, maison du
bas Anjou, mais je ne sais s'ils ne confondent point cette seconde tutelle
avec la première, comme il est assez vraisemblable, puisque notre auteur
n'en parle point, et qu'il ne désigne expressément que celle du lils de son
frère. » Copie mscr., f"» 46 V-il r".
^ On en saisit la trace dans l'épître-préface à Morel (1352), qui contient
mainte allusion à ces alfaires domestiques (I, 33."i-.'î36).
NOUVELLKS SOUFFRANCES 247
fallut d'abord (Mitreprendrc un voyage dans le Maine et
l'Anjou '. voyage pénible au cours duquel, pouf se déridei'. il
faisait des vers :
Pourtant, Macrin. ne te fasche
Si la bride ung peu je lasclie
An soing- qui l'espril nie rompt :
Et se pour t'aider à rire,
J'ay entrepris de t'escrire.
Pour nie dérider le front. (II. 35).
C'était un voyage d'affaires. Renc- du Bellay, semble-t-il, avait
laissé derrière lui une situation des plus embrouillées. Force
procès étaient pendants, et la maison était au boi-d de sa
ruine. L'infortuné tuteur connut bien des déboires et garda
mauvais souvenir de ses démêlés avec la justice. Son
horreur de Thémis se manifeste en maint endroit. Il y fait
allusion dans sa Complainte du Désespérée (i552) :
Si la maison mal entière
De cent procez héritière.
Telle qu'on la peut nommer
La gallere desarmée.
Qui sans guide et mal ramée
Vogue par la haulte mer... (11,4)-
Il dit encore dans une pièce liminaire à Jacques Gohorry
(i553) : Je chanterai ta gloire quelque jour.
Si le soing
De l'orage.
Et la rage
Des procès
Pleins d'excès
* Ma muse qui se pourmeine
l'ar Anjou et par le Meine
A faict ce discours plaisant.
Discours sur la louange de la vertu....
à Salmon Macrin, Xzr^'l. (II, 41).
248 JOACHIM DU BELLAY
Ne m'engoufre
Dans le gouphre
De fureur.
Dont l'horreur
Véhémente
Me tourmente * .
Sur cette mer pleine décueils. pour reprendre sa métaphore,
du Bellay, malgré son inexpérience, navigua sans faire
naufrage : à force d'adresse et de conscience, il sauva sa nef
des Ilots déchaînés. Entendez qu'il débrouilla la situation au
mieux des intérêts de son pupille. Mais ce neveu, pour
l('(|uel il avait tant fait, ne (h'vait pas en profiter : il nioui'ut
en juillet i55'3 '. Joacliim du Bellay, sieur de Lire, devint
par sa iiiorl seigneur de Gonnord '.
Souffi'ances physiques. soufTrances morales, rien n avait
inaii([uc. durant Irois anni'cs. à notre auteur. De telles émo-
tions ne sont point sau'- iidluence sur rinsi)iration poétique.
Xous en verrons le ((tntre-cou]) dans les œuvres île i552.
' Cette pièce se trouve en tète du A'= livre d'Aniiidis de Gaule, traduit
par J. (lotiorry, 1533. Elle n'a pas été recueillie par M. Marty-Laveaux. —
On rapprochera des deux passages que jai cités les quatrains d'un sonnet
(1. i3.j) publié seulement en i:iGl, mais qui semble bien dater de cette époque.
Cf aussi les tercets d'un sonnet à Pasclial (II, lil).
- Ms. fr. 20.265, f"74 v».
' C'est un fait que Ménage, Niceron et Goujet ont contesté, mais à tort.
Le registre eapitulaire de Notre Dame nomme du Bellay Dominus de Gonnor
(Marty-Laveaux. Appendice de la Pléiade, II, 386). Cf. P. de Nolhac, Lettres
de J. du liellay. p. 41 et 8(i, notes.
vX
CHAPITRE X
LES « J RADl CTIONS » ET LES « INVENTIONS »
DE
1552
I — Caractère du recueil de 1552. — L'épltre-préface à Morel.
II. — Les traductions de du Bellay.
III. —- Les œuvres de l'invention de l'auteur. — La a Complainte
du Désespéré ».
IV. — Les pièces religieuses.
V. — Les pièces philosophiques.
VI. — Les pièces littéraires.
VU. — L' « Adieu aux Muses ». — Le voyage de Rome fait de
J. du Bellay, poète livresque, un poète personnel.
I
Dans le courant de i552. du Bellay publia un recueil
mi-parti de traductions et de poésies originales '. Ce nouveau
' Le qnatriesme livre de l'Enéide de Vergile, traduict en vers francoys.
La complaincte de Didon à Etiée, prinse d'Ovide. Autres œuvres de l'inven-
tion du translateur. Par l. D. B. A. Paris, Vincent Certenas fsiej, 1532,
in-8'\ Privilège du 1" févr. lool (n. s. 1332). — En têtt du volume, se trouvent
divers compliments poétiques adressés à du Bellay : — l" un Sonnet de lan
2o0 JOACHIM DU BELLAY
recueil pi-ésenlail un caractère assez (lifTérent de ceux (|u"il
avait donnés jusqu'alors. Éclos au milieu de tous les malheurs
qui s'abattaient sur le poète, il portait sa marque d'origine.
On y surprenait un amer sentiment de désespérance. L'au-
teur, arrête dans son rêve idéal par les brusques rappels de
la r('alilé . se prenait à doutci- de lui-inèmc. Il avait con-
science de baisser : ingénument, il en laisait l'aveu. Décou-
ragé, malade, atteint de lassitude et d'épuisement, il n'avait
plus dans son génie cette belle confiance d'autrefois. Lâche
à créer, il traduisait. Et pourtant, à le prendre dans son
ensemble, son nouvel ouvrage avait quelque chose de moins
lwres(jue peut-être que ses œuvres antérieures : les souvenirs
d'érudition s'y montraient moins nombreux. Le poète s'épan-
chait davantage : par d(Mi\ ou trois l'ois tout au moins, il
était bien lui-même : sous le coup de la souffrance, des
accents s'échappaient de son àme endolorie, des accents per-
sonnels et sincères, ([u'on n'avait entendus si profonds ni
dans les Vers fjj'/iqucs ni dans le Recueil de Poésie. On
sentait ([ue la vie avait passé par là.
L'élat d'àme (|ui a donné naissance à cette œuvre s'exprime
tout entier dans l'épîti'e-préface adressée par l'auteur à son
ami Jean i\e Morel. Le début est à citer : (( Je n'avoy jamais
expérimenté la doulceur des bonnes lettres (cher amy Morel)
si non depuis (pie la forlune m'a voulu préparer tant de
calamité/., tpie je ne seray jamais las de remercier celuy qui
m';i donné la grâce de les pouvoir suppoi'ter jusques icy. Je
de Morel Ambrunois, à qui l'ouvrage esl déilii- ; — 2' une Ode de Damoiz.
M. D. L. Haye [Marie de La Haye] sur les œuvres poétiques de I. du
Bellay et P. de Ronsard ; — 3» un sonnet de Th. Seb. [Thomas Sibiicl] ; —
4" une épigrnmiue latine Ejnsdcm ad lo. Bellaïnin ; — 'S° des hendtcasyl-
labes lalins de llobert de La Haye, Rob. Ilajus de I. Bellaïo et P. Ronsardo.
Dans le cours du volume, on trouve encore un sonnet de Baïf (Marty-
Laveaux, V, 231). Toutes ces pièces encomiastiques ollrent peu d'intérêt :
on y voit cependant que, dans l'opinion des contemporains, du Bellay mar-
chait l'égal de Konsard. (Bibl. Nat. — Rés. pY'. 1400).
LES « TRADUCTIONS » ET LES « INVENTIONS )) 231
ne (lii'ay. par (|ii('ll(' diversité de inalhours s'csl joucc Ar
moy cesto cruelle arbitre des choses humaines : coiauie celuy
qui n'ignore telles complainctes estre aussi usitées, comme les
occasions en sont ordinaires. Je diray seuh^uent <|ue pariny
tant de malhmirs (conti'e les([uelz je ne sens ma raizon si
forte ([u'elle menst peu armer de sullisanlc patience) le non
moins honneste. <pie plaisant exercice poëlicpie ma donne- lanl
de consolation, cfue je ne puis encores me repcMitir d"y avoir
perdu une partie de mes jeunes ans o (I, 333-334). Après ce
bel hommage au pouvoir consolateur des lettres, du Bellay
déclarait ([u'il lu' portait aucune envie à la félicité des gens
désœuvrés et frivoles. Assurément, la poésie était peu lucra-
tive : c'était un cliamp (( inl'ertil et peu lidele à son laboureui*.
auquel le plus souvent il ne rapporte cpie i-onses et espines »
(334). Il avait continué néanmoins à la cultiver : d"al)ord .
pour « l'honnc^ste contentement de son espi'it )). et par désir
de témoigner à la postérité <[u'il n'avait point vécu dune vi<>
oisive; et puis aussi, dans l'espoir d'être encore agréable aux
princes, et sui'tout à Madame Marguerite. Toutefois, il avait
conscienc(> ([U(^ « ce doulx labeur, jadis seid enchantement de
ses ennuys ». se (( refroidissait » en lui cha((ue jour. Il en
venait maintenant à traduire : « Ne sentant plus, disait-il. la
première ardeur (h* cet Rnthusiasme. <[ui me faisoit librement
courir par la carrière de mes inventions, je me suis converty
à retracer les pas des anciens, exercice de plus ennuyeux labeur,
que dalegresse d'esprit » (335). Mais, comme il ne voulait pas
abandonner complètement le plaisir ({ui, « durant ses infor-
tunes », favait toujours (( pourveu de si souverain remède »,
il donnait encore à la langue quelques poèmes, « les derniers
fruicts de son jardin non du tout si savoureux que les
premiers, mais (peult estre) de meilleure garde » (335).
Voilà l'état d'àme, pleinement douloureux, d'où sortit le
recueil des traductions et des inventions.
2^2 JOACHIM DU BELLAY
II
Les traductions publiées en i552 comprenaient : i» le
quatrième livre de l'Enéide de Virgile, dont lit choix du
Hella\ . parce ([uil n'est œuvre en aucune langue, dit-il. (( ou
les liassions amoureuses soyent plus vivement depeinctes,
<[u"en la personne de Didon » (336) ; 20 la septième héroïde
d'Ovide, Guniplainte de Didon à Enée, ([ui, tout en continuant
le (( propos )) de Virgile, permet d'opposer « la divine
magesté de l'ung de ces aucteurs à l'ingénieuse facilité de
l'autre )) (33") ; 3» une épigramme d'Ausone Su/- la statue de
Didon, qui leur sert de contre-partie : « Il me sembloit
inique de l'enouveler l'injure qu'elle a receu par Vergile,
sans luy reparer son honneur par ce qu'autres ont escrit à
sa louange » (338). On peut y jtdndre un fragment du cin-
(piième livre de YEnéide, la Mort de Palinure. qui parut
en i553, (hms la seconde édition du Recueil de Poésie, et le
sixième livre tout entier, qui ne fut publié qu'en i56o '.
Par ces traductions, notre auteur allait droit contre les
principes qu'il avait lui-même formulés autrefois "^ : mais cela
n'était pas [)()ur le gêner beaucoup. Il justifie sa volte-face
avec une désinvolture incroyable : ((Je n'ay pas oublié ce
qu'autrefois j'ay dict des translations poétiques : mais je ne
suis si jalouzement amoureux de mes premières appréhensions,
(|u(' j ave honte de les changer quelquefois, à l'exemple de
tant d'excellens aucteurs. dont l'auctorité nous doit oster ceste
' K[)itre à Mord (I, 336) : « Et si je congnoy que ce mien labeur soit
iigrëahlc aux lecteurs, je metlray peine (si mes affaires m'en donnent le
loysir) de leur faire bien tosL voir le sixiesme de ce mesnie aucteur. » Cf.
I, 43."j et 11. 8(j. — La traduction, projetée et peut être couimeneée dès 1532,
était finie en liiiiS, puisqu'on eu retrouve des frafi:ments dans la traduction
du Sijmpose de Platon par Louis Le Roy (I, 443, 461, 467).
- Deffence, liv. I, chap. 5 et 6.
LKS (( TRADUCTIONS » ET LES (( INVENTIONS » 253
o])iniasliT ()|)iiii(>ii de vouloii- lousjours pcrsistoi" on ses advis.
principaleiurnl en matière de lettres. Quand à moy. je ne
suis pas Sloïque jusques là » (336-33^). On le voil : du Bellay
pensait par avaiiee. à légal de liai-lliéleiny :
L"honini(> a])sui'de est celui (|ui ne clian^'e jamais.
Sa méthode de traduction n'est jjoini celle ((ui nous plail
aujovird'hui : l'exactitude rigoureuse et pi'es(|ue littérale . il
la i-ejette. Il n'admet pas qu'on cherche à rendre « période
pour perïod<>. epithete pour epithete, nom propre pour nom
propre ». Son système est tout autre : « Il me semble, dit-il,
veu la contraincte de la ryme. et la dillerence de la pro-
priété et structure d'une langue à l'autre, que le transla-
teur n'a point mal t'aict son devoir, qui sans coi-rompre le
sens de son aucteur, ce qu'il n'a peu rendre d'assez bonne
grâce en ung endroict, s'efforce de le recompenser en l'autre »
(336). C'est le système des équivalents, la méthode des com-
pensations.
Conséquence naturelle : ses ti-aductions ' laissent beaucoup)
à désirer. Donnant à peu près le sens général, elles sont
dans le détail singulièrement infidèles et restent imi)uissantes
à rendre la physionomie particulière de l'original. Du Bellay
procède librement : il transpose, il supprime, et surtout il
ajoute. L'emploi du vers décasyllabe, tro[) facile et trop
lâche, l'entraîne à délayer. La traduction n'est bien souvent
qu'une paraphrase. 11 ne faut pas à du Bellay moins de 12G8
vers pour rendre les 705 vers du livre IV de Y Enéide : les
901 hexamètres du livre VI se dissolvent à leur tour en
i5o4 décasyllabes. Je remarque en passant que les discours
sont mieux traduits que les narrations, et je crois constater
un certain progrès à la longue : comme version, le livre \l
est supérieur sensiblement au livre IV.
' Marly-Laveaux, I, 340-43n.
254 JOACHIM DU BELLAY
J'estime superllu dinsislcr sur une question aussi secon-
daire : ce n'est point par là ([ue vaul «lu Bellay. Comme le
(lit l'abbé Goujet '. « ee <[u'il a ti-aduit de Virgile ne lui
lait i;uère d'honneur... Contemporain de Louis des Masures,
non-seulenicnl il ne li* surpassa point, on ne ptmt pas même
dire qu'il l'ait égalé " ». Mais ce qu'il laut bien remarquer,
c'est qu'en se mettant à traduire, du Bellay revenait aux
idées de Marot. Il reprenait la tradition de son école '\ Ce
n'est ])as la dernière t'ois (jue nous le verrons retourner ainsi
en arrière '.
III
Les Œuvres de iinventioti de l'Aiitheur se composaient de
treize pièces d'inspiration assez diverse '. Je ne reviendrai ni
sui- Les deux Marguerites ''. ni sur les XIII Sonnetz de l'hon-
nesle Amour ' . Je ne dirai rien non plus de deux ]^ièces de
circonstance, deux Estreiies adressées à HobcrI de La Haye
et Marie de La Haye ' (II, 54 t't 56).
' Bibl. franr., V, 72-73.
- Louis (les Masures, de Tournai, qui tlevail publier eette même année
lo!)2 les quatre premiers livres de l'Enéide de Virgile (Lyon, Jean de Tournes,
in-4"l, avait dC\\i\ fait paraître les deux j)reniiers en loi7 (Paris, Chr. Wecliel,
in-4' ). Du Hellay loue hautement sa « lidele et diligente traduction » (I, 33(3).
11 a d'ailleurs toujours lait grand cas de Louis des Masures. Cf. Regrets,
s. 148, et Xenia, ï' 12. r', Ludovicus Masurius. Cf. aussi Ilousard, V, 331.
■' V. ci-dessus, ehap. iv. § i, p. \22-l2'.i.
' En 13:jlS, du Hellay traduisit encore plusieurs passages des po(îtes grecs
et latins citi's aux Comme nlaireft du Sj-mpose de Platon jiar Louis Le Roy
(Marty-Laveaux, I, t'ir2-4()S). — V. dans Marty-Lavcaux (L ;iÙ()) le flatteur
jugement de Le Roy lui-même sur cette traduction.
' Marty-Laveaux, 11, 1(36. — Aubert, diMuemhrant le recueil de i.ïi2, a fait
entrer les Œuvres de l'invention de l'Autheur dans les Divers Poèmes (lo68).
'^ V. ci-dessus, chai), ix, § ii. p. 244.
• V. ci-dessus, cliai). vi, vj vi, p. 191-194.
*" Voici du moins Torigine de ces deux pièces. Robert de La Haye, con-
seiderau Parlement de Paris et maître des requêtes de la reine de Navarre,
grand ami de Sibilel (v. dédicace de Vlpldgène à J. Brinon), poète latin,
LES (( TRADUCTIONS )) ET LES <( INVENTIONS )) 255
Le poème le plus loiuhaul du recueil, sinon le MUMlleur.
est celui par lequel il sOiivre, la Complainte du Désespéré
(II, i). Du Bellay l'a écril dans une heure de trislcsse,
et l'on y retrouve les inipi'essions mélancoliques de son âme
éprouvée par la vie. Le poêle, allolé de douleur, lait entendre
un tliant lamentable et soupii-e (( Tennuy. qui le cœur lui
poingt )) :
Ainsi que la fleur cuillie
Ou par la bize assaillie
Pert le vermeil de son teinct.
En la fleur du plus doulx aage,
De mon palissant visage
La vive couleur sesteinct.
Une languissante nuë
Me sille desja lavëue,
Et me souvient en mourant
Des doulces rives de Loyre.
Qui les chansons de ma gloyre
Alloit jadis murmurant.
Ce (( poète mourant » évoque la saison où. tout jeune encore,
il allait suivant les pas de Pétrarque. Il pleurait d'amour,
l'insensé ! C'est d'un plus juste émoi qu'il pleure maintenant.
Que de maux ont fondu sur lui ! Le sort contraix'e, des amitiés
avait adressé de très élogieux hendécasyllabes à Ronsard et du Bellay,
Rob.Hdjus de l.Bellaio et P.Ronsardo. Du Bellay répondit par VEstrene en
question et plaça les vers de K. de La Haje en tète de son recueil. Ronsard
répondit à son tour, dans les Amours de 1552 (Bibl. d'Orléans, D. 1505), par
des Contr^Estrenes, qui devinrent par la suite la 8° ode du livre V (Blanche-
main, II, 332). La pièce est à rapprocher de celle de du Bellay. Sur R. de
La HayCjV. encore Regrets, s. 2S et 1:21, et surtout le bel Hymne de Santé que
du Hellay lui adresse (IL 79). C'est à lui que R.onsard a dédié sa 19"^ Élégie
iBlanchemain, IV, 291j. — Quant à Marie de La Haye, sœur de Robert,
« damoiscUe très-docte », dit La Croix du Maine ill. 89), elle avait fait une
ode Sur les œuvres poétiques de I.du Bellay et P. de Ronsard. D'où VEstrene
de du Bellay. Cf. Poemata, ï" :J9 r", Ad Maviani Hajam.
236 JOACHIM DU HKLLAY
lallacieuses. cent procès k souU'iiir. les suites cuisantes des
passions, mille touruieiils de toute espèce : que lui a-t-il man-
qué ! N'a-t-il pas mérité qu'on le nonnne « l'esclave de tout
malheur » ? Enl'aul. il a souffert : ses proches a ont laissé sa
jeunesse aux ténèbres ».
Et depuis que 1 âge IVîrmc
A touché le premier terme
De mes ans plus vigoreux.
Las. helas. quelle journée.
Feut onq" si mal fortunée
Que mes jours les plus heureux ?
Tant de soucis ont blanchi ses cheveux . flétri son cœur :
il est vieux avant l'âge. Il est atteint de sui'dité. Triste
toujours, toujours chagi'in, il ne connaît plus de repos : le
doux sommeil réparateur ne vient pas visiter sa couche ; ou
si parfois il s'assoupil. des songes alfreux hantent sa pensée.
Son lournient renaît avec Taube et le suit en tous lieux.
jus([u"au sein de la nature. C'est partout pour son cœur la
même angoisse poignante, la même solitude, la même déso-
lation. Et, plein d'un sombre désespoir, le poète maudit la
lumière :
Mauldicte d()n(|" la lumière,
Qui m'esclaira la première,
Puys ([ue le ciel rigoreux
Assujetit ma naissance
A l'indomtable puissance
D'ung astre si mallieui'eux.
Pourquoi donc souffre-t-il à ce point, si! est pur de tout
crime ? Est-ce là le prix de son innocence ? Meurtri dans
sa chair, meurtri dans son ànie, il envie le bonheur de
ceux (jui sont morts avant de naître :
LES « TRADUCTIONS » ET LKS (( INVENTIONS » 257
Heureuse la ci-eature
Qui a l'ait sa sépulture
Dans le ventre maternel !
Heureux celuy. dont la vie
En sortant s'est veu ravie
Par un sommeil éternel !
Il n'a senty sur sa teste
L'inévitable tempeste.
Dont nous sommes agitez.
Mais asseuré du naul'raige
De bien loing sur le rivaige
A veu les llotz irritez.
Des idées de suicide traversent son esprit :
Sus, mon ame, tourne arrière.
Et borne icy la carrière
De tes ingrates douleurs :
Il est temps de faire espreuve.
Si après la mort on treuve
La fin de tant de malheurs.
Et du Bellay termine en souhaitant à ceux que sa misère
apitoiera de ne jamais connaître les mêmes infortunes et
les mêmes souffrances.
Malgré bien des longueurs, dont ne peut rendre compte une
brève analyse, malgré du mauvais goût et l'emploi trop fré-
quent des souvenirs mythologicjues. la Complainte du Déses-
péré me parait supérieure aux sonnets de V Olive ainsi qu'à la
plupart des Odes, parce qu'on y trouve ce qui manque ailleurs,
une émotion sincère et véritable.
IV
UH)'mne Chrestien (II. i5) est comme une conti-e-partie
de la complainte précédente. Après le cri de désespoir, c'est
un acte de contrition :
Univ. de Lille. Tome VIII A. 17,
258 JOACHIM Dr BELLAY
O Seigneur Dieu, mon rarapart. ma fience,
Rainpare moy du fort de pacience
Contre i'elfort du corps injurieux.
Qui veult forcer l'esprit victorieux.
L'ardeur du mal. dont ma chair est attainte,
Me faict gémir dune éternelle plainte.
Moins pour l'ennuy de ne pouvoir guérir.
Que pour le mal de ne pouvoir mourir.
Certes, Seigneur, je sens bien que ma faulte
Me rend coupable à ta majesté haulte :
Mais si de toy vers toy je n'ay secours.
Ailleurs en vain je cherche mon recours.
Gai* ta main seule invinciblement forte
Peult des enfers briser l'avare porte,
Et me tirer aux rayons du beau jour.
Qui luyt au ciel, ton éternel séjour.
La prière continue sur ce ton attendri de ferveur religieuse,
et ([uand il la termine . le poète supplie le Seigneur
d'avoir pitié de sa faiblesse, de rompre les liens du mal
qui le tourmente ou de délivrer son esprit de sa prison de
cliair. — Cet hymne, qui rappelle les sonnets chrétiens de
V Olive, a presque partout laccent personnel *. Mais à ce
mérite, il en joint un autre : une idée toute nouvelle y
surgit, c'est que la poésie sacrée n'est pas moins belle que
l'autre. Arrière désormais la Muse profane !
Arrière les vains sons.
Les vains soupirs, et les vaines chansons !
Arrière amour, et les songes antiques,
Mlahoui'cz par les mains poétiques !
Ce n'est pkis ck' ['Iliade ou de VOd)^ssée que rêve du
' Cf. un autre Hymne Chreslien (I, 323), de date incertaine, mais que
l'emploi de l'alexandrin j)ermet de supposer postérieur au premier.
LKS (( TRADUCTIONS )) ET LKS « I.WKNTIONS » 259
Bellay : c'est d'une Israëliade. el lui-iiu'uie ;i grands traits
retrace l'histoire du peuple de Dieu.
Cette idée reparaît, plus précise et plus nette, dans La
Ljyre Chrestienne (II, 3o), qui n'est pas autre chose ([u'une
protestation contre le paganisme littéraire :
Si les vieux Grecz et les Romains
Des faux Dieux ont chanté la gloire,
Seron' nous plus qu'eulx inhumains.
Taisant du vray Dieu la mémoire ?
D'Helicon la fable notoire
Ne nous enseig-ne à le vanter :
De l'onde vive il nous faull bojre.
Qui seule inspire à bien chanter.
L'ancienne idolâtrie nous fait trouver peu mélodieux les sons
de la lyre chrétienne. Les mensonges de la fable nous empê-
chent d'être sensibles à la sainte voix de la vérité. Nous
délaissons l'utile pour l'agréable. Pourquoi ne pas les asso-
cier, en introduisant dans les chants chrétiens ce qui fait
l'agrément des antiques fictions ?
Si nous voulons emmieller
Noz chansons de fleurs poétiques.
Qui nous gardera de mesler
Telles doulceurs en noz cantiques?
Saloraon, pour orner le temple de Dieu, mendiait bien l'or
étranger.
Nous donques, faisons tout ainsi :
Et comme bien rusez gendarmes,
Des Grecz et des Romains aussi
Prenons les bouclers et guyzarmes :
L'ennemy baillera les armes,
Dont luy mesme' sera batu.
Telle fraude au faict des alarmes
Mérite le nom de vertu.
260 JOACBIM DU BELLAY
Ainsi, nous prendrons aux anciens leurs moyens, et, forts
de cet emprunt, nous laisserons la louange mensongère des
dieux et des grands pour celle du vrai Dieu '.
La Monomacliie de Daçid et de Goliath (II, 20) est une
application de cette nouvelle poétique ^ S'inspirant du récit
de la Bible ^ que tantôt il allonge et tantôt il abrège, du
Bellay raconte la lutte ilu jeune pâtre hébreu contre le géant
philistin. Ce combat est pour lui comme une démonstration
de cette idée morale exprimée au début : la faiblesse intelli-
gente et guidée de raison est supérieure à la force brutale.
Mais qui n'a reconnu dans cette idée les vers fameux d'Horace :
Vis consili expers mole ruit sua ;
Vim temperatam Di quoque provehunt
In majus '*.
C'est ainsi que l'auteur concilie son principe d'esthétique
religieuse avec son amour de l'Antiquité. Du sujet qu'il avait
choisi, il espérait tirer plus de gloire et d'honneur
Que des vieux sons d'une fable moizie.
L'œuvre prise en elle-même n'a rien de très remarquable %
mais la tentative reste intéressante. N'est-il pas curieux, en
' Guillaume (luiroull. daus son l'rnmier livre des narrations fabuleuses,
avec ces discours de la vérité et histoires d'icelles. . ., 1" ii5 r", (Lyon, Robert
Granjoii, loo8). adresse une Congratulation à loachini du Bellaj-, poète fran-
coys, sur le discours de sa Lyre Chreslienne, dans laquelle il le compare à
David. (Bibl. Nal. — Rés. J. 3173).
-' Ce poème est en germe dans l'Hymne Chrestien (II. 18) :
Lors je diray ce grand pasteur Hebrieu. .
' Rois, I, xvn.
' Carm. III, iv. 65-67.
* C'est l'opinion de Collelet, qui dit assez pittoresquement, à propos de
Pierre de Bracli : « Son poëine de la Monomaehie de David et de Goliath
femporle, à mon avis, de si loin sur eelluy-là mesme du fameux Joachim
du Bellay, que le mont Cenis l'emporte en hauteur sur nostre butte de
Montmartre. » Cité par A. de Rocliambeau, La famille de Ronsart, p. 2,22.
LES « TRADUCTIONS » ET LES « INVENTIONS » 26!
effet, que ce disciple de Doiut. ce paganisant de la Renaissance,
ait un instant renie les Dieux du vieil Olympe et conçu la
première cbauclie dune poétique chrétienne ' ?
Dans le recueil de i55'2. deux pièces sont d'ordre philoso-
phique et moral : Y Ode au Reverendiss. Cardinal du Bellay
(II, 26) et le Discours à Salmon Macrin ^ sur la louange de
la vertu et sur les divers erreurs des hommes (II, 36). Toutes
les deux sont un éloge de la vertu : mais lune est traitée
dans le ton sérieux, et l'autre dans le ton plaisant.
L'ode au cardinal du Bellay n'a rien qui la distingue
des autres pièces philosophiques que nous avons déjà trou-
vées dans les deux recueils précédents. C'est un lieu com-
mun sans grand intérêt, L'honmie est né plus chétif que le
reste des animaux ^ : mais il leur est supérieur par la rai-
son, qui lui permet de discerner le bien du mal et de
(( hausser la bride » aux passions déréglées. Le souverain
bien n'est ni dans la faveur, ni dans la gloire, ni dans le
pouvoir, ni dans le génie, ni dans la richesse, ni dans les
honneurs, ni dans la beauté, ni dans la naissance : il est
dans la vertu. Sur ce mot. le poète introduit l'éloge du
cardinal et de son frère, le grand Langey.
Le discours à Salmon Maicrin me parait plus intéressant.
' Dans 1 epitre-préface à Morel (I, ^38), du Bellay nous dit qu'il a l'inten-
tion, « aiin de ne mesler les choses sacrées avecques les prophanes », d'éditer
ses poèmes « en meilleur ordre que devant, les comprenant chacun selon
son argument sou' les titres de Lyre Chrestienne et Lyre Prophane ». 11 n'a
pas donné suite à ce projet. Mais cette intention prouve au moins l'impor-
tance qu'il attachait en lo52 à ses poésies religieuses.
- Du Bellay dédie encore à S. Macrin un sonnet sans importance (II, 39).
' Réminiscence de Pline l'Ancien, Hist. Nat., VII, 1.
262 JOACHIM DU BELLAY
Tout en se défendant d'imitei* Rabelais, du Bellay procède
un peu dans son genre, par une série d'énumérations desti-
nées à produire un effet comique. Le thème est le suivant :
le bonheur est dans la vertu, qui peut seule nous hausser
par degrés jusqu'aux cieux. Sur cette idée, l'auteur ordonne
trois développements symétriques :
i" L'homme vertueux est riche, il est noble, il est illustre,
il est roi : il est roi de son cœui'.
Et de son cœur estre maistre.
C'est plus grand' chose que d'estre
De tout le monde vainqueur.
2» Que me sert la philosophie, la poésie, les sciences,
les arts, les voyages, les combats, le service des princes
sans la vertu ?
3" C'est chose belle, c'est chose heureuse de faire ceci,
de faire cela (du Bellay passe en revue les diverses erreurs
des hommes). Mais
Quel estât doy' je donq' suyvre,
Pour vertueusement vivre ?
Conclusion : le bonheur est en nous, dans la vertu :
Celuy en vain se travaille.
Soit en terre, ou soit ([u'il aille
Ou court l'avare marchant.
Qui fasché de sa présence.
Pour trouver la suflisence,
Hors de soy la va cherchant.
C'est principalement dans la tj'oisième partie (|ue l'auteur
a semé les traits satiriques : quelques-uns. dirigés contre les
chasseurs, les médecins et les alchimistes, ne manquent point
de portée. L'esprit de du Bellay, humoristique et malicieux,
se fait jour dans ces vers. On a là comme un avant-goût
de certaines pièces des Jeux Rustiques.
I.ES (( TKAIHICTIONS )) KT LKS (( INVKNTIONS » 26.3
VI
Deux odes littéraires, l'une à Bertrand Bergier de Mon-
tembeuf, l'autre à Nicolas Herberay des Essars , complètent
les inventions de i552.
Bertrand Bergier est cet ami rencontié jadis à Poitiers,
et plus tard retrouvé par Joachim au Collège de Coqueret.
En lui dédiant une Ode pastorale ' (11, 5'j). du Bellay pré-
tend illustrer celui qu'il appelle assez plaisamment un poète
(( bedonniquebouffonnique », entendez champêtre et bouftbn \
En des strophes d'une grâce bien rustique, il recommande
aux bergers du Poitou les chants divins de ce (( Berger »
qui fait revivre en lui Théocrite et Virgile :
Heureux Berger désormais.
Tu seras pour tout jamais
L'honneur des champs et des prées,
L'honneur des petiz ruisseaux,
Des bois et des arbrisseaux,
Et des fontaines sacrées :
Pour sonner si bien tes vers
Sur les chalumeaux divers
Dont la doulceur esprouvée
Aux oreilles de bon goust.
Coule plus doulx que le moust
De la première cuvée.
L'amour se nourrist de pleurs.
Et les abeilles de fleurs :
' L'édit. de 1552 porte simplement pour titre : « Ode pastorale à ung sien
amy ». Mais en lisant la pièce, les contenijjorains n'ont pu se méprendre
sur le nom de cet ami.
- Le bedon était un tambourin (Becq de Fouquières, p. 134, n. 1).
264 JOACHIM DU BELLAY
Les prez ayment la rozée,
Phœbus ayme les neuf Sœurs,
Et nous aynion' les doulceurs
Dont ta muse est arrousée.
Herberay des Essars s'était acquis un grand renom pour
avoir traduit (i54o-i548) les huit premiers livres d'Amadis
de Gaule ' . On sait la vogue qu'obtint ce roman à la Cour de
France : (( Jamais livre, écrit Etienne Pasquier, ne fut embrassé
avecq' tant de faveur que cestuy. l'espace de vingt ans ou
environ '. )) Du Bellay qui, dans la Deffencc, tenait les
romans en si piètre estime, avait en i552 tout à fait changé
d'opinion. Son Ode au seigneur des Essars (II. 4^) est un
très curieux témoignage du revirement accompli dans ses
idées. Du Bellay, par cette ode que Pasquier proclame
(( la plus belle de toutes les siennes ' », se révèle à nous
comme un admirateur du roman espagnol, sensible aux
charmes de l'intrigue, non moins sensible aux mérites
d'expression du traducteur ". Un long récit des amours
de Vénus et de Mars l'amène à louer des Essars,
Qui nous monstre le dieu Mars
Joint avec' la Gyprienne :
Chantant sous plaisant discours
Les armes et les amours ....
' Sur Amadis de Gaule, consulter Eug. Baret, De VAmadis de Gaule et
de son influence sur les mœurs et la littérature au xvi* et au xvii* siècle,
llièse de 18a3, 2' édit., Finnin-Didot, 1873, in-8» ; Saint-Marc Girardin, Cours
de litlér. dramat., t. III, leç. xxxix ; Bourciez, op. cit., liv. I, chap. m, p. 60.
- Rech. de la France, VI, 5. — La Noue dit à son tour des Amadis :
« Sous le règne du roy Henri II, ils ont eu leur principale vogue ; et croy
que si quelqu'un les eust voulu alors blasnu-r, on lay eust craché au visage,
d'autant qu'ils servoient de pédagogues, de jouet et d'entretien à beaucoup
de personnes. » Disc, polit, et milit., VI. Cité par Baret, p. 169.
' Rech. de la France, VI, .'i.
* Cf. un souvenir tV Amadis dans le s. \\2. des Regrets.
LES « TRADUCTIONS » ET LES « INVENTIONS » 265
La fiction séduisante qui redit les prouesses d'Araadis et les
beautés d'Oriane est donc à ses yeux comme une transpo-
sition de la fable antique. Mais il y voit encore une pein-
ture allégorique (( de la Françoise grandeur », en même
temps qu'un manuel de chevalerie :
Là ce gentil artizan
Nous montre au vif quoi doit estre
Le prince, le courtizan.
Le sei'viteur, et le maistre :
Combien d'ung foi't bataillant
Peut le courage vaillant :
Quel est ou fheur. ou malheur
D'une entreprize amoureuse.
Et la clianse malheureuse
D'ung injuste querelleur.
Du Bellay s'étend longuement sur le style aisé, coulant et
fluide d'Herberay des Essars : vainement on s'eflbrcerait. dit-
il, (( après ce doulx écrivain », d'égaler (( le sucre de son
parler », et si jamais notre langage. « par estrangers cour-
tizans », venait à se corrompre, c'est chez lui qu'on retrou-
verait « la purité de sa doulce gravité » '. Par là. des
Essars, tout comme un poète, figure au premier rang des
ennemis de l'ignorance : et c'est l'occasion pour du Bellay
de faire une sortie contre ces « pourceaux d'Epicure ».
Qui en despit de Mercure
Grongnent aux doctes escriz.
Le nombre est grand de ceux qui s'en prennent aux élus
des Muses :
' Cf. Tahiireau ; « Je nommeraj- toutesfois [le seigneur des Essars] avecques
révérence et honneur, tant pour un coulant langage, liaison de propos, que
pour une douceur et fluidité de paroUes dont il a usé outre tous ceux qui
se sont meslez devant luy d'écrire en nostre vulgaire, et encores aujourd'huy
s'en trouve-il peu de ceux t[ui écrivent en pareilles choses, qui approchent
de la grâce et naifve beauté de son stile. » Dialogues, édil. Conscience, p. 28.
2fifi JOACHI.M DU BELLAY
L'ung plaint la c-ontag'ion
De la jeunesse abuzée :
L'autre, la religion
Par noms payens deguizée.
Cetui-cy fort élégant
Va ung songer allegant :
Cetuy-la trop rigoreux
Approuve l'edict d'Auguste.
Et le bannissement juste
De l'Artizan amoureux '.
Non contents d'attaquer les poètes, ils s'en prennent encore
aux grands seigneurs, aux damoiselles. à tous les lecteurs
d'Amadis :
Puis ces graves enseigneurs
D'une efifrontée assurance
Se prennent aux grands seigneurs.
Les accusant d'ignorance :
Mesmes leurs cler-voyans yeux
Se monstrent tant curieux.
Que d'abaisser leur edictz
Jusqu'aux simples damoizelles,
Et aux cabinetz de celles
Qui lizent nostre Amadis.
Qu'on se raj)j)elle maintenant la phrase dédaigneuse de la
Deffence sur les romans « en beau et fluide langaige, mais
beaucouj) plus propre à bien entretenir Damoizelles qu'à
doctement écrire » (p. 120) : on mesurera le chemin fait en
trois ans par du Bellay. La volte-face était complète : surpren-
dra-t-elle de la part d'un poète que nous avons vu si sou-
cieux de se pousser en Cour ^ ?
' Ovide, auteur des Amours et de 1*^4^ d'aimer.
- On pourra rapproctier de l'ode, à des Essars une ode inédite A laques
Gohorry Parisien sur la poursuite d' Amadis, cjui parut en tête du X' livre
LES (( TRADUCTIONS » ET LES d INVENTIONS )) 267
VII
Un Adieu aux Muses (I. 4^'^)- P'i^ ^^^ latin de Buchanan '.
servait crépilogue au recueil de i552. S'inspirant lii)ren»ent
de la première Élégie ^ du célèbre humaniste écossais, du
Bellay déplorait cet ingrat métier de poète, où l'on ne connaît
jamais que labeur sans répit, pauvreté sans remède. Il
s'écriait :
Adieu, ma Lyre; adieu les sons
De tes inutiles chansons :
Adieu la source, qui recrée
De Phebus la tourbe sacrée.
J'ay trop perdu mes jeunes ans
En voz exercices plaisans :
J'ay trop à voz jeuz asservie
La meilleure part de ma vie.
Tout imités qu'ils sont, ces vers traduisaient sans doute une
pensée sincère : car pourquoi du Bellay se fùt-il arrêté sur le
texte de Buchanan. s'il n'y avait trouvé comme un écho fidèle
de ses sentiments propices ? Il donnait au public « les derniers
fruicts de son jardin ». et. convaincu qu'il déclinait, sentant
son style « refroidy et altéré de sa première forme » ', instruit
par l'expérience que les vers ne rapportaient rien, il disait
adieu à la poésie.
Pourtant, quelques cris arrachés par la souffrance, quelques
d'Amadis de Gaule, Paris, Vincent Sertenas, 1553, in-f". La pièce est d'ailleurs
aussi médiocre que longue. Elle offre celte particularité d'être écrite tout
entière en vers de trois syllabes à rimes plaies et régulièrement alternées.
' Sur IJuchanan (loOG-ioS:!), consulter la thèse de Vauthier, De Buchanani
vita e< scr/p<ts, Toulouse, Chauvin, 1886, in-8°.
- Elle a pour titre : Quam misera sit conditio docentiiini litteras hiima-
niores Liitetiae. (Bibl. Xat. — Y'. 9598).
* Épître-préface à Morel il, 338).
'2&8 JOACHIM DU BELLAY
accents partis du cœur avaient montré que chez ce poète
savant, qui jusque-là n'avait vécu que dans les livres et par
les livres, la source de poésie, bien loin d'être tarie encore,
était prête au contraire à jaillir avec force, pour peu qu'il se
présentât une occasion favorable. Il suffisait, pour qu'il en fût
ainsi, d'un changement dans son existence, d'un cours nouveau
dans ses idées. Le voyage à Rome fut cette occasion. A quitter
sa patrie, à fuir Paris, qu'il hal)itait depuis cinq ans, du
Bellay ne gagna pas seulement do pouvoir se soustraire à
l'action immédiate de ses amis d'écolo, à l'influence dangereuse
dos théories systématiques : il y trouva cet avantage d'étendre
son horizon et d'élargir le champ de ses idées. Au delà du
Collège, au delà de la Cour, il découvrit un nouveau monde,
un pays différent du sien, des mœurs étranges, une vie tout
à fait inconnue. Et son cœur en fut ébranlé, non moins que
son esprit. Car. on pénétrant dans ce nouveau monde, il n'y
trouva point ce ({u'il y rêvait. Tristesses sur tristesses, amer-
tumes sur amertumes, désenchantements sur désenchante-
monts, voilà ce que lui réservait ce long séjour en Italie. 11
on souffrit jus([u'à l'angoisse. Pourtant, ne le plaignons pas
trop. Cette rude épreuve lui fut salutaire : les souffrances de
son àmo. transformant son génie, le mûrirent, l'attendrirent,
parachevèrent son développement. Le contact douloureux de la
vie fut une fois de plus bienfaisant et fécond : et c'est ainsi
que du Bellay, dont l'étude avait fait un poète livresque, —
pour avoir eu le cœur meurtri par les réalités brutales, devint
un poète vraiment personnel.
SECONDE PARTIE
DU VOYAGE DE ROME A LA MORT
15SS - 1S60
CIIAPiTUE I
DEPAirr POUR L'ITALIE
LE CARDINAL JEAN DU BELLAY
1553
I. — Le cardinal Jean du Bellay. — Le politique. — L'intellectuel.
II. — Rapports du poète et du cardinal avant 1353.
III. — État d'esprit de Joachim. — Ses pensées d'avenir. — Ses rêves
d'humaniste.
IV. — Départ pour l'Italie. — Saint-Symphorien-de-Lay. — Lyon. —
Arrivée à Rome (juin 1553).
Ce voyage en Italie, si désiré de Joachim. et qui devait
avoir tant d'influence sur ses idées et son talent, il le fit à
la suite de son parent, le cardinal Jean du Bellay. L'heure
est venue de faire plus ample connaissance avec cet habile
et savant prélat, qui tient une si grande place dans la vie
de notre poète *.
' Le cardinal du Bellaj' n'a pas encore été l'objet de la monographie à
laquelle il a droit. Sa vie, écrite par Louis Trincant de Loudun, n'a pas
vu l'impression (Dom Liron, Biblioth. Chartraine, p. I59j. On pourra consulter
272 JOAGHIM DU BELLAY
Frère de Guillaume de Langey, le valeureux capitaine de
François I«'", Jean du Bellay, tout d'abord simple évêque de
Bayonne (iSaG). s'était distingué de bonne heure par sa
finesse diplomatique. Ambassadeur en Angleterre, il avait su
gagner les bonnes grâces d'Henri VIII et le détacher de
Charles-Quint au profit de la France, en servant les desseins
du monarque, qui voulait répudier Catherine d'Aragon. Il
avait obtenu que la Sorbonne. en cette grave question, se
prononçât, malgi'é Noël Béda, dans le sens du divorce, et.
s'il n'avait pu réussir à convaincre le Consistoire, sur qui
pesait l'influence impériale, ce n'était pas faute d'avoir
dépensé beaucoup d'éloquence en faveur d'Henri VIII. Le
21 mai i535, le pape Paul III l'avait promu cardinal, et le
nouvel élu s'employait à miner dans l'esprit du pontife l'au-
torité de l'empereur. L'année suivante, lorsque François I^r
partait défendre la Provence envahie par Charles-Quint, c'est
à du BeHay (ju il avait confié le gouvernement de sa capitale
et de l'Ile-de-France. Et depuis, dix ans durant, le prélat
n'avait cessé d'être un des meilleurs conseillers, un des plus
dévoués auxiliaires du roi son maître. En môme temps, il
trônait au premier rang parmi les dignitaii'es ecclésiastiques :
en i532, il avait changé son siège de Bayonne pour celui
de Paris, auquel il avait ajouté tour à tour l'abbaye de
Saint-Maur (i532), l'évêché de Limoges (i54i). l'archevêché
de Bordeaux (i544)» enfin l'évêché du Mans (i546), devenu
vacant par la mort de son frère, René du Bellay. Les
revenus de tous ces bénéfices lui permettaient une vie large,
un grand train de maison.
la notice d'Ilauréau, Hist. litt. du Maine, t. III ; la plaquette du Marquis de
la Joriquiùrc, Le Cardinal du liellay (Ak-nçon, Renaut-I3e Broise, 18S7) ;
rouvraf^i' (l'IIeulliard. Rabelais. Ses voyages en Italie. Son exil à Metz (Paris
lil)r. de lArl, 1891). — Un grand noinl)re de ses lettres sont conservées à la
Bilil. Nat. Beaucoup se trouvent dans Ribier, Lettres et Mémoires d'Estat
(Paris. 1077, 2. vol. in-l").
DÉFAUT POUR l'iTALIF. 27^^
Ce sulilii cl cU'liô [xililinuc iiavail pas moins (|U(^ le goût
des affaires raiiioiii' des choses de res[)i'il. La Renaissance
avail marqué sur lui protbndénienl. Il était ouvcn'l aux idées
nouvelles, au point d'être suspect, comuu' la i-eine de Navarre,
de sympathie pour la Réforme '. La cause des études l'avait
trouvé toujours ierveut. 11 avait uni ses efforts à ceux de
Guillaume liudé pour décider François l*^"" à créer les lecteurs
royaux (i53o), et plus dune ibis par la suite, ou l'avait vu
intervenir auprès des trésoriers du roi, pour taire payer leurs
gages aux savants professeurs ^ 11 protégeait tous les lettrés,
Etienne Dolet, Salmon Macrin, Michel de L'Hospital. Rabelais
surtout était de sa part l'objet d'une estime spéciale et d'une
réelle allection. 11 avait fait de lui son médecin et son secré-
taire, et par trois fois il l'avait emmené dans ses missions en
Italie '. Le prélat goûtait fort la science de l'humaniste et la
variété de ses entretiens : maître François était pour lui un
homme de tous les instants (omnium liorarum hominem). A
Rome, en i534, ils avaient entrepris tous deux l'étude des
vieux monuments et de concert faisaient des fouilles *. Le
cardinal savait à l'occasion secourir le malheur. 11 recueillit
dans son palais le poète Louis des Masui'es qui, réduit à fuii'
la France — on ne sait ti-op pour quel motif — à la mort de
François \^^. avait erré jusqu'en Sicile avant de débarquer à
Rome. 11 le garda quatorze mois '. Non content d'être ainsi le
Mécène des érudits et des lettrés, ce très intelligent prélat, que
* « Je ne suis pas troj) papiste », dit-il lui-même dans une lettre (M'' de
la Jonquière, p. 9/.
- V. la lettre caractéristique que lui adressent J. Toussaint et F. Yatable
(Paris, mai 133ij ?). — Citée par A. LeCranc. Hist. du Coll. de France, p. 129-130.
* V. l'ouvrage d'Heulhard.
* Heulhard, p. 34.
5 Heulhard, p. i!68-269. — Le fait est raconté par Louis des Masures dans
une pièce à Joachim du Bellay, Œuvres Poëliques, Lyon, Jean de Tournes et
Guill. Gazeau, 1557, iu-4°, p. 15. (Bibl. Nat. — Rés. Y^ 366).
Univ. de Lille. Tome YIII. A. 18.
i~i .lOACHIM DU BELLAY
ne rebutait aucune partie du savoir humain '. prenait plaisir
lui-même à cultiver les Muses : il avait composé des poésies
latines d'une jolie facture, que Macrin se chai*gea de révéler
au public à la suite d'un recueil de ses Odes * (i546).
Tel était l'homme auprès duquel Joacliim allait passer
quatre années de sa vie. et qu'il allait avoir comme patron
poui' le reste de ses jours.
II
L'admiration du porte pour le cardinal datait de son
adole.scence :
Ille etiam mentem stimulis urgebat lionestis
Pierii Janus gloria prima chori '.
De bonne heure il avait rêvé de s'attacher à sa fortune, et
c'est peut-être sur son avis — Sainte-Beuve le suppose —
(|ii"il avait tout d'abord étudié le droit à Poitiers.
A la mort de François I^r (i.")47). le cardinal perdit un
peu de son crédit. Le nouveau roi. tout entier aux Guises,
à iMontmorency. se déliait des anciens serviteurs de son
père. Il nomma bien Jean du Bellay de son Conseil d'État,
mais il n'eut rien de plus pressé que de l'écarter des affaires
' Si du moins l'on en juge par sa bibliothèque. Le Biilletindu Bibliophile,
janv.-févr. 1894, p. 38 scjq. . a publié — daté du 2. juill. 1360 — (( l'inventaire
des livres trouvés en un bahut, appartenant au feu Reverendissime cardinal
M. du Bellay ». A côté d'un assez grand nombre d'ouvrages de tiiéologie et de
religion, se rencontrent des ouvrages darcliilecture, de médecine, d'érudition,
de littérature et de piiilosopiiie. Je relève notamment les Observations de
Nizolius sur Cicéron, un ouvrage de Guill. Postel sur la grammaire comparée,
la Dialectique de Ramus. les Commentaires de César, Euclide, un poème de
Scaliger. les Géorgiques de Virgile, la Chronique d'Eusèbe, les œuvres de
Jean Second, deux grammaires hébraïques, divers ouvrages de Xénophon,
d'Aristole. de Plutartjuc et de Lucien, etc.
- V. ci-dessus 1" part., ciiap. i. § is , p. ;{|.
' Élégie à Morel.
DÉPART POUR l'iTALIK 275
en lexpédianl à Rome (juillcM i547), sur le hi'uil qui coui'uil
de la mort procliaine de Paul 111. Ci-tail une disgrâce
déguisée. Du Bellay profita de son séjour là-has pour y
détendre au mieux les intérèls du roi de France. Mais lors-
que malade de la gouUe. épuisé par la fièvre (mai i548), il
demanda son rappel, pour aller respirer « l'ayr de la doulce
terre du Mayne ». il ne put l'obtenir \ Vainement il écrivait
au cardinal de Guise (a janvier i549) une lettre désespérée * :
on lui taisait entendre, en le couvrant de Heurs, que sa
présence à Rome était indispensable, et comme preuve de
confiance, on le chargeait de nouvelles négociations. Le i5
février i549. i^ recevait pleins pouvoirs d'Henri II pour
traiter avec Gênes, qui sollicitait aide et protection contre
l'empereur. Le roi se reposait du succès de l'affaire « sur
le bon sens, vertu, dextérité, fidélité, grande expérience et
diligence de son amé et féal cousin le Gard, du Bellay » '.
Singulière coïncidence : ce même jour exactement, le poète
Joachim dédiait au cardinal le manifeste de la Deffence et
louait en phrases pompeuses celui qui donnait tout son temps
(( au service de son prince, au profit de la patrie et à
l'accroissement de son immortelle renommée * ». et qui soute-
nait presque seul, au sein du Sacré-Collège, u le pesant faiz
des affaires françoyses ».
Deux mois plus tard, le cardinal tombait en disgrâce
(avril 1549). pour s'être montré trop fViible vis-à-vis du pape
dans la question des induits '. Bientôt, Henri II mécontent
envoyait à Rome pour le remplacer le cardinal de Ferrare \
* Heulliard, p. 2Gi.
- Heulliard, p. 2«1.
* Ribier, II, 191. — Pour le rôle important joué par le cardinal à Rome
en 1549, cf. encore p. 171, 189, 192, 196.
* Deffence, p. 43.
= Ribier, 11, 206. Lettre du secrétaire d'État Duthier au chancelier Fran-
çois Olivier (13 avril 1349). — Cf. Mis de la Jonquière, p. 33-34.
« Ribier, II, 22U.
•216 JOACBI.M DU BELLAY
Dans une lettre au roi du a'i août i549, du Bellay se défendit
de son mieux d'avoir mal soutenu les intérêts français, et
conta son chagrin de se voir. « après plus de trente ans de
service ». soupçonné d'inlidélité '. Tentative superflue : désor-
mais à l'écart des affaires, le prélat regagna la France
(septembre i549).
C'est alors que Joacliim. qui traA'aillait à son Recueil de
Poësie, eut l'idée de chanter V Avantretour en France de
Monseig-iiew Reverendiss. Cardinal du Rellay (I, 246). Il
s'écriait d'un ton joyeux :
Tu viendras donq' finablement,
Heureux Prélat, et à ta suite
Retourneront semblablement
L'esprit, la vertu, la conduite.
Qui te suivent ou que tu voises,
Veillant aux affaires françoises.
Puis, après avoir l'ail son éloge et celui de Langey, « ce grand
Langé inimitable ». il dépeignait la France heureuse de le
revoir — telle Pénélope ravie de retrouver Ulysse — :
La France, qui bien apei'çoit
Combien vault un esprit si saige,
Apres longs Iravuulx te reçoit
Avecques un joyeux visaige :
Si fait ton Roy, bien heureux Prince,
D'avoir tel homme en sa province.
Haste toy donq'. et n'attens pas
Que la grand' épaule chenue
Des Alpes déçoive tes pas.
' « Il ne me pouvoil advenir plus grand malheur, qu'après plus de trente
ans de service, tant de fciis et en tant de divers endroits exploité, je vinse sur
mes derniers jours en soupçon frinlidclité envers mon Maistre. » Ribier, 11,
"2W.
DÉPART l'OUH L'ITALIK 277
Paris, joyeux de ta venue.
Ja de loing venir te regarde :
Mon dieu, que l'arriver nie tarde !
Cette impatience était l)ien naturelle : le poète comptait sur
le cardinal pour juger les essais de sa Muse :
Prélat, te plaise temps élire
Pour mes vers écouter ou lire.
Mais surtout, il comptait sur lui pour lui servir de protecteur
et de Mécène. Il l'avouait ingénument :
Moy jeune et encores peu fier
Laissant la maison paternelle.
Au ciel je m'oseray fier,
Dessoubs la faveur de ton aile :
Aile, dont la plume dorée
De tout le monde est adorée.
Il se donnait au cardinal, et même, dans la naïveté de ses
épanchements, il lui confiait le rêve qu'il avait fait souvent
de l'accompagner sur les bords du Tibre :
O la grand' ardeur que j'avois
D'appaiser ma soif en cest' onde.
Qui veid à son bord quelque fois
Les dépouilles de tout le monde,
Et la grand' cité, qui encore
Ainsi qu'un demi-dieu t'adore !
Je bruloy' tous les jours après,...
C'était s'inviter d'avance pour un prochain voyage.
L'attente du poète fut trompée : le cardinal ne parvint
pas jusqu'à la Cour. Une dépêche était venue de M. d'Urfé,
l'ambassadeur de France à Rome, qui mandait la fin immi-
nente du pape et se plaignait que deux cardinaux français
seulement, ceux d'Armagnac et de Meudon, fussent présents
278 JOACHIM DU BELLAY
(•j novembre) '. Paul III mourut trois jours après. Dès le 17
novembre, le roi faisait partir en toute hâte ses cardinaux, et
dans le nombre du Bellay, cpie l'on dut rencontrer sur la route.
Ils arrivèrent à Rome le la décembre, juste à temps pour
entrer au conclave *. Le 7 février t55o. Jules III était élu.
Du Bellay, dans cette élection, avait obtenu huit suffrages.
11 ne reprit le chemin de la France qu'au début de juillet.
De retour à Paris, il alla se refaire dans son abbaye de Saint-
Maur. Il en avait besoin : les fatigues, la maladie avaient
gravement altéré ses forces. Mais Saint-Maur était un lieu de
délices, un asile de repos et de paix : on trouvait là, dit
Rabelais, « paradis de salubrité, aménité, sérénité, commo-
dité, délices, et tous honestes plaisirs de agriculture, et vie
rusticque ' ». Le cardinal avait fait élever par Philibert Delorme,
à la place de l'abbatiale, un joli palais italien. A l'entour,
de magnifiques jardins offraient aux yeux des marbres rap-
portés de Rome ; on y voyait même, ornement singulier, une
antique statue de Priape *. Dans ce riche domaine, il se
plaisait à recevoir les gens d'esprit dont il aimait les entre-
tiens, Rabelais, Macrin, L'HospitaL : c'était sa cour à lui.
Nul doute que Joachim n'y soit aussi venu, qu'il n'y ait lu
ses poésies, cette ode notamment qui redit la çei^tu du prélat *.
C'est là que l'ancien ministre en disgrâce vécut trois ans,
dans le silence et la retraite, stins regret du passé, sans
souci de l'avenir. II se tenait loin des affaires, quelque peu
négligé par le roi, ((ui hii gardait rancune. Un jour pourtant.
» Ribier, II, 232.
2 Ribier, II, 2.56-257.
^ Rabelais, dédicace du Quart-Livre, 1552. — Edit. Marty-Laveaux, II,
251.
* Uiiprè-Lasale, Michel de UHospital avant son élévation au poste de chan-
celier de France (i5o5-j558 ), p. lOCt-lOT. Paris, Thorin, 1875. Sa inl-Maur re-
vient souvent dans les poésies de L'IIospital. V.édit. Dufey de l'Yonne, t. III,
p. 7, 62, 141.
• Celle de 1552 (II, 2(5).
DÉPART POUR LITALIK 279
Henri II eut besoin, pour n^i^ocier avec Jules III, d'un
homme expert, dévoué, qui connût bien lu Cour de Rome et
sût pénétrer les secrets de la politique italienne. Il songea de
nouveau à « son amé et féal cousin ». Un rapprochement
s'ensuivit : le roi chargea le cardinal d'une mission auprès
du pape. Ce jour-là, Joachim dut être au comble de ses
vœux : car son puissant parent consentait à se l'attacher et
l'emmenait en Italie.
III
En si grand honneur que du Bellay tint la poésie, il ne
la jugeait pourtant pas capable de sulïire à la vie d'un
homme. Il le disait, dans la seconde préface de VOlwe. avec
sa franchise habituelle : (( J'ayme la poésie, . . . mais je n'y
suis tant affecté, que facilement je ne m'en retire, si la for-
tune me veult présenter quelque chose, ou aveccpies plus
grand fruict je puisse occuper mon esprit ' » (I. 78). Il fallait
vivre, et pas plus autrefois qu'aujourd'hui, l'on ne vivait de
l'art des vers. D'ailleurs, il avait toujours eu le goût des
hauts emplois. S'il voyait dans la poésie le plus sacré des
passe-temps, son ambition rêvait d'occupations actives. Jeune
homme, il eût voulu être d'épée ; mais le destin ne l'avait
pas permis :
' Il le pensait encore neuf ans plus tard. Dans son Élégie à Morel, après
avoir dit que la poésie est sa seule richesse {siint divitiae carmina sola meae),
il ajoute qu'il n'est pas assez fou pour la faire passer avant la médecine, le
droit, la religion, la politique, le métier militaire :
Nec vero usque adeo nobis mentem abstulit omnem
Delius, haec démens ut potiora putem.
Paeonias artes, sanctique volumina Juris,
Quodque salus animae est, haec potiora puto.
Sunt potiora milii, quae comnioda publica curant.
Quaeque hostem patriis finibus ejiciunt.
Artibus his debentur opes, debentur honores.
Hoc quisquis sapiet, Jane, sequelur iter.
280 JOACHIM DC BELLAY
Si me lata meis voluissent vivere votis,
Nec coUum indigno supposuisse jugo.
Non aninms deerat studiis gravioribus aptus.
Quique aulain posset militiamque sequi ^ .
En 1549. il avait essayé de se pousser en Cour, avec l'aide
de Madame Marguerite. Il accepta donc de grand cœur
auprès du cardinal une situation qu'il avait ardemment
recherchée et dont il espérait beaucoup.
Jo sais bien que plus tard, à l'heure cruelle des désillu-
sions, il prétendit être innocent de toute pensée ambitieuse
et protesta n'avoir agi que par devoir :
L'honneste servitude, où mon devoir me lie,
M'a fait passer les monts de France en Italie ^
Etait-il bien sincère ? ou se donnait-il le change à lui-même ?
La vérité, c'est qu'au départ il exultait et qu'il aurait suivi
son maître au bout du monde \ Il entrevoyait ce voyage
à Rome comme le commencement de la fortune rêvée. Son
cœur s'ouvrait à l'espérance : il allait donc enfin connaître,
avec la vie fastueuse, les charges importantes qui menaient
aux honneurs ! Et puis, une auti'e pensée le comblait de
joie, cette pensée de l'humaniste qui va faire un pèlerinage
au pays des vieilles légendes et des classiques souvenirs.
Voir Rome ! quelle jouissance pour un élève de Dorât ! Dans
l'ardeur de son enthousiasme, il se sentait comme une
flamme nouvelle, un désir infini de tout savoir, de tout
comprendre :
' Élégie à Morel.
■ Regrets, s. 27.
^ Élégie à Morel :
Millitur interea Romam Bellaïus illi",
Quo duce Laurent! s vidimus arva soli.
Necduin lotus erat dcpulsus corpore languor,
Alpil)us et (luris ille sequendus eral.
Sed milii ))er Scytliieas rupes et iiih<)s])il;i saxa,
lUuni duui seqiierer, molle luissct iter.
DKI'ART POl U l'iTALIK 281
Je me feray sçavant en la philosophie,
En la mathématique, et médicine aussi :
Je me feray légiste, et d'un plus hault soucy
Apprendray les secrets de la théologie :
Du Ivit et du pinceau j'ébatteray ma vie,
De l'escrime et du bal. — Je discourois ainsi.
Et me vantois en moy d'apprendre tout cecy.
Quand je changeay la France au séjour d'Italie '.
Sans nul doute, au départ, une pensée de gratitude s'éleva
du cœur du poète pour celui qui lui rendait possible ce rêve
de science universelle. Ainsi Rabelais jadis, dans une effusion
de reconnaissance, remerciait le cardinal de lui avoir fait
contempler l'antique capitale du monde : Qiiod maxime
mihi fuit optatum jam inde ex qiid in literis poUtiorihus
aliquem sensiim habui. ut Italiam peragrare Roniamque orbis
caput invisere posseni, id tu niirifica quadam benignitaie
praestitisti ' .'
IV
C'est au mois d'avril i55'3 que le cardinal se mit en
chemin '. Le poète partit à sa suite, après avoir fait ses
' Regrets, s. .32.
- Dédicace de la T opo graphia antiquae Romae Ae ^iarWani . Lyon, Séb.
Gryphe, 1534. — Rabelais, édit. Marty-Laveaux, III, 332.
' Tous les biographes du poète ont fait erreur sur la date précise de son
voyage en Italie, qu'ils placent en 1350 (Goujet, Sainte-Beuve, Ballu), 1551
(Revillout, Pellissier) ou 1552 (Marty-Laveaux, de Xolhac, Faguet). Le doute
n'est pas possible. Joachini est resté à Rome près de quatre ans et demi
[Regrets, s. 174). Il y était encore au mois d'aoîit 1557 (v. plus loin, chap. vi,
§ n). D'ailleurs, il dit formellement qu'il a suivi le cardinal iquo duce ; se-
qnendus) : or le cardinal ne se mit en route qu'après la mort de Rabe-
lais (9 avril 1553, d'après Heulhard, p. 338 et 341). On remarquera que cet
espace de temps (1553-1557) correspond exactement h l'espace i)endant lequel
du Bellaj'n'a rien publié. Le dernier ouvrage qu'il ait fait paraitreest la 2' édi-
tion du Recueil de l^oësie dont l'achevé d'imprimer est du 8 mars 1352 (n. s.
1533).
282 JOACHIM DL" BELLAY
adieux à uno maîtresse peut-être imaginaire '. A l'en croire,
ce voyage commença sous de mauvais auspices :
. . . Sur le sueil de l'huis, d'un sinistre présage,
Je me l)lessay le ])ied sortant de ma maison '.
Du v()ya>;(' lui-uicme. nous savons peu de chose. On fit une
halte entre Roanne et Lyon, à Saint-Sympliorien-de-Lay. C'est
là que. le 9 janvier i543. au pied du mont Tarare, avait
succombé d'épuisement le grand Langey, parti de Piémont en
litière, malgré la goutte qui le tenaillait, pour donner au roi
d'importants avis \ L'esprit hanté dans son sommeil par ce
funèbre souvenir, du Bellay dormit mal. Comme il se retour-
nait (( sur l'hosteliere plume », il crut voir apparaîti-e à ses
yeux le héros qu'il admirait tant. 11 en eut un sursaut et
s'éveilla. (( tressuant » defTroi *. C'est peut-être à Saint-
Symphorien ({iiil traça la concise épitaphe de Langey :
Hic situs est Langeus. Ultra nil quaere. viator :
Nil majus dici. nil potuit hrevius '\
Puis on parvint à Lyon. Je ne redirai pas après tant
d'autres ' ce ([u'était au xvi^ siècle cette cité fameuse, — « le
second o-il de France ». dit J. Lemaire de Belges ', — où les
' Du regret de l'autheur tia partir de France (1. 327). Ce sonnet est imité
du premier sonnet de Pétrarque.
- Regrets, s. 25.
^ Rabelais, qui l'accompagnait à ce dernier voyage, a raconté cette agonie
qui l'avait fortement frappé (Hv. III, chap. 2!, et liv. IV, chap. 27). — Cf.
Heulhard, p. 168-170.
* D'un songe qu'il feit passant d S.Saphorin et Sur ce mesme propos (1,328).
•' Poeinata, {■' iiO v">.
•* Sainte-Beuve, art. sur Louise Labé (1845), dans les Portraits Contempo-
rains, t. V, p. 3 ; — Christic, Etienne Dolet (1880), trad. C. Stryicnski, p.
159; — Chenevière, Bonav . des Périers (188a), p. 43 ; — Bourciez, Les mœurs
polies... (188()), p. 123 ; — Thibaut, Marguerite d'Autriche et Jehan Lemaire
de Belges (1888), p. 143; — Brunot, De Philiberti Bugnonii vita.... (1801),
p. 0; — Buisson, Sébastien Castellion (1892), t. I, p. 14.
■ Illustrations, liv. I, chap. 13. — Édit. Slechcr, t. 1, p. 86.
DÉPART POl'R L'iTAI.ir: 283
lettres et les arts n'étaient pas en moins grand honneur que
l'industrie et le commerce. C'était la patrie de Maurice Scève,
un précurseur de la Pléiade. Joachim le vit au passage et lui
dédia ce beau sonnet :
Gentil esprit, ornement de la France,
Qui d'Apollon sainctement inspiré
T'es le premier du peuple retiré,
Loing du chemin tracé par l'ignorance,
Sçeve divin, dont l'heureuse naissance
N'a moins encor son Rosne décoré,
Que du Thuscan le fleuve est honnoré
Du tronc qui prent à son bord accroissance,
Reçoy le vœu. qu'un dévot Angevin
Enamouré de ton esprit divin.
Laissant la France, à ta grandeur dédie :
Ainsi tousjours le Rosne impétueux,
Ainsi la Sône au sein non fluctueux.
Sonne tousjours et Sçeve, et sa Délie. (II, i43)-
Il vit aussi Pontus de Tyard et son cousin Guillaume des
Autelz. et leur adi*essa de même un fraternel salut (II, i44)-
Des Autelz avait jadis écrit contre la Deffence ' : mais la
réconciliation fut d'autant plus facile que l'adversaire s'était
rallié depuis aux principes de la nouvelle école. Pour témoigner
de ses bons sentiments, des Autelz composa deux pièces ^ où,
célébrant la rencontre qu'il avait faite de du Bellay, il chantait
* V. ci-dessus. Impartie, chap. v, § ii, p. 147-151.
^ 1» Une ode, ou plutôt une « façon lyrique » en cinquains : A I. du Belay
rencontré à Lyon, en son chemin de Homme. 2' Un sonnet : A loachim du
Belay, trouvé à Lyon lors qu'il alloit à Homme. — Ces deux pièces li^u-
rent dans V Amoureux Repos de Guillaume des Autelz, Gentilhomm.e Chnrro-
lois, Lyon, Jean Temporal, loo3, in-8'. L'ouvrage contient deux privilèges,
l'un daté de Paris, 27 mai loo3, l'autre de Lyon, 12 juin loo3. L'achevé d'im-
primer est du lii juin de la même année. (Bibl. Nat. — liés. Y'. 14(fô).
284 JOACHIM DU BELLAY
ses louanges et souhaitait au voyageur toute sorte de prospé-
rités. Il invoquait pour lui la déesse de Cypre :
Donc, par prière flateuze.
Impctre le chemin doux
A la Muse doucereuze.
La Muse noble amoureuse,
Bellay, bel Astre entre nous.
Que la froydeur blanchissante
Des nions, qui clierchent les cieux,
Ne soit rudement nuysante
A cette lampe, veillante
Au service des bons dieux.
Ces souhaits n'étaient pas superflus. Il semble bien, en
eflet, qu'au passage des Alpes, le |)auvrr Joachim tut repris
do ses fièvres, et quun moment il eut gi'and'peur de ne
jamais voir Rome. Il fit des vœux païens à la Fièvre, à la
Santé, (( nourrice des hommes ». Même malade, il restait
humaniste. Il lut guéi-i par la Saignée, qu'il remercia dans
un sonnet débordant de reconnaissance *.
Le voyage s'acheva sans incident. Le cardinal était passé
par Genève et la Suisse. Il descendit en Italie par Côme,
Brescia et Ferrare '. Le 7 juin, il était à Fano '. Dans le
courant du même mois, il faisait son entrée à Rome.
* Elégie à Morel :
Neciluiii lotus erat dcpulsus corpore languor,
Alpihus et duris ille sequendus erat.
Cf. sonnets, I. 329-332. Toutefois le sonnet A son Luth n'appartient pas à eette
époque : il est traduit d'une épigramme latine de Saint Gelays, certainement
postérieure. V. Œuvres de Mellin de Saint-Gelays, édit. elzév., t. II, p. 255.
- Heulliard, p. 341 .
^ Ce jour-là, il éerit au connétat)le pour conseiller au roi la conquête de
la Corse (Ribier, II, 467).
CHAIMTRK II
LES « ANTIQUITEZ DE ROME
I. — L'humanisme et les ruines de Rome. — Promenades de du
Bellay dans Rome. — Son poème « Romae descriptio » .
II. — Les « Antiquité/, de Rome » : les idées principales de l'ou-
vrage.
III. — Valeur du recueil : c'est une œuvre de transition. — Le
« Songe ». — Une note nouvelle en poésie : le sentiment
des ruines.
Lorsqu'on a vécu de longs jours dans le commerce des
anciens, qu'on s'est nourri de leurs ouvrages et qu'on s'est
fait par la pensée une âme antique, le rêve le plus doux que
l'on puisse former, c'est de voir le sol qu'ont foulé leurs
pas, les lieux vénérables et saints où s'est déroulée leur his-
toire, les souvenirs qu'ils ont laissés de leur passage. Au
pays qui fut leur pays, devant les choses qu'ils contemplèrent
et qui furent les muets témoins de leurs actes, en présence
des monuments qu'érigea leur génie, on les comprend mieux
tout entiers, on sent revivre un peu d'eux-mêmes. Les dis-
cours et les lettres de Cicéron, les narrations de Tite-Live
et de Tacite, les poèmes de Virgile et d'Horace, de Properce
28(J JOACHIM DU BELLAY
cA ilOvide, nous donnent quelque idée de la Rome antique :
mais combien cette idée se précise, quand nous voyons Rome
elle-même et ce qui reste de son passé ! Ainsi s'explique
r attraction qu'a toujours exercée sur les humanistes la vieille
capitale, et le respect qu'ils n'ont cessé d'avoir pour ses
débris. Le sagace historien à qui nous devons le tableau de
la culture en Italie à l'époque de la Renaissance, a consacré
très justement tout un chapitre de son ouvrage à a Rome,
la ville aux ruines célèbres » '. Le culte des ruines romaines
est né dans les esprits en même temps que l'humanisme.
Pétrarque est le premier qui ait aimé le sol de Rome et
senti fortement la majesté de ses reliques. Il avait trente-deux
ans lorsqu'il les contempla pour la première l'ois : l'impres-
sion qu'il en reçut fut saisissante, ineffaçable *. Que de fois
il monta depuis, avec son ami Giovanni Golonna, sur les
voûtes des Thermes de Dioclétien, évoquant le passé de
l'histoire dans le silence mystique, pendant que leurs yeux
se posaient sur les restes épars de la ville éternelle ! Il
connut ainsi, le premier des modernes, la méditation senti-
mentale devant les ruines. On relève des émotions du même
genre dans les écrits du Pogge. Dans une page éloquente,
il nous a raconté l'impression douloureuse que lit sur un
de ses amis et sur lui Rome désolée, vue du Gapitole ^
Non content de sentir en artiste, il voulut décrire en savant,
et, tempérant l'imagination par la science, il appuya l'étude
des ruines sur celle des auteurs et des inscriptions \ Après
< Jacob Burckharilt, 3' part, ohap. 2. — Trad. Schmitt, t. I, p. 218.
- 1*. de Nolhae, Pétrarque et l'Humanisme, p. 19. Thèse. Paris, Bouillon,
1892, in-S".
^ Cette page est citée par J. P. Gliarpentier, Histoire de la Renaissance
des Lettres en Europe au xv' siècle, t. I, p. 206. Paris, Maire-Nyon, 1843. —
Charpentier en rapproclie la lettre de Chateaubriand à Fontanes sur la cam-
pagne romaine.
* Ruinarum urbis Romae descriptio, vers 1430, d'après Burckhardt, t. I,
p. 221.
LES (( ANTIQUITKZ DK HOMK )) iSl
Pétrarque, après le Pogge. Ijcaucuup d'iiunianistes, dcrudits.
d'antiquaires, eurent le même culte et la même piété pour les
débris augustes de la reine du monde.
Il était naturel que du Bellay, dès son arrivée à Rome,
subît à son tour cette fascination. L'àme imprégnée, comme
il l'avait, de souvenirs classiques, il dut sentir un vif émoi,
lorsqu'il se vit enfin dans la vieille cité dont il avait jadis
évoqué mainte fois la vision imaginaire, aux leçons de Dorât,
là-bas, dans le sombre Collège de Goqueret. On aime à se le
figurer, dès les premiers temps de son séjour à Rome, explo-
rant, tantôt seul, tantôt avec Bailleul '. tous les coins de la
ville, sarrétant à chaque pas devant les choses nouvelles qui
frappaient ses regards, demeui-ant de longues heures à
contempler l'éminence du Gapitole. la colonne Trajane ou
l'arc de Constantin.
Une pièce de son œuvre résume assez bien les multiples
sensations que son cœur dut épi^ouver. C'est une pièce
latine : par ferveur d'humaniste, du Bellay n'a pas cru qu'on
pût dignement parler de la ville éternelle dans une autre
langue que la langue du lieu. Son poème Roinae descriptio -. très
admiré de Sainte-Beuve % est une curieuse peinture de Rome vue
dans son ensemble *. Voici d'abord le Tibre aux eaux jaunâtres
et la vieille enceinte romaine qui court à travers la campagne.
La ville moderne ne la remplit plus. En maint endroit, la
muraille tombe en ruines ; mais elle a gardé son air d'autre-
* Une éuigramme des Poemata (f" 22 v" : Ad Lodoicum Baillolium) nous
apprend que Bailleul connaissait à fond les monuments de Rome (nulli nota
magis veterum moniimenta Qairitum] et qu'il avait servi de guide à du
Bellay (quae nos luslravimus unu). Joachim lui dédie encore le s. 30 des
Regrets .
■ Poemata, i" 3 v .
' Nouveaux Lundis. XIII, 342.
* Je ne saurais trop remercier mon ancien collègue, M. Fougères, du pré-
cieux concours qu'il m'a prêté dans l'éclaircissement de cette pièce, dont la
composition est très défectueuse et les détails parfois très obscurs.
288 JOACHIM DU BELLAY
fois, impérieux et monaçant. Un vaste amas de constructions
domine la cité des papes : Saint-Pierre encore iuaciievé, qui
s'annonce déjà la merveille de lltalie.
Quo nullum Ausonia pulclirius extat opus,
l'immense Vatican, déroulant ses galeries, que termine l'élé-
gant Belvédère. Puis, c'est une vision de créneaux aériens,
la masse imposante du tombeau d'Adrien, des ponts aux
arches surélevées, des palais, des églises, le Panthéon
d' Agrippa, la lonttiine de l'Aqua Virgo. — Après les monu-
ments, le spectacle des mœurs. Les arts cliers à Pallas, le
jeu des armes, les courses de chevaux, les rumeurs de la
politique, tout a sa place a Rome : la fortune y règne en
maîtresse, et Vénus elle-même y compte plus de dévots
qu'ailleurs : n'est-elle pas la mère des Romains ? Dans cette
ville tapageuse, où résonnent confusément les appels, les
clameurs, les sifflets, les joyeux lazzi, les rires bruyants, la
musique des chansons et des danses, la femme déploie avec
art les séductions et les appâts : le front ceint de bandeaux
ornés de pierreries . les joues rouges de fard . des colliers
d'or autour d'un cou de lait, des brillants à leurs doigts de
neige, des perles en pendants d'oreilles, les cheveux frisés
en accroche-cœur, vêtues de vêtements de pourpre aux
franges d'or et de longues robes flottantes qui tombent jus-
qu'aux pieds , les Romaines ont le secret des savantes
démarches, des savantes œillades, des savants jeux de main.
— Et voici maintenant les nobles créations de l'art, les
chefs-d'œuvre de la sculpture, les statues de marbre et de
bronze ([ui ont reçu le don de vie : Laocoon et ses deux
fils, l'Apollon du Belvédère et la Vénus tle Cnide, Rome
guerrière '. la Louve allaitant les jumeaux Romulus et
' Visconti, Musée Fio-Clernentino, trad. franc., Milan, Giegler, 1818, t. II,
pi. 15.
LES a ANTIQUITEZ DE ROME )) ^89
Réilius, le Tireur d'épine. l'Hercule en bronze <loré du Capi-
tole, Marc-AuW'le à cheval, les bustes des Césars, le Tibre
et le Nil. Cléopàtre mourante \ le groupe de Mars et Vénus,
les Colosses de Monte Cavallo. le Satyre et lEnlant, Adonis
blessé, combien d'aulres encoi'e ! — VA pour (inir, le poète
évoque à nos yeux le spectacle mélancolique des (( pou-
dreuses )) antiquités. La pyramide de Cestius. la l)rcche
formidable du Colisée, la muette désolation des caveac
désertes, les murs couverts de ronces et les temples enfouis
sont le point de départ d'unc^ rêverie douloui-euse sur la
chute de toute grandeur, la fragilité de toute puissance. Pour
ne point l'affaiblir par une traduction, je cite dans le texte
ce développement qui n'est j)as sans beauté :
Aspice ut lias mohns. quondamque niinanlia Divis
Moenia luxurians lierba situsque tegant.
Hic ubi praeruptis nulantia culmina saxis
Descemlunt coelo, maxima Roma fuit.
Nunc juvat exesas passim spectare columnas.
Et passim veterum tenipla sepidta Deùm,
Nunc Martis campum. Thermas, Circumque. Forumque,
Nunc septem Colhns, et monumenta vin'im.
Hac se victores Capitolia ad alta ferebant.
Hic gemini fasces, Consulis imperium.
Hic Rostris locus. hic niagnus regnare solebat
TuUius, hic plebis maxima turba fuit.
Heu tantum inq)erium terrisque undisque superbum
Et ferro et (lamma corruit in cineres.
Quacque fuit quondam sumrais Urbs aemula Divis,
Barbarico potuit subdere colla jugo.
Orbis praeda fuit, totum quae exhauserat orbem.
Quaeque Urbis fuerant. nunc habet Orbis opes.
' Avec tous ses contemporains, du Bellay prend pour Cléopâtre l'Ariane
couchée du Vatican. Il a vu l'aspic légendaire dans ce qui n'est qu'un brace-
let. Cf. Visconti, t. II, pi. 44.
Univ. de Lille. To.mk VIII. A. 49.
290 JOACHIM DU BELLAY
Caetera tempus edax longis tegit obruUi seclis,
Ipsaque nunc tumulus mortua Roma sui est.
Disce liinc, humanis qiiae sit fîducia rébus :
Hic tanti cursus tam brevis imperiiV
A ce peu de durée des œuvres matérielles, l'auteur oppose
la durée infinie des œuvres de l'esprit. La grande Rome est
morte : mais les écrits de ses poètes vivent toujom's. Les
plus beaux monuments périssent : la poésie est immortelle et
rend immortel ce qu'elle a touché. Dans cette méditation
historico-philosophique, digne de Pétrai-que ou du Pogge. il
est aisé de reconnaître la pensée première et comme le
germe des Antiqiiitez de Rome '.
11
Les Antiqiiitez de Rome sont un petit recueil de trente-
deux sonnets, que suit un Songe ou Vision en quinze
sonnets '. Il n'y faut point chercher un tableau méthodique
et précis qui fasse revivre à nos yeux chacun des vestiges
de Rome, Du Bellay ne s'attache qu'à l'impression d'ensemble^
nullement aux détails. Ce qu'il nous présente de Rome,
c'est « une générale description de sa grandeur et comme
une déploration de sa ruine » . Le fond même de l'ouvrage,
' Rapprocher de ce passage un autre développement que du Bellay met
dans la bouche du Tibre (l'oemala, f" 7 v") :
111e ego sum Tybris toto notissimus orbe. . .
- Elle est condensée tout entière dans le s. o des Antiquitez.
' Le premier livre des Antiquitez de Rome, contenant une générale de-
scription de sa grandeur et comme une déploration de sa ruine, par loach.
du Bellay Ang. Plus un Songe ou Vision sur le mesme subiect, du mesme
autheur. Paris, Fcdcric Morel, loocS, in-4». Privilège daté de Fontainebleau, 3
mars l;w7 (n. s. i'SSHj. — Marty-Laveaux, II, :iG3-288. — L'auteur de la Reine
des Fées, lidmund Spcnscr, a traduit en anglais les Antiquitez et le Songe
(The Ruines of Rome ; The Visions of Bellay). Édit. R. .Morris, Londres,
Macmillan, 1«86, in-8% p. 526 et 538.
LES (( ANTIQUITKZ DE ROME )) :291
c'est le navi'aut contraste entrer sa puissance passée et son
actuelle déchéance.
Plusieurs idées sont l'amilières à l'esprit du poète et
l'eviennent dans ses soiniets avec des expressions diverses.
C'est d'abord la f^randeur colossaU' de la Home d'autrelbis ':
Rome lut tout le monde, et tout le monde est Rome,
s'écrie-t-il dans un vers cornélien (s. 26). Il la compare à
l'antique Gybèle, la déesse féconde, (^ui s'avançait triom-
phante et superbe :
Telle que dans son char la Berecynthienne
Couronnée de tours, et joyeuse d'avoir
Enfanté tant de Dieux, telle se faisoit voir
En ses jours plus heureux ceste ville ancienne :
Ceste ville, qui fut plus que la Phrygienne
Foisonnante en enfans, et de qui le pouvoir
Fut le pouvoir du monde, et ne se peult revoir
Pareille à sa grandeur, grandeur sinon la sienne.
Rome seule pouvoit à Rome ressembler,
Rome seule pouvoit Rome faire trembler :
Aussi n'avoit permis l'ordonnance fatale,
Qu'autre pouvoir humain, tant fust audacieux,
Se vantast d'égaler celle ([ui (il égale
Sa puissance à la terre, et son courage aux cieux, (S. 6).
Comment tant de grandeur a-t-elle pu crouler? C'est qu'une
loi fatale s'oppose à tout excès dans la puissance ou la for-
tune. Quand on monte trop haut, on devient la victime de
la Némésis vengeresse. Rome a renouvelé contre le ciel la
tentative des Géants, et les Dieux jaloux l'ont punie * :
» S G, 8, 26.
- S. 4, 11, ii.
292 JOAGHIM DU BELLAY
Telz que Ion vid jadis les enfans de la Terre
Plantez dessus les monts pour escheller les cieux.
Combatti'e main à main la puissance des Dieux.
Et Juppitei' contre eux. qui ses foudres desserre :
Puis tout soudainement renversez du tonnerre
Tumber deçà delà ces squadrons furieux.
La Terre gémissante, et le Ciel glorieux
D'avoir à son honneur achevé ceste guerre :
Tel encor' on a veu par dessus les humains
Le front audacieux des sept costaux Romains
Lever contre le ciel son orgueilleuse face :
Et telz ores on void ces champs deshonnorez
Regretter leur ruine, et les Dieux asseurez
Ne craindre plus là hault si effroyable audace. (S. 12).
Sous sa mythique formule , cette raison philosophique
ne suffit pas à rendre compte d'une chute aussi lamentable.
Il y faut encore une cause humaine : Rome est tombée par
les guerres civiles '. Tant que ses fils ont vécu dans l'union,
elle est restée puissante et forte. Du jour où la discorde est
entrée dans ses murs, elle était marquée pour la décadence.
Frappée dans sa vigueur, elle commença de décroître et fina-
lement subit les outrages des peuples qu'elle avait vaincus :
Comme on passe en esté le torrent sans danger,
Qui souloit en hyver estre roy de la plaine,
Et ravir par les champs d'une fuite hautaine
L'espoir du laboureur et l'esjjoir du bergei* :
Comme on void les couards animaux oultrager
Le courageux lyon gisant dessus l'arène,
Ensanglanter leurs dents, et dune audace vaine
Provoquer l'ennemy qui ne se peult venger :
' S. 10. 22. 23, 24, 31.
LES « ANTIQLITEZ DE ROME )) 293
Et comme devant Troyo on vid des Grecz encor
Braver les moins vaillans autour du corps d'Hector :
Ainsi ceulx qui jadis souloient, à teste basse,
Du triomphe Romain la gloire accompagner.
Sur ces poudreux tumbeaux exercent leur audace,
Et osent les vaincuz les vainqueurs desdaigner. (S. i4)-
Et maintenant, Rome n'est plus qu'un monceau de ruines ' :
de vieux palais et de vieux murs, des arcs triomphaux rongés
par le temps, des temples à moitié détruits, des colonnes
décapitées, des pierres gisant sur le sol, voilà tout ce qui
reste d'elle : mais ces débris sont imposants, et Rome n'est
pas tellement abattue, ([u'au milieu de ses ruines elle ne
garde un air de sauvage grandeur, qui force l'admiration des
hommes * :
Ny la fureur de la flamme enragée,
Ny le tranchant du fer victorieux,
Ny le degast du soldat furieux,
Qui tant de fois (Rome) t'a saccagée,
Ny coup sur coup ta fortune changée,
Ny le ronger des siècles envieux,
Ny le despit des hommes et des Dieux,
Ny contre toy ta puissance rangée,
Ny l'esbranler des vents impétueux,
Ny le débord de ce Dieu tortueux.
Qui tant de fois t'a couvert de son onde,
Ont tellement ton orgueil abbaissé.
Que la grandeur du rien, qu'ilz t'ont laissé,
Ne fasse encor' émerveiller le monde. (S. i3).
La contemplation de ces ruines est douloureusement
' S. 3, o, 7, 23, 29.
-' S. 13, 27, 28.
294 JOACHIM DU BELLAY
suggestive et A'C'oiulo. Elle est pour le poète une source
constante de graves réflexions, et lait de lui parfois une
manière d'historien ])liilosophe * : les révolutions politiques,
les phases de la monarchie, l'histoire de Rome et de ses
divers gouvernements, l'inéluctable loi qui veut que le déclin
succède à la grandeur et que tout finisse au néant, devien-
nent tour à tour des sujets de méditation. Dans une de ces
rêveries, du Bellay se demande ce que pensent les vieux
Romains, si leurs ombres échappées des enfers reviennent
(pielquefois errer sur les débris de la cité déchue. Il y a de
beaux vers dans cette évocation :
Pâlies Esprits, et vous Umbres poudreuses.
Qui jouissant de la clarté du jour
Fistes sortir cest orgueilleux séjour.
Dont nous voyons les reliques cendreuses :
Dictes, Esprits (ainsi les ténébreuses
Rives de Styx non passable au retour.
. Vous enlaçant d'un trois fois triple toui\
N'enferment point voz images umbreuses)
Dictes moy donc (car quelqu'une de vous
Possible encor se cache icy dessous)
Ne sentez vous augmenter vostre peine.
Quand quelquefois de ces costaux Romains
S^ous contemplez l'ouvi'age de voz mains
N'estre plus rien (pi'une poudreuse plaine*? (S. i5).
' S. 16, 18,20,21, 30.
' n Le retentissement sourd et prolongé du dernier vers produit le même
efTct que certains vers lugubres de Dante, n Ampère. La Grèce, Rome et
Dante, édit. de 1859, p. 1.57.
Ll-:S « ANTIQUITKZ DE ROMK » 295
III
Les Antiqiiilez de Rome sont uno œuvre de transition.
On saisit là. chez du Bellay, le passage de sa j)remière à
sa seconde manière, et la forme même des sonnets, cette
alternance du décasyllabe et de l'alexandrin, en est un
curieux indice ^ Ce serait une erreur de croire qu'il ait
renoncé tout d'un coup à ses habitudes livresques et qu'il
soit devenu pleinement personnel. La part de l'imitation est
encore ici assez considérable. Le s. 'j est traduit mot à mot
d'un sonnet italien de Baldassare Castiglione % le s. 3, d'une
épigramme latine de Janus Vitalis ^ Le s. i8 sur Rome, pri-
mitivement asile de pasteurs, maintenant au pouvoir d'un
pasteur, n'est qu'une amplification de ce distique de Buchanan :
IN ROMAM.
Non ego Romulea miror quod pastor in Urbe
Sceptra gerat : pastor conditor Urbis erat *.
C'est encore de Buchanan qu'est emprunté le s. 8 '. Une
^ Si l'on en croit Pasquier {Rech.de la France, Yl, 8), Baïfestle premier qui,
clans ses Amours de Francine Hdod), ait risqué des sonnets en vers alexan-
drins. Pasquier confond sans doute avec les Am.ours de Méline (1552). où l'on
tr')uve en effet cinq sonnets en vers alexandrins mêlés à 36 autres en vers
décasyllabes, haa Antiqn'tez ci \e Songe nous montrent du Bellay essayant
pour son compte d'acclimater la nouvelle facture en la faisant marcher de
pair avec l'ancienne.
^ Sur ce point, v. l'art, de M. Morel-P'atio, Histoire d'un sonnet, dans la
Rei>. d'hist. litt. de la France, 189i, p. 07.
^ Deliciae Poctarum Italorum, part. II, p. 1433. — Cf. Marty-Laveaux, II,
b.')4.
* Edit. Th. Guarinus, Basileae-Rauracorum [Bàle], 1368, in-S", p. 44. (Bibl.
Nat. — Yc. 9600).
^ Même édit., p. 44 :
Roma armis terras, ratibusque subegeral undas,
Atque iidem fines orbis et urbis erant. . . .
296 JOACHI.M DU BRLLAY
pièce peu connue de Lazzaro Buonamici ' a peut-être laissé
des traces à travers les Antiquitez. Enfin, du Bellay s'est
copié lui-même, en transposant de latin en français dans le
s. 4 son Tiimulus Romae veteris ^
Ce besoin d'imiter, de penser par autrui, non ])ar soi,
n'est pas le seul défaut que garde du Bellay de son ancienne
manière : il en garde encore par endroits le penchant à la
rhétorique '\ l'obscurité prétentieuse '*, l'abus de la mytho-
logie ', le goût des allégories et des symboles '^ . Cette ten-
dance au symbolisme est surtout manifeste dans le Songe ou
Vision, où, sur les pas de Pétrarque ' et de Dante *, mais
avec moins de bonheur qu'eux, du Bellay fait appel au
symbole pour l'endre ses pensées. Dans une série de sonnets,
coulés en un moule uniforme ', il exprime figurément la grandeur
et la chute de Rome : c'est tour à tom^ un palais construit sur
une montagne et qu'un soudain tremblement jette à bas, —
une pyramide ([ue la foudre renverse, — un arc de triomphe
qui s'écroule, — un chêne (jue des paysans abattent. — une
louçe allaitant deux bessons, que des chasseurs traquent et
tuent, — une nacelle chargée de richesses, qu'une mer ora-
' Deliciae Poetariim Italorum, part. 1, p. 47b :
Vos operum antiquae moles, coUesque superbi...
Lazzaro Buonamici de Bassano (147!) 1352). successivement professeur à Bo-
loffne. à Rome, à Padoue. V, Ginguené, Hist. litt d'Italie. VII. 207. — Le
« docte Bonamy » l'ut, comme on sait, un des premiers maîtres de Bail".
- Poemata, f° 4.-5 r".
' S. 2 : développement par énumération. — S. 19: antithèses recherchées.
* Le s. 17 est une énigme.
■" Jason (s. 10) ; le Chaos (s. 19, 22) ; les Géants (s. 4. Il, 12, 17).
" S. 16 (la Monarchie) ; s. 21 (la nef de Rome).
' V. la 24' Canzone de Pétrarque (édit. G. Mestica. p. 447), traduite par
Marot sous ce titre : Des visions de Pétrarque {édit. P. Jannet, IIL 146).
" Le s. 13 du Songe contient un souvenir de Dante. — Ratliery (Influence
de l'Italie. . ., 18b3, p. 108) retrouve en du Bellay » comme un reste affaibli du
génie allégorique et de la grandeur triste du Dante ».
" Le s. 10 fait seul excei)tion.
LES (( ANTlQUITi:Z DR ROME » 297
geuse engloutit. — uno cité bâtie sur le sable, que l'ourap^an
du nord balaie, — etc. Tous ces ol)jets a|)|)araissent en songe
au poète endormi sui' les boiils du Tibi-c. C'est une vision
apocalypti([ue, pittorescjue et brillanlc. mais d'un bi-illant trop
artificiel.
J'aime mieux les images que présentent les Antiquitez\
L'auteur assez souvent en trouve de fort belles pour ptnndre
les choses de façon saisissante. Rome en ruines, et pourtant
vénérée entre toutes les villes, devient « un grand chesne
asseiché », qui lève au ciel « su vieille teste morte », dont
le pied n'est plus ferme, mais qui, (( plus qu'à demy panché »,
Monstrant ses bras tous nuds et sa racine tortc,
inq)ose au populaire par son tronc (( noùailleux » et se voit
plus révéré que les jeunes arbres qui l'entourent (s. 28).
L'empire romain a grandi, pai'eil à la semence qui devient à
la longue un épi de blé jaunissant : puis les Barbares l'ont
détruit, et n'ont laissé de lui
Que ces marques anti({ues,
Que chacun va pillant : comme on voit le gieneur
Cheminant pas à pas recueillir les reliques
De ce qui va tumbant après le moissonneur. (S. 3o).
Voilà de beaux tableaux, d'une poésie à la fois simple et
forte. Les comparaisons des Antiqiiitez ont ainsi presque
toujours une richesse, une ampleur, une vérité, dont ni l'Olive
ni les Odes ne nous avaient donné d'exemple. A changer
d'horizon, le poète a gagné : son imagination s'est étendue
et comme fécondée.
Mais là n'est pas encore le mérite éminent de ce nouveau
recueil. Il est dans l'émotion profonde et toute spéciale que
du Bellay a ressentie devant les ruines de Rome. Comme le
' V. notamment les s. 14, 16, 20, 28. 30,
298 JOACHIM DU BELLAY*
dit M. Faguet, « il a bien compris que ce que doit nous
inspirer le monument antique, sorte de sépulcre vidé, c'est
la méditation sur les êtres semblables à nous, qui l'ont
construit selon le modèle de leurs rêves . qui l'ont peuplé ,
animé, quitté, et dont il reste comme le signe, lui-même
périssable, lui-même caduc, testament déchiré d'àmes mortes»'.
Ce mélange singulier de réflexions philosophiques et d'évo-
cations historiques, ([ui se fondent et se perdent en un sen-
timent très vague et très doux d'indéfinissable mélancolie,
c'est là ce qu'on appelle le sentiment des ruines. Dans son
dernier sonnet, du Bellay demande à ses vers s'ils osent
espérer un destin immortel, et si « l'œuvre d'une lyre » peut
prétendre à plus de durée que tant de monuments de por-
phyre et de marbre, ({ui semblaient dressés pour l'éternité.
Puis il ajoute :
Ne laisse pas toutefois de sonner.
Luth. qu'Apollon m'a bien daigné donner :
Car si le temps ta gloire ne desrobbe.
Vanter te peux, quelque bas que tu sois,
D'avoir chanté le premier des François,
T/antique honneur du peuple à longue robbe. (S. 32).
Il avait raison de parlei- ainsi. Le premier, en effet, il a
ressenti fortement la niéhmcolie ])ai-ticulière que fait naître
dans l'àme le spectacle émouvant des vestiges. Plus tard,
Volney. Chateaubriand. M^i^' de Staël. Lamartine, donneront à
leur tour du même sentiment des peintures différentes et
souvent plus profondes. Il n'en reste pas moins que d'avoir
fait sonner sur la lyre cette note nouvelle, voilà pour du
Bellay l'un de ses beaux titres de gloire ^
' Seizième siècle, p. 310.
-' Jacques Grévin a fait aussi des sonnets sur Home, très inférieurs
de ceux de Joachim, et d'ailleurs inspirés par l'esprit protestant. La haine
LES (( ANTIQUITEZ DE ROME )) î\)'i)
C'est au début de son séjour en Italie, selon toute vi-ai-
semblance . que du Bellay dut conijutser « le premier livre
des Antiqiiitez de Rome ». Il n'y eu eut pas de second. Pour-
(juoi? Déjà sans doute l'ennui l'avait saisi : les tristesses
de la réalité lui l'aisaienl oublier son rêve d'humaniste.
de la pap.auté n'y tient pas moins de place que le sentiment des ruines. On
a dit justement de Grévin : « Le Vatican lui gâte le Capitole «. V. la thèse
de M. Pinvert, p. 74-77.
CHAPITRE III
LA VIE DE HlACHni A ROME
1553-1557
I. LA VIE PUBLIQUE
I. Palais du cardinal à Rome. — Son tz'ain de maison. — Fonctions
de Joachim.
II. Rome en 15S3. — Situation religieuse. — Situation politique. —
Jules III. Sa politique. Son caractère.
III Marcel II (1555).
IV. Paul IV. — Le cardinal du Bellay doyen du Sacré-Collège.
Sa disgrâce définitive. — Caractère de Paul IV. — La ré-
forme de l'Église. — La guerre contre l'Espagne. —
Rome en 1556. — L'expédition du duc de Guise en
Italie (1557).
Le cardinal du B(dlay avait hahitt' jatlis un beau palais
sui- la place Sant'-Apostolo. la plu'- \aste de Rome après la
place d'Agone '. C'est là (piCn 1.149 il avait doinié. en l'hon-
neur de la naissance du duc dOrléans ■. une iète magnifique
' Aujourd'Ilui place Navonc.
- Louis d'Orléans, second lils d'Henri II et de Catherine de Médicis, mort
en bas âge.
LA VIK DE JOACHIM A ROMK 301
dont Rabelais nous a laissé la relation dans la Sciomachie '.
Lors(iu'il revint à Rome, après trois ans d'al^sence, il
s'installa d'abord dans un palais de la cité Léonine, au
bouri? Saint-Pierre *. Mais ce n'était qu'une demeure provi-
soire. Il avait acheté les Thermes de Dioclétien, et relevant
une partie des ruines, il y faisait aménap^er un vrai palais
de prince et des jardins immenses, où, parmi la verdure
des citronniers, des grenadiers, des cèdres, des cyprès, des
lauriers et des myrtes, un peuple de statues, plus de cent
trente pièces, pour la plupart antiques et d'un prix rare,
jetaient l'éblouissant éclat de leur blancheur. Le cardinal
avait pris à cœur de réunir dans ce paradis toutes les
séductions de la nature, toutes les voluptés de l'art '.
Il possédait encore, « du côté de Saint-Laurent in Palisper-
na )). une petite vigne qu'il devait laisser par testament à son
valet de chambre. Charles Marault. (( pour en disposer selon
son commandement » *.
Enfin, il faisait achever non loin du port d'Ostie un parc
où, dit-il, « les plus fâcheuses ombres qui soient d'un bout
à l'autre sont de lauriers , myrtes , rosiers marins avec
chevreulz, fayzans et toutes sortes d'oyseaux . . . . chasses,
voleries et peschcries » ''.
La situation du cardinal l'obligeait à un train de vie con-
' Heulhard, p. 283 sqq.
- Heulhard, p 341.
' V. dans Boissard, Antiquitates Romanae, Francfort, lo97-lo98, 2 vol. in-
fo, t. I, p. 90, la description des florti Bellaiani, et t. II, 4= part., les plan-
ches qui figurent les principales curiosités de ces jardins, pi. 119 134. (Bibl.
Nat. — Rés. J. 462-463). — M. Clédat a retrouvé à Rome (Archivio di Stato,
registres du notaire Savius ou Le Save, n» 31, le 2- de ioo6) l'inventaire de
la collection d'antiques du cardinal du Bellay. Il a publié ce catalogue dans
le Courrier de l'Art, ann. 1883, p. 99 et 206. On y voit figurer toutes sortes
de statues, bustes ou torses, sujets historiques et mythologiques.
' Heulhard, p. 74.
'" Lettre au Connétable, janv. 1554. — Cité par Heulhard, p. 341-342.
302 JOACHIM DU BKLLAY
sidérable. M. Healhard a publié ' l'état de sa maison en i549.
Il était à coup sûr sensiblement le même en i553. On n'a pas
idée du grand nombre de domestiques que nécessitait le service
d'un prélat romain. Dans les palais du cardinal grouillait
un personnel confus de pages, de varlets, d'estafiers, de laquais,
de fauconniers, sommeliers, cuisiniers, verduriers, pourvoyeurs.
tailleurs, portiers, boulangers, palefreniers, muletiers et char-
retiers *, sans parler des chanteurs et des joueurs de luth et de
cornet. Au-dessus de ces subalternes , il y avait l'argentier ,
le contrùleui", le médecin, roflicial, les aumôniers, les secré-
taires. Il y avait aussi le corps des gentilshommes attachés
phis ou moins directement à la suite du cardinal, et qui
formaient sa cour dans les cérémonies publiques. Tout ce
monde vivait aux frais du maître. Chaque jour, il fallait
nourrir plus de cent personnes. Et ce n'était là que le train
ordinaire : mais il y avait encore à compter les petites et les
grandes réceptions, les dîners officiels, les fêtes de tout genre
données à tout propos, la coûteuse habitude des cadeaux :
des cardinaux, des princes, des seigneurs, des frères ou des
neveux de papes, avaient part aux largesses du prélat, (l'était
une représentation continuelle, et du Bellay tenait plus que
personne à représenter magnifiquement'.
Pour subvenir à tant de frais, il n'avait pas assez des
gros revenus de ses bénéfices : toujours à court d'argent, il
devait emprunter * et sans cesse négociait avec les banquiers
' P. 284.
- Entendez des cochers.
' Outre Heulhard, v. M'* de la Jonquière, op. cit., p. 53.
* Il est vrai qu'il n'était pas le seul, puisque le pape tout le premier était
parfois contraint d'en faire autant. Ne l'avait-on pas vu dans sa récente
guerre contre le duc de Panne, Octave Farnèse (1531) ? Plont;é dans l'em-
barras par Henri 11, qui lui coupait les vivres, Jules III avait dû recourir à
la bourse de l'empereur et des Romains. V la lettre de Porquevaux à Beau-
regard, 7 cet. 1551. (llibier, II, 350).
LA VIE DE JOACHIM A KOME 303
italiens. Comme beaucoup de grands seigneurs, il payait mal
et traînait à sa suite un tas de créanciers.
Dans ce milieu, quel était donc le rôle de Joachim ? Sur
la nature de ses l'onctions, VElé<rie à Morel est assez
imprécise :
Illic assiduus domini tlum jussa capesso,
Quarla redit messis, quarla recurrit hyems.
Les Regrets. Dieu merci, nous <mi apprennent davantage.
Dans un sonnet à son ami Panjas, exilé comme lui sur les
rives du Tibre, il nous dit ses occupations :
Panjas, veuls-tu sçavoir quels sont mes passetemps ?
Je songe au lendemain, j*ay soing de la despense
Qui se fait chacun jour, et si fault que je pense
A rendre sans argent cent créditeurs contents :
Je vays, je viens, je cours, je ne perds point le temps.
Je courtise un banquier, je prens argent d'avance,
Quand j'ay despesché l'un, un autre recommence,
Et ne fais pas le quart de ce que je prétends.
Qui me présente un compte, une lettre, un mémoire,
Qui me dit que demain est jour de consistoire,
Qui me rompt le cerveau de cent propos divers :
Qui se plainct, qui se deult, qui murmure, qui crie :
Aveques tout cela, dy (Panjas) je te prie.
Ne t'esbahis-tu point comment je fais des vers ' ?
Ainsi Joachim avait, dans la maison du cardinal, la situation
d'un intendant : c'est à lui qu'incombait la charge très lourde
' Regrets, s. 15. — Cf. s. 18 :
Si lu ne sçais (Morel) ce que je fais icy,
Je ne fais pas l'amour, ny autre tel ouvrage :
Je courtise mon maistre, et si fais d'avantage
Ayant de sa maison le principal soucy.
304 JOACHTM DU BELLAY
et très délicate de la direction domestique et des opérations
financières, mémoires à solder, emprunts à contracter, créan-
ciers à satisfaire. Mission de confiance, sans doute, et qui
prouve l'estime où le cardinal tenait son neveu, mais aussi
mission ennuyeuse, et qui n'était pas le fait d'un poète :
Je suis né pour la Muse, on me fait mesnager,
disait-il tristement '. 11 s'acquittait pourtant de sa tâclie en
conscience, y mettant tout son zèle, y dépensant tout son esprit ^
Mais il y avait des jours, malgré tout, où l'humeur l'emportait,
où le poète perdait patience et s'abandonnait au dépit : il en
venait à l'cgretter de n'être pas tout à fait sourd. Ah ! s'il
l'était I
Le bruit de cent vallets. qui mes flânez environnent.
Et qui soir et matin à mes oreilles tonnent.
Le devoir de la court, et l'entretien commun.
Dont il fault gouverner un fascheux importun .
Ne me fascheroit point : un créditeur moleste
(Ra((> de gens, Ronsard, à craindre plus que peste)
Ne troublei'oit aussi l'aise de mon repos,
Car. sourd, je n'entendrois ne luy ne ses propos '.
Les fonctions i\c Joachini ne se l)oi"naient j)as au simple
rôle d'intendant. Je n'irai pas jus({u"à prétendre avec Golletet
qu'il était au courant de tous les secrets politiques '. Les
secrétaires d'ambassadeurs au xvF siècle ne connaissaient
' Regrets, s. 30.
- Regrets, s. 4G.
■■' Hymne de la Surdité (II, 404).
' « Comme ce grand prélat éloil assuré de l'afleetion et de la lidélité aussi
bien que de la suHisance de J. du Bellay, ce fut sur toutes ces bonnes et
rares qualités qu'il commença de lui communiquer ses affaires et de se re-
poser sur lui du faix de son ambassade, de sorte qu'il l'admit dans le secret
de toutes les grandes négociations dont il étoit chargé.» Copie mscr., f° 47 r».
LA VIK DK JOACHrM A ROME 305
pas taul do choses. Magny, qui l'élail. nous renseigne péremp-
toirement :
Mon principal eslat, c'est d'estre secrétaire,
Mais on me l'ait servir de mille autres mestiers,
Dont celuy que je lais le plus mal volontiers
Est cil qui me contraint d'endurer et me taire \
On ne traite pas de la sorte quelqu'un qui détient des secrets
d'État. Du Bellay sans nul doute était logé à la même enseigne.
En qualité de secrétaire, il pouvait rédiger pour son maître des
billets de politesse mondaine : les dépêches diplomatiques ne pas-
saient point par ses mains. Toutefois, s'il ignorait généralement
le fond de la politique, il prenait part à la vie extérieure du
cardinal. N'oublions pas qu'il était gentilhomme. A ce titre,
il était désigné pour l'aire partie de son escorte et l'assister
dans toutes les cérémonies ". Il nous a tracé d'une plume
alerte un spirituel tableau de l'existence pompeuse et vide
que menaient avec lui les gentilshommes de l'entourage du
cardinal :
Suivre son Cardinal au Pape, au consistoii'O,
En capelle, en visite, en congrégation.
Et pour l'honneur d'un prince, ou d'une nation,
De quelque amiiassadeur accompagner la gloire :
Estre en son rang de garde auprès de son seigneur,
Et faire aux survenans l'accoustumé honneui',
Parler du bruit qui court, l'aire de l'habile homme,
' Oliv. de Magiiy, Soiispirs, s. 13, édit. Courbet, Paris, Lemerre, 1874, in-
ii. — Cr la thèse de M. b'avre sur Maguy, p. 68.
- « Sur la domesticité du poète dans la maison du cardinal, m'écrit
M. de >iolhac, je pense qu'il faut songer à un rôle de gentilhomme suivant,
bien plus que de secrétaire, sans toutefois exclure complètement cette der-
nière hypothèse. N'oublions pas que la cour de chaque cartlinal, et surtout
d'un cardinal tel que Jean du Bellay, comptait d'assez nombreux gentils-
hommes sans fonction précise, ad pompam. »
Univ. de Lille. Tome VIU. A. '20.
306 JOACHI.M DU BELLAY
Se pourmener en housse, aller voir d'huis en huis
La Marthe ou la Victoire ', et s'engager aux Juifz :
\'oilà, mes compagnons, les passetemps de Rome ^
A suivre ainsi pendant quatre ans son cardinal un peu
partout, Joachim put voir bien des choses. Demandons-lui ce
qu'il a vu. quels spectacles ont surtout attiré ses regards,
et, guidés par lui, jetons un coup d'œil sur la vie publique
de ce temps.
II
Kn i55'3, la capitale du catholicisme était depuis plusieurs
années le théâtre d'un sérieux mouvement de réforme *. Le
pontificat de Paul 111 avait marqué le début des grands
efforts tentés pour arrêter les progrès de l'hérésie, raffermir
la foi chancelante, restaurer la discipline, épurer les niœui's,
corriger les abus. L"œuvre commencée se poursuivait régu-
lièrement. Jules m venait de suspendre (avril i552) le con-
cile de Trente ; mais la tâche essentielle était faite : le dogme
était fixé. L'Inquisition, ressuscitée par Carafla, se montrait
la gardienne inflexible et jalouse de l'orthodoxie la plus
rigoureuse : Joachim put voir brûler des livres au Marché-
des-Fleurs et des hérétiques devant Sainte-Marie-de-la-Minerve.
De nouveaux ordres s'étaient fondés, les Capucins, les Théa-
tins, les Jésuites. Ces derniers, institués depuis une dizaine
d'années, se comptaient déjà par centaines. Leur puissance
^ Courtisanes de l'ôpoque.
- Regrets, s. 84. — Lambin, qui suivit à Rome vers la même époque le
cardinal de Tournon, se plaint à Muret de la vie qu'il mène : « Totius diei
meliores horas in deducendo et reducendo cardinal! perdimus. » Cité par
Dejol), Marc-Antoine Muret, p. IH,
' L. Kanke , Histoire de la Papauté pendant les xvi' et xvir siècles,
trad. Ilaiber, 1848, t. I ; M. Pliiliiipson, La contre-révolution religieuse au
XVI' siècle, 1884.
LA VIK UK JOACHIM A RO.VIK 307
avait grandi vite : rien qu'à Rome, ils avaient deux collèges.
Du Bellay rencontra peut-être chez son maître le cardinal un
homme à physionomie expressive, la liguie amaigrie par la
pénitence, le iront large, les yeux petits et brillants, le nez
aquilin, la bouche énergique, le teint olivâtre. C'était Ignace
de Loyola qui, dans l'intérêt de la Compagnie, rendait visite
aux cardinaux, aux ambassadeurs des rois et des princes, à
tous les personnages de Rome « dont la position exigeait
l'estime et dont l'autorité méritait qu'on leur fit la cour ' ».
Il trouvait partout le meilleur accueil, et le pape lui était
tout dévoué.
Du Bellay ne me semble pas avoir un instant soupçonné
l'intensité du mouvement dont Rome était alors le centre.
Soit qu'il fût trop près des événements pour en mesurer l'im-
portance, soit que sou tour d'esprit humaniste et païen
l'empêchât d'en sentir l'intérêt, je ne vois pas qu'il ait perçu
bien nettement cette renaissance du catholicisme. C'est peut-
être aussi que la politique lui voilait un peu trop la ques-
tion religieuse .
Depuis Jules II, le rêve plus ou moins avoué de chacun
des pontifes qui s'étaient succédé sur le siège de Saint-Pierre,
avait été d'affranchir l'Italie, en chassant les barbares qui se
la disputaient, et de constituer son indépendance sous la direc-
tion de la Papauté. Mais les barbares étaient trop forts pour
être expulsés de la péninsule. L'Italie était le champ clos où
se vidaient leurs duels sanglants. Depuis un demi-siècle,
Espagnols et Français s'y livraient des combats formidables
dont elle était l'enjeu. Impuissants à réaliser le rêve glorieux
d'autrefois, soucieux de concilier hnir pouvoir spirituel et
leurs intérêts temporels, dominés par le népotisme, les paj)es,
comme tous les princes italiens, oscillaient constamment entre
* Orlandino (l'historien officiel des Jésuites), cité par Philippson, p. 67,
308 JOACHIM DU bi:llay
les deux rivaux, s'unissant tantôt aux Espagnols et tantôt
aux Français, selon quils craignaient davantage les Français
ou les Espagnols. L'intérêt du moment faisait les alliances
et les défaisait.
Cette politique de l^ascule, sans consistance et sans grandeur,
était celle de Jules III comme elle avait été celle de Paul III
et de Clément YII. Elu pape en i55o, grâce à rinfluence
française, il avait aussitôt oublié ses promesses et lâché le
parti du l'oi pour celui de l'empereur *. De concert avec Charles-
Quinl. il avait fait la guerre au duc de Parme, Octave
Farnèse, notre allié (i55i). Puis, battu par Brissac, paralysé
par Henri 11, qui défendait à ses sujets, sous les peines les
plus graves, d'envoyer de l'argent à Rome, il s'était retiré de
la lutte, et, par l'intermédiaire du cardinal de Tournon, avait
signé, le iG avril i552, une trêve de deux ans avec le roi de
France ^
Henri II, qui n'avait cessé d'être en guerre avec l'empe-
reur ', craignait qu'à l'expiration de la trêve, le pape ne
se déclarât en faveur de son adversaire. C'est ce qu'il fallait
prévenir en négociant le renouvellement de cette trêve. A
cet edet, il avait chargé le cardinal du Bellay d'une mission
extraordinaire auprès de Jules III, pour qu'il appuyât de
tout son crédit les efforts de l'ambassadeur, M. de Lansac *.
Si quelqu'un était fait pour réussir auprès du pape, c'était
bien du Bellav. Le secrétaire Raince éci'ivait de Jules III :
' D'Urfé au Connétable: « Je ne m'apperçois pas de ce qu'il a fait pour le
Roy » (13 févr. lo.'iO). « Je ne me suis point apperçeu qu'il y ait rien pour le
Roy que belles paroles et générales » (7 avril looU). — Ribier, 11, :i04 el 'Hi.
' On en trouvera le texte dans Ribier, 11, 386.
' Principaux événements militaires : succès du maréchal de Brissac,
gouverneur du Piémont, sur Fernand de Gonzague, gouverneur du Milanais ;
opérations de la flotte franco-turque contre Naples et contre la Corse ;
révolte de Sienne contre les Espagnols.
' Lettre du Roi à Lansac, G nov. 1553. — Ribier, II, 474.
LA VIK DR .lOACHIM A ROME 300
« Il ayme Mgr le cai-diiial du BoUay et sont fort approclians
Tung do l'autre de nature et condition : je dis ([uanl au
S(^'avoii' et c[uant à l'expérience et pratic(|ue '. » Mais le
pontife (Hait inconstant, versatile et léger : on ne pouvait
pas faire fonds sur lui ". D'ailleurs, il était mal disposé
pour les Français : « Monseigneui-. écrivait au connétable le
cardinal du Bellay, je ne voy pas <[ue le Paj)e aime gueres
le Ro3% mais bien craint-il l'Empereur, et sur tout ne voudroit
que le Roy eust de voix en Chapitre : il a encores depuis
nagueres rafréchy qu'il ne falloit aux François plus de force
au Consistoire qu'ils ont, et qu'encore en ont-ils trop \ n Le
prélat se voyait obligé de lui faire des remontrances, le
blâmant de créer, dans une intention hostile à son maître,
quatorze cardinaux d'un coup *. Dans ces conditions, négocier
avec Jules III était une tâche des plus difficiles, et ce n'était
pas trop, pour la mener à bien, du concours de deux diplo-
mates comme Lansac et du Bellay '".
II est curieux de retrouver chez Joachim l'écho de tous
ces faits. Depuis qu'il était devenu Romain, il avait souvent
l'occasion d'entretenir l'ambassadeur. Louis de Saint-Gelays, ,
seigneur de Lansac, d'une illustre maison de Saintonge, s'était
acquis dans les fonctions qu'il exerçait le renom d'habile
1 Heulhard, p. .316.
- Le Roi à Lansac, 6 nov. 1353 : « Monsieur de Lansac, à voir vosdépes-
ches depuis la première jusques à la dernière, l'on n'y trouve, sinon actions
et propos d'un homme inconstant, variable et léger, avec lequel l'on ne
peut rien asseurer ny résoudre ; et par ce moien il n'y a Ministre auprès
de luy qui ne soit bien empesché, et que l'on puisse aussi instruire pour né-
gocier avec luy de chose qui importe plus que du jour au lendenaain, ou du
matin au soir. » — Ribier, II, 474.
^ Le card. du Bellay au Connétable, 22 déc. 15o3. — Ribier, II, 481.
* Le card. du Bellay au Connétable, 26 déc. 1533. — Ribier, II, 482.
^ Pendant les années 1553-1534, ils ont constamment agi de concert. Us
recevaient de communes instructions. (Ribier, II, 468, 473, 474, 516, 323).
310
JOACHI.M DU BELLAY
orateur '. Joacliiiii l'iioiioi-a (ruiu* ode (I. 2-4). Il y chantait
le pouvoir souverain de l'éloquence et vantait chez Lansac
son talent de parole :
Celuy sagement esleut,
Qui voulut
Pour son orateur t'eslire :
Il avoit cogneu en toy
Et la foy.
Et la force de bien dire.
A quoy poui*ray-je égaler
Ton parler,
Fors à l'œuvre d'une abeille ?
Si doux ne glissoit encor"
De Xestor
La grand' douceur nompareille.
Naturellement, le poète s'aidait de la mythologie pour mieux
louer Lansac. mais sans taire tort à l'histoire :
Le grand Jules est tesmoing
De quel soing,
Pour le bien de ta province.
D'un œil sans cesse veillant
Travaillant
Tu fais service à ton prince.
Il terminait en souhaitant que Lansac, si bien doué par
' Il avait remplace d'Urfé. Il fut fait prisonnier de nuit par les gens du
duc de Florence (aoùl l.ï.oi), comme il se rendait à Sienne pour « conforter
le cueur des habitans et les tenir tousjoursen bonne union et dévotion envers
le Roy ». Le cardinal d'Armaj^nac, qui s'exprime en ces termes, ajoute :
« C'est ung personnage aussy aecorl et prudent, dextre à negotier et à faire
la charge qu'il avoit, que le Roy en eusl s(,eu avoir par deçà. » Lettre au
Coriiictable, IS août IJi.ïi. Cf. lettre au Roi. 12dce. 1555. (Tamizey de Larroque,
Lettr. inéd. ducard. d'Armagnac, Paris, 1874, p. 51 et 85). — Il fut rerais en
liberté dans le courant de 1555. — Monluc, Brantôme, de Thou, louent égale-
ment Lansac.
LA VIF np: .lOACHIM A RO.MK 311
Mercure, scellât à jamais l'unit)!! du l'oi tic Franco et du
Saint-Pèi*e :
Ce Dieu ta donné encor'
Le thresor
De sa langue bien apprise.
Te puisse-il toiisjours aider,
Et guider
Chacune tienne entreprise :
El face le Philien '
Qu'un lien
Eternellement enserre,
D'une inviolable foy,
Nostre Roy
Au grand successeur de Pieri*e.
Ces souhaits, il eut bientôt l'occasion de les formuler
dei'cchef. L'année i553 touchait à sa fin, et les négociations
étaient toujours pendantes. Qu'apporterait l'année nouvelle ?
La reprise des hostilités, ou cette paix perpétuelle que le roi
désirait co!iclure avec le pape, afin de lutter plus comiuodé-
ment contre re!!ipereur ? C'était l'heure ou jamais de faire
des vœux pour la paix. Cette pensée dicta au poète des
étrennes latines et fi'ançaises % dans lesquelles il soupirait
après la vierge Astrée et le retour de l'âge d'or. Il s'adressait --e^-^t^-Aa^
au cai'dinal, à Lansac, au Saint-Père lui-même. Il espérait
que la nouvelle aiinée verrait la Paix, « fille de Dieu »,
redescendre pa!'mi les hommes et réconcilier d'un miituel
accord le !'oi, le pape et l'empereur. Voici le sonnet qu'il
dédiait au pape :
' Jupiter. — Cf. Ronsarrl, ode 9 du livre V (Blanchemain, 11,335).
- Poemata : 1° De pace inter principes Christianos ineunda (f° 9 r°) ; 2°
Ad laniim Card. Pellaiiim Cal. laniiar. if"22v").— Au Reverendiss. Card. du
Bellay et au Seigneur de Lansac. . . Estrenes (I, 278). —Au Pape, le premier
jour de Van (I, 283).
312 JOACHIM DU BELLAY
Soit clrsoi'inais sous tes clefs enserrée,
Père Janus, la Thracienne horreur,
Le fer, le sang, la flamme, et la fureur
De trois cents fers pieds et mains enferrée.
Vive la vierge au vieux siècle adorée,
De Jupiter Saturne soit vainqueur.
Règne Pallas sur le Dieu belliqueur.
Cède le fer à la saison dorée.
Le gouverneur du grand tropeau Romain
De sang François, Espagnol, et Germain,
Xe voye plus la campaigne arrousée.
En lieu de sang son nage plus heureux
Voye couler par les champs planteureux
Le laict, le miel, la manne, et la rosée. (L 283).
C'était là rêve de poète. L'année était commencée, et
Jules III était toujours insaisissable. Il parlait bien de rester
neutre, mais il agissait de façon suspecte, négociant avec le
duc de Florence, l'ennemi d'Henri II. Le roi, que sa conduite
exaspérait, mandait à ses ambassadeurs (i554) : « Mon Cousin,
et vous Monsieur de Lansac, quand jay bien pensé et considéré
sur ce que vous deux ensemble, et en particulier, m'escrivez
(lu Pape, et des propos qu'il vous tient, je ne sçay où j'en
suis logé : car d'un costé il vous dit les plus belles paroles
du monde, quant à l'observation de sa neutralité, et de l'autre
neantmoins, il fait les eflets tout contraires... » Il ajoutait
d'ailleurs qu'il n'avait qu'à se louer de leurs bons offices :
« Quoy qu'il en soit, vous ne vous sçauriez mieux, ny plus
dextrement et prudemment conduire et gouverner que vous
faites avec luy. » Ce qui le rassurait, c'est que le pape,
n'étant pas riche, ne pouvait pas faire grand mal : « Toutefois,
s'il avoit quelques moyens d'entreprendi'e et exécuter, je ne
LA VIE l)K .lOACIUM A ROMt 313
m'y voudrois nuUeinenl fier, el ne preudrois jamais ses paroles
pour argent comptant '. »
Henri II n'avait rien à craindre. Si Jules III ne voulait
pas s'engager avec lui trop à Ibud, il ne tenait pas davan-
tage à s'inféoder à l'empereur. Sollicité par tous les deux, il
se dérobait à l'un comme à l'autre, inconstant et mobile par
système. Il avait horreur de la politique : vivre en repos,
tel était l'idéal de ce pape indolent. Il s'était fait construire,
sur la voie Plaminienne, en dehors de la porte du Peuple,
une villa superbe, entourée de vastes jardins, d'où l'on décou-
vrait Rome et les courbes du Tibre, et qui charmaient la
vue par l'ensemble artistique des édicules, des arcs, des fon-
taines, des statues, des colonnes, et la richesse des matériaux,
albâtres, ophites, marbres et porphyres '\ Il vivait dans ce
lieu de délices, indifférent aux affaires, en voluptueux épi-
curien '*.
Il n'avait pas tenu ce que promettait son passé. Préfet
de Rome sous Clément VII, il avait eu de l'héroïsme lors
du sac de 1.527. Il s'était livré comme otage à la place du
pontife, avait failli trouver la mort de la main des soldats
impériaux, ivres de sang et de butin, et n'avait dû son salut
qu'à la pitié du cardinal Pompeio Colonna '. Plus tard, pre-
< Ribier, II, 316.
- Muratori, Annali d'italia, ann. laori, t. X. part. II, p. ISH — V tlnns
Boissard. Antiq. Roman., t. I, p. 99-100, la description de la Vigne du nafie
Jules, et t. IV, 6' part., les pi. liT-llO.
^ V. la vie de ce pape, écrite par son contemporain, le frère aiijiustin
Oiiofrio Panvinio (1361). Il dit énergiqueraent de lui : u Nihil prorsus egit,
quod valde menioratu esset dignuni, qui fruendo potius quam regendo
Pontilicatu totus incumbebat. »
* Le fait, raconté tout au long par Paul Jove [Pompeii Colvmnae Cardi-
nalis Vita}, est ainsi résumé par O. Panvinio : « Per idem fere teinjuis,
quod omnino praetereundum non videtur, durante adliuc arcis Uomanae
obsidione. aurum immaniter petentibus insolentissime Caesarianis militibus
obsidem cum aliis nonnuUis pro Pontilice rei nummariae diflicultate impe-
dito se dédit, magnumque adiit vitae periculum, quum bis in Florae cam-
314 JOACHIM DU BELLAY
mier légat du pape au concile de Trente (i545), il s'était
montré fort adroit dans la direction des débats. Son rôle au
concile l'avait désigné pour le Saint-Siège. Mais à peine cou-
ronné de la tiare, il avait trompé toutes les espérances. Son
premier acte avait surpris et fait scandale. 11 avait revêtu de
la pourpre un jeune homme de dix-sept ans, rencontré,
disait-on, à Plaisance, et chéri d'une étrange aftection. Inno-
cent, — c'était son nom, — de naissance inconnue et de
réputation douteuse, n'avait, ce semble, d'autre mérite que de
bien jouer avec un singe. Jules III l'avait imposé au Sacré-
Collège, malgré la vive opposition du doyen, le cardinal Théatin,
qui trouvait que c'était prostituer la dignité cardinalice que
de la conférer à si vil personnage \ Depuis cette élection,
des bruits fâcheux couraient à Rome sur le compte du pon-
tife : Innocent passait pour un Ganymède, et les festins somp-
tueux et les fêtes païennes que voyait la villa de la porte
du Peuple, n'étaient pas pour les démentir ^
Notre poète était au courant de ces bruits ; il voyait par
les rues ce jeune cardinal, aussi laid que vicieux, que le
pum, ad furcas omnes siiiiul catenati latronum more traherentur, bisque
sentcntiis de eonim supftlicio in corona militiim gravi et infesto concionis
fremitu e.ss»t (!isf)iitatiim, e quo jiericulo quanquam tuna oaines, coinmise-
rante adjutanlcque Pompcio Cardinale, incoluines evascrinl, constat
tamen eo facto, libcrtatem alllicto Pontilici fuisse maturatam. » Cf. Ciaco-
nius. Historiae Pontificum Uomanornm et S. R. E. Cardinaliiim, Rome,
1677, t. III, col. 7'i3. F. — Ainsi s'explique le premier tercet du s. 105 des
Regretft (édit. Liseux), que M. de Montaiglon n'avait pu éclaircir.
' Pour le parti qu'ont tiré de ces fait les protestants, v. Bayle , art.
Jules m. Mais les historiens catlioliques ne se montrent pas moins sévères
ide TIm.u, lil). VI, p. 2i;>, et lib. XV, p. ol7. t. 1 de l'édit. de Londres, 1733 ;
Fallavicino, Hist. du conc. de Trente, XI, vu, 4, trad. franc., édit. Migne,
t. II, p. 533-iî3i ; Uaynaldus, Ann. Eecles., ann loaO, n» 50; Ciaconius. op.
cit., t. III. col. 7.-)9 7(iO).
- (). Panvinio : » Septuaj^enarius fcre scnex, per totum Pontiiicatum in-
tempestive commessando {sic) lasciviendoque, gravissimarum rerum nego-
tiis, magno cliristianae Reipub. malo, neglectis, genio jucunde suaviterque
induisit. » Cf. de Tliou, lib. XV, p. 517. — Les dépèches des ambassadeurs
font allusion à la vie privée de Jules III (Ribier, II, 268 et 337).
LA VIE DK JOACHIM A ROME 315
peuple de Rome sui-noiinnait plaistuimicut le cardinal Simia.
Quoi d'étonnant que, dans un jour d'indignation contre des
mœurs si dépravées, il ait décoché comme un trait vengeur
le sonnet suivant ?
De voir mignon du Boy un courtisan honneste,
Voir un pauvre cadet l'ordre au col soustenir,
Un petit compagnon aux estatz parvenir.
Ce n'est chose (Morel) digne d'en faire feste.
Mais voir un estafTier, un enfant, une beste,
Un forfant, un poltron Cardinal devenir.
Et pour avoir bien sceu un singe entretenir
Un Ganymède avoir le rouge sur la teste :
S'estre veu par les mains d'un soldat Espagnol
Bien hault sur un eschelle avoir la corde au col
Celuy, que par le nom de Sainct-Père Ion nomme :
Un bélistre en trois jours aux princes s'égaller,
Et puis le voir de là en trois jours dévaller ' :
Ces miracles (Morel) ne se font point, qu'à Rome '.
Dans un autre sonnet \ il se permettait entre le pape et Jupiter
un parallèle irrévérencieux, et qui n'était pas, tant s'en faut,
à l'avantage du Jupiter terrestre.
Un tel pontife devait laisser peu de regrets. 11 mourut à
68 ans, le 23 mars i555. D'Avanson, arrivé récemment à Rome
en qualité d'ambassadeur *, écrivait le 5 avril au connétable ;
' .le ne saisis pas l'allusion de ces deux vers.
- Resrets, s. 10.i, édit. Liseux. — Je cile toujours les Regrets d'après celte
édition, la plus complète de toutes. Sur ce point, v. Marty-Laveaux. Appen-
dice de la Pléiade, II, 394-399.
^ Regrets, s. 106.
* M. Courbet (notice des Soiispirs de Magny, p. xv) et M. Favre (thèse
sur Magny, p. .53) placent vers la lin de loo3 la mission de d'Avanson en
Italie. Cette date me semble arbitraire. Il résulte de deux le'lres du cardinal
d'Armagnac au Connétable, en date des 25 et 28 mars 1335 (édit. Tamizey de
Larroque, p. 91, n. 1), que c'est à la lin de mars 1.555 que d'Avanson rem-
plaça comme ambassadeur Odet de Selve, qui lui-même avait remplacé
Lansac (sept. 1554).
316 JOACHIM DU BELLAY
(( Monseigneur, vous aurez entendu la mort du Pape, qui a
esté pleuré par ce peuple, tout ainsi qu'il est accoustumé
de faire à Garesine-prenant '. » 11 avait fini singulièrement.
Comme il était perclus de goutte, ses médecins lui prescri-
virent un l'égime d'abstinence, dont il mourut ■. Du Bellay,
habile à manier l'ironie, lit, en vers latins et français ^ une
épitaphe satirique à ce pape trop friand de légumes *.
III
La mort de Jules III ouvrait le champ à toutes les intrigues.
Sa succession était vacante, et, comme toujours, Impériaux
et Français, luttant d'inlluence, manœuvraient à l'envi pour y
faire nommer un pape qui fût dans leurs intérêts. Dès le
mois d'avril ir)54. Henri II, en prévision de l'avenir, avait
donné ses instructions au cardinal d'Armagnac, qui s'en allait
à Rome '. Selon toute apparence, il les avait renouvelées à
d'Avanson, qu'il avait dépêché vers le Tibre, en apprenant
la maladie de Jules III ^ Le conclave était déjà clos qu'il les
renouvelait encore à Lansac, dans une lettre du 9 avril i555 '.
Il aurait voulu voir élire son cousin le cardinal de Ferrare.
' RibicT, II, oui.
- O. Panvinio : « .lulius mcdicorum consilio, temere mutata victus
ratione, febre correptus, e vita excessit. » — Cf. Giaconius,l. III, col. 746, C.
^ Poeniata, f" 47 r , t-l liegreLs, s. 104. Le sonnet n'est qu'une traduction de
l'épigrannue latine.
' On rapprochera des sonnets de du Bellay sur Jules III une pièce de
Majïny, Sur la Mort de I. P. T. |Iulius Papa Tertius], Odes, édit. Courbet,
1876, t. I, p 138.
•' Ribier, II, ol7.
" Joaciiiin a célébré l'arrivée de d'Avanson dans une pièce latine : Ad
lanurn Avansoniuni ajnid summum Pont, oratorcni Regiuin, Tyberis (Poe-
mata, f" 6 r").
" Rii)ier, II, (JO'i. — Lansac venait de recouvrer la liberté. De la sorte,
Henri II cul à Home deux ambassadeurs au lieu d'un.
LA VIE DE JOACHIM A ROME 317
A son défaut, si les cardinaux de Tournon, du Bellay, d'Ar-
magnac, n'avaient pas plus de chances et qu'il fallût se
replier sur un candidat étranger, il souhaitait l'élection ou
du cardinal anglais Pôle ou du cardinal-doyen Théatin. Un
pareil plan, pour réussir, exigeait de la pari des cardinaux
français un accord qui n'existait pas : (( Jusques icy, mandait
le 5 avril d'Avanson au connétable, je ne voy point plus
d'union entre les nostres qu'il s'en est veu par le passé :
sur quoy je vous laisse à penser quel fruict en doit advenir
à l'honneur, gloire et bien du service du Hoy '. »
Le conclave dura seulement quatre jours. Ce fut assez
pour que Joachini qui, vraisemblablement, accompagnait son
cardinal en qualité de conclaviste, fût édifié sur ce qui s'y
passait. Il était aux premières loges pour en faire la descrip-
tion. Dans l'espace d'un sonnet, on a, dit Sainte-Beuve, « la
réalité mouvante du spectacle, la brigue à huis clos, les
bruits du dehors, les fausses nouvelles, les paris engagés
pour et contre '^ )) :
Il fait bon voir (Paschal) un conclave serré.
Et l'une chambre à l'autre également voisine
D'antichambre servir, de salle, et de cuisine,
En un petit recoing de dix pieds en carré :
Il fait bon voir autour le palais emmuré,
Et briguer là dedans ceste troppe divine,
L'un par ambition, l'autre par bonne mine.
Et par despit de l'un, estre l'autre adoré :
Il fait bon voir dehors toute la ville en armes,
Crier, le Pape est fait, donner de faulx alarmes.
Saccager un palais : mais plus que tout cela
' Ribier. II, 604.
- Nouveaux Lundis, XIII. 338.
318 JOACHIM DU BELLAY
Fait bon voir, qui de l'un, qui de l'autre se vante,
Qui met pour cestui-cy, qui met pour cestui-là.
Et pour moins d'un escu dix Cardinaux en vente '.
Le 9 avril, le cardinal de Sainte-Croix fut élu : il pi"it le
nom de Marcel 11. C ctait un digne et saint prélat, dont le
caractère était à la hauteur de l'intelligence *. Savant modeste,
aimant les livres au point de laisser à sa mort 200 manuscrits
grecs et ^00 manuscrits latins ', il joignait aux dons de
l'esprit une rare sévérité de mœurs, un grand amour des
pauvres, un zèle exemplaire pour la religion '. « il va
plusieurs siècles, écrivait le cardinal du Bellay, que pape ne
lut assis en ce siège, qui donnât meilleure odeur de son fait ■'. »
Le jour même de son couronnement, le i)ontife manda près
de lui l'ambassadeur de l'empereur ainsi que d'Avanson, et
leur manifesta le désir qu'il avait de mettre en paix leurs
souverains, en leur disant « qu'il estoit délibéré de s'y employer
de toute sa puissance, et d'y faire ollice de vray Père
commun, sans incliner à dextre. ny à senestre ''. » Mais
surtout, il avait à cœur de réformer l'Église et de la ramener
à la pureté primitive : « J ay esté ce jourd'huy, dit encore
d'Avanson, adverty par un de ses plus familiers qu'il veut
' Regrets, s. ISI. — Le meilleur commentaire de ce sonnet, c'est, dans les
dépêches des aml)assadeurs, le récit des conclaves qui élurent Jules III,
Marcel II, Paul IV et Pie IV. (Ribier, II, 232,604, 609, 832).
* Sur Marcel II, v. sa vie par O. Panvinio ; Raynaldus, Ann. Ecoles., ann.
io35, n» 13 sqq. ; Ciaconius, op. cit., t. III, col. 801 sqq.
' P. de Nolhac, La bibliothèque de Fulvio Orsini, p. 248. Paris, Vieweg,
1887, in-8».
* De Tliou, cité par Raynaldus : « Vir rara eruditione, prudentia, sancti-
tate vitae antiquis comparandus, et sub quo certa spes emendandae Eccie-
siae affulscrat : relulj^ebat enim morum integritate, ita ut ipsius vita om-
nium censura habcri possit. »
■' M" de la Jonquière, p. 43.
* D'Avanson au Roi, 13 avril io'60. — llibier, II, G06.
LA VIE DE JOACHIM A HUME .'i 1 9
mettre bien tost en avant de grandes retormations sur
l'Estat Ecclésiastique. La pluspart des gens espèrent qu'il
fera quelque grand fruit : Dieu veuille par sa grâce qu'il soit
ainsi '. »
11 n'en eut pas le temps. Le ly avril, il londjait malade.
Monluc, le héros de Sienne, qu'il reçut le 29 en grand
honneur, le trouva <( sur une chaire, près son lict, si mal
qu'à peine pouvoit-il guières parler )). En sortant, il dit aux
cardinaux qu'il rencontra chez d'Avanson « qu'ilz pouvoinct
bien rentrer au conclave pour fere ung autre pape, car
estuy-là ne seroit pas en vie lendemain au soir » ■. Marcel II
mourut en etfet dans la nuit du 3o avril au i" mai, après
21 jours de pontiticat '. Il n'avait que 55 ans. Il laissa des
regrets unanimes \ On le pleura comme un autre Marcellus.
S'inspirant de ces sentiments, Joachini lui consacra cinq épi-
grammes latines % dont la première est un éloge ému de ses
vertus morales ; la cinquième est devenue le s. 109 des
Regrets :
Gomme un, qui veult curer quelque Cloaque immunde,
S'il n'a le nez armé d'une contresenteur,
Estoufl'é bien souvent de la grand" puanteur
Demeure ensevely dans l'ordure profonde :
Ainsi le bon Marcel ayant levé la bonde,
Pour laisser escouler la fangeuse espesseur
Des vices entassez, dont son prédécesseur
Avoit six ans devant empoisonné le monde :
1 Ribier, II, 606.
- Liv. III des Commentaires, édit. A. de Ruble, t. II, p. 124-125.
' D'Avanson au Roi, 22 avril et 4 mai (Ribier, II, 6Q7 et 609). — Le card.
d'Armagnac au Connétable, 30 avril (Tamizey de Larroque, p. 70).
* O. Panvinio : « Luxerunt mortuum onines sine discrimine, inprimis
virtutis et literarum studiosi. »
^ Poemata, i"^ il r*-48 r».
320 JOACHIM DU BELLAY
Se trouvant le pauvret de telle odeur surpris,
Tomba mort au milieu de son œuvre entrepris,
Xayant pas à demy ceste ordure purgée.
Mais quiconques rendra tel ouvrage parfait.
Se pourra bien vanter d'avoir beaucoup plus fait,
Que celuy (jui purgea les estables d'Augée.
IV
Pour la seconde fois, Joachim suivit son maître au con-
clave. 11 j)ut voir de nouveau la série des intrigues engagées
autour de la tiare par les deux puissances rivales, et qui se
dénouèrent le 23 mai i555 jjar lélection de Garalfa, cardinal
Théatin, sous le nom de Paul IV.
En cette circonstance, le cardinal du Bellay fut soupçonné
d'avoir plus travaillé pour lui que pour le candidat du roi,
le cardinal de Ferrare. DAvanson l'accuse nettement dans
une lettre au connétable : (( Monseigneur, c'est chose asseurée
que les Cardinaux de Ferrare, Farnése et du Bellay preten-
doient tous trois au Papat, et qu'il n'y a aucune amitié
entr'eux, chacun pratiquant pour soy les Cardinaux qu'il con-
noist luy estre plus favorables '. » J.e fait est quil obtint
lui-même un certain nombre de suffrages ; mais, s'il ne les
rechercha pas, comme il s'en défendit auprès du roi en pro-
testant de ses loyaux services ", il est permis de croire qu'il
appuya volontiers une cleclion, qui laissait libre désormais
le poste envié du décanat. En tout cas, le Théatin, à peine
élu, lançait une bulle en vertu de laquelle le doyen serait
toujours à l'avenir le plus ancien des cardinaux-évêques rési-
' D'Avanson au Gonnitable, 25 mai 1355. — Ribier, II, 612.
^ M ■ de la Jonquière, p. 43.
LA VIE DK JOACHIM A HOME 321
dant à Borne, et du Bellay lui succédait comme évêque
d'Ostie et comme doyen du Sacré-Collège. Cet acte, qui
dépouillait le vieux cardinal de Toui'non d'un privilège qui
lui revenait, irrita contre du Bellay Henri II et la Cour de
France, et j)répara sa prochaine disgrâce '. Pourtant, comme
doyen, du Bellay pouvait i-endre encore de très précieux
services. C'est ce qu'indiquait d'Avanson, dans une lettre au
roi : (( Monseigneur du Bellay tient aujourd'huy le premier
lieu après le pape, et puisqu'il est doyen et evesque d'Ostie
et ayant la bonne volonté qu'il a à votre service, il pourra
tous les jours ])eaucoup tant au consistoire qu'en tous autres
lieux de congrégations : qui me l'ait espérer que ayant ung
pape de bonne volonté à Votre Majesté et ung doyen votre
naturel subject, du sçavoir et expérience de Monseigneur le
Cardinal du Bellay, on ne peult attendre que bonne yssue
des affaires que Votre Majesté aura en cour de Homme \ »
Mais Henri II était devenu très défiant à l'égard du nou-
veau doyen. Le cardinal avait d'ailleurs, tant à Bome qu'en
France, de puissants ennemis qui travaillaient à le miner.
S'il avait l'amitié de Paul IV ', il avait contre lui le
neveu même du pape, le cardinal Carlo Caraffa. Ce dernier,
à l'instigation du cardinal de Lorraine, prenait prétexte de sa
liaison avec Carpi, un cardinal impérialiste, pour le rendre
suspect au roi. Fondée ou non, l'insinuation eut plein succès :
à partir de septembre i555, du Bellay n'eut plus part aux
secrets politiques. Il eut beau réclamer : on lui laissa de parti
pris ignorer toutes les affaires. C'était la complète disgrâce \
' M" de la Jonquière, p. 44-46.
^ D'Avanson au Roi, 24 mai loao. — La lettre n'est pas dans Ribier. Elle
est citée par Favre, thèse sur Magny, p. 437-438.
^ « Monseigneur le Cardinal du Bellay, qui est, à ce qu'on dit, des favoris
du Pape ». écrit l'évêque de Lodéve au Roi (Sjanv. 1537). — Ribier. II, 674.
* De Thou, lib. XVI : « Bellaium Gallici nominis studiosissimum summo
Univ. de Lille. To.me Vlll. A. il.
322 JOACHIM DU BELLAY
Joachim ne vit pas sans un serrement de cœur cette fin
lamentable d'une carrière si glorieuse. Osait-il bien se plaindre,
lui si humble et chétif, de la l'ortune adverse, lorsqu'elle se
montrait si cruelle à son maître ? Il traduisit ses sentiments
avec une émotion sincère dans le sonnet qui suit :
Si après quarante ans de fidèle service.
Que celuy que je sers a fait en divers lieux,
Emploiant, libéral, tout son plus et son mieux
Aux affaires qui sont de plus digne exercice,
D'un hayneux estranger l'envieuse malice
Exerce contre luy son courage odieux,
Et sans avoir souci des hommes ny des dieux,
Oppose à la vertu l'ignorance et le vice ' :
Me doy-je torm enter, moy qui suis moins que rien,
Si par quelqu'un (peult estre) envieux de mon bien,
Je ne trouve à mon gré la faveur opportune ?
Je me console donc, et en pareille mer,
Voyant mon cher Seigneur au danger d'abysmer,
11 me plaist de courir une mesme fortune ^
Depuis son arrivée à Home, c'était le troisième pape que
Joachim voyait s'asseoir sur le trône de Saint-Pierre. Paul IV
était un vieillard de 79 ans, rigide, austère, ardent, passionné,
odioj^prosequebalur cardinalis Lolharingus ; eoque insligante, cardinalis
Carafa illum, quod arcta cuni Carpensi familiaritate viveret, apud regem
Iraduxerat, ae suspeclum po&tremo rcddideral ; adeo ut regii procuratores
ipsius opéra non amplius uterenlur, et omnia régis ncgotia Romae clam
eo peragerenlur. » Edil. de Londres, 1733, t. I^ p. 543.
' Ce (( hayneux estranger », c'est évideniinent le cardinal Carlo Garall'a.
Joachim dira plus tard, dans une lettre au cardinal: « Ce qui m'a faict ainsj'
touclier les Carralles en quelque endroict [Regrets, s. 1U3, 111, 113] a esté
l'indignité de quoy ils usoient en vostre endroict, dont je ne pouvois quel-
quefois ne me passionner et en deschargeois ma cholère sur le papier. »
Lettres, édit. P. de Nolhac, p. vJO.
- Regrets, s. 4'J.
LA VIK DE JOACHIM A ROME 323
colérique ', ([ui ne vivait ([ue pour deux choses : la réforme
de rÉglise et la haine de l'Espagne.
Fondateur de l'ordre des Théatins, restaurateur du Saint-
Ollice, il voulait rétablir dans l'I^^glise luie discipline inllexible.
(( Nous promettons, déclarait-il dans sa bulle d'avènement, et
nous faisons serment de mettre un soin scrupuleux à ce que
la réforme de l'Eglise universelle et de la Cour de Rome soit
exécutée. » Dès le premier jour il se mit à l'œuvre, insti-
tuant à cet effet une vaste congrégation de cardinaux et de
docteurs. Le 12G juillet i555, le cardinal du Bellay parlait
ainsi au connétable des g'rands projets du nouveau pape :
«... Sadite Sainteté fait de grands préparatifs pour remetre
icy la forme de cette Eglise, et les dépendances d'icelle, en
tel estât qu'elle puisse par bon exemple inviter toute la Ghres-
tienté à bien faire, et si elle vit, ainsi qu'il y a apparence
qu'elle fera, j'espère que son entreprise luy réussira : elle
m'y fait déjà prendre un peu d'exercice, et semble qu'elle
veuille faire comme ceux qui donnent la clef du vin aux
plus yvrognes : aussi nous fait elle commencer de mettre la
main à la reformation de l'universelle Eglise ^ »
Notre poète, témoin de ces premiers efforts, y trouva l'oc-
casion d'une ode Sur le papat de Paille II II (11, 74)- ^^
débutait pompeusement par une triple comparaison, qui se
déroulait en six strophes : connue après l'orage vient la
bonace,... comme après la guerre vient la paix,... comme
après l'hiver vient le printemps,... ainsi la sainte nef romaine,
longtemps ballottée sur les flots contraires, se voit enfin hors
de péril, guidée qu'elle est par un nocher prudent et ferme.
Il en rendait grâces à Dieu :
1 George Diiruy, Le Cardinal Carlo Carafa ( i5ig-i56i). Étude sur Le
pontificat de Paul IV. Thèse. Paris, Hachette, 1882, in-8». P. 18, n. 1; p. 22,
n. 1 ; p. I80, n. 3.
- Ribier, II, 613. — Cf. la vie de Paul IV par O. Panvinio, et surtout liaynal-
dus, Ann. Eccles., ann. l.iaij, n'^ 22. et 23. Haynaldus cile les Acta Consis-
torialia des 29 mai, o juin et 17 juill. 1533.
324 JOACHIM DU BELLAY
Grâces à toy, souverain Sire,
Moteur du Ciel, fidèle espoux
De ton espouse, éternel Père,
Père bénin, paix, et lumière,
Et guyde universel de tous,
Qui nous as donné de ta grâce
Un sainct Pilote qui embrasse
La Vérité : et qui. Seigneur,
Jaloux de ta gloire et honneur,
Entend tes secrets, et luyt comme
Une claire lampe dans Ronnne,
Et soubs l'heureux gouvernement
Duquel, et sa bonté notoire,
Le Monde chantera la gloire
De ton Nom, éternellement.
Gestuy par exemple et doctrine
Remplira d'une Amour divine
Les chastes et nobles espi'its,
Et vainqueur ravira le prix
Aux ennemis de ton sainct Temple,
Demonstrant d'un égal exemple
Sa justice et dévotion,
Qui autre chose ne désire,
Que chasser loing de son empire
L'erreur, et la sedicion,
Que semé la bande hérétique
Parmy le troppeau Catholique,
Et sera ce divin Pasteur
De réduire premier autheur
Nos cœurs à la vraye lumière,
Et à la saincte loy première
Que nous a donné Jésus Christ.
Et puis fera d'un cœur sans vice
Un pur et dévot Sacrifice
De luy et nous au Sainct Esprit.
LA VIE DK JOACniM A ROME 325
Les projets relig^ieux de Paul IV étaient fortement contra-
riés par SCS ambitions politiques : en lui, le prince tempo-
rel faisait tort au chef spirituel. Appartenant à une famille
napolitaine de la vieille faction française, il avait été nourri
dans l'horreur des tyrans espagnols. Il avait contre Gharles-
Quint un ressentiment implacable. « II' détestait en lui : comme
ancien sujet, le souverain auquel il reprochait des injustices
envers sa personne et envers sa maison ; comme pape, l'em-
pereur qui avait souffert le sac de Rome et laissé s'étendre le
protestantisme en Allemagne ; comme Italien, le dominateur
étranger dont le joug pesait sur sa patrie'. )) Il était ardem-
ment secondé dans sa haine par son neveu, Carlo CarafTa,
un ancien condottiere dont il avait fait un cardinal. Avec
l'aide de ce ministre, il rêvait de reprendre et de mener à
bien l'antique projet de Jules II, d'affranchir l'Italie, de l'arra-
cher aux Espagnols, et — provisoirement — de s'appuyer
pour réussir sur les Français.
L'histoire de cette ambition et de son lamentable échec
n'est plus à faire depuis la belle étude de M. George Duruy.
Je n'en redirai point les phases II me suflîra d'indiquer,
parmi les faits saillants de ce pontificat, ceux dont on
retrouve l'écho dans les œuvres de Joachim.
Le i5 décembre i555, les cardinaux de Lorraine et de
Tournon, représentants du roi de France, signèrent à Saint-
Pierre avec le pape un traité d'alliance offensive et défensive,
qu'avait préparé d'Avanson par la convention du i4 octobre.
Deux mois plus tard, un beau matin, le i5 février i556, le
bruit se répandait à Rome qu'Henri II venait de conclure
avec l'empereur, à Vaucelles, une trêve de cinq ans -. C'était
' Mignet, Charles-Quint, son abdication, son séjour et sa mort au mo-
nastère de Yuste. Paris, Didier, 3' édit., 1857, p. 81.
- George Duruy, De pactis anno i556 apud Valcellasindutiis. Thèse. Paris,
Hachette, 1883, in-8".
326 JOACHIM I)L' BELLW
un (ouj) (U- loiulre pour les Caralla, dont cette trêve inatten-
due ruinait brusquement toutes les espérances. Du Bellay
vit de près la stupeur causée par cette nouvelle. Le pape se
plaignait d'avoir été trahi ; son entourage, ces bannis de
Florence et de Xaples qui s'étaient réfugiés près de lui, com-
posant sa cour habituelle, accusaient hautement Henri II de
fouler aux pieds ses vrais intérêts et de faire preuve, en la
circonstance, d'une coupable légèreté, — pendant que les
Impériaux jouissaient de cette déconvenue et parlaient de la
trêve comme d'un triomphe de leur politique. Le poète,
amusé, recueillait les propos qui couraient par la ville. Les
deux sonnets suivants ont la valeur d'un l'eportage :
Nous ne sommes faschez que la trefve se face :
('ar bien que nous soyons de la France bien loing,
Si est chascun de nous à soy-mesmes tesmoing,
Combien la France doit de la guerre estre lasse.
JNIais nous sommes faschez que l'Espagnole audace.
Qui plus que le François de repoz a besoing.
Se vante avoir la guerre et la paix en son poing,
Et que de respirer nous luy donnons espace.
Il nous fasche d'ouir noz pauvres alliez
Se plaindre à tous propoz ([u'on les ait oubliez,
Et qu'on donne au privé l'utilité commune.
Mais ce qui plus nous fasche, est que les estrangers
Disent plus que jamais, que nous sommes légers.
Et que nous ne sçavons cognoistre la Fortune :
Le Roy (disent icy ces baniz de Florence)
Du sceptre d'Italie est frustré désormais,
Et son heureuse main cet heur n'aura jamais
De l'éprendre aux cheveux la fortune de France.
LA vu: IIK JOACHIM A ItO.MIÎ 327
Le Pape mal conlonl n'aura plus do liaucc
En tous ces beaux desseings trop légèrement faictz,
Et l'exemple Sienois l'endra par ceste paix
Suspecte aux estrangers la Françoise alliance.
L'Empereur alïbibly ses forces reprendra,
L'Empire héi'édilaire à ce coup il rendra,
Et paisible à ce coup il rendra l'Angleterre.
Voilà que disent ceulx, qui discourent du Roy :
Que leur respondrons-nous ? Vineus, mande le moy,
ïoy, qui sçais discourir et de paix et de guerre '.
Personnellement , le poète ne pouvait qu'applaudir à la
trêve de Vaucelles. Depuis qu'Henri II était sur le trône,
la guerre n'avait pas cessé. Si glorieuse que fût la lutte,
elle était épuisante, et la France en souffrait. Cette pensée
patriotique inspira le Discours au Roy sur la trefve de
Van M.D.LV (I, 3o2). Du Bellay s'y montre éloquent, et les
beaux vers n'y manquent pas. Il loue le roi de sa sagesse :
Vous pouviez, lui dit-il, poursuivre vos exploits ; vous avez
préféré le bien public à des victoires :
Celuy vrayement, celuy est doublement vainqueur,
Vainqueur de son hayneux, et de son propre cueur,
Qui peult durant le cours de sa bonne fortune
Suyvre de la vertu la trace non commune.
Fascheuse de nature est toute adversité,
Mais trop plus dangereuse est la félicité.
Le cheval furieux, aiant le mords pour guide,
Tousjours en sa fureur ne desdaigne la bride :
Le navire agité des vents impétueux
Ne succumbe tousjours aux flots tempestueux :
Et le cours du torrent tombant de la montaigne
' Regrets, s. 12'5 et 124. V. encore les s. 125 et 126. et cf. le s. 125 des
Souspirs de Magny.
328 JOACHIM DU BELLAY
S'allente quelquefois au plain de la campaigne.
Mais veoir un jeune Roy heureusement vaillant,
Contre un autre grand Roy pour rhonneu.r bataillant,
Refréner sa fureur. Sire, c'est une chose,
Qui d'un moindre que vous au pouvoir n'est enclose.
La gloire militaire est commune à beaucoup et dépend de
bien des conditions : la valeur des soldats, les circonstances
de temps et de lieu, les vivres, les armes, l'argent, et surtout
le hasard, fréquemment en décident. Mais il ne dépend que
de nous d'obtenir cette gloire que donne la bonté :
Donques autant de fois qu'en noz vers ou histoires
Noz nepveux reliront voz heureuses victoires,
Hz s'esmerveilleront. et de quelle vertu.
Et de quel heur encor' vous aurez combattu
Contre un tel ennemy. Mais autant de fois, Sire,
Que voz sujets viendront, je ne dis pas à lire,
Mais sentir la pitié dont vous avez usé.
Sans avoir, inhumain, de leur sang abusé.
Hz vous adoreront, et en chasque province
Serez tenu pour Dieu, et non pas pour un prince.
On vous tiendra pour Dieu, car qu'elle chose aux Dieux
Approche de plus près, qu'un Roy victorieux.
Un Roy sage, constant, fort, magnanime, et juste
Plus humain que Trajan, et plus heureux qu'Auguste ?
C'est vraiment le fait d'un roi très chrétien de se dompter
ainsi lui-même :
Vous pouviez regaigner, voire en bien peu de temps,
Ce que vostre ennemy depuis vingt ou trente ans
Usurpe dessus vous : mais vostre bonté, Sire,
Qui plus au bien public, qu'à sa grandeur aspire,
Pour laisser reposer de leurs travaux passez
Voz peuples et voisins de la guerre lassez,
LA VIIl DK .lOACHlM A KOMli ''M\)
Est venue arracher au milieu des alarmes,
Des mains de voz soldais, la fureur et les armes.
Car vous n'avez plustost apperceu l'Empereur
Incliner à la Paix, que soudain la fureur
S'est esteinte dans vous au plus fort de l'allaire :
Et content d'avoir peu domter vostre adversaire,
Avez domté vous mesme : et pour le commun bien
Vous estes souvenu d'estre Roy Treschrestien.
S'inspirant de l'idée chrétienne ', le poète insinuait qu'il serait
glorieux pour le roi de rassembler sous sa bannière, pour
aller attaquer l'Orient, toutes les forces de l'Europe.
Il s'agissait bien d'une croisade ! Pendant que Joachim
écrivait son Discours, le neveu de Paul lY travaillait en
France à la rupture de la trêve de Vaucelles et jetait les
bases d'un nouveau traité d'alliance offensive et défensive
entre Henri II et le Saint-Siège. Une partie de i556 se passa
en préparatifs. A Rome, on était dans l'attente ; on vivait au
milieu de cette fièvre inquiète qui précède les grands événe-
ments : les moindres nouvelles faisaient sensation. Tout
d'abord, un fait capital eut un long retentissement, l'abdica-
tion de Gharles-Quint. Le vieux monarque, fatigué du pouvoir
et las de la grandeur, allait s'enfermer au cloître de Yuste.
C'était un étrange contraste, de voir cet empereur, vieilli sur
les champs de bataille, qui se faisait ermite, à l'heure même
où le pontife octogénaire, vieilli dans la paix de l'Eglise, son-
geait à se faire guerrier. Frappé de ce contraste, Joachim y
vit le sujet d'un piquant parallèle :
Je n'ay jamais pensé que ceste voulte ronde
Couvrist rien de constant : mais je veulx désormais,
' Cette conception chrétienne de la paix se retrouve dans Ronsard (Rlan-
cliemain, III, 344-345 ; VI, 209-215 et 216-224) et dans Baïf (Marty-Laveaux, II,
223-229).
330 JOACHIM DU BELLAY
Je veulx (mon chor Morcl) croire plus que jamais,
Que dessous ce grand Tout rien ferme ne se fonde.
Puisque celuy qui fut de la terre et de l'onde
Le tonnerre et l'effroy, las de porter le faiz,
Veult d'un cloistre borner la grandeur de ses faicts.
Et pour servir à Dieu abandonner le monde.
Mais quoy ? que dirons-nous de cet autre vieillard,
Lequel ayant passé son aage plus gaillard
Au service de Dieu, ores César imite ?
Je ne sçay qui des deux est le moins abusé :
Mais je pense (Morel) qu'il est fort mal aisé.
Que l'un soit bon guerrier, ny l'autre bon hermite '.
Bientôt, on apprit que le duc de Parme, Octave Farnèse,
notre ancien allié, passait à la cause espagnole, moyennant
la restitution de Plaisance ^ C'était un fâcheux contretemps :
car on comptait sur lui pour tenir en échec le duc de
Florence, toujours hostile. C'était aussi un bel exemple d'in-
gratitude : les Farnèse devaient tout à la France. Du Bellay
donna libre cours à son indignation dans une pièce intitulée
Les Furies contre les infracteurs de foy (I, 3i6). monologue
déclamatoire où l'ombre de Pierre-Louis Farnèse est censée
parler, et, flétrissant la conduite de ses fils, répand sur eux
ses malédictions '.
' liegrcts, s. 111. — Le s. 110, tr.Tduction en vers rapportés d'une épi-
wranime latine {Poemata, f" 24 r»), oppose le belliqueux Paul IV au pacifique
Jules m. — Du lîellaj' fait parler Cliarles Quint lui-même dans Les tragi-
ques regrets de Clinrla V empereur (11, li't). 11 n'est \m\s prouvé que dans
ce poème, d'ailleurs très médiocre, il ait voulu refaire vine pièce de Grévin
sur le même sujet, ainsi que l'avance M. Pinvert, thèse sur Grévin, p. 205.
- Ribier, H. 6'»G-647 et 6;i6-6.^!^'.
^ Antérieurement, du Bellay avait célébré (II. 149 et lo5) la mort d'Horace
Farnèse, duc de Castro, frère d'Octave, qui venait d'épouser Diane d'An-
goulème, lille légitimée d'Henri II, et qui s'était fait tuer quelque temps
après au siège d'Hcsdin (18 juill. 1533).
LA VIK l>K JOACHIM A ROME 331
Euiin, le j scpteiubri' i55G, le tardiiial Caralla, retour de
France, rentrait de nuit à Rome : il amenait avec lui Mou-
lue, Strozzi, Lansac, plus de 2000 liouinies, et rapportait en
outre 35o.ooo écus et la promesse formelle d'Henri II (juune
armée française allait descendre en Italie sous les ordres du
duc de Guise '. II était temps : dès le i^r septembre, le duc
d'Albe, lieutenant-général de Philippe II dans la péninsule et
vice-roi de Naples, franchissant la frontière du territoire
ecclésiastique, avait entamé les hostilités. Il s'avançait à
marches forcées, prenant d'assaut les villes et les bourgs.
Dans l'espace de quelques jours, toute la campagne de Rome
était tombée en son pouvoir.
Alors, ce fut à Rome, plusieurs mois durant, un spectacle
inaccoutumé. L'état de guerre avait changé du tout au tout
la cité voluptueuse, où jadis florissaient les plaisirs et les
fêtes. La navrante métamorphose ! Du Bellay l'écrivait à son
ami Dagaut :
Nous autres malheureux suivons la court Romaine,
Où, comme de ton temps, nous n'oyons plus parler
De rire, de saulter, de danser, et baller.
Mais de sang, et de feu, et de guerre inhunjaine ■.
On ne rencontrait dans les rues que des soldats en
armes ' : on n'entendait que le son des trompettes, et le bruit
des tambours, et le grondement des canons, et les décharges
d'artillerie qui tonnaient du château Saint-Ange. Le pape,
solennel, passait des revues sur la place Saint-Pierre et bénis-
sait les étendards, tandis qu'artisans et bourgeois, dans le
* G. Duruy, Le Cardinal Carlo Carafa, p. 181-182
- Regrets, s. 57.
* Dans une lettre au Roi (14 nov. loo6|, MM. «le Selve et de Lansac éva-
luent le nombre des forces réunies à Rome à 9000 hommes de pied et 4 à
300 chevaux. — Ribier, II, 664.
332 JOACHIM DU BELLAY
tumulte général, désertaient leurs occupations et fermaient
leurs boutiques. Quel constraste avec autrefois !
Ne pense (Robertet) que ceste Rome cy
Soit ceste Rome là, qui te souloit tant plaire.
On n'y fait plus crédit, comme Ion souloit faire,
On n'y fait plus l'amour, comme on souloit aussi.
La paix et le bon temps ne régnent plus icy,
La musique et le bal sont contraints de s'y taire.
L'air y est corrompu. Mars y est ordinaire,
Ordinaire la faim, la peine, et le soucy.
L'artisan desbauché y ferme sa boutique,
L'ocieux advocat y laisse sa pratique.
Et le pauvre marchand y porte le bissac :
On ne voit que soldartz, et raorrions en teste,
On noit que tabourins, et semblable tempeste,
Et Rome tous les jours n'attend qu'un autre sac*.
Pour comble d'infortune, c'est de ses propres défenseurs
que Rome avait à craindre un sac. Les soldats étrangers qui
campaient dans ses murs la traitaient en ville conquise. Les
Gascons volaient et violaient les femmes. Les Allemands
luthériens soldés par Henri II affectaient de manger de la
viande les jours consacres au jeune, et criblaient de coups
pe poignard les images du Christ. Les Suisses se grisaient,
et leur lourde gaieté se traduisait par des bastonnades, qu'ils
faisaient pleuvoir sur les citoyens inoffensifs '\ Exaspéré, le
peuple murmurait ; il s'en prenait au pape de toutes ses
misères, il accusait son ambition, sa cruauté, son népotisme ;
il blâmait l'incapacité des chefs, vaniteux, fanfarons et lâches;
il se lamentait sur les périls de la situation, sur les maisons
' Regrets, s. 8.5. — Cf. s. 110.
- G. Duruj', op. cit., p. 193-194, d'après Navagero, témoin oculaire.
LA VIE DE JOACHIM A HOME 333
détruites, sur les impôts trop lourds. La vie à Rome n'était
plus tenable. Une fois de plus, du Bellay regrettait de n'être
pas sourd :
Je n'orrois du Castel la fouldre et le tonnerre.
Je n'entendrois le bruit de tant de gens de guerre.
Et n'orrois dire mal de ce bon Père Sainct,
Dont ores sans raison toute Rome se plaingt,
Blasinant sa cruauté, et sa grand' convoitise,
Qui ne craint (disent-ilz) aux despends de l'Eglise
Enrichir ses nepveus, et troubler sans propos
De la Chrestienté le publique repos.
Je n'orrois point blasmer la mauvaise conduite
De ceux qui tout le jour traînent une grand" suite
De braves courtisans, et pleins de vanité
Voyant les ennemis autour de la cité.
Portent Mars en la bouche, et la crainte dans l'anie :
Je n'orrois tout cela, et n'orrois donner blasme
A ceux qui nuict et jour dans leur chambre enfermez
Ayant à gouverner tant de soldats armez,
Font aux plus patiens perdre la patience,
Tant superbes ilz sont, et chiches d'audience.
Je n'entendrois le cry du peuple lamentant
Qu'on voise sans propos ses maisons abbatant,
Qu'on le laisse au danger d'un sac époventable,
Et qu'on charge son doz d'un faiz insupportable ' .
Heureusement, après plusieurs mois passés dans les
transes, on vit enfin venir le duc de Guise. C'était le salut
espéré. Le duc avait franchi les Ali:)es dans les derniers
jours de décembre. Il entra dans Rome le jour du carnaval,
le 2 mars 155^, bientôt suivi de son armée. Parmi ces sol-
dats venus de si loin , Joachim put voir Rémy Belleau,
» Hymne de la Surdilê (H, 404-40j).
334 JOACHIM DU BELLAY
escortant à la guerre son protecteur René d'Elbeuf '. Il
accompagna de ses vœux les Français héroïques qui s'en
allaient conquérir Naples * :
Quos cliara e patria avulsos et dulcibus arvis
Saevus amor belli misit in Hesperiam,
Pergite Ibelices, fatisque vocantibus ite,
Quo vos ipsa vocat Gallica Parthenope.
Il n'éprouva cependant nulle envie de participer à l'expédition :
Faustine le tenait par des liens trop doux ^ A quelque temps
de là, il put pleurer la mort glorieuse, mais inutile, des
soldats tombés pendant la campagne *. Le duc de Guise avait
échoué devant Civitella (i5 mai) : l'invasion du royaume de
Naples, à peine commencée, se terminait par un désastre.
Lellbndrement était complet.
Du Hellay vit encore la division se mettre, à la suite de
torts réciproques, entre Guise et les Caraffa ; le duc, mécon-
tent de lui-même et des autres, se consumer dans l'inaction ;
3ooo Suisses, accourus au secours du pape, fuir en déroute ;
le vice-roi camper aux portes mêmes de Home, et la ville une
fois de plus en proie à des terreurs sans nom. Il apprit enfin
le 23 août la débâcle de Saint-Quentin, et fut témoin de la
stupeur que Rome entière en ressentit \ Henri II, écrasé chez
lui, c'était le rappel immédiat du duc de Guise en France, le
pape contraint de capituler et de faire sa paix avec le roi
d'Espagne, et le renoncement fatal, définitif, au rêve caressé
naguère.
' Marty-Laveaux, Notice sur Belleau, p. vu.
- Poemata, t" 38 v : Ad milites Gallos, cum ad bellum Neapolitanurn pro-
ficiscerentur.
^ V. plus loin, chap. vi, § i.
' Poemata, f» iil v" : In Gallicam juvenlutem quae pro Paiilo IIII, Pont.
m.ax. bello Parthenopaeo occiibuit.
" Poemata, f» 52 r" : In eos qui bello Quintiniano occubuerunt Lacrjmae.
LA VIK DK JOACHIM A HOME 335
Pendant les quatre années de son séjoui* à Rome, le
spectacle de la politique, avec ses niulliples aspects et ses
péripéties diverses, avait largement instruit du Bellay. Son
œil perspicace avait entrevu tout ce ((ui se cacliait sous la
pompe extérieure, les vanités, les ambitions, les convoitises,
les jalousies et les intrigues. Ce côté de la vie romaine, petit,
mesquin, tortueux, ne pouvait que déplaire à sa franchise
naturelle, à ses généreux sentiments. Il en eut vite le dégoût.
Nous aurons bientôt l'occasion de voir en quoi ce dégoût
servit son talent, et comment cette indignation fouetta sa
verve satirique. Mais nous serions mal préparés à bien
comprendre les Regrets, si, après ce coup d'œil jeté sur la
vie publique du poète, nous n'en jetions un autre sur sa
vie privée.
CHAPITRE IV
LA VIE DE JOACHIM A ROME
1553-1557
IL LA VIE PRIVÉE
I. — Passe-temps de Joachim, — Ses ennuis, ses dégoûts.
II. — Ses consolations. — Le monde savant à Rome. — Annibal
Caro — Érudits et poètes : la poésie latine. — Satisfac-
tions d'amour propre,
m. — Les amis de Rome. — Magny, Gordes, Panjas.
IV. — Les amis de France. — Ronsard et Tahureau.
V. — Le culte des Muses : la poésie consolatrice. — Origine des
(( Poemata » et des « Regrets ».
I
Du Belliiy, si prorapt à nous dévoiler les dessous de la
vie romaine et tous les laits divers dont il fut le témoin, se
montre plus discret sur les incidents de sa vie privée. Nous
l'avons suivi tour à tour dans ses deux emplois officiels,
tantôt chargé de l'intendance et de la gestion financière dans
le palais du cardinal, tantôt accompagnant son maître dans
les cérémonies publiques avec les autres gentilshommes. Mais
LA VIE D1-: JOACHIM A HOMK 3.'^
quand il dépouillait ces lonctions oflicielles, lorsqu'il redeve-
nait lui-même, aux heures de loisir et de libre détente, que
faisait-il? que pensait-il? quelles étaient ses distractions et
ses intimes sentiments? Sur ce point si curieux, nous aime-
rions les confidences : celles (pic nous lait du Bellay ne nous
satisfont qu'à demi. Nous sommes tentés de lui en vouloir de
son excessive réserve.
A travers les Regrets, nous entrevoyons vaguement ({uel-
ques-uns de ses passe-temps. Parfois, il s'en allait s'ébattre
avec Charles Marault, le valet de chambre du cardinal, dans
la vigne de Saint-Laurent '. D'autres fois, il se rendait dans
la boutique du barbier Pierre et, pour se divertir, il se fai-
sait conter
Des nouvelh^s du Pape, et du bruit de la ville ^
Ou bien encore, il s'amusait à plaisanter avec les secrétai-
res, et surtout avec l'un d'entre eux, un certain Le Breton %
dont il a tracé ce piquant portrait :
Le Breton est sçavant, et sçait fort bien escrire
En François, et Thuscan, en Grec, et en Romain,
Il est en son parler plaisant et fort humain.
Il est bon compaignon. et dit le mot pour rire.
Il a bon jugement, et sçait fort bien eslire
Le blanc d'avec le noir : il est bon escrivain.
Et pour bien compasser une lettre à la main,
Il y est excellent autant qu'on sçauroit dire :
* Regrets, s. 54. — Cf. Heulhard, p. 74.
- Regrets, s. 59.
^ Je doute qu'il ait rien de commun avec Claude Breton, sieur de Viilan-
dry, qui fut agent du roi de F'rance à Rome en 1554 (Ribier, II, 541, 543, 608 ;
Lettr. inéd. du card. d'Armagnac, édit. Tamizey de Larroque, p. 55, 70, 89).
En tout cas, il ne faut pas le confondre, comme le fait M. Courbet, avec Fran-
çois Le Breton, écrivain de Goulances, dont parlent La Croix du Maine
(I, 211) et du Verdier (1, 644).
Univ. de Lille. Tome VllI A. 22.
338 JOACHIM DU BELLAY
Mais il est paresseux, et craint tant son raestier,
Que s'il devoit jeusncr, ce croy-je, un mois entier,
Il ne travaillei-oil seulement un quart d'heure.
Brel", il est si poltron, pour bien le deviser,
Que depuis quatre mois, qu'en ma chambre il demeure,
Son urabre seulement me fait poltronniser '.
Plus tard, il eut à se plaindre de lui : Le Breton faisait en
cachette des copies des Regrets et les vendait secrètement à
des gentilshommes français ". Mais pour l'instant, du Bellay
goûtait fort sa bonne humeur et son esprit, et lui savait gré,
dans leurs ennuis communs, d'avoir toujours « le mot pour
rire » :
. , . Nous n'esprouvons icy
Que peine, que travail, que regret et soucy,
Et rien, que Le Breton, ne nous peult faire rire '.
Un si joyeux confrère avait le don précieux d'égayer ses
tristesses. C'est qu'on effet, depuis longtemps, l'ennui, le
soudure ennui s'était abattu sur notre poète. Une mélancolie
profonde, incurable, avait pénétré dans son âme, et la
nostalgie le tenait, le regret très amer de la patrie absente.
Perdu sui- la terre d'exil, il soupirait en vers latins : « Je
n'ai pas un cœur do rocher, ou qui ait la raideur inilexible
du fer. Il faut être le fils d'une ligresse ou d'une ourse,
pour n'être pas touché du doux amour do la patrie, et pour
consentir tant de mois un lointain exil. L'exil ! qu'est-ce autre
chose que l'abandon des cieux connus, de la patrie, du foyer
domestique ? Trois fois, s'est accomplie l'annuelle révolution
du rapide soleil, depuis qu'il m'a fallu entreprendre un si
' Regrets, s. 58. — Cf. Magny, Souspirs, s. 132 :
Autant que Le Breton je ne voudroy qu'il sçeust.
Mais l)ien qu'il eusl de luy la paresse et le vice.
^ Lettres de J. du Bellay, édit. P. de Nolhac, p. 43-44.
'■' Regrets, s. 'ôl.
LA VIK DE JOACaiM A ROME 339
long voyage : je me suis vu contraint de vivre en étranger
sous des toits inconnus, gardant à peine le souvenir de mon
Lire ; je me suis vu contraint d'apprendre d'autres usages et
d'autres mœurs, de parler une langue insolite ! — Mais, diras-
tu, quoi de plus brillant ({ue la Cour de Rome, et quel lieu,
dans tout l'univers, est plus beau ? Rome est la mère du
monde : habiter ses murailles, c'est vivre sur son propre sol.
— Oui, sans doute, il m'est plus doux qu'à n'importe quel
étranger, de vivre à Rome, moi qui possède un oncle qui
tient tant de place au Sacré-Collège, tant de place aussi
dans le chœur des Muses, un oncle dont la bonté honore mes
talents et les encourage, et détourne loin de moi la pauvreté.
Mais chaque fois qu'il me souvient d'avoir abandonné mes
anciennes études, et mes anciens amis, et la chère maison
où jadis, instruit à mépriser les trésors de la Perse, je savais
vivre heureux de peu, — chaque fois se présente à moi
l'image même de la patrie, et chaque fois je suis en proie à
de nouveaux tourments '. »
Mais le regret de la patrie n'était pas le seul mal dont
son cœur fût atteint. Le pauvre Joachim soutirait aussi de
faire un métier qui n'était nullement de son goût. Il adorait
la liberté : il lui fallait servir. 11 détestait l'hypocrisie, et sans
cesse il lui fallait feindre. Il se sentait né pour la Muse :
c'est au c( ménage » qu'on l'employait ' ! Surtout, il souffrait,
il souffrait violemment de ses rêves déçus, de ses espoirs
trompés. Il s'imaginait, au départ de France, qu'il allait tout
apprendre, et son illusion s'était envolée :
O beaux discours humains ! je suis venu si loing,
Pour m'enrichir d'ennuy, de vieillesse, et de soing,
Et perdre en voyageant le meilleur de mon aage ^
^ Poemata, f° 12 r" : Patriae desideriiim.
- Regrets, s 39.
^ Regrets, s. 32.
340 JOACHIM DU BELLAY
Il croyait naïvement qu'il allait faire fortune, et de ses fidèles
services il ne tirait nul avantage :
Et quel profit en ay-je ? ô belle récompense !
Je me suis consumé dune vaine despenee,
Et n'ay fait autre acquest que de mal et d'ennuy '.
Le cardinal, si bon fùt-il. ne payait pas son dévouement à sa
juste valeur. Et Joachim se lamentait sur la cruauté de sa
destinée. Il enviait le bonheur de Baif amoureux :
Moy cliétif, ce pendant, loing des yeux de mon Prince.
Je vieillis malheureux en estrange province.
Fuyant la pauvreté : mais las, ne fuyant pas
Les regrets, les ennuys, le travail, et la peine.
Le tardif repentir dune espérance vaine,
Et l'importun souci, qui me suit pas à pas *.
Il avait des accès de désespoir, se demandant avec angoisse
si son martyre aurait un terme :
La nef qui longuement a voyagé (Dillier)
Dedans le sein du port à la fin on la serre :
Et le bœuf, qui long temps a renversé la terre,
Le bouvier à la fin luy oste le collier :
Le vieil cheval se voit à la fin deslier.
Pom' ne perdre l'haleine, ou quelque honte acquerre :
Et pour se reposer du travail de la guerre,
Se retire à la fin le vieillard chevalier.
' Regrets, s. 4a. — Cf. s. 47 :
Ainsi (mon cher Vincus) jamais ne puisse-lu
Ksprouver les regrets qu'esprouve une vertu,
Qui se voit défrauder du loyer de sa peine.
Uu Bellay se plaint vaguement (s. 45 et 49) d'un étranger qui aurait recueilli
le fruit de ses services, d'un envieux qui laurait desservi. L'allusion reste
obscure.
= Regrets, s. 24. — Cf. s. 42 :
La pauvreté me suit, le souci me dévore.
Tristes me sont les jours, et plus tristes les nuits :
O que je suis comblé de regrets et d ennuis I
LA VIE DE JOACHIM A ROME 341
Mais moy, qui jusquicy n'ay prouvé que la peine,
La peine et le malheui" d'une espérance vaine,
La douleur, le souci, les rcîgrels, les ennuis,
Je vieillis peu à peu sur l'onde Ausonienne,
Et si n'espère point, quelque bien ([ui m'advienne.
De sortir jamais hors des travaux où je suis '.
Parfois , il lui prenait envie de quitter l'Italie , d'aller
revoir la France : il confiait à Morel comme il était per-
plexe, implorait ses conseils, le conjurait de lui répondre
s'il devait partir ou rester ^ Finalement, il demeurait : le
devoir, l'habitude, la crainte plus ou moins avouée de
perdre entièrement « le loyer de sa peine ». disons le mot,
l'espoir quand même, le retenaient près de son maître. Pen-
dant quatre ans. mais surtout à partir de la troisième
année, du Bellay s'ennuya, sur les rives du Tibre, d'un
incommensurable ennui. Dans un si poignant état d'àme,
quelles étaient ses consolations ?
II
Quand un écrivain de renom débarcpie à l'étranger, il ne
tarde guère à lier connaissance avec les illustrations du
pays. Il n'est pas certain, lorsque du Bellay vint à Rome,
en i553. cpie sa récente gloire eût encore franchi les Alpes.
Mais, outre que sa présence sur le sol même de l'Italie dut
contribuer à la répandi^e. il est permis de croire qu'il fut
tout le premier curieux d'entrer en relations avec les beaux
esprits du temps, et qu'il rechercha l'amitié des érudits et
des poètes que comptait alors le monde romain.
' Regrets, s. 3d.
2 Regrets, s. 33.
342 JOACHIM DU BELLAY
A Tépoque où nous sommes, l'Italie commençait à déchoir,
littérairement, de son antique splendeur. Son âge d'or finis-
sait. Les grands écrivains du siècle étaient morts : Machiavel
en 1527, Sannazar en i53o, l'Arioste en i533, Berni en i536,
Guichardin en i54o, Berabo en 1047. ^'^ Trissin en i55o.
Alamanni, toujours en exil à la Cour de France, était sur
le point de s'éteindre. Dans ce déclin des lettres italiennes,
le traducteur de Y Enéide. Annibal Caro *, passait pour un
nouveau Pétrarque. On vantait la richesse, l'harmonie, l'élé-
gance, la pureté de son style, sans se soucier assez si la
justesse des sentiments égalait toujours chez lui la beauté
de l'expression. C'est à Caro (jue du Bellay adi'essa tout
d'abord ses hommages. Précisément, Caro venait de compo-
ser * en l'honneur de la France et de la famille royale une
canzone restée célèbre :
Venite à l'ombra de' grau gigli d'oro,
Care Muse . . . '
L'œuvre faisait grand bruit et valut à l'auteur toute une polé-
mique avec Castelvetro. Du Bellay, qui l'admirait fort, saisit
cette occasion de remercier publiquement l'étranger qui
chantait sa patrie et ses princes. 11 adressa donc à Caro une
épigramme très louangeuse \ dont voici quelques vers :
Chara Deûm soboles, Phoebo charissime Care,
Qucm Charitum edocuit, Pieridumque chorus :
Quas tibi pro mcritis persolvet Gallia grates ?
Praemia quae referet, magne poeta, tibi ?
' Sur Annibal Caro (1507-1566), consulter Tirabosthi. Storia délia Lette-
ralura Italiana (Modènc, 1791), l. VII, p. 1160 ; Gingucnr, Hist. litt. d'Italie,
l. IX. p. :}09.
- Vers 1;);)3, suivant Tiraljoschi, p. IKJi.
•'' On la trouvera dans les Rime del Commendatore Annibal Caro, Venise,
Aldo Manutio. 1372, p. 44-47. (Bibl. Xat. — ¥<*. 752).
' PoemaUi, f» 17 v" : De laiidibus Galliae, ad Annibalem Carum.
LA VIE DE JOACHIM A ROME 343
Magna virùin, frugunujue pareus, Mavortiu tellus,
Gallia sic per te tollit ad astra caput,
Ut currus, turrosquc suas, Phrygiosque leones
Huic facile cedat magna Deùm genitrix.
Nulla tamen tantis major de laudibus extat,
Quam quod te vatem nacta sit illa svium.
Il fît plus encore, — et je m'étonne d'être le |)r('mier à le
remarquer. — il traduisit en vers français la canzone italienne *.
Telle fut lorig-ine, entre les deux poètes, d'une amitié (jui ne
finit qu'avec la mort de Joachim *.
En dehors de Caro, du Bellay fréquenta la société des
humanistes, qui se pressaient alors à Rome. Dans sa précieuse
étude sur Fulvio Orsini ', M. de Nolhac a reconstitué ce
qu'était ce milieu savant vers i555. On trouvait là, outre
Fulvio Orsini ", collectionneur et bibliophile, Gulielmo Sirleto
et Basilio Zanchi. ({u'un contemporain qualifie « reipublicae
litterariae sidéra fiilgentissima » ; Scipione Tetti. commentateur
d'Apollodore : Lorenzo Gambara . le futur auteur de la
Colombiade ' : Lelio Capilupi. qui faisait des centons de Vir-
gile : d'autres encore , aujourd'hui plus ou moins méconnus,
Benedetto Egio , Giovanni Cesari , Gabriel Faerno , Latino
' Louange de la France et du Roy Treschrestien Henry II (I, 2.01). —
Cette pièce ne parut qu'en I06O, après la mort de du Bellaj'.
- Dans les Xenia de 1339, f" 14 r", je lis cette étrenne à Caro :
ANNIBAL CARVS.
Viribus ingenii superet quod culmina Pindi,
Annilialis nomen convcnit Annibali.
Ipsa etiam Cari vox est aptissima Caro,
Quod charus Phoebo sit Charitumque choro.
' La bibliothèque de Fulvio Orsini, p. 6 7. Paris, Vieweg, 1887, in-S",
Bibl. de l'Éc. des H'«^ Et , 74'^ fascicule.
* De Thou parle ainsi d'Orsini : « Fulvius Ursinus patria l\omanus vir
graece latineque doctissimus ac purioris antiquitatis indagalor diligentis-
siraus. )) Edit. de Londres, 173'{, t. V, p. 847.
* Poème latin sur Christophe Colomb (Rome, 1381, in-S").
344 JOACHIM DU BELLAY
Latini, Antonio Possevino, etc. On pout y joindre Fausto
Saheo, conservateur de la Bibliothèque Vaticane, qui dédiait
nombre dY'pigrammes au roi de France, ainsi qu'aux cardi-
naux français, — notamment au cardinal du Bellay, qu'il
remerciait de ses bienfaits, et dont il célébrait les vertus
politiques et les talents littéraires '.
Dans ce groupe savant, la poésie latine était en grand
honneur. Basilio Zanchi % de Bergame. qui composait à dix-
sept ans un recueil d'épithètes poéti(jues \ passait à vingt
pour un des poètes les plus distingués de Rome. Ce chanoine
régulier de Lateran s'adonnait principalement à la poésie
religieuse : son œuvre capitale est un poème sacré qui chante
en beaux vers les dogmes chrétiens {De horto Sop/iiae, i54o).
Mais il n'était pas moins heureux dans les sujets profanes,
et mettait beaucoup d'élégance dans ses églogues, ses élégies,
ses épigrammes *. Il avait pour émule et ami ^ Lorenzo
Gambara *, de Brescia, qui devait plus tard offrir en holo-
causte à la Muse chrétienne dix mille vers païens tout rem-
plis des faux dieux, mais qui, pour l'instant, auteur d'idylles
' Epigrammatum Fausti Sahaei Brixiani ciistodis Bihliolhecae Vaticanae
libri V, ad Henricum regem Galliae. Rome, lolJG. (Bibl. Nat. — Rés. pYc. 987).
— Sur Faiisto Sabeo, v. le card. Querini, Spécimen Brixianae Literatarae
(1739), t. 11, p. 167-192. (Bibl. Nat. — K. 3780).
- Sur Basilio Zanchi, v. Tiraboschi, t. VII, p. 1382 ; Ginguené, continué
par Salli, t. X, p. 290.
' Dictionarium poeticum et epitheta vetenim poetarum.
' Bas. Zanchii Poematum libri VII. Rome, Ant. Bladus, 1553, in-8°. (Bibl.
Nat. — Yc. 79o3). — Une autre édit., publiée à Bâle en 1555, contient de
plus trois livres de poésies latines de L. Gambara.
'" Cette amicale émulation est attestée par une lettre de Paolo Manuzio à
Lorenzo Gambara, que cite Tiraboschi, p. 1383 : «... Vixistis una semper
conjunctissimc aller altcri egregie charus, et fuit utcrqUe vcstrum ad poeti-
cam facultatem natura propcnsus, ac mire factus, ut cum ncmo tam bonus
poeta sit, (juin vobis primas in componcndis vcrsibus parles tribuat, quam
confessioncm etiam ab invitis exprimit Poematum comparatio , iiter
tamen utri praestet, nondum satis judicare quisquam possit. »
* Sur Lorenzo Gambara, v. Querini, t. II, p. 2(38 279 ; Tiraboschi, t. VII,
p. 14(54.
LA VIF nr JOACHIM A ROME 345
champêtres et marines, s'attachait à marcher sur les pas de
Théoci'ite et de Sannazar '. — Du Bellay subit fortement
l'influence de ces humanistes, dont tout l'esprit se dépensait
à bien tourner les vers latins. S'il parla si souvent, une fois
devenu Romain, la langue de Virgile et d'Horace, la cause
en est sans aucun doute ([u'il voulut se mettre de pair avec
les lettrés éminents dont il faisait sa société. Le désir de
gagner leurs sufl'rages et l'ambition bien naturelle de ne pas
leur paraître inférieur lui firent oublier les prescriptions
patriotiques de la Deffence.
Différents témoignages nous attestent d'ailleurs les bonnes
relations que Joachim entretenait avec les savants de ce
groupe. Les Poemata contiennent d'iiyperboliques compliments à
l'adresse de Zanchi et de Gambara ^ Deux sonnets des Regrets
sont dédiés à Orsini ^ Nous savons par de Thou les rapports
d'amitié qui unissaient notre poète à Lelio Gapilupi '*, Mais
la preuve la plus curieuse que nous ayons de la place qu'il
occupait dans ce milieu romain, c'est à coup sûr la dédicace
qu'une bonne fortune a fait découvrir à M. de Nolhac '. Un
jeune érudit de vingt ans. Antonio Possevino % de Mantoue,
publiant à Rome les Centons virgiliens de son compatriote
Lelio Gapilupi, s'avisa de placer cette publication sous les
auspices de du Bellay, qui, sans connaître encore Gapilupi
lui-même, admirait beaucoup ses écrits. Vu l'importance et
' Outre l'édit. de looii, voy. Laurentii Garnburae Brixiani Poemnln.
Anvers, Chr. Plantin, HifiO, in-S". (Bibl. Nat. — Y<^. 78do).
- F" 17 v» : Ad Basilium Zanchium. — F° 18 V: Ad Laiirentium Ganiharam.
' S. 100 et 112. Du Bellay l'appelle Ursin, de son nom latin Ursiniis.
* De Thou, consignant la mort de Joacfiim, ajoute : « Joachinio comitem
addemus tertio post euni die in patria. cura LXIl annos exegisset, mortuum
Laelium Capilupum Mantuanum artissima cum eo necessitudine conjunc-
tum : qui tanta felicilate Maronis conterranei sui versibus detorta signili-
catione lusit. » Édit. de Londres, 1733, t. II. p. 72.
■' Op. cit., p. 7.
" Sur Antonio Possevino, v. Tiraboschi, t. Vil, p. 1060 ; Ginguené, t. VIII,
p. 423.
346 JOACHIM [JU BELLAY
la rareté du témoignage, on me permettra de citer presque
entière cette dédicace, dont M. de Nolhac n'a donné qu'un
fragment ' :
lOACHIMO BELAIO
ANTONIVS POSSKVINVS MANTVANVS
S. P. D.
(( ... Tu enim is es. qui et summa virtute praeditus, et
omnibus literarum studiis ornatissimus Laelii Capilupi scripta
es adeo admiratus, ut cum ne illum quidem virum de facie
cognosceres, mirifice tamen amares et colères, quod cum
illius ingenio. tum tuae humanitati et animo ad studia pro-
penso ti'ibuitur. Adeo in liumanis animis studia paria possunt.
quae ([uo sunt lil)eraliora. eo magis liomines inter se quibus-
dam vinc'ulis <l('vinciunt et obstringunt. Quibus rationibus
adductus statui liunc librum ad te mittere, quod scirem apud
neininem in loco moliore aut honestiore esse posse. Cum
enim seniper otium et tempus in discendo contriveris, tum
summo illi Cardinali es sanguine, in quo non facile judices
utrum mores a disciplinis. an a moribus disciplinae illus-
Irentur et ornentur. At raeum quidem consilium tibi proba-
tuin iri confido. manusq. hoc te qua semper consuevisti
liumanitate accepturum, quod certe ab animo tui observantis-
simo proficiscitur, tibiq. defcrtur. lleiiquum est ut nos dili-
gas. Vale. »
Pareil hommage; était flatteur pour du Bellay. Mais s'il
trouvait, à fréquenter 1<* cercle des lettrés romains, des satis-
factions d'amour-propre, y trouvait-il également les consolations
(jue cherchait son cœur ? Pour guérir certaines blessures, il
faut plus que la société des savants et des gens d'esprit, —
les doux épanchements des amitiés discrètes.
' I/i'dition fit" Possevino restant introuvable, je cite d'après la réimpres-
sion de G. Castifrlione, Capiliipornm Carrnina, Rome, lii'JO, in-i», p. 155-157.
(Bibl. Nat. — Y^. 989).
LA VIE DK JOACHIM A ROMK 3't7
III
Que peut on désirer do bon heur et de bien
Plus qu'un amy fidelle et qu'un autre soi niesmes ?
Tous les honneurs mondains et les Indiques gemmes.
Au pris d'un vrav amy j'estime moins que rien.
Ainsi parle Magny, devançant La Fontaine ' . Ces vers
exquis, Joaehini eût pu les écrire : ils sont dignes de lui. Son
cœur sensible et tendre était ouvert à l'amitié. C'est d'abord
aux amis de Rome, à ceux (jui vivaient de sa vie, qui par-
tageaient ses occupations et ses tristesses, qui souffraient
comme lui de l'exil, qu'il confia ses chagrins et demanda du
réconfort. Parmi ceux-là. nul ne fut un ami plus précieux
qu'Olivier de Magny ■.
Une singulière conformité de destinée rapprocha ces deux
hommes, déjà frères par la poésie. Magny commençait à se
faii*e un nom entre les favoris des Muses, quand d'Avanson %
qui se rendait à Rome, lui proposa de l'emmener en qualité
de secrétaire. Le poète des Gayetez partit avec la même
ardeur qu'autrefois du Rellay. Le bonheur de revoir des amis
aux bords du Tibre était pour beaucoup dans cet enthousiasme :
Je m'en vois. Paschal, loing de toy
Avec l'Ambassadeur du Roy,
Mon Avanson, qu'il me fault suyvre,
En cette antique cité libre.
Que ceux que Cybelle enfanta.
Que ceux qu'une louve allaicta
Bastirent jadis sur le Tybre.
1 Sonspirs, édit. Courbet, 1874, s. 61.
2 Sur Oliv. de Magny (1529? 1561), v. un article de Turquely {Bulletin du
Bibliophile, 1860, p. 16.37), et la Itièse de M. Favre (1885).
' Sur Jean de Saint-Marcel, seigneur d'Avanson, cf. Courbet, notice des
Souspirs, p. X. sqq., et Favre, op. cit., p. 50 sqq.
348 JOACHIM DU BELLAY
Là je verray les raritez,
Et les belles antiquitez
De quoi cette ville shonnore :
Et là je pourray veoir encore
Xostre cher Paageas si divin,
Et nostre Bellay Angevin
Qui plus que cela la décore '.
Une fois à Rome, Magny connut les mêmes déceptions et
les mêmes déboires que du Bellay. Pas plus que lui, il ne
lut satisfait de son métier de secrétaire ^, ni séduit par les
mœurs romaines \ De ces malheurs communs, de ces communes
souffrances, se fortifia leur amitié. Tous les deux s'épanchèrent
dans le sein l'un de l'autre, et. s'encourageant mutuellement,
déversèrent le trop-plein de leur cœur en des sonnets confi-
dentiels : de là les Reg'rets, de là les Sonspirs *. Du Bellay
disait à Magny quel besoin de soulagement lui faisait chanter
ses ennuis, et rendait un touchant hommage aux mérites de
son ami. en sollicitant pour lui d'Avanson '. Magny disait à
du Bellay quel baume apportait à son mal leur communauté
de fortune, et rendait à son comjjagnon ce témoignage délicat
d'être un « parfait amy d'espreuve » \ Sur ce point, ils ne
se devaient rien l'un à l'autre.
Auprès d'eux, il convient de grouper tous les amis qui
' Odes, écHt. Courbet, 1870, t. I, p. 114 : Sur son parlement de France, pour
aller en Italye.
- Souspirs, s. i;$.
•'' Souspirs, s. 147.
' Les Regrets et les Soiisf)irs présentent souvent d'étranges rapports.
Ainsi R. 1 = S. 176 ; R. 11-14 = S. oO : 11. 15 = S. 13 : R. 33 = S. 148 ;
R. 38 = S. 34 : R. 53 = S. 67 ; R. 64 = S 48, 99, 141, 142 ; R. 85 = S. 138 ;
R. 93 = S 160 ; R. lOi) = S. 118, 143, 147 ; R 116 = S. 7 ; R. 123-126 =
S. 119, 125, 152. — V. la eomparaison instituée entre les deux œuvres par
M. Favre, p. 69 sqq.
s Regrets, s. 12 et 160. — Cf. s. 67, 133, 164.
•■ Souspirs, s. 10 et 142. - Cf. s. 74, 84, 94, 99, 118, 133.
LA VIE DE .lOACHlM A ROME 349
recevaient leurs confidences , et dont les noms se lisent
pi'esque toujours conjointement tlans les Regrets et les
Souspii's : Bailleul*, Bizet % Boucher', Daguut \ Dilliers %
Gilbert \ Gohorry ', Lestrange \ Marault \ Marseille '\
Vineus ". — Il faut y joindre Antoine Caracciol , prince de
Melphe, évêque de Troyes, qui vint à Rome en i555, pour
solliciter de Paul IV, son parent, le chapeau de cardinal,
sans pouvoir l'obtenir '^ Ce très savant prélat, habile à com-
' Sur Bailleul, v. ci-dessus, 2' part,, chap. ii, § i, p. 287,
- Regrets, s. 64, 136, 143; Souspirs, s. ii3, 132; Odes de Magny, t. II, p. 138.
^ Regrets, s. 14; Souspirs, s. 140. — Etienne Boucher, abbé de Saint-Ferme,
au diocèse de Bazas, abbaye de l'ordre de Saint-Benoît. Il s'occupa longtemps
des procès de Catherine de Médicis en Italie, et, en récompense de ces ser-
vices, devint évèque de Quimper en lo60. V. Lettres de Catherine de Médicis.
publiées par M. H. de la Perrière, t. I, p. 107. (Note de M. deNolhac, Lettres
de J. du Bellay, p 44). — Cf. Ribier, II, 356-358.
* Regrets, s. 57, 113, 115.
5 Regrets, s. 35, 50, 62, 77, 116, 129, 139 ; Souspirs, s. 40 ; Odes de Magny,
t. II, p. 107.
'* Regrets, s. 106 ; Souspirs, s. 141, 160 ; Odes de Magny, t. II, p. 39. —
Pierre Gilbert, natif de Toulouse, conseiller au Parlement de Grenoble,
poète latin, dont du Bellay a traduit deux poèmes, la Courtisanne repentie
(II, 374) et la Contre-repentie (II, 378).
' Regrets, s. 72 ; Souspirs, s. 51, 82, 132, 133. — Sur Jacques Gohorry, cf.
La Croix du Maine, I, 411, et du Verdier, II, 280.
* Regrets, s. 63 ; Souspirs, s. 6. — Charles de Lestrange, protonotaire du
cardinal de Guise, abbé de la Celle, au diocèse de Poitiers, mort en 1565. Il
faisait des vers pour une beauté qu'il appelait Chante. Cf. La Croix du
Maine, I, 161 ; Tahureau, Mignardises, édit Blanchemain, p. 95.
' Regrets, s. 54 — Charles Marault, valet de chambre du cardinal du
Bellay.
'" Regrets, s. 134 ; Souspirs, s. 132. — Sur le secrétaire Marseille, v. les
lettres du cardinal d'Armagnac, édit. Tamizey de Larroque, p. 60, 61, 65, 71.
1' Regrets, s. 42, 43, 46, 47, 124, 132, 177. — Tout ce qu'on sait de cet ami
de du Bellay, c'est qu'il était d'Urbin (s. 132).
•- Il était lîls de Jean Caracciol (1480-1550), prince de Melphe, grand séné-
chal du royaume de Naples et maréchal de France, dont Brantôme a conté
la vie. Sur ce prélat, qui linit protestant, v. La Croix du Maine, I, 30, et les
notes de La Monnoye et de Falconet. — Son voyage à Rome est bien de 1555,
non de 1557, coiume le disent ses biographes. Ceci résulte nettement d'une
lettre ovi les cardinaux de Lorraine et de Tournon, alors à Rome, annoncent
au roi de France (21 déc. 1555) une promotion de sept cardinaux faite par
3o0 JOACHIM DU BELLAV
poser en latin, en toscan, en français, fut parmi les meilleurs
amis de du Bellay '. — Le cercle intime se complétait par
Gordes et Panjas. Gordcs avait certainement une place privi-
léj^iée dans le cœur du poète, si l'on en juge par le nombre
de pièces qu'il lui consacre * et par les termes d'affection
([uil lui prodigue ''. C'est à lui (pi'il dédia ses Amours de
Faustine. Il faut dire, il est vrai, que Gordes aimait Faus-
tine comme une sœur : Sic amas, propriam ut putes sororem,.
Quant à Panjas *, il avait ce trait de commun avec du Bellay
et Magny d'entre poète lui aussi, d'être attaché comme eux à
la suite d'un grand personnage, peut-être le cardinal de
Lorraine, cl, comme eux encore, de mourir d'ennui, si loin de
Paul IV : « . . .Quant à Monsieur de Sainte Croix, il n'y a eu moyen [qu'il
devienne cardinal], pour ce que nostre saint Père ne l'aime pas; et s'il ne se
rabille avec luy, nous ne voyons point apparence qu'il y puisse aucunement
parvenir, ny semblablement de Monsieur de Troyes, qu'il ne veut écouter en
aucune façon, de sorte que nous estimons qu'il sera contraint de s'en retour-
ner en France, n — Ribier, II, 623.
' Poemata, f* ^3 v» et 24 r» ; Regrets, s. 110 (v. A. de Montaiglon, Huit
sonnets de 1. du Bellay, p. 12) ; Ode au Prince de Melphe (II, 88). Cette der-
nière pièce, la plus importante de toutes, fut composée pendant un séjour
du poète chez Caracciol, à Aiz-en-Olhe (près de Troyes), sans doute au retour
d'Italie (?).
- Poemata, f" 2t r", 2G r% 3o v% 41 v" ; Regrets, s. 53, o7, 61, 73, 75, 89,
92, 144. — Cf. Souspirs, s. 7, 139.
•' « Gordes, que Dubellay ajmc plus (jue ses yeux » (s. 75). — « Te plus
oculis meis amatum n {{" 33 v»). — « (lordi, plus oculis amate nobis » (f" 41 v).
' Regrets, s. 15 ; Souspirs, s. 41, 45, 90, 133 ; Odes de Magny, t. I, p. 47,
58, 89 ; t. II. p. 122. — Jean de Pardeillan, protonotaire de Panjas ou Pangeas,
auteur de poésies latines et françaises, a chanté ses amours pour Colombe.
Ses œuvres ne semblent pas avoir été publiées. On ne connaît de lui qu'un
sonnet en tête dos Souspirs (p. 4). Panjas a passé de son temps pour un grand
poète. iJans le liocage de 155i (f» 40 r"), Ronsard lui dédie une odelette,
qui est deveime la 23' Elégie (Blanchemain, IV, 305). On lit dans les Mignar-
dises (le Tahureau ([). 47) :
Je ne voudroy céder à mon Ronsard.
Haïf, Panjas, Bellay, Tiard, Jodelle
N'esmailleroient d'une plume si belle
Du Paphien le doux evolé dard.
Cf. encore p. 38 et 86. La Poësie de Loys le Garon (1554) fournit le même
témoignage (f" 47 V).
LA VIE DK JOACHIM A ROMK 3511
la Franco. Un sonnet des Regrets, adressé, ce semble, à
Ronsard, nous peint ces trois poètes, c£ue le hasard a rapprochés,
se lamentant sur leur exil :
Cependant que Magny suit son graml Avanson,
Panjas son Cardinal, et moy le mien encore.
Et que l'espoir flateur, qui noz beaux ans dévore,
Appaste noz désirs d'un friand hamesson,
Tu courtises les Roys, et d'un plus heureux son
Chantant l'heur de Henry, qui son siècle décore,
Tu t'honores toy mesme, et celuy qui honore
L'honneur que tu luy fais par ta docte chanson.
Las, et nous ce pendant nous consumons nostre aage
Sur le bord incogneu d'un estrange rivage,
Où le malheur nous fait ces tristes vers chanter :
Comme on voit quelquefois, quand la mort les appelle,
Arrengez liane à flanc parmy l'herbe nouvelle,
Bien loing sur un estang trois cygnes lamenter '.
IV
Après l'intimité de ces camarades d'exil, du Bellay n'eut
pas de plus douce consolation que les rapports qu'il entre-
tenait avec ses vieux amis de France. Son cœur ne les
oubliait pas. Le souvenir de leur tendresse, à tout moment,
revenait hanter sa pensée, toujours plus poignant et plus vif :
Je me pourmène seul sur la rive Latine,
La France regretant, et regretant encor
Mes antiques amis, mon plus riche trésor ^
' Regrets, s. 16. — V. le commentaire de Sainte-Beuve, qui rapproche ce
sonnet dun passaoe de Chateaubriand {Nouveaux Lundis. XIII. 335-337).
- Regrets, s. 19.
3o2. JOACHIM DU BELLAY
Il correspondait avec eux, prenant plaisir à recevoir de leurs
nouvelles, plaisir à leur donner des siennes. Ce commerce
allectueux était une part de sa vie.
Il suivait avec émotion les progrès que faisait la gloire
de Ronsard. Il applaudissait à la distinction accordée à son
grand ami par l'Académie des Jeux Floraux de Toulouse,
qui, jugeant Téglantine un trop petit honneur pour un poète
comme Ronsard, lui fiiisait don, sans qu'il eût concouru, d'une
Pallas d'argent massif (i554)'. H célébrait la nouveauté des
Hymnes récemment parus (i555) ^ Il exhortait le chantre de
Gassandre à laisser enfin les amours pour la poésie héroïque \
et stimulait son amour-propre à commencer cette Franciade,
toujours promise et toujours différée ". Il le félicitait d'enti'cr
vivant dans l'immortalité '. Il confiait à celui qu'il appelait
(( la moitié d(! son âme » ses mélancolies et ses désespoirs *.
Il lui disait les écueils de la mer romaine et les navrants
spectacles (ju'il avait sous les yeux '. Il s'ouvrait à lui de tous
ses tracas en de longues épîtres où se mêlait un sentiment
d'admiration et de tendresse % et, sans être envieux du sort
de Ronsard, qui vivait en France heureux et tranquille, il
opposait pourtant à ce bonheur ses propres infortunes et
celles de ses amis :
' On sait que Ronsard, habile courtisan, l'offrit au roi. V. Marty-Laveaux,
Notice sur Ronsard, p. xxxvi-xxxvii. — Du Bellay n'a pas consacré moins
de six pièces latines à chanter cet événement {Poemata, f" 26 \"-28 t°).
■ Regrets, s. 60. — C'est une lidèle analyse du premier recueil d'Hymnes
de Ronsard, puhl. chez André Wechel, 1553, in-4". (Bibl. Nat. — Rés Y^ 489).
^ Poemata, f» 20 r" : Ad P. Ronsardum ut relictis Amoribus Heroica
scribat.
* Regrets, s. :J2 et 23.
■• Regrets, s. 20.
« Regrets, s. «, 10, 16, 19.
' Regrets, s. 26 et 98.
"* Poemata, f" 10 v» : Ad P. Ronsardum lyrae GalUcae principem, épître
qu il a lui-même traduite en alexandrins (11, 118) ; Hymne de la Surdité
(II, 399).
l.A VIK DE JOACHIM A ROME 353
Nous chetils ce pendant, tius(iuels le ciel l'ail guei're,
Fuyons la pauvreté et par mer et par tene :
Mais l'importun souci qui nous suit pas à pas,
Et par terre et par mer, nous ne le fuyons pas.
Et t'aisanl un amer retour sur le passé lointain, il soupirait,
la mort dans l'àme :
Heureux, quand les douceurs de ma terre Angevine
M'allaictoicnt au gyron de la Muse divine ! (Il, 119).
Il aurait eu besoin, dans sa détresse, que Ronsard le récon-
fortât, le soutint de son amitié, lui fit l'aumône d'un peu de
sympathie. Mais le grand chef de la Pléiade, tout à ses
travaux, tout à ses honneurs, paraissait oublier son ancien
compagnon de lutte. Joachim en souffrait, sans vouloii* se
l'avouer à lui-même. Il s'en plaignait discrètement dans un
aimable badinage :
Musae, deliciae mei sudalis,
Qui me plus oculis suis araabat,
Quem plus ipse oculis meis amabam,
Aut si quicquam oculis mage est amaudum :
Quid causae esse putem, repente quod sic
Totus exciderim meo sodali,
Ut cui tôt modo miserim libellos,
Is ne versiculum quidem remittat ?
Sic nostri memor est bonus sodalis,
Qui me plus oculis suis amabat,
Quem plus ipse oculis meis amabam,
Aut si quicquam oculis mage est amandum ?
Et doucement il menaçait son vieil ami de lui adresser des
ianibes au lieu d ' hendécasyllabes, s'il persistait dans son
silence '. Je ne vois pas que Ronsard ait été bien sensible
^ Poemata, f» 23 v° : Ad P. Ronsardum.
Univ. de Lille. Tomk Vlll. A. 'là.
354 JOACHIM DU BELLAY
aux réclamations du pauvre exilé. Dans toute son œuvre, je
ne trouve que deux pièces qu'il ait écrites à du Bellay absent :
une ode du Bocage de i554 ', un sonnet des Amours de
Marie *.
Baïf était avec Ronsard un vivant souvenir des veilles
laborieuses du Collège de Coqueret. Aux Amours de Francine,
pour lesquels Bâïi" réclamait la faveur du chantre d'Olive
(i555) ", du Bellay répondait par de llatteurs compliments *.
Voulant donner signe de vie à ses meilleurs amis de France,
il leur adressait tour à tour quelque sonnet de ses Regrets.
Chacun d'eux en recevait, Belleau ', Bouju \ Denisot ', La
Haye*, Peletier % Saint-Gelays '", Sibilet ", surtout Paschal **
et Morel'\ Mais ce qui montre bien le culte profond et fidèle
dont il honorait ses amis, c'est la façon dont il pleura la
moi't de l'un d'entre eux. Jacques Tahureau du Mans '\ jeune
poète qui marchait à la suite de Ronsard, avait fait parvenir
' Bocage, f° 39 r*. C'est aujourd'hui l'ode 23 du livre II (Blanchemain, II,
170).
- Amours, s. ii du second livre (Blanchemain, I, 151).
3 Édit. .\Iarly-Laveaux, 1, 118-119.
' Poemata, f' 19 V : In Francinam I. A. Baijii ; De Melina et Francina
ejusdem Baifii. — Cf. Regrets, s. 24.
■ S. 71.
« S. 90.
' S. 21.
« S. 28. •
» S. 78.
<« S. 101.
<' S. 122.
'- S. 2, (36, 81, 102. — Sur Pasclial, v. plus loin, chap. vin, § ii.
'' S. 18, 33. 34, 36, 39, 8S, lOo, 111.— SurMorel, v. plus loin, chap. vi, § ni.
** Sur ce poète, v. II. Chardon, La vie de Tahureau, Paris, Picard, 188o,
in-8\ — Les poésies de Tahureau ont paru i)Our la première fois à Poitiers,
1554, in-8*, avec un privilège daté d'Escouan, 7 mars 1.547 ( n. s. 1548). On a
conclu de là que ces poésies étaient antérieures à la Pléiade, et l'on a fait
de Tahureau un précurseur. Un examen minutieux établit que ces poésies, —
à part peut-être quelques épigrunimes, qui sentent l'ancienne école, — sont
très certainement postérieures à 1550 : beaucoup sont adressées à des poètes
de la Pléiade et font allusion à des ouvrages publiés par eux ; le ton géné-
ral de ces poésies est d'un disciple de du Bellay et de Ronsard. Tahureau
n'est donc pas, comme le dit .M. Chardon, à lavant-garde de la Pléiade, mais
à la suite.
LA VIE DE .lOACHI.M A HOME 'io'o
à l'exilé romain une ode très émue où, drploraiit lîi longue
abseuce de Joachim, il disait les regrets de sou Anjou natal
et le deuil de la France entière :
Mais maintenant pour ton absence.
Ta terre est veuve du bonheui'
Qui la tenoit en ta présence,
Orgueilleuse de ton honneur.
Et non ton Anjou seulement.
Mais toute la France se treuve,
Pour te perdre si longuement,
Presque de toutes Muses ve4ive,
Vien resjouyr de ta venue
Ta France, qui pleine d'émoy,
Tousjours en dueil entretenue.
Ha languy pour l'amour de toy.
Vien voir tes plus cliers compagnons,
Vien, mon Bellay, ne les refuse,
Puis qu'ils sont des plus chers mignons
Du premier rolle de la Muse ' !
Du Bellay fut extrêmement touché de ce souvenir et de cet
appel : ainsi, de tous ses amis de là-bas, Tahureau était le
seul qui s'aperçût de son absence et le pressât de revenir,
le seul qui trouvât dans la circonstance des mots vraiment
partis du cœur ! Aussi, lorsqu'il apprit à peu de temps de là
(i555) la mort prématux'ée de ce jeune poète, qui donnait de
si belles espérances, il en eut un profond chagrin, et son cœur,
à son tour, parla dans ce sonnet :
N'estant de mes ennuis la fortune assouvie,
A fin que je devinsse à moy mesme odieux,
M'osta de mes. amis celuy que j'aymois mieux.
Et sans qui je n'avois de vivre nulle envie.
* Miifnardises de Tahureau, édit. Blanchemain, Genève, Gav, 1868, i). 100-
103.
356 JOACHIM DU BELLAY
Donc l'éternelle nuict a ta clarté ravie,
Et je ne t'ay suivy parray ces obscurs lieux ?
Toy, qui m'as plus aymé que ta vie et tes yeux,
Toy. que j'ay plus aymé que mes yeux et ma vie.
Hélas, cher compaignon, que ne puis-je estre encor
Le frère de Pollux. toy celui de Castor,
Puis que nostre amitié fut plus que fraternelle ?
Reçoy donques ces pleurs pour gage de ma foy.
Et ces vers qui rendront, si je ne me deçoy,
De si rare amitié la mémoire éternelle '.
Le culte des amis fut pour du Bellay, dans ses épreuves,
une hem-euse consolation. Il en eut une autre : le culte des
Muses. Accablé de soucis, consumé de regrets, il .se réfugia
dans la poésie, comme auprès d'une amie doucement mater-
nelle, qui réconforte et qui soulage. Il lui dit ses chagrins,
lui dévoila naïvement sa pauvre âme meurtrie, en fit la
confidente de ses secrètes pensées. La bienfaisante magicienne
eut le don d'alléger ses souffrances et. comme il dit lui-
même, d' « enchanter ses ennuis » . Il a célébré dans plusieurs
sonnets * ce pouvoir souverain de la Muse, mais nulle part
avec plus de bonheur que dans la dédicace de ses Regrets à
d'Avanson :
La Muse ainsi me fait sur ce rivage,
Où je languis banny de ma maison.
Passer l'ennuy de la triste saison,
Seule compagne à mon si long voyage.
' Regrets, s. 41. — Bien que le sonnet soit sans suscription, M. Chardon
estime (p. 71-72) qu'il se rapporte à Tahureau. Je ne vois pas à quel autre
il pourrait mieux convenir.
- Regrets, s. 11-14.
LA VIK DE JOACHIM A ROME » 357
La Muse seule au milieu des alaruies
Est asseurée, et ne pallist de peur :
La Muse seule au milieu du labeur
Flatte la peine, et desseiche les larmes.
D'elle je tiens le repos et la vie,
D'elle j'apprens à n'estre ambitieux ;
D'elle je tiens les saincts présens des Dieux,
Et le raespris de fortune et d'envie.
Pour ce me plaist la doulce poésie.
Et le doulx traict par ([ui je fus blessé :
Dès le berceau la Muse m'a laissé
Cest aiguillon dedans la fantaisie.
Touchant hommage à la divine inspiratrice qui faisait
jaillir de son cœur, ainsi qu'une source de mystérieux apai-
sement, tous ses meilleurs vers latins et français, les Poemata
et les Resrrets !
CHAPITRE V
LES « REGRETS «
I. — Les « Poemata ». — Pourquoi du Bellay écrit en latin.
— Valeur de ses œuvres latines.
II. — Les « Regrets ». — Époque de composition. — Caractère
nouveau du recueil : la poésie intime et personnelle.
III . — La partie élégiaque des « Regrets » . — Les « Tristes » d'Ovide.
— Les douleurs de l'exil. — L'amour du foyer et du sol
natal.
IV. — La partie satirique des « Regrets ». — Les « Satires » de
l'Arioste. — Comment du Bellay conçoit la satire. — La
peinture des mœurs romaines. — La Rome des cardinaux. —
La Rome des courtisanes.
V . — Valeur des « Regrets » . — L'alliance du lyrisme et de la
satire. — Un nouveau genre de sonnet. — Le style naturel
et facile.
Si Ton en croit Sainte-Marthe, c'est le cardinal du Bellay
qui poussa Joacliim à composer dos vers latins '. J'ignore
d'où Sainte-Marthe tenait ce détail : mais je le juge peu
* Elogia (1598). p. 40 : « Cum Romara profectus hortante lo. Bcllaio Car-
dinale gcnlilc suc ad Latina se convertissct, certe res illi paulo minori (sic)
felicilale successit : homini videlicet levioribus as.sueto. » — Cette assertion
est reproduite par Colletet, copie mscr., f" iJOv».
LES (( REGRETS )) 359
vraisemblable. Joachim navait pas besoin, pour s'exercer
aux vers latins, des conseils de son oncle. C'est une idée
qui devait venir naturellement à tout humaniste de la Renais-
sance foulant le sol de l'Italie, et la société des lettrés
romains, férus de poésie latine, et dont notre auteur briguait
les suffrages, contribuait encore puissamment à l'engager
dans cette voie. Parler latin à Rome ! mais c'était le tribut
nécessaire que tout savant esprit devait à la cité romaine !
Hoc Latium poscit, Romanae haec débita linguae
Est opéra, hue Genius compulit ipse loci '.
Et puis, les vers français n'étaient pas compris sur les bords
du Tibre. Ce doux Angevin en exil à Rome comparait son
sort à celui d'Ovide en exil au pays des Gètes, et, comme
l'auteur des Amours en était réduit à parler barbare pour
être entendu des barbares, l'ancien défenseur du français,
« cloué sur l'Aventin ainsi qu'un Prométhée » , oubliait sur
la rive étrangère sa langue maternelle, et. parmi les Latins,
se faisait Latin ■. Il en vint même, l'infidèle, à trouver dans
la Muse du Latium ces charmes clandestins et ces voluptés
adultères qui font préférer la maîtresse à l'épouse légitime :
nia quidem bella est. sed magis ista placet '.
Ces poésies latines, composées d' élégies, d' épi g" ranimes,
d'amours et de tombeaux *, ont été diversement appréciées.
De Thou les estime inférieures aux Regrets et aux Jeux
Rustiques '. Sainte-Marthe est du même avis, mais il ajoute
' Poemata, f ■ 13 r°,
' Poemata, f" 3 r" : Cur intermissis Gallicis Latine scribat ; — Regrets,
s. 10.
' Poemata, f" 16 v» : Ad Lectorem..
* loactiimi Bellaii Andini Poematuin Ubri quatuor : quibus continentur
Eleffiae. Varia Epigr. Aniores. Tumuli. Paris, Federic Morel. 1.158, in-i°.
Privilège daté de Fontainebleau, 3 mars 1357 (n. s. 1558).
' Lib. XXyi. ann. 1500 : « In Latinis. quae itidem Romae fecit, minus
felix fuit. » Édit. de Londres, 1733, t. II, p. 72.
3fi0 JOACHTM DU BELLAY
un correctif et se ralli(> à l'opinion de ceux qui jugent que,
s'il est sans égal dans la poésie française, du Bellay dans la
latine a peu de supérieurs *. Colletet. encore plus élogieux,
déclare qu'au gré des connaisseurs, ces vers latins se sen-
tent « du doux air du Tybre » que Tauteur respirait à
Rome '. Il est certain qu'ils ont beaucoup de charme et
qu'on y peut louer la finesse, l'élégance et la distinction.
Telle épigramme n'est pas indigne de Catulle ou de Martial ' ;
telle élégie pourrait être signée d'Ovide \ D'une façon géné-
rale, je ne vois pas que du Bellay tourne moins bien le
vers que son maître Dorât ou que son ami L'Hospital. PoiTr
ces habiles, le latin n'avait pas de secrets.
Les Poemata sont une source précieuse pour la vie du
poète : j'en ai déjà beaucoup tiré, j'aurai l'occasion d'y pui-
ser encore. Il ne me paraît pas utile, néanmoins, d'en faire
une étude d'ensemble : d'autant qu'un certain nombre de ces
poèmes ont été reproduits par l'auteur en français, et que
la rédaction française, presque toujours, a sur l'original
latin l'avantage d'être plus riche, plus étoffée en quelque
sorte, d'une expression aussi plus personnelle, conséquemment
plus savoureuse \ Maint sonnet des Regretx. et non pas des
' Elogia (1598), p. 40 : a Quanquam et carmen de Veronide, et lusus de
jmellae r.iptn, et arputa ciim primis epijïraïuniata suos merito laudatores
invenere, quorum judicio ut vix ullum in carminé Gallieo parem, sic paucos
habet lu Lalino superiores. » L'édit. de 1606 modifie paucos en paucissimos.
- Copie mscr.. f» "iO v°.
' In eum qui lihrum inscripserat Juvenilia (f° 18 v'i ; In titulum cujusdam
libri (f» 49 r") : In Didonem dormientem (f" 21 r'; ; In nimium laudatorem
if° 2H V") ; Cujusdam canis tumulus (f" 48 r°).
* In vitae quietioris commendationem ({" 9 v°) ; Patriae desiderium
(f° 12 r") ; Veronis in fontem sui nominis (f» 13 v»).
* Voici relevés très exactement les passages des Poemata que l'auteur a
repris en français : — f* 10 v". Ad P. Ronsarduni lyrae Gallicae principeni,
traduit tout au long en alexandrins (II, 118) : un distique de cette pièce,
Heas ubi contemptus forlunae ... a fourni le début du s. 6 des Regrets \
— 1" 12 r°. Patriae desiderium, coimuune origine des s. 30, 31 et 7 ; — f' 17 r°,
LES (( REGRETS )) 3fil
moins beaux, comme le sonnel du petit Lire ', lut conçu tout
d'abord dans la langue d'Horace, avant de trouver en fran-
çais sa forme définitive.
Il
Les Regrets * sont le chef-d'œuvre de Joachim du Bellay.
C'est un recueil de 191 sonnets % qu'il commença de composer
dans la troisième année de son séjour à Rome *, mais qu'il
Ad Herricum II ... =R. |"jl ; — f" :d4 r, Ad eundetn . . . = /J. 110 ; — f» 28 v»,
Ad D. Margaritam ... = /?. 174 ; — f" 'M v°, Ad lanum Auratum =
R. 130; — f» 41 r', liasia Faiistinae = Jeux Rust., Autre bajser (II, 347); —
f* 45 r», Romae veteris tumuliis —A. de /{. 4 ; — f" 45 r", Leonis Strozzae =
Sur la mort du seigneur Léon Strozzi (II, 155) ; — f" 46 v°, EJusdem [Sylviae
Mirandulae]^ Sur la mort de la seign. Syhna Mirandola (II, lr6) ; — f" 47 r",
lulii m Pont. Max. = R. 104 ; — f» 48 r°, Eorumdem ~ R. 109 ; — f " 48 r«,
Ascanii San^uinii . . . = R. 103 ; — f" 59 r°, EJusdem [Bonyveti] = Epitaphe
du seigneur Bonivel (I, 206). — Ces transpositions du latin en français étaient
familières à notre poète, qui les pratiqua jusqu'à sa mort : nous verrons
plus loin, chap. ix, qu'il lit en latin et français le Tombeau d' Henri II (1559).
Il est intéressant de saisir sur le vif ce travail de transposition dans une
lettre de du Bellay à Morel, récemment retrouvée par M. de Noihac et publiée
par lui dans la Rev. d'hist. litt. de la France, 15 juill. 1899. p. 3G0 : « Mon-
sieur et frère. N'ayant pour ceste heure la commodité de vous aller veoyr,
pour une despesche qui me tient empesché il y a ja troys jours, je me suys
advisé de vous saluer de ce petit mot et vous envoyer une coppie de la trans-
formation de la nymphe Veronis en la fontaine de Veron, que je vous prye
veoir et, si la trouvez digne de sortir dehors de nos mains, la faire mettre
en estampe de nostre M' Simon, pour puys apprès en faire ung beau petit
présent à Mons"^ de Nevers. que j'appelle Jacques Spifame, m'estant bien
au vray informé si c'est ou Jehan ou Jacques ou quelque autre nom. » Il
s'agit d'ime pièce des Poemata (f" 13 v) intitulée Veronis in fontem sui
nominis, Ad lac. Spiffamium Episc. Nivernens . La version française de cette
pièce n'a pas été recueillie par Aubert et semble perdue aujourd'hui.
'V. à ce propos les réflexions de Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis,
XIII, 343.
2 Les Regrets et autres œuvres poétiques de loach. du. Bellay Ang. Paris,
Federic Morel, 1558, in-4o. Privilège daté de Paris, 17 janv. 1557 (n. s. 1558).
' Du moins dans l'édition princeps (Bibl. Nat. — Rés. Y'. 410), reprod.
par Liseux (1876). Les s. 105-112 manquent dans les éditions ordinaires. V.la
plaquette d'Anatole de Montaiglon, Huit sonnets de loachim du Bellay,
gentilhomme angevin. Paris. Guiraudet et Jouaust, mars 1849.
' Cela résulte des s. 10, 27, 28, .33, 36, 85, 9i.
362 JOACHIM DU BELLAY
n'acheva pas à Rome. Si les 12- premiers sonnets furent
écrits là-bas, les sonnets 1 28-188 le furent en cours de route,
pendant qu'il revenait en France ; le reste (s. iSg-igi) semble
bien n'être éclos qu'après son retour à Paris. C'est donc
entre i555 et i558 c[ue se place la composition des Regrets.
Dès les premières strophes de sa dédicace, l'auteur a marqué
le caractère nouveau de son recueil :
Si je n'ay plus la faveur de la Muse,
Et si mes vers se trouvent imparfaits,
Le lieu, le temps, l'aage où je les ay faits,
Et mes ennuis leur serviront d'excuse.
J'estois à Rome au milieu de la guerre.
Sortant desjà de l'aage plus dispos,
A mes travaulx cherchant quelque repos,
Non pour louange ou pour faveur acquerre.
Ainsi voit-on celuy qui sur la plaine
Picque le bœuf, ou travaille au rampart,
Se resjouir. et d'un vers fait sans art
S'esvertuer au travail de sa peine.
Il revient sur ce point avec plus d'insistance dans les
sonnets qui servent à son livre de prélude (s. i-5). Le
premier notamment définit avec précision la nouvelle manière
du poète :
Je ne veulx point fouiller au sein de la nature,
Je ne veulx point cherclier l'esprit de l'univers,
Je ne veulx point sonder les abysmes couvers,
Ny desseigner du ciel la belle architecture.
Je ne peins mes tableaux de si riche peinture,
Et si haults arguments ne recherche à mes vers :
Mais suivant de ce lieu les accidents divers.
Soit de bien, soit de mal, j'escris à l'adventure.
LES « REGRETS )) 303
Je me plains à mes vers, si j'iiy quelque regret,
Je me ris avec eulx, je leur dy mon secret.
Comme estans de mon cœur les plus seurs secrétaires.
Aussi ne veulx-je tant les pij^ner et friser,
Et de plus braves noms ne les veulx desguiser.
Que de papiers journaulx, ou bien de commentaires.
Ainsi, c'est un journal intime, que l'auteur écrit pour lui-
même. Un plus savant ira rêver sur le Parnasse ou se
plonger dans l'Hippocrène : lui ne veut pas, pour polir et
limer ses vers, se consumer l'esprit, frapper sur sa table ou
ronger ses ongles : il veut simplement que ce qu'il compose
Soit une prose en ryme ou une ryme en prose. (S. u).
Adieu l'imitation des Grecs ! adieu l'antique et folle ambition
d'être un Horace, un Pétrarque, un Ronsard ! adieu l'audace
qui sied aux poètes aimés de Phébus ! Assagi désormais, il
a de moins hautes visées :
Je me contenteray de simplement escrire
Ce que la passion seulement me fait dire,
Sans rechercher ailleurs plus graves arguments. (S. 4)-
C'était l'entier renoncement aux rêves d'autrefois, l'oubli
voulu des prescriptions de la Deffence, l'abandon de la poésie
savante : mais c'était aussi la découverte originale de la
poésie personnelle et sincère.
J'escry naïvement tout ce qu'au cœur me touche,
s'écriait du Bellay (s. 21). A lui seul, ce vers est une
poétique.
D'un bout à l'autre des Regrets, on sent jaillir du cœur
les épanchements et les confidences. Tantôt le poète gémit
ses tristesses et ses déceptions, la ruine de ses espérances
et les chagrins de son exil. Tantôt il redit le dégoût que
^4 JOACHIM DU BELLAY
provoque en son àme le spectacle écœurant des hontes
italiennes et la colère qui le saisit contre des mœurs si
dépravées. Et c'est ainsi que tour à tour s'expriment dans
ses vers la douloureuse mélancolie d'un élégiaque et la mor-
dante causticité d'un satirique.
III
Éléj^iaque '. du Bellay le fut avec une profondeur d'accent
remarquable : mais cette inspiration est toute renfermée dans
une quarantaine de sonnets (s. 6-49)- II est vrai qu'ils sont
de tout premier ordre.
On y saisit ([uolques souvenirs d'Ovide '. Il fallait s'y
attendre : on ne pouvait raisonnablement espérer qu'un
ancien élève de Dorât dépouillât l'humanisme au point
d'oublier tout à fait l'auteur des Tristes et des Pontiques.
Mais ces ([uelques réminiscences n'ôtent rien au mérite émi-
nent du poète. Même lorsqu'il imite Ovide, il sait rester
original, parce qu'il est toujours sincère. Qu'on lise la ir« élégie
du IVe livre des Tristes, et qu'on relise ensuite la dédicace
à d'Avanson : on sera convaincu de cette vérité.
En racontant la vie de Joachim à Rome, j'ai déjà dit com-
ment il avait noté jour par jour ses ennuis, ses souffrances,
les sombres amertumes de son âme désenchantée. Nulle
part sa désolation ne s'est traduite en termes plus touchants
que dans ce beau sonnet, où l'exilé, meurtri par la réalité
des choses, se rappelle en pleurant « ses premières émotions
' Sur du Bellay poète éléfiiaqne. v. la conférence de M. Alexis Crosnier,
Les Regrets de Joachim du Hellaj, piihl dans la Rev. des Fac. cath de
l'Ouest, juin 189i, p. 727.
- Ainsi R. 10 -= Trist. HI, xiv, 30, el IV, i, 89 ; — A. 36 = Trist. V, x, 1 ;
— R. 40 = Trist. I, v. .^7; — fl. 70 — Trist. I, v, 19; — fi, 130 = Pont. I, m, 33,
LES (( R KG RETS )) 36o
poétiques, le premier frisson du g«''nie qu'il portait en lui ' ».
Las, où est maintenant ce mespris de Fortune ?
Où est ce cœur vainqueur de toute adversité,
Cest honneste désir de 1" immortalité.
Et ceste honneste flamme au peuple non commune ?
Où sont ces doulx plaisirs, qu'au soir sous la nuicl brune
Les Muses me donnoient, alors qu'en liberté
Dessus le verd tapy d'un rivage escarté
Je les raenois danser aux rayons de la Lune ?
Maintenant la Fortune est maistresse de moy,
Et mon cœur qui souloit estre maistre de soy,
Est serf de mille maulx et i-egrets qui m'ennuyeut.
De la postérité je n'ay plus de soucy ;
Ceste divine ardeur, je ne l'ay plus aussi.
Et les Muses de moy, comme estranges, s'enfuyent. (S. 6).
Des regrets, il en avait de toute sorte, et c'était autant
de tortures. Il regrettait la Cour, et la faveur du prince, et
le sourire de Marguerite, la docte et gracieuse patronne des
poètes (s. 7 et 8). Il regrettait l'espoir flatteur et mensonger
qui l'avait séduit dès l'abord, et 1" humeur vagabonde qui
l'avait jeté dans les aventures, à la recherche de la fortune,
bien loin de tout ce qu'il aimait (s. 25-3o). 11 regrettait
l'indépendance qu'il avait échangée contre la servitude, le
bonheur de vivre pour soi, content du peu que l'on possède :
G'estoit ores, c'estoit qu'à moy je de vois vivre.
Sans vouloir estre plus, que cela que je suis.
Et qu'heureux je devois de ce peu que je puis,
Vivre content du bien de la plume et du livre.
Mais il n'a pieu aux Dieux me permettre de suivre
Ma Jeune liberté, ny faire que depuis
' Faguet, Seizième siècle, p. 321.
366 JOACHIM DU BELLAY
Je vesquisse aussi franc de travaux et d'ennuis,
Gomme d'ambition j'estois fi^anc et délivre.
Il ne leur a pas pieu qu'en ma vieille saison
Je seeusse quel bien c'est de vivre en sa maison,
De vivre entre les siens sans crainte et sans envie :
Il leur a pieu (hélas) qu'à ce bord estranger
Je veisse ma franchise en prison se changer.
Et la Heur de mes ans en l'hyver de ma vie. (S. 37).
Il regrettait l'humble foyer, où l'on coule son âge « entre
pareils à soy »,
Sans crainte, sans envie, et sans ambition,
libre des soins fâcheux, des serves affections et des désirs
malsains (s. 38). Il regrettait surtout, d'un regret tendre et
caressant, les doux horizons du pays natal, les bois, les
champs, les vignes, les jardins et les prés traversés par la
Loire,
Et le plaisant séjour de la terre Angevine. (S. 19).
Painii les dél>i'is do la Rome antique et les splendeurs de
la cité des papes, il évoquait la vision du manoir paternel,
debout là-bas au bord de son lleuve gaulois. Il avait le mal
du pays, et son cœur angoissé se prenait d'un regret immense
pour la patrie lointaine, — ou plutôt pour ses deux patries,
la grande et la petite :
La France, et mon Anjou dont le désir me poingt ! (S. 25).
C'est un l'ail remarquable entre tous que ce culte fervent
pour le coin de province où l'on a vu le jour. L'amour du
sol natal se rencontre assez fréquemment chez les poètes du
xvi« siècle, mais chez personne plus radical et plus profond
que chez ce rêveur Angevin. Ronsard lui-même, lorsqu'il
LES (( REGUETS )) . 307
chante son Vendômois ', n'a pas do noti^s plus émues que
du Bellay pleurant l'Anjou. On m'en voudi-ait, dans une
étude sur du Bellay, de ne pas rappeler le sonnet immortel
qui fleurit chaque anthologie. Citons-le donc, après tant
d'autres, puisque aussi bien c'est une exquise volupté de
redire les jolies choses :
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son aage !
Quand revoiray-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Revoiray-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup d'avantage ?
Plus me plaist le séjour qu'ont basty mes ayeux,
Que des palais Romains le front audacieux.
Plus que le marbre dur me plaist l'ardoise fine :
Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin,
Plus mon petit Lyre, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur Angevine '. (S. 3i).
» Blanchemain, II, 148, 154, 159, 246, 249, 259, 425, 432.
^ Et voici maintenant le premier jet, en vers latins :
Foelix, qui mores multorum vidit et urbes,
Sedibus et potuit consenuisse suis.
Ortus quaeque sucs cupiunt, externa placentque
Pauca diu, repetunt et sua lustra ferae.
Quando erit, ut notae lumantia culmina villae,
Et videam regni jugera parva mei ?
Non septemgemini tangunt mea pectora Colles,
Nec retinct sensus Tybridis unda meos.
Non mihi sunt cordi velerum nionumenta Quiritùm,
Nec statuac, nec me picta tabella juvat :
Non mihi Laurentes Nymphae, sylvaeque virentes,
Nec inihi, quae quondam, (lorida rura placent.
Poemala, f» 13 r».
368 JOACHIM DU BELLAY
L'avouerai-je pourtant ? Ulysse et Jason me gâtent ce
sonnet. Ces souvenirs mythologiques sont la marque du temps,
je le sais, et, si l'on y tient, je reconnaîtrai que l'œuvre
n'aurait pas le cachet de l'époque, s'il ne s"y trouvait un peu
d'humanisme. Je lui préfère néanmoins l'admirable sanglot
que, dans sa détresse, (hi Bellay laisse échapper vers la
France maternelle :
France, mère des arts, des armes, et des loix.
Tu m'as nourry long temps du laict de ta mamelle :
Ores, comme un aigneau cpii sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.
Si tu m'as poui' enfant advoué quelquefois,
Que ne me respons-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, respons à ma triste querelle :
Mais nul. sinon Echo, ne respond à ma voix.
Entre les loups cruels j'erre parmy la plaine,
Je sens venir Ihyver, de qui la froide haleine
D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.
Las, tes autres aigncaux n'ont faute de pasture.
Us ne craignent le loup, le vent, ny la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troppeau. (S. 9).
Puissance du sentiment et beauté des images, tout dans ce
sonnet est en harmonie : jamais du Bellay ne fit preuve
d'une plus poignante émotion, d'une éloquence plus tragique.
Cet appel désespéré reste à mes yeux son vrai chef-d'oeuvre.
IV
Le contre-coup de ces souffrances fut un amer ressenti-
ment contre l'objet qui les causait. Rome était la grande
coupable, et du Bellay ne lui pardonnait pas les déceptions
LKS « HKGUETS )) 369
ot les chîiu^i'ins qu'il lui devait. Comme il avait l'esprit
mordant, il disposait de la vengeance : la colère excita sa
verve, et de l'élégiaque fit un satirique.
Une moitié des Reg'rets (s. So-ra^) est consacrée à la pein-
ture des mœurs romaines, et cette pai'tie de l'ouvrage n'est
assurément pas moins oinginale ([uc l'autre. Certes, du Bellay
n'était pas le premier qui prît en uiain contre ces mœurs le
fouet de la satire : d'autres avant lui s'en étaient armés.
L'Arioste notamment, dans plusieurs pièces écrites en tercets
sous la forme d'épîtres familières, s'était raillé des vices et
des travers de la société de son temps, en particulier du
clergé romain. Je ne refei'ai pas après M. Vianey ' la com-
paraison entre les Satires de l'Arioste et les Regrets de
du Bellay. C'est un point acquis désormais que, si le poète
angevin a subi l'influence de son pi'édécesseur. c'est d'une
façon toute générale : on saisit bien entre eux de vagues
ressemblances, qui s'expliquent très simplement, si l'on réflé-
chit qu'ils furent témoins à peu près des mêmes spectacles :
on ne surprend chez du Bellay aucune imitation précise,
aucun emprunt déterminé. M. Pflanzel. tout récemment, est
revenu sur ce sujet ^ : à peine a-t-il pu relever un vers tra-
duit du satirique de Ferrai'e par l'auteur des Regrets ' !
Du Bellay ne doit donc à la satire italienne que des traits
généraux : même après avoir lu l'Arioste, il est resté bien
personnel.
J'avais un instant supposé qu'il devait davantage aux
* Mathurin Régnier, p. 39-65. Thèse. Paris, Hachette, 1896, in-8».
^ Ueber die Sonette des Joachim du Bellay (1898), p. (>7.
^ ... Il giorno
Pieno di stelle, e a mezza nolte il sole.
Sat. ±.
La lune en plein midy, à minuict le soleil.
Regr. 150.
Univ. de Lille. Tome VIII A. 24.
370 JOACHIM DU BELLAY
pasquils '. Deux sonnets des Regrets (42 et r 08) , dont l'un
reproduit assez librement un de ces pasquils % m'avaient fait
présumer qu'il s'était inspiré maintes fois des épigrammes
sarcastiques. que des mains inconnues placardaient, dans le
mystère de la nuit, sur la statue mutilée de Pasquin. A-t-il
mis à profit quelques-uns des libelles, aujourd'hui disparus,
qu'il voyait affichés non loin de la place d'Agone ? Il se
peut bien : mais ceux que nous avons encore n'offrent que
des rapports lointains avec les sonnets de notre poète. Ainsi,
selon toute apparence, la satire des Regrets est pleinement
originale.
Gomment l'auteur l'a-t-il conçue ? — Il s'est plaint quelque
part de n'avoir pas ses coudées franches :
O combien est heureux, qui n'est contreint de feindre
Ce que la vérité le contreint de penser,
Et à qui le respect d'un qu'on nose offenser,
Ne peult la liberté de sa plume contreindre !
Et déplorant la retenue (pi'il devait s'imposer à lui-même, il
ajoutait :
Il n'est si grand' douleur, qu'une douleur muette ''.
Je ne vois cependant pas qu'il se soit gêné beaucoup. A
juger de la hardiesse de certaines de ses peintures, je me
demande ce qu'il se fût permis, s'il ne s'était contraint. La satire
* Pasquillorum tomi duo. Eleutheropoli [Bàle], MDXLIIII, in-S". (Arsenal.
— B. L. :mS. Kés.).
- Pasquillus de se ipso et origine sua. V. Anat. de Moiitaiglon, op. cit.,
p. 10.
^ S. 48. — Cf. s. 42 : Plût à Dieu, s'écrie du Bellay, que je fusse ou Pasquin
ou Marphore . . . Ma plume serait libre . . . Celui-là seul est roi,
A qui mesme les Rois ne peuvent donner loy.
Et qui peult d'un chacun à son plaisir escrire.
Cf. encore Poernata, f" 21 v" : Satyram periciilosiss. esse gerius scribendi, ad
Marinutn.
LES (( REGRETS )) 371
des Regrets se donne forte libertés, et même force licences.
Elle n'a rien de la satire impersonnelle et générale du bon
Horace * : elle attaque les personnes et les choses. Elle est
malicieuse et piquante, et cela jusqu'à l'amertume ; mais elle
est capable aussi d'enjouement et de gaieté. Du fiel, du sel,
du miel : — ainsi la juge, en vei'S latins, l'auteur lui-même,
et la caractéristique est des plus heureuses :
Quem, Lector, tibi nunc damus libellum.
Hic Jellisque simul, simulque melUs,
Permixtumque salis refert saporem -.
Certes, du Bellay n'a point aimé l'Italie. Un de ses son-
nets ' maudit Annibal, a le borgne de Libye », qui le premier, en
ouvrant le chemin de la péninsule, a préparé la diffusion de tous
les vices inhérents à l'àme italienne. C'est qu'en l'éprouvant
de plus près, par un contact de chaque jour, il avait reconnu
que cette àme était Inen inégale à l'idée qu'il s'en était
faite à travers la lecture de Pétrarque et des anciens Latins.
Et cette amère désillusion s' ajoutant à ses déboires personnels,
il avait conçu contre l'Italie une haine vigoureuse , d'où
procèdent les tableaux satiriques des Regrets.
Curieuse galerie que celle de ces tableaux ! On n'y saurait
mieux pénétrer qu'en lisant le sonnet où du Bellay met sous
nos yeux comme une vue d'ensemble de la Rome du
xvp siècle :
Si je monte au Palais, je n'y trouve qu'orgueil.
Que vice desguisé, qu'une cérimonie,
* Toutefois, le s. 62 contient une curieuse définition de la satire hora-
tienne. Les s. 50-36 développent une série d'idées morales tout à fait dans
le golit d'Horace.
^ Ad Lectorem, en tête des Regrets. — Cette épigramme est reproduite
dans les Poemata, t" 18 v' : In librum Tristium, authoris opus gallicum.
' S. 9o.
372 JOACHIM DU BELLAY
Qu'un bruit de tabourins. qu'une estrange armonie,
Et de rouges habits un superbe appareil :
Si je descens en banque, un amas et recueil
De nouvelles je treuve. une usure infinie.
De riches Florentins une troppe banie,
Et de pauvres Sienois un lamentable dueil :
Si je vais plus avant, quelque part ou j'arrive,
Je treuve de Vénus la grand' bande lascive
Dressant de tous costez mil appas amoureux :
Si je passe plus oultre, et de la Rome neufve
Entre en la vieille Rome, adonques je ne treuve
Que de vieux monuments un grand monceau pierreux. (S. 80).
La Rome antique, nous en avons déjà foulé le sol ; nous
avons contemplé ses ruines et médité sur ses débris \ Nous
suivions le poète dans son pèlerinage à travers la plaine pou-
dreuse où gisait le passé de Rome. Suivons-le maintenant
dans ses promenades à travers la cité moderne.
Des trois villes,» encloses dans la même muraille, qu'il a
tour à tour observées, il en est une qui tient très peu de
place dans les Regrets, et c'est dommage : c'est la ville des
banquiers. Du Bellay pourtant la connaissait bien : de par
ses fonctions d'intendant, il avait eu plus d'une fois atïaire
aux riches Florentins, aux Juifs usuriers, qui prêtaient à son
cardinal l'argent dont il avait besoin ; plus d'une fois, il
avait dû les (( courtiser » . pour tâcher d'obtenir la faveur
d'un nouvel emprunt ou le délai d'une échéance. On eût
aimé trouver W portrait de ces gens de finance sous la
plume d'un homme ({ui les avait tant pratiqués. A défaut de
cette peintui'e, ce qui revit dans les Regrets, c'est la Rome
des cardinaux et la Rome des courtisanes.
' V. ci-dessus, 'l' pari., chap. 11, p. 283.
LF.S (( REGRKTS )) 373
On sait ce qu'était au xvi*' siôclc la Cour dos papes , et
l'éclat mondain dont elle brillait. En quel(|ues traits précis,
l'auteur des Regrets a noté le caractère céréinoni(;ux de
cette Cour,
De ces rouges prélatz la pompeuse apparence.
Leurs mules. leurs liahitz, leur longue révérence '.
Il a décrit aussi les distractions et les plaisirs que présentait
la cité catholique, la folle ivresse du carnaval et des fêtes
romaines, les jeux de toute espèce, les combats de taureaux,
les courses aux flambeaux, les mascarades et les banquets ^
— Mais sous ces dehors si brillants, se cachaient bien des
vices. Et tout d'abord, l'hypocrisie régnait là en maîtresse.
Dissimuler, c'était à Rome le vrai moyen de parvenir. Du
Bellay le savait : il avait vu ces intrigants qui se poussaient
en Cour, à force de doucevir, de finesse et de ruse. Quelle
ironie dans cette esquisse !
Marcher d'un grave pas, et d'un grave sourci,
Et d'un grave soubriz à chacun faire feste.
Balancer tous ses mots, respondre de la teste.
Avec un Messer non, ou bien un Messer si :
Entremesler souvent un petit È cosi,
Et d'un Son seroitor' ' contrefaire l'honneste :
Et comme si Ion eust sa part en la conqueste.
Discourir sur Florence, et sur Naples aussi :
Seigneuriser chacun d'un baisement de main,
Et suivant la façon du courtisan Romain,
Cacher sa pauvreté d'une brave apparence :
' S. 119.
3 S. 120, 121, 122.
' On imprime généralement « son Servitor' ». et M. Marty-Laveaux (t. II,
p. 550, n. 33) voit là « un mélange de français et d'italien ». M. Petit de
JuUeville me fait observer que c'est plutôt la traduction de l'italien io sono
servitor' (je suis serviteur). Becq de Fouquières a donc raison d'imprimer
les deux mots en italiques (p. 227).
374 JOACHIM DU BELLAY
Voilà de ceste Court la plus grande vertu,
Dont souvent mal monté, mal sain, et mal vestu,
Sans barbe et sans argent on s'en retourne en France. (S. 86).
Et c'était aussi l'ambition, l'àpre désir de la faveur et du
pouvoii-. Dans un admirable sonnet, où l'on retrouve, dit
M. Faguet '. (( quelque chose de la puissance pittoresque de
Ju vénal ». du Bellay nous transporte au chevet du pape ma-
lade : autour du vieillard se pressent ses courtisans ; ils sont
là. pâles, inquiets, tremblants à chaque accès de toux, de
xoir. avec la vie du moribond, s'évanouir leur fortune. Je ne
sais rien, dans l'œuvre entière de Joachim. de plus saisis-
sant que cette eau-forte :
Quand je voy ces Messieurs, desquelz l'auctorité
Se voit ores icy commander en son rang.
D'un front audacieux cheminer liane à flanc,
Il me semble de voir quelque divinité.
Mais les voyant pallir lors que sa Saincteté
Crache dans un bassin, et d'un visage blanc
Cautement espier s'il y a point de sang,
Puis d'un petit soubriz feindre une seureté :
O combien (di-je alors) la grandeur (jue je voy.
Est misérable au pris de la grandeur d'un Roy !
Malheureux qui si cher achète tel honneur.
Vrayement le fer meurtrier, et le rocher aussi
Pendent l)ien sur le chef de ces Seigneurs icy.
Puis que d'un vieil fdet dépend tout leur bonheur -. (S. ii8).
' Seizième siècle, p. 305.
- « En dépil des faiblesses et des néj^ligences de l'expression, dit M. Le-
nient, ce crachat, qui fait la joie ou la terreur de tant de gens, qui peut
demain mettre en émoi le monde entier, est plus éloquent encore que le
grain de sable égaré dans la vessie de Cromwell. » La Satire en France au
XVI* siècle, t. I, p. \i'.i.
LES (( REGRETS » 375
Si l'on en croyait du Bellay, la Cour do Rome aurait été
le siège des sept péchés capitaux '. Et môme certains vers
de lui nous font entrevoir des crimes monstrueux perpétrés
dans r ombre :
Heureux qui peult long^ temps sans danger de poison
Jouir d'un chapeau rouge, ou des clefz de Sainct Pierre ! (S. 94).
Icy mille foi'faitz pullulent à l'oison,
Icy ne se punit l'homicide ou poison. (S. 127).
J'incline à croire que le satirique a quelque peu chargé
sa peinture et que. dans son tableau de Rome, il a fait
entrer plusieurs traits qui seraient plus exacts d'une époque
antérieure. Il faut reconnaître pourtant que le clergé romain,
même après le pontificat de Paul III, qui avait commencé
la réforme, laissait beaucoup à désirer au point de vue
moral. Il demeurait très inférieur au clergé français ^ Le
cardinal de Lorraine, qui n'était cependant pas un modèle
de vertu, parlait avec indignation de certains désordres hon-
teux que Paul lY tolérait, lui si rigide, même parmi ses
plus proches parents ^
II serait hasardeux d'insister longuement sur les sonnets
» S. 78, 79, 81, 82. 101-113, 127.
- « Vostre Eglise Gallicane est celle qui aujourd'huy est des plus grandes,
plus entières et moins contaminées en ce qui touche la foy et les mœurs. »
Le card. du Bellay au Roi, lettre datée de Rome, 14 sept. 1348. (Ribier, II, 164).
' Le card. de Lorraine à M. de Selve, 17 janv. 1338. (Ribier, II, 721-722),
Cf. G. Duruy, Le Cardinal Carlo Carafa. p. 296 298. Du Bellay fait allusion
à ces faits scandaleux dans le s. 103 des Regrets — Bandcllo, moine domi-
nicain, auteur de Nouvelles (Lucques, 1334), condamnait en ces termes les
vices du clergé romain : « Tuttavia se mi fosse lecito il dire, io con rive-
renza direi, che l'avarizia e l'ingordigia de' sacerdoti sia quella che in gran
parte abbia dato grandissime foiiiento a queste diavolerie, e darà via mag-
giore, se la Chiesa non mette mano alla emenda de' cherici e di tutti i
cristiani » Cité par Ginguené, Hist. litt. d'Italie, VIII, 489.
376 JOACHIM DU BELLAY
OÙ tlu Bellay nous a décrit le monde des courtisanes '. Le
sujet est scabreux, et l'auteur se complaît un peu trop ici à
rivaliser avec l'Arétin. Pour peindre ce milieu comme il Ta
peint, il est clair qu'il le connaissait mieux qu'il ne prétend.
S'il était d'abord resté sage, il avait fini, lui aussi, par céder
à la tentation '. et la chute était d'autant plus facile que les
occasions de pécher, certes, ne manquaient point '. Les cour-
tisanes à Rome se comptaient par milliers *. Depuis la fin
du xv siècle, elles avaient envahi les quartiers les plus
opulents de la ville : leurs élégantes ou somptueuses
demeures se voyaient dans la via Giulia. sur la place
Colonna. près du palais Carpi. autour des ambassades, et
principalement de l'ambassade de France '. Elles se prome-
naient par les rues, montées dans des carrosses, étalant aux
yeux leurs riches parures et leur impudeur: ou bien encore, en
habits d'hommes, elles paradaient à cheval, pompeusement ^
' S. 87-100. — Un de ces sonnets, le s. 91, est traduit à peu près littérale-
ment d'un sonnet de Berni sur les beautés de sa maîtresse. C'est d'ailleurs
la seule traduction qu'on relève dans les Regrets. Il est curieux de remar-
quer que Saint-Gelays avait déjà traduit le sonnet de Berni (édit. Blanche-
main, I, 283).
- Voyez dans les Poemata (f° 49 r°, Grassini juvenis tumulus), la triste
hisloire d'un jeune homme qui, resté longtemps chaste à Rome, iinit par
succomber à l'amour.
'' E. Rodocanachi, Courtisanes et Bouffons. Étude de mœurs romaines au
XVI* siècle Paris, Flammarion, 1894.
' En 14!X), sur une population de 100.000 habitants, il y avait à Rome
6800 courtisanes (Burckhardt, t. II, p. 148| . Au temps de Sixte-Quint, on en
fit un dénombrement : on on trouva 17.000 (Rodocanachi, p. 21).
■ Rodocanachi, p. 22.
" S. 131 :
Celuy qui par la rue a veu publiquement
La courtisanne en coche, ou qui pompeusement
L'a peu voir à cheval en accoustrement d'homme
Superbe se monstrer : celuy qui de plein jour
Aux cardinaulx en cappe a veu faire l'amour.
C'est celuy seul (Morel) qui peult juger de Rome.
M. 'Vianey (p. 64) conteste la vérité du dernier trait. L'histoire nous apprend
qu'on vit le trop fameux cardinal Monte, l'ancien protégé de Jules III, pro-
LES (( REGRETS » 377
Pour donner une idée du talent descriptif de mon poète
dans cette partie de son œuvre, je citerai, encoi-e que la
peinture en soit un peu vive, le sonnet qu'il consacre aux
(( jeux )) des courtisanes :
En mille crespillons les cheveux se trizer,
Se pincer les sourcilz, et d'une odeur choisie
Parfumer hault et bas sa charnure moisie,
Et de blanc et vermeil sa face desguiser :
Aller de nuict en masque, en masque deviser,
Se feindre à tous propos estre d'amour saisie,
Siffler toute la nuict par une jalousie.
Et par martel de l'un, l'autre favoriser :
Baller. chanter, sonner, folastrer dans la couche,
Avoir le plus souvent deux langues en la bouche.
Des courtisannes sont les ordinaires jeux.
Mais quel besoing est- il que je te les enseigne ?
Si tu les veuls sçavoir (Gordes) et si tu veuls
En sçavoir plus encor', demande à la Chassaigne. (S. 92).
Dans les Regrets, du Bellay s'est mis tout entier. 11 nous
a donné là le meilleur de lui-même, tout son esprit et tout
son cœur. C'est avec son esprit qu'il a raillé les mœurs romai-
nes, avec son cœur ([u'il a pleuré son cher Anjou. On ne
mener dans son carrosse, durant tout le carnaval, Camilla di Pitiliano, et
se gaudir très ostensiblement en sa compagnie. (Rodocanachi, p. 78). — Je
ne voudrais pas en trop dire : il est certain pourtant que du Bellay fut le
témoin de maint fait scandaleux, ne serait-ce que celui-ci : le cardinal Caraffa
retint le duc de Guise un mois entier à Rome (1357), « l'entretenant de toutes
délices, festins, courtisannes, vierges et femmes mariées, dont ce gouffre
d'abomination a accoustumé de fournir. » (Vieilleville. cité par Forneron,
Les ducs de Guise et leur époque, Paris. Pion, 1877. t. I. p. 203 1.
378 JOACHIM DU BELLAY
saurait trop admirer la réunion chez le même homme de ces
deux facultés qui très souvent s'excluent. Il les a possédées
l'une et l'autre, et chacune éminemment. En lui se fait, pour
la première fois peut-être dans notre littérature, l'alliance
originale de la satire et du lyrisme. Il eut d'ailleurs le sen-
timent très net de cette nouveauté, dont il crut devoir s'ex-
cuser :
Mais tu diras que mal je nomme ces regretz,
Veu que le plus souvent juse de mots pour rire.
Et je dy que la mer ne bruit tousjours son ire,
Et que tousjours Phœbus ne sagette les Grecz.
Si tu rencontre donc icy quelque risée.
Ne baptise pourtant de plainte desguisée
Les vers que je souspire au bord Ausonien.
La plainte que je fais (Dilliers) est véritable :
Si je ry. c'est ainsi qu'on se rid à la table :
Car je ry. comme on dit. d'un riz Sardonien'. (S. 77).
L'introduction de la satire dans le sonnet est un fait
littéraire de première importance. Jusqu'alors, je l'ai dit ", la
' Cf. dédicace à d'Avanson :
Quelqu'un dira : De quoy servent ces plainctes'
Comme de l'arbre on voit naistre le fruict,
Ainsi les fruicts que la douleur produict,
Sont les souspirs et les larmes non feinctes.
De quelque mal tin chacun se lamente,
Mais les moiens de plaindre sont divers:
J'ay, quant à moy, choisi celuy des vers
Pour desaigrir l'ennuy qui me tormente.
Et c'est pourquoy d'une doulce satyre
Entremeslant les espines aux fleurs,
Pour ne fascher le monde de mes pleurs,
.j'appresle icy le plus souvent à rire.
' V. ci-dessus, I" part., chap. vi, § 11, p, 17.3.
LES (( REGRETS )) 379
formo (lu sonnet, au ju^oniont Je nos poètes, n'avait point
paru susceptible d'exprimer autre chose que des émotions
graves, et surtout les passions de l'amour. Déjà, dans ses
Antiquitez de Rome, du Bellay, tout en conservant au
sonnet son caractère élégiaque, en avait agrandi le cadre, au
point de lui confier la traduction des rêveries historico-pliilo-
sophiques. Mais cette fois, la transformation était radicale :
du Bellay innovait le sonnet satirique et. dans l'espace de
quatorze vers, faisait tenir tout un portrait humoristique, tout
un tableau de mœurs '. Ainsi, l'humble poème qui semblait
limité dans son inspiration autant que dans sa forme, appa-
raissait comme capable de s'élargir indéfiniment, de se plier
tous les caprices de la pensée, de rendre au gré de l'artisan
les choses plaisantes et les choses tristes , — en un mot ,
d'embrasser le domaine entier de la poésie.
Et maintenant, faut-il parler du style des Regi^ets ? 11 a
toutes les qualités, mais celle-ci surtout d'être extraordinai-
rement naturel et facile. A lire ces sonnets d'un tour si vif,
d'une langue si aisée et si souple, il semble, en vérité, qu'ils
soient venus sans peine à l'esprit de l'auteur, et, pour tout
dire, qu'ils aient coulé de source. Qu'on ne s'y trompe pas
pourtant : ce naturel nous cache un art profond, et ne
l'atteindrait pas qui veut. Du Bellay le laissait entendre avec
un sourire ironique :
* Vauquelin de la Fresiiaye, dans son Art Poétique, observe tinenienl que
du Bellay le premier aiguisa le sonnet, en le rendant capable de satire :
Et du Bellay quitant cette amoureuse flame,
Premier list le Sonnet sentir son epigrame :
Capable le rendant, comme on void, de pouvoir
Tout plaisant argument en ses vers recevoir.
Édit. G. Pellissier, p. 35
CoUetet dit aussi {Traité du Sonnet, 1G58, p. 32) : « Du Bellay fut le premier
de tous nos poètes qui enrichit la lin du Sonnet de quelque pointe d'esprit. »
Cf. Pflànzel, op. cit., p. 73-75 : il établit qu'en fait de pointe, Mellin de
Saint-Gelays avait un peu frayé la voie à du Bellay.
380 JOACHIM DU BELLAY
Et peult estre que tel se pense bien habile,
Qui trouvant de mes vers la ryme si facile,
En vain travaillera, me voulant imiter. (S. 2).
Faire difficilement quelque chose de facile, c'est, dit-on, le
secret du génie. Pour une fois, Joachim du Bellay s'est avisé
de ce secret : il y a gagné de produire un chef-d'œuvre.
CHAPITRE VI
RETOUR EN FRANCE
1557-1558
I. — La passion de Joachim pour Faustine (1557).
II. — Départ de Rome (août 1557). — Itinéraire. — Retour â
Paris. — Une pièce de Dorât.
III. — La maison de Jean de Morel. — Intimité de du Bellay et
de Morel.
IV. — Les tracas domestiques du retour. — Publication des
recueils composés en Italie (1558).
Du Bellay était depuis quatre ans aux bords du Tibre, et
jusqu'alors il avait bravé fièrement le coup d'œil des beautés
romaines, lorsqu'un jour, nous dit-il. Gupidon le frappa
d'une flèche : il devint amoureux de Faustine *.
Qu'était-ce que cette femme, qui allait captiver les sens et
^ Poemata, f° 34 v» : Faustinam primam fuisse quant Romae adamaverit.
382 JOACHIM DL BELLAY
le cœur du poète durant les derniers mois de son séjour à
Rome ? Était-ce la Faustine qu'un sonnet de Magny * place
en bon rang parmi les courtisanes que fréquentaient ses
compagnons ? N'était-ce pas plutôt quelque noble Romaine ?
On peut tout supposer. Du Bellay nous tait son nom de
famille : il la surnomme Columba "". surnom charmant \ dont
il a soin de nous indiquer l'origine :
Tu tenero morsus figebas dente proterva,
Alque coliimbatini basia longa dabas.
Ce que nous savons, c'est qu'elle était belle : elle avait les
yeux et les cheveux noirs, un large front blanc comme neige,
des joues rosées, des lèvres roses ". Telle était sa beauté
qu'elle mil aux prises des cardinaux '.
Cette femme si séduisante, du Bellay l'aima vraiment, non
plus de tête, comme il avait aimé Olive, mais avec son
cœur et sa chaii'. d'une passion ardente, fougueuse, tourmentée.
Soit qu'il ait été retenu par un sentiment de pudeur, soit
qu'il ait jugé le français impuissant à traduire la violence de
' Souspirs, s. 82.
- l'oernata, t" 'M \<> : Cognomen Faustinae .
' Il le rend en français par le joli diminutif « Columbelle » (Jeux Rusti-
ques, II, 34;i).
* Foemata, ï" 39 v"
Sive nigrantes oculos, comasque,
Fronlis aut lalae niveum nitorem,
Seu gênas spectes roseas, rosisque
Picta labella.
=• Poemata, f^ 38 r»
Non Sophiae studium doctes, non purpura Patres,
Nec clypeus lexil fortia corda Ducum.
Inter se poluit sanctos committere Paires
Faustina. usque adco forma superba fuit.
RKTOUR i-:n fhanck .'3X3
sa passion, c'est en laliu qu'il la clianta '. Lcsbio, Délie,
Cyntliie, Corinne, hantaient d'ailleurs sa voluptueuse imagi-
nation, et, suivant la fine remarque de M. Faguet % c'était
en quelque sorte redevenir Catulle et réaliser pleinement un
rêve d'humaniste, qu'aimer à Rome une Romaine, en vers
latins, avec une àme toute latine.
Les biographes du poète se sont étendus à plaisir sur cet
épisode de sa vie \ Du Bellay goûta quelque temps la suprême
félicité ". « Toutefois son bonheur dura peu. Il avait si
bien oublié que Faustine fût mariée, qu'il n'avait pas même
songé à nous le dire ; mais tout à coup, quoiqu'un peu tard,
survient un vilain époux, glacé par l'âge ; le cruel enlève
Faustine du sein de sa mère, sans qu'elle ait rien mérité de
tel, dit naïvement du Bellay, qui se repent de ne pas s'être
trouvé là pour voler au trépas, comme Corœbus quand Ajax
entraine Cassandi'e % et déplore que ce maudit mari n'ait
pas usé envers sa Faustine et lui du stratagème employé par
Vulcain à l'égard de Mars et de Vénus ''. Privé d'une telle
consolation, il erre, dévoré de jalousie, devant la porte de
la maison où Faustine est enfermée avec son vieil époux ' ;
' Poemata, f"* 34 r'^-42 r». — Il n'est question de rien dans les Regrets : à
peine saisit-on (s. 87) une vague allusion à quelque mystérieux amour qui
le tiendrait enraciné.
- Seizième siècle, p. 320, et Revue des Deux-Mondes, 1" mai 1894, p. 137,
article sur l'Alexandrinisme.
3 Sainte-Beuve, Notice sur J. du Bellay, p. 343-345; — Marty-Laveaux,
Notice, p. xxi-xxm ; — Séché, Notice, p. 29-32 ; — Faguet, Seizième siècle,
p. 317-320; — Ballu, Notice, p. lxx-lxxix.
* Poemata, f" 35 r" :
Venit in amplexus terque quaterque meos.
Cf. les lascives descriptions de la pièce Ad Polydorum, î" 39 v" :
Quaeque non una tulimus beati
Gaudia nocte.
^ Poemata, f» 38 r" : Quomodo rapta fuerit Faustina.
^ Poemata, f" 35 V ; De Vulcano et marito Faustinae.
' Poemata, f" 35 r" : Ad januam Faustinae.
384 JOACHIM nu bkllay
et pendant dix jours il se traîne, brûlant de fièvre, épuisé
par la toux, et, il faut bien le dire, par un rhume de cerveau,
et buvant au lieu de vin des tisanes adoucissantes '. »
Ce qui frappe dans cet amour, c'est son caractère païen.
Le mari de Faustine. las de son rôle de Cerbère, l'avait,
pour plus de sûreté, mise au couvent -. Veut-on savoir quelles
pensées cela suscite en du Bellay ? C'était l'époque où les
Français traversaient Rome pour aller conquérir le royaume
de Naples. L'expédition est sans attrait pour ce fier gentil-
homme. 11 s'agit bien d" aller se battre et de venger l'antique
égorgement des vêpres siciliennes ! Soldat de Vénus, il rêve
d'une autre conquête : délivrer sa maîtresse captive au fond
du cloître, voilà sa guerre à lui !
Ast ego qui Veneris miles. Martemque perosus
Haud anirao tantura concipio facinus,
Solvere tentabo captivae vincla puellae,
Quae mihi longe ipsis charior est oculis.
Haec repetenda mihi tellus est vindice dextra.
Hoc bellum. haec virtus. haec mea Parthenope '\
11 y a plus : ce catholique, secrétaire d'un cardinal, ancien
* Poemata, f" 39 r» : Ad Polydoram de Faustina :
Me Huens hunior cerebro malignus,
Febris atque ardens, et anhela tussis
Jam decem lotis relinet diebus
Membra Irahcntem.
Non mihi dulcis latices Lyaei,
Sed sitim sedant medicata nostram
Focula, atque imas pcnitus perurit
Fiaiuma meduUas.
— Marly-Laveaux, Notice sur J. du Uellaj, p. xxii-xxiii.
- Poemata, {" 34 v :
Nec salis hoc : Iradit formosam in vincla puellam,
Et sacrae cogil claustra subirc domus.
' Poemata, {' 38 v» : Ad milites Galles, cum ad bellum Neapolitanum pro-
Jiciscerentur .
RRTOUR EN FRANCE 385
chanoine de Paris ', na point le respect des couvents. Dans
les nonnes il voit des vestales ; le saint amour qui les
embrase, c'est le feu perpétuel de Vesta. Fassent les Dieux,
s'écrie du Bellay, qu'à leur contact redouble la flamme de
Faustine ■ ! Ajouterai-je qu'il foi*me le vœu très profane de
se voir enfermé avec elle ' ? Oh ! s'il pouvait imiter Jupiter,
se métamorphosant jadis en la chaste Diane ! De jour, sous
le couvert du voile virginal, comme il observerait les rites
sévères du saint lieu ! comme il rendrait aux Dieux les
devoirs consacrés ! Mais une fois la nuit tombée ... il rede-
viendrait Jupiter :
Sic gratis vicibus, Vestae Venerisque sacerdos,
Nocte parum castus, luce pudica forem.
Vénus est bonne aux amoureux. Du Bellay la priait, pour
obtenir la délivrance de son amie : il vouait à la déesse des
fleurs pourprées , des violettes . des roses , un couple de
colombes *. La déesse attendrie rendit Faustine à ses caresses.
C'est du moins ce qu'on peut conclure d'un petit poème
enthousiaste, « le plus joli des poèmes latins de du Bellay »,
au dire de M. Faguet ^ :
Jani mihi mea reddita est Golumba.
Vos tristes elegi valete longum-
At vos molliculi venite versus,
Dum cano reditum meae Golumbae,
Quam plus ipse oculis meis amabam,
Cujus basia, blandulumque murmur.
Lusus, nequitiae proterviores.
Et morsus poterant, micante rostro.
' V. plus loin, chap. x, § i.
- Poemata, f° 36 V : Cur Vestalibus innati sint velut quidam amoris
igniculi.
^ Poemata, f" 36 r" : Optât se inchisnm cum Faustina.
* Poemata, f" 40 r' : Votiim ad Venerem.
' Seizième siècle, p. 319.
Univ. de Lille. Tome VIll. A. 25.
386 JOACHIM DU BELLAY
Ipsum vincere passerem Catulli.
Nam mellita fuit, venusta. bella,
Pulchra. candidula, atque délicate,
Nil mage ut queat esse delieatum,
Mellitum magis, aut magis venustum.
At vos, hendecasyllabi fréquentes,
Versus raollieuli venustulique,
Adesle hue, precor : et quot estis oranes,
Formosae Yeneri bonisque Divis
Yotum solvite pro mca Golumba '.
A voir ce que ces vers contiennent de tendresse et de
volupté '\ qui pourrait douter un instant de Taction exercée
sur le cœur du poète par ce profond et très réel amour ?
II
Le doyen du Sacré-Collège eut-il vent de cette liaison ?
Toujours est-il que c'est fort peu de temps après cette aven-
ture qu'il renvoya son secrétaire, en le chargeant d'une
mission de confiance ' sur laquelle nous reviendrons *.
Du Bellay quitta Rome, suivant toute apparence, à la fin du
mois d'août loS^ '. Le sonnet 128 des Regrets indique nette-
' Poemata, f° 40 v° : Voti solutio.
- V. encore la pièce Jiasia Faustinae, f» 41 r".
•■' Elégie à Morel :
Tum dciuuia in p.Ttriani (sic ras tune poscere visa est)
Diinissos Uoma nos remeare jubet,
El sua coniniillit curanda négocia nobis,
Experlus nostrani scilicet aute lideni.
^ V. plus loin, ehap. x, §1.
'- Gerlainemenl, il était encore à Rome le 10 août 1557, puisqu'il fit en
vers latins {Poemata, f" 50 r") l'épitaphe du cardinal Mignanelli, mort ce
jour-là (Ciaconius, Uistoriae Pontijicum . . . , t. III, col. 777-778). — Le début
RETOUR EN FRANCE 387
ment qu'il dut prendre la voie de mer *. C'est qu'à cette
époque, en effet, le duc d'Albe n'était plus qu'à une quinzaine
de milles de la grande cité ' : la campagne n'était pas sûre.
J'incline à croire qu'après une navigation passablement hou-
leuse, il débarqua dans quelque port, — peut-être à Givita-
Vecchia, — pour reprendre la voie de terre à travers les
États de l'Église. A partir de ce moment-là, nous avons son
itinéraire : sept sonnets des Regi^ets (i32-i38) nous permettent
de le suivre dans son voyage de retour. 11 y note avec
précision, en même temps que ses étapes, les impressions
qu'il a reçues en cours de route. Plusieurs de ces petits
poèmes sont des modèles de description humoristique et
pittoresque.
Si dans Ihospitalière cité d'Urbin, patrie de son ami
Vineus, il trouva le meilleur accueil, dans les États du Pape
il souffrit de faim et de soif :
C'est pitié, comme là le peuple est inhumain,
Comme tout y est cher, et comme Ion y pinse. (S. i32).
»
Ce fut bien pis au duché de Ferrare, — un « enfer », nous
dit-il. Il passa par Venise, dont il a tracé un vivant tableau ',
de la i)ièce In eos qui bello Quintiniano occiibuerunt Lacrymae {Poeniata,
{" 52 r") semble bien indiquer que son départ de Rome suivit de fort près
la nouvelle du désastre de Saint-Quentin. Or, c'est le 2.3 août qu'on apprit
à Home cette terrible délaite (G. Duruy, Le Cardinal Carlo Carafa, p. 230).
' Cf. Poemata, P .31 v" :
Sed (o spes hominum levés ! ) reversum
Per tôt heu pelagi aestuantis undas . . .
et f» o2 1» :
Per saxa et scopulos, ventosa per aequora vecti,
Dura pulchrae cainpos linquimus Hesperiae . . .
- G. Duruy, op. cit., p. 238.
' Il ne sera pas sans intérêt de rapprocher de ce tableau la description
que fait Marot, dans son Epistre envoyée de Venise à Madame la Duchesse
de Ferrare (Edit. Voizard, p. 132).
388 JOACHIM DU BELLAY
que termine un trait de satire à l'adresse des doges, (( ces
vieux coquz », qui solennellement
vont espouser la mer,
Dont ilz sont les maris, et le Turc l'adultère. (S. [33).
Puis il traversa les Grisous, ce qui lui parut un supplice digne
des plus grands criminels (s. i34). De Coire à Genève, il eut
le temps de bien examiner la Suisse. Il consigna dans un
curieux sonnet le résultat de ses observations :
La terre y est fertile, amples les édifices,
Les poelles bigarrez, et les chambres de bois,
La police immuable, immuables les loix.
Et le peuple ennemy de forfaitz et de vices.
Hz boivent nuict et jour en Bretons et Suysses,
Hz sont gras et refaits, et mangent plus que trois :
Voilà les compagnons et correcteurs des Roys,
Que le bon Rabelais a surnommez Saulcisses.
Hz n'ont jamais changé leurs habitz et laçons,
Hz hurlent comme chiens leurs barbares chansons,
Hz comptent à leur mode, et de tout se font croire :
Hz ont force beaux lacz et force sources deau,
Force prez, force bois. J'ay du reste (Belleau)
Perdu le souvenir, tant ils me firent boire. (S. i35).
Genève, la cité protestante, lui déplut par son aspect maus-
sade et par un rigorisme qu'il jugea hypocrite (s. i36). Enfin,
il mit le pied dans Lyon. Quel soupir de soulagement ! « Ce
beau Lyon », c'était la France ! La patrie de Maurice Scève
le ravit, avec son peuple d'artisans, de marchands, de ban-
quiers, d'armuriers, d'imprimeurs (s. i^j). De Lyon, il gagna
Paris : comme tous les Français qui reviennent de loin, il
RETOUR EN FRANCK 389
en découvrit les merveilles : il en fut ('bloui '. Toiilclbis, ce
qui ne put lui plaire,
Ce fut l'estonnement du badaud populaire,
La presse des chartiers, les procez, et les fanges. (S. i38).
En rentrant à Paris, du Bellay se faisait un bonheur de
retrouver ses vieux amis, Ronsard. Morel, Dorât, La Haye,
Paschal : il les voyait de loin tendant les bras vers lui, le
cœur en fête ^ Il semble que Ronsard eût pu, dans cette
circonstance, improviser quelques vers bien sentis en l'honneur
du compagnon qui revenait parmi les siens après quatre
ans d'exil. Il garda le silence. Dorât seul éleva la voix, et
puisa dans son âme, pour chanter le retour de son ancien
disciple, quelques accents sincères ^ :
Nunc vos errouem Bellaium admittite vestrum,
Sequanides nymphae Parisiique chori.
Ille dabit numéros vestris, velut ante. choreis :
Illius ad solitos niembra movete modos.
Non quia cum veteris Romae contendit honore,
Peligno certans versibus ingenio.
Idcirco patria est oblitus carmina voce
Gantare, emeritus qualia cantat olor.
Vos ea nunc etiam, mihi crédite, plectra juvabunt,
Quae tam juverunt, hoc modulante prius '.
Nunc quoque Bellaii discentes carmina, Galli
Hune aliquid dicent addidicisse novi.
' Cf. un sonnet de Baïf (Martj^-Laveaux, I, 189).
' Regrets, s. 129.
^ Ad loachimum Bellamm, de ejns reditu ab Italia. Recueil de 1586,
Poem. lib. I, p. 39.
* Je corrige ainsi le texte fautif de l'original : Quae tam juvabunt hoc
tam modulante prius.
300 JOACHIM DU BELLAY
in
C'est à la fin de iSS^ que du Bellay redevint Parisien,
Je pense qu'il logea dans une maison que possédait Morel
au cloître Notre-Dame '. La place énorme qu'a tenue cet ami
dans la vie de notre poète nous fait un devoir de lui consa-
crer quelques minutes d'attention.
Jean de Morel % natif d'Embrun (i5ii-i58i). seigneur de
Grigny et de Plessis-le-Gomte, maître d'hôtel du roi. maréchal
des logis de Marguerite de France, duchesse de Berry,
jouissait parmi les savants d'une grande réputation : hoino
sermonis et moriim elegantia non minus qiiam doctrinae
nomine spectahilia, écrit de lui Sainte-Marthe. Il avait été
l'élève d'Erasme, dont il ferma les yeux à Bàle en i536.
Après d'assez nombreux voyages, il s'était fixé à Paris. Il
avait épousé la veuve de Lubin Dallier, avocat au Parlement,
une femme supérieure, versée dans les langues anciennes et
dans la poésie française, Antoinette de Loynes \ De ce mariage
étaient issues trois filles, Camille, Lucrèce et Diane *, dont
Morel avait confié l'éducation à Charles Utenhove, un très
docte Gantois, d'origine patricienne, qui connaissait au moins
sept langues \ Les trois sœurs devaient un jour faire honneur
' C'est du moins ce qu'on peut conclure d'une lettre de du Bellay à Morel,
qui se termine ainsi : « De vostre maison au cloistre Nostre Dame » (édit. P.
de Nolhae, p. 4r)). La même expression se rencontre à la fin de la lettre
récemment retrouvée par M. de Noltiac, et dont j'ai cité le principal fragment
dans une note ci-dessus, p. 3()1.
- Sur J. de Morel, consulter son Tombeau {loannis Morelli tumuliis. 1583),
publié par les soins de sa fille Camille ; — Sainte-Marthe, Elogia (l(j06).
p. 1:ir>, et Poemata (1006). p. 227, loannis Morelli Epicedium ; — Gny XUarâ,
Dictionn. du Dauphiné. Grenoble, 1864, t. II, col. 1H6 ; — Dupré-Lasale,
Michel de L'Hospital, ISTo. p. 97, et Bulletin du Bibliophile. 1880, p. 375 ; —
P. de Nolhae, Rcv. d'hist. liit. de la France, 15 Juill. 1891), p. 3:)1.
^ Elle collabora notamment au Tombeau de Marguerite de Navarre (1551).
V. La Croix du Maine, I, 55, et la note de La Monnoye.
' La Croix du Maine, I, 26, 99, 166, et II, 68: — du Verdier, I, 283.
^ La Croix du Maine, I, 119 ; — du Verdier, 1, 310 ; — Colletet, notice
inédite, mscr. Durand de Lançon, f" 489 r°. (Bibl. Nat. — Nouv. Acq. Fr. 3073).
RETOUR EN FllANCE 391
à leui" maître, et déjà l'aînée s'annonçait comme un prodige.
Elle était, nous dit du Bellay, le vivant portrait de son père :
Morello similis suo Camilla
Sic est, tam simile haud sit ovum ut ovo.
A dix ans, elle parlait le i^frec, écrivait l'hébreu, composait
des vers latins et français \
Morel, qui par lui-même produisait peu % s'entourait vo-
lontiers de beaux-esprits et de savants. Sa maison de la rue
Pavée, près l'église Saint- André-des-Arcs, était le rendez-vous
de tous les amis des lettres et comme le temple des
Muses, tanqiiam sacra Mnsariim aedes, dit Sainte-Marthe,
qui la fréquenta dans sa jeunesse. Là venaient Jean Mercier,
le beau-fils de Morel, successeur de Yatable dans la chaire
d'hébreu au Collège Royal ; Michel de L'Hospital \ qui lisait
dans l'intimité ses élégantes poésies latines " ; Salraon Macrin,
alors au faîte de la gloire ; Dorât, avec ses deux fidèles,
Ronsard ' et Baif " ; Lancelot Caries, évéque de Riez ; Jérôme
de la Rovère, évêque de Toulon ' ; beaucoup d'autres encore.
* Poemata. f" 32 r° : De Camilla lani Morelli F. — L'éloge de du Bellay
contient quelque exagération. Il n'en est pas moins vrai que Camille de
Morel fut une des femmes les plus savantes de son époque. Ses œuvres,
disséminées un peu partout, n'ont jamais été recueillies. On trouvera des
spécimens de ses vers grecs, latins et français dans le Morelli tumnlns.
(Bibl. Nat. — Rés. mY'. 811).
- Ses œuvres, elles aussi, sont éparses. V. à ce sujet Dupré-Lasale, Balle-
tin du Bibliophile, 1880, p. 373.
' La maison de L'Hospital était voisine de celle de Morel, sur la paroisse
Saint-André-des-Arcs. Sa femme. Marie Morin, fut marraine de Lucrèce de
Morel, le mercredi Ifi janA'ier 1,548. (Ilegist. de Saint-André-des-Arcs, cité
par Dupré-Lasale, Michel de L'Hospital, p. 99, n. 1).
* V. la thèse latine de M. Schrœder, Quid de moribus, stiidiis et
latine scribendi génère Michaelis Hospitalis ex ejusdem carminibus con-
cliidi possit. Paris, llaciiette, 1899, in-8'.
5 Ronsard a souvent loué Morel (Blanchemain, 11, 93 ; 111, 412 ; IV, 80 ;
V, 138 ; VI, 230).
" Marty-Laveaux, 11, 352.
' P. de Nolhac, Lettres de J. du Bellay, p. 28, n. 1.
392 JOACBIM DU BELLAY
Cette maison hospitalière, du Bellay la connaissait bien.
Que de fois jadis, avant son départ, il y avait trouvé le plus
cordial accueil * ! Que de fois, à Rome, il l'avait regrettée ' !
Il n'est pas douteux qu'après son retour il n'en ait été l'un
des hôtes les plus assidus.
Jusqu'à sa mort, du Bellay nourrit pour Morel une afiec-
tion toujours plus vive, et le gentilhomme d'Embrun devint,
aux dépens de Ronsard, son véritable ami de cœur. Les
lettres du poète en disent long sur le caractère tout à fait
intime de cette amitié. Lorsqu'il parle à Morel, du Bellay le
nomme son « frère ». Il lui demande anxieusement des nou-
velles de sa santé, de celle de sa femme et de sa fille
Camille, a nostre Camille » , comme il l'appelle \ En même
temps, il le tient au courant de ses travaux, et le consulte
comme on consulte un liomme de goût ". Il use de son
entremise pour présenter ses œuvres aux grands dont il
recherche la protection ^ Lorsqu'il est souffrant ou pressé de
besogne, il le mande chez lui pour lui communiquer ce qu'il
a d'important : « Vous sçavez, lui dit-il. qu'en tous mes
petiz affaires j'ay tousjours recours à vous comme ad sacram
anchorarn ". » Enfin, quelque temps avant de mourir, c'est à
ce fidèle Pylade (Pyladem suiim) qu'il confia ses pensées
dernières et les douloureux secrets de son cœur, dans cette
plaintive élégie qui fut comme son testament.
' V. la dédicace à Morel du recueil de lao2, et surtout la lin de cette
dédicace (II, 338). Cf. le sonnet A Monsieur de Morel (II, 139).
- Outre les sonnets des Heffrets dédiés à Morel, v Poemala, f» 'J v" : In
vitae quietioris conimendationeni ad I. Morelluni.
•'' Lettres, p. 24.
* Lettres, p. 25-26 et 29-30.
* Lettres, p. 31, 35, 45.
« Lettres, p. 32-33.
RETOUR EN FRANCE 393
IV
L'amitié de Morel fut d'autant plus précieuse à du Bellay
que, pendant les deux ans qu'il vécut encore, il eut à
subir mainte épreuve. Il s'imaginait bonnement avoir laissé
tous les tracas à Rome. A peine fut-il de retour qu'il en
trouva d'aussi pesants à son foyer. Que s'était-il passé durant
son absence ? Et quels ennemis abritait son manoir solitaire ?
Il ne le dit pas avec précision '. Mais un beau sonnet à
Dorât, en réponse à sa pièce de bienvenue, nous le montre
accablé de tourments au point de regretter l'Italie :
Et je pensois aussi ce que pensoit Ulysse,
Quil n'estoit rien plus doulx que voir encor' un jour
Fumer sa cheminée, et après long séjour
Se retrouver au sein de sa terre nourrice '.
Je me resjouissois d'estre eschappé au vice,
Aux Circes d'Italie, aux Sirènes d'amour,
Et d'avoir rapporté en France à mon retour
L'honneur que l'on s'acquiert d'un fidèle service.
Las. mais après l'ennuy de si longue saison.
Mille souciz mordans je trouve en ma maison.
Qui me rongent le cœur sans espoir d'allégence.
' Peut-être faut-il voir une vague allusion à ces faits très obscurs dans
le sonnet liminaire des Regrets : Si quelque envieux te pince, dit l'auteur
à son livre, souhaite-lui les maux que j'ai soufferts.
Et qu'on mange son bien pendant qu'il est absent.
* Ce début est repris de ces vers de Dorât, dans la pièce indiquée plus
haut, § II, p. 389.
Tu quoque dulce puta, quod et ipse putabat Ulysses,
Fumantes patriae posse videre focos . . .
etc.
30't .lOACHIM DU BELLAY
Adieu donques (Dorât) je suis encor'^ Romain,
Si Tare que les neuf sœurs te misrent en la main
Tu ne me preste icy. pour faire ma vangence '.
Des tracas domestiques et de nouveaux procès attendaient ce
second Ulysse. Il n'en fut pas quitte de si tôt : les affaires
étaient compliquées : au mois de juillet i559, le malheureux
s'y débattait encore ■.
Toutefois, ces ennuis ne l'empêchèrent point de songer à
sa renommée. Depuis quatre ans qu'il était hors de France,
ou avait eu le temps de l'cublier. Il était impatient de
reprendre sa place dans le chœur des poètes, à côté de
Ronsard, en tête de la jeune école. Il se mit donc en mesure
de donner au public les divers recueils qu'il avait composés
à Rome. Il se hâta de prendi'e les privilèges nécessaires %
et la même année 1558 vit paraître coup sur coup les Anti-
qiiitez de Rome , les Poemata , les Regrets et les Jeux
Rustiques.
' Regrets, s. 130. Ce sonnet est la réduction d'une pièce des Poemata,
f ' 31 V : Ad lanum Auratnm. La pièce latine n'est guère plus précise que
le sonnet. On y lit cependant :
Edunt mille proci : procos vocare
Si curas liceat, malasque lites,
Quae nostrum maie coreulum perurunt,
Quae nostras penitus vorant meduUas.
Du Bellay, (jui compare son sort à celui d'Ulysse, ajoute mélanei)li(|uement •
Saltem, si qua milii domi pudiea
Foret Pénélope, piusque natus,
Longaevus «^euitor. satraxque nutrix.
Qui lacti exeiperent, piisque fessum
Koverent manibus ! Nihil sed horum
llepertum mihi : ne vêtus quidem me
Agnovit domiaum canis.
■' Lettre au cardinal du Bellay (31 juillet i;5b9) : « Monseigneur, si mon
indisposition et les affaires, qui me tiennent par deçà pour la conservation
de ma maison, m'eussent permis de vous aller trouver... « Lettres, p. 41.
' Le 17 janvier i'.).)! (n. s. lo38) pour les Regrets et les Jeux Rustiques,
le 3 mars pour les Antiquitez de Rome et les Poemata.
CHAPITRE VII
LES « JEUX RUSTIQUES
I. — Caractère des « Jeux Rustiques » . — Division du recueil. —
L'inspiration élégiaque. — Fâcheux retour au pétrar-
quisme. — Les deux « Baisers ».
II. — L'inspiration satirique.— Formes diverses qu'elle affecte.—
L'esprit de du Bellay.
III. — L'inspiration rustique. — Les u Vœuz rustiques » de Nau-
gerius. — Valeur du recueil.
Les Jeux Rustiques sont le dernier recueil rapporté d'Italie
par du Bellay '. L'auteur nous avertit lui-même qu'il l'a fait
comme en se jouant, aux heures de loisir et de récréation.
Il ne faut donc pas y chercher une œuvre savamment tra-
vaillée : (( Geulx qui sont ou si sévères, que rien ne leur
* Divers Jeux rustiques et autres œuvres poétiques de loachiin du Bellay
Angevin. Paris, Federic Morel, loj8, in-4''. Privilège daté de Paris, 17 janv.
1557 (n. s. 1538). — L'édition originale se compose de 39 pièces, y compris la
dédicace à Duthier (Marty-Laveaux, II, 289-406). Cinq autres pièces ont été
jointes au recueil dans les éditions postérieures (Marty-Laveaux, 11, 406 419).
— Dans ce chapitre, je citerai d'ajirès l'édition I. Liseux (Paris. 1875, in-32),
qui reproduit fidèlement l'édition originale.
39G JOACHIM DU BELLAY
plaist s'il n'est plein de doctrine et antique érudition, ou si
délicatz. que leurs oreilles rejectent toutes choses, si elles ne
sont élabourées en perfection, le tiltre du livre les admoneste
de ne passer plus avant. » (Au Lecteur). — Avec la spon-
tanéité, le caractère le plus saillant de ce recueil, c'est son
extrême variété. On y rencontre un peu de tout, comme si
l'auteur avait voulu résumer dans cette œuvre ses divers
talents poétiques. On peut cependant grouper sous trois chefs
les pièces qui la constituent, suivant qu'on y retrouve l'in-
spiration élégiaque , l'inspiration satirique ou l'inspiration
rustique '.
Des pièces élégiaques, je dirai peu de chose : c'est la
partie la moins nouvelle, partant la moins intéressante. Du
Bellay se souvient qu'il a jadis écrit Y Olive : il fait un
retour vers le pétrarquismc.
Chant de V Amour et du Primtemps (p. 3o), Chant de
V Amour et de V Hjyver (p. 39), voilà des titres éloquents :
l'imagination se plaît à rêver quelque hymne gracieux ou
mélancolique. Mais le rêve est trompeur : le poète n'a rien
tiré de cette alliance de la nature et de l'amour.
La nature l'a mieux inspiré dans la Métamorphose d'une
rose (p. i53), en lui fournissant quelques fraîches images. Il
s'agit d'une veuve dont le destin a fait une rose :
Je suis, comme j'estois, dodeur naïve et franche,
Mes bras sont transformez en épineuse branche,
Mes piedz en tige verd, et tout le demeurant
De mon coi'ps est changé en rosier bien fleurant.
' Je laisse de côté le Combat d'Hercule et d'Acheloys (p. 2:i), médiocre
paraphrase d'Ovide, Métam., IX, 1-10(J, — et la navrante Épitaphe d'unjlam-
beau (p. 107).
LES (( JEUX RUSTIQUES )) 397
Les grâces, dont le ciel in'avoit favorisée,
Or' que rose je suis, me servent de rosée :
Et l'honneur qui en moy a fleury si long temps,
S'y garde encor' entier d'un éternel printemps.
La plus longue frescheur des roses est bornée
Par le cours naturel d'une seule journée :
Mais ceste gayeté qu'on voit en moy fleurir.
Par l'injure du temps ne pourra dépérir.
Les poésies intitulées De sa peine et des heautez de sa
dame ' (p. 4"). Élégie d'amour (p. 69), Chanson (p. jS), Élégie
amoureuse (p. 117), ne sont le plus souvent que de subtiles
discussions de galante casuistique. Je ne vois guère à déta-
cher que le passage où du Bellay, cherchant à expliquer la
naissance de l'amour, formule la théorie du Je ne sais quoi
(P- 71) :
J'ay plusieurs poincts, que je pourois induire
A ce propos, si je voulois déduire
Ce faict au long, et démonstrer comment
L'amour s'engendre en nous premièrement,
Quelle est sa fin, son essence, et nature,
D'où vient souvent qu'on ayme à l'aventure
Un incogneu, et ne sçait on pourquoy,
Fors que Ion trouve en luy je ne sçay quoy,
Qui à l'aymer par force nous incite,
Gomme le fer, qui suyt la calamité.
Le reste est pur galimatias. Ce qui manque à ces poésies
soi-disant amoureuses, c'est la sincérité. L'auteur exprime à
quelque Iris en l'air, aussi peu réelle qu'(31ive. une passion
qu'il ne sent point : il n'y a là rien de vécu :
* A remarquer dans chaque strophe le développement quinaire des
idées.
398 JOACHI.M DC BELLAY
Mal volun tiers chante la bouche
De l'amour qui au cueur ne touche,
comme il l'avoue lui-même à son ami Magny.
Ce dernier lui ayant dédié une ode Des grâces et perfec-
tions de s'am/e *, du Bellay lui répondit par une ode du
même genre Sur les perfections de sa dame (p. 5o). Sa pièce
est évidemuient très supérieure à celle de Magny. Ce qui
nVen plaît surtout, c'est que le poète entrouvre son àme et
s'abandonne aux confidences. Du temps que j'étais amoureux,
nous dit-il. je n" aimais que laniom*, je ne songeais qu'à lui,
je ne savais chanter ({ue lui : je vivais dans un rêve.
Mais depuis que Tàge, et le soing,
Me faisant regarder plus loing,
M'osta ce voyle, et que les choses
Véritables se sont décloses,
J'ay rougy de me voir déceu.
Et depuis ma lyre n'a sceu
Chanter l'amour, et rien ma Muse
Rien tant que l'amour ne refuse.
Il se trompait : il était encore capable de bien chanter
l'amour, mais à la condition de renoncer au pétrarquisme. Je
n'en veux pour pi'euve que ces deux baisers où respire la
plus ardente volupté. Tous deux s'adressent à Faustine : c'est
tout dire. Le premier (p. 78) la célèbre sous le doux nom de
Coluinhelle :
Sus. ma petite Columbelle,
Ma petite belle rebelle,
Qu'on me paye ce qu'on me doit :
Qu'autant de baysers on me donne.
Que le poète de Véronne
A sa Lesbie en demandoit.
' Magny, Odes. édit. Courbet (1876), t. H, p. IH.
LES (( JKUX RUSTIQUES )) 399
Mais pourquoy te fay-je demande
De si peu de baysers, friande,
Si Catulle en demande peu ?
Peu vrayment Catulle en désire,
Et peu se peuvent-ilz bien dire,
Puis que compter il les a peu.
De mille ileurs la belle Blore
Les verdes rives ne colore,
Cérès de mille espicz nouveaux
Ne rend la campagne fertile,
Et de mille raisins, et mille
Bacchus n'emplist pas ses tonneaux.
Autant donc que de fleurs fleurissent,
D'espicz et de raisins meurissent,
Autant de baysers donne moy :
Autant je t'en rendray sur l'heure,
Afin qu'ingrat je ne demeure
De tant de baysers envers toy.
Mais sçais-tu quelz baysers, mignonne ?
Je ne veulx pas qu'on les me donne
A la Françoise, et ne les veulx
Tels que la Vierge chasseresse
Venant de la chasse les laisse
Prendre à son frère aux blonds cheveux :
Je les veulx à l'Italienne,
Et telz que l'Acidalienne
Les donne à Mars son amoureux :
Lors sera contente ma vie.
Et n'auray sur les Dieux envie,
Ny sur leur nectar savoureux.
Que de grâce câline en ces jolis vers, tout à fait dignes de Catulle * !
1 Cf. Catulle, Cann. V et VII.
4(X) JOACHIM DU BELLAY
— Je ne trouve pas moins exquis l'autre baiser * (p. 80) :
Quand ton col de couleur de rose . . .
Mais je ne puis songer à tout citer.
On sait si la poésie du xvi^ siècle fut féconde en baisers :
on en pourrait faire un volume. Ronsard, Baïf, Belleau,
Magny, Tahureau, Grévin, en composèrent tour à tour ;
c'était à (jui ferait revivre Catulle et Jean Second. Notre
poète n'en a que deux sur la conscience : ils ont tant de
saveur qu'il faut fermer les yeux sur ce qu'ils ont d'un peu
lascif.
II
La satire tient une grande place dans le recueil des
Jeux Rustiques, et cela sous toutes ses formes.
La satire littéraire est finement représentée par le spiri-
tuel pamphlet Contre les Pétrarquistes (p. 61). La pièce avait
déjà paru sous le titre A une Dame, en i553. Du Bellay l'a
reprise et remaniée heureusement. Puisque j'en ai fait l'analyse
ailleurs *, inutile d'y revenir. Peut-être s'étonnera-t-on de
trouver cette pièce au milieu d'un recueil qui contient plu-
sieurs poésies pétrar([uistes ; mais nous n'en sommes plus à
compter les contradictions de Joachim.
A la satire morale il faut rattacher, — outre une médiocre
invective Contre une vieille ' (p. 112), où du Bellay refait
VAntérotique, — trois pièces réalistes qui mettent sous nos
yeux la vie des courtisanes à Rome. Deux d'entre elles,
la Courtisanne repentie (p. 120) et la Contre-repentie (p. i25),
sont traduites du latin de Pierre Gilbert, un poète de Tou-
louse que du Bellay connut à Rome, mais dont les vers ne
' Il est repris dune pièce latine (Poeinata, f» il r" : Basia Faiistinae).
* V. ci-dessus, 1" part., chap. vi, § vu, p. 195 sqq.
' Du Bellay s'inspire d'Ovide, Amor. I, viii.
LES « JliUX RUSTIQUES )) 'iUl
sont pas venus jiisquà nous '. Lu Iroisiènie, lii ViciUe Coiiv-
lisanne (p. i3i), loiil en s'inspirant par endroits des Dialo-
gues de l'Arétin, a vraiment la valeur d'une œuvre originale :
c'est un tableau de nuieurs <[ui préeise et eonipIMe certaines
peintures des liegi-ets. Dans ce curieux poème, nous rece-
vons les eonlidences d'une ancienne courtisane qui, parvenue
à la vieillesse, nous raconte en détail l'histoire de sa vie :
sa chute première avec un sert' ; ses liaisons successives
avec des gentilshommes, puis avec un prélat qui l'achète
(( comme pucelle » . la l'ait instruire, lui donne maison et
valets, satisfait à tous ses caprices, et quelle trompe par
amour de la liberté ; son mariage avec un jeune homme qui
la rudoie, la ruine et l'abandonne ; les métiers inavouables ,
conséquence de cet abandon ; l'àpre chasse à l'argent ; le
repentir momentané qui la jette au couvent, pendant une
semaine sainte ; la joie de vivre, qui l'en fait bientôt ressortir;
ses folles débauches ; sa passion véritable pour u un jeune
audacieux » qui ne la paie point de retour ; finalement, le
déclin de ses chai'mes, les maladies, l'allreuse pauvreté, le
travail mercenaire pour nourrir une tille en bas âge, les risées
de la foule, les regrets et les larmes, en attendant la mort
prochaine, La vie entière des courtisanes, avec leurs plaisirs
et leurs jeux, leur manière de s'attifer, leur éducation artis-
tique, et jusqu'à leur science de la magie, tout cela j)asse
devant nous dans un récit vivant, mouvementé, d'une langue
facile et riche et colorée ". La Vieille Coiivtisanne est une des
œuvres les mieux écrites de du Bellay.
On trouve dans les Jeux Rustiques divers échantillons de
' A l'exception d'un seul sonnet qui répond au s. IGO des Soiispirs de
Magny, édiU Courbet, p. V\i. — Cf. ci-dessus, p. 34lt, n. G.
- M. Marty-Laveaux remarque avec raison qu'il n'est pas d'oeuvre où
du Bellay ait introduit avec plus de bonheur les termes étrangers dont il
avait besoin pour nous donner une exacte peinture des mœurs romaines.
[Langue de la Pléiade, I, 180).
Univ. de Lille. Tomr VIII \. 2(5.
402 JOACHIM DU BELLAY
satire plaisante et badine. La pièce A Bertran Bergier, poëte
dithjyramhir/ue (p. io3), dans sa raillerie légère, est moins
curieuse par les détails qu'elle contient sur l'œuvre singulière
du camarade de Joachim. que par la profession de foi qu'on
s'étonne d'y rencontrer. Hésiode, s'écrie notre auteur, Hésiode,
ancien bouvier devenu poète soudain pour avoir Jm ù
l'Hippocrène,
Montra que la seule nature
Sans art, sans travail, et sans cure.
Fait naistre le poëte, avant
Qu'il ayt songé d'estre sçavanl.
Et voilà du Bellay cjui plaide la cause de la nalure contre
l'ai-t :
Aussi les vers du temps d'Orphée,
D'Homère, Hésiode, et Musée,
Ne venoient d'art, mais seulement
D'un franc naturel mouvemcnl.
Les bcrgiei's, avec leurs musettes,
Gardans leurs brebis camnsettes,
Premiers inventèrent les sons
De ces poëliiiues cliansons.
Depuis geinant tel exercice
Soidjs un misérable artifice,
(^e qu'avoient de bon les premiers.
Fui corrompu ])ar les derniers.
De là vindrcnl ces Enéïdes.
El ces fascheus(>s Thébaïdes,
Où n'y a vers sur (pii ses doigls
On n'ayl rongé plus de cent fois.
l'oi'l bien: mais ([uc sonl devenus les principes de hi Deffence'l
h'hj^ninc de la Surdité (p. i5(j) appartient au genre ber-
LES (( JEUX HL'STigUES )) 403
nesquo. C'est eu lisant les Italiens que du Bellay s'avisa
(le eette œuvre : il voulut transporter chez nous les spirituels
capitoli de Berni et de son école, (t Disant sérieusement des
choses boulTonnes ou Iblàtreuient des choses graves... le poète
bernesque plaisante pour plaisanter, uniquement docile aux
caprices de sa verve joyeuse '. » Cet HjTnne de la Surdité,
que l'auteur dédie à Ronsard, est un pur badinage, ou, si
l'on veut, un paradoxe. Pourtant du Bellay se détend de
toute idée paradoxale :
Je ne suis pas de ceux, qui d'un vers triompliant
Déguisent une mouche en forme d'éléphant.
Et qui de leurs cerveaux couchent à toute reste.
Pour louer la folie, ou pour louer la peste *.
Mais c'est là justement le piquant : du ton le {)lus sérieux, il
va faire l'éloge d'une infirmité ([ui n'a. suivant lui. ipie des
avantages :
Je diray qu'estre sourd (à (jui la différence
Sçait du bien et du nuil) nest mal qu'en apparence.
En effet, ceux ([ui sont nés sourds ne sont pas malheureux,
puisque, ignorants du bien (jui leur manque, ils ne peuvent
le regretter. Et quant à ceux qui le deviennent, ô combien
leur sort est enviable ! Le sourd par accident se voit
Privé d'un peu de bien, et de beaucoup de mal.
S'il ne perçoit plus les (( doux sons )) ni les (( plaisants
propos » , en revanche il n'a plus à souffrir
L'ennuy d'un faulx accord, une mauvaise voix,
' J'emprunte cette définition à M. Yianey, Mathurin Régnier, p. 34.
M. Yianey, qui marque nettement (p. 60-61) le caractère particulier de
l'Hymne de la Surdité, me semble un peu sévère pour du Bellay.
- Berni a fait un éloge de la peste, le Lasca un éloge de la folie.
404 JOACHIM Dr BELLAY
Un fascheux instrument, un bruit, une tempeste,
Une cloelie, une forjïe, un l'ompement de teste,
Le bruit d'une cbarrette. et la doulce chanson
D un asne. ({ui se plaingt en effroyable son.
11 n'est plus exposé
à l'importun caquet
D'un indocte prescheur, ou d'un fascheux parquet,
Au babil d'une femme, au long prosne d'un prestre,
Au gronder d'un vallet, aux injures d'un maistre,
Au causer d'un boullon, aux broquars d'une court,
Qui font cent l'ois le jour désirer d'estre sourd.
Et du Bellay poursuit son énumération des bienfaits de la
surdité. Il trouve heureux Ronsard, qui lui doit ce <|u'il est,
et regrette pour son compte de n'être plus aussi sourd qu'au-
trefois : que de tracas lui seraient épargnés à Rome ! — La
conclusion est celle d'un hymne ^ :
Je te salue, ô saiucte et aime Surdité !
C'est encore des badinages, mais non plus du genre
bernesque, que les deux Epitaphes du chien Peloton (p. 85)
et du chat Belaiid (p. 89). Il faut lire d'un bout à l'autre ces
deux jolies bluettes, si l'on veut avoir une idée de tout
l'esprit de du Bellay, et de ce qu'il a de délicatesse et de
grâce légère. C'est du meilleur Marot. Du Marol? Oui vraiment,
et l'on ne voit pas sans surprise l'ancien héraut de la Deffence
reprendre un(; ti'adition qu'il avait condamnée avec tant de
superbe. Qu'on relise l'épigramme de Marot, De la chienne de
la Roj'ne Eleonor^. ou la pièce de Sainl-delays, Epitaphe de
la heh'tlc d'une damoiselle '\ et l'on verra si du Bellay, chan-
' Cf. la lin de la plupart des Hymnes de Ronsard.
- Édit. P. Jannct, III. 87.
■' Édit. Blanchemain, I, ;)3.
LES « JKUX RUSTIQUES )) 40o
tant Peloton ou Belaud, l'ail autre choso que continuer, avec
infiniment d'esprit, l'œuvre de ses prédécesseurs '.
Le elief-d'œuvre de cette partie du recueil, c'est évidenini<;nt
YEpitaphe de Vabbé Bonnet (p. 97). Pourtant, ici encore, je
ne puis m'empêcher de noter que Joachiui suit de bien près
Marot, en s'essayant au g<;iire de l'épitaphe Innuoi-istique \
Est-il besoin de dire que cet abbé Bonnet, suivant toute
apparence, n'a jamais existé ? Mais le poète en trace un
portrait si précis, que l'imaginaire personnage prend à nos
yeux la consistance d'un être réel et vivant :
Gy gist Bonnet, qui tout sçavoit.
Bonnet, qui la prattique avoit
De tous les secrets de nature.
Dont il parloit à l'aventure,
Car il eut si subtil esprit,
Qu'onq' il n'en leut un seul escripl.
Bonnet ne leut onq' en sa vie
Un seul mot de philosophie.
Et si en sçavoit. ce dit-on,
Plus qu'Aristote. ny Platon.
Bonnet fut un Docteur sans tiltre,
Sans loy, paragraphe, et chapitre.
Bonnet avoit leu tous autheurs,
Fors poètes et orateurs :
' Pour tout concilier, disons que les deux écoles se rejoignent dans l'An-
tiquité : l'Anthologie, Catulle, Ovide, Stace, Martial, consacrent de gracieux
souvenirs à des animaux aimés. — Après du Bellay, la Pléiade s'est plu-
sieurs fois exercée dans le même genre. Cf. Ronsard, Epitaphe de Courte,
chienne du Roy Charles IX; Epitaphe de la barbiche de Madame de Villeroy
(Blanchemain, VII, 250 et 237) ; — Baïf, Epitaphe d'un petit chien 'Marty-
Laveaux, IV, 239) ; — Belleau, Epitaphe du cliien Travail (Marty-Laveaux,
II, 112) ; — Magny, Epitaphe du chien Ploton [Odes, Courbet, II, 79). Celte
dernière pièce offre les plus grands rapports avec celle de du Bellay. V. à
ce sujet la thèse de M. Favre, p. 299-303.
- V. notamment dans Marot VEpitaphe de Jean Serre, excellent joueur
de farces, édit. P. Jannet, II, 21o.
40fi JOACHIAf DL' BELLAY
D'histoires, ot raathématiqiK^s.
Et telles sciences antiques,
Ils s'en moccpioit : au demeurant
De rien il nestoit ignorant.
Je ne cite (pie le début : le reste est dans le nièiue ton.
Nulle part du Bellay n*a montré ])lus de verve. Ce n'est
plus la raillerie sardonique des Regretfi : la satire ici n'a
plus rien d'amer. Le poète se laisse aller, sans âpre arrière-
pensée, à la fantaisie d'un badinage ([ui l'amuse autant pour
1(^ moins qu'il amusera son lecteur '.
III
Cette humeur facétieuse fait contraste avec la grande
siuqdicité, j'allais dire la nudité, qui caractérise les pièces
cliampètres. les dernières dont j'aie à parler, les plus neuves
à coup sur. et d'où vient son titre au recueil. Poète rus-
tique, du Bellay le fut avec distinction. « Il y était naturel-
lement préparé par toute son enfance de petit campagnard .
dans la molle et tlouce terre d'Anjou *. » Toutefois, et la chose
est curieuse, ce n'est pas de lui-même qu'il est allé vers la
campagne : il l'a retrouvée à travers des modèles. Il est vrai
qu'il a su la sentir dans ces modèles mêmes, qu'il l'a peinte
ensuite à sa façon, dune manièi'e toute charmante et, dans
certains cas, voisine de la perfection.
' 11 faudrait rattacher à ces poésies satiriques les pièces postérieures à
l'édition originale. l'Epitaphe du passereau de Madame Marguerite (II, 40(î),
est sans valeur. Le Sonnet à Baïf (II, 419) sur les comparatifs et les super-
latifs est trop connu pour insister. Quant à la Satyre de Maistre Pierre du
f'uiffnet (II. 40S), elle se rapporte à la mémorable querelle de Ramus et de
Galland : la (jnestion est traitée tout au long par Watldington, Ramus, sa
vie, ses écrits et ses opinions, 18So, p. S9-97. cl par Lenient, La Satire en
France au xvi' siècle, 1877. t. II. p. 2t9-:i23.
- Faguet, Seizième siècle, p. 312.
LES (( JEUX RUSTIQUES )) 407
Virgilo lui l'ut un inuidi^ oxcollont. Srduit d'abord pai- ce
poème savoureux qui s'a]){)olle le Moretuni, il le (it passer en
français (p. 4)- mais il eut soin, au lieu de le traduire, de
le transposer librement, remplaçant le paysan Simylus par le
paysan Marsault, et sa servante, l'africaine Scybale, par la
limousine Gatou '.
Deux pièces empruntées à Bend:>o ^ . Complainte des
Satyres aux Nymphes (p. 82) et Sur un chappelet de roses
(p. 84) . nous permettraient ég'alement de constater , — la
seconde surtout, — que du Bellay, lorsqu'il imite, sait con-
server une certaine indépendance.
Mais j'ai hâte d'arriver aux Vœuz rustiques du latin de
Naugerius (p. 10-21). Un noble Vénitien, André Navagero
(i483-i529), qui se distingua comme ambassadeur de la Répu-
blique auprès de Charles-Quint et de François I". s'était fait
un nom, parmi les lettrés de la Renaissance, comme orateur
et comme poète \ Il avait h^ goût si classique, que chaque
année il brûlait un exemplaire de Martial en l'honneur de
Catulle. Sous le nom de Naug-erivs. il avait publié des poé-
sies latines, d'une grande pureté de diction \ Elles étaient
dans toutes les mains, quand du Bellay fit le voyage d'Italie.
Notre auteur les connut ; il en goûta la grâce et la simpli-
cité ; puis l'idée lui vint de les reproduire. C'est ainsi que
' Goujet, Bibl. franc., V, 212 : « C'est peut-être ce que Joachim du Bellay
a fait de meilleur en traduction. Il a rendu cette pièce avec une naïveté qui
plaît encore. »
^ Ces deux pièces, intitulées Fauniis ad IVymphas et lolas ad Faunuin,
se trouvent p. 7-8 du petit volume Pétri Bembi carminum libellus, Venise,
loo2. (Bibl. Nat — Y" . 7629). Elles ont pris place dans les Deliciae Poetariim
Italorum, t. I, p. 346-347.
^ Sur Navagero^ consulter Niceron, t. XIII, p. 361, et t. XX, p. 68.
* On les lira dans la belle édition donnée par Comino (Padoue, 171 S) :
Andreae Naugerii, patricii veneti, oratoris et poetae clarissimi opéra omnia.
(Bibl. Nat. — Z. 3879).
408 JOACHIM DU BELLAY
(les liisiis du poète vénitien il tira douze pièces, ou plutôt
douze bagatelles, qui sont vraiment d(»s Jeux rustiques \
La valeur de ces pièces est assez inégale. La pi*emière A
Gérés (p. lo), est une pure traduction : on en peut dire
presque autant de la dernière, Estrene d'un tableau (p. 20).
Mais dans les autres éclate une réelle oi'iginalité. Comment
du Bellay lobtient-il ? Tout d'abord il francise les sujets.
Il donne aux personnages des noms bien campagnards :
Lycon, Grocalis, lolas, Damis, Hylax, Amyntas, Hyella,
deviennent dans ses vers Robin, Jannette, Robinet, Thenot,
Hurauld, Jacquet, Isabeau. Il situe la scène en Anjou (p, 14,
16, 18, 20), ce qui donne à ses poésies un goût prononcé de
teri'oii-. Il est aussi, dans certains cas, plus di^amatique :
tandis que c'est Naugerius qui parle pour Idmon, du Bellay
s'efface pour laisser la pai'ole à son vanneur de blé : l'humble
vanneur revit dans la prière qu'il jette aux vents. Au surplus,
si l'on veut ]nvn saisir comment du Bellay, tout en traduisant,
se iiiontn^ ci'éateui'. il importe de rapprocher l'imitation et le
modèle. Je \o ferais, si Sainte-Beuve ^ ne l'avait déjà fait
pour deux de ces pièces et les deux meilleures, la chanson
du vanneiu" et l'offrande à Vénus, et s'il n'avait marqué par
d'heureuses images les dons propres à du Bellay. Passons
donc sur ce point, et disons une fois de plus les strophes
chantantes du Vanneur de blé (p. 12) :
' M. Marly-Lavcaux ayant commis quelques erreurs (l. II, p. 555, n. 62),
j'indique plus cxaclcment, d'après l'édit. de 17IS, les titres des pières imitées
par du Bellay : — 1» Vota Cereri pro terme fruf^ihus fp. 185); — 2» Vota ad
Auras (p. 186) ; — 3" et 4» Vota Thelesonis Cereri, Baccho et Pâli dene (p. 189) ;
— 5" Lyconis vota Pani deo (p. 187) ; — 6» Vota lolae Parti agresti deo
(p. 186) : — 7» Vota Damidis ad Bacchum pro vite (p. 186); — 8" Vota Veneri
ut amantihus faveat (p 190) ; — 9* Vota Niconoës ad Dianam (p. 190) : —
— 10» De obitu Hylacis canis pastorii (p. 188) : 11" Thjrsidis vota Veneri
(p. 187) ; — 12" Imaginem sui Hjellae niittit (p. 207).
- Notice surJ. du Bellay, p. 350-352.
LES « JKUX RUSTIQUES » 409
A VOUS, troppc légère,
Qui d'aile piissagère
Par le monde volez,
Et d'un sifflant murmure
L'ombrageuse verdure
Doulcement esbranlez,
J'offre ces violettes,
Ces lis, et ces fleurettes,
Et ces roses icy,
Ces vermeillettes roses,
Tout freschement écloses,
Et ces œilletz aussi.
De vostre doulce halaine,
Eventez ceste plaine.
Eventez ce séjour :
Ce pendant que j'ahanne,
A mon blé, que je vanne
A la chaleur du jour.
Le petit poème A Vénus (p. 19), tant admiré de Sainte-
Beuve et de M. Faguet, est plus exquis encore. Je ne sais
rien de plus charmant que ce début :
Ayant après long désir
Pris de ma doulce ennemie
Quelques arres du plaisir
Que sa rigueur me dénie.
Je t'offre ces beaux œillets,
Vénus, je t'offre ces roses.
Dont les boutons vermeillets
Imitent les lèvres closes,
Que j'ay baisé i)ar trois fois,
Marchant tout beau dessoubs l'ombre
De ce buisson, que tu vois :
Et n'ay sceu passer ce nombre,
41(J JOACHIM DU BELLAY
Pour ce que la mère estoit
Auprès de là. ce me semble,
Laquelle nous aguettoit :
De peur encores j'en tremble.
A cette même insjjiration amoureuse et rustique , qui
mêle avec tant de bonheur le naturel de Théocrite et la
grâce d'Anacréon , se rattache une Villanelle (p. 21). La
pièce est unique en son genre dans l'œuvre de notre poète,
et l'on peut le regretter, tant celle-ci vraiment a de charme !
Ici du Bellay ne doit plus rien à Naugerius : fond et forme,
il a tiré tout de lui-même :
En ce moys délicieux,
Qu'amour toute chose incite,
Un chacun à ({ui mieulx mieulx
La doulceur du temps imite,
Mais une rigueur despite
Me faict pleurer mon malheur.
Belle et franche Marguerite.
Pour vous j'ay ceste douleur.
Dedans vostre œil gracieux
Toute doulceur est escritte.
Mais la doulceui- de voz yeux
En amertume est confite.
Souvent la couleuvre habite
Dessoubs une belle fleur.
Belle et franche Marguerite,
Poui" vous j'ay ceste douleur.
Oi- puis ((ue je deviens vieux,
Et que rien ne me profite,
Désespéré d'avoir mieulx,
Je m'en iray rendre hermite.
LES « JEUX RUSTIQUES )) 411
Je m'en iray rendre hormite,
Pour niioulx ploiiiTi' mou malheur.
Belle et l'ranclie Margiiei-ite,
Pour vous j'ay ceste douleur.
Mais si la laveur ties Dieux
Au bois vous avoit couduittc,
Où. despéré d'avoir uiieulx,
Je m'en iray rendre hermitc,
Peult estre que ma j)oui'suite
Vous feroit changer couleur.
Belle et Iranche Marguerite,
Pour vous j'ay ceste douleur '.
Considérés dans leui* ensend)le. les Jeux Rustiques sont
inférieurs aux Regrets. L'œuvre est inégale et mêlée :
certains uiorceaux n'ont rien ([ui les distingue des poésies
les plus médiocres de la pi-emière uianière. Mais des pièces
comme le Moretuin, les Vœuz /'astiques, les Baisers, les
Epitaphes, la Vieille Courtisanne, sont hors de pair et nous
font voir avec quelle souplesse le talent de Joachiui savait
se renouveler.
' Pour être complet sur les vœux rustiques, je dois ajouter qu'avant du
Bellay, lionsard, s'inspirant de VAnlholoi^ie dans le Bocage de too4, avait
déjà rimé des vœux (Blancheniain, VI, 410-411 ; Martj-Laveaux, VI, 3tj2-36;i).
Après du Bellay, le vœu devint, pour ainsi dire, un genre littéraire. V. les
Odes de Magny (Courbet, II, o9-63) et les Passetems de Baïf (Marty-Laveaux,
IV, 233, 246, 289, 292, 293, 309. 335, 362, 364, 413, 414}.
CHAPITRE VIII
LE « POETE COURTISAN ' »
1559
I. — La plaquette d' I. Quintil du Tronssay. — Son caractère
d'authenticité. — Problème qu'elle soulève.
II. — La « Nouvelle manière de faire son profit des lettres ». —
Pierre de Paschal.
III. — Le « Poète Courtisan ». — Analyse. — Confirmation de la
« Defience ».
IV. — Origine et portée du « Poète Courtisan ».— Saint-Gelays et
du Bellay.
V. — Valeur du « Poète Courtisan » : la première satire française.
En 1559, parut à Poitiers, on ne sait chez quel éditeur,
une plaquette de huit feuillets in-S**, sous le titre suivant :
' Celte étude était achevée et même avait obtenu le visa de la Sorbonne,
quand j'ai pris connaissance de la thèse latine de M. Clément sur Adrien
Turncbe (Paris, Picard, 1899, in-S"). Si donc je me suis rencontré sur plu-
sieurs points avec M. Clément (et pour ma i)art j'en suis heureux), la ren-
contre est toute fortuite. Dans ces conditions, je n'ai pas cru devoir rien
changer à mon texte. Je me suis contenté d'ajouter quelques notes. — Pour
être sincère jusqu'au bout, je dirai que c'est par M. Clément que jai su
l'existence d'un travail qui m'avait échapi)é, l'opuscule de M. Bonnefon sur
Pierre de Paschal, historiograpJie dii roi \i522- 1565). Paris, Techener, 1883,
in-4" .
LE « POKTK COURTISAN » 413
La nouvelle manière de faire son profit des lettren : tradnitte
de Latin en François par I. Qaintil du Tronssay en Poic-
tou. Ensemble le Poëte Courtisan '. — En i56o, rimpriineui*
Federic Morel, publiant à Paris la Monomachie de David et
de Goliath, ensemble plusieurs autres œuvres poétiques de
loachim du Bellay Angevin ', l'cproduisait dans co recueil
la plaquette de Poitiers. — En 1569, Guillaume Aubert l'in-
sérait à son tour dans son édition générale des écrits de
notre poète, et depuis loi-s, les deux opuscules de i559 n'ont
cessé de figurer parmi les œuvres de du Bellay.
On ne saurait mettre en doute qu'ils soient bien de lui.
Le nom d'Aubert, ancien ami de Joachim, et précisément
natif de Poitiers, nous est un sûr garant de leur authenticité :
comment croire en effet qu'Auljert, qui devait à ce double
titre savoir nettement à quoi s'en tenir sur la plaquette
originale, eût fait entrer dans son édition ces deux opus-
cules, si l'on avait pu suspecter un seul instant leur origine ?
J'ajoute qu'il suffit de les lire pour avoir l'impression qu'ils
ne sont pas d'une autre main que les Regrets : c'est la même
finesse de raillerie, la même fermeté de langue. Parmi les
écrivains du temps, je ne vois personne vraiment, non pas
même Ronsard, à qui l'on puisse en faire honneur.
Mais une fois reconnue cette authenticité, d'autres ques-
tions se posent : pourquoi du Bellay, qui a toujours publié
ses œuvres à Paris, a-t-il publié celle-là à Poitiers ^ ? et
' Celte plaquette est rarissime. 11 en existe un exemplaire à la Bibl. Nat.
(Rés. Y=. 1710). Éd. Fournier l'a reproduite (1863) dans les Variétés histori-
ques et littéraires de la Bibliothèque elzévirienne, t. X, p. 131-130. Les deux
pièces dont elle se compose se trouvent séparées dans l'édit. Marty-Laveaux
(I, 468; II, 67).
^ ln-4'> de 50 ff . chiflFrés .
' M. Clément (p 57, n. 2) estime qu'on est en présence d'une supercherie
et que la plaquette fut imprimée à Paris même, par Federic Moral. Celte
hypothèse a toutes les chances d'être la vérité.
414 JOACHIM DU BELLAY
pourquoi s'est-il abrité derrière ce pseudonyme, 7. Qnintil
du Tronssaj-, qui rappelle, sans doute à dessein, l'ancien
factum de Barth. Aneau ' ? Problème délicat, et qui reste un
des plus obscurs que présente son histoire.
II
La plaquette de Poitiers contient d'abord la Nouvelle
manière de faire son profit des lettres (I, 468). C'est la tra-
duction d'une épîti'e latine, dont l'auteur est nonnné par
Aubert à la table des matières de son recueil : Monsieur
Tornebus. Adrien Turnèbe avait publié son épître sous le
vcjile (le l'anonj^me, lan io.^q - : la même année, du Bellay la
mit en l'rançais.
L'épitre à Léoquerne ' est une mordante satire. Le moyen
(le faii-e son profit de l'étude des lettres , dit Turnèbe en
substance, c'est de suivre Mercure en même temps qu'Apollon:
que sei'l d'être savant, si l'on ne sait pas se faire valoir,
se pousser en Cour et piper les liommes? Pour cela, que
l'aiil-il ? 11 iaut d'aboi-d avoir vu l'ilalie :
Car c'est de là que xicnt la fine niaichandise.
Qu'en bëant on admire, et cpie si hault on prise.
Remarquons au passage — la chose est d'importance — cette
censure de l'italianisme : Turnèbe se montre dès i559 le
* Si dans ce rappel du nom de Quintil on peut voir une intention satirique,
le reste est plus embarrassant : l'initiale /. désigne peut-être le prénom
loachim ; quant au nom du Tronssaj, Je n'ai pu l'éclaircir.
- De nova captandae utilitatis e literis ratione epistola, ad Leoquernum.
Parisiis. Apud vlduaniP. Attaignant, i53g. (Bibl. Nat. — Y<;. 8716). — L'épître
de Turnt'be se trouve encore à la p. 47 du recueil de ses poésies publié par
Th. Guarinus, Bâle, 1368 (Bibl. Nat. — Yc. 9599), et dans les Deliciae Poetarum
Galloruni. t. III, p. 1037.
' Léoquerne n'est autre que Léger du Chesne, un ami de Turnèbe et de
notre poète (Clément, p. ii7, n. 1).
LE (( POETE COURTIPAN )) 415
préoui'sour d'I^MU'i Mslicnnc. — D'Ilalir on l'iippoi'tei'ti le
renom do « grand elerc » et de « saige-sravant » . C'est la
première condition. j)()ur réussir près des Franc^-ais, de
dépouiller son naturel, de se l'aire loul Italien
De gestes et d'habits, de jjort et de langage.
Il sera bon aussi de (( se faire advoiier de quelque cardinal »,
de quêter, en les louant eux-mêmes, les louanges des savants
ou de ceux que la Cour décore de ce nom, surtout de gagner
la faveur des dames (( qui ont bruit de sçavoir » :
c'est le chemin plus court ;
Car si tu es un coup aux dames agréable,
Tu seras tout soubdain aux plus grands admirable.
Cela ne suflit pas encore : il faudra quelquefois, pour les
dames et les seigneurs,
soit en vers, soit en prose,
Escrire finement quelque petite chose,
mais ne rien imprimer ; critiquer ce qu'impriment les autres,
alîn de passer poui- un connaisseur ; si l'on publie soi-même,
conserver l'anonyme, et ne revendiquer son œuvre que si
le succès la couronne ; enfin, faire sonner très haut de
grands ouvrages entrepris... qu'on se garde bien de jamais
montrer.
Pour quelle raison du Bellay a-t-il traduit cette satire ?
Est-ce tout simplement par admiration pour Turnèbe ' ? Est-ce
à cause de l'attaque contre l'Italie, qui cadrait si bien avec
ses rancunes ? Ou ne serait-ce pas plutôt à cause de certain
portrait qui termine le morceau * ?
' L'admiration du poète pour Turnèbe est attestée par une pièce des
Xenia, f° 12 v» : Adrianus Tornebiis Professer Regius. — Cf. une autre pièce
publiée dans le Turnebi tumulus (1o6d) et signalée par M. Clément, p. 77.
- M . Clément a démontré d'une façon irréfutable (p. 57-69) que ce n'est
pas ce portrait seul, mais la pièce tout entière qui s'applique à Paschal.
416 .lOACHIM DU BELLAY
Quelque autre dit avoir enti-epris un ouvrage
Des plus illustres noms qu'on lise de nostre âge, .
Et ja douze ou quinze ans nous déçoit par cet art :
Mais il aceouiplira sa promesse plus tard
Que l'an du jugement. Toutefois par sa ruse
Des plus audjitieux l'espérance il abuse.
Car ceulx là qui sont plus de la gloire envieux,
Le llattent à l'envy, et tachent curieux
De gaigner quehpie place en ce tant docte livre.
Qui ])eiit à tout jamais leur beau noui l'aire vivre... etc.
(I, 472-473).
Qui donc est désigné {)ar là ? — Des témoignages contem-
porains nous l'apprennent ' : il s'agit de Paschal, un lettré
dont le uouj est oi)scui' aujourd'hui, mais qui brillait alors
au |)remier rang. Pierre de Paschal (i522-i5G5), gentilhonnne
du bas pays de Languedoc, avait gagné l'illustration à peu
de Irais. Après avoir suivi à Rome le cardinal d'Armagnac,
il était à Padoue en 1047, quand l'archidiacre Jean de
Mauléon y l'ut assassiné. Chargé de dénoncer le crime au
sénat de Venise, il trouva, jjarait-il. pour flétrir les ineur-
Iriei-s, de tels accents qu'il conquit l'assemblée entière. Ce
succès lui valut le renom d'oi-ateur. Il ambitionnait celui
d'écrivain : il l'obtint rien qu'à fréquenter les poètes de la
jeune école. Il s<; poussa si bien, grâce à leur amitié,
qu'Henri II, sur la f<n des éloges enthousiastes qui vantaient
son méi'ite, le ncunnui son historiographe : c'est ainsi que
Paschal se vit servir annuellement une pension de 1200
livi'cs [)our \nie histoire d(! France <|u'il promettait toujours
' Seconde response de F. de la Jiaronie [l^lorenl Ctireslien] à Messire Pierre
de Ronsard, VMi, t» lii v" (Bibl. Nat. — liés. Y^ 1027) ; — Pasquier, Lettres,
I, 1t'>, à Ronsard, et IX, 9, à La Croix du Maine ; — La Croix du Maine, Dis-
cours au vicomte de Fauirny, II, lxxxviii, et Bibliothèque, II, 303 ; — du
Verdier, III, 309 ; — Brantôme, édit. Lalanne, III, 283-28j. — Cf. Marty-
Laveaux, Notice sur Ronsard, p. ni-v, et P. Bonnefon, op. cit.
LR (( POi';iK COURTISAN )) 417
(^l ne donna jamais. Il avail |»i'()niis de nirnic aux poètes
SOS amis, s'ils le (( (l'ompclaicnt » dans leurs vers, comme
dit Pasc[uiei', d(^ les rendre innnorlels à son toiii' dans un
ouvrage à la manièi'e de Paul Jove. Aussitôt chacun s'était
empresse de célchrer sui- Ions les Ions le futur panégyriste ' :
dans une ode enllannnée, Olivier de Mugiiy le mit en paral-
lèle avec le grand Ronsai'd ".
Mais Pasehal se mocpiail du monde, et Paul Jove n'eut
point d'émulé. Quand on connut la fourberie, ce tut une
grande colère. Turnèhe, (( personnage aussi aigu et violent en
satyres contre ceux qui le nieritoient, connne doux en mœurs
et conversation avectpies les gens d'honneur et de lettres ' » ,
persifla le })remier un homme cpii touchait comme historio-
graphe trois fois ce qu'il touchait lui-même comme professeur
royal *. Ronsard, qui lui avait dédié le Bocage de i554 dans
une ode des plus flatteuses ', ellaça son nom de ses œuvres
à partir de i5<)0 ''. et lit en latin contre lui une pièce
aujoui'd'hui perdiu\ ([ue Pasquier jugeait admirable et (pi'il
traduisit en français '.
Jusqu'en i559, du Bellay n'eut avec Pasehal que les rap-
ports les plus cordiaux : il l'aimait tendrement, et les Regrets
nous montrent qu'après Ronsard et Morel, Pasehal fut celui
' Piisclial revient à cliaquc instaiil dans les écrits du xvi* siècle. V. à titre
d'échantillon Ronsard (Blancheuiain. I, :i93 : II, 123; VII, 70) ; — Baïf (Marty-
Laveaux, I, 184) ; — Tahureau, Premières Poésies (Blanchemain, p. 37) ; —
Magny, Odes (Courbet, I, Wi).
- Odes, I, 44 : A Pierre de Ronsard et Pierre de Pasehal.
' Pasquier, Lettres, IX, !>.
* Du Verdier, loc. cit.
^ Marty-Laveaux, VI, 339. — Celte importante dédicace manque à l'édit.
Blanchemain.
" Ainsi Ronsard avait adressé à Pasclial son épître autobiographique
(1334) et son Hymne de la Mort (13r^3) : à ])artir de 1360, il dédia Tune à Rémy
Belleau, l'autre à Louis des Masures. (Blanchemain, IV, 296. et V, 239).
' Pasquier, Lettres, I, 16. — Nous n'avons pas plus la traduction de
Pasquier que le texte de Ronsard.
Univ. de Lille. Tome VIII. A. 27.
418 JOACHIM DU BELLAY
de ses amis de France dont il soullrit le plus d'être privé ^
Lorsqu'il reconnut en Pasclial, suivant le mot de du Verdier,
(( un pur abuseur du monde », du Bellay, toujours impatient,
se fît vidonliers le porte-parole de ses camarades trompés, en
Iradiiisant pour le public la satire où ïurnèbe démasquait
l'iiiipostciii-. Je remar({ue j)Murlant, sans bien me l'expliquer,
qu'une réconciliation dut survenir bientôt après : sinon,
comment peut-il se faire que du Bellay, dans sa dernière
œuvre, ait consacré à Paschal la plus louang^euse étrenne %
et qu'à la mort de _Joachim , ce soit Paschal cpii ait tracé
son épitaphe, Paschal, a son vieil et véritable ami » ^ ?
111
Le Poêle Courtisan (II, 67) offre trop de rapports avec
l'épitre à LéoqueiMie pour (ju'on ne voie pas dans cette épître
comme un modèle inspirateur qui mit du Bellay sur la
voie de sa spirituelle salire. Mais il Tant reconnaître que si
l'ouvrage de Turnèbe lui révéla, pour ainsi dire, la forme
qu'il fallait donner à son idée, — Vidée du moins, du Bellay
n'avait pas altcmlii pour lavoir. Dès le début, en i549, il
s'en pi-ciiail à ces (( poêles courtizans, qui boy vent, mangent
et doi'inent à leur oyse » \ tandis que les autres, ceux qui ont
souci de la gloire, endurent la faim, la soif et les longues veilles.
Aux médiocres rimeurs (pii souillaient notre langue, il
' Outre un sonnet (II, 141), v. Regrets, s. 2, 66, 81, 102, 129, 188.
^ Xenia, f» 11 v» : Petrus Paschalius Regius Historiographus .
' Petrus Paschalius et vêtus et verus amicus amico incomparabili dolens
posait. (Marly-Laveaux, Appendice de la Pléiade, II, 38o). — M. Clément
(l). 76) ne croit pas à la réconciliation : il estime que Paschal, blessé au vif,
mais ne voulant pas le paraître, jugea sage «le ne rien dire et dissimula son
ressentiment. Faut-il admettre que du Bellaj' dissimulait de son côté dans
l'étrenne des Xenia ?
* Deffence, p. 111.
LE « POËTii COURTISAN » 419
envoyait cette apostrophe : (( Je suis d'opinion, (jue vous
retiriez au hagaige avccques les paiges et la([uais, ou bien
(car j'ay pitié de vous) soubz les frais umbraiges, aux
suuiptueux palaiz des grands seigneurs, et cours magnifiques
des princes, entre les dames et damoizelles, ou votz beaux et
mignons ecriz, non de i)lus longue durée que vostre vie,
seront receuz, admirés, et adorés : non point aux doctes
études, et riches byblyotheques des scavans '. » Un an après,
il raillait encore ces poètes barbares « qui abusent de la
pacience des princes et grands seigneurs , par la lecture de
leurs ineptes œuvres » ". C'était là les traits épars d'une
esquisse : le poème de iSog est le tableau achevé.
Il est d'une rare vigueui-. Du Bellay ne nous donne point
le portrait idéal du poète, selon Aristote, Horace ou Vida.
Ce qu'il veut mettre sous nos yeux, c'est, dit-il, (c l'Apollon
Courtisan » :
La court est mon autheur, mon exemple et ma guide.
Il va donc nous apprendre le moyen de devenir un poète
de cour et nous dévoiler les secrets de cette science ingé-
nieuse.
Par-dessus tout, il l'aut commencer jeune ; pour réussir en
ce (( gentil mestier », il l'aul se dresser de bonne heure
(( aux ruses et façons de la court » . Mais l'apprentissage n'a
rien de pénible, et la marche à suivre est bien simple : il
sutïit de garder intactes sa belle humeur et sa santé. Foin
du travail, qui consume et qui mine !
Je ne veulx que long tenqjs à lestude il pallisse,
Je ne veulx que resveur sur le livre il vieillisse.
Feuilletant studieux tous les soirs et matins
Les exemplaires Grecs, et les autheurs Latins.
* Deffenee, p. 148.
- 2« préf. de l'Olive (I, 74).
420 JOACHIM DU BELLAY
Ces exercices-la loiit l'hommo peu habile,
Le rendent catarreux, maladif, et débile,
Solitaire, fâcheux, taciturne et songeard.
Mais nostre courtisan (;st beaucoup plus gaillard.
Poui' un vers allonger ses ongles il ne ronge,
Il ne frapj)e sa lablc, il ne resve, il ne songe,
Se ])rouillant le cerveau de pensemens divers,
Pour tirer de sa teste un misérable vers,
Qui ne rapporte, ingrat, qu'une longue risée
Par loul ou l'ignorance est plus authorisée.
Un poète de cour n'a pas besoin de tant étudier : qu'il
s'abandonne au simple naturel :
Je veulx en premier lieu, que sans suivre la trace
(Gomme font ([uelques uns) d'un Pindare et Horace,
Et sans vouloir, comme eux, voler si haultement,
Ton simple naturel tu suives seulement.
Ce procès tant mené, et (pii encore dure.
Lequel des deux vault mieulx, ou l'arl, ou la nature.
En matière de vei's. à la court est vuidé :
Car il suffit icy que tu soyës guidé
Par le seul naturel, sans art et sans doctrine,
Fors cest art fjui ai)])rend à faire bonne mine.
Il va de soi qu'il cultivera les petits genres, sonnet, dizain,
chanson, l'ondeau. ballade : qu'il fei-a de la (^our son unique
niodMc.
Puis (]u'elle est (connue on dit) des bons espi'its la mère ;
qu'il écrii'a des poésies de circonstance, célébrant les victoires,
i('s noces et les festins, les mascarades et les tournois : et
cela dans un style aisé, facile, exempt d'effort, sans mots
(( durs ou nouveaux », capables d'arrêter le lecteur :
Car le vers |)lus coulant est le vers plus parfaict.
Le poêle en faveur peut toujours craindre des rivaux : quelle
LK (( POKTE COURTISAN » 421
conduite tiendi'a-t-il envers eux ? C'est là (|u'il faul de la
prudence et de l'adresse. Si le rival ([ui se présente est
ignorant, il sera politi([ue de se l'aii'e soi même son introduc-
teur et de le promener comme une bête curieuse :
Car s'il est ignorant, tu sçauras bien choisir
Lieu et temps à propos, pour en donner plaisir:
Tu produiras pai' tout ceste beste, et, en sonnne,
Aux despens d'un tel sot, tu seras gallaud homme.
S'il est (( homme sçavant », et partant dangereux, il est plus
nécessaire encore de prendre les devants, de l'accabler de
marques d'amitié, de faire très haut son éloge auprès des
seigneurs et du roi. pour le ranger sous sa tutelle et (( le
mener par le nez )) :
Ainsi tenant tousjours ce povre homme soubs bride,
Tu te feras valoir, en luy servant de guide :
Et combien cpie tu soys d'envie epoinçonné.
Tu ne seras pour tel toutefois soubsonné.
Ce n'est pas tout. Le poète courtisan devra ne pas oublier
(pie la table est l' « eschole » de la Cour, et que c'est tout un
art de se tenir à table, qu'il faut « avoir tousjours le petit
mot pour rire », tirer de sa mémoire des lieux communs,
Passer ce qu'on ne sçait, et se monstrer sçavant
En ce que Ion a leu deux ou trois soirs devant ;
ne pas toujours deviser de lettres, mais avoir soin de varier
ses propos selon les personnes et les circonstances, d'être
souple en un mot, de se faire savant parmi les courtisans,
courtisan parmi les savants. Entin. il sera très habile de
produire peu : un petit poème de temps en temps, qu'on ne
lâche qu* « à grand regret », c'est de la bonne politique :
Encores pourras tu faire courir le bruit,
Que si tu n'en avois commandement du Prince,
Tu ne l'exposerois aux yeux de ta province.
422 JOACHIM DU BELLAY
Le comble de l'adresse pour le poète courtisan serait même
de ne rien produire du tout :
Et à la vei'ité, la ruse coustumiere,
Et la meilleure, c'est, rien ne mettre en lumière.
Observer ce ])rogramme est le meilleur moyen de s'avancer
dans l'afl'ection des j^rands seigneurs, d'obtenir honneurs et
fortune, d'éviter l'héritage ordinaire des Muses, à savoir cette
pauvreté,
Laquelle est à ceux-là réservée en partage,
Qui dédaignant la court, fâcheux et malplaisans,
Pour allonger leur gloire, accourcissent leurs ans.
Le Poëte Courtisan, ainsi qu'il ressort de cette analyse,
est tout à fait le contre-pied de la Deffence. Le manifeste de
la Pléiade prescrivait le travail, l'étude des anciens, l'impé-
l'ieuse nécessité d'ajoutci' l'art à la nature, l'intronisation des
grands sujets et des grands genres, le style laborieux et sa-
vant, l'indépendance morale de l'écrivain. Le poème de iSÔQ
prescrit tout le contraire : mais comme il le prescrit sous
la forme ironicpie , il confirme le manifeste. C'est ainsi qu'à
dix ans d'intervalle, et ([uoique en plus d'une occasion il l'eût
lui-même déserté, du Bellay l'eprenait en main le drapeau de
la Pléiade, et le portait de nouveau contre des adversaires
([ui n'avaient pas désarmé.
IV
On l'a dit justement : le Poëte Courtisan est « une satire
de combat » '. Mais cpii donc y est visé ?
C'est une opinion très accréditée que cette satire est con-
temporaine^ de la Deffence, et (pielle attaque Mellin de Saint-
' Bourcicz, Les mœurs polies . . . , p. 30:!,
LE (( POKTK COURTISAN )) 423
Geluys '. En ce qui touche la date, l'erreur est manifeste.
Si l'œuvre était vraiment contemporaine de la Dejfence , il
est certain que son auteur l'eût publiée : celait son intérêt et
celui de tous ses amis, et, dans la bataille engagée, l'arme
était trop précieuse pour qu'on n'en fît aucun usage. Or,
c'est un fait que le Poëte Courtisan n'a paru qu'eu 1.559. Je
vais plus loin et dis qu'il ne fut pas écrit bien longtemps
avant cette époque. // ne pouvait pas l'être : la forme exté-
rieure de l'œuvre, l'emploi du vers alexandrin, l'alternance
régulière des rimes, les rares qualités du stjle, la précision
et la vigueur de la pensée, tout démontre à la fois que ce
poème fut écrit certainement après le retour d'Italie.
Maintenant, est-ce bien contre Saint-Gelays que la satire
est dirigée ? — On ne peut contester que la plupart des traits
s'appliquent à Mellin avec une étonnante justesse, et même
qu'un passage semble le viser nettement :
Tel estait de son temps le premier estimé.
Duquel si on eust leu quelque ouvrage imprimé.
Il eust renouvelé, peut estre, la risée
De la montaigne enceinte : et sa Muse prisée
Si liault au paravant, eust perdu (comme on dit)
La réputation qu'on luy donne à crédit.
Mais le ton du passage indique clairement que c'est d'un
mort qu'on parle. Et de fait, Saint-Gelays était mort au
mois d'octobre i558 ^ Si donc le Poëte Courtisan est une
satiiip de Saint-Gelays. c'est une vengeance posthume.
Mais peut-on certifier que ce soit une vengeance ? Je
remarque en effet qu'à part une légère attaque, et encore
* Bourciez, op. cit., p. 307 : « La satire de du Bellay fut probablement
écrite entre 1330 et 1552, au moment où s'envenima la fameuse querelle entre
Saint-Gelais et Ronsard. » — Cf. Faguet, Seizième siècle, p. 308-309. L'émi-
nent critique place la satire « l'année même de la Deffence ».
- Blînchemain, Notice sur Mellin de Saint-Gelays, p. 28.
424 JOACHIM DU BELLAY
indirecte, clans une phrase de la Deffence ', du Bellay n"a
jamais donné ([ue des éloges à Saint-Gelays. J'ai déjà parlé *
de Tode flatteuse qu'il lui dédiait, quelques mois après la
Deffence. dans le Recueil de Poésie (i549), pour lui repro-
cher amicalement sa paresse à produire. Il ne cessa depuis
de le couvrir de fleurs et resta neutre, semble-t-il, dans la
({uerelle du vieux poète avec Ronsard '.
Dira-t-on que Mellin ne répondit jamais à toutes ces avances,
et qu'on ne trouve dans ses œuvres aucune pièce qui soit
dédiée à Joachim ? — Il est vrai, et l'on peut en conclure
(|ii"il n'aimait ^-uère son jeune rival. Mais si du Bellay, en
h)iiant Saint-Gelays. n'ai^i'issait ([ue par politique et pour se
concilier les grâces d'un lionime influent à la Cour, qui
le forçait de chanter encore ce poète après sa mort ? Ne
pouvait-il donc garder le silence ? Or. c'est à peine si Saint-
Gelays était descendu <hius la tombe (i558), ([ue du Bellay lui
consacrait une très louangeuse épitaphe *. C'était peu, à son gré :
l'année^ suivante, publiant en latin le Tombeau d'Henri II '\ il
y joignait \\w Tombeau de Saint- Gelaj's, et il en donnait la
raison dans un court avis au lecteur (Lectori), dont je
détache ces deux phrases : « Visum est tumulo Henrici Régis
' Deffence, p. ll.S.
- V. ci-dessus, 1" part., chap. vin, S^ iv, p. 226-228.
' Le difrérend de Saint-Gelays et de Ronsard surgit en IodO, après l'appa-
rition (les Odes. Or, cette même année, non-seulemenl du Bellay saluait en
Mellin l'introducteur du sonnet en France (I, 72), mais il s'écriait dans la
Miisagnœomachie (I, lia) :
Carie', Heroët, Saint Gelais,
Les trois favoriz des Grâces.
V. aussi le s. 62 de V Olive. — Les Regrets contiennent encore deux sonnets
(101 et 178) adressés à Mellin.
' Poemata, f° 5!t v : Mellini Sangelasii tumiiliis :
Piérides, Pai)liiaequp siinul lugele puellae,
Et si quod priscis numen Amoris erat...
■' Tumulus Ilenrici secundi Gallornni régis christianiss. per loach. Bel-
laiurn. . Paris, Federic Morel, 1359, in-4°. (Bibl. Nat. — Rés. mYc. 113).
LE « POKTE COURTISAN )) 425
fortissiiiii tmniiluiii addcre Mellini Sangelasii poetac mellitis-
simi : seilicet ut Marti Mxisac, et optinio Principi optinms
poeta JTini;orotur. Nequo voro ((lUMiquaiii a(M|uioi'is judicii, (pii
literas tautuin atti^erit, hoc iiiipi-ohaturum arbitroi", cuiu sciai
Ennium poetam votustissiinmu iii Scipionis illius Aphricani
tuinulo, autliore Cicérone, fuisse coudituni. » La publication
étant peu connue, je crois devoir y insister. Le Tombeau de
Saint-Gelqys comprenait d'abord trois pièces latines, (pie je
reproduis pour leur rareté :
I
TVMVLVS MELLIiNI SANGELASII
Sepultus, hospes, hic jacet Gelasius,
Pater leporis, et joci, Gelasius,
Simukpie g^rande seculi decus sui.
Ab ore cui fluebat Atticum melos.
Disertus idem, et elo(piens, prcjbus, pins,
Ciere doctus aureae sonos chelys :
Notare cautus ignei faceis poli :
Juvaret ul bonos^ b(jnus paruin sibi.
Quid amplius, mororve quid diutius ?
Sepultus, hospes, hic jacet Gelasiur.,
Pater leporis, et joci, Gelasius,
Simulque grande seculi decus sui.
II
MELLINI SANG. ETYMON K
Qui nomen tibi. culte Sangelasi,
Mellini imposuit, Gelasiique,
Mores ille tuos. tuos lepores
Ipso tam bene nomine indicavit,
Pictae ut nil melius queant tabellae.
' Cette pièce se retrouve dans les Xenia (15G9), f» 10 r».
426 JOACHIM DU BELLAY
Mellitos oculos vocat Gatullus,
Tener. molliculus tuus Gatullus.
Mellitos quoque saepe sic vocamus
Dulces vei'siculos, venustulosque,
Et quales tibi Musa dictitabat.
At Flaccus Lyricae potens Gamoenae,
Graocos dum sequitur disertiores,
Ridenteni vocat auream Dionem.
III
IN EIVSD. CARMINA.
Olim inulta sibi, suisque Musis
Lusit carmina Sangelasianus :
Quorum pars tenebris jacet sepulta.
Pars descripta manu hue et hue vagatur
Per manus hominum venustiorum.
Supprcsso titulo. Hune tamen poetam
Gunctis Gallia praetulit poetis,
Quorum carmina docta perleguntur
Typis édita tôt laboriosis.
Sic quod ipse sibi, et suis negabat
Nomen versibus invidus poeta,
Ultro scilicct id hcnigna fama
Illi detulit, et quidem merenti.
Quid, si quae latuere nocte longa
Gum blattis, tinois({ue, muribusque,
Dias luniinis excant in oras ?
Puis venait une courte épigramme de Saint-Gelays, six
vers latins, les derniers (ju'il eût composés {Mellini ipsius
cum animain cxhalaret). Gette épigramme était suivie irune
autre en huit vers où du Bellay, s' inspirant du sizain chanté
par le « cygne mourant », niorihundiis olor , décernait à
Mellin les pln> llaU(Mir> t'-loges {Bcllaii in eand. senten-
LE (( POÈTE COURTISAN » 427
tîani) '. Enfin, le recueil se IVnnail j)ar des hcndécasyllabes
de notre poète {In riifum quendam ex gallico Mel. Sange-
lasii), éléc^ante traduction d'un hadinage de Saint-Gelays
{Du roiisseaii et de la rousse) ^ — Ainsi, un an après la
mort du vieux rimeur, du Bellay lui dressait un tombeau
magnifique, et non content de célébrer en vers latins la
grâce de ses poésies, il se faisait son interprète, et comme
l'apôtre de sa gloire '\
On voit maintenant la difficulté. Je la résume ainsi : la
satire du Poëte Courtisan, quon applique à Saint-Gelays,
et f[ui semble en effet s'appliquer à lui trait pour trait,
n'a vu le jour qu'après sa mort, et d'ailleurs contredit ce
que nous savons des rapports de Joachim et de Mellin, prin-
cipalement cet honniiage posthume qui s'appelle le Tombeau
de Saint-Gelays. Dans ces conditions, comment expliquer le
Poëte Courtisan ? Deux hypothèses se présentent : i» ou bien
cette satire ne vise nullement Saint-Gelays, — et alors elle
fut écrite dans des circonstances qui nous échappent encore ;
2° ou bien elle s'en prend à lui réellement, — et alors, il fau-
drait y voir une espèce de revanche, et comme la rançon,
secrète et posthume, d'éloges hyperbolicpies et peu sincères.
Pour ma part, je croirais volontiers ceci. Lorsque Madame
* Il est curieux de constater que du Bellay, non content d'imiter en latin
les derniers vers de Saint-Gelays, les a encore paraphrasés dans un sonnet
(A son Luth, 1, 331). On trouvera la pièce de Saint-Gelays et les deux imi-
tations de Joachim dans les oeuvres de Mellin, édit. elzév., II, 2oo-2of).
- Edit. elzév., I, 208-209. — Voici ce que dit du Bellay au sujet de sa tra-
duction, dans sa préface Lectori : « Addidimus. . . . et ejusdcm quoque
Mellini Epigramma. quod ab eo ipso paulo antequam excederet, Gallicis
versibus perquam lepide (ut omnia) conscriptura, quo magis venustissimi
illius poetae ingenium Latino etiaru lectori perspectum esset, totidem hen-
decasyllabis expressimus. » Le mot totidem n'est pas tout à fait juste : le
français a 24 vers, le latin 23.
^ On ne peut mettre en doute l'authenticité du Tombeau de Saint Gelays :
dès 1560, il est reproduit, comme étant de J. du Bellay, par son anù Léger
du Chcsne [Leodegarius a Ouercu], dans son recueil Farrago poematum,
f- 333ro-334 v», Paris, 1360. (Bibl. Nal. — Rés. pY". iill).
428 JOACHIM DU BELLAY
Marguerite et son chancelier L'Hospital eurent plaidé près
(l'Henri II, contre l'envieux Saint-Gelays, la cause de Ron-
sard et de la jeune école, le roi ne put l'aire autrement que
de se déclarer pour les nouveaux poètes '. Il les assura de
sa protection. Toutefois, comme il était médiocrement intelli-
gent, et, somme toute, « assez peu sensible à la poésie d'où
quelle vînt » ". il garda au fond de son cœur une secrète
préférence pour le spirituel courtisan qui savait si bien rédiger
les devises de ses mascarades et les cartels de ses tournois.
Il honora donc de sa l)ienveillancc les poètes chers à sa sœur,
mais il ne les « avança » guère : Ronsard ' et du Bellay * se
sont plaints tous les deux de n'avoir pas eu part à ses lar-
gesses. Tous les deux, se heiirtant au crédit de Mellin, ju-
gèrent de leur intérêt de vivre avec lui dans les meilleurs
termes : et de là les éloges qu'ils lui prodiguèrent. Lorsque
Mellin mourut, i)ientôt suivi par Henri II, du Bellay fit au
prince ainsi qu'à son poète de glorieuses funérailles. Mais
un nouveau règne commençait. Il importait d'en assurer le
béni'fice à ceux-là seuls qui, par leur science et leur génie,
' Sur ce point, v. Bourciez, op. cit., p. 207 sqq.
- Bourciez, op. cit., p. 208.
^ Ronsard écrit dans une pièce à Charles IX (lo7b) :
On doibt sçavoir que ce grand roy Henry
M'a honoré, estimé et chery,
Non advancé, bien qu'il en eust envie,
(Car le malheur luy desroba la vie).
(Blanchemain. III, 316).
Il sest plaint maintes fois do l'indifTérence d'Henri II, à laquelle il attribue
tous les retards de la Franciade (II, 21-22. 40, 172, 273; III, ,377: VI, 287;
YII, 1.38).
' Du Bellay écrit à Morel, le 3 oct. 1530 : « J'avois (et peult estrc non sans
(«casion) conccii quelque espérance de recevoir quelque bien et advance-
uient du feu Roy plus par la faveur de madicte Dame [Marguerite] que pour
aultre mérite qui fust en moy. Or Dieu a voulu que je sentisse ma part de
ceste perte commune, m'ayant la fortune par le triste et inopiné accident de
ceste douloureuse mort, retranché tout à unp coup, comme à beaucoup
d'auUres, toutes mes espérances. » {Lettres., p. 37). Du Bellay n'avait donc
janiiiis rien obtenu d'Henri II.
LE (( POKTK COURTISAN » 429
étaient vraiment dignes (Ihouncui', et d'écarter de la favenr
royale tous les petits l'inieurs de cour. C'est aloi's que du
Bellay, pour réserv(M' à la Pléiade les bonnes grâces du nou-
veau roi, s'avisa d'une satire à l'adresse de ([uiconque j)i'é-
tendrait recueillir l'héritage de Saint-Clelays sans avoir plus
de titres que lui. Mais pour éviter le scandale d'une publi-
cation avouée et les accusations d'envie qu'on lui jetterait à
la tète, il la fit paraître à Poitiers, sous le voile d'un
pseudonyme.
En émettant cette hypothèse, je n'ai pas la prétention
d'avoir résolu l'énigme '. Même à défaut de solution satis-
faisante, on )ue saura v;vé peut-être d'avoir établi qu'il existe
là un problème, que personne encore, à ma connaissance,
n'avait indiqué ^
V
Pris en lui-même, abstraclion laite des circonstances et
des motifs qui ont pu lui donner naissance, le Poëte Cour-
tisan est une œuvre très remarquable. Le fond en est solide,
la langue est nette et ferme, l'ironie maniée avec une réelle
maîtrise.
Je ne sais s'il est bien nécessaire d'en chercher le point
de départ, avec M. Vianey *. dans les capitoli des poètes
bernesques. L'épître à Léoquerne avait déjà montré cet (( art
de dire une chose poui* faire entendre exactement le con-
' 11 nous manque en eflel une donnée précieuse : la date exacte de la
publication de la satire. A t elle paru sous Henri II ou sous François 11? La
plaquette de Poitiers porte bien 1559, mais elle n'a ni privilège, ni achevé
d'imprimer.
- Ceci n'est pas tout à fait juste, puisque M. Clément (p. 76) a les mêmes
doutes que moi sur l'application de la satire du Poëte Courtisan à Mellin
de Saint Gelays.
^ Mathurin Régnier, p. iiu et 61.
430 JOAGHI.M DU BELLAY
traire » ; et quand même il ne se fût pas inspiré de Turnèbe.
du Bellay n'avait-il point assez d'esprit naturel pour tirer de
son propre fond cette finesse d'ironie ? Quoi qu'il en soit, le
Poëte Courtisan est vraiment la première en date des satires
françaises. 11 dut IrappiM", et frappa en elfet : l'année même
de sa publication, paraissait, anonyme, chez un libraire de
Paris, une satire intitulée le Médecin Coiirtizan ', où l'on
relève d'évidentes imitations de la satire imprimée à Poitiers ^
Plus tard. Jean de la Taille écrivit, toujours dans le même
oi'dre d'idées, son Courtisan retiré. Et puis, ce fut le tour
de Vauquelin et de Régnier, qui s'illustrèrent, surtout le
second, presque exclusivement par des satires. Un genre
nouveau, latin d'origine ', avait enrichi notre poésie, — un
genre très particulier, qui. sous une forme familière, enseigne
et raille tout à la fois. Ce genre-là. c'est du Bellay qui l'a
cultivé d'abord : il k^w a dcjnné le premier modèle, et ce
modèle n'est pas loin d'être un chef-d'œuvre.
' Le Médecin Coiirllzan, ou la nouvelle et plu^ courte manière de parve-
nir à la vraye et solide médecine. A Messere Dorbuno. A Paris, pour Guil-
laume Barbé, i55g. — Celte rarissime plaquette a été re[)rodiiite par
MM. A. (le Monlaiglon et .1. de Uotliseliild, dans Je Recueil de poésies fran-
çaises des XV' et XVI' siècles, édit. olzcv., Paris, DalUs, 1875, t. X, p !)lj-109.
- Ce n'est pas une raison cependant pour atlriijuer, avec M. de Monlai-
glon (p. 97), le Médecin Courtizan h du Bellay lui inêmc.
' Faut-il rappeler le mot de Quintilien : Salira quidem iota nostra est ?
CHAPITRE IX
DV BELLAY POÈTE COURTISAN
1558-1559
I. — Du Bellay courtisan. — La dernière partie des « Regrets »
et le « Discours au Roy sur la Poésie » . — Rôle du poète
parmi les grands.
II. — Du Bellay et Henri II. — Médiocrité des poésies de cir-
constance. — Le sentiment patriotique chez du Bellay :
r « Hymne au Roy sur la prinse de Callais ».
III . — Du Bellay et François II — Les deux « Discours au Roy » .
IV . — Du Bellay et les grands de la Cour : Catherine de Médicis,
Diane de Poitiers, Jeanne d'Albret, Marie Stuart, les
Guises, Montmorency, etc.
V. — Du Bellay et Madame Marguerite.
La contradiction est piquante de voir Joachim du Bellay
railler le poète courtisan et s'efforcer lui-même de mériter ce
titre. Dès i549, encouragé par la sœur d'Henri II, Madame
Marguerite, il avait essayé de se pousser en Cour, et, dans
cet ambitieux dessein, il avait improvisé le Recueil de
432 JOACHIM DU BELLAV
Poésie '. Mais la faveur de Saint-Gelays, toujours puissant et
redoutable, avait empêché son (( avancement » , et ne trouvant
pas à la Cour la fortune qu'il espérait, il l'avait cherchée
à hi suite de son parent le cardinal. Lorsqu'il fut revenu
d'Italie, il s'empi-essa de rcMioiiveler sa tentative. Saint-Gelays
toucliait à sa fin. Depuis longtemps, Ronsard travaillait à le
remplacer dans les bonnes grâces du roi. Notre poète , qui
s'était toujours montré si zélé pour l'illustration des lettres
françaises, avait-il à ces bonnes grâces moins de droits que
Uonsard ?
Le désir de s'imposer à l'attention (U* la Cour lui suggéra
visiblement la dernière partie des Regrets, une cinquantaine
de sonnets écrits dès son retour en France ^ Beaucoup de
ces sonnets sont des lionnnages adressés par l'auteur aux
puissants de la Cour dont la protection devait lui permettre
d'obtenir ce (ju'il désirait. Mais si soucieux ([uil fût de
(( s'avancer » dans la faveur des princes, du Bellay n'était
pas lellenunil aveugle aux intrigues de ce milieu qu'il n'en
vit point les mes({uineries et les petitesses. Du même trait
satiri(jue dont il avait noté naguère les mœurs de Ronuî , il
nota les mœurs de la Cour de France. Avec une ironie pro-
fonde, il in(li(|ua. dans une série; de sonnets ', la vraie méthode
poui" (( vi\r(' (Ml (]ourt ». s'y faire ])ris(M- et s'y maintenir.
Personnellement, il était trop lier pour s'élever par de pareils
moy<'ns. Il avait une juste conscience de sa dignité de poète
et n'entendait j)as s'avilir. Rien ne montre mieux en quel
respect il tenait son art, (|ii<' la laron superbe et dédaigneuse
dont il renvoie aux courtisans le reproche de folie qu'ils
lantaicnl aux poèliîs :
' V. ci-dessus, 1" i>art., cliap. viii, § ii, p. 2:J2-224.
î S. 139 191.
•' V. notîinimciil s. llîi», 140, 141, 142, 144, 14-i, 150.
DU BF.LLAY POÈTE COURTISAN i3.'J
Vous dictes (Courtisans) les Poètes sont louis,
Et dictes vérité : mais aussi dire j'ose.
Que telz que vous soicz, vous tenez quelque chose
De ceste doulce hunieui' ((ui est commune à tous.
Mais celle-là (Messieui's) ({ui domine sui- vous,
En autres actions diversement s'expose :
Nous sommes louis en rime, et vous Testes en prose :
C'est le seul dillcrent qu'est entre vous et nous.
Vray est que vous avez la Court plus l'avorable.
Mais aussi n'avez vous un renom si durable :
Vous avez plus d'honneurs, et nous moins de souci.
Si vous riez de nous, nous faisons la pareille :
Mais cela qui se dit s'en vole par l'oreille,
Et cela qui s'escript ne se perd pas ainsi. (S. i49)-
Verba volant, scripta nianent. Cette même pensée de l'éter-
nité des écrits et de la gloire qu'ils procurent fait tout le
fond du Discours au lloj- sur la Poésie '. S'inspiranl du Pro
Archia, du Bellay développe cette idée, familière à la Renais-
sance, que ce qui soutient Ihonnue, dans sa vie si brève et si
rude, c'est le désir
D'allonger par vertu le cours de sa mémoire,
Et gaigner par sa mort une immortelle gloire.
Mus par ce désir d'innnortalité, les rois et les princes élèvent
de beaux monuments destinés à transmettre aux lointaines
générations le souvenir de leurs exploits ; mais les plus sages,
voulant une œuvre qui résiste aux injures du temps, préfèrent
emprunter les mains
Et l'immortel labeur des doctes escrivains :
* Marty-Laveaux, I, 2ii3-216. — Ce Discours n'a paru qu'en 1500, après la
mort de du Bellay, mais il date de 1558 ou looU.
Univ. de Lille. Tome VIll. A. 28.
434 JOACHIM DU BELLAY
Par le moyen desquelz, plus vivans ilz sont ores,
Que du temps qu'ilz vivoient, et leurs beaux faictz encores
Plus récents que eeux-la, qu'on voit présentement :
Tant (le force a l'histoire escrite doctement.
Parler ainsi de lliistorien. continue du Bellay, c'est aussi
parler du poète : car tous les deux, par des moyens divers,
prétendent au même but : immortaliser les héros. Donc,
conclut-il en s'adressant à Henri II :
. . . Pour une gloire entière
Bastir à vostre nom, dire j'oseray bien,
Que le poëte il l'ault joindi'e à l'historien.
Qu'on ne s'y trompe pas : en proclamant de la sorte l'utilité
du poète pour la renommée d'un prince, du Bellay demandait
adroitement au roi de le traiter lui-même comme il traitait
Paschal. .Mais s'il sollicitait, il ne s'abaissait point. Il était
convaincu (|ii'uii homme sacré par les Muses a droit à l'atten-
tion des grands, et ({u'il peut acceptei", le front haut, de ceux
auxquels il décerne la gloire.
II
Dans son Elégie à Morel, du Bellay résume ainsi ses
rapports avec la Cour :
Notus eram Henrico Régi Regisque Sorori,
Nec modo notus eram, sed quoque charus eram.
Francisco ignotus, sed non ignotus et hospes
Seu Catharina tibi, seu Lotarene tibi.
J'ai déjà dit qu'il n'eut pas beaucoup à se louer d'Henri II :
s'il est vrai que le roi lui témoigna quelque amitié, du
moins cette amitié ne se traduisit pas par une protection
efficace et solide. Henri II, prince d'esprit borné, « qui ne
DU BELLAY POÈTE COURTISAN 4.35
pensait point, parlait jxhi et ne lisait pas ' » , goûtait médio-
crement la docte poésie d'un Ronsard ou d'un du Bellay :
il aimait mieux le jeu de paume et les tournois. Mais il
était le Roi ; il avait l'humeur débonnaire, l'abord facile ; il
était valeureux et martial, comme un chevalier d'autrefois :
il était fils enfin du grand François, dont la mémoire était
si chère à tous les amis des lettres : c'était assez pour qu'on
chantât sur tous les tons son héroïsme et ses vertus. Du
Bellay ne s'en fit pas faute. Il serait fastidieux de relever
tous les endroits où se renouvelle ce panégyrique : un choix
s'impose. Voici par exemple un sonnet, qui peut passer pour
un modèle du genre :
Puis qu'Alexandre, et ce grand Empereur %
Dont vos vertus ont mérité la gloire,
Daignèrent bien des filles de Mémoire
Favoriser la tant douce fureur :
Puis que de Mars l'audace et la terreur
Ne sulliroient à vous rendre notoire.
Si les beaux vers n'arrachoient la victoire
Du plus profond de l'éternelle horreur :
Puis que le ciel d'un père vous fit naistre
Qui. par les arts, de la mort s'est fait maistre,
Je ne crains point qu'après Gesar ' donté,
Yostre faveur dédaigne de s'estendre
Sur ce qui peult à jamais faire entendre.
Que vous l'aurez cpielquefois surmonté. (I. 280).
On le voit : du Bellay ne se borne pas à louer le roi :
' Miolielet, Histoire de Frwce, t. XI, chap. m, p. 35, édit. Marpon et
Flammarion.
- Auguste.
' Charles-Quint.
436 JOACIHM Di; BF.LLAV
il lui rappelle encore la mission des poètes et les devoirs qui
lui ineoinl)ont envers les h('>rîiuts de sa gloire. C'est l'idée qui
revient dans la plupart de ses poésies de cour. — Dans un
autre sonnet, le dernier des Regrets (s. 191), du Bellay
développe cette pensée que (( rien n'est, après Dieu, si grand
qu'un Roy de France ». Et il ajoute :
Puis iXonv que Dieu pcult tout, et ne se trouve lieu
Lequel ne soit encloz sous le pouvoir de Dieu,
Vous, de ([ui la grantleur de Dieu seul est enclose,
Élargissez encor sur nioy vostre pouvoir,
Sur nioy. qui ne suis rien : à fin de l'aire voir
Que de rien un grand Uoy peult l'aire quelque chose.
En dépit de l'hyperbole, la sollicitation ne manque pas
d'esprit. — Ailleurs encore, dans un sonnet de i559, du Bellay
supplie Henri II , dont le pouvoir est « souverain )) , de
prendre en i)itié les poètes, de les abriter contre le malheur :
Puis qu'un grand U(jy seul peult sullire à tous,
Syre, chassez la povrelé de nous.
Vous ferez [)lus ([ue les Dieux ny les Astres. (II, 463).
Les précédentes citations sullisent à montrer comment
du Bellay, lorsqu'il s'adresse au roi, allie l'éloge et la
re<jucte. Mais le rôle d'un poète courtisan ne consiste pas
seulement à briguer des faveurs : pour les mériter, il lui
faut encore célébrer les actes fameux dont il est le témoin.
A cet égai'd. du Bellay n'a laissé dans l'ombre pour ainsi
dire aucun fait iin[)orlant du règne d'Henri II. Il a chanté,
soit en français, soit en latin, l'entrées du monarque à Paris,
le voyage de Boulogne, le siège de Metz, la trêve de
Vaucelles, le désastre de Saint-Quentin '. Il était depuis peu
* Prosphonematique (I. 222); — Chant triumphal sur le voyage de Hou-
longne (I, :i'2^); — Traduction d'une ode latine de Ihiccanan (I, 440) ; — Discours
au Roy sur la Irefve de l'an M.D.LV (I, 302); — In eos qui belLo Quinliniano
occuhuerunt I.acrymae {Poeniata, f" i)2 r").
DU BELLAY POKTK COURTISAN 437
revenu d'Italie, lors({ue lo duc Fraurois de (iiiise, le 8 jan\ ifi-
i558, s'empara de Calais, (|ui depuis plus de deux eeuls ans
portait le joug de l'Angleterre. Ce fut un grand triomphe
national , que redirent avec enthousiasme tous les poètes de
l'époque. Du Bellay le elianta des premiers, en (U)uq)i)sant son
H)~niiie au Roj' sur la prinsc de Callais '. Et |)uis eut liiui,
le a4 avril, le mariage du Dauphin avec Marie Stuart, reine
d'Ecosse : toujours pressé, notre poète avait célébré par avance
le bonheur de cette union \ Plus tard, ce fut la paix de Cateau-
Cambrésis et les fêtes qui la marquèrent ' : enfin, la mort
tragique d'Henri II , qui plongea du Bellay dans la conster-
nation et lui dicta, au sortir des cartels et des épithalames,
les vers désolés d'un tombeau *.
Il faut le reconnaître : ces poésies de circonstance sont de
très médiocre valeur. Ni VEntreprise du Rqy-Daulphin ni le
Tumheau du Treschrestien Roy Henry II ne supportent au-
jourd'hui la lecture : de ])areilles élucubrations sont tout juste
à la hauteur de celles de Saint-Gelays '. Du Bellay réussit
• Paris, Federic Morel, 1538, G flf. in-4". — Marty-Laveaux. I, 310-316.—
Le privilège étant du 17 janv. 1537 (n. s. 1358), du Bellay s'est mis à l'œuvre
aussitôt connue la victoire. — Cf. cinq pièces des Poemata, f°* 30 r"-31 r".
- Hoemata, f" 30 r» : In futuras niiptias Francisci Gall. Delphini, et
Mariae Stiiartae Scotorum Reginae.
^ Entreprise du Roy-Daulphiii pour le tournoy sonbz le nom des ctievaliers
advanteureux . A la Royne , et aux Dames. Par loach.du Bellay Ang. Paris,
Federic Morel, 1339, 14 fî. in-4". — Marty-Laveaux, II, 441-464.
^ Tumulus Henrici Secnndi GaUorum régis Christianiss. per loacti. Bel-
laium. Idem gallice totidem versibus expressum per eumdem.... Paris,
Federic Moi-el, 1539, 14 ff. in-4'i. — Marty-Laveaux n'a reproduit que la partie
française. II, 463-473.
5 II est curieux de constater que Vauqueiin de la Fresnaye voit dans
VEntreprise du Roy-Daulphin le modèle accompli des cartels et des masca-
rades {Art Poétique, édit. G. Pellissier, p. 146). — Le Tombeau d'Henri II ne
me paraît pas mériter tous les éloges de Goujet {Bibl franc.. VII, 143). Sur
la manière dont le poète jugeait son œuvre, v. sa Lettre à Morel sur la mort
du feu Roy (Marty-Laveaux. II, 472 473 ; P. de Nolliac, p. 33-37). II voulait
faire simple^ nous dit-il en substance : il a surtout fait plat. Je parle de sa
version française : le lalin est meilleur.
438 JOACHIM DU BELLAY
mieux lorsqu'il est porté par les faits et qu'il a, pour le
soutenir, une pensée patriotique. C'est ainsi, par exemple,
que YHymne au Rojy sur la prinse de Callais, composé, dit
l'auteur, a parmy le bruit et publique allégresse du peuple »,
respire une mâle fierté. Le cœur du poète a vibré de joie,
comme tout le royaume, à cette victoire glorieuse, inattendue,
qui délogeait enfin l'Anglais, l'ennemi national, de son dernier
refuge sur la terre de France ; et, pour traduire la commune
allégresse, sa muse a trouvé quelques beaux accents :
Vous avez prins Callais, deux cens ans imprenable,
Montrant qu'à la vertu rien n'est inexpugnable,
Lors cpi'ellc est irritée, et que la passion
Luy l'aict imiter l'ire et le cœur du lyon. (I, 3ii).
Je diray seulement que de ccste victoire
Il semble que le Ciel vous reservoit la gloire
Pour estrc celuy seul, qui devoit quelque fois
Sur Philippe vanger Philippe de Valloys.
Aussi ne failloit il qu'un moindre que vous, Sire,
Nous rendist un Callais duquel vous pouvez dire.
Que l'ayant regaingné, vous n'avez pas moins faict.
Que si vous eussiez mesme en bataille deffaict
Les forces de l'Anglois, qui du sceptre de France,
En perdant son Callais. a perdu l'espérance.
Icy je vous supply mettre devant voz yeulx,
Tous ces vieux Roys François, voz antiques ayeulx,
Ce grand Françoys sur tous, dont l'umbre vénérable
Entre les umbres tient lieu plus honnorable ' :
Quel ayse pensez vous qu'ont senty ces esprits,
Oyant bruire la-bas, que Callais estoit pris ? (I. 3i3).
Voilà des vers pleins de vigueur dans leur simplicité, des
vers sincèrement émus, où passe un souffle déloquence.
' Sic.
DU BELLAY POÈTK COURTISAN 439
III
Lorsque François II monta sur le trône, il avait quinze
ans (iSSg). Ce n'était guère qu'un enfant, faible de corps,
faible d'esprit. Il ignorait le chantre des Regrets : du moins,
notre auteur le prétend, Francisco ignotus. Du Bellay cher-
cha l'occasion de se faire connaître.
Précisément, un de ses amis les plus chers, Michel de
L'Hospital, premier président de la Chambre des Comptes,
et conseiller du roi en son privé Conseil, adressait au car-
dinal de Lorraine une longue épitre latine, qu'il avait pré-
sentée au jeune François II très peu de temps après son
sacre ', et qui n'était pas autre chose qu'une instruction
sur l'art de bien régner \ Du Bellay s'attela promptement
à la tâche et mit l'épitre en vers français ". Son œuvre est
assez bien avenue. Goujet écrit avec raison : « Cette traduction
n'est presque qu'une version littérale : elle est exacte et
fidèle, et ne manque point d'élégance pour le temps où elle
a été faite : si l'on n'y voit pas tout le goût, tout le génie
• Ce sacre eut lieu le 18 septembre 1359.
- De sacra Fraiicisci II Galliarum régis initiatione, regnique ipsius admi-
nistrandi providentia sermo. On trouvera cette instruction dans les poésies
latines de L'Hospital. édit. Duféy de l'Yonne, t. 111 des Œuvres complètes,
p. 333.
^ Discours au Roy contenant une brefve et salutaire instruction pour
bien et heureusement régner. .. . (Marty-Laveaux, II, 477-489). — Du Bellay,
parlant de sa traduction, écrit à Morel : « J'ay traliy ou traduict beaucoup
plus de la moitié de nostre besongne, mays en vers alexandrins, car les
aultres ne me satisfont en si jjrave matière, et m'eust fallu user d'une inli-
nité de périphrases, dont je me feusse beaucoup eslongné de la nayfveté de
mon autheur, que je mesforce de représenter le plus au naturel qu'il m'est
possible. » {Lettres, p. 29-30). — Le Discours au Roy ne fut publié qu'après
la mort de du Bellay; mais nous voyons, par une autre lettre à Morel, que
le poète avait grand soin d'en faire distribuer des copies manuscrites à
tous ses protecteurs [Lettres, p. 30-32). Il ménageait ses intérêts.
440 JOACHIM DU BFXLAY
de l'auteur original, on y retrouve toutes ses pensées expri-
mées avec naïveté et simplicité '. »
A quelque temps do là, L'Hospilal ayant écrit pour son
prince une seconde Instruction politique et morale, du Bellay
— c'était (( peu de jours avant son trespas » — fit passer en
français ce nouveau catéchisme, mais cette fois plus librement,
en développant pour son compte les préceptes do son ami :
ce fut VAniple discours an Roy sur le faict des quatre
Estais du royaume de France '. Le texte de L'Hospital étant
aujourd'hui perdu, on ne peut dire ce qui, dans ce Discours,
revient en propre à l'interprète, et c'est dommage : car l'œuvre
est boUe. noblement pensée, fermement écrite. L'auteur expose
au roi le vaste ensemble de ses devoirs , et comme il lui
faudra veiller à faire régner l'harmonie entre les quatre états
qui soutiennent sa couronne, le Peuple, la Noblesse, la Justice
et l'Église. Il s'étend avec émotion sur les maux dont souffre
le peuple et sur les services (ju'il rend :
Sire, vous aurez donq' du pauvre peuple soing.
Qui d'estre soulagé a le plus de besoing. . .
Sans luy rien ne soroit de plaisant et d'aimable.
Sans luy des Roys seroit la vie misérable,
Sans luy la terre more infertile seroit,
Et maraslro à ses fils, rien ne leur produiroit
Que ronces, et chardons, avec le gland sauvage,
Et l'eau pure seroit nostre plus doux bruvage. (II, 492)-
' Goujet rapproclic chnix autres traciuelions faites au xvii' siècle
par Claude Joly, chanoine de l'Eglise de Paris, et par Charles Perrault.
V. Bibl. franc , t. VII, p. lOiJ sqq.
- Le titre ajoute : Composé par I. du Bellay. Gentil-homme Angevin, peu
de iours avant son trespas, à Vimitation d'un autre plus succinct, au para-
vant faict en vers Latins par Messire Michel de L'Hospital. . . . (Marty-
Laveaux, II, 489 511). — Sur les diverses éditions de ce Discours, dont une,
la j)lus correcte, parut à Lyon en loGT, par les soins de Philibert Buojnyon,
V. dans la Rev. de philol. franc, et prov., t. VIII, 1894, p. 89, un article de
M. Bruno t.
DU BELLAY POÈTE COUHTISAN 441
Il éniimère longuoment les bien laits de ra^riculture, cette
nobl(^ chose, utile, iiidis])onsal)le à tous, et réclame avec
éneracie un juste traitonient pour les travailleurs qui la font
fleurir :
Ainsi de son labeur le ])eu[)le nous nourrit,
Et pour nous enrichir luy-mesme s'appauvrit.
Comme l'abeille donc(j' vous le traittorez. Sire,
No luy ostant du tout et le miel et la cire,
Mais pour l'entretenir tousjours en ce bon cœur,
Luy ferez quoique part du fi'uict de son labeur :
Vous souvenant qu'Homère en l'Iliade belle.
Le grand Agamemnon pasteur du peuple appelle ;
Et que le bon pasteur, qui aime son troupeau.
En doit prendre la laine, et luy laisser la peau. (11. 494)-
Pour alléger les charges qui pèsent sur le peuple, il demande
le maintien de la paix, la refonte des impôts, de sévères
économies dans les dépenses royales. — Je ne suivrai pas
du Bellay dans ses dévoloppoments sur la noblesse et la jus-
tice, encore qu'on y pût cueillir de bons conseils et de beaux
vers. Mais il faut s'arrêter un instant aux vues très hardies
qu'il a sur l'Église. Il demande, bien entendu, la suppres-
sion de l'hérésie : mais il demande aussi, et la chose est
notable, une réforme ecclésiastique. Il no se fait pas d'illu-
sion sur le clergé de son époque :
Du temps de la vertu que l'Eglise ancienne
Saincte ne dodaignoit la povreté Chrestienne.
Elle estoit le miroir de toute purité.
De toutes bonnes meurs, de toute humilité :
Maintenant au contraire, on voit qu'elle est l'exemple
Ou toute volupté protraicte se contemple.... (II, 5o3).
Il fait une vive peinture des prélats de son temps, dont le
dernier des soins est de s'occuper du troupeau commis à
leur garde :
442 JOACHIM DU BELLAY
Jadis les bons Prélats, qui du troupeau de Dieu
Estoient les vrays pasteurs, residoient sur le lieu,
Cosrnoissoient leurs brebis, en faisoient la reveuë.
Et soigneux les gardoient, sans les perdre de veuë.
Maintenant leur demeure est à la court des Roys,
Où ils ont plus de train, de chevaux, et charrois,
Que les plus grands Seigneurs, et leurs tables friandes
Surmontent l'appareil des Persiques viandes. (II. 5o4).
Il réclame la résidence de tous ceux des prélats qu'une fonc-
tion de conseiller n'attache pas auprès du prince ; il
réclame aussi l'amélioration du sort des curés. — Dans
l'idéale monarchie que du Bellay propose à François II, il
serait surprenant que les poètes et les artistes lussent oubliés.
Il n'en est rien : eux aussi contribuent à la vie du royaume :
le prince a des devoirs à remplir envers eux. Du Bellay
rappelle à son roi tout ce qu'ont fait pour les études
Charlemagne et François I»' : nobles exemples, qu'on ne sau-
l'ait trop suivi'e :
Sire, il vous plaira doncq. imitant voz aveux,
F'avoriser les arts, qui voz faicts glorieux
Peuvent porpetuer mieux qu'en marbre, ou en cuyvre.
Et qui vous peuvent faire à vous mesmes survivre. (II,5o9).
J'ai cru devoir insister quelque peu sur ce remarquable
poème dont, je ne sais pourquoi, on ne parle jamais. C'est
pourtant là, il me semble, quelque chose d'assez nouveau, un
curieux spécimen de ces sermons en vers, (jui plairont tou-
jours aux Français, ce peuple d'orateurs '. On admire ])eaucoup
les Discours âo Ronsard, et certes on a raison. Mais je
m'étonne que l'on n'ait pas rendu justice à du Bellay, en lui
reconnaissant l'honneur d'avoir sur ce point devancé le chef
' Cf. Faguct, Seizième siècle, p. 2b4.
DU BELLAY POÈTF. COURTISAN 443
i\o la Pléiade. Lorsqu'on <i lu V Ample discours au Roy sur
le faict de ses quatre Estais, on trouve moins orii^inales la
Remonstrance au peuple de France et VInslilution pour
l'adolescence du Roy Charles IX.
Vers la fin de sa longue harangue, du Bellay s'exprimait
de la sorte :
Sire, bien que je sois, comme nouveau-venu,
De vostre Majesté encore peu cogneu.
Bien cogneu toutefois du feu Roy vostre père.
Et bien cogneu encor' de vostre tante, et mère,
Jay des premiers de ceux du mestier dont je suis.
Osé vous estrener de ce peu que je puis.
Peu, si vous regardez la valeur de la chose,
Et Testât de celuy, qui présenter vous l'ose :
Mais beaucoup, s'il vous plaist par vostre grand' bonté
Estimer mon présent selon ma volonté,
Puis qu'en le vous donnant, avecques la personne,
De ce qui est en moy le meilleur je vous donne.
Et que peult-on donner ny meilleur, ny plus beau.
Que ce qui peult un nom arracher du tumbeau ? (II. 5io).
Si l'on en croit Aubert, le jeune François II. en témoi-
gnage de reconnaissance, coucha son docte conseiller sur la
liste des pensions *. Mais le bienfait venait trop tard, et
du Bellay n'eut pas le temps d'en jouir.
IV
Les rois devaient passer d'abord. Mais du Bellay n'a
négligé aucun des puissants de la Cour. Il voulait s'assurer
toutes les protections.
' Elégie sur le trespas de M. loachim du Bellay (1560) :
Puis nostre nouveau Roy luj- lit pour le guerdon
De sa divine Muse, un magnilique don,
Qu'il devoit chacun an sur son esi^argne prendre ....
444 ^ JOACHIM DU BELLAY
Tant que vécut son royal époux, la reine Catherine ne
compta j2^uère. Elle-même tâchait à se (aire oublier. A court
d'idées, les poètes de l'époque, après avoir redit la vertu de
« Junon », n'avaient d'autre ressource que de louer sa fécon-
dité. Du Bellay partagea l'embarras général et s'en tira de la
même manière '.
La véritable reine était la favorite, Diane de Poitiers. Il
ne faut donc point s'étonner que le poète l'ait chantée plus
souvent que l'épouse légitime. On ne trouve pas dans ses
œuvres moins de sept pièces dédiées à Madame de Valen-
tinois \ Je regrette pour du Bellay (ju'il se soit montré
si prodigue envers une femme (|ui l'était si peu. Sauf un
sonnet, qui peint les beautés du château d'Anet % tous ces
hommages, il faut l'avouer, sont indignes de son talent.
L'auteur se donne bien du mal pour exprimer des sentiments
dont le factice éclate. On sourit , quand il loue chez le roi
la constance d'un amour Ibndé sur la vertu de Diane, chez
Diane, la fidélité conjugale qu'atteste hautement son veuvage
éternel (II. io5 et io8). Et lorsqu'on sait l'histoire, que penser
d'assertions dans le genre de celle-ci :
La bienheureuse France
Jouissante du bien
De sa longue espérance.
Ne souhaite plus rien :
Voyant tous ses souhaits
En voz grâces parfaits. {II, 97).
Avec Jeanne d'Albret, reine de Navarre, du Bellay n'avait
qu'à renouer les bonnes relations d'autrefois *. Étant à Rome,
' Marly-Lavcaux. I, ^3;) ; II. 288ft4:il.
- Marly-Lavcaux, II, 9(j-l Ri, et /ie^Tc/s, s. 159.
^ Cf. Miciiolcl, Histoire de France, t. XI, cliai). m. p 3osqq. ; Guiffrey,
Lettres inédites de Dianne de Poitiers, 1866, p. lxv sqq.
' V. ci- dessus, 1" part., chap. ix, § 11, p. 24a.
DU BELLAY POÈTE COURTISAN 445
il avait chanté dans une ode la naissance du petit duc de
Beaumont, le futur Henri IV '. Une fois de retour, il ne
pouvait manquer d'être bien accueilli. Un sonnet des Regrets
(s. l'j'y) célèbre — d'une manière hyperbolique — « les
escripts Navarrois o , ceux de la reine et de sa mère, la
première Marguerite. Il y a plus : du Bellay ayant composé,
sans doute à l'occasion d'une fête à la Cour, une chanson
pour Mme la Maréchale de Saint-André, eut le plaisir de
voir Jeanne d'Albret lui faire elle-même une réponse ". Gomme
jadis, reine et poète échangeaient des vers.
A la Cour des Valois, Marie Stuart. dans la fraîcheur de
son printemps, mettait l'éclat de son esprit et de sa grâce.
Elle aimait les poètes, et les poètes allaient vers elle '. Du
Bellay, qu'elle honorait d'une affection particulière, fut pris
au charme et la salua de ce joli sonnet :
Ce n'est pas sans propoz qu'en vous le ciel a mis
Tant de beautez d'esprit, et de beautez de face.
Tant de royal honneur, et de royale grâce.
Et que plus que cela vous est encor' promis.
Ce n'est pas sans propoz que les Destins amis.
Pour rabaisser l'orgueil de l'Espagnole audace.
Soit par droit d'alliance, ou soit par droit de race,
Vous ont par leurs arrestz trois grans peuples soubmis.
Hz veulent que par vous la France et l'Angleterre
Changent en longue paix l'héréditaire guerre,
Qui a de père en fîlz si longuement duré :
* Marty-Laveaux, I, 284-294. — Cette Ode ne parut qu'en 1561, mais elle
dut être écrite au début de loo4 : on sait qu'Henri IV est né le 14 déc. 1551}.
- Marty-Laveaux. Il, 116-117.
■■' (( Tant qu'elle a esté en France, elle se réservoit tousjours deux heures
du jour pour estudier et lire : aussi il n'y avoit guières de sciences humaines
qu'elle n'en discourût bien. Surtout elle aimoit la poésie et les poètes, mais
sur tous M. de Ronsard, M. du Belay et M. de Maisontleur, qui ont faict de
belles poésies et élégies pour elle. » Brantôme, édit. Lalanne, Vil, 406. —
Sur II. L'Huillier, seigneur de Maisonfleur, v. Ronsard, édit. Blancliemain,
VI, 21.
446 JOACHIM DU BELLAY
Hz veulent que par vous la belle vierge Astrée
En ce siècle de fer reface encor' entrée,
Et qu'on revoye encor' le beau siècle doré '.
Par un lien naturel, Marie Stuart nous amène aux Guises.
On sait le rôle énorme qu'ils jouaient à la Cour, le crédit
dont ils disposaient. Comment du Bellay n'eùt-il pas tenté de
se concilier leur faveur ? Il a loué maintes fois le duc
François de Guise, l'héroïque vainqueur de Metz et de
Calais ■. Mais il a surtout loué son frère, le cardinal Charles
de Lorraine \ C'est que ce prélat de trente ans se posait
volontiers en protecteur des Muses ; au château de Meudon,
il s'entourait de poètes et d'artistes ; il prodiguait fastueuse-
ment les récompenses et les pensions. Il faut voir, dans une
lettre à Morel, avec quel soin jaloux du Bellay veillait à lui
faire tenir ses œuvres manuscrites : (( Monsieur, depuis le
partement d'Horace, je me suys ad visé qu'il seroit bon et
presque nécessaire d'envoyer une coppie de la translation
de l'épistre de Mons' de l'Hospital à Monseig"^ le Card°' de
Lorraine, ne videatur sibi neglectus fuisse \ »
' Regrets, s. 17U. Ce sonnet se retrouve h la lin de la plaquette qui débute
par VHymne au Roy sur la prinse de CaLlais (Marty-Laveaux, I, 316). —
V. d'autres éloges de Marie Stuart, 11, 4!)4, 4(i3, 507 ; et cf. les Foëmes de
Ronsard (IMancheniain, VI, 9 27).
2 Marty-Laveaux, I, 282, 312, 441; II, o06; Poemata, f" 30 r»-3I r".
■> Marty-Laveaux, II, 477, 489, iJOa, 507, 509; Poemata, t" 33 r"; Regrets,
s. 168. Il existe de ce sonnet une première rédaction en vers décasyllabes,
négligée par Aubert, et que j'ai signalée naguère à M. Marty-Laveaux
\Afipendice de la Pléiade, II, 393). — Au.x pièces précédentes il convient
d'ajouter une importante élégie latine, non réimprimée, qui se trouve à la
suite du Turnulus llenrici Secuiidi il559), sous ce titre: Ad illustriss. prin-
cipein Carolurn card. Lotharingum loacli. Rellaii elegia. (Bibl. Nat. — Rés.
mY"^. 113). C'est une demande de protection. — Cf. Ronsard, Hymne de
Charles, cardinal de Lorraine, 1559 (Blanchemain, V, 83). On y lit ces vers :
El si tost qu'il te pleut prendre dedans ta main
Du Rellay que la Muse a nourri dans son sein,
Kl qui par ses chansons la grâce nous rameine... (p. 104).
* Lettres, p. 30-31.
DU BELLAY POÈTE COURTISAN 447
Tout en recherchant la l'avcui' des Guises, il ne négligea
pas non plus leur l'ival d'iniluence, Montmorency. Il eut des
éloges pour le connétable ' ; pour son fils François, le gendre
du roi ^ ; pour son neveu . le cardinal de Chàtillon ^ ; pour
sa nièce, l'abbesse de Caen '*.
Enfin, il lit des dédicaces ou des sonnets pour tous les
personnages importants de la Cour dont il voulait avoir l'appui
ou qu'il remerciait de leur protection : le garde des sceaux
Jean Bertrand * ; François Olivier, l'ancien chancelier, rappelé
par François II au pouvoir '' ; d'Avanson, l'ancien ambassadeur
à Rome ' ; Duthier, conseiller du roi et secrétaire d'Etat * ;
Poulin, baron de la Garde, amiral d'Henri II ' ; le toujours
dévoué Michel de L'Hospital "'.
V
Mais jamais il ne ressentit plus de sincère admiration et
de réel attachement que pour Madame Marguerite. Tous les
écrivains de l'époque ont chanté à l'envi cette princesse
aimable et bonne, vertueuse sans atlectation et savante sans
pédantisme " : c'est que, suivant la belle expression de Ronsard,
Elle portoit une ame hostelliere des Muses '^
* Marty-Laveaux, I, 283.
^ Poemata, f" 28 r" : In nupiias I. Mommorantii et Dianae Herrici Gallo-
rum Régis Jiliae .
=• Marty-Laveaux, I, 244; Regrets, s. 169.
^ Marty-Laveaux, U, 157-138.
'■ Regrets, s. 161.
° Regrets, s. 162; Marty-Laveaux, II, 507.
' Regrets, dédicace et s. 160, 164, 165.
" Regrets, s. 163; dédicace des Jeux Rustiques.
» Regrets, s. 166,
1" Regrets, s. 167; Marty-Laveaux, II, 135 et 140.
" Cf. Bourciez, Les mœurs polies..., p. 150-152 et 190-193.
'^ Blanchemain, YIl, 189.
448 JO.\CHIM DU BELLAY
Mais personne, à coup sûr, ne montra dans ses hymnes, avec
plus de respect, plus de ferveur et de tendresse que du
Bellay. Depuis le jour où la sœur d'Henri II. avec un bien-
veillant sourire, avait accepté ses « petitz labeurs » et l'avait
engagé à poursuivre ', son culte pour elle n'avait cessé de
grandir '. A Rome, un des tourments dont l'exilé soulfrait le
plus, c'était la privation de cette Marguerite, source vénérée
de son enthousiasme. Loin d'elle, il restait muet, dit-il,
. . . comme on voit la Prophète
Ne sentant plus le Dieu, qui la tenoit sugette.
Perdre soudainement la fureur et la voix ^
Aussi, lorsqu'il revint en France, quel soupir de bonheur !
quelle ivresse ! Il échappait donc à ce sombre enfer où il
avait langui (( quatre ans et davantage » * ! Il allait revoir
sa divinité ! Dans l'ardeur de sa joie, il lui dédia dévote-
ment toutes ses poésies latines :
llae til)i si placeant incultae. Diva, Camoenae,
Crediderim summis me placuisse Deis \
Il suspendit à son autel une guirlande de sonnets ^ De ces
Heurs idéales, se dégageait comme un parfum de pur amour et
de mystique adoration. Marguerite était l'esprit de lumière,
inspirateur des hauts pensers et des vertus sublimes ',
un ange de b(jnté descendu sur la terre, et dont on n'appré-
ciait toutes les perfections qu'après avoir fait l'expérience 'de
la perversité des « grands dieux » de ce monde :
' V. ci-tlcssus, 1" pari., chap. viii, i^ ii, p. 222.
- Maity-Laveaux, 1, 70, 168, 219, 233, 23i, 237, 240, 234, 281,335; 11,41, 13d.
^ Regrets, s. 7.
* Regrets, s. 174; Poemata, f» 2S v".
'" Poemata, l" 2 v°. — Cf. la pièce Ciir intermissis GalUcis Latine scribat,
fo 3 v.
•^ Regrets, s. 174-lfXJ
' Regrets, s. 170 et 177.
DC BKLLAY l'OÈTK COURTISAN 449
Quand ceste belle Heur premièrement je vy,
Qui nostre aage de fer de ses vertuz redore,
Bien que sa grand'valeur je ne cogneusse encore.
Si l'iis-je eu la voyant de merveille ravy.
Depuis ayant le cours de fortune suivy
Où le Tybre tortu de jaune se colore,
Et voyant ces grands dieux que Fignorance adore,
Ignorans, vicieux, et mescliaus à Tenvy :
Alors (Forgef) alors ceste erreur ancienne,
Qui n'avoit bien cogneu ta Princesse et la mienne,
La venant à revoir, se dessilla les yeux :
Alors je m'apperceu qu'ignorant son mérite,
J'avois, sans la cognoistre, admiré Marguerite,
Comme, sans les cognoistre, on admire les cieux \
Lorsqu'en i559, à Tàge de trente-six ans. Madame
Marguerite épousa Philibert-Emmanuel, duc de Savoie, dans
le concert d'acclamations qui sortit de la bouche des poètes,
du Bellay se distingua par l'ardeur de son enthousiasme. Il
écrivit pour la princesse un solennel Épithalame \ C'était
un chant dialogué, dont les personnages étaient la Musique,
le Poëte, Antoinette de Loynes. femme de Morel, et ses trois
filles, Diane, Lucrèce et Camille, enfin Mercm-e. Il devait
être récité, parait-il, au festin nuptial. M. de Nolhac a trouvé
dans un manuscrit * quelques indications concernant 1' (( ordon-
nance » de cet Epithalame, ordonnance qu'il attribue à
du Bellay lui-même. Camille devait être habillée « en Ama-
* Secrétaire de Madame Marguerite. — Cf. Lettres de J. du Bellay, p. 25.
- Regrets, s. 185.
^ Epithalame sur le mariage de tresillustre prince Philibert Emanuel,
duc de Savoye, et tresillustre princesse Marguerite de France, sœur unique
du Roy et duchesse de Berry. Par loach. du Bellay Angevin. Paris, Federic
Morel, 1559, 14 11", in-4". — Marty-Laveaux, II, 421-439.
' Bibl. Nat.. fonds français, 4600, f. 302.
Unii>. de Lille. Tome YIII. A. 29.
4oO JOACUIM DU BELLAY
zone (ju on liubit de Pallas, l'armet en teste, la Gorgonne en
son bras gauche », Lucrèce a en gentildone romaine », et
Diane « en Nymphe et Déesse, son arc et flesche au poing ».
Quant au Poêle, il aurait été figuré par leur jeune frère
Isaac, (( hal)illé en Orphée à l'antique, couronné de laurier,
une harpe à la main » '. On sait quel tragique accident vint
arrêter toutes les l'êtes, et connnent à minuit, le 9 juillet iSôg,
sous les yeux de son frère mourant, Madame Marguerite
épousa le duc de Savoie : lamentable cérémonie, qui tenait
plus d'un enterrement que d'un mariage ■.
Trois mois plus tard, la bonne et regrettée duchesse
prenait enfin la route de son nouveau pays. Du Bellay, que
la maladie retenait depuis quelque temps à la chambre, eut le
chagrin de ne pouvoir, avant son départ, lui (( faire la
révérence » et lui (( baiser les mains » . Il chargea son ami
Morel ^ de s'en acquitter à sa place et de présenter de sa
part à Madame de Savoie, comme un cadeau d'adieu, le
Tombeau d Henri II qu'il venait d'achever. En même temps,
il lui confiait les douleurs de son àme, le désespoir qu'il
éprouvait de ce départ s'ajoutant à la mort du roi. « Ce
désastre, lui disait-il, av(;c le partement de madicte Dame,
qui (à ce ([ue j'entends) est pour s'en aller bien tost es
pays de Monseign^ le duc son mary, m'a tellement estonné et
faict perdre le comr, que je suis délibéré de jamais plus ne
i-etenter la l'ortune, m'ayant, nescio quo fato. esté jusques icy
toujours si marastre et cruele, mais ahdere me in secessum
' Lettres de J. du Bellay, p. 'M), note.
- Mémoires de Vieilleville, liv. VU, chap. 28. — Collection Petitot, XXVII,
417.
' Lettres, p. 3ij. — Celle lettre, dalée du 3 octobre 15iJ9 et publiée par
M. de Nolhae, d'après une copie manuserilc, diffère un peu, quant au texte,
de la Lettre d un sien aniy, imprimée à la suite du Tombeau (Marty-Laveaux,
II, 472), et qui n'est datée que du 5.
DL' BELLAY POÈTE COUKTISAN 451
nliquem, avec ceste brave devise ptmr toute consolation. Spes
et fortuna valete. Et qui seroit si loi de ce vouloir doresna-
vant travailler l'esprit pour faire quelque chose de bon, ayant
perdu la laveur d'ung si bon prince, et la présence d'une
telle princesse, qui de] mis la mort de ce grand Roy François,
père et iustaurateur des bonnes lectres, estoit demourée
l'unique suport et refuge de la vertu et de cculx qui en font
profession ? Je ne puis continuer plus longuement ce propoz
sans larmes, je dy les plus vray<'s larmes que je pleuray
jamais *. » Un peu plus loin, il écrivait, le cœur saignant :
(( Quand à moy {et hoc mihi apiid amicuin liceat), encores
que jusques icy j'aye enduré des indignitez de la fortune
aultant que pauvre gentilhomme en peult endurer, si est-ce
que pour perte de biens, d'amis et de santé, et si quelque
aultre chose nous est plus chère en ce monde, ^ je nay jamais
esprouvé si grand ennuy que celuy que j'ay receu de la mort
du feu Roy. et du prochain département de madicte Dame,
qui étoit le seul appuy et columne de toutes mes espérances ^ »
Puisqu'il ne pouvait accompagner sa bienfaitrice dans son
voyage, il la suivrait du moins de ses prières et de ses
vœux (( pour sa bonne prospérité et santé » . avec « cette
humble allection, révérence, et dévotion » (juil lui devait. Et
le malheureux ajoutait : (( Ce qui me reste de consolation,
c'est une conscience de bonne, pure et sincère volunté envers
Dieu et envers les hommes, avecques ung contentement, ou
(s'il fault dire ainsy) ceste gloyre. qu'ayant en la profession
où j'ay esté poussé, plustot par nécessité que par élection,
rencontré tant d'heur que de plaire à madicte Dame, je me
puis vanter d'avoir esté agréal^le à la plus saige. vertueuse et
humaine Princesse ({iii ait été de son temps ^ ))
1 Lettres, p. 37-38.
- Lettres, p. 38-39.
=* Lettres, p. 39-40.
452 JOACHI.M DU BELLAY
Si j'ai cité la plus grande partie de cette lettre, c'est qu'on
y surprend sur le vif, dans leur saisissante amertume, les
déceptions et les angoisses dont souH'rait l'ami de Morel.
L'infortuné s'abandonnait, perdu, désemparé. Le départ de sa
protectrice, ce n'était pas seuleinent la ruine de ses espérances
et la destruction de son rêve : c'était aussi la fin brutale de
son affection la plus sainte, le brisement de sa tendresse, un
coup porté droit à son cœur. Et cela, dans un temps où plus
que jamais il eût eu besoin de consolation et de réconfort,
accablé qu'il était par la douleur physique, par le chagrin
d'une disgrâce, par toutes les épreuves que lui infligeait la
vie.
CHAPITRE X
LES DERNIERS TEMPS
1559-1560
I. — Les « Lettres » de J. du Bellay : leur intérêt documentaire. —
La mission du poète â Paris. — Du Bellay fut-il prêtre?
II. — Ses démêlés avec l'évêque et sa famille. — L'affaire des
« Regrets ». — L'affaire des collations. — Du Bellay et
le cardinal : les bénéfices ecclésiastiques de JoacMm.
III. — La santé du poète. — État physique : les progrés de la
surdité. — État moral : la ruine des illusions.
IV. — Consolations poétiques. — Les dernières œuvres de du Bellay.
— Les « Xenia ».
V. — Mort de J. du Bellay (1" janvier 1S60). — Sa sépulture ;
son épitaphe.
Lorsque le doyen du Sacré-Collège avait renvoyé Joachim
en France, il était si content de ses loyaux services que,
pour lui prouver sa satisfaction, il l'avait chargé de veiller
là-bas à ses intérêts :
Et sua coinmittit curanda négocia nobis.
Expertus nostram scilicet ante fidem.
Si nous n'avions que ce distique pour définir exactement la
454 JOACHIM DU BELLAY
nature de la mission que le poète avait i'e(^-ue du cardinal,
nous serions fort embarrassés. Mais par bonheur, nous possé-
dons des indications plus précises. En 1867. M. Revillout a
retrouvé, dans un manuscrit de la bibliothèque de l'Ecole de
Médecine de Montpellier, la copie d'un certain nombre de
lettres écrites par du Bellay et par divers membres de sa
famille, copie qu'avait exécutée un siècle auparavant le
président Bouhier'. M. de Nolhac. à son tour, ayant découvert
à la Nationale les autographes des mêmes lettres, en a donné
une édition aussi correcte qu'élégante -. Si incomplète que
soit cette correspondance ^ elle a beaucoup de prix, puisqu'en
nous renseignant sur les fonctions dont était chargé le poète,
elle nous livre le secret des ennuis de ses derniers temps.
Le cardinal du Bellay, nous l'avons vu \ disposait —
comme d'ailleurs à cette époque la plupart des prélats de
France — d'un grand nombre de bénéfices. 11 s'était fait
donner plusieurs sièges épiscopaux, Paris, Limoges, Bordeaux,
Le Mans, et tenait en commende beaucoup dabbayes et de
prieurés, dont les revenus lui permettaient de mener à
Home un grand train de vie. Un déci*et du concile de
' M. Revillout a tiré de ces lettres un substantiel mémoire intitulé : Les
derniers mois du poëte Joachim du Bellay, qui ligure dans les Mémoires lus
à la Sorbonne en iS6y, p. 375-408. Inipr. Impér., 1868. — V. dans la Corres-
pondance de Sainte-Beuve, édit. C. Lévy, 1878, t. il, p. 247. une lettre du
célèbre critique à M. Revillout, à propos de son mémoire.
- Lettres de Joachim du Bellay publiées pour la première fois d'après les
originaux. Paris, Charavay, 1883. — Depuis son édition, M. de Nolhac a
retrouvé deux nouvelles lettres de J. du Rellay, qu'il a publiées dans la Rev.
d'hist. litt. de la France, 1894, p. 49, et 1899, p. 360. Espérons qu'il n'est pas
au bout de ses bonnes fortunes.
^ Elle ne comprend que des lettres de la seconde moitié de 1559. Encore
sommes-nous loin de les posséder toutes : c'est ainsi que nous n'avons plus
une lettre de Joachim à l'évèque de Paris en date du 16 septembre (v Lettres,
p. 75-76). Quant aux réponses du cardinal, (jui seraient si précieuses, elles
manquent à la collection.
* V. ci-dessus, 2'" part., chap. i, § i, p. 272.
LES DERNIERS TEMPS 4o5
Trente ' ayant interdit ce cumul, si contraire à l'esprit de
rÉgiise, il s'était vu dans l'obligation d "y renoncer. En i55o,
il avait résisrné l'évèché de Paris à l'un de ses cousins,
Eustache du Bellay, conseiller-clerc au Parlement '■. En i553,
il s'était démis de l'archevèclié de Bordeaux en faveur de
François de Mauny •'. Enfin, en i556, il avait cédé l'évèché
du Mans à Charles d'Angennes *. Mais en se dépouillant de
la sorte au profit de parents ou d'amis, il s'était cependant,
par une ingénieuse tactique, réservé certains droits dans
l'administration de ses anciens diocèses. Pour l'évèché de
Paris notamment, il gardait en partie la collation des béné-
fices et prélevait une part des revenus, si bien qu'Eustache
du Bellay, l'évcque titulaire, n'avait guère en réalité que la
situation d'un custodi-nos.
Pour surveiller des intéi'èts si compliqués et si précieux,
le cardinal avait besoin de mandataires d'une absolue fidélité.
Pendant quatre années, il avait pu voir Joachim à l'œuvre ;
il connaissait par expérience son intelligence et son dévoue-
ment. C'est là sans doute ce qui lui fit choisir, pour cette
mission délicate, l'intendant éprouvé de son palais de Rome.
Ainsi notre poète, en France comme en Italie, eut d'abord
à remplir des fonctions financières. Ses lettres en témoignent :
nous le voyons en rapports avec Didato et Combraglia, deux
banquiers italiens qui faisaient à Paris les affaires de son
maître ; il s'occupe du paiement de ses dettes et du recou-
vrement de ses créances : il lui envoie des lettres de change
de douze cents écus. son (( ordinaire ^) de chaque mois '. Il
* 6= session, 13 janvier io47. De Reformatione, c. I.
- Gallia Christiana, t. VII, col. iti2, û.
' Gallia Cliristiana, t. Il, col 849, A.
* Gallia Christiana, t. XIV, col. 414, D.
'" V toute la lettre du 7 octobre, p. 61. — Une lettre d'Eustache du Bellay,
p 85, conlirme nettement que l'évèché de Paris rapportait au cardinal 1200
écus par mois.
45fi JOACHIM DU BELLAY
s'acquitta de son office avec un zèle scrupuleux : (( Je ne veulx
prescher mes mérites, écrivait-il au cardinal, mays s'il vous
plaist de le réduyre à mémoyre, vous trouverez. Monseigneur,
qu'en moins d'un an et demy vous avez disposé de plus de
troys mil livres de rante ce pendant que je m'en suys meslé'. »
Mais là ne s'arrêtait pas la mission de du Bellay. La
nature même de ses fonctions, en l'obligeant à surveiller tout
ce qui était pour son maître une source de revenus, le
mêlait forcément aux questions d'administration et le faisait
participer, dans une certaine mesure, à la direction du
diocèse de Paris. Il s'occupait avec l'évêque de l'attribution
des prébendes et présentait au cardinal les requêtes des pos-
tulants. Les solliciteurs allaient le trouver, soit pour demander
un bénéfice vacant, soit pour obtenir, souvent à beaux deniers
comptants, l'appui du doyen du Sacré-Collège dans des affaires
pendantes en Cour de Rome. Ainsi M. d'Ivry (Philibert
Delorme), abbé nommé de Saint-Serge d'Angers, venait le
voir un matin, lui parlait (( plus particulièrement ». et lui
promettait, si le cardinal lui faisait promptement expédier ses
bulles, de « ne plaindre V cens escutz pour la dilligence du
convoyeur ». La reine elle-même lui écrivait pour des prél)endes
vacantes \ Enfin. — et c'est un point foiM important, puisqu'un
conflit devait un jour sortir de là, — le cardinal avait chargé
son intendant de conférer, en Vahsence de Vévêque de Paris,
les prébendes que ce dernier conférait en temps ordinaire ^
' Lettres, p. ;j8. — Cî. Élégie à Morel:
Hic quoi pertulerim noctesque diesque labores,
Munere dum fungor sedulus ipse meo,
Teslis, qui obsequiuni nostruni menlcmque probavit,
Paupcrtas Icslis noslraquc sempcr erit.
= Pour les détails, v. Lettres, p. ;i6, îiO, 60, 63, 64.
^ C'est ce qui ressort clairement de plusieurs passages des Lettres : —
1° Lettre de Joachim au Cardinal, datée du l"' septembre : « Ce jourd'huy est
vacqué une prébende de vostre eglize de Nostre Dame, que Mons' le thésau-
rycr de Heauvoys a conférée au lilz de Mons' de Saveuse, encore que je luy
LES DEIINIERS TEMPS 4f)7
Il est d'ailleurs bien entendu qu'il s'agit simplement de
celles des prébendes réservées aux laïques : notre auteur
n'avait aucun droit à en conférer d'autres. Nulle part, les
Lettres ne le montrent à nous investi de pouvoirs spirituels ;
et c'est bien à tort, à mon sens, que l'on soulève ici la
question de savoir si du Bellay fut prêtre ou non. Il était
clerc ', comme tant d'autres en ce temps-là : mais rien ne
prouve qu'il eiit reçu les ordres. En aucun endroit de ses
œuvres, je n'y vois la moindre allusion. Au moment de
partir pour Rome, il s'écriait :
J'apprendray les secrets de la théologie %
ce qui semble indiquer qu'il n'avait pas poussé très loin
l'étude de la science divine. La Croix du Maine est le
premier qui fasse de notre poète un archidiacre de Paris ^
Scévole de Sainte-Marthe, autant qu'on peut l'induire d'un
texte sans clarté, réédite la même affirmation *. Mais ce n'est
eusse faict remonstrer de ne me faire ce tort qu'en l'absence de Mons^
de Paris je ne feisse la charge qu'il vous a pieu nie donner.... » {Lettres,
p. o6-o7). — 2' Lettre de Joachim à l'évèque de Paris, datée du .31 août :
« Ce me seroit une grand' veroongne .... qu'en vostre absence ung aultre
usurpast sur moy la charge qu'il a pieu à Monseigneur le Cardinal me don-
ner. ... » Et plus loin : « Si vous trouvez bon, sans exprès commandement
de mondit seigneur le Cardinal, de préférer des étrangers a moy .... je vous
supplie. Monsieur, de le me faire entendre, a fin que je m'en descharge
envers mondict seigneur le Cardinal et qu'il n'ayt occasion de penser qu'en
vostre absence j'aye desdaigné de faire la charge qui iuy a pieu me donner. »
{Rev. d'hist. litt. de la France. 189i, p. ^iO-ol).
' Clericus Xannetensis Dioecesis, disent les registres de l'Eglise de Paris :
Lire, sa paroisse, relevait du diocèse de Nantes.
* Resrrets, s. 32.
* Bibl. franc., II. 1 : « Joachim du Bellay. Gentilhomme Angevin, sieur
de Gonnor en Anjou, Arcliidiacre en l'Eglise de Notre-Dame de Paris »
' Elogia (loDS), p 40 : « In D. Virginis aede, in qxia sacerdotiiim praeci
piiae dii^nitatis obtinebat, honorilîeo funeris apparatu sepultus est. » Dans
ledit, de 1606, p. 61, le texte est ainsi modifie : « In B. Virginis, nbi sacer-
dotium possidebat, sepultus. » (Traduction de CoUetet : « Il fut enterré dans
l'Eglise de Nostre-Dame. où il estait Archidiacre » ). — Je note encore dans
l'édit. de 1606 un passage qui n'est pas dans celle de lo98. Sainte-Marthe
vient de parler des Antiquitez de Rome et des Regrets; il ajoute : « Hune
tamen liberi et faccti ingenii fervorem remitlerc paulatim coeperat, gravio-
raque deinceps et sacrato homine digniora meditari. » Il ressort de ces
textes cjue Sainte-Marthe a cru à la prêtrise de du Bellay.
4o8 JOACHIM DU BKLLAY
là qu'une légende, que Ménage a ruinée en compulsant les
registres de TP^glise de Paris *. Il est vrai que, si du Bellay
ne figure point sur les registres capitulaires comme archi-
diacre, il y figure comme chanoine : c'est Ménage qui nous
rapprend ^ Le 19 juin i555, — il était alors à Rome, — il
obtint le canonicat laissé vacant par le décès de maître Jean
Toussepain, et s'en démit un an après, le 12 juin i556, pour
un motif cpie Ton ignore '\ Mais comme, à cette époque, il
arrivait encore que l'on conférât de semblables charges à de
simples laïques , on ne saurait conclure de ce canonicat que
son possesseur était sûrement dans les ordres. Je sais bien
qu'on allègue à l'appui de la thèse que du Bellay, lorsqu'il
mourut, allait recevoir du cardinal l'archevêché de Bordeaux *,
ce qui serait invraisemblable s'il n'eût eu la prêtrise. Mais
Scévole est le seul, ou du moins le premier, qui parle de la
chose % et Scévole est sujet à caution *, Si vraiment le cardinal
avait désigné son neveu pour un archevêché, n'est-il pas sin-
' Anti-Baillet, ôdil. de 1730, chap. xlv, p. 93 : « J'ai cru autrefois sur le
témoijjnage de La Croix du Maine, et sur celui de Jean le Clerc, qu'il avoit
été Archidiacre de Paris. Mais j'ai vérifié sur les Registres de l'Eglise de
Paris qu'il ne l'avoit point été. »
- Joachimus du Bellay, Clerlcus Nannetensis Dioecesis, fuit receptus ad
Canonicatum et Praehendam, vacantes per obitum Magistri Johannis Tous-
sepain, Canonici Parisiensis et Archidiaconi. Cité par Ménage, Anti-Baillet,
chap. XXXV, p. (J5-G6. — Nicerou explique assez bien, t. XVI, p. 392, com-
ment a pu naître l'erreur concernant du Bellay archidiacre : « Cette luéprise
peut venir de ce que Joachim du Bellay succéda dans le Canonicat de
Paris à Jean Toussepain, qui étoit en même temps Chanoine et Archidiacre,
et de ce qu'on a cru que ces deux dignitez étoient passées conjointement à
lui ; ce qui n'est pas. »
•■' Anti-Baillet, chap. xlv, p. 93. — Cf. Marty-Laveaux, Notice sur J. du
Bellay, p. xxix.
* A la mort de François de Mauny (1558), le cardinal avait repris son titre
d'archevêque de Bordeaux, via regressus.
■' Encore n'en parle t-il que dans Tédit. de lOOG, p. fil : « Cum Burdigalae
Antistes ab illo suo Cardinale jam designaretur ...»
" Cél. Port, Dictionn. de Maine-et-Loire, art. Dubellaj, t. II, p. 67 :
<<CVst pur rêve que de lui prêter, comme on le fait, le succession anticipée
du cardinal Jean à rarclievcché de^Bordeaux. »
LES DEHMEIIS TEMPS 4o"J
gulier que nul contemporain n'ait mentionné dans ses éloges
un fait si glorieux pour notre poète ? — Donc, le doute est ici
de rigueur. On a j)U démontrer, d'une façon presque certaine,
que Ronsard était prêtre ' : on ne le peut pour du lîellay.
« Rien ne m'assure, écrivait Sainte-Beuve \ que du Bellay
ait jamais dit la messe. » S'il faut exprimer toute ma pensée,
j'ai pour ma part l'intime conviction qu'il n'exerça jamais le
sacerdoce.
Mais qu'il fût prêtre ou non, il avait un rôle assez impor-
tant à l'évèché de Paris, et sa situation allait lui valoir, du
fait même de sa famille, de bien cruels mécomptes.
II
Eustache du Bellay, l'évêque de Paris, était le cousin
germain du poète '. Si conciliant qu'il fût de caractère, si
respectueux des volontés du cardinal, il navait pu voir sans
quelque dépit ce retour dun parent, dont il savait et jalousait
les bons offices, et qu'il redoutait, maintenant surtout, comme
un obstacle à son autorité. Ainsi que l'a dit M. Revillout,
(( Joachim ne venait-il pas, sinon pour contrôler l'évêque de
Paris, au moins pour partager avec lui la gestion d'atlaires
dont Eustache avait été jusque-là chargé seul ? C'était donc
une guerre de famille qui s'ouvrait, et l'objet du débat,
c'était la faveur d'un parent puissant, dont les deux rivaux
attendaient tout, et qu'ils étaient habitués à vénérer comme
un dieu \ »
' Abbé L. Froger, Ronsard ecclésiastique, Mamers, 1882 ; P. Bonnefon,
Ronsard ecclésiastique, dans la Rev. d'hist. tilt, de la France. 1895, p. 2i4.
- Notice sur J. du Bellay, p.3oo, n. 1.
' V. le tableau généalogique de la famille du Bellay, dans IVdit. Séché.
' Revillout, p. 382.
460 JOACHIM DU BELLAY
Ce qui devait encore aviver le conflit, c'est que l'évêque
subissait l'influence de son frère Jacques, baron de Thouarcé *,
lequel était assez violent et détestait fort Joachim. Le
poète, de son côté, n'était pas exempt de défauts. « Ses amis
vantent, il est vrai, la bonté de son naturel, l'amabilité de
son caractère, l'agrément de son commerce et la droiture de
son àme ; ils le dépeignent à plaisir liumble, bénin, n'ofien-
sant personne et constant à tenir sa parole ; mais, comme dit
lun d'entre eux,
Il couvroit néanmoins, sous son courtois langage,
Un magnanime cœur, tesmoing de son lignage *.
C'est dire qu'il ne tolérait pas facilement l'injure, et qu'il
était fort chatouilleux sur le point d'honneur. Et comme nous
savons par un autre aveu de ses amis qu'il était « prévoyant
aux choses soup(;onneuses », on peut deviner qu'il était non-
seulement ii'i'itable. mais encore méfiant dans les aflaires ^ »
Dès lors, on coiiroil (juc la bonne entente n'ait pas été bien
longue entre le poète et ses deux cousins.
Que se passa-t-il la première année ? Nous l'ignorons abso-
lument. Mais en i559, — les Lettres en font foi, — leurs rapports
étaient très tendus. Déjà, des dissensions avaient éclaté, sui-
vies de mots amers, (h- |);u"<)h's (h- menaces *. Un jour, du
Bellay reçut d'un ami. Jérôme de la Rovère, évêque de
Toulon '\ une communication aussi fâcheuse qu'inattendue :
* Chef-lieu de canton de l'arrondissement d'Angers.
- Cf. Aubert, Elégie sur le trespas de M. loachim du Bellay. Cf. son
Epistre au lioy (Marly-Laveaux, Appendice de la Aotice, p. xxxviii.)
'■> Ucvillout, p. 382.
* Lettres, p. o3.
' Du Bellay l'avait connu chez Morel. Son amitié pour ce prélat est attestée
par deux pièces (une épi^^ranime latine suivie d'un sonnet), qui se trouvent
en tèlc de la phiquellc intitulée : Les deux Sermons funèbres es obsèques et
enterrement du feu Roy Treschrestien Henry deuxième de ce nom, faicts et
prononcez par Messire lerome de la liovere, esleu Evesque de Thuton
Paris, Rob. Estienne. i:;;5!t, in-i". (Bibl. Nat. — L!).3M04). — Sur Jérôme de la
Kovére, v. la note de M. de Nolliac, Lettres, p. 28.
LES DERNIERS TEMPS 4G1
c'était des lettres, envoyées de Ruine à Tévèque, où le car-
dinal témoignait contre son intendant la plus vive colère'.
Une main mystérieuse avait fait parvenir les Regrets au doyen
du Sacré-Collège, et le prélat, malgré son amour pour la
poésie, avait été scandalisé.
Ce fut pour Joachim comme un coup de tonnerre. A l'instant
il se vit perdu. 11 n'avait pas besoin de longtemps réllécliir
pour deviner que l'envoi des Regrets avait dû être accom-
pagné d'insinuations désobligeantes et de perfides commen-
taires ^ Mais, comme il était gentilhomme et qu'il avait pour
lui le témoignage de sa conscience, il ne voulut pas rester
sous l'injure. Donc, le 3i juillet, il écrivit au cardinal une
longue lettre apologétique ' où, tout en conservant la défé-
rence et le respect qu'il devait à son protecteur, il n'abdi-
quait rien de sa dignité. Il débutait en protestant contre les
calomnies dont on l'avait noirci , et, rappelant discrètement
les humbles services rendus, il suppliait le cardinal d'écouter
sa défense. Il faisait appel à ses sentiments de justice comme
à sa bonté naturelle, et, non sans adresse, lui remémorait ce
que lui-même avait souffert : u Vous mesmes. Monseigneur,
avez souvent esprouvé et esprouvez encore tous les jours les
traicts de la calumnie, à vostre grand honneur et à la con-
fusion de voz ennemys. » Il lui disait alors comment il
avait écrit les Regrets. C'était de sa part une distraction, rien
de plus. Étant à Rome, il passait quelquefois le temps à
* Lettres, p. 41-42,
- Elégie à Morel :
Iratum insonti nostrae fecere camoenae,
Iratuni maliru qui vel habere Jovem.
Hei mihi Peligni crudelia fata Poetae,
Hic etiam fatis sunt renovata meis.
Etieu sola mihi nocuit maie grata camoena,
Artilici nocet hic ars quoque sola suo.
Sed non sola nocet : gravius nocet invida lingua,
Quae nostri caput est, fons et origo mali.
^ Lettres, p. 41-52.
462 .TOACHIM DU BELLAY
composer des vers, qu'il lisait aux intimes, mais sans inten-
tion de les publier. Par malheur, un d'entre eux, le secrétaire
Le Breton, en faisait des copies clandestines, qu'il vendait
aux gentilshommes français de passage dans cette ville.
Il avait été stupéfait lui-même, à son retour en France,
d'en trouver des copies imprimées tant à Lyon qu'à
Paris, et , le mal étant sans remède , il avait publié
le recueil de ses vers, sans même les revoir, « ne pensant
qu'il y eust chose qui deust offencer personne ». Il se croyait
d'autant plus à l'ubri de tout reproche qu'il avait agi sur
l'ordre du roi , et que son œuvre avait obtenu les suffrages
(( des plus notables et signalez personnaiges du Royaulme »,
du chancelier Olivier par exemple '. Il était donc très étonné
qu'on eût tiré de là des armes contre lui, pour le desservir
près du cardinal. Jamais il n'avait voulu porter atteinte
à l'honneur de son maître : au contraire, il l'avait défendu
dans un sonnet qu'il joignait à sa lettre "". Jamais il n'avait
songé à se plaindre de lui, mais seulement de la fortune, et
des ingrats (|ui payaient si mal le prélat de ses faveurs. Si
d'ailleurs on voulait prendre pour des plaintes quelques
paroles de regret échappées à son cœur, il en faisait l'aveu
loyal : il n'avait pu voir sans tristesse « recevoir tant de
bien et d'honneur » beaucoup de gens (jui, moins proches
parents et moins bons serviteurs, en étaient moins dignes
que lui. Mais la continuation même de ses services prouvait
assez « (juo telles plainctes ne procédoient de mauvoise
voulonté ». Puis il se comparait à Job, ayant contre lui ses
«cousins», mais Dieu pour lui. Dieu qui linalemenl a approuve
la cause dudict Job et condenpne celle de ses cousins »,
(et par cette Une allusion, il laissait clairement entendre au
' V. r('i)Urc lalino d'Olivier à Morel, en lète des Poemata, f" 2 t". —
Cf. l'orijjinal publié par M. de NoUiac, Lettres, p. 63,
^ Le s. 49 des Regrets.
LES DERNIERS TEMPS 4G3
cardinal ([u'il n'ignorait {»as la source des calomnies dont il
était victime). Enfin, il tenait à se justifier de ses attaques
contre la Cour romaine. On le menac^-ait de l'Inquisition ;
mais il n'avait pas peur, étant hoii (■allioli([ue. S'il avait
quelque part raillé les Caralla, c'est (piils s'étaient conduits
envers le cardinal d'une façon indigne, et qu'il n'avait pu
refréner une légitime colère. (( Tout le reste, ajoutait-il,
ne sont que risées et choses l'rivoles, dont personne (ce
me semble) ne se doibt scandalizer s'il n'a les oreilles bien
chatouilleuses. )) Il concluait, non sans fierté : a Voilà, Mon-
seigneur, la grande mesclianceté que j'ay commise en vostrc
endroit, vous suppliant très humblement au reste de prendre
en bonne part ce qu'en une si juste deffencc que celle de
mon honneur, j'ay respondu non à voz lectres. mais aux
calumnies de ceulx qui m'ont déféré envers vous sans les
avoir jamais, que je sache, oll'encées ny de faict ny de paroUe.
Dieu le leur pardoint, car quant à moy toute la vengeance
que j'en désire, c'est qu'il me donne la grâce de prendre
ceste persécution en patience, et à eulx de recongnoistre le
tort qu'ilz m'ont faict. »
Que répondit le cardinal à cette franche apologie ? Y lit-il
même une réponse ? On peut en douter : car, un mois après,
le 3i août, le pauvre du Bellay, qui n'avait rien reçu de
Rome et qui perdait patience, revenait à la charge dans une
seconde épitre *, plus courte et non moins fîère : « Monsei-
gneur, je croy que vous aurez receu de ceste heure ce que
je vous ay dernièrement escript pour ma justification, qui
me gardera d'user de redictes, fors de ce mot seulement,
c'est que si, en cela ny aultre chose, je sentois ma con-
science coulpable en vostre endroict, il ne me fauldroit point
d'aultre bourreau que moy mesnies. » Sans nommer ses
ennemis, il désignait suflisamment ceux d'où venait le coup :
* Lettres, p. 32-55.
464 JOACHIM DU BELLAY
(( Les menasses précédentes et l'eUect qui s'en est ensuyvy
incontinent apprès me font assez foy de ceulx à qui j'en suys
tenu. S'ilz ont bien ou mal iaict. je m'en rapporte à leur
propre conscience et à vous. Monseigneur, qui sçavez mieulx
que personne de ce monde si je leur en ay donné occasion. »
Et. après avoir de nouveau protesté de son innocence, il
terminait par ces belles paroles : a Ce pendant je prendray
patience le mieulx (|u il me sera possible, et avec les Stoïciens
essayray à nu* persuader que l'homme n'est point malheu-
l'cux pour la perte des choses externes, mays seulement pour
avoyr commis ([uelque acte meschand. dont je sens nui con-
science necte. Dieu mercy. »
Ces pensées stoïciennes, où du liellay cherchait une conso-
lation, je les retrouve dans son Elégie à Morel, écrite à
peu près vers la même épocpie'. L'ami dévoué qu'était Morel
n'avait pas manqué d'apporter au poète, dans la disgrâce qui
le frap[)ait, le baume de son allection. Le poète ému lui
disait : (( Tu soullrcs de me voir payé d'ingratitude ; tu
compatis à nu'S revers ; tu pleures avec moi. Je te reconnais
bien là. Mais ton amour te trompe, si tu m'estimes malheu-
reux. Ceux-là sont malheureux, oui, ([ui sont envieux, cupides,
impies, parjiu'es. Moi non pas. J'ai la conscience en paix,
pure de toute faute. Quand la faute est d'autrui, comnu'ut
serait-on malheureux ^ ? » — Mais plus à l'aise avec Morel
' Neminem aliéna injuria iniserum esse. Ad laniirn Morelliim Ebred.
Pyladem suiini. {'.i'.V2 vers).
- Quod milii pro lantis merilis lot damna rependal
Pocloris ingrati pcrlidiosa fides,
Jane, doles, sortisque j)iiis niisereseis iniquae,
Et nostris misées fUlibus ipse luos.
Agnoseo
Sed lua le pietas fallit, dulcissiiue Jane,
Si niiserum, si me forte dolere putas.
lli polius misei'i
Sed sumus insonles, nec eulpam agnoseimus ullara,
; Nos ij,nlur iniseros dicere nemo potest.
lu nohis situ sunl, possunl (juae noslra voeari,
Née quemquam miserum culpa aliéna facit.
LES DERNIERS TKMPS 4G3
qu'avec son auguste patron, du Bellay s'é;)ancluiit tout entier,
vidait son cœur, mentirait à son <( Pylade » la blessure inté-
rieure qui saignait sous ce stoïcisiu<\ Il lui confiait les
plaintes désolées qu'il avait redites en lui-même ', en se
voyant trahi par ceux <|ui lui juraient naguère amitié frater-
nelle * ; le violent accès de misanthropie (ju'il avait éprouvé
devant un tel manque de foi ' ; le souhait de mourir qu'avait
formé son désespoir *. Il lui disait aussi ce qui, dans son
malheur, le consolait, l'encourageait. Sans doute, la calomnie
le privait d'un patron, mais non de sa gloire et de son
honneur, les seuls biens vraiment personnels \ D'ailleurs, qui
donc la calomnie épargnait-elle ? Le cardinal tout le premier
n'avait-il pas subi ses outrages ? Calomnié lui-même, il serait
juste et bon pour un serviteur calomnié \
Je passe sans insister sur la fin de l'élégie, où du Bellay
nous montre en ses ditîamateurs des gens ennemis de la
' V. tout le passage :
Ergo ego (nam tacilus niecum sic ipse loquebar)
Hoc inerui infoelix sedulitate mea?...
- At non hoc prclium nuper sperare jubebat,
Tarn maie pro rébus qui mihi verba dédit,
Qui sibi me, fallax, charum magis omnibus unum
Jurabat, cliari fratris et esse loco.
* Credcre jam nulli, nulli jam fidere certum est.
Non, mihi si aslringat Juppiter ipse lidem.
Sed saevi mihi dira plucet jam vita Timonis,
Atque odisse hominum jam libet omne genus.
* Haec mecum assiduis solitus jactare querelis,
Optabam vitae rumpere lila meae.
Jane (fatebor enim) talem tune mente dolorem
Goncepi, ut mirer non potuisse mori.
" nia quidem eripuit charum mihi forte patronum,
Hoc grave, sed mihi me non tamen eripuit :
Non tamen eripuit famam nomenque decusque,
Nec quicquid possim dicere jure meum.
® 111e adeo, nostra hic agitur quo judice causa,
Invidiam fortis pertulit ac domuit.
Quo magis hic nobis aequusque bonusque favebit,
Invidiae nostrum nec dabit ille caput.
Univ. de Lille. Tome Vlli. A. 30.
466 JOACHIM DU BELLAV
Muse, et ([ui n'ont de souci que leurs seuls intérêts, qui
nihili diicunt omnia praeter opes. Je retiens seulement que
partout dans cette élégie perce un sentiment de vénération
pour le cardinal, et la plus entière confiance en sa justice
et sa bonté.
Les graves ennuis créés au poète par la haineuse dénon-
ciation de ses cousins n'étaient pas terminés encore, quuu
autre incident surgissait, un âpre conflit, d'autant plus
violent qu'il s" agissait d'une question d'administration
diocésaine.
Au mois d'août iSog, Eustache du Bellay avait i[uitté Paris,
pour va([U('r à ses affaires dans le Perche en même temps
(jue pour changer d'air '. Il s'était mis en route avec son
frère, pour aller à Glatigny, Tiron et Montigny. Au cours de
son voyage, il avait, dans la terre de Glatigny. marié son
neveu. René du Bellay, baron de la Lande, avec la fille
aînée de Martin du Bellay, la propre nièce du cardinal,
Marie, princesse d'Yvetot et dame de Langey ". Puis il avait
(Mnmené le jeune cimple dans son douiaine seigneurial, à
Gizeux en Anjou '.
Avant son départ de Paris, il avait (h'iégué. durant son
absence, dans la charge de collateui-. .M. le trésorier de
B(>auvais, ou, à son défaut. M. l'ollicial \ Joacliim. (|ui avait
l'ordre de son maître de remplir cette charge « en l'absence
' Lettre d'Eustaclie au Cardinal, datée du 20 septembre : « Je vous supply,
Monseigneur, ne Iroulver mauvays si je me sujs wng peu absenté de Paris,
tant pour le maulvays aer qui y est, que pour mes aultres affaires. Je eroy
que si j'estoj^s à Paris, je seroys malade pour la puantisse de la rivière. »
{Lettres, p. 72).
- Martin du Bellay était mort le 9 mars loo9. Le mariage de sa lille avec
le neveu de l'évèque augmentait le crédit des ennemis de Joachim auprès du
cardinal. Marie du Bellay devait être en llinO l'unique héritière du prélat.
Y. l'abbé Cli. Pointeau, L'héritage et les héritiers des du Bellay, Laxaï, 1883,
in-8".
' Lettres, p. 70.
* lîev. d'hist. litt. de la France, 1894, p. :;0.
LLS di:rnieus temps 467
de M. de Paris » , el <jui, depuis l'hisloii-e des Regrets,
gardait raneune à ses cousins, vit dans cette mesure une
atteinte à ses droits. Il en conçut un vif dépit. Une prébende
étant venue à vaquer, et le trésorier de Beauvais en ayant
l'ait la collation au lils de M. de Saveuse, Joacliini, ([ui
n'avait pas, malgré ses remontrances, obtenu ilu Irésoriei'
qu'il reconnût ses droits à conférer', entra dans une grande
colère. Devant le scelleur de M. de Paris, il s'emporta contre
les vicaires de l'évèque ". Le scelleur avisa le baron de
ïhouarcé, qui répondit à Joacliini par une lettie furibonde :
(( Mon cousin, je receu à ce matin ung lectre du selleur de
Monsi de Parys, la quelle je nay voulu monslrer à niondict
s' de Parys, sçacliant bien qu'il ne se pouroyt conlenyr, luy
voulant fayre telle injure que, en Faage où il est el estre ce
qu'il est, luy vouloyr bailler la loy, chouse que je m'asseure
qu'il ne l'endurera d'homme du inonde que de Monseygneur
le cardynal. Ledict seelleur m'a mandé que luy avés dict que
vous révoqueryés les vycayi'es que Mons^ de Parys a créez,
après que Monseigneur l«s a premyerement créez , chouse
que je m'assure que ne sçaryez t'ayre. Et quant vous vouldrez
meptre cela à exécution, je suys certain que Monseigneur le
cardynal vous fera entendre que ce n'est en l'endroyt de
Mons' de Parys là où doybvés entreprendre telle chouse. Si
vous le faictes, j'en seré niary et vous ausy, et m'en asseure
bien, et quant je debveroys passer les montaygnes, j'en par-
leré a Monseygneur le cardynal, et croy qu'il ne vouldra fayi-e
ceste lionnte à Mons"" de Parys '\ »
Cette lettre insolente, que Jacques du Bellay signait efû'onté-
ment « vostre bon cousin et aniy w, était datée du 28 août.
Joacliini. profondément blessé par tant d'impertinence, ne
' Lettres, p. o6-57.
- C'est-à-dire le trésorier et l'ollicial.
3 Lettres, p. 6S-G9.
468 JOACHIM DU BELLAY
répondit pas au baron. Mais dès le 3i, il s'adressait à l'évêque
lui-niènie ' : « Monsieui-, J'ay ces jours passez reeeu une lettre
de Monsieur du Bellay vostre frère, pleine de choleres et de
menasses, ausquelles je ne fais response pour avoir jusques
icy assez esprouvé Monsieur du Bellay si peu favorable en
tout ce qui nie touche que je n'ay occasion espérer de luy,
sinon toute rigueur, si Dieu par vostre moyen ne luy fait
changer de voulunté en mon endroit. » Après ce début très
net et très digne, pour que l'évêque fût exactement au courant
de tout, il lui rapportait les propos qu'il avait tenus au
scelleur, et que ce dernier avait travestis dans sa lettre au
baron de Thouarcé. Il avait proposé, disait-il, un moyen de
tout arranger en conciliant les instructions du cardinal avec
les désirs de l'évêque : il s'engageait à conférer à ceux que
le scelleur lui nommerait, pourvu qu'il conférât liii-inèine. Il
espérait que les vicaires auraient égard à sa personne et
n'empêcheraient pas « ung parent et serviteur de Monseigneur
le Cardinal (iiii ne les avoit en rien offensez » d'accomplir
sa mission. Sans doute, il avait ajouté que, s'ils en voulaient
user autrement, il serait contraint lui aussi « d'user de la
puissance que Monseigneur lui avoit donnée » , mais sans
parler le moins du monde de « révocation ». Il terminait
ainsi sa lettre : « Voyla, Monsieur, le grand crime de lèse
majesté que Ton m'accuse d'avoir commis en vostre endroit
et dont Monsieui" du Bellay me menasse de passer les mon-
taignes pour en parler a mon dict seigneur le Cardinal. Mais
il n'est ja besoing qu'il j)reigne ceste peine pour me mectre
davantage en disgrâce, car je y suis assez (Dieu mercy et
mes bons amys) Pour conclusion, si vous trouvez bon^
sans exprès conuiiandement de mondit seigneur le Cardinal,
de préférer des étrangers a moy, en une chose ou vous ne
' Rev. d'hist. litl. de la France, 1894, p. 50-51,
LES DERNIERS TEMPS 469
pouvez avoir aucun interest, veu que je ne veulx (comme
j'ay cy devant dict) rien faire sinon ex prcscripto de vostre
seelleur, je vous supplie. Monsieur, de le me l'aire entendre,
a fin que je m'en descharge envers mondict seigneur le Car-
dinal et fpi'il n'ayt occasion de penser qu'en vostre absence
j'aye desdaigné de faire la cliarge qui luy a pieu me donner. »
Non content d'écrire à l'évêque, Joachim s'empressa de
porter la question tievant le cardinal. Le lendemain le^ sep-
tembre, il envoya donc au prélat la lettre de Jacques du
Bellay, avec une copie de sa réponse à M, de Paris *. 11 y
joignit un exposé de ses griefs, faisant bien ressortir que sa
conduite en cette affaire avait été dictée par le souci constant
de respecter les instructions du cardinal : (( Je vous supplye
très humblement, mon seigneur, de ne m'estimer si ambitieux
que je recherche tel souvenir si non aultant ({ue c'est pour
vostre service, en quoy je ne céderay jamays à personne. Ce
qui me donne plus d'ennuy, c'est l'injure que l'on me faict
de me vouloyr oster sans révocation ny aultre exprès com-
mendement de vous ce qu'il vous a pieu me donner. )) Et
rappelant ses bons services, il concluait : « Je seray bien
ayse que les aultres facent mieulx, mays je m'asseure bien
qu'ils ne s'en sçauroient acquicter plus fidèlement ^ »
Il serait fort intéressant d'avoir les lettres que le cardinal
dut échanger à cette occasion avec Eustache et Joachim. Par
c[uels moyens essaya-t-il de rétablir l'accord entre eux? C'est
là ce que nous ignorons. Toujours est-il que le 29 septembre,
l'évêque de Paris envoyait du Plessis à M. de Lire ' une lettre
très importante au point de vue de leurs rapports. Le début
en était rédigé sur un ton un peu haut, comme il convenait
de la part d un homme qu'on avait blessé dans sa dignité :
' Lettres, p. 06.
-' Lettres, p. 08.
' C'est par ce nom que les cousins du poète le désignent sans cesse.
470 JOACHIM DU BELLAY
« Monsieur mon cousin, j'ay roceu deux do voz loctres. l'une
du dernier d'aoust. Taultre du wi^ de ce moys. Quant à la
première où m'escripvez des colères de mons"" du Bellay, à
tous le moings que vous les baptizés telles, je ne vous y fays
response. Si voxis pansez y gano^ner quelque chose . adressez
vous à luy. Il a esté par le monde pour vous sçavoir res-
pondre. Quant au second article de vostre dicte lectre. vous
n'aurez aultre chose de moy sinon que fay les cheveulx gris.
Je n'aprandrc de plus jeunes que moy. et qui n'entendent si
bien mon estât et ce que je doibs. à me gouverner par leur
oppinion. Quant celluy qui a toute puissance de me commander
me aura baillé la loy. je luy obéyray et non à aultre V » Mais
la fin de l'épître était plus conciliante : « Quant à vostre
seconde lectre du xvi« de ce moys. par laquelle me mandés
qu'avés communicqué à mon scelleur une lectre de monsei-
gneur le Cardinal, puis me parlés des bénéfices Aacqués
et prestz à vacquer. je suys d'un lieu duquel vous estes sorty,
là oii les gens ne se veullent avoir ])ar audace et auctho-
rité, mais par amylié ne i-efusant jamays à faire plésir. Les
vaccations advenuees dont m'escripvés. moy estant à Paris de
retour, nous en ferons bien ensemble au contentement de
monseigneui" le Cardinal et de a'ous et de moy. Ce sera au
plustost que je pouray. acheminant mes affaires pour ceste
effect chascung jour *. » Et l'évêrpie terminait en se recom-
mandant à la « bonne grâce » de son parent, et signait avec
intention : « Vostre meilleur cousin et amy a vous faire à
jamays plésir. »
S'il y mettait cet esprit conciliant, c'est que dans l'inter-
valle, le i6 septembre, — on le voit par ce qui précède. —
son cousin Joachim lui avait écrit une lettre, aujourd'hui
' Lettres, p. 75-76.
' Lettres, p. 76-77.
LES DERMKRS TEMPS 471
perdue, dans lac[iielle, selon toute apparence, il sollicitait son
appui pour un bénéfice vacant, et le prélat saisissait avec
joie ce moyen de clore un conilit ([ui devait déplaire au
cardinal.
En même temps cpie par du Bellay, la prébende de
Notre-Dame était demandée par M. Nicquet, et l'évcque,
pour ne pas avoir à choisir, l'avait mise par provision entre
les mains d'un comiuendataire '. 11 pressait le cardinal de
prononcer lui-même : (( Je vous supply, monseigneur, me
nuinder à qui je la hailleray allin que ne l'ung ne l'aultre
s'en prène à moy ■. »
Au mois de décembre, le cardinal n'avait encore rien
décidé ^ C'est Eustache qui nous l'apprend, dans une lettre
où se dévoilent ses sentiments sur le compte du poète. Sans
doute le cardinal avait écrit à l'évêque, afin de remettre un
peu d'harmonie entre les cousins. Eustache lui répond :
(( Monseigneur, quant à Mous' de Lyre, si j'ay pansé qu'il
ayt esté cause de me mettre en vostre malle grâce, ce n'a
esté sans démonstration que luy mesmes en a faict de la
faire cognoistre : vous supplyant, Monseigneur, ne trouver
maulvays si je ne me puys tant commander de faire bon
visage à ceulx qui ne * veullent faire tel tort sans que j'aye
jamays songé de le mériter. Mais pour cela il ne sçauroyt
dire que j'aye prins l'esprit de vengence contre luy, et pour
* Lettre d'Eustache au Cardinal, datée du 10 novembre : « L'aultre [pré-
bende], elle est en main seure, i)our en disposer ainsin qu'il vous plaira
commander, soyt pour mons' de Nicquel qui m'en a escript à ceste fin du
XVI' du passé, soj-t à mons>- de Ljraj qui la demande. » (Lettres, p. 78).
- Lettres, p. 79.
' Lettre d'Eustache au Cardinal, datée du 28 décembre : « Davantaige,
Monseigneur, vous avez ceste tierce prébende de Paris, s'il ne vous plaist la
bailler à l'ung des deulx de mess" de Lyray et Nicquet, dont j'attens vostre
commandement pour n'estre en malle grâce ni de l'ung ni de l'aultre. »
{Lettres, p. 82).
* Le texte porte ne, mais il faut lire me.
472 JOACHIM DU BELLAY
avoir employé ceulx quavés esleuz à votre service (comme
Mons"" le Trésaurier de ïliou'). ce nest pas commettre voz
affaires à mes varletz ' . » Rien ne prouve que Joachim eût
traite de valets les vicaires de l'évèque. Mais celui-ci n'était
peut-être pas fàclié datténuer ses torts à lui-même en exagé-
rant ceux de son cousin. Il laissait clairement entendre que
sa santé rendait Joachim incapable de s'acquitter de ses
fonctions. Pourtant, il ajoutait avec un air de bienveillance :
(( Quant aulx trois mille livres de bénéfices que luy avés
donnés, ce n'est à moy. Monseigneur, de retrancher vos
bienilaictz en son endroict, mais plustost je les vouldroys
alonger, si j'avovs le moven et d'ellét et d'affection. Luv
mesmes sera tesmoing combien et quantesfoys j'ai escript à
Mons'' de Sainctc Croix ^ pour le prieuré de Bardenay près
Bourdeaulx que luy avez donné, et y fays tout ce que je
puys *. »
Ce passage a la valeur dun document : il nous montre
que du Bellay, qui demandait une prébende à Notre-Dame
de Paris, n'avait pourtant pas à se plaindre de la fortune,
et qu'il était dans une honnête aisance. D'ailleurs, outre le
piieuré de Bardenay près Bordeaux, nous savons qu'il avait
encore une prébende en léglise Saint-Julien du Mans . Ainsi,
sa vie était largement assurée, et, s'il avait connu la colère
du cardinal au point d'encourir un instant sa disgrâce, du
moins n'avait-il pas le droit de le taxer d'ingratitude : en
' Il s'ajfil du trésorier de Beauvais. V. Lettres, p. 56, n. 3.
* Lettres, p. 83.
^ L'abbé de Sainte-Croix, à Bordeaux, était alors Auo^er Hunaut de Lauta.
qui occupa ces fonctions de 1553 à 1565 {Gallia Chrlstiana, t. II, col. 865, C).
* Lettres, p. 84.
* Le 16 juin 1360, fut conférée à Ronsard une prébende de l'église Saint-
Julien du Mans, devenue vacante par suite du décès de Joachim du Bellay.
M. l'abbé Froger, qui rapporte ce fait (Ronsard ecclésiastique, p. 21), ignore
à quelle époque Joachim avait obtenu ce bénéfice, o dont il était redevable
sans doute à son protecteur, Jean du Bellay ».
LES DERNIERS TEMPS 473
recevant de son patron ces trois mille livres de bénéfices, il
avait obtenu (( le loyer de sa peine ».
III
Le récit précédent fait assez voir que. dans les l'àcheux
démêlés du poète avec sa famille, tous les torts n'étaient pas
du côté de Tévéque. Mais si, dans ses fonctions, du Bellay se
montra susceptible, irritable, violent peut-être, en une certaine
mesure la maladie peut lui servir d'excuse. Sa santé, je l'ai
dit, n'avait jamais été brillante. Il était né cliétif. Un mal
cruel, nous l'avons vu ', l'avait cloué deux ans sur un lit
de douleur ; et c'est alors qu'il avait ressenti les premières
atteintes de la surdité ^ Comment a-t-on bien pu prétendre
que cette surdité n'était qu'une affection imaginaire, inventée
à plaisir pour imiter Ronsard ' ? Elle était, hélas ! trop réelle.
Dès i552, il en souffrait assez pour s'écrier lugubrement :
Les flotz courroussez, cpii baignent
Leurs rivages qui se plaignent.
Ne sont plus sourds que je suis :
Ny ce peuple qui habite.
Ou le Nil se précipite
Dedans la mer par sept huys.
* V. ci-dessus, 1" part., chap. ix, § i, p. 234-237.
- Sainte-Marthe, toujours mal informé, prétend qu'il avait rapporté cette
surdité d'Italie : « Impediebat surdae auris vitiura, quod in Italica peregri-
natione colleoerat ...» (Etogia, lo98, p. 40). Cette assertion est démentie
par la Complainte du Désespéré .
' Jacques Veillard de Cliartres. Pétri Ronsardi laiidatio funebris [1586),
f" 18 : « Ut natura cupide referiraus ea, quae niagnis auctoribus subeunt
animos : Platonis intimi giJjbosam illius hunierùm latitudinem, Arislotelis
discipuli haesitantiam ejus linguae. Alexandri familiares incurvas et leviter
ad laevani inflexas ejus cervices imitari et effîngere studebant : eodem
plane modo hic Bellaius prae amore P. Ronsardi pro surdastro multis pro-
babat, et constanti omnium opinione surdaster obiit. » (Bibl. ISat. — Ln-".
17.840).
474 JOACHIM DU BELLAY
Et tout cela, (jue Ion nomme
Les bienheuretez de l'homme,
Ne me scauroit esjouyr.
Privé de l'aise, qu'aporte
A la vie demy-morte
Le doulx plaisir de l'ouyr '.
Pourtant, il s'était remis à la longue, — ou du moins, si le
uial n'avait pas disparu tout à fait, il avait diminué : en
Italie, notre auteur entendait assez clair pour percevoir les
mille bruits de Rome, et pour regretter plaisamment de n'être
plus aussi sourd qu'autrefois -.
Lorsqu'il fut de retour en France, il ne tarda pas, sem-
blc-l-il. à être repris de son affection. Et dès lors, il passa par
des alternatives d'amélioration et d'empirement. Au début de
1559, il allait mieux et se voyait bientôt guéri. Le i*"" mars,
il écrivait à son ami Charles Utenhove : « Jam tandem saxum
et truncus esse desii, mi Garole ; factus suui enim ex surdo
surdaster : speroque brevi, Deo juvante, melius me habitu-
rum '. » Mais l'ail'aire des Regrets vint lui porter un coup
fatal. Les calonmies de ses cousins et la disgrâce momentanée
qui s'ensuivit n'eurent pas seulement pour etfet d'ébranler son
moral : le physique aussi fut atteint. Le mal, presque vaincu,
reparut plus violent, cette fois incurable :
Certe cum medicis luctatus tempore longo,
Viribus amissis, qui prope victus erat,
Saevior hinc iterum morbus graviorque recurrit,
Jamque ferox renuit ferre medentis opem *.
A partir de ce moment-là. la santé du malheureux ne
cessa de décliner et sa surdilé de s'accroître. Quelquelbis il en
' Complainte du Désespéré (II, 6 et 9).
- Hymne de la Surdité (II, 404).
•'' Marly-Laveaux, Appendice de la Notice, p. xxxvii.
* Elégie â Morel.
LES DERNIRRS TEMPS */0
plaisantait, t'-crivant à ^lorel : « INIonsicur et fi'ère. à cestc heure
congnoys-je véritablement que je suys sourd, pays que je
demeure si longuement sans entendre ung seul mot de votz
nouvelles ' » ; ou bien lançant « contre un Zoïle » cette épi-
gramme :
Invide, quid nobis surdas sic objicis aureis ?
Qui maie non audit, non mihi surdus hic est '.
Au fond, il en soutirait et très cruellement. On sait (|uel
désespoir il éprouva de ne pouvoir saluer, aA^ant son départ,
Madame Marguerite (octobre loSg) . retenu qu'il était à la
chambre par la terrible maladie ^ Si forte était sa surdité qu'il
en était réduit à n'avoir plus de relations avec les autres que
par écrit. Le 28 décembre, Eustache du Bellay, qui trouvait
incommode cette manière de commerce, mandait au cardinal :
« Et fault, Monseigneur, que je vous die que. davant mon
partement de Paris, il estoyt du tout sourd, comme il est de
ceste heure, sans quasi aulcune espérance de guérison. Scripto
est agendum et loquendiim cuin illo. Et. au temps qui court,
il est besoing avoir gens cler voyant et oyant mesmes pour
le faict de la religion, et en Testât qu'il est, ce luy est chose
impossible d'y vacquer *. » x\insi séparé du reste du monde,
quoi d'étonnant que du Bellay fût devenu chagrin, maussade,
aigre d'humeur ?
Il avait vieilli vite. A trente-cinq ans, à l'âge où l'homme
est dans toute sa force, il avait, lui, des cheveux blancs :
' Lettres, \\. 23.
- Ad Zoïlum. — Cette épif^ramme se trouve au dernier feuillet du Tumu-
lus Henrici Secundi.
' Lettres, p 39.
" Lettres, p. 83-84. — Cf. YÉpitaphe de J. du Bellay par P. de Paschal :
. . .Cum omnibus ipse ita se ohsurduisse videret ut oculis ipsi sibi audiendum
et amicis et familiaribus manu loqnendum esset . . . (Marty-Laveaux, Appen-
dice de la Pléiade, II, 385). — Le poète a parlé lui-même de sa complète
surdité dans plusieurs sonnets des Amours, composés, comme on sait, en
1559. (V. les s. 24-29, Marty-Laveaux, II, 132-134).
47G JOACHIM DU BELLAY
Jam mea Gygnaeis sparguntur tempoi'a plumis,
Inficit et flavas cana senecta comas.
Sic nobis périt an te diem decus omne juventae,
Et faciunt septein lustra peracta senem '.
Les tracas, les souflrances l'avaient usé rapidement, et sans
doute aussi l'abus des plaisirs. Accablé d'ennuis et d'infir-
mités, il mourait chaque jour davantage, victime précoce de
la vie, aux illusions, aux espérances. Une sombre mélancolie
avait pris possession de son àme. Celui qui s'était embarqué
pour l'avenir, plein de confiance et tout radieux, en criant
fièrement Caelo Musa beat ', n'avait plus sur les lèvres que
cet adieu désenchanté : Spes et fortuna valete '. Je ne sais
rien de plus navrant que le sonnet qu'il adressait, quelque
temps avant de mourir, à Jacques Grévin *, un nouveau venu
qui chantait ses amours ^ :
Comme celuy qui a de la Course poudreuse
Ou de la Luyte huylée, ou du Disque eslancé.
Ou du Geste plombé de cuir entrelacé
Rapporté mainte palme en sa jeunesse heureuse,
Regarde, en regrettant sa force vigoureuse,
Les jeunes s'exercer, et ja vieil et cassé
Par un doux souvenir qu'il ha du temps passé,
Resveille dans son cueur sa vertu généreuse :
* Poemata, f» 24 r" : Ad Gordium, ut laetus vivat.
* Horace, Carm. IV, viii, 29. — C'est la devise de du Bellay dans ses pre-
miers ouvrages.
' Lettres, p. 3S. — Cf. ce que dit Paschal dans son Épitaphe : . . . Camq.
veL hoc ipsurn ob incommodum hinnana haec omnia ut fragilia et caduca
vehementer despiceret. . . (Martj'-La veaux, Appendice de la Pléiade, IF, :JP5).
* Sur .lacquos Gn'vin (lo38-1570), consulter la thèse de M. Pinvert.
^ L'Olimpe de Jaques Grevin de Clermont en Beauvaisis. Ensemble les
autres œuvres poétiques dudict Auteur. Paris, Rob Estienne, 1560, in-8°. Le
permis d'imprimer est du 23 nov. liJoO. — Le sonnet de du Bellay se trouve
en tète de VOlimpe, avec un sonnet de Belleau.
LES DERNIEHS TEMPS 477
Ainsi voyant (Grévin) prochain de ma vieillesse
Au pied de ton Olinipe exercer ta jeunesse.
Je souspire le temps que d'un pareil esmoy
Je chantay mon Olive, et resens en mon ame
Je ne scay quelle ardeur de ma première llâme
Qui me fait souhaiter destre tel comme toy. (II, 53o).
Triste retour sur le passé ! Qu'il était loin <léjà. ce temps
où du Bellay chantait la belle Olive ! Au contact douloureux
de la vie. il avait vu s'évanouir ses rêves de jeunesse. Il
était vieux. Et pour opérer ce ravage, dix ans avaient suHi !
IV
Dans ce lamentable déclin de tout son être, du Bellay
n'avait pour le soutenir . avec la tendi^e sympathie de
quelques amis dévoués . que les consolations très douces de
la Muse. Plus que jamais, il cultivait la poésie : le Tombeau
d'Henri II. les deux Discours au Roy. les vingt-neuf
sonnets des Amours datent de cette époque. Le t2 décembre
1559. le président Minard ayant été tué d'un coup de pistolet
comme il revenait du palais, du Bellay lit son tombeau,
suivant une habitude qu'il aimait assez, et en latin et en
français '. Il voulait terminer pour le i-^r janvier un recueil
à'étrennes latines, pour la composition duquel il s'aidait de
l'érudition de son ami Charles Utenhove.
' Le Tombeau de Minard (Marty-Laveaux, II, 47.^-476), composé de 26
vers latins et de 26 vers français, parut en 1361, dans la 2' édit. du Tumulus
Henrici Secundi. — G, Aubert dit dans son Elégie (1360) :
Ainsi ces jours passez, il sauva par son art
De l'oublieux tombeau le Président .Minard,
Et du juste Minos il luy donna en change
Le nom et le renom, l'honneiir et la louange.
478 JOACHIM DU BELLAY
C'est dans la maison de Morel ' quil avait rencontré ce
docte personnage, que distinguait sa science des langues. Une
intime amitié ne tarda pas à les unir. Entre autres témoi-
gnages qu'on en pourrait donner -, il en est un, assez
curieux et, si je ne me trompe, à peu près inconnu. C'est
une pièce oii du Bellay, malade, ajant reçu des vers de son
ami, lui conte le soulagement presque miraculeux qu'il en a
retiré :
Aeger eram, morbusque meos l'oedaverat artus,
In l'acie pallor, corpore languor erat :
Cum mihi Carolidae sunt reddila carmina vatis, •
Cariiiina quae Clarii dixeris esse Dei.
Morhus abit, totoque t'ugit de corpore languor,
Et vestit niveas purpura prima gênas.
At rcdcat morbus. redeat pallorque fugatus,
Saepius Utenbovî (himinodo scripta legam '.
Encouragé par Utenliovc, qui sans doute avait eu l'idée,
s'il n'avait fourni les premiers modèles, notre auteur avait
entrepris dans une série dépigrammes — en vers latins, bien
entendu * — de jouer sur les noms de ses contemporains les
plus célèbres (illiisfriufii quornindom nominiim allusiones) ,
en y clicrcliant coiiiiiic un syml)()lc jn'opbètique de leur
cai'actère ou de Icnc talent. 11 s'était mis à l'œuvre au début
de i5rM) : mais cela n'allait pas tout seul, comme on le voit
' V. ci dessus, i« pari., clia]). vi. § m, p. ;W0.
- Dans une pièce des Xenia, 1" 14 v°, du Bellay vante les travaux
d'Ulenhove sur les Dionysiaques de Nonnos. Quant à Cli. Utenhove, il a
souvent célébré du Bellay. Voyez: — 1" à la lin îles Poemata de notre auteur,
fo'^ 60 v"-62 r", trois pièces, deux grecques, une latine ; — 2' à la lin des
Xenia, f» lo v", Vallusio de du Bellay; — 3 surtout, à la suite de VEpitapliiuni
in rnorteni Herrici Gallorum re^is christianissiini . . per Car. Utenhoviiun,
Baris, llob. Esticnnc, liJGO. in-i°, les Epitaphes sur le trespas de loachirn
du lieilay, dont il sera question dans le chapitre suivant.
' Cette pièce ne se trouve que dans les Xenia de Ch. Utenhove, p. 81 de
l'édil. de 136S, publiée à Bàle chez Th. Guarinus. (Bibl. Nat. — Y»-. 9600).
' ce. les Xenia de .Martial.
LES DEHNIERS TEMPS 479
par un billet qu'il adressait le i*^' mars à son savant inspi-
rateur : «... Si lubet et vacat, velleni te paucis. Januluduui,
ut seis, parturio illas meas, vel potius tuas allusioncs : sed
vide ut ([uod coepisti perficias : nani nisi hic iiiilii obstetriccm
praestes, vel Lucinain potius, eitius Elephanti parient. . . ' »
Il était encore à la tâche à la (in de Tannée.
Bien que les Xenia n'aient paru que dix ans plus tard
(1569) % c'est ici l'occasion d'en dire quelques mots. On
peut définir ces petites pièces des badinages étymologiques.
' Marty Laveaux, Appendice de la Notice, p. xxxvii.
- loachimi Bellaii Andini poelae clurissimi Xenia, seii illustriuni qiioriin-
dani nominum Alliisiones. Paris, Federio More], lot'.9, in-4". Privilège daté de
Paris, 1" mai ly(î8. (Bibl. Nat. — Y^. 12:J3). — On est surpris que ce recueil
ait été publié si tard après la mort de du Bellay. L'histoire exacte de cette
tardive publication est curieuse à connaître. Dès loOO, Ch. Utenhove, qui
tenait à son droit d'inventeur, avait donné, à la suite de VEpilapIduin in
niortem Herrici Gailoruni régis, un certain nombre de ses propres Xenia.
Dans une préface au lecteur, que je ne puis songer à reproduire, il ilisait
que les Allusions de du Bellay allaient paraître au premier jour {Bellaii
nuper admodum vita defuncti Allusiones primo qiwque die typis, ni J allô r,
excudendas). et que, s'il prenait les devants, c'est que dans ce genre, où tous
deux s'étaient exercés de concert, mais de manière diilérente, ce n'était pas
lui l'emprunteur. Il le prouvait en publiant la lettre du 1" mars, où son ami
lui-même lui rendait cette justice (qna me, vel ipso teste, id argumenti
geniis ab eo minime miiluatum fuisse, non obscure perspicies). Les Xenia de
du Bellay ne virent pas le jour, comme l'annonçait Utenhove. 11 se peut que
Morel, détenteur des papiers du poète, ait renoncé à les faire paraître, en
présence d'une publication qui d'avance leur nuisait. Toujours est- il que le
1" mai 1502, Utenhove demandait à Morel le manuscrit des Allusions de
du Bellay dans une lettre conservée à Munich (Collection Camerarius, 33,
fo 263), et dont je dois la communication à l'obligeance de M. de rs'olhac :
« Janidudum vero Joach. Bellaii Allusionum libellum a te mihi mittendum
dualms de causis expecto, Ael quod me pridie quam moreretur earum
obstetriccm seu Lucinam potius delegerit, vel quia etiam in his, o-jtw; èo^iv
r, cpjai; çiXoTï/.vbç, nonnuUa, ut ipse nosti, pro meis agnoscam. 'E[jLoi '(o\)v
è7ri-ïp£7rT£ov èÇîTii^îiv -à kV.yova- Tac 7tt6r|y.o-jç çaaîv, ÈTtetôàv xr/.wa-iv, ôiaTrep àYàX[j.a<Tiv
èvaTcvi^Etv Toï; ^p£q;£(Tiv àyafiivaç toC ■/.j.u.ry^;. Ego illum, ubi semel et iterum
pellegero magnaque accessione locuplelavero, vel tibi vel cui tu voles,
dicabo. . . Calend. maii 1562. o Comme on le voit par ce fragment, il paraissait
surtout préoccupé de reprendre dans le manuscrit ce qui pouvait lui appar-
tenir. En 1568, Utenhove publia de nouveau ses Xenia (Bàle, Th. Guarinus,
in-8"), en y entremêlant quelques-unes des pièces de du IJellay sur les
mêmes sujets. Eniin, en 1569, paraissait le volume des Allusions de notre
auteur. — 11 serait d'un mince intérêt de rapprocher les Xenia des deux
poètes : Utenhove est en général plus condensé que du Bellay.
480 JOACHIM DL' BELLAY
Gomme Platon dans le Cratj'le et Gicéron dans les Verrines,
— c'est du Bellay qui se réclame de ces modèles \ — notre
auteur joue sur les noms propres, qu'il rapporte tant bien
que mal à des orig^ines liébraïques, grecques, latines et ger-
maniques. Quelques exemples montreront le système. En
Catherine de Médicis , l'ingénieux étymologiste trouve le
moyen de saluer la pure (xaôaoo;) vertu d'une princesse, (|ui
procure le remède à nos maux (« unica quod nostris sis medicina
malis ))). Michel de L'Hospital est l'hospice des Muses. Olivier
de Magny, petit corps, grand esprit {inagniis ingenio), attire
à lui les cœurs les moins sensibles, comme l'aimant (magnes)
attire le fer. Jacques Amyot n'a-t-il pas bien mérité son nom,
lui qui sut colorer Plutarque avec tant de bonheur et lui
mettre du rouge a[jL[X'.ov) ? Gitons complètement au moins un
de ces badinages. Voici celui sur Antoine Héroët . ce pur
chanteur non des héros, mais bien du dieu Éros :
Non. tua sit quamvis Gallis Heroïca Musa,
Heroïs nomen Musa tibi imposuit.
Tam bene quod nobis verum describis sGcoxa.
Imposuit Gi'aio nomine nomen ipcjç ".
A quoi bon insister davantage sur ces jeux d'érudit ? Sainte-
Beuve a raison : a Tout cela nous semble aujourd'hui assez
puéril et bien tiré par les cheveux '\ »
Le I" janvier i5Go, du Bellay passait la soirée chez un
de ses compatriotes, Glaude de Bize, clerc du diocèse d'An-
' V. sa préface loach. Bellaius candido lectovi.
- Xenia, f» 8 v°.
' Nouveaux Lundis, XIII, 3u2.
LKS DKRNIKHS TEMPS 481
gei's, eliautiH* on l'église Notrc-Daiiu! '. H y soupa joyouscMnciil.
Au sortir de table, malgré l'heure avancée, il se mil au
travail, composant des vers dans le silence de la nuil. Dans
ce colloque avec les Muses, il fut frappe d'apoplexie \
C'est ainsi qu'il mourut, dans la maison du chantre ^ Il avait
trente-sept ans '*.
Le mercredi 3 janvier, à la requête des parents et des amis
du défunt, et notamment de (( noble damoiselle de Villeneuve,
sœur du très révérend cardinal du Bellay ° », le chapitre
de Notre-Dame, assemblé durant la grand'messe, décida que.
' Ballu, Notice sur J. du Bellay, p. en.
- Tous ces détails sont bien connus. Paschal dit dans son Épitaphe :
Cal. Jan. hilare adrnudum coenalus,Jocosa quaedani scribens carrnina, dum
amplius cranion cerebruni continere non posset, multa liuinoris in fauces
stillante fluxione modico temporis intervaUo magno omnium suorum moerore
sujjocatur. (Marty-Laveaux, Appendice de La Pléiade, II, 3Sa). — Cf. diverses
pièces du Tombeau de J. du Bellay, notamment celle de Claude d'Espence :
Dum vigil ad multam modulatur carrnina noctem...
et celle de Robert de La Haye :
Hic dum mellifluos silente nocte
Versus sciiberet. et novem Sororum
Dulci coUoquio patrisque Piioebi
Intentus foveretur, ut solebat :
Extra se rapitur . . .
Il est curieux de rapporter Tcxplication que donne de cette apoplexie un
compatriote du poète, Jean Bodin, dans son Universue Naturae Theatrum,
édit. de Lyon, J. Uoussin, lo9(J, p. 612 : « Cur Luna Soli opposita veiiemen-
tius insaniunt furiosi ? — Quia tune abundantibus humoribus cerebrum ad
cranium usque intumescit, quod in Lunae coitu a cranio duobus digitis
saepe distat : qui autem enceplialosi laborant, prae nimia cerebri copia in
Lunae opjjositu suti'ocantur e cerebro : lune enim spiritus exultantes lortius
erumpunt : ut Joachimo Bellaio poetae populari ineo contigit a coena
redeunti. » (Bibl. Nat. — R. 29.36dj.
' Registres capitulaires de Notre-Dame, cités par Marty-Laveaux, Appen-
dice de la Pléiade, 11. 386 : . . . Dejuncti domini de Gonnor, in domo claus-
trali domini Cantoris, liac nocte, proul liic relatum, decessi.
' Vixit annos xxxvii, dit Paschal. — Cf. de Tliou, lib. XXVI, ann. 156U :
(( Kal. Januar. ejusdem anni annum ugens xxxvii, ex subita nervorum
resolulione Lutetiae decessit. » Edit. de Londres, 1733, t. II, p. 72.
'■> Louise du Bellay, femme de Charles d'Aunay, sieur de Villeneuve-la-
Guyard. Il est question d'elle dans une lettre d'Eustache au Cardinal (Lettres,
p. 85).
Univ. de Lille. Tome VIH A. 31.
482 JOACHIM DU BELLAY
par considération pour son illustre famille, contemplatione
nominis et domus dicti defuncti, l'ancien intendant du prélat
romain serait inhumé comme un chanoine, ad instar canonici
defuncti, bien qu'il ne le fût plus depuis i556 '. L'inhumation
eut lieu le lendemain après vêpres. Joachim du Bellay fut
enterré à Notre-Dame, en la chapelle de Saint-Crépin et Saint-
Ci'épinien, du côté droit du chœur, près de Louis du Bellay,
chanoine et archidiacre de Paris '.
Il s'était fait lui-même cette épitaphe :
Clara progenie, et domo vetusta
(Quod nomen libi sat iiiciiiu indicarit)
Natus, contegor liac (viator) urna.
Sum Bellaius, et poeta. Jam me
Sat nosti. puto. Num bonus poeta,
Hoc versus tibi sat mei indicarint.
Hoc solum tibi sed queam (viator)
De me dicere : me pium fuisse,
Nec laesisse pios : plus si et ipse es,
Mânes laedere tu meos caveto \
Ce n'est pas celle-là qu'on mit sur son tombeau. Le 5 janvier,
Pierre de Paschal faisait placer au-dessus de ses restes une
inscription qu'il avait composée lui-même, et qui retraçait
pompeusement les mérites et la triste fin de son « incompa-
rable )) ami *.
Au temps des rêves de jeunesse, le doux poète de Lire,
celui qui sentait et rendait si bien le charme pénétrant de la
' Rej^istres capilulaircs. — Cf. Ballu, p. cm.
- Rcffistres t-apitulaircs : juxla sepulliirani defuncti domini Archidiacani
Parisiensis. — Ménage, Anti-Ilaillet, diap. lxxi, p. I't(j-li7. — Cf. Ballu. p civ.
^ Poemafa, f» 60 r».
* Marty-Laveaux, Appendice de la Pléiade, II, 38a. — Voici la lin de
l'cpitaphe : Petriis Pasclialius et vêtus et verus urnicus amico incomparabili
dolena posuit. A'o/t. Jan. MDLX a Cliristo nato.
LES DKllNIKUS TEMPS 483
terre angevine, avait un jour l'ornié le vœu de reposer au
bord de son fleuve gaulois :
O mon fleuve paternel,
Quand le dormir éternel
Fera tuniber à l'envers
Geluy qui chante ces vers,
Et que par les braz amys
Mon cors bien près sera mis
De quelque fontaine vive,
Non gueres loing de ta rive.
Au moins sur ma froyde cendre
Fay quebjues larmes descendre.
Et sonne mon Isruyt fameux
A ton rivaige ecumeux '.
Mais il était écrit que, jusque dans la mort, tous ses rêves
seraient déçus. Ce ne fut point aux bords de Loire qu'il eut
sa tombe , bercé par le murAiure argentin des fontaines , au
sein de la riante nature. Une basilique reçut sa dépouille, et
c'est sous des voûtes austères, dans le silence auguste et la
paix du saint lieu, qu'il dormit son dernier sommeil ^
• Les louanges d'Anjou. Au Fleuve de Lojre (I, 178).
^ Joacbim eut pour héritière sa sœur Catherine, dame de la Mauvoysi-
nière. Le fils aîné de Catherine, René du Breil, devint seigneur de Lire et de
la Turmelière. (Ms. fr. 20.:i6o, f" 44 r"). — Le tombeau du poète à Notre-
Dame semble avoir disparu lors d'une restauration de la chai^elle de Saint-
Grépin au mois d'aotit 1738. V. Ballu, p. civ.
CHAPITRE XI
DU BELLAY DLYANT L'OPINION
I.
II.
III. -
Du Bellay jugé par lui-même. — Sa vanité poétique.
Du Bellay jugé par ses contemporains. — Hommages
funèbres : le « tombeau » du poète (1560). — L'édition
de Morel et d'Aubert (1568-1369). — Du Bellay l'égal
de Ronsard.
Du Bellay jugé par la postérité. — Un sonnet de
Spenser (1391). — Les travaux des savants : Sainte-
Marthe. Colletet. Baillet, Ménage, Niceron, Goujet. —
Les « Annales Poétiques » (1778). — Le « Tableau »
de Sainte-Beuve (1828). — Du Bellay au XIX' siècle. —
L'édition Marty-Laveaux (1866-1867). — La statue
d'Ancenis (1894). — L'Association Bretonne- Angevine.
Kii .suivant du Bellay devant le tribunal de Topinion
publique, je n'ai point la prétention de passer en revue tous
les jugements (ju'on a pu porter sur le poète et sur son
œuvre aux divers moments de l'histoire. Un semblable
dénombrement , si j'avais osé le tenter , risquerait fort
d'être incomplet. Jai voulu seulement, dans un tableau
d'ensemble, mai<|uer les tiaits saillants, et, d'une façon géné-
rale . indiquer ce (|u'est devenue , pendant trois siècles et
DU BELLAY DEVANT I.Ol'IMON 485
demi, la gloire littéraire de celui (jvii composa la Dojfcnce et
les Regrets.
Gomment donc noire auteur a-l-il élé jugé ? Mais tout
d'abord, comment s'est-il jugé lui-môme?
Ou ne peut exiger des poètes beaucoup de modestie. Au-
tant (ju'irritable, la race est vaniteuse. Du Bellay, sur ce
point, ne le cède à personne. Dès les premiers pas, il avait
chanté son exegi fnonumentam ' . Il n'était d'ailleurs pas en
peine de justifier sa vanité : « Si en mes poésies je me loué
quelques fois, ce n'est sans l'imitation des anciens ". » Gomme
il arrive assez souvent, c'est de sa première œuvre qu'il était
le plus fier. Par-dessus tout, il se considérait comme le
chantre de Y Olive :
Si est-ce pourtant que je puis
Me vanter qu'en France je suis
Des premiers qui ont ozé dire
Leurs amours sur la Thusque lyre.
Et mon Olive (soit ce nom
D'Olive véritable, ou non)
Se peult vanter d'avoir première
Salué la doulce lumière '.
Il a rappelé bien des fois ce beau titre d'illustration \ Il
savait sa valeur. Il était parti pour la gloire :
Quand à l'Honneur, j'espère estre immortel,
s'écriait-il tout au début ". Il avait conscience de l'avoir atteinte :
» Ode à Bouju, De l'immortalité des poètes (I, :i05). — V. ci-dossus, 1" part.,
chap. VII, § IV, p. 213-215.
- 2' préf. de VOlive (I. 7d). — V. sur ce point les i-éflexions du bon abbé
Goujet, XII, 134.
' Ode à Magny, Sur les perfections de sa dame (II, 329).
* Voyez I, 153, 159, 163, 164, 178 ; II, 3, 144, 248, 318, 530;— Poemata, f'^
3 v" et 41 V" ; — Xenia, f" 7 r".
■'' Sonnet A Vambicienx et avare ennemy des bonnes lettres, à la lin de la
Deffence, p. 163.
486 JOACHIM DU BELLAY
Je diray donc sans peur d'estre repris
De me vanter, qu'au mestier de la lyre
Je ne suis pas le meilleur, ny le pire,
De ceux qu'on nomme entre les bons esprits *.
Sans doute, il avait tort de le dire si haut. Avait-il tort de
le penser ?
II
Dans sa notice sur du Bellay *. le docte Colletet a pris
plaisir à relever les éloges qu'ont donnés au poète tous ses
contemporains plus ou moins immédiats. La liste est longue
de ces hommages, et cependant elle est bien loin d'être
complète.
Déjà, de son vivant, notre auteur avait recueilli maint
témoignage d'admiration. Lorsqu'il mourut, le deuil fut grand
dans la république des lettres. 11 tombait le premier de la
noble phalange qui, sous l'égide de Dorât, avait marché su-
perbement à la conquête des anciens, et dont l'audace avait
eu pour prix ce triomphe, la poésie ressuscitée. On eut la
sensation qu'un vide s'était fait.
Ronsard ne put voir partir sans tristesse ce vaillant frère
d'armes, cet ancien compagnon des luttes héroïques. On
trouve un écho de ses vifs regrets dans l'élégie qu'il adressa,
l'année même où mourut du Bellay, au Tournésien Louis des
Masures '. Encore sous le coup de cette mort soudaine, son
1 Amours àe 15o9, s. 6 (II. 123). — Cf. Elégie à Mord :
Carmina sunt nobis facili nianaiitia vena,
Et nos turba legit, nos legit aula frequens.
Denique, quisquis amat Phoebum Phoebiquc Sorores,
Me colit absentcm, me terit alque legit.
' Copie mscr., f"' .o2 ro-ij7 v".
^ Hlanchemain, VII, 49.
DU BELLAY DEVANT l'oPINION 487
esprit est hanté de lunèhres images : il a vu dans un rêve
l'ombre de son ami :
L'autre jour en dormant (eonime une vaine idole.
Qui deçà qui delà au gré du vent s'en-vole)
M'apparut du Bellay, non pas tel qu'il estoit
Quand son vers doucereux les Princes allaitoit,
Et qu'il faisoit courir la France après sa lyre,
Qui souspirant son nom le plaint et le désire ;
Mais hâve et descharné . . .
L'ami d'autrefois n'est plus qu'un cadavre, et ce cadavre se
met à parler :
Il me disoit : (( Ronsard, que sans tache d'envie
J'aimay quand je vivois comme ma propre vie,
Puis qu'il a pieu à Dieu me prendi'e devant toy,
Entens ceste leçon et la retiens de moy... »
Et de cette bouche d'ami, sort le plus beau credo religieux
et moral. — Quatre ans plus tard, dans une pièce du Bocage
Royal, à Catherine de Médicis, Ronsard, dont la mémoire
était toujoui's fidèle, insérait ces vers empreints d'émotion :
Je pleurois du Bellay, qui estoit de mon âge.
De mon art, de mes mœurs et de mon parentage,
Lequel, après avoir d'une si docte vois
Tant de fois rechanté les princes et les rois.
Est mort pauvre, chetif, sans nulle recompense,
Sinon d'un peu d'honneurs que luy garde la France '.
Rémy Belleau ne connaissait Inen du Bellay que depuis
son retour d'Italie ; mais en deux ans, il avait eu le temps
' Blanchemain, III, .371. — Cf. III, 3o3, au cardinal de Lorraine :
Du Bellay, qui avoit monté dessus Parnase,
Qui avoit espuisé toute l'eau de Pégase,
Qui avoit dans mon antre avecques moy dancé,
Ne fut, siècle de fer ! d'un seul bien advancé.
488 JOACHIiM DU BKLLAY
de l'apprécier. Il eut de sa mort un regret sincère. Dans une
ode qu'il composa sur les Recherches d'Etienne Pasquier
fiôôo) *, il déplorait les tristes destinées de la « Brigade »
et disait de l'ami disparu :
Encores la playe est ouverte
De mon Du Bellay, dont la perte
Fait perdre aux Muses le renom.
La même année, il fit paraître un Chant pastoral sur la
mort de loachim du Bellay Angevin ^ C'était un dialogue
entre deux pasteurs, Tlioinet et Bellin (Baïf et Belleau), suivi
d'une complainte, dans laquelle une Nymphe de la Seine
pleurait le poète éteint avant l'âge :
Il est mort Du Bellay, Du Bellay que les Dieux
Avoyent transmis du ciel pour cstre en ces bas lieux
Le mignon d'Apollon, et des Muses la grâce,
Et le plus rare honneur de son antique race !
Las ! il nous est ravi, n'ayant parfait le cours
Qu'à demy seulement du plus beau de ses jours.
Par la bouche de Ronsard et de Belleau avaient parlé les
condisciples et les amis d'école. Quelques savants, qui
voyaient en du Bellay disparaître un humaniste, eurent à
cœur de saluei' sa dépouille : Adrien Turnèbe, Claude
d'Espence, Hélie André, Léger du Chcsne, Claude Roillet,
réunirent en une plaquette quelques pièces latines qui
disaient leurs regrets \
^ Gouvorncur, I, 183; Marty-Laveaiix, I, 117. — Le I" livre des Reclœrches
de la France parut en 1o60, à Paris, chez Vincent Sertenas, in-S". Privilège du
18 janvier loaO (n. s. Io60). L'ode de Belleau figure en tète.
- Paris, Rob. Estienne, 1560, 8 S. in-4". — Plus tard, l'auteur a fait entrer
ce chant dans sa liergerie, en le coupant en deux parties. (Gouverneur, II,
150-i:>r, et ;53!S-3H; Maity-Laveaux, I, 2n3-297 et II, 133-138) — Le Chant pas-
toral de HclU-au. rèinii)r. en loGG, a i)ris place à partir de lo68-lo69 (recueil
d'Aubert) dans les diverses éditions du Tombeau de J . du Bellay.
' In loachimum Bellaium, Andinum poetam clarissimum doctorum viro-
rurn carmina et tuniuU, Paris, Kederic Morel, lilliO, (i ff. in-4".
DU BELLAY DEVANT l'oHNION 489
Puis co fut le tour des intimes. Guillaume Aubert de
Poitiers, avocat au Parlement de Paris, après avoir expi'imé
sa douleur dans une lettre à Jean de Morel (le 3 janvier i56o),
la mit en vers très longuement, trop longuement, dans une
assez plate Elégie, qui n'a pour elle (jue la bonté de l'inten-
tion '. En même temps, Charles Utenliove. rassemblant les
hommages funéraires de ceux qui fréquentaient la maison de
Morel. ])ublia les Epitaphes sur le trespas de loachim du
Bellaj\ Angevin, Poëte Latin et François ^ Ce recueil repro-
duit d'abord l'épitaphe que du Bellay s'était faite à lui-même;
puis la traduction de cette épitaphe en hébreu par Jean
Mercier, beau-fils de Morel, en grec par Utenhove. en français
par Morel, Maniquet, Utenhove et Grévin ; ensuite, diverses
pièces latines et françaises, des hendécasyllabes de Robert de
La Haye, des distiques de Camille de Morel. un sonnet
d'Antoinette de Loynes, une ode de Jacques Grévin, etc. ; et
le tout se termine par l'épitaphe admirative (d. immortali s.)
due à Pierre de Paschal.
C'était quelque chose sans doute que ce tribut d'éloges
payé à la mémoire du poète qui venait de mourir. Mais il
y avait mieux à faire : c'était d'assurer, par une édition aussi
complète que possible, la conservation de ses œuvres. Détail
curieux : l'idée vint du roi François II. — c'est Aubert i{ui
raffîrme. A son commandement. (( le Sieur de Morel amateur
de toutes vertus. . . feit soigneusement recueillir non seulement
ce que le Sieur du Bellay avoit faict imprimer durant sa vie.
mais aussi ce qui n' avoit encores esté publié : et après en avoir
communiqué avecques les plus affectionnez amis de l'Auteur.
• Elégie sur le trespas de M. loachim du Bellay. . . Paris, Federic Morel,
1360, 3 ff. in-4°. Réirapr. en 1361.
- Elles viennent à la suite de ÏEpitaphium in mortem Herrici Gallorurn
régis christianissimi. . . per Car. XJtenhovium. Paris, Rob. Estienne, 1360,
in-4'. (Bibl. Nat — Rés. niY' . 3:33).
490 JOACHIM DU BELLAY
ils adviserent ensemble ment, que... ce seroit chose digne de
leur bonne affection envers le public, et de leur ancienne
amitié envers le feu Sieur du Bellay, de faire mettre toutes
ses œuvres en lumière, de façon qu'à l'advenir rien ne s'en
peust facilement esgarer *. » Ce projet, toutefois, ne fut point
réalisé sur le champ. L'année de la mort du poète et les années
suivantes, des libraires de Paris, Charles l'Angelier, Federic
Morel, pour répondre aux vœux du public, avaient imprimé ou
réimprimé, soit en plaquettes, soit en recueils factices, beaucoup
de ses ouvrages *. C'est seulement en 1569 que vit enfin le
jour . chez Federic Morel , en un volume in-S» , l'édition des
œuvres complètes, ou du moins des œuvres françaises ^ Elle
était dédiée au roi Charles IX : Guillaume Aubert, auxiliaire
de Jean de Morel dans sa tâche d'éditeur posthume, avait écrit
la dédicace. Le recueil, qui s'ouvrait sous cet auguste patro-
nage , se fermait solennellement par la série des pièces qui
redisaient la gloii-e de du Bellay : suivant l'usage, Aubert les
avait réunies pour en former le tombeau du poète.
Six autres éditions, inspirées de la précédente, parurent
tour à tour \ attestant le renom du chanteur angevin et sa
vogue persistante jusqu'à la fin du xvi*^ siècle : et le tombeau
reparaissait toutes les fois, augmenté de pièces nouvelles '.
' Aubert, Epistre au Roy [Cliarles IX], datée de Paris, 20 nov. 1:568. —
Marty-La veaux, Appendice de la Notice, p. xxxix.
- Pour le détail de ces publications, v. Manuel du Libraire, t. I, col. 749-
7ol, et Supplémpnt. t. I, col. 100 102 : — les notes de l'édit. Marty-Laveaux ;
— la Bibliographie de M. Ballu. édit, L. Séché, p. 251 sqq.
' Les œuvres françaises de loachim Du-BeUuj, Gentilhomme Angevin, et
l'oëte excellent de ce temps... Paris, Federic Morel, 1569, in-8\ rUcueil de
pièces séparées, iuii)riinées en 1568 et 1.569. Privilège du 30 avril 1567. —
Cette édition est décrite par Jules le Petit, bibliographie des principales
éditions originales d'écrivains français du xv au xvui'' siècle, Paris, Quantin
1888. — Les Xenia parurent également chez Morel, en 1569, dans un volume
à part. Les Poemata ne furent pas réimprimés.
» Paris, 1573, 1574, 1584 ; — Lyon, 1575 ; — Rouen, 1592, 1597.
•' A signaler dans l'édit. de 1575 deux sonnets de Jacques de la Taille.
DU BELLAY DEVANT LOPI.MON 491
On ne peut lire sans respect, si médiocre qu'en soit la
forme, les tcmoignag-es lUadiniration décernés au poêle \)Hi'
ses contemporains. On y sent une foi sincère et quelque peu
naïve dans l'éternité de son œuvre. L'impression que j'en ai
gardée, c'est que les hommes du xv!"^ siècle ont mis constam-
ment du Bellay au même niveau que Ronsard : les deux
émules étaient à leurs yeux deux és^aux.
Cette égalité dans riiommage avait commencé de bonne
heure, du vivant même de Joachim. Dès i552, Marie de
La Haye, dans une ode Sur les œuvres poétiques de I. du
Bellay et P. de Ronsard ', établissait le parallèle :
Le prix, où Horace a tendu
Sa lyre, pour le penser prendre.
D'autres en vain est attendu :
Car à vous deux il se vient rendi^e.
L'ung reçoit par nostre orizon
Le verd honneur de la couronne.
Dont ja l'une et l'autre maison
Du soleil, son chef environne.
A l'autre l'Olive promet
Apres sa mort vie immortelle :
Et vivant desja hors le met
De l'obscure tumbe mortelle.
Vers le même temps. Hugues Salel, adressant un sonnet Aux
seigneurs de Ronsard et du Bellay % leur demandait le
secours de leur muse pour l'aider à chanter d'amour :
* Cette ode tigure en tête de l'ouvrage de du Bellay : Le quatriesme livre
de l'Enéide de Vergile. . . . V. ci-dessus, 1" part, chap. x. § i, a. 1, p. iiO-
2o0. (Bibl. Nat. — Rés. pYc. 1400.)
- Les Amours d'Olivier de Mngny.... Emsemble un recueil d'aucunes
œuvres de Monsieur Salel, abbé de Saint Cheron, non encore veues. Paris,
Estiennc Groulleau, lo53, f^ 82 v". (Bibl. Nat. — Rés. Y^ 16(37).
492 JOACHIM DU BELLAY
O francs espritz savans énamourez,
Si vous avez telz plaisirs savourez,
Je vous suplie, acordez vostre lire,
Va de voz vers dignes d'estre adorez,
Vostre Salel a présent secourez,
Chantant pour luy ce qu'il ne pourroit dire.
En i553. Maclou de La Haye s'écriait à son tour dans son
Chant de Paix ' :
Deux grandz espritz sur le Parnasse mont
Je voy monter en la plus haulte place,
Dont le désir du Laurier me semond
De renforcer ma veine foible et basse ;
En odes, l'un d'Horace suit la grâce %
L'autre, en sonnetz, le subtil Florentin,
Qui, pour m'avoir compagnon de leur grâce,
N'ont en desdain mon doux luth argentin.
Et dès lors, les hommages du même genre se multiplient.
C'est Tahureau (pii dit dans ses Premières Poésies (i554) ' :
De quoy le Loyr, de quoy s'enfle la Loyre,
Sinon du bruyt desbordant en tous lieux
De son Ronsard et du Bellay, sa gloire,
Pour les porter d'icy là haut aux cieux ?
C'est Pasquier qui écrit à Ronsard (i555) ^ en parlant des
progrès de notre poésie : « Vous et le sieur du Bellay acez
plus heureusement rencontrés que l'on n'avoit jamais espéré
entre les nostres. » C'est Louis d<^s Masures qui versifie
suljlilement cette épigramme {loo'j) :
' Les Giuvres de Maclou de La Haye, Piccard, valet de chambre du Roy.
Paris, Esticime (h-oullcau, V^'i, f" 9 v°. (Arsenal. — B.L. 0478. Rés.).
- .Sic Peut-être faut-il lire trace.
' Édit. Blanchemain, Genève, Gay, 1809, p. 51.
' Lettre 8 du livre I. édil. de 1723, t. Il, col. 11.
' Ludovici Masurii Nervii carmina, Lyon, Jean de Tournes et Guill.
Gazeau, i:i;i7, in-i, p. ij4: Ad P Ronsardum et lo Rellainm poetos. (IMhl.
ÎN'at. — liés. Y-. 367).
nr BF.LI.AY DEVANT L'OPINION h\)'.i
Mirabar quid Phoebus equos tara mane récentes
Jungeret, et toto lucidus orbe foret.
Formosam hic- spectat Clio. Gliusque sorores,
Et quos aeterno tollil lionore cliorus :
Te magnum, Ronsarde, refors qui Pindaron, et te,
Bellai. eoetus gloria Pieriduui.
Vos radiis oeulisque Deus. (juibus omuia, coelo
Dum videt, egregio purior ore nitet.
En i558, un gentilhomme ami des lettres, Forquevaulx,
gouverneur de Narbonne, écrit à Morel : (( Quelque ignorance
et rudesse qui en moy soit, je me délecte néantmoins de
veoir et lire les bonnes choses, et je vous asseure, Monsieur,
que j'ay merveilleux regret de n'avoir eu l'heur de veoir et
cognoistre Monsieur de Ronsard et Monsieur du Bellay,
puisqu'il estoit à Paris, pource qu'il me semble de n'avoir
point demy veue en mes yeulx, n'ayant veu et cogneu les
deux lumières de France, comme toutz les hommes de bon
jugement les estiment \ »
Quand du Bellay fut mort, on continua de l'égaler à son
ancien rival. Antoinette de Loynes eut le talent d'afiirmer
sur sa tombe les droits qu'il avait à garder ce rang, et cela
sans blesser Ronsard :
Si je ne puis pourtant exprimer par ma voix
Ce qu'estimèrent tant les princes et les rois,
Je diray pour le moins avec toute la France,
Que du Bellay estoit des poètes l'honneur :
Et si ne perdray pas de Ronsard la faveur.
Car je ne puis ne veux luy faire aucune offence *.
Charles Utenhove le redit après elle, sous une forme assez
bizarre :
' Lettre du 8 mai 1558, citée par M. de Nolhac, Lettres de J. du Bellay,
p. 14, n. 1.
- Epitaphes sur le trespas de I. du Bellay 1 1560).
494 JOACHIM DU BELLAY
1. BELLAII ET P. RONSARDI
STNOTSIA
aniabilis . admirandus ^
BELLAivs ' RONSARDVs ^ ambo pares.
proinptior ingenio ' doctior ;
Ce qu'il laul lire :
BELLAIVS, RONSARDVS, amabilis, admirandus,
Promptior ingenio, doetior. ambo pares *.
Bail', dans une églogue, fît parler ainsi le pasteur Toinet,
(jui nrtait auti-e que lui-même :
Bien qu'entre les bergers j'ay bruit d'estre poëte,
Si ne les eroy-je pas : car ma basse musette
Ne sonne pas encor des chansons de tel art
Comme le doux Bellay ou le grave Ronsard *.
Un Angevin, Jean le Masle, dans ses Récréations Poétiques,
loua Dorât d'avoir produit de si savants disciples :
. . . Quand du double couppeau
Tu ramenas des Muses le trouppeau,
Ostant aux yeux de maints esprits de France
Le noir bandeau de l'aveugle ignorance,
Tesmoin Ronsard et du Bellay, qui ont
Vivants porté le laurier sur le front '.
Et je pouri-ais citer bien d'autres témoignages, — comme ceux
de Montaigne \ de Scaliger ' et du cardinal du Perron ", — qui
' Xenia d'Ulenhove, à la suite de VEpilaphium (1360).
■' Charles. Eclogue XVII. (Marty-Laveaux, III, 91).
' Cité par CoUclet, copie mscr., f" 34 v".
* Essais, iiv. il, chap. 17 : « Aux parties en quoy Ronsard et du Bellay
excellent, je ne les trouve gueres esloignez de la perfection ancienne. »
5 Prima Scaligerana, édit. d'Amsterdam, 1740, in-8', p. 144-143 : « Ron-
sardus niagnus Poêla Gallicus, ut Bellaïus utriusque linguae Latinae et
Gallicae, qui (quod hactenus pauci) faoilitatem et dulcedinem Catulli asse-
cutus est. »
'• Perroniana, édit. d'Amsterdam, 1740, in-8% p. 111 : « Du Bellay et Ron-
sard sont les plus excellens poètes que nous ayons eus. »
DU BKLLAY DKVANT l'oPINION 495
nous montrent unis dans rudmiration des contcnipoi'ains les
noms de Ronsard et de du Bellay.
C'était justice en somme, et l'on avait raison de tenir la
balance égale entre les deux poètes. Il convient pourtant
d'ajouter qu'on n'y mil [>as toujours la sérénité nécessaire.
Un moment, la passion s'en mchi. Les ennemis d(> Ronsard,
pour l'ennuyer et le vexer, se tirent un malin plaisir de
lui jeter son rival à la tête. Les mérites de du Bellay
devinrent un des arguments dont usèrent les calvinistes pour
rabaisser leur adversaire. Jacques Grévin, l'auteur ])r()bable
du Temple de Ronsard (i563), écrivait avec intention :
J'ay bien eu quelquefois la mesme fantaisie
Que tout seul tu estois bon maistre en poésie ;
Mais lors que j'eus cogneu que les poètes Grégeois
Et Latins se laissoient fueilleter sous les doigts
De ceux qui sont nourris en la langue françoise,
Je pensay seulement que la Muse grégeoise
T'avoit enflé le cœur, et que ce gentil art
N'avoit esté forgé seulement pour Ronsard.
Bellay m'en est tesmoing \
Et sous le pseudonyme de F. de la Baronie, Florent Chres-
tien n'était pas moins amer :
Or je confesse bien qu'on a eu quelque estime,
Il y a quelque temps, de ta superbe rime :
Du Bellay toutesfois, du Bellay plus sçavant
Avoit ja estendu son los jusqu'au levant :
Et encores qu'on veist que sa plume féconde
Qui n'a point de pareil, surmontroit tout le monde,
Si est-ce qu'en après ton esprit eshonté
Nous pensoit faire voir qu'il estoit surmonté.
1 Blanchemain, VII, 88-89.
49G JOACHI.M DU BELLAY
Mais tu Tas lait en vain, encores que ta g-loire
Ne fust ostée encor" du dos * de la mémoire.
Pourquoy donc escris-tu que tu es le premier
Qui as à nos François apporté ce mestier ^ ?
Quatre ans plus tard (1067) , dans YEpistre à Jaques Grevin
qui précède le Second discours sur VAntimoine, Florent
Ghrestien exaltait encore
L'excellent du Bellay, homme presque divin,
Premier poëte en France ....
et Grévin lui-même, l'auteur de ce Discours, appelait Joachim
« le prince des poètes », comme si Ronsard n'eût pas existé '.
Ce parti pris aurait pu faire à du Bellay plus de mal que
de bien. Heureusement, sa mémoire n'en souffrit pas ; et
même à l'époque où Ronsard, élevé sur l'autel, trônait ainsi
qu'un dieu dans l'éclat de sa gloire, l'harmonieux chanteur
des Regrets ne tomba jamais dans l'oubli.
III
A la lin du xvi^ siècle . du Bellay n'avait rien perdu de
sa brillante renommée. Son nom avait franchi les bornes de
la France. De l'autre côté du détroit, un grand poète,
' Sic. Colietel a lu clos.
- Seconde response de F. de la Baronie à Messire Pierre de Ronsard,
Paris, lo03, f" 18 r". (Bibl. Nat. — liés. Y«. 1027).
' Pinvert, Jacques Grévin, p. 335. — Un autre protestant, disciple de
Marol en poésie, mais juge souvent équitable des mérites de la Pléiade,
Henri Eslienne, donnait le premier rang à du Bellay pour des motifs tout
littéraires : a S'il me faloit faire le rôle de ceux-ci [que vous distes estre
modestement hardis], il seroit le premier. » (Dialogues, édit. Ristelhuber,
188j, t. II, p. 1(J9). La Bibliothèque de la ville de Lyon conserve un volume
des Poésies deJ. du Bellay (édit. de 1501) annoté par Henri Estienne et dont
l'intérêt n'est pas moins précieux en ce qui touche le poète que le philo-
logue lui-même. M. Clément en a tiré tout le parti possible dans sa remar-
quai)le étude sur Henri Eslienne (Paris, Picard, 1898, in-8).
DU BKLLAY DKVANT l'OPINION 4!)7
Edinuncl SpeusiM-, l'autour de la Reine des Fées. Iraduisail
en anglais les Antiqiiitez de Rome (1591). et couronnait sa
traduction par ce très beau sonnet ' :
L'ENVOY.
Bellay, premier fleuron de libre poésie
Qu'ait produit la France, si féconde en no])les esprits,
Bien digne es-tu de l'innuortalité,
Toi qui jadis as travaillé, par tes doctes écrits,
A faire renaître de ses cendres la vieille Rome,
Et à donner une seconde vie à des ruines mortes !
Il doit survivre toute l'éternité,
Celui qui peut donner aux autres des jours éternels :
Aussi tes jours sont-ils sans fin, et ta gloire
Surpasse-t-elle tout ce qui a précédé.
Après toi, Bartas commence d'élever
Sa céleste Muse, pour adorer le Tout-Puissant.
Vivez, heureux esprits, Thonneur de votre nom,
Et remplissez le monde d'une renommée qui ne mourra jamais !
Mais le xvii® siècle allait s'ouvrir, et l'on sait s'il devait
être dur aux poètes de la Pléiade. L'arrêt porté contre
Ronsard par le réformateur Malherbe atteignit quelque peu
du Bellay. Sans doute, on lut encore l'original auteur de
tant de beaux sonnets, et même on l'imita : les poètes sati-
riques, et Régnier notamment, ne se firent point faute de le
piller à l'occasion '. Mais on cessa de le réimprimer. C'était
un signe. Désormais, le goût pul)lic allait se porter ailleui-s,
et l'œuvre de nos vieux poètes devenir l'apanage à peu près
exclusif des érudits et des savants.
Ce courant scientifique et critique, si ces mots ne sont
pas trop pompeux, avait connnencé dès les dernières années
' Pour le texte, v. l'édit. R. Morris, Londres, Macmillan, 188G, in-8», p. 531.
- Vianey, Mathurin Régnier, p. 65.
Univ. de Lille. Tome VIII. A. 32.
498 JOACHIM DU BELLAY
du XVI' siècle , avec Scévole de Sainte-Marthe : car on ne
peut compter vraiment les Bibliothèques françoises de La
Croix du Maine et de du Verdier (i584) '• Sainte-Marthe,
dont la longue existence avait vu bien des choses, entreprit
vers la soixantaine de faire l'éloge des hommes qui s'étaient
do son temps illustrés dans les lettres. Sa notice sur du
Bellay, publiée en 1598, complétée en 1606, est loin de briller
par l'exactitude et la précision. Il s'est trompé sur la date
de la naissance du poète et sur l'origine de sa surdité ; il
n'a rien dit que de vague sur ses fonctions ecclésiastiques ;
il a cueilli je ne sais où la ti'ès invraisemblable histoire de
l'archevcché de Bordeaux. Beaucoup des erreurs qui, depuis
trois siècles, se répètent sur du Bellay, sont imputables à
Sainte-Marthe '.
Le hasard voulut que son héritier , dans ces doctes
recherches, fût un homme très consciencieux, assurément, très
zélé pour nos vieux auteurs, mais à peu près dénué de sens
critique. Guillaume Golletet, après avoir mis en français les
Eloges de Scévole (i644)) imagina de les refaire, en les
allongeant et les complétant : telle fut l'origine de ces Vies
de poètes, dont un fatal incendie devait détruire un jour le
manuscrit autographe. Dans ses notices sur les poètes de la
Pléiade, Golletet s'est presque toujours contenté de repro-
duire les assertions de Sainte-Marthe et de Binet. dont le
Discours sur la vie de Ronsard n'est pas non plus, on le
sait, un modèle d'exactitude. Pourtant, en ce qui touche du
Bellay, ce même Golletet a mis à profit V Elégie à Morel, si
* L'article de La Croix du Maine (II, 1-2) n'est qu'une sèche et d'ailleurs
incomplète nomenclature des ouvrages de du Bellay; celui de du Verdier
(II, 534-543), dans sa partie intéressante, un plagiat de VEpistre d'Aubert.
2 La phrase qui traîne dans tous les manuels — que du Bellay fut sur-
nommé VOvide français — me semble bien venir aussi de cette appréciation
de Sainte-Marthe : « Ovidianam illam ubertatom facilitateniqiie plane redo-
let. )) Elogia (1598), p. 3'J.
DU BELLAY DEVANT L'oPINION 499
précieuse à bien des t'-gards. Enfin, il a clos sa biographie
pai' la revue des opinions (pion avait émises avant lui sur
le compte de l'auteur des Regrets.
Ce qu'il y a pour nous de plus intéressant dans sa notice
sur du Bellay, c'est le début. Je le citerai : car c'est la
preuve que du Bellay se maintint plus longtemps que Ron-
sard dans l'affection et dans l'estime du xvn*^ siècle : « Cet
auteur, écrit GoUetet, fut considéré comme l'un des plus
grands ornemens de son siècle, et il fait encore les délices
du nôtre. C'est une chose étrange que de toute cette fameuse
pleyade d'excellens esprits qui parui-ent sous le règne du
roi Henri second, je ne vois que celui-ci qui ait conservé
sa réputation toute pure et toute entière ; car ceux-là même
qui par un certain dégoût des bonnes choses, et par un excès
de délicatesse, ne sauroient soutlrir les nobles hardiesses de
Ronsard , témoignent que celles de du Bellay leur sont beau-
coup plus supportables, et qu'il revient mieux à leur ' façon
d'écrire et à celle de notre tems ; et en effet, quoique notre
langue ait eu de différentes révolutions depuis cent ans entiers
qu'il prit le soin de la cultiver, si est-ce que son stile clair
et net, facile et majestueux, est une preuve indubitable de
la beauté de son esprit, et de la connaissance parfaite qu'il
avoit de tous les secrets de notre langue. Et je ne doute
point aussi que si le ciel eût prolongé ses années, qu'il n'eût
enfin rendu la ^ palme douteuse entre lui et le grand Ronsard,
et qu'il n'eût même enfin remporté sur lui le titre glorieux
de prince de nos poètes '. »
* La copie porte la.
- La copie porte sa.
^ Copie mscr., f« 46 r». — Cf. ce que dit le même Colletet, Traité du
Sonnet (1658), p. 45 : « Ses sonnets des Antiquitez de Rome et ses Regrets
fiu-ent encore accompagnez d'un génie si heureux et si favorable, que
jamais ouvrage de cette nature n'a mieux esté receu du public, ny plus
estimé des doctes : jusques là mesmes qu'il ne vieillit pas encore parmy
nous. »
500 JOACBIM DU BELLAY
Baillet. (\ni publia quelque trente ans plus tard ses Jiigemens
des Savans (i685), parla de du Bellay sans jamais peut-être
avoir lu ses œuvres. Il répéta Sainte-Marthe et Colletet, en
y joignant quelques phrases assez vagues de Scaliger, de
Sorel, de Godeau, d'autres critiques (( de moindre trempe ».
Au total, rien de personnel.
Le premier qui Jut vraiment soucieux d'apporter quelque
précision dans l'histoire de Joachim. lut Ménage. 11 était
angevin, et son intérêt de compatriote, non moins que son
ardent désir de montrer Baillet en défaut, le poussa dans la
voie des exactes recherches. Plusieurs passages de son Anti-
Baillet (1688) éclaircirent et fixèrent d'une façon définitive
quelques points obscurs ou douteux de la vie de notre poète :
ainsi, le lieu de sa naissance, l'origine de sa terre de Lire,
sa famille immédiate, ses dignités ecclésiastiques, l'emplace-
ment de son tombeau. Par un zèle de vérité très louable pour
l'épocjue, il s'avisa de consulter les documents et compulsa
soigneusement les registres de l'Église de Paris. Plus probe
(|ue Baillet, lui du moins parlait en connaissance de cause de
Du Bellay, ce pasteur d'éternelle mémoire,
comme il l'appelle en une églogue '.
Bayle, qui dans son Dictionnaire (1697) consacrait un
article à Dorât et un autre à Ronsard, oublia du Bellay. Le
P. Niceron (lySi) el l'abbé Goujet (1748) n'ajoutèrent rien,
historiquement, aux recherches de Ménage. Le premier décrivit
avec soin, — c'est une justice à lui rendre, — l'édition des
œuvres du poète publiée à Rouen en 1697 : en mentionnant
les sonnets des Regrets, il faisait cette réflexion, qui a son
' Quatre ans après V Anti- Baillet, Claude Barbin fit paraître un Recueil
des plus belles pièces des Poêles François, tant anciens que modernes,
depuis Villon Jusqu'à M. de Benserade, l'aris, 1G92, ô vol. L'éditeur était
Kontenelle. Les extraits de du lîellay (t. I, p. 131) sont faits avec goût,
(Bibl. Nal. — Y'. H.o47).
DU BELLAY DEVANT L'OIMNION oOl
prix : « Du Bellay avoil un talonl pirticulitM" pour cette
sorte (le poésie. La plupart des sonnets que l'on a de lui,
ont quelque chose de noble, et des grâces que le temps n'a
point fait vieillir '. » Quant au second, avec son ordinaire
conscience, il résuma ce qu'on savait de la vie du poète
angevin, fit une l)rève analyse de ses principaux ouvrages,
en y mêlant par-ci par-là quelques citations bien choisies et
des jugements personnels, un peu timides, un peu étroits,
mais en somme judicieux et sensés, en homme de goût qui
a lu son auteur, et qui l'a lu non sans plaisir '.
Mais le xyin*^ siècle avait bien autre chose à faire que
de s'occuper longuement de nos anciens poètes. Il fallait le
P. Sanadon pour s'amuser à mettre en vers latins les épi-
taphes du chien Peloton et du chat Belaud. L'éclat jeté par
les auteurs du siècle de Louis XIV avait fait oublier leurs
pères légitimes, ces fiers et vaillants ouvriers qui leur avaient
rendu possible la production de leurs chefs-d'œuvre. Ces
dédaignés ne retrouvèrent un peu de faveur auprès du public
que vers la fin du siècle. En 1778, Sautreau de Marsy et
Imbert, dans les Annales Poétiques ou Alnianach des Muses ',
donnèrent 56 extraits des poésies de du Bellay, précédés
d'un article tout à fait élogieux, qui nous montre que les
auteurs avaient bien saisi la portée de la révolution tentée
par la Pléiade. Après avoir dit que Marot joignait aux
chaiMues de la naïveté toutes les grâces de l'esprit, ils ajou-
taient : « Nous allons entendre un nouvel idiome ; notre
langue a pris un caractère nouveau : le génie plus hardi des
* Mémoires de Niceron, XVI, 398.
- Il dit lui-même des Regrets : « C'est, selon moi, un de ses meilleurs
ouvrages; c'est du moins un de ceux que j'ai pris plus de plaisir à lire. »
(Blbl. franc., XII, 127). — V. ses réflexions sur les Regrets (p. 131) et sur
les Odes (p. 133).
3 Paris, Delalain, 1778, t. IV, p. 41-205.
502 JOACHIM DU BELLAY
Poètes va apprendre aux Muses Françoises à parler comme
les Muses Grecques et Latines. La g-randeur des images, la
hardiesse des métaphores, le grand secret des épithètes, sont
connus. En un mot. juaquà présent, nous avons assisté, pour
ainsi dire, aux concerts ries Grâces : nous allons entendre
les accens de fa Poésie. C'est à Joachim du Bellay, puisqu'il
est né avant Ronsard, qu'appartient la gloire d'avoir com-
mencé cette révolution '. » Ils accordaient à du Bellay plus
que (( de la douceur, de la facilité, de l'abondance « : il
avait, selon eux, « de la verve, de l'énergie, et l'expression
vraiment poétique » . Son style, « nombreux, animé, » se
recommandait par « cet heureux choix d'épithètes, qui flattent
également l'oreille et l'esprit en ajoutant à l'harmonie et à
la pensée ». Sévères pour YOlice, mais justes après tout,
ils trouvaient ses autres sonnets (( plus variés, plus saillans,
plus pleins d'idées et de tours » , vantaient ses odes, et
déclaraient « intéressante » la lecture de la Deffence : « Il y
parle de la Poésie en vrai poëte, disaient-ils, et ses principes
en général sont ceux du goût ^ »
L'année suivante (1779), du Bellay renaissait comme poète
latin erotique. Sous ce titre aimable, Anioenitates poeticae ",
un joli volume offrait au public, en compagnie des Juvenilia
(le Théodore de Bèze, de Marc- Antoine Muret et de Jean
Second, les vers brûlants où revivait Faustine et la passion
qu'elle avait inspirée. Ces poèmes d'amour n'étaient pas pour
déplaire aux voluptueux contemporains de Dorât et de Parny.
Pendant la tourmente révolutionnaire et l'époque troublée
qui suivit, du Bellay, naturellement, subit une nouvelle
' Op. cit., p. 42.
- Op. cit., passim, p. 44-32. — Les mêmes idées se retrouvent dans les
Mélanges tirés d'une grande bibliothèque, Paris, Moutard, 1780, t. VU,
p. 163-174.
^ Paris, Barbon, 1779, in-12.
DU BELLAY DEVANT l'oPINION o03
éclipse. Mais bientôt llieure allait soiinci' oi; nos anciens
poètes, à la faveur du romantisme, allaient enfin sortir de
l'ombre et briller, après trois cents ans, de tout l'éclat d'une
seconde jeunesse.
On sait comment, au mois d'aoùl iHaG. l'Académie Fran-
çaise proposa pour sujet du prix d'éloquence ini (( discours
sur l'histoire de la langue et de la littérature françaises
depuis le commencement du xvi*^ siècle jusqu'en 1610 » . Le
sujet, certes, était vaste, et le temps bien restreint. L'année
suivante, le prix fut partagé entre deux concurrents, Philarète
Cliasles et Saint-Marc-Girardin. pour deux études également
superficielles. L'un trouvait le moyen de parler de notre poète
sans même nommer les Regrets, ou plutôt en les confondant
avec les Antiqiiitez de Rome. L'autre ne voyait guère en lui
que le disciple de Pétrarque.
Cependant, un jeune étudiant en médecine, qui voulait
d'abord concourir, s'était mis au travail, en commençant par
les poètes ; et séduit, fasciné par ces vieux écrivains, entraîné
de lecture en lecture plus loin c[u'il ne comptait, il avait
si bien marché de l'avant, dans la douceur de ce commerce,
qu'il avait insensiblement fait le tour du xvi^' siècle. Prêt
ti'op tard, il fit paraître dans le Globe, à partir du 7 juillet
1827, le résultat de ses études ; puis, en 1828, il réunit ses
articles en volume. Le Tableau historique et critique de la
poésie française et du théâtre français au xvi*^ siècle ' fut en
littérature le début de Sainte-Beuve. D'ingénieux rapproche-
ments avec le temps présent donnaient à cet ouvrage un
intérêt d'actualité : « Surtout, disait l'auteur, je nai perdu
aucune occasion de rattacher ces études du xvF siècle aux
1 Paris, Sautelet, 1828, 2 vol. in-S". Le second volume contenait simple-
ment les Œuvres choisies de Pierre de Ronsard, avec notice, notes et com-
mentaires.
504 JOACHIM DU BKLLAY
questions littéraires et poétiques qui s'agitent dans le nôtre '. »
Dans ce Tableau, Joachim du Bellay occupait à lui seul
une vingtaine de pages *. dont une moitié pour l'analyse et
la critique de la ùeffence. Sainte-Beuve passait vite sur Y Olive,
plus vite encore — et c'est étrange — sur les Regrets et les
Antiquité:- de Rome, insistait davantage sur les Odes, les
Jeux Rustiques et le Poëte Courtisan, et concluait que,
jusqu'ici, peut-être ne Tavait-on pas suffisamment apprécié.
Son jugement sur du Bellay tenait dans cette phrase :
(( Novateur en poésie, il le fut avec autant de talent et plus
de mesure qu'aucun de ses contemporains. »
C'est du Tableau de Sainte-Beuve que date le mouvement
d'études en faveur du xvi^ siècle. Mais le plein effet de ce
livre ne fut pas immédiat. Sans doute, par un sentiment de
curiosité sympathique, on se remit à lire dans les ^âeilles
éditions, désormais recherchées, les œuvres longtemps mécon-
nues de nos anciens poètes : on n'osa pas encore en tenter
des réimpressions. C'est seulement OQze ans après que ressus-
cita, pour ainsi parler, l'ouvrage trois fois séculaire, l'éloquent
manifeste qui avait marqué le début de toute une école et de
toute une poésie : en iSSg. l'auteur, aujoui'dhui oublié, d'un
Discours sur le bon usage de la langue française. Ackermann,
publia d'après le texte original la Dejfence et illustration.
La trouée était faite. Deux ans plus tard, un Angevin,
qui avait des attaches avec l'école romantique. Victor Pavie.
entreprit en Thonneur de son glorieux compatriote ce que
Sainte-Beuve lui-même en 1828 avait fait pour Ronsard. Son
édition des Œuvres choisies de Joachim du Rellay (1841^,
qu'oi'nait un dessin de David d'Angers et que précédait une
notice de Sainte-Beuve, notice aussi fidèle (jue délicate et
' Préface de la 1" édition (juin 1828).
= Édit. ori^., p. iJo-SO: — édit. Cliarpentior (1893), p. 45-62.
DU BELLAY DlîVANT l'oPINION 505
pénétrante, n'eut pas tout le succès qu'on pouvait espérer :
(( cette publication tout angevine fui honorée de trente
souscripteurs angevins ' ! »
Pourtant, à partir de ce moment-là, du Hellay commen(,a
d'être un peu mieux connu. L'attention des savants se porta
davantage sur son œuvre. En 1849, Anatole de Montaiglon
enrichit l'écrin du poète d'un joyau du prix le plus rare :
huit sonnets inédits des Regrets, qui gisaient ignorés dans un
manuscrit de la Nationale -. Pendant les vingt années suivantes,
les travaux se multiplièrent : la première édition du XVI^
siècle de Frédéric Godefroy (1809), une excellente notice signée
C.-L. dans les Poètes français de Crépet (1861). lu spirituelle
étude de Turquety dans le Bulletin du Bibliophile (i864), d'in-
génieux aperçus de M. Lenient dans sa Littérature militante
au XVI' siècle (1866) •', les savantes leçons d'Egger sur
V Hellénisme en France (1869). — je ne cite que l'essentiel, —
contribuèrent éminemment à mettre de plus en plus en relief
l'originale figure du chanti*e d'Anjou.
Le public lui venait. Il est curieux de constater que,
presque en même temps (i857-i858). et pour satisfaire à ses
vœux, trois lettrés songeaient à la réimpression des œuvres
du poète. Tandis qu'un ami de Sainte-Beuve, M. Reinhold
Dezeimeris, projetait de refondre l'édition Pavie épuisée *,
M. Joseph Boulmier, biographe de Dolet, pensait à publier
Joachim du Bellay dans la Bibliothèque Elz-évirienne ^ M. Alfred
Michiels, éditeur de Desportes, dans la Bibliothèque Gauloise ''.
* Cél. Port, Dictionn. de Maine-et-Loire ^ art. Dabellay, t. II, p. 60.
- Il faut dire, à la vérité, qu'ils venaient d'être signalés jiar Paulin
Paris, dans les Manuscrits français de la Bibliothèque du Roi, t. VII, p. 107.
Paris. Techener, 1848.
' C'est la date de la l" édition : l'ouvrace a reparu en 1877.
* Nous le savons par une lettre de Sainte-Beuve du 30 septembre 18dS.
(Correspondance de Sainte-Beuve, édit. C. Lévy, 1878, t. I, p. 221).
'" Catalnirue de la Bibliothèque FAzévirienne de Pierre Jannet (18")7). p. 20.
" Catalogue de la Bibliothèque Gauloise d'Adolphe Delahays (I80S), p. 9.
506 JOACHIM DU BELLAY
Aucune de ces trois éditions ne parut. Mais en 1866, un
savant, qui devait rendre aux lettres françaises de si précieux
services, M. Marty-La veaux, inaugura le monument de la
Pléiade par la réimpression des œuvres de du Bellay. Cette
belle et luxueuse édition, publiée chez Lemerre, — et malheu-
reusement tirée à trop petit nombre, — donnait du poète,
en reproduisant le recueil d'Aubert, un texte fidèle. Le
premier volume permit à Sainte-Beuve, qui, comme on sait,
revenait volontiers à ses jeunes amours, de plaider encore
une fois la cause cpii lui était chère : trois articles, insérés
au Journal des Savants (1867), exprimèrent son dernier mot
sur le compte de du Bellay. Vei'S la fin de la même année,
paraissait le second volume, enrichi des lettres de Joachim,
que M. Revillout, par un heureux hasard, avait découvertes
à Montpellier, et dont il venait de tirer lui-même le sujet
d'un curieux mémoire.
Depuis M. Marty-Laveaux, on n'a donné de notre auteur
aucune édition générale : mais en revanche, bon nombre
d'éditions partielles ont vu le jour : en 18^5, une édition de
la Dejfence, publiée à Bruxelles par M. Tell, d'après l'édition
d'Antoine de Harsy (Lyon, iSyô) : — en 1876 et 1876, les deux
jolis volumes d'Isidore Liseux, reproduisant, d'après le texte
original de i558, les Jeux Rustiques et les Regrets ; — en
1876, l'édition des Œuvres choisies de M. Becq de Fou-
quières ; — en 1878, une édition nouvelle de la Deffence,
due à M. Person, copie rigoureusement exacte de l'édition
princeps donnée en i549 P^'' Arnoul l'Angelier ; — en i883,
les Lettres, publiées de nouveau par M. de Nolhac, cette
lois sur des autographes conservés à la Nationale. Et si Ton
ajoute à tous ces travaux les nombreuses anthologies, clas-
siques ou mondaines, que fleurissent diversement des poésies
de du Bellay, on conviendra que Joachim, dans ces derniers
DU BELLAY DEVANT l'oPINION 507
trente ans, n'a vraiment pas eu à se plaindre du zèle des
éditeurs.
ITne autre gloire raltendait. Un lettré d'Ancenis. M. Léon
Séehé. dont le culte pour du Bellay s'était affirmé déjà
dans une petite plaquette parue en 1880, avait fait le serment
d'élever une statue au chanteur du « petit Lire 0 . Il
rencontra plus d'un obstacle. Mais, fidèle à sa devise, « Angevin
pour aimer et Breton pour tenir », il ne se laissa démonter
par rien. C'est à ce prix qu'on réussit, et M. Séché triompha.
Il voulut faire bien les choses. Donc, en 1898, il ouvrit
d'abord une souscription. En même temps, il préparait une
édition nouvelle des œuvres choisies du poète, qu'il publia
l'année suivante, avec la collaboration de M. Camille Ballu.
Pour fêter dignement son idole, il fit appel à tous les cise-
leurs de l'vthmes de la capitale et de la province, deman-
dant à chacun l'hommage d'un sonnet. Presque tous répon-
dirent, heureux d'apporter leur couronne au monument du
vieux poète'.
Le 7 juin 1894. un concert fut donné dans la salle de
la Société de Géographie, avec le concours des chanteurs de
Saint-Gervais et de plusieurs artistes de la Comédie-Française,
de l'Odéon et du Vaude\ille. Ce jour-là. M. Chantavoine fit
une conférence en vers ^ : on lut plusieurs des pièces où
s'exprimait l'admiration de nos modernes sonnettistes : on
exécuta pour la première fois le sonnet du « petit Lire » mis
en musique par un compositeur angevin. M. Jules Bordier \
De cet ensemble de sonnets, consacrés à la gloire de
Joachim comme un nouveau tombeau, je veux au moins citer
celui que sculpta d'un art si parfait M. de Heredia. La fraî-
' Tous ces sonnets-hommages ont été recueillis dans l'édit. L. Séclié,
p. 225-249.
- Édit. L. Séché, p. 218-224.
' On trouvera celte composition à la fin de l'édit. L. Séché
O08 JOACHIM DU BELLAY
chcur de l'inspiration, la grâce des détails, l'impeccable pureté
de la forme, font oublier facilement quelques libertés prises
avec l'histoire :
Accoudée au balcon d'où l'on voit le chemin
Qui va des bords de Loire aux rives d'Italie,
Sous un pâle rameau d'olive son front plie :
Lii violette en fleur se fanera demain.
La viole, que frôle encor sa frêle main.
Charme sa solitude et sa mélancolie.
Et son rêve s'envole à celui qui l'oublie
En foulant la poussière où gît l'orgueil romain.
De celle qu'il nommait sa douceur angevine
Sur la corde vibrante erre l'âme divine.
Quand l'angoisse d'amour étreint son cœur troublé.
Et sa voix livre aux vents qui l'emportent loin d'elle
Et le caresseront peut-être, l'infidèle,
Cette chanson qu'il fit pour un vanneur de blé.
C'est M. de Heredia, le sonnettiste incomparable, en qui revit
quelque chose de la Pléiade, que l'Académie Française chargea
de la représenter aux fêtes d'Ancenis, le 2 septembre 1894. le
joui- où l'on inaugura la statue si vivante due au sculpteur
Léofanti '. 11 était accompagné de M. Brunetière, que l'Académie
avait délégué pour rendre hommage au fondateur de la cri-
tique , et cjui prononça dans la circonstance un magistral
discours. Deux ou trois mois auparavant . avait paru la fine
et délicate étude de M. Faguet '\ Décidément, cette année-là,
Joachim du Bellav avait tous les bonheurs.
' Pour le récit (lélaillt- ilo ces fêles, v. la Rev . des Prov . de l'Ouest, n» de
sept. 1894, t. XIV. On y trouvera reproduits, avec les discours prononcés,
tous les articles de presse dont ces fêtes furent l'occasion. Te dois signaler
dans le nombre ceux de M. A. Le Braz {Débats du 20 aofit), p. 8, et de
M. G. Deschamps {Temps du 2 sept.), p. 15.
- Seizième siècle. Paris, Lecène et Oudin, 1894, p. 289-32i,
DU BELLAY DEVANT l'oFINION 509
Depuis 1894, l'Association Bretonne-Arij^ovine, que préside
M. Séché, a pris du Bellay pour patron ', et chaque année,
le 20 mars, le jour de la Saiut-Joaohini. un banquet réunit
les lidèles de la petite éylise '. Culte touchant, mais qui
serait peut-être un peu étroit, si. en même temps qu'au chan-
teur du terroir angevin, il ne s'adressait à l'un des poètes
qui font le plus d'honneur à la vieille France !
' V. ses statuts clans la Rev. des Prov. de l'Ouest, t. XIV, p. 213.
- Pour le compte-rendu de la première Saint-Joachim, v. la Hev. des
Prov. de l'Ouest, t. XV, p. 192.
CONCLUSION
L'HOMME ET LE POÈTE
Et maintenant que nous avons vécu si longtemps avec
du Bellay, quelle impression garderons-nous de sa personne ?
quel jugement porterons-nous sur ses idées et sur son œuvre?
Un portrait ' nous le représente avec une figure mince,
longue et fine, des yeux doux et tristes, un léger pli d'ironie
aux lèvres. Et c'est bien ainsi qu'on se l'imagine, lorsqu'on
connaît un peu sa vie et qu'on sort de lire son œuvre.
Il était, nous dit-il, tendre de sa nature ^ Son cœur avait
besoin d'aimer. Et de fait, il aima beaucoup, mettant dans
l'amitié je ne sais quoi de caressant, presque de féminin. Il
fut aussi beaucoup aimé, ce qui fait son éloge. Peu d'hommes
au xvi« siècle ont compté plus d'amis , et de plus sincères ,
et de plus dévoués. A Rome, Olivier de Magny, qui l'avait
reconnu « parfait amy d'espreuve ». exprimait la pensée de
tous, en écrivant ces jolis vers : •
Si je dy, Du Bellay, que je t'ayme bien fort,
Tu le crois si tu l'ois, et chacun le doit croire,
Car ton sçavoir prisé, ton mérite et ta gloire
Font que cil cpii ne t'ayme à soy mesme fait tort ^
* Cabinet des Estampes, N a 27 (pi. 5). Reproduit par M. de Nolhac,
Lettres de J. du Bellay, p. 13. M. Boucliot estime que c'est un croquis d'après
nature, fait par un élève de Jean Cousin.
- Regrets, s. 40.
' Souspirs, s. 142.
0l2 JOACHIM DU BELLAY
Personne assurément n'était pressé de se faire tort à soi-même.
Quand il mourut, tous ses intimes eurent la sensation qu'on leur
arrachait un peu de leur ànie *.
Un de ceux qui l'avaient approché de plus près et qui
l'avaient le mieux connu, Guillaume Aubert, traçait de lui
ce beau portrait :
Du Bellay envers tous se monstra droiturier,
Preudhomme, craignant Dieu, sage, discret, entier,
Non ingrat du plaisir, de conscience bonne,
Profitant à chacun, et n'olTensant personne,
Bening, libéral, hundîle, et doux à ses amis,
Et constant à tenir ce qu'il avoit promis *.
L'hommage est des plus flatteurs , et même en supposant
qu'Aubert ait un peu passé la mesure, son portrait dans
l'ensemble doit être véridique : car il est confirmé par le
témoignage des autres amis du poète '\
Un point sur lequel ils ont insisté dans leurs épitaphes
el dans leurs tombeaux, c'est que du Bellay n'était pas
méchant, et que ses vers étaient exempts de fiel :
' Lettre d'Aubert à Morel, 3 janvier 1560 : « Celle manière de regret que
chascun a pour la perte d'un homme docte, est bien petite à la comparaison
des mortelles angoisses que soufl'rent ceux, lesquels outre la plainte com-
mune des lettres, endurent encores leurs passions privées pour avoir perdu
un Jerme et constant amj-, que la bonté du naturel, l'amour de la vertu,
l'affection des sciences, et le plaisir de la conversation leur avoyent conjoint,
avec telle reseniblance de meurs, d'affections et d'esprits, qu'il n'estoit possible
les séparer, sinon avecques mesme douleur que le corps se sépare de son ame. »
- Elégie sur le trespas de M. loachim du Bellay (1360). — Cf. cet autre
portrait du même Aubert dans VEpistrc au lioy (1568) : « Je puis asseurer
du dcfuiict Sieur du Bellay, que ceux qui l'ont cognu, l'ont trouvé prompt
et aigu en inventions, discret et modeste en paroles, subtil en ses discours,
doux en sa conversation, prévoyant es choses soubsonneuses, ouvert en
celles qui estoicnt asseurées, juste et entier en ses promesses, et au surplus
tousjours garny d'un si bon nombre de considérations, qu'il estoil autant
ditlicile aux mauvais de le tromper, comme aux bons chose facile de s'en
ayder. » (Marty-Laveaux, Appendice tle la Notice, \}. xxxvm-xxxix).
* Cf. notamment P. de Paschal, dans son Épitaphe : . . . Viro singulari,
bonitate atque modestia ottima et apectatiss . fide praedito . . . (Marty-Laveaux,
Appendice de lu Pléiade, II, 385).
CONCLUSION 013
Nil ca l'cllis lialx'iit, iiocui niliil illa vciu'iii :
Abstincl a saiibus candida Musa ui^ris . . .
écrit Charles Uteiihove ; et Camille de Morel lait dire à son
père, en parlant du poète :
Non is niordaci distrinxit carminé quemquam,
Illius haud quicquam carmina fellis habent.
Évidemment, ils ont eu peur que son talent de satirique ne
lui fît tort auprès de la postérité, qu'on jugeât de son cœur
par son esprit, et qu'on le crût haineux parce qu'il était
mordant et caustique.
Haineux, non sans doute il ne l'était pas ; mais il était
prompt à s'aigrir, et. lorsqu'il croyait avoir à se plaindre
d'un manquement à son égard, il se piquait au vif et ne
ménageait pas à qui l'avait blessé les railleries et les sar-
casmes. Louis Le Roy l'éprouva durement, lui qui, poui"
quelques médisances, s'attira de l'auteur des Regrets quelques
virulentes répliques '. Du Bellay sur ce point avait ses idées
faites : il n'attaquait pas le premier, mais il ripostait à
l'attaque :
Laedere nec volui quenquam, nisi laeserit ille :
Laedere qui laesit, fas reor esse mihi '.
Cela n'empêchait point d'ailleurs qu'il ne pardonnât à ses
adversaires, lorsqu'il avait obtenu d'eux satisfaction, ou qu'il
ne fit les premiers pas. quand il avait conscience d'avoir,
dans la querelle, outrepassé les bornes. Il se réconcilia, et
très sincèrement, avec Le Roy, qu'il avait traité dès l'abord
de pédant et d'envieux. Cet irascible ignorait la rancune.
' Regrets, s. 65-70. — Pour l'histoire de cette querelle, je renvoie le lecteur
à la thèse de M. Becker, Lojs Le Roy {Ludovicus Regius) de Coutances,
p. 18-2i. (Paris, Lecène et Oudin, 18913, in-8' ). L'affaire y est traitée complète-
ment.
- ELésie à Mord.
Univ. de Lille. Tome VIII A. 33.
514 JOACHIM DU BELLAY
Ses impatiences et ses colères n'avaient pas seulement pour
cause son humeur très impressionnable, son aptitude à
ressentir très vivement, trop vivement même, — pour tout
dire en un mot, T excès de sa nervosité. Elles venaient aussi
de son orgueil de gentilhomme : il était, je l'ai dit. chatouil-
leux sur le point d'honneur. Du gentilhomme il avait tout :
la noblesse de sentiments, une certaine abnégation, le goût
très vif de 1" indépendance, la conscience de sa valeur, et
jusqu'à la fierté quelque peu dédaigneuse :
Je ne sçay comme il fault entretenir son maistre,
Comme il fault courtiser, et moins quel il fault estre
Pour vivre entre les grands, comme on vit aujourd'huy.
Jhonuorc tout le monde, et ne fasche personne :
Qui me donne un salut, quatre je luy en donne :
Qui ne fait cas de moy, je ne fais cas de luy '.
Pourtant, telle était sa nature, ondoyante et diverse, bizar-
rement contradictoire, qu'il n'était pas absolument ce qu'il
disait et croyait être. On aurait de son caractère une idée
trop avantageuse, si l'on s'en fiait uniquement à certains
sonnets des Regrets ^ à certaines déclarations de Y Elégie à
Morel ^ La réalité dément ce portrait par trop idéal, et nous
savons par l'histoire de sa vie que le fier gentilhomme ne
méprisa point autant qu'il s'en vante le service des grands
seigneurs, les bienfaits de la Goui' et les faveurs de la
fortune.
De ces contradictions, il fut le premier à souffrir : car
il sentit la distance qui sépare l'idéal du réel, et s'il eut le
chagrin des [pénibles épreuves et des fatales déceptions
' Regrets, s. 74.
^ Regrets, s. 39, 46, 74, 144, 182.
' V. tout le développement :
Sic vixi, coluique Deos homincsque iidemque ...
CONCLUSION 515
qu'apporte rexislciue. il l'ul aussi, non nii>ins [jrolund, le
chagrin du rêve iiitérieur qui n«* se li'aduil pas en actes, et
(les beaux principes de conduite morale qu'on est impuissant
à mettre en pratique. De là cette mélancolie, qui lui donne
une place à part entre les hommes de son siècle. Dans le
groupe de ses amis, graves parlbis, souvent joyeux, du Bellay
apparaît comme un attristé. Spes et furtuna valete ! Cette
parole de désespoir qui tombait de sa bouche trois mois
avant sa mort, dut monter à ses lèvres en mainte circon-
stance. La vie pour lui n'avait pas été douce : une eni'ance
solitaire et sevrée d'affection ; une santé toujours chctive ;
une maladie de deux ans ; lînalement . la surdité ; l'exil
à Rome, bien loin de tout ce qu'il aimait ; au retour, de
fâcheux démêlés de famille : des illusions évanouies et des
rêves déçus : n'y avait-il pas là de quoi porter à da mélan-
colie une âme de poète délicate et sensible ?
Parlerai-je de ses croyances ? — Politiquement, il avait
adopté sur la tin de ses jours les vues de son ami Michel
de L'Hospital. Il rêvait d'une monarchie où les quatre étatu
vivraient dans une harmonie constante et parfaite sous le
gouvernement du prince, et qui se ferait une obligation
d'aimer et de favoriser les lettres et les arts.
En religion, il était catholique et n'eut pas un instant
l'idée de changer de credo :
Je ne doutay jamais des poincts de nostre foy,
s'écriait-il dans un sonnet ' ; et ses bons cousins de Paris
l'ayant . à propos des Regrets . menacé de l'Inquisition , il
écrivait au cardinal qu'il n en avait pas peur : « Je n'ay vescu
jusques icy en telle ignorence que je n'entende les points de
nostre foy , et prye Dieu qu'il ne me laisse pas tant vivre
(jue de penser seullement (non qu'escrire) chose qui soit contre
• Regrets, s. 43.
516 .lOACHIM DU BELLAY
son honneiu' et de son Eglise '. )) Comme Ronsard, il détestait
les calvinistes. A son retour de Rome, il avait traversé Genève,
qui lui parut aussi vicieuse qu'austère, et dont il fit un por-
trait peu flatté ^ Un protestant lui ayant répondu par un
sonnet, où il l'accusait de mensonge, d'idolâtrie et d'athéisme,
du Bellay répliqua par cinq autres sonnets non moins agressifs
et non moins violents \ Mais, sil était résolument hostile à
l'hérésie, il n'apparaît pas qu'il fût très ponctuel à mettre un
rigoureux accord entre ses croyances et ses actes. Il pratiquait,
comme tant d'autres à cette époque, ce catholicisme indulgent
et facile, qui s'accommode sans scrupules des joies païennes de
la vie et des plaisirs épicuriens \ Aussi les pièces d'inspira-
tion religieuse sont-elles rares dans son œuvre '".
C'est qu'au fond il était avant tout humaniste. Il s'était
fait une Ame antique. A force de vivre avec les anciens, il
avait insensiblement épousé leurs idées, et presque leurs
croyances. Il côtoyait le paganisme. — C'est de là qu'il faut
Ijai'lir. <i l'on veut comprendre et juger son œuvre.
Du Hellay fut, avec Ronsard, l'apôtre de l'imitation des
anciens, qu'il posa d'ahord en principe et pratiqua diligemment
dans ses premiers éci-its. Par là même, il est avec lui le
fondateur du classicisme.
Je ne veux nullement discuter le principe et rouvrir un
débat depuis longtemps fermé. C'est à mes yeux un fait
' Lettres, p. .JO.
* Regrets, s. 136.
=> Marly-Lavcaux, 11, 239-262.
* Cf. à ce sujet l'élrange préface de Liseux à son édition des Jeux Rus-
tiques. Il salue du Bellay du nom de « catholique Ubéraln.
■• Olive, s. 107-111; un sonnet Du jour de JVoël (I, 284); deux Hymnes
chrestiens (1, :32:; et 11, lo) ; la Monomachie de David et de Goliath. (Il, 20);
la Lj^re chrestienne (11, 30).
CONCLUSION ol7
acquis que l'imitation des anciens, substituée par la Renais-
sance, si l'on peut ainsi dire, au néant de l'âge antérieur, fut
alors un réel bienfait ; et j'absous la Pléiade du reproche
qu'on lui adresse quelquefois d'avoir ramené chez nous les
Muses des sommets de l'Olympe. Mais ce que je tiens à noter,
c'est que Joachim du Bellay, à l'origine si convaincu, nionli'a
dans l'application du })rincipe de singulières fluctuations et
d'étranges inconséquences. On ne saurait trop insister sur
cette tendance à se contredire, qui demeure un des traits les
plus curieux de sa physionomie. Il n'eut jamais souci de la
logique dans les idées, et l'on peut signaler chez lui des
variations intellectuelles, ([ui font pondant aux contradictions
de sa vie morale. Admirateur déterminé des langues anciennes,
il regrette le temps qu'on passe à les apprendre et l'obstacle
qu'elles constituent aux progrès de la philosophie et des sciences.
II proclame la poésie le plus divin des arts, et la sacrifie de
gaieté de cœur aux grands emplois, plus honorifiques ou plus
lucratifs. Il affecte superbement le mépris de la foule et le
dédain des grands, et c'est lui qui fait cet aveu :
L'honneur nourrit les arts, et la Muse demande
Le théâtre du peuple, et la faveur des Roys '.
Il tourne en dérision les faiseurs de romans, et loue Her-
beray des Essars de nous avoir ouvert le riche trésor
à'Amadis. Il marche d'abord avec dévotion sur les pas de
Pétrarque, pour célébrer la chaste Olive : puis il chante la
palinodie et bafoue les amours idéales. Il interdit formelle-
ment la traduction d'auteurs anciens, et surtout de poètes ;
et lui-même, il traduit deux chants de Y Enéide. Il proscrit à
bon droit, comme une atteinte à la langue maternelle, le culte
des vers latins : et ce culte qu'il rejetait, il y vient à son
' Regrets, s. 7. — Cf. Poemata f» 13 v :
Carmina principil)iis gaudent, plausuque theatri,
Quique placet.paucis, displicet ipse sibi.
318 JOACHIM DL" BFILLAY
tour, et pour ne phis le délaisser. Enfin, il préconise la
poésie artificielle et savante, et personne dans la Pléiade n'a
composé des poésies plus naturelles et plus faciles.
Du Bellay s'est donc souvent contredit. Mais pourquoi s'en
ytlaindre. si bien lui prit d'être infidèle aux principes litté-
raires qu'il avait tout d'abord posés ? Or, on ne saurait nier
que la dernière, et la plus hardie à coup sûr, de ses contra-
dictions n'ait été pour sa gloire singulièrement heureuse. S'il
se fût traîné constamment dans l'imitation pédantesque des
Italiens et des anciens, n'en doutons pas. malgré ï Olive,
malgré les Odes, il serait aujourd'hui confondu dans la foule
innombrable des auteurs qu'on dédaigne. Mais, après avoir
quelque t(;raps pâli sur de savants plagiats, il sentit vague-
ment qu'il se trompait de route, et que c'était une chimère
d'être ancien en français. Dès lors, il fit deux parts : il fut
ancien en vers latins, et en français resta lui-même.
Certes, on peut le blâmer de ce culte fervent pour la Muse
latine, et se demander si l'exemple rétrograde donné par
celui-là iiièine (|ui s'était fait le défenseur de la langue
nationale, n'a pas été plus funeste qu'on ne croit au dévelop-
pement de la poésie française. Mais pour être juste, on recon-
naîti'a cju'à l'humaniste que du Bellay portait en soi. il fallait
un dérivatif : il est heureux qu'il l'ait trouvé de ce côté.
Ses vers latins sont oubliés. Qui les lit aujourd'hui ?
Pourtant, ils ont du charme, une grâce ingénieuse qui rappelle
l'enjouement de Catulle et la facilité d'Ovide. Mais, sauf les
Amour fi de FausUne. où brûle encore l'étincelle, c'est une
cendre morte que remuent seuls les érudits et les bibliophiles.
Sou o'uvre française est très inégale, et ses premières
poésies sont bien inférieures aux dernières. Toutes néanmoins
ont de l'intérêt, et c'est par leur ensemble que du Bellay,
placé très haut dans l'opinion de ses contemporains, s'est
imposé à l'attention de la postérité.
CONCLUSION 519
Poète amoureux, il n'a pas eu. dans l'expression de son
amour, d'accents sincères, parce qu'il n'aimait pas vraiment.
Aux élans du cd'ur se sont sui^stituées les mièvreries du
pétrarquisme ; au langage de la passion, une phraséologie
conventionnelle. Un des premiers pourtant, il a traduit le
sentiment de religieuse adoration que fait naître dans l'âme
la beauté de la femme, et bien rendu les mystiques aspi-
rations d'un cœur épris d'idéal, qui place en T'êve dans un
monde éternel l'accomplissement des désirs que le séjour
terrestre est impuissant à satisfaire.
Poète lyrique, il a trop imité, surtout au début. S'il
s'est abstenu de Pindare, — et c'était sagesse, — il a fré-
quenté un peu trop Horace, et le poète lyrique ne devrait
fréquenter que lui-même. Il a manqué de souffle et de
vigueur, et ses odes, comparées à celles de Ronsard, ont
quelque chose de grêle et de fluet. Une ou deux fois
pourtant, le sujet l'a bien inspiré : c'est ainsi, par exemple,
qu'il a redit en beaux accents les angoisses de la désespé-
rance, le saint enthousiasme de la gloire, la grandem' de la
poésie.
Poète antiquaire, il eut, le premier des modernes, le sen-
timent des ruines. Il médita sur les vestiges de Rome : il
évoqua de leurs tombeaux les « pâles esprits )) et les
(( ombres poudreuses » , et traduisit ses émotions en quelques
sonnets que traverse le frisson mystérieux du passé.
Poète rustique, il a su peindre la nature, et surtout la
nature angevine, d'une touche délicate ; et ses tableaux cham-
pêtres, très simples, très sobres, d'une grâce un peu nvn\ ont
le charme particulier des choses d'où s'exhale un [)arfum de
terroir .
Poète personnel par-dessus tout, et d'une façon intense, il
s'est mis tout entier dans son œuvre, nous laissant voir jus-
qu'au fond de lui-même. Et combien ce fond était riche ! On
320 JOACHIM DU BELLAY
l'a dit justement, dans une heureuse formule : « Son âme
fut d'un élégiaque, son esprit d'un satirique *. » L'élégie, —
c'est-à-dire la face austère et sombre de la vie. les tris-
tesses, les chagrins, les désespoirs, les soupirs et les larmes ;
la satire, — c'est-à-dire sa face plaisante et comique, et par-
fois grotesquement ridicule, les gaietés, les moqueries, le
rire sous toutes ses formes, depuis le simple badinage jus-
qu'au sarcasme amer ; tout cela fut en du Bellay, s'unit en
lui par une de ces alliances aussi rares qu'originales. Et
tout cela s'est incarné dans les Regrets, ce livre étrange,
peut-être unique en son espèce, où les épanchements du cœur,
les plaintes douloureuses, les rêveries mélancoliques, les longs
appels à la patrie absente, les pleurs sur le foyer perdu, les
fines peintures de moeurs, les descriptions humoristiques et
les impressions de voyage, se rencontrent et s'associent dans
un pêle-mêle piquant, inattendu, mais qui n'a rien d'incohérent,
parce qu'une chose en fait l'unité : la veine continue de poésie
intime. Qu'il chante, qu'il pleure, qu'il raille, c'est toujours
du Bellay qui se révèle à nous, qui nous livre tous ses
secrets, qui nous ouvre son âme entière. Véritable petit chef-
d'œuvre d'analyse psychologique et d'observation morale,
les Regrets sont chez nous le premier spécimen, et non le
moins heureux, de la poésie vécue, sincèrement, largement
personnelle.
La forme n'est pas indigne du fond. C'est un charme, en
effet, que cette langue aisée, coulante, admirable de naturel,
et qui répond si bien à ces « intimités » . Déjà, les contempo-
rains (lu poète avaient été saisis de cet aspect particulier de
son talent, et du Bellay s'excusait à Ronsard des éloges que
lui valait un tel mérite :
» A. Le Braz, Débats du 20 août 1894.
CONCLUSION 521
Au reste, quoy que coulx, qui trop luo favorisent,
Au pair de tes chansons les miennes aulliorisenl.
Disant, comme tu sçais, pour me mettre en avant.
Que l'un est plus facile, et l'autre plus sravant.
Si ma facilité semble avoir quelque grâce,
Si ne suis-je pourtant enflé de telle audace.
De la contre-peser avec ta gravité,
Qui sçait à la doulceur mesler l'utilité '.
Du Bellay se montrait modeste, et il avait raison : mais les
contemporains n'avaient pas tort de louer sa « facilité » ■. C'était
vraiment un don très rare pour l'époque. Quel contraste avec
le style si laborieux des écrivains d'alors ! Ronsard lui-même
n'a que par exception de ces vers « doux -coulants » dont
Joachim a le secret.
Et qu'on ne croie pas que ce naturel soit dénué d'art.
Car c'est un art, de parler une langue souple et riche.
colorée, pittoresque, fortement savoureuse. Et c'est un art
aussi, d'exprimer tout un état d'àme, de peindre tout un
tableau de mœurs dans l'espace exigu d'un sonnet. (( Le sonnet,
— écrit un des maîtres du genre ', — par la solide élégance
de sa structure et par sa beauté mystique et mathématique,
est sans contredit le phis parfait des poèmes à forme fixe.
Elliptique et concis, d'une composition logiquement déduite,
' Hymne de la Surdité (II, 400).
- Les témoignages ne manquent point. Ilémy Belleau s'écrie dans son
Chant pastoral :
Ainsi, Pasteurs, cueillez et recueillez encor'
Le reste de l'orage et le riche thresor
De ses vers doux-coulants, qui vivront d'âge en âge.
Le capitaine Lasphrise écrit :
Je prise de Bellay la grand* facilité
Qui si sçavamment fliie en parfaite harmonie . . .
(Cité par CoUetet, copie mscr., f° 54 r").
Cf. Régnier, dans sa Satire IX contre Malherbe :
Des Portes n'est pas net, du Bellay trop facile.
^ M. de Heredia, dans son Discours du i septembre 1894.
o22 JOACHIM DU BELLAY
il exige du poète, dans le choix du peu de mots où doit se
concentrer l'idée, des rimes difficiles et précieuses, un goût
très sûr. une singulière maîtrise. » Et qui donc s'est montré
plus habile, dans le maniement de ce petit poème, que
l'auteur des Regrets et des Antiquitez de Rome ? Après
l'avoir créé, si l'on appelle créateur celui qui donne à quelque
chose une vie définitive, il l'a graduellement élargi, le rendant
capable d'exprimer non -seulement les passions amoureuses,
mais la totalité des émotions humaines. Dans cette forme si
restreinte, mais qu'il a faite artistement toute peinture et
toute musique, il a fait tenir l'àme entière.
Voilà pourquoi de notre temps, auprès des poètes, auprès
des critiques, auprès de tous ceux qui lisent des vers,
Joachim du Bellay jouit d'une si grande faveur. On aime en
lui le chantre naturel des sentiments intimes et l'artiste
sonneur de sonnets. J'en sais plus d un ([ui le préfère même
à Ronsard. Ce n'est pas à moi de blâmer ce goût, et les
raisons ne manquent point, qu'on peut donner de cette
préférence accordée au poète angevin : « Moins grand, plus
faible et plus délicat que Ronsard, écrit M. Brunetière, il a
quelque chose de plus pénétrant, et, — je le dirai, quoique
l'on ait bien abusé du mot, — quelque chose de plus
moderne. Peut-être a-t-il aussi plus d'élévation naturelle ; et
la mélodie de sa plainte, pour être soutenue d'une orches-
tration moins diverse et moins riche, n'en est que plus
touchante '. »
Quant à moi. je croirais être injuste pour Ronsard, en
l'immolant à mon auteur. Mais il m'en coiiterait aussi de
lui sacrifier du Bellay. Et vitiila tu dignus et hic. Au surplus,
à quoi bon les opposer l'un à l'autre, comme des frères
' Revue des Deux-Mondes, i" décembre 1892, p. 66S : article sur la réforme
de Malherbe.
CONCLUSION 52;î
ennemis, eux qui se sont toujours si bien entendus, si bien
entr'aimés ? Leur ardeur fui épaule et louis cllorls communs.
Et la récompense est la même. Créaleui-s inspirés de la
modei'ue poésie, ils Irùuenl fraternellement aux somniets
radieux de lumière, et pour tous deux s'est accompli le
souhait héroïque qu'ils formaient d'un cœur lier, au ni(»ment
de se mettre en route : (( Espère le fruict de ton l;d)eur de
l'incorruptible et non envieuse Postérité : c'est la Gloire, seule
échelle par les degrez de la quele les mortelz d'un pié léger
montent au Ciel, et se font compaignons des Dieux '. »
• Deffence, p. 12ij.
INDEX
Accords (Tabouret des), v. Tabourot.
AcKERMANN (Paul),504.
AiGALiERS (Pierre de Laudun d), v.
Laudun.
Alamanni (Luigi), Go, 138, 342.
Albe (duc d'), lieutenant- général de
Philippe II et vice-roi de Naples,
331, 334, 387.
Albret (Jeanne d"), v. Jeanne d'Albret.
Alexis (Guillaume), 156.
Allard (Guy), 390.
Alsinois (comte d'j, v. Denisot.
Amadis de Gaule, 69, 248, 264-266, 317.
Amboise (Michel d), T6, 123, 133.
Ampère (J.-J.), 294.
Amtot (Jacques), 229, 480.
Anacréon, 49, 410.
Ancenis (Pierre d'), ancêtre de Joachim,
18.
.\ndré (Héliej, 488.
Aneau (Barthélémy), auteur du Quintil
Uoratian, 67, 77, 105, 123, 151-138,
160-161, 163,414.
Angelier (.Arnoul et Charles 1'), v.
L'Angelier.
Angennes (Charles d'), évèque du Mans,
433.
Angoulème (Diane d'), v. Diane d'An-
GOULÊME.
Anne de Bretagne, reine de France,
70.
Anthologie grecque, 403, 411.
Antoine de Bourbon, roi de Navarre,
245.
Apollodore, 343.
Apollonios de Rhodes, 55.
.\ragon (Catherine d'), v. Catherine
d'Aragon.
Aratos, 55.
Arétin (1'). 376, 401.
Arioste (1'), 64, 69, 132, 148, 174, 176,
342, 369.
Aristophane, 35, 67, 118.
.\ristote, 54, 274, 405, 419, 473.
.\rmagnac (cardinal d"), 277, 310, 315,
316, 317, 319, 349, 416.
Artémidore, 56.
AscAiGNE, Ganymède du cardinal Carlo
Caratia, 361.
Aubert (Guillaume , 17, 28, 199, 254,-
361, 413, 414, 443, 446, 460, 477, 48S,
489-490, 498, 506, 312.
Augustin (Saint), 36.
AUNAY (Charles d'), sieur de Villeneuve-
la-Guyard, 481.
Ausone, 232.
Autelz (Guillaume des), 76-77, 147-131,
162, 163, 194, 283-284.
AvANSON (Jean de Saint-Marcel, sei-
gneur d'i, ambassadeur de France à
Rome, 313 321, 323, 347, 348, 351,
356, 447.
B
BaIf (Jean- Antoine de), 26, 29, 39-40,
42 96, 178, 194, 208, 243-244, 2:10, 293,
296, 329, 340, ,330, 354, 389, 391,
400, 405, 406, 411, 417, 488, 494.
Baïf (Lazare de), 39, 45, 31, 34, 83, 118,
163.
Baillet (Adrien), 12, 500.
m\
JOACHl.M DL" BKLLAY
BAiu.E("L(Louis),ami de Joachim, 287,319.
Ballu (Camille), \'>, li, l(i, 19, 32, 38,
177, 281, 383,481, 482,483, 490, j07.
Bandello, conteur italien, 375.
Bakbin (Claude), imprimeur parisien,
:')00.
Baret (Eugène), 264.
Barome (F. de la), v. La Baronie,
Bartas (Salluste du), 497.
bayle, 314, :m.
Beaumont (Catherine de), aïeule pa-
ternelle de Joachim, 16.
Beaumont (duc do), plus lard Henri IV.
4413.
Beauregard, V. Duthier.
Beauv.\is (trésorier de), v. Thoi (Nico-
las de).
Becker (Henri), 513.
Becq de Fouquiéres, 89, 263, 373. 506.
Béda (Noël), 272.
Belges (Jean Lemaire de), v. Lemaire.
Bellay (famille du), 14-17.
Bellay (Catherine du), sœur de Joa-
chim, 17, 2i6, 483.
Bellay (Claude du), seigneur de Gon-
nord, neveu et pupille de Joachim,
21, 246-248.
Bellay (Eustache du), seigneur de Gi-
zeux, aïeul paternel de Joachim,
15, 16, 27.
Bellay (Eustache du), évèquede Paris,
177, 454, 455, 456, 457,459-473,475,
481.
Bellay (Guillaume du), seigneur de
Langey, frère aîné du cardinal, 15,
16, 24-25, 31, 35, .38, 64, 261, 272, 276,
282.
Bellay (Hugues III du), chevalier,
seigneur des Brosses d'AUonnes
(xm' siècle), 15.
BELLAYiJacques du), baron deThouarcé,
frère de l'évèque de Paris, 460, 466-
47(J.
Bellay (Jean IV du), arrière-grand père
lii' Joachim, lii.
Bellay (Jean du), cardinal-évéque, 6.
15. 16, 24-26. 31, 35. 95, 97-98, lO."),
225,261, 271-284, 300-335, 336-:i4l,
344 346, 349, 358, 375, :«6, 394, 4;)3-
473, 475, 481-482, ."Il 5.
Bellay (Jean du), seigneur de Gonnord,
père de Joachim, 16-17, 20, 21.
Bellay (Joachim du), v. Table des
Matières.
Bellay (Louis du), seigneur de Laogey,
grand- oncle de Joachim, 15.
Bellay (Louis du), chanoine et archi-
diacre de Paris, 482.
Bellay (Louise du), sœur du cardinal
et femme de Charles d'Aunay, 481.
Bellay (Marie du), fille de Martin du
Bellay et nièce du cardinal, 466.
Bellay (Martin du), frère cadet du car-
dinal, 15-16, 466.
Bellay (Martin du), diacre de Notre-
Dame de Poitiers. 27.
Bellay (Bené du), abbé de Notre-Dame
de Poitiers, 27.
Bellay (René du), frère cadet du car-
dinal, évèque du Mans, 15, 16, 32,
36, 38, 272.
Bellay (René du), seigneur de Gonnord,
frère et tuteur de Joachim, 17, 21-
23, 26, 246-247.
Bellay (René du), baron de la Lande,
fils de Jacques du Bellay et neveu
de l'évéque de Paris, 466.
Belleau (Rémy), 48, 49, 82, 86, 177,
207, 333-334, 354, 338, 400, 405, 417,
476, 487-488, 521.
Belleforest, 50.
Bellessort (André). 37.
Belon (Pierre), 83-85,
Bembo, 31, 62, 64 66, 117-118, 174, 176,
2.30, 342, 407.
Beraud (Fr.), 239.
Bergier de Moxte.mbeuf (Bertrand), 28,
47-48, 82, 83, 209, 263-264, 402.
Berni, 342, 376, 403.
Bertrand (Jean), garde des sceaux, 447.
Berty (.VdolphC;, 42.
Besly, 17.
Bèze (Théodore de), 62, 105, 502.
BlDLE, 260.
BinoTHiKR (Claude), poète néo-latin, 105.
Bln ET (Claude), 12, 29, 37, 40, 46, 49. 50. 51 ,
5:;, 59, 69, 72, 76, 81, 86, 87, 203, 498.
BizE (Claude de), clerc du diocèse
d'.\ngors, chantre en l'église Notre-
Dame d.' Paris, 480-481.
INDEX
527
BizET, ami de Joadiiin. 349.
Blanchemain (Prospcr), i(j, 227, 4215.
BoccACE, 34, 01, 64. G",m. 102, )17. 230.
BoDiN (Jean), 23, 4SI.
BOILEAU, 109.
Bois-Dauphin (seif;neur du), 225.
BoissAUD, antiquaire, lîOl, 313.
BONAMY, V. BUONAMICI.
Bo.NNEFON (Paul), 412, 41G, 4o9.
BoNNivET, amiral de France. 301.
BoRDiER (Jules), compositeur angevin,
507.
Boucher (Etienne), ami de Joachim, 349.
BoucHET (Jean), 27, 28, 57, 75, 107, 153.
Bouchot, 511.
BouGUiER, poète français, 243.
BouHiER (président), 454.
Bouju (Jacques), 142, 105, 213, 231, 242,
354. 485.
BouLAY (du), 43, 44.
BouLMiER (Joseph), 30, 505.
Bourbon (Antoine de), v. Antoine de
Bourbon.
Bourbon (Nicolas), poète néo-latin, 105,
242.
Bourciez (Edouard), 04. 09, 78, 174, 180,
188, 192, 204, 282, 422, 423, 428, 447.
BouRDiGNÉ (Jean de), chroniqueur ange-
vin. 13, 23.
BouRSAULT (Guillonne). Gélonis, femme
de Salmon Macrin, 30-31, 238-241.
Bragh I Pierre de), 200.
Brantôme, 195, 228, 238, 310, 349, 410,
445.
Breil (Christophe du), seigneur de la
Mauvoysinière, beau-frère de Joa-
chim, 17, 200.
Breil (René du), neveu de Joachim.
483.
Breton (Claude), sieur de Villandry,
agent du roi de France à Rome, 337.
Breton (le), v. Le Breton.
Breul (P. du), antiquaire, 42.
Brice (Germain), poète néo-latiu, 105.
Brigade, nom primitif de la Pléiade, 48-
49.
Brinon (Jean), sieur de Villennes et de
Medan, 83-85, 108, 140, 254.
Brissac (maréchal de), gouverneur du
Piémont, 308.
Bhunet {Manuel du Libraire). [}0, 148,
490.
BiiUNETiKHE ( Ferdinand). 1. 111, 508,522.
Buunot (Ferdinand), 103, 107, 282, 440.
BucHANAN (Georges), 105, 207, 295, 436.
BuDÉ (Guillaume), 30, 44, 53, 02, 07, 70,
104, 118, 273.
BuGNYON (Philibert), 440.
Buisson, 282.
BuoNAMici (Lazzaro), 2iHj.
Buuckhardt (Jacob), 286, 370.
BuTTET (Claude de), 194.
Caen (abbesse de), nièce du connétable
de Montmorency, 447.
Callimaque, 55.
Calmeilles (Charles), 76.
Camilla di Pitiliano, courtisane ro-
maine, 377.
CAPEL(Ange), camarade de Joachim au
Collège de Coqueret, 48, 82.
Capilupi (Lélio), poète néo-latin, 343,
345-340.
Caracciol (Antoine), prince de Melphe,
évoque de Troyes, 210, 349-350.
Caracciol (Jean), prince de Melphe,
maréchal de France, père du précé-
dent, 349.
Caraffa (les), 320-334, 375, 463.
Caraffa. cardinal Théatin, plus tard
pap(^ sous le nom de Paul IV, 3U(3,
314, 317, 320.
Caraffa (Carlo), cardinal, neveu du
précédent, 321, 322, 325, 329, 331,
.301. 375, 377.
Carles (Lancelot), 40, 142, 165, 226, 228-
229, 245, 391, 424.
Carnavalet, 46.
Caro (Annibal), 342-343.
Caron (Louis le), v. Le Caron.
Carpi (cardinal), 321-322.
Cassola, poète italien, 173.
Castiglione (Baldassare), 295.
Catherine d'Aragon, femme d'Henri
VIII, roi d'Angleterre, 272.
Catherine de Médicis, reine de France,
2i->, 223. 225, 300, 349, 434, 444, 480,
487.
528
JOACHIM DU BELLAY
CATnoLinisME, 306-307, 318 310, 323-3:24,
411 -'1-42, 403. :i!;;-;;iG.
Catli.lk, 31, :iO, 02, 63, 77, 105, 137,
182, 300, 383, 398-400, 403. 407, 420,
494, 518.
Celaya (Jean de), régent de philosophie
au Collège de Coqucret, 44.
Cerceau lAndrouet du), 85.
CÉSAR (Jules), 13, 34, 274.
Cesari (Giovanni), 343.
Chabot (Christophei, seigneur de la
Turmelicre et de Lire, aïeul maternel
de Joachim, 17.
CuAiior (Renée), mère de Joachim, 17,
20, 2 L 27.
CiiANTAVOiNE (Henri), 507.
Chardon (Henri), 354, 356.
Chahlemaune, 442
Charles VIII, roi de France, 16.
Charles IX, roi de France, 17, 09, 88,
428. 490.
Charles-Quint, 15. 272, 308-313, 32:)-
330. 407. 435.
Charpentier (J.-P.I, 286.
<1hartier (Alain), 156.
Chasles (Philarèle), :'»it3.
Chassaigne (la), courtisane romaine
377.
Chastel (i'ierre du), évèque de Mâcon,
31.
Chastellain (Georges!. 70.
ClIATEAUHRIANI), 2S6, 298, 31)1.
Chatillon (cardinal de), neveu du con-
nélablf de Montmorency. 225, 447.
Cheneviére (Ad.), 77, 282.
Chénier (André), 126, 231.
Chesne (Léger du), 41 i, 427, 488. —
V. Léoquerne.
Chrestien (Florent), 416, 49.5-496.
Christie (Copley), 165, 282.
CiACONius, 314, 316, 318, 386.
CiGÉRON, 34, 44, 52, 56, 60, 61, 88, 116,
117, 121, I2'i.. 134 140, 274,285, 425,
433, 480.
CicÉRONiANisME, 61-62, 66, 104, 116-117.
C.-L., auteur d'une notice sur Joachim
du Bellay, dans le Recueil de Crépet,
505.
Clauuien, 77.
Clédat, .301.
Clément VII, pape, 308, 3l3.
Clé.me.nt (Louis). 412, 415. 418, 429, 496
(notes).
Clinchamp, 33.
Clouet (François), 87.
Colet (Claude), 68.
Colletet (Guillaume), 12, 19, 28, 177,
228, 243. 246, 260, 304, 358, 360, 379,
390, 457, 486. 494, 496. 498-499, 500,
521.
CoLONNA (Giovanni), ami de Pétrarque,
286.
CoLONNA (Pompeio), cardinal, 313-314.
CoMBRAGLiA, banquier du cardinal du
Bellay, 455.
CoMMYNEs (Philippe de), 67.
Conrad (Olivier), poète néo-latin, KJo.
Coquerel ou CoQUERET (Nicolas), fon-
dateur du Collège de Coqueret, 42-43.
CoQUERET (Collège dei, 39-40, 41-98,
principalement 42 49.
Coquillart, 69.
CosME DE Médicis. duc (le Florence, 310,
312, 33».
Cour de France, 140-141, 164, 224-232,
264-266, 321, 418-422, 431-452.
Cour de Rome. 323, 326, 331, 339, 373-
375, 463.
Courbet (E.), 76, 315, 337, 347.
Courtisanes romaines. 306, 375-377, 382,
400-401.
CouRviLLE (Thibault del. musicien, 89.
Cousin (Jean), 511.
Crépet (Eugène), 505.
Crétin (Guillaume), 70, 71.
Crevier, 42.
Critton (Georges), 53.
Crosnier (abbé Ale.xis), 364.
Cuignet (Pierre du), 406.
CuJAS, 52.
D
Dagaut. ami de Joachim, 331, 349.
Dallier (Lubin), avocat au Parlement,
premier mari d'Antoinette de Loy-
nes, 390.
Dampierre (Jean), poète néo-lalin, 105.
Dante. 34, 64-65. 230, 294, 296.
David d'Angers. 504.
INDKX
529
Dejob (Charles), 2H, 29, iiOH.
Delahays (Adolpho). .'iOll.
Delohme (Philib(U't), 87, 27«. 4;iG.
De Mesmes, V. Mesmes.
Démosthène, 44, 54, 110, 117, 121, 124.
Denisot (Nicolas), comte d'Alsinois, 47,
57, 82, 84, 85-8H, 241-244, 354.
Denys d'Halicarnasse, 220.
Deschamps (Gaston), 508.
Des Essars (Herberay), v. Essars.
Des Masures (Louis), v. Masures.
Des Mireurs (Pierre), v. Mireurs.
Des Périers (Bonaventure), v. Périers.
Desportes (Philippe), .505, 521.
Dessaix, éditeur de Peletier, 33.
Dezeimeris (Reinhold), 200, 505.
Dune d'Angoulème, fille légitimée
d'Henri II et femme d'Horace Far-
nèse, 330.
Diane de Poitiers, duchesse de Valenti-
nois, 87, 444.
DiDATo, banquier du cardinal du Bellay,
455.
DiLLiERS.ami de Joachim, 340, 349, 378.
DoLET (Etienne), 62, 67, 105. 107, 126,
165, 273, 505.
DoNAT (Claude), biographe de Virgile, 60.
DoRAT (Jean), 5, 6, 39-40. 42 96 (parti-
culièrement 45-63), 105,165, 185, 209,
219, 228, 239, 242, 243-244, 261, 280,
287, 360, 361, 389, 391, 393-394, 486,
494, 500.
Dreux du Radier, v. Radier.
Du Bartas, v. Bartas.
Du Bellay, v. Bellay.
Du Boulay, v. Boulay.
Du Breil, v. Breil.
Du Breul (P.), V. Breul.
Du Chastel, v. Chastel.
Du Chesne (Léger), v. Chesne.
DUFAU-ROBIN, V. FaUZ,
Dugast (Robert), principal du Collège
de Coqueret, 43-45.
Dugast (Simon), principal du Collège
de Coqueret, oncle du précédent, 43.
Du Perron (cardinal), v. Perron.
Dupré-Lasale, 213, 278, 390, 391.
Du Radier (Dreux), v. Radier.
DuRUY (George), 323, 325, 331, 332, 375,
387.
DuTHiKR (.Jean), seigneur ii(! Beaure-
gard, conseiller du roi et secrétaire
d'État. 27.5, 302, :!'.»5, /t47.
Du Verdiek, v. Verdiek.
E
Egger (Emile), 5{tô.
Egio (Benedetto), 343.
Elbeuf (René d'), protecteur de Rémy
Belicau, 334.
Ennius, 425.
Épigure, 265.
Érasme. (^2. 390.
Eschyle, 44, 55, 57 .
Espexce (Claude d'), 481, 488.
Essars (Nicolas Herberay des), traduc-
teur d'Amadis de Gaule, 69, 243,
263, 264-266, 517.
Estienne (Henri), 156, 415, 496.
EucLiDE, 274.
Euripide, 54, 146-147.
EusÈBE, 56, 274.
Faerno (Gabriel), 343.
F.AGUET (Emile), 22, 26, 27, 28, 55, 61,
69, 94, 104, 130, 162, 184, 193, 281,
298, 365, 374, 383, 385, 406. 409, 423,
442, 508.
Falconet, 349.
Farnèse (cardinal), 320, 330.
Farnijse I Horace), duc de Castro, 3:30.
Farnèse (Octave), duc de Parme, 302,
308, 330.
Farnicse (Pierre Louis), duc de Parme
et de Plaisance, 330.
Faustine, Romaine aimée de Joachim,
334-350, 361, 381-386, 398, 502, 518.
Fauveau (Pierre), 30, 40.
Fauz (Paschal Robin du), chroniqueur
angevin, 11-13.
Favre (Jules), 76, 305, 315, 321, 347,
348, 405.
Félibien, 42, 219, 221.
Ferrare (cardinal de), 275, 316, 320.
Florence (duc de), v. Cosme de Médicis.
Fontaine (Charles), 57, 75, 108, 123, 151,
152, 153.
Univ. de Lille.
ToMB VIU A. 34.
530
JOACHIM DU BKLF.AY
FONTENELLE, 114, oOU.
FoRGET, secrétaire de Madame Margue-
rite, 449.
FoRNERON, 377.
FoRQUEVAULx, 30:i, 493.
Fougères (Gustave), 281.
FouRNiER (Edouard), 413.
Fhacastor, poète néo-latin, <oi.
F'rançois I", roi de France, 15, 30. 34,
54. 122, 164, 225, 241, 272, 273, 274,
407, 435, 4:}8, 442, 451.
François II, roi-dauphin, puis roi de
France, 429, 434, 437, 439-443, 447,
489.
Fremt (Edouard), 40, 54, 89.
Fresnaye (Vauquelin de la), v. La Fres-
NATE.
Froger (abbé L.), 459, 472.
G
Galland (Pierre), 406.
Gambara (Lorenzo), poète néo-latin,
343-345.
Ganuar, .53, 55, 89, 217.
Garnier (Claude), commentateur de
Ronsard, 82.
Garnier (Robert), 177.
Gauchet (Claude), 50.
Gautier (Théophile), 199.
Gauvain, V. Romans français.
Gaza (Théodore), 44.
Géloms, nom poétique de Guillonne
Roursault, femme de Macrin, v.
BOURSAULT.
Gilbert (Pierre), poète néo-latin, ami
de .Joachim, 349, 400-401.
Ginguené, 190, 296, 342, 344, 345, 375.
Godeau, 500.
GoDEKROT (Frédéric), 505.
GoHORRT (Jacques), 68, 247, 248, 266,
349.
GoNZAGUE (F^ernand de), gouverneur du
Milanais, 3(J8.
GoBDEs, ami de Joachim, 19, 350, 377.
Gourr (abbél. 12, 33, 76, 147, 177, 248,
254, 281, 407, 437, 439-440, 485, 500-
501.
Grévin (Jacques), 194, 298-299, 330, 400,
476-477, 489, 495, 496.
GuÉRouLT (Guillaume), poète français,
260.
GUICHARDIN, 342.
GuiET, 177.
GUIFFREY, 444.
GuiLLET (Remette du), 131, 150.
Guises (les), 274, 446.
Guise (Charles, cardinal de), puis car-
dinal de Lorraine, 225, 275, 321, 322,
325,349, 350, 375, 434, 439, 446, 487.
Guise (François, duc de), 331, 333-334,
377, 437, 446.
H
Habert (François), 75, 108-109, 123, 152-
153.
Harsy (Antoine de), imprimeur lyon-
nais, 506.
Hauréau, 16, 33, 85, 272.
Hébrieu (Léon), auteur de Dialogues
sur l'Amour, 192.
Hélie André, v. André.
Héliodore, 229.
Hellénisme, 33-34, 39-40, 44, 49, 51-52,
52 59, 91, 119-126, 146-147, 148-149,
154-156, 216-217, 259, 318.
Henri II, roi de France, 218-229, 245,
264, 274-279, 300, 302, 308-313, 316-
318, 320-321, 325-334, 344, 349, 351,
361, 375, 416, 424-425, 428, 429, 433-
434, 434-438, 444, 450-451, 460, 477,
499.
Henri IV, roi de France, 445.
Henri VIII, roi d'.\ngleterre, 241, 272.
Herberay des Essars, v. Essars.
Heredia (José-Maria de), 1, 507-508, 521-
522.
HÉRiCAULT (Charles d'), 33.
HÉROiiT (Antoine), 76, 77, 78-80, 91, 127,
128, 142, 165, 174, 190, 191, 198, 226,
229-230, 242, 424, 480.
Hésiode, 57, 124, 205, 402.
Heulhard (Arthur), 272, 273, 275, 281,
282, 284, 301, 302, 309, 337.
Homère, 44. 54, 57, 59, 76, 92, 113, 116,
117, 121, 132, 163, 187, 205, 229,230,
258, 402, 441.
Horace, 31, 33, 36, 3J, 59, 61, 62, 63, 80,
89, 91, 93, 105, 107, 117, 130, 131, 133,
INDEX
531
13j, i38, 14:i, lis, \6i, i;>2, 1j8, 17y,
195, 203, 2U6, 208-210, 210, 22j, 220,
230, 23!, 240, 200, 283, 363, 371, 419,
420, 420,470,491. 492, 319.
HospiTAL (Michel de l'j, v. L'Hospital.
Humanisme, v. Cicéronianisme, Hellé-
nisme, Latinisme.
HuNAUT DK Lanta (Augcr), abbé de
Sainte-Croix, à Bordeaux, 472.
HuHTKLOiRE (Abcl de la), v. La Hurte-
LOIRE.
Ignace de Loyola, 307.
Lmbert, 301-502.
Innocent (cardinal Monte), protégé de
Jules III, 314-315, 376-377.
Isocrate, 124.
Italianisme, 34-35, 63-66, 100-102, 120,
148-150, 156, 173-177, 296, 342, 371,
414-415.
Jaillot, 42.
Jamyn (Amadis), 76.
Jannet (Pierre), 305.
Jeandet (Abel), 170.
Jeanne d'Albret, reine de Navarre,
173, 24j, 444-443.
JoDELLE (Etienne), 48, 49, 68, 82, 194,
198, 330.
JoLY (Claude), chanoine de l'Église de
Paris, 440.
Jonquière (marquis de la), v. La Jon-
QUIÈRE.
Jourdain (Charles), 42, 43.
JovE (Paul), 313, 417.
Jules II, pape, 307, 323.
Jules III, pape, 278, 279, 302, 306-316,
318, 330, 361, 376.
Jullkville (Petit de), 142, 373.
Jovénal, 59-60.
La Baronie (F. dej, pseudonyme de
Florent Chrestien, 416, 495-496.
La Bruyère, 126.
La Croix du Maine, 33, 48, 85, 176, 213,
223, 228, 243, 244, 255, 337, 349, 390,
416, 457, 458, 498.
La Fontaine, 12(5, 347.
La Fhesnaye (Vauquclin de), 26, 27, 37,
173, 379, 430, 437.
La Haye (Maclou de), poète français,
163, 492.
La Haye (Marie de), sœur de Robert
de La Haye, 230, 254, 255, 491.
La Haye (Robert de), poète néo-latin,
230, 254-235, 354, 389, 481,489.
La Hurteloire (Abel de), camarade
de Joachim au Collège de Coqueret,
48, 82.
La JoNQUiiiRi (marquis de), 272, 273,
275, 302, 318, 320, 321.
La Marche (Olivier de), 70.
Lamartine, 200-201, 298.
Lambin (Denis), 52^ 53, 306.
La Monnoye, 176, 244, 349, 390.
Lancelot, v. Romans français.
L'Angelier (Arnoul), imprimeur pari-
sien, 506.
L'Angelier (Charles), imprimeur pari-
sien, 490.
Langey (Guillaume de), v. Bellay
(Guillaume du).
Langlois (Ernest), 90.
La Noue (François de), 264.
Lansac (Louis de Saint-Gelays, seigneur
de), ambassadeur de France à Rome,
308-312, 316, 331.
La Péruse (Jean de), 26, 28, 170.
La Rovère (Jérôme de), évéque de
Toulon, 391, 460.
Larroque (Tamizey de), v. Tamizey.
Lasca (le), poète italien, 403.
Lasgaris (Jean), 30.
Lasphrise (capitaine), 521.
La Taille (Jacques de), 490.
La Taille (Jean de), 430.
Latan, camarade de Joachim au Collège
de Coqueret, 48, 82.
Latini (Latino), 343-344.
Latinisme, 28, 30-32, 33-36. 39, 44, 51-
32, 39 63, 66, 91, 99-118, 119-126, 148-
149, 134-156, 230, 233, 238-239, 241-
243, 252-254, 239 261, 267, 283-290,
295-296, 318, 343-346, 338-301, 383,
407-408, 478-480, 502, 317-518.
;)32
JOACHIM DU BELLAY
Latomus (Barth.), poète néo-latin, 10.').
Lauuun u'Aigaliers (Pierre de), 137.
Laure de Noves, 78, 169, 174, 178, 238.
Laverdt, 42.
La Vigne (André de), 70.
Le Blanc (Richard), traducteur de l'Ion
de Platon, 54.
Le Blond (Jean), 75, 152-153.
Le Braz (A.), 508, 520.
Le Breton, secrétaire du cardinal du
Bellay, 337-338, 462.
Le Breton (François), écrivain de Cou-
tances, 337.
Le Caron (Louis), poète français, 194,
330.
Le Clerc (.)ean), 458.
LEFi':vRE (Denis), régent de grammaire
au Collège de Coqueret. 44.
LEFi';vRE (Jacques) d'Étaples, 30, 44.
Lefranc (Abel), 34. 273.
Lemaire de Belges (Jean), 34, 69, 71-
72, 73, 107. 138, 282.
Le Masle (Jean), poète français, 494.
Lemercier (A. -P.), 26, 172.
Lenient, 374, 406, 503.
Léofanti (Adolphe), 2, 308.
Léoquerne, pseudonyme de Léger du
Chesne, 414, 418, 429.
Le Petit (Jules), 490.
Le Roy (Louis), 252, 254, 513.
Lescot (Pierre), 87.
Lestrange (Charles de) ami de Joachim,
349.
L'Hospital (Michel de), 105, 216, 228,
273, 278, 360, 391. 428, 439-440, 446,
447, 480, 513.
L'HuiLLiER, seigneur de Maisontleur,
poète français. 445.
LiGNERY (Claude de), camarade de Joa-
chim au Collège de Coqueret, 48, 82.
Liron (D.). 271.
LisEU.x (Isidore), 315, 361,393, 306, 316.
Lohineau (D.), 17.
LoNGOiL (Philippe de), 13.
Longueil (Christophe), 62.
LoRME (Philibert de), v. Delorme.
Lorraine (cardinal de) , v . Guise
(Charles de).
LoRRis (Guillaume de), 156, — V. Rose
(Roman de la).
LoYNES (.\ntoinette de), femme de Jean
de Morel, 243-244, 390, 449, 489, 493.
Loyola (Ignace de), 307.
Luc.uN. 44, 59.
Lucien, 54, 67, 118, 274.
Lucrèce, 59.
Ltcophron, 55, 56, 57, 59.
M
Machiavel, 342.
Macrin (Salmon), 26, 30-32, 40, 62,
105-106, 163, 238-241, 242, 244, 247,
261, 273, 274, 278, 391.
Magny (Olivier de), 76, 194, 200, 228,
305, 316, 327, 338, 347-351, 382, 398,
400, 401, 405, 411, 417, 480, 485, 491,
311.
Maisonfleur, v. L'Huillier.
Malestroit (Guillaume de), seigneur de
Houdon, 21.
Malestroit (Magdeleinede), belle-sœur
de Joachim, 21.
Malherbe, 241, 497 321.
Maniquet (Jean), 489.
Manuzio (Paolo), 344.
Marault (Charles), valet de chambre
du cardinal du Bellay, 301. 337, 349.
Marcassus (Pierre de), commentateur
de Ronsard, 177.
Marcel II, pape, 316-320.
Marcel (Gabriel), 83, 241.
Marchand (abbé Charles), 23.
Marche (Olivier de la), v. La Marche.
Marguerite de Valois, reine de Navarre,
sœur de François I", 48, 72, 169, 229,
241-243, 273, 390, 443.
Margx;erite de Valois, duchesse de
Berry, sœur d'Henri II, 178, 222-
224, 223, 226, 227, 230, 2.38, 244, 251,
280, 361. 365, 390, 406, 427-428, 431,
434, 447-432, 475.
Marliani. antiquaire, 281.
Marot (Clément), 29-30, 35, 36, 68. 69,
73-75 77, 91, 107, 122-123, 127-128,
129, 136, 139, 146-147, 151, 152, 158,
161, 169, 170, 172, 189, 190, 195, 198,
200, 226, 242, 254, 296, 387, 404, 403,
496, 501-302.
Marot (École de), Marotiques, 35, 36,
INDEX
533
T6. 79, 91, 107, 12:i-123, 127-128, 129,
1.S0, 152- 133, 138, lfi3, 169-I70, 213,
23:3. 254, 496.
Mauot (Jean), pèn- do Cléini'iit, 7').
Marseille, secrétaire (iu canlinal du
Bellay, 349.
Marsy (Sautrcau de). 301-302.
Martelli, poète italien, 176.
Marthe (la), courtisane romaine, 306.
Martial, 39. 77. 129, 360, 40.3. 407, 478.
Martin (Jean), poète français, 36, 142,
163.
Martt-Laveaux (Charles), 12, 40, 67, 6S,
82, 239, 248, 281, .334, 332, 373, 3S3,
.3^4, 401. 408, 416, 440, 458. 481, 490,
50<!.
Marulle, poète néo- latin, 62.
Masle (Jean le), v. Le Masle.
Masson (Papire), 52, 57.
Masures (Louis des), 95, 254. 273, 417.
486, 492-493.
Mauléon (Jean de), archidiacre, 416.
Mauny (François de), archevêque de
Bordeaux, 455, 458.
Mauvoysinière, V. Breil.
Médicis, V. Catherine et Cos.me.
Meigret (Louis), 67, 77, 147, 148, 235-
236.
Melphe (prince de), v. Caracciol.
Ménage, 12, 17, 177, 2'i8, 438, 482, 300.
Mercier (Jean), beau-fils de Jean de
Morel, 391, 489.
Meschinot (Jean), 70.
Mesmes (Henri de), 58.
Mesmes (Jean-Pierre de), 243.
Mestica (Giovanni), éditeur de Pé-
trarque, 173.
Meudon (cardinal de), 277.
Meung (Jean de), 156. — V. Rose (Roman
de la).
Michault (Pierre), 70.
Mighfxet. 435, 444.
MicHiELs (Alfred), 5(J3.
Mignanelli (cardinal), 386.
Mignet, 326.
MiNARD (président). 37, 477.
Mirandola (Sylvia), 361.
MiREURS (Pierre des), médecin et poète,
48, 82, 242, 243.
MoLiNET (Jean), 70, 71.
Monestai (Henri de), ^ouverneu^ de
Brest en 1489, 17.
MoNLUC (Biaise de), 310, 319, 331.
iMoNTAiGLON (Anatole de), 314, 330, 361,
370, 430, 303.
Montaigne, 494.
Monte (cardinal), v. Innocent.
Montembeuf (Bergier de), v. Bergier.
MoNT.MORENCY (.Anne de), connétabli' de
France. 225. 274, 801, 308 309, 310,
315,317, 319, 320, 447.
.Montmorency (François de), tilsdu con-
nétable, 447.
Morel (Camille de), tille ainée de J. de
Morel, 390-392, 449-450. 489, 313.
Morel (Diane de), 3* fille de J. do
Morel, 390, 449-450.
Morel (Federic), imprimeur parisien,
413. 490.
Morel (Isaac de), fils de .1, de Morel.
430.
Morel (Jean de), d'Embrun, seiiineur
de Grigny et de Plessis-le-Comte,
ami de Joachim, 12,21, 48, loi, 243,
230, 303, 315, .330, 341, 354, 361, 376,
389, 390-392, 393, 417, 428, 4.39, 446,
449, 450-432, 460, 462, 464-463, 475,
478, 479, 489-490, 493, 312.
Morel (Lucrèce de). 2' fille de J. de
Morel, .390. .391, 449-430.
Morel- Fatio, 293.
Moréri, 12, 17.
MoRiN (Marie), femme de Michel de
L'Hospilal, .391.
MUR.\T0RI. 313.
Muret (Marc-Antoine). 28, 29, 30, 40,
46, 52, 103, 141, 177, 306, 302.
Musée. 57, 12.3, 147, 402.
N
Naugerius, v. Navagero.
Navagero (André), Nau(ferius. poète
néo-latin, 407-410.
NiCANDRE, 33.
NiCERON (P.). 12, 33, 248, 407, 458, 300-
501.
Nicquet, 471.
NlSARD, 63.
NizoLius, 274.
534
JOACHJM DU BELLAY
NoLHAC (Pierre de), 48, 17o, 248, 281,
286, 3013, :M8, 343, 345-346, 349, 361,
390, 391. 449. 430. 454, 460, 462, 479,
493, 506,511.
NoNNOS, 478.
Noue (François de laj, v. La Noue.
o
Olive, maîtresse idéale de Joachim, 89,
167-201. .382. 397, 477, 485, 308, 317.
Olivier (François), chancelierde France,
229. 275. 447. 462.
Olivier (Jean), évoque d'Angers, poète
néo-latin, 103.
Oresme (Nicolas), 156.
Orlandino, historien des .Jésuites, 307.
Orphée, 39. 402.
Orsini (Fulvio), 343, 345.
Ouvré, 107.
Ovide, 59, 62, 105. 122. 123, 129, 163,
180, 185, 207, 2;i2 266. 286, 359. 360,
364, 383. 396, 400, 403, 461, 498, 318.
Pagate (Guy), camarade de Joachim au
Collège de Coquerct, 48. 82.
Pages, éditeur de Peletier, 33.
F'allavici.no. 314.
Panjas (Jean de Pardeillan, protonotaire
de), poète ami de Joachim, 303, 348,
3.30-331 .
Panvinio (Onofrio), 313-314, 316, 318,
319, 323.
Paris (Paulin). 3CKi.
Paschal (Pierre de). 19. 235, 248. 317,
347, 354, 389, 412, 414-418, 434, 475,
476, 481, 482, 489, 512.
Pasquier (Etienne). 33, 68. 72, 144. 170,
176. 233. 264, 295. 416, 417, 488. 492.
Pasqlils, 370.
Paul III, pape, 272, 273, 278, 306, 308,
375.
Paul IV, pape, 318, .320.334, .349, 350,
373. — V. Cahaffa, cardinal Théalin.
Paul (seigneur), ami de Ronsard, 39.
Pavie (Victor), 504-503.
Peletier (Jacques), 16, 32-37, 38, 40, 76,
85. 107, 165, 169, 172, 203, 212, 242,
.354.
Pellissier I Georges), 27, 281.
Périers (Bonav. des), 36, 77, 138, 130.
Perot (Cretofle), sénéchal du Maine, 33.
Perrault (Charles), 114, 440.
Perron (cardinal du), 40, 494.
Person (Emile), 306.
Péruse (Jean de la), v. La Pérdse.
Petit de Julleville. v. Julleville.
Pétrarque. 34, 33, 39, 61, 64. 65-66. 69,
73,79,89. 102. 1 17. 121, 123. 138, l'»8.
149, 156, 167-201, 230. 238. 240. 243,
253, 282, 286. 290, 296, 342, 363, 371,
492, 503, 517.
Pétrarquisme, 64. 79, 167-201 (particu-
lièrement 17'4-I76, 179-188, 194-201).
3'.2. 396-398, 400, 319.
Pfl.\nzel, 172-173. 245, 369. 379.
Philelphe, 44.
Philibert-Emmanuel, duc de Savoie.
449-450.
Philippe II, roi d'Espagne, 331, 334.
Philippson (M.), .306, 307.
Pie IV, pape, 318.
PiÉRi, 174, 179, 194, 199
Pierre, barbier de Rome. 337
Pierre d'Ancems, ancêtre de Joachim,
18.
piganiol de la force, 42.
Pind.vre. 44, 55, 57, .38, 67, 73, 89, 91,
131, 216-217, 2.30. ±\^. 'i20, /.93, 519.
PiNVERT, 39, 299, 330, 476, 496.
PiTiLLANO (Camilla di,, courtisane ro-
maine, 377.
Platon. 33-3'i, 78-79, 92. 124, 126. 142,
186, 190, 207. 229-230, 232, 234, 403.
473, 480.
Platonisme. 78-79, 174, 188-194, 197,
200-201, 229. 519.
Plaute, 28
Pléiade, origine de ce terme, 49
Pline l'Ancien, 60, 261.
Plôtz (Gustave), 70, 94, 97, 113, 138.
Plutarque, 54, 274, 480.
Pogge (le), 286, 290.
Pointeau (abbé Charles), 466.
Poitiers (Diane de), v. Diane de Poi-
tiers.
Pôle (cardinall, 317.
INDEX
535
POLITIEN, 64.
PoNT-A-MoussoN (marquis do), 17.
PoNTANUs, poète néo-latin, 62, 63, 137.
PONTUS DK TYAHI), V. TyaKI) .
PoHT (Colcsttn), \2, li, 17. 18, 458, oOo.
PossEviNo (Antonio), 344-346.
PosTEL (Guillaume), 274.
PouLiN, baron do la Garde, amiral
d'Henri II, 447.
Priscien, 36.
Properce, 39, 77. 129, 19:i, 283, 383.
Proust (Jean), commentateur de Joa-
chim, 220, 223.
Pythagore, 229.
O
Querini (cardinal), 344.
Quicherat (Jules), 42-43.
QuiNTiL Horatian, V. Aneau
QuiNTiUEN, 44, 61, 124-26, 140, 430.
R
R.iBELAis, 67-68, 110, 118, 163, 262, 273,
278, 281. 282, 301, 388.
Rabestan (seigneur), ami de Joachim,
210.
Radier (Dreux du), 30, 47.
Raince, secrétaire du cardinal du Bellay,
308.
Ramus (Pierre), 274, 406.
Ranke (L.), 306.
Rathery (E.-J.-B.), 83, 296.
R.\YNALDUS, 314. 318, 323.
Rebitté. 44, 104.
Régnier (Mathurin), 193, 430, 497, 321
Revillout. 12, 281, 434, 439. 460, 306.
Rhétoriqueurs, 70-72, 73, 92, 128-129,
149-130, 132-133. 136-137, 138.
RiBiER (Guillaume), 97, 272, 273, 276.
278, 284, 302, 308, 309, 313-323. 330,
331, 337, 349, 330, 373.
Robertet, ami de Joachim, 332.
Robin du Fauz, v. Fauz.
robiquet, 45, 56.
Rochambeau (Achille de), 260.
Roches (Dames des), 28.
Rodoganachi (E.) 376. 377.
RoiLLET (Claude), 488.
Romans français, 68-69, 132, 133.
Roman de la Rose. v. Rose.
Ronsard (Pierre de), 4, 19. 20, 22, 24, 29,
3C>-40, 42 '.Mi, 101. 114. 1.33 1.39, 142.
1.30-131, 1(13-1(56, 170 173. 177, 194,
203-217, 219, 223, 228. 2.33-236, 242-
244, ;30. 2;)4. 233. 304. 311, 329, 3;i0-
334, 360, 363. 3(i6-:î67, im. 391, 392.
394. 400, 403-403, 411, 413, 416, 417,
424, 428, 432, 4.33, 4i2 443, 443-447,
4.39, 472, 473, 4S6-487, 491 4%, 499,
.iOO, 302, 303-304, 316. 319, 320-521,
322-323.
Rose (Roman de lai, 69-70, 72, 92, 156.
Rossant (André de), jurisconsulte lyon-
nais, commentateur de Joachim,
176 177.
Rosset (Pierre), poète néo-latin, 103.
Rothschild (James de), 227, 430.
Rovère (Jérôme de la), v. La Rovkre.
Roy (Emile), 93, 106.
Sabeo (Fausto), poète néo-latin, 344.
Sadolet, 31.
S.\GON (François), 75, 132, 161.
Saint-André (M"" la Maréchale de), 443.
Saint Gelays (Louis de), seigneur de
Lansac, v. Lansac.
Saint-Gelays (Mellin de), 76, 77-78, 91,
123, 127. 128, 131, 142, 150, 157, 165,
169, 172, 198, 226-228, 229. 242, 284.
.354, 376, .379, 404. 422-429, 432, 437.
Saint-Gelats (Octavien de), père de
Mellin, 70.
Saint-Marc Girardin, 264, 503.
Sainte-Beuve, 12, 13, 19, 26.37. 93, 97,
111, 1(38, 177, 200, 231, 274, 281, 282,
287. 317, 331, 361, 383, 408,409, 434,
439, 480, 303-506.
S.unte-Croix (abbé de), v. Hunaut.
Sainte-Croix (cardinal de), v. Marcel II .
Sainte-Marthe (Charles de), 107-108.
242 244.
Sainte-Marthe (Scévole de), 12. 14, 16,
19, 26, 28, 30, 40, 52, 55, 213, 358-
360, 390, 391, 457-458, 473, 498, .300.
Salel (Hugues), 76, 91, 128, 165, 242,
491-492.
536
JOACHIM DU BELLAY
Salfi, 344.
Salluste, 60.
Salmon Macrin, V. Macrix-
Sanadon (P.), 501.
Sannazab, 34, H2, 03, 64, V.M), :J3(), 'M-I,
345.
Sautreau de Marsy, 0OI-0O2.
Sauvain (.Teanne),quafirisaioule de .loa-
chitn, 18.
Sauval, 42.
Saveuse, 456, 467.
Scaliger. 52, 274, 494, 500.
ScÈvE (Maurice), 70, 77. 78-80, 91, 1:28,
142, 165, 169, 174. 190, 218, 283, 38S.
SCHROEDER, 391.
SÉCHÉ (Léon), 1, 12, 14, 17, 18, 20, 383,
507-509.
Seco.nd (Jean), poète néo-latin, 62, 63,
137, 233, 274, 400. 502.
Selve (Odet de), ambassadeur de France
à Rome, 315. 331, 375.
Sénéque, 30.
Seymour (Anne, Marguerite et Jeanne),
filles du protecteur Edouard Sey-
mour, élèves de Denisot, 241-244.
SiBiLET (Tliomas), 90-93, 98, 123, 127-
132, 134, 137, 138, 140, 146-147, 157,
159-160, 163, 169, 250, 254, 354.
SiLVESTRE (Armand), 1, 20.
SiRLETO (Gulielmo), 343.
SixTE-QuiNT, pape, .371).
SoissoNs( Hubert de i, poète néo-latin, 105.
SOPHOCt.E, 118.
SoREL (Charles), 500.
Spenser (Kdmund), 290, 496-497.
Spifa.me (Jacques), évoque de Nevers,
361.
Stace, 59, 402, 405.
Staél (M"" de), 298.
Stoïcisme, 464.
Strozzi, 331, 361.
Stuart (Marie), reine d'Rcosse et de
France, 437, 445-446.
SoRGKRES (Hélène de). 57.
SlLVIA MiRANDOLA, 361.
Tabourot »es .\ccords, 57, 176, 233.
Tacite, 60, 285.
T.^GAULT, poète français, 243.
Tahureau (Jacques), t^6, 129, 194, 265,
349, 350, .354-356, 400, 417, 492
Taille (Jacques et Jean de la), v. La
Taille.
Taillemont (Claude de). 218.
Tamizey de Larroque, 228, 243, 310.
Tell (J.), 50G.
Tetti (Scipione), 343.
Théatin (cardinal), v. Caraffa.
Theocrenus (Benedictus), poète néo-
latin, 105.
Théociute, 54, 55, 63, 91, 124, 1.30, 263,
345, 410.
Thibait (Fr.), 71, 72. 282.
Tnou (Jacques-Auguste de), historien,
19, 241-242, 310, 314, 318, .321-322,
343. 34:;. 359, 481.
Thou (Nicolas de), trésorier de Heau-
vais, 456, 466-467, 472.
Thucydide, 54.
Tibclle, 59, 129, 383.
Tiraboschi, 342, 344, .345.
Tiraqueau, jurisconsulte, 28.
TiTE-LivE, 44, 60, i'85.
Tonnerre (comtesse de), 225.
Tory (Geoffroy). 105.
TouRNON (cardinal de), 306, .308. 317,
321, 325, 349.
Toussaint (Jacques), 51, 273.
Toussepain (Jean), cbanoine et archi-
diacre de Paris, 458.
TouTAiN (Charles), poète français, 26.
Trincant (Louis), de Loudun, 271.
Trissin (le), .342,
Tristan, v. Romans français.
Tronssay (I. Quintil du), pseudonyme
de Joachim, 41.3-414.
TuRNKBE (Adrien), 52. 53, 105, 412. 414-
418, 430, 488.
TuRQUETY, 172, 347, 505.
Tyard (Pontus de), 4, 19, 147, 170-172,
192-194, 283, 350.
TzETZÉs. 53, 56.
u
Urfé (d'), ambassadeur de France à
Rome, 277, 308, 310.
Urseau (abbé Charles), 23.
INDEX
337
Ursin, Ursiniis. nom latin d'Orsini,
343.
UuvoY (René d'), camarade de Joachim
au Collège de Coquoret, 'i8, 82.
Utenhove (Charles), ;M), 474, 477-47'.),
480, 493-494, .^13.
Vasquin (Philieull, de Carpentras, tra-
ducteur de Pétrarque, 109.
V.\T.\BLE (François), 273, 391.
V.\UQUEUN DE LA FrESNATE, V. La
Fresnaye.
Vauthier (G.), 267.
Veillard (Jacques), de Chartres, 19, 57,
473.
Verdier (Antoine du), 32, 48, 8n, 228,
243, 337, 349, 390, 416, 417, 41S, 498.
Vergèce (Ange), 51
Vianet (Joseph i, 369, 376, 403. 429, 497
Victoire lia), courtisane romaine, 306.
Vida, poète néo-latin, 62, 419.
Vidal (Pierre), aquafortiste. 20.
Vieilleville, 186, 219, 224, 377, 450.
Vigne (André de la), v. La Vigne.
Villeneuve fdamoiselle de), v. Bellay
(Louise dut.
Villon, 70, 156.
ViNEL's. d'Urbin, ami de Joachim, .327,
340. 349, 387.
Viole (Guillaume), évéque de Paris,
177.
Viole M"'), nièce ou parente du pré-
cédent, 177-179. — V. Olive.
Virgile, 35. 39, 44, 52, 59,61, 63. 91, f2,
105, 116, 117, 121.12.3, 124, 130, 132,
205, 225, 230, 252-254, 263, 274, 285,
342, 343, 345, 402, 407, 517.
VisGONTi, 288, 289.
ViTALis (Janus), poète néo-latin, 295.
Volney, 29S.
VouLTÉ (Jean), poète néo-latin, 105.
W
Waddington. 406.
Xénophon, 274.
X
Y
Yre (le bon moine de 1'), 156.
Zanchi (Basilio), poète néo-latin, 343-
345.
ic
TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS i
BIBLIOGRAPHIE v
INTRODUCTION 1
PREMIÈRE PARTIE
DE LA NAISSANCE AU VOYAGE DE ROME
1522-1553
CirAPiïRK I. — Enfance et Jeunesse. Premières souffrances —
Premières études. 132S-1547 Il
I. — L'Aujou et la Loire H
H — La famille du Bellay. — La branche cadelte : les quatre
frères du Bellay. — La ])ranche aînée : les ascendants du
poète H
111. — Naissance de Joacliim. — Premières années : commerce avec
la nature. — Premières souffrances : malheurs domestiques.
— Désœuvrement intellectuel. Rêves de gloire ..... IS
l\ . — Séjour à Poitiers. — Poitiers au xvi' siècle. — Etudes juri-
diques et littéraires. — Premiers essais poétiques. — Influence
de Muret. — Influence de Saluiou Macrin. — Influence de
Peletier id
V. — Rencontre de Ronsard. — Départ pour Paris 37
ij40 JOACHIM DU BELLAY
CnAPiTni: II. — Le Collège de Coqueret. 1S47-1549 41
I. — Le Collège de Coqueret 42
H. — Jean Dorât principal de Coqueret. — Un collège au xvi" siècle.
— La Brigade et la Pléiade 4o
III. — l^ducalion de la Pléiade. — L'édiicalion par les livres. — Dorât
professeur. — Sa méthode : le latin enseigné par le grec.
— Sa valeur comme philologue 40
IV. — La culture grecque. — Caractère surtout poétique. — Les clas-
siques et les alexandrins. — Défauts et mérites de Dorât
helléniste. — Du Bellay le moins grec des poètes de la
Pléiade 52
V. — La culture latine. — Latins anciens. — Latins modernes . . o9
VI. — La culture italienne. — Valeur esthétique des œuvres italiennes.
— Vive impression produite sur la Pléiade (13
VII. — La culture française.— Rabelais. — Romans français. — Roman
de la Rose. — Poésie des xiv' et xv"' siècles. — Rhéto-
riqueurs. — Jean Lcmaire de Belges. — Clément Marot. —
Les Marotiques et Saint-Gelays. — Les Lyonnais : Antoine
Héroct et Maurice Scève 66
VIN. — L'éducation par la nature. — Excursions dans la banlieue de
Paris. — Le voyage d'Arcueil en l.j49. — Une partie de
plaisir chez Brinon 80
IX. — L'éducation par les arts — Influence de Denisot. — Relations
avec les artistes. — Les arts plastiques. — La musique et
la poésie 8.'i
X. — Publication de VArt Poétique de Thomas Sibilet (l.i48). —
Impression qu'en ressentent les élèves de Dorât. — Origine
de la Deffence. — La collaboration du groupe au manifeste.
— Pourquoi ce fut du Bellay qui le signa. — Publication
de la Deffence et illustration de la langue françoyse (1549) . 89
Chapitre III. — La «Deffence de la Langue Françoyse ». 1S49. 99
I. — L'antinomie de la Deffence. — Comment on peut la résoudre.
— Une ambition patriotique : le désir d'égaler l'Italie. —
Composition défectueuse de l'ouvrage 99
II. " La partie apologétique de la Deffence. — Développement de
l'humanisme : dangers courus par le français 103
III. — Précurseurs de du Bellay dans la défense de cette langue. —
Rôle des poètes : Jacques Peletier, Charles de Sainte-Marthe,
Charles Fontaine, François Habert. — Utilité d'une nou-
velle intervention 100
IV. — Du Bellay défenseur du français. — Théorie de l'origine des
langues. — Arguments en faveur du français : sa pauvreté
actuelle, sa richesse possible. — Attaque contre les
Latineurs. — Nécessité d'écrire en français 110
TABLK DE< MATIÈRES ;)4I
CiiAi'iTUE IV. — Ij'(( Illustration de la Langue Françoyse ». 1549. 119
1. — La partie lh('"orique de la Deffence. — Un nouvel art d'écrire :
l'imitation des anciens et des italiens posée en principe. —
Les moyens d'illustrer la langue. — Insuflisance de la tra-
duction. — Nécessité de Tassirailation. — Théorie de l'imi-
tation empruntée à Quintilien. — Fondation du classicisme. 119
II. — Une nouvelle conception de la poésie. — Rupture avec l'école
de Marot. — Proscription des vieilles formes rhétoricales.
— Les nouveaux genres, petits et grands. — Le sonnet^
l'ode, l'épopée. 126
in. — Les ])réceptes relatifs à la forme. — A. Langue : les néolo-
gismes et les archaïsmes.— B. Style : les tours et les ligures.
— C. Rythmique : le mètre et la rime. 133
IV. — Introduction de l'art dans la poésie. — Élaboration de l'œuvre
d'art. — Définition du vrai poète. — Mépris du vulgaire. —
Sainteté de la poésie . 139
Chapitre V. — L'attaque de la « Deffence » et la défense de la
« Deffence » . 1349-1350 14i
I. — La guerre contre l'ignorance. — Résistance des disciples de
Marot — La préface de Vlphigène de Sibilet (1549) . . . 14i
II. — Guillaume des Autelz et sa Réplique aux furieuses défenses de
Louis Meigret (1530) 147
III. — Le Quintil Horatian de Barthélémy Aneau (1550) ..... 151
IV. — Défense de la Deffence : la seconde préface de l'Olioe (1330) . 138
V. — Deux poèmes polémiques : la Musagnœoniachie et l'ode à
Ronsard Contre les envieux poètes (1330) 163
Chapitre Y1. — L'(( Olive ». 1549-1550 167
1. — Les deux éditions de VOlive. — La part que du Bellay a prise
à l'introduction du sonnet en France. — Pontus de Tyard
et du Bellay 167
II. — L'imitation de Pétrarque et des Italiens 173
III. — M'" Viole et du Bellay : le roman d'amour dans VOlive. . 177
IV. — Les deux thèmes de l'Olive : beauté de la dame, amour du
poète .... 179
V. — Les variations sur les deux thèmes. — La nature. — La mytho-
logie. — Les figures de rhétorique. — La préciosité ... 183
VI. — L'idéalisme platonicien et l'inspiration religieuse. — Les
Xlil Sonnetz de l'honneste Amour (1332). ...... 188
VII. — La réaction contre le pétrarquisme. — \J Antérotique (1349J. —
La pièce A une Dame (1333). — La valeur et linlluence de
YOlive 194
542 JOACHIM DU BELLAY
Chapitre VII. — Les « Vers Lyriques ». 1549 202
I. — Les odes de 1549. — Le rôle de du Bellay dans l'invention de
l'ode 202
II . — Les odes philosophiques et morales 204
III. — Les odes descriptives et mythologiques i08
IV. — Les odes intimes et personnelles 212
V. — Valeur des odes. — Du Bellay rebelle au pindarisme . . 215
Chapitre VllI. — Le « Recueil de Poésie ». 1549 218
I. — Entrée d'Henri II à Paris (16 juin 1349). — La Prosphonéma-
tique 218
II. — Du Bellay se présente à Madame Marguerite. — Origine du
Recueil de Poésie. — Du Bellay courtisan ...... 222
III. — Le Chant trinmphal sur le voyage de Boulongne et les odes
otlicielles . . 224
IV. — Les odes littéraires 226
V. — Le Dialogue d'un Amoureux et d'Echo 232
Chapitue IX. — Nouvelles souffrances. 1549-1552 .... 234
I. — Maladie de J. du Bellay 234
II. — Consolations que lui procurent les lettres et la poésie. —
La seconde édition de YOlive : l'ode A Salmon Macrin sur
la mort de sa Gélonis (1530). — Le Tombeau de Marguerite
de Valois, Hoyne de iVafarre (1530-1551). — Jeanne d'x\lbret
et du Bellay : les Sonnets à la Royne de Navarre . . . 237
III. — Soucis et tracas domestiques 243
Chapitre X . — Les « Traductions » et les « Inventions » de 1553 . 249
I. — Caractère du recueil de 1552. — L'épître-préface à Morel . . 249
II. — Les traductions de du Bellay 232
m. — Les œuvres de l'invention de l'auteur. — La Complainte du
Désespéré 234
IV. — Les pièces religieuses 257
V. — Les pièces philosophiques 261
VI, — Les pièces littéraires 263
VII. — h' Adieu aux Muses. — Le voyage de Rome fait de .1. du Bellay,
poète livresque, un poète personnel 267
TABLE DES MATIÈRES 543
SECONDE PARTIE
DU VOYAGE DE ROME A LA MORT
1553-1560
Chapitre 1. — Départ pour l'Italie. — Le cardinal Jean du
Bellay. 1353 271
I. — Le cardinal Jean du Bellay. — Le politique. — L'intellectuel . 271
II. — Rapports du poète et du cardinal avant 1553 274
III. — État d'esprit de Joachim. — Ses pensées d'avenir. — Ses rêves
d'humaniste 279
IV. — Départ pour l'Italie. — Sainl-Symphorien-de-Lay. — Lyon. —
Arrivée à Home (juin 1553) 281
Chapitre II. — Les « Antiquitez de Rome »... 285
I. — L'humanisme et les ruines de Rome. — Promenades de
du Bellay dans Rome. — Son poème Romae descriptlo. . 285
II. — Les Antiquitez de Rome : les idées principales de l'ouvrage . 290
III. — Valeur du recueil : c'est une œuvre de transition. — Le Songe.
— Une note nouvelle en poésie : le sentiment des ruines. 295
Chapitre III. — La Tie de Joachim à Rome. 1553-15S7. —
I. La vie publique 300
I — Palais du cardinal à Rome. — Son train de maison. — Fonc-
tions de Joachim 300
II. — Rome en 1553. — Situation religieuse. — Situation politique.
— Jules III. Sa politique. Son caractère 306
III. — Marcel II (1555) 316
IV. — Paul IV. — Le cardinal du Bellay doyen du Sacré -Collège.
Sa disgrâce définitive. — Caractère de Paul IV. — La
réforme de l'Église. — La guerre contre l'Espagne. — Rome
en 155G. — L'expédition du duc de Guise en Italie (1557) . 320
Chapitre IV. — La vie de Joachim à Rome. 1553-1557. —
II. La vie privée 336
I. — Passe-temps de Joachim. — Ses ennuis, ses dégoûts. . . . .336
II — Ses consolations. — Le monde savant à Rome. — Annib.'d
Caro. — Érudits et poètes : la poésie latine. — Satisfactions
d'amour-propre 341
III. — Les amis de Rome. — Magny, Gordes, Panjas 347
IV. — Les amis de France. — Ronsard et Tahureau 351
V. — Le culte des Muses : la poésie consolatrice. — Origine des
Poemata et des Regrets . 356
54 i JOACHIM DU BELLAY
Chai-itre V . — Les « Regrets ». 3o8
I. — Les Poemata. — Pourquoi du Bellay écrit en latin. — Valeur
de ses œuvres latines 3o8
II. — Les Regrets. — Epoque de composition. — Caractère nouveau
du recueil : la poésie intime et personnelle 361
III. — La partie élégiaque des Regrets. — Les Tristes d'Ovide. —
Les douleurs de l'exil. — L'amour du foyer et du sol natal. 364
IV. — La partie satirique des Regrets. — Les Satires de LArioste.
— Comment du Bellay conçoit la satire. — La peinture des
mœurs romaines. — La Rome des cardinaux. — La Rome
des courtisanes 368
V. — Valeur des Regrets. — L'alliance du lyrisme et de la satire. —
Un nouveau genre de sonnet. — Le style naturel et facile. 377
Chapitre VI. — Retour en France. 1S57-1S58 381
I. — La passion de Joachim pour Faustine (1357) 381
II. — Départ de Rome (août 1537). — Itinéraire. — Retour à Paris.
— Une pièce de Dorât . 386
III. — La maison de Jean de Morel. — Intimité de du Bellay et de
Morcl. 390
IV. — Les tracas domestiques du retour. — Publication des recueils
composés en Italie (1338) 393
Chapitre VII. — Les « Jeux Rustiques » 393
I. — Caractère des Jeux Rustiques. — Division du recueil. —
L'inspiration élégiaque. — Fâcheux retour au pétrar-
quisme. — Les deux baisers 395
II — L'inspiration satirique. — Formes diverses qu'elle affecte. —
L'esprit de du Bellay 400
m. — L'inspiration rustique. — Les Vœaz rustiques de Naugerius.
— Valeur du recueil 406
Chapitre Vlll. —Le « Poëte Courtisan )).1359. ...... 412
I, — La plaquette d'I. Quintil du Tronssay. — Son caractère d'au-
thenticité. — Problème qu'elle soulève 412
H. — La Nouvelle manière défaire son profit des lettres. — Pierre
de Paschal 414
III. — Le Poëte Courtisan. — Analyse.^ Conlirmation de la Décence. 418
IV. — Origine et portée du Poëte Courtisan. — Saint- Gelays et
du Bellay 422
V. — Valeur du Poëte Courtisan : la première satire française . 429
TABLE DES MATIEUES .>Ï0
Chapitke IX. — Du Bellay poète courtisan. 13S8-1559. . . . 431
1. — Du Bellay courtisan. — La dernière partie des Regrets et le
Discours au Roy sur la Poësie. — Rôle du poète parmi les
grands 431
II. — Du Bellay et Henri II. — Médiocrité des poésies de
circonstance. — Le sentiment patriotique chez du Bellay :
l'Hymne au Roy sur la prinse de CaUais 434
III. — Du Bellay et François II. — Les deux Discours au Roy. . . 439
IV. — Du Bellay et les grands de la Cour : Catherine île Médicis,
Diane de Poitiers, Jeanne d'Albret, Marie Stuart, les Guises,
Montmorency, etc 443
V. — Du Bellay et Madame Marguerite 4V7
Chapitre X. — Les derniers temps. 15S9-1560 4i)3
I. — Les Lettres de J. du Bellay : leur intérêt documentaire. — La
nàssion du poète à Paris. — Du Bellay iut-il prêtre?. . . 4o3
II. — Ses démêlés avec l'évêque et sa famille. — L'aflaire des Regrets.
— L'affaire des collations. — Du Bellay et le cardinal :
les bénéfices ecclésiastiques de Joachim 439
III. — La santé du poète. — Etat i)hysique : les progrès de la surdité.
— État moral : la ruine des illusions 473
IV. — Consolations poétiques. — Les dernières œuvres de du Bellay.
— Les Xenia . 477
V. — Mort de J. du Bellay (l" janvier loGO) — Sa sépulture ; sou
épitaphe 480
Cu.vpiTRE XI. — Du Bellay devant l'opinion 484
I. — Du Bellay jugé par lui-même. — Sa vanité poétique . . 484
II. — Du Bellay jugé par ses contemporains. — Hommages fu-
nèbres : le tombeau du poète (lo60) — L'édition de Morel
et d'Aubert (1.^68-^o69). — Du Bellay l'égal de Ronsard. . 4S0
III. — Du Bellay jugé par la postérité.— Un sonnet de Spenser (1591).
— Les travaux des savants : Sainte-Marthe, Colletet,
Baillet, Ménage, Niceron, Goujet. — Les Annales Poé-
tiques (1778). — Le Tableau de Sainte-Beuve (1828). — Du
Bellay au xix^ siècle. — L'édition Marty-Laveaux (1866-1867).
— La statue d'Ancenis (1894). — L'Association Bretonne-
Angevine ..... 496
CONCLUSION. — L'Homme et le Poète iJH
INDEX 525
0
Çl&CjJLATt: A5 MONOGSAfla.
AS Lille. Université
162 Travaux u: mémoires
L39
t. 3
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